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Révision du code pénal. Des coalitions de maîtres et d’ouvriers
VAN HUMBEECK Pierre - 1859

VAN HUMBEECK P, Révision du code pénal. Des coalitions de maîtres et d’ouvriers

(Paru dans « La Belgique judiciaire », tome XVII, n°28, 7 avril 1859)

But de ce travail

(colonne 433) Le nouveau projet de code pénal présenté aux Chambres belges reproduit les dispositions des articles 414, 415 et 416 du code pénal de 1810.

La commission parlementaire chargée de l'examen du projet vient de conclure au maintien de ces articles.

Deux questions vont donc être posées devant les représentants de la nation : faut-il ou non que la loi punisse les coalitions des ouvriers ? Faut-il ou non qu'elle punisse les coalitions des patrons ?

C'est ces deux questions que je me propose de traiter. Bientôt peut-être elles serviront de matière à la discussion passionnée des partis. Il importe qu'elles forment préalablement le thème d'un de ces débats paisibles, qui s'agitent sur le terrain du droit, de la philosophie et de l'économie politique. En les examinant avec calme on peut espérer les juger avec impartialité.

Le sujet est vaste et intéressant ; en l'abordant, en rassemblant les matériaux de cette dissertation, je ne me suis pas dissimulé que je ne réussirais qu'à présenter une ébauche bien imparfaite de ces graves controverses. Aussi aurais-je reculé devant ma tâche, si j'avais eu pour but la recherche d'un succès personnel, la poursuite d'une satisfaction d'amour propre. Mais j'étais soutenu par une pensée plus haute : j'étais convaincu de l'importance de la matière et je me disais qu'un premier travail sur ce point ne pouvait manquer d'être utile, son utilité pouvant résulter de ses imperfections mêmes. L'imperfection, en effet, appelle la correction ; d'autres voudront mettre en lumière les considérations que j'aurai pu omettre. C'est dans cet espoir que j'ai voulu terminer l'œuvre que j'avais entreprise ; c'est dans cet espoir que je la soumets à l'examen du public. Ces intentions, j'en suis persuadé, m'assureront quelques droits à une attention indulgente.

II Qu’est qu’une coalition ?

(colonne 434) Il importe d'abord de définir la coalition pour apprécier ensuite si le fait ainsi qualifié doit être ou non puni par la loi. La coalition entre maîtres ou entre ouvriers n'est autre chose que l'accord de plusieurs personnes pour produire la hausse ou la baisse du prix du travail.

Quelle sera donc, d'après cette définition, la nature des actes que nous voulons examiner pour déterminer s'ils doivent ou non faire l’objet d’une répression ? Si nous faisons abstraction des dangers possibles dans le but spécial, que ces actes se proposent, nous y trouvons uniquement un consentement de plusieurs personnes sur une même chose, le plurium in unum placitum consensus, qui forme le caractère distinctif de la convention. On peut donc dire, et on a dit avec raison, que « le mot coalition par lui-même emporte l'idée qu'il n'y a pas de délit. Le mot coalition ne fait que traduire beaucoup de mots semblables comme par exemple association, combinaison, accord, concert. Ce n'est donc pas la coalition qui est le délit ; car si « c'était la coalition, elle serait constamment délit, n’importe à quel objet elle s'appliquât. » (Bastiat, discours prononcé à l'Assemblée législative, le 16 novembre 1849.). On aboutirait ainsi à supprimer la liberté des conventions ou au moins à faire de la prohibition une règle, tandis que les conventions permises ne devraient être considérées que comme des exceptions. En d'autres termes on arriverait à prendre pour la vérité ce qui n'en est que le contrepied. La liberté des conventions est de droit naturel. Les restrictions qui y sont faites doivent résulter de lois expresses et le législateur, à moins de dépasser son but, ne peut consacrer qu'exceptionnellement de semblables restrictions.

Ainsi la coalition n'est qu'une convention ; ainsi les lois qui la prohibent sont des restrictions apportées à la liberté d'engager sa volonté. Comme conséquence de ces deux propositions acquises, nous pouvons dire que des dispositions législatives de pareille nature ne peuvent être justifiées que par des raisons assez puissantes pour servir de fondement à un statut exceptionnel.

III. Analyse de la coalition dans ses conditions essentielles. A. Du consentement des coalisés

Ces raisons existent-elles ? Il faut, pour décider cette question, analyser dans son essence la convention dont la légitimité est mise en question. Il y a longtemps que le droit naturel, comme le droit positif, ont résumé, dans une formule scientifique, les conditions essentielles à la validité d'une convention. Ces conditions sont au nombre de quatre : le consentement des parties, leur capacité de s'engager, un objet certain qui forme la matière de l'engagement et une cause licite dans la convention.

Le consentement est le libre concours à une œuvre d'une volonté librement formée et librement manifestée. La proposition venue d'un autre et soumise par nous à une délibération calme n'empêchera pas notre volonté de s'être librement formée. Il est, au contraire, de la nature des conventions, sinon de leur essence, de se former de l'offre d'une des parties et de l'acceptation de l'autre. De là résulte que la propagande pacifique des coalitions, la proposition faite à un tiers par un membre de l'association et acceptée ensuite par ce tiers, de prêter son concours à ceux qui ont des intérêts identiques aux siens, n'ôtera pas à la (page 435) coalition son caractère de simple contrat.

Mais notons dès à présent une observation capitale.

Les partisans de la répression des coalitions semblent croire que la propagande pacifique des idées dont elles s'inspirent, est chose impossible. Il leur paraît que cette propagande doit nécessairement mettre à son service la menace, l'intimidation, la violence.

Si cette manière de voir était fondée, il en résulterait que la coalition ne pourrait se continuer qu'en pesant sur la volonté de ceux qui y sont étrangers, en leur ôtant leur liberté. Alors on comprendrait jusqu'à un certain point la répression. Mais est-ce la coalition qui serait punissable alors en elle-même ? Non. Ce serait dans les moyens dont elle serait fatalement condamnée à se servir pour se perpétuer, qu'on trouverait matière à répression. En admettant même que l'insurmontable nécessité pour la coalition de recourir à ces moyens répréhensibles dût être considérée comme une vérité, ce serait sur ces moyens qu'il faudrait frapper et non pas sur le fait de coalition, qui continue à être parfaitement légitime en lui-même. En frappant celui-ci d'une manière absolue la loi s'exposerait à porter des coups injustes.

Que le lendemain de sa promulgation une coalition trouve moyen de naître et de subsister, sans qu'on puisse y voir autre chose que des volontés librement réunies et agissant pacifiquement dans un but commun, et la loi se trouvera obligée de punir un fait parfaitement légitime dans les circonstances où il se produit. Il y a plus ; elle devra méconnaitre ces circonstances, car elle les a d'avance et témérairement proclamées impossibles. Elle devra persister au contraire à soutenir l'existence des moyens attentatoires à la sécurité sociale, parce qu'elle a prédit que l'emploi de pareils moyens ne pouvait manquer de se rencontrer à côté du fait qu'elle a cru devoir punir. Le législateur qui supprime un droit, parce qu'il en craint l'abus, se trouvera nécessairement à un moment donné en état flagrant de mensonge. Il devra pour être conséquent avec lui-même refuser de reconnaître l'absence d'abus, chaque fois qu'il se trouvera en présence d'un simple usage du droit. Telle est la pensée qui a inspiré les dispositions répressives sur les coalitions ouvrières ; telle est aussi la nécessité dans laquelle se sont placées les législations qui les ont adoptées.

Tenons donc compte de cette distinction bien simple entre la coalition elle-même et les moyens de la faire naître ou de la soutenir. Rappelons-nous que les plus mauvais moyens servent quelquefois à atteindre un but légitime. Cela ne rend pas les moyens plus justifiables, je le sais et ne crois pas avoir besoin de le démontrer longuement. Nous réprouvons hautement cet adage de l'obscurantisme, « la fin justifie les moyens », mais nous tomberions dans un excès contraire, si nous disions que « les moyens doivent faire répudier la fin. » Si les moyens d'atteindre à un résultat licite sont des moyens mauvais, il faut s'abstenir jusqu'à ce qu'on en trouve d'autres ; que la loi commande au besoin cette abstention de certains moyens, mais qu'elle ne proscrive pas d'avance et absolument le résultat lui-même.

Cette distinction entre l'usage licite de sa volonté personnelle et la violence matérielle ou morale faite à la volonté d'autrui doit surtout nous aider à trouver la solution rationnelle du problème des coalitions. Si les législateurs l'ont souvent méconnue, il est cependant quelques hommes d'Etat qui l'ont comprise : « Ainsi, disait l'un de ces derniers, si on entend par coalition la violence exercée vis-à-vis de ceux qui ne font pas partie de l'espèce d'association qui se forme entre les ouvriers pour la défense du plus sacré de leurs droits, pour la défense du salaire, de ce qui décide de leur vie, de leur existence même ; si en usant de ce droit de travailler, glorieuse conquête de la première Révolution, de ce principe que Turgot avait posé, mais que la Révolution seule a pu réaliser ; si en (colonne 436) usant du droit de travailler, les ouvriers entendent empêcher d'autres ouvriers d'user du même droit, et les forcent, sous la contrainte, sous la menace, sous la violence, à n'accepter que certaines conditions du travail, telles qu'ils les auraient dictées. Oh! alors... il doit y avoir répression, alors la loi pénale doit intervenir. Mais s'il s'agit simplement d'un acte le plus souvent spontané entre les ouvriers d'une certaine industrie, d'une certaine fabrique, qui, mécontents de la condition que leur fait la loi du salaire, s'entendent entre eux pour demander une amélioration à leur sort, cet acte tout spontané est aussi respectable à nos yeux, lorsqu'il ne viole pas le droit d'autrui, lorsqu'il ne contraint personne à agir comme le font les ouvriers qui se sont réunis, que le droit qu'a chacun de refuser le travail aux conditions qui ne lui conviennent pas.

« Je voudrais voir maintenir cette distinction dans la loi. Frappez, frappez sévèrement toute espèce de violence vis-à-vis des tiers ; mais respectez les droits des ouvriers, alors qu'ils se manifestent soit isolément, soit en corps par leur entente. » (Wolowski, discours prononcé à l'Assemblée constituante, le 14 août 1848.)

Telles sont les considérations que devait suggérer naturellement l'examen de cette convention spéciale nommée coalition, lorsque nous la considérions dans le premier de ses éléments, le consentement. Elles peuvent se résumer ainsi : il faut, pour être légitime, que la coalition soit une agrégation de volontés libres ; que personne n'y entre malgré lui, ne soit contraint ou forcé d'y entrer.

L'analyse de ce premier terme du problème n'a donc réussi qu'à nous démontrer la nécessité de réprimer certains moyens dont pourraient user les coalitions. Rien ne nous a prouvé qu'il fallût considérer comme punissables les coalitions elles-mêmes. Voyons maintenant si nous arriverons à une semblable conséquence en étudiant la coalition dans le second de ses éléments essentiels, en étudiant la personnalité de ceux qui seront appelés à la former.

IV. Analyse de la coalition dans ses conditions essentielles. B. De la capacité

Ce serait une atteinte grave au principe de l'égalité des citoyens que d'interdire à quelques-uns d'entre eux la libre disposition de leur volonté à cause de la position spéciale qu'ils occupent dans la société. On en arrive là cependant, si on interdit aux ouvriers de s'associer, de s'entendre pour sauvegarder leurs intérêts. On considère alors ces hommes comme formant dans le monde une classe à part, comme ayant une nature moins élevée que celle des autres hommes ; on cesse alors de considérer ces derniers comme leurs semblables ; on crée la plus mauvaise des aristocraties.

Vainement essaiera-t-on de le nier en soutenant que le principe d'égalité se trouve rétabli lorsque le législateur défend la coalition des chefs d'industrie en même temps que celle des simples travailleurs. C'est là tout simplement une deuxième restriction au principe de la liberté des conventions, qui ne légitime en rien la première ; c'est un deuxième mal, qui ne remédie en rien au premier. La société ne se compose pas seulement d'ouvriers et de patrons : à côté de l'industrie, il y a le commerce ou, si on préfère s'en tenir à des branches de l'activité humaine qui s'écartent davantage de la production d'utilités matérielles, il y a toutes les professions artistiques et libérales. A ceux qui exercent de semblables professions défendra-t-on de se concerter pour discuter à quel prix ils devront céder leurs services ? On n'y songerait pas, à moins de vouloir, de lambeau en lambeau, confisquer la liberté d'association tout entière. Ces professions-là, vraiment affranchies, constitueront ainsi toujours une sorte d'aristocratie en présence de la position qui sera faite aux ouvriers et aux patrons de l'industrie.

En mettant une prohibition à la liberté d'association pour les patrons, comme pour les ouvriers, en empêchant les uns et les autres de se concerter pour le bien de leurs intérêts, en établissant une loi qui leur fait un crime de ce concert, on ne peut cependant invoquer, pour justifier (colonne 437) pareille prohibition, la personnalité et la position sociale de ceux à qui on l'impose. Ce n'est, par conséquent, pas encore dans cet élément subjectif de la coalition que nous découvrirons un motif, même spécieux, qui puisse en autoriser la répression. Chercher là une raison à de pareilles dispositions ce serait trancher dans le principe sacré de l'égalité civile, la plus sainte des conquêtes de l'esprit moderne, principe dont nous devons savoir à tout prix maintenir l'inviolabilité.

IV. Analyse de la coalition dans ses conditions essentielles. C. De la cause et D. De l’objet des coalitions

Continuons notre analyse. Puisque nous n'avons trouvé ni dans la personne de ceux qui peuvent être appelés à se coaliser, ni dans leur volonté, librement formée de concourir à un semblable fait, aucune raison qui doive amener une restriction à la liberté des conventions, cherchons si cette raison ne se verrait pas dans l'objet ou dans la cause que doivent avoir de semblables accords.

L'objet de la coalition, c'est le chômage ; la cause, c'est l'augmentation du salaire. Voilà comment les deux éléments sont représentés dans les coalitions d'ouvriers. Dans les coalitions de patrons, l'objet est l'abaissement des salaires à payer par les coalisés ; la cause, c'est l'accroissement du bénéfice à réaliser par eux.

Pour pouvoir transformer les coalitions d'ouvriers en faits punissables, il faut ainsi admettre que le chômage est répréhensible ; que le désir d'une augmentation de salaire est un désir que la loi condamne.

Si l'on n'admet pas ces deux prémisses, je me demande où sera l'élément délictueux dans la coalition ouvrière et je ne réussis pas à le découvrir. Chacun est juge du service qu'il croit pouvoir exiger en échange du service qu'il rend ; chacun est maître de refuser ses services lorsqu'il ne croit pas recevoir en échange des services équivalents. Ces deux propositions sont évidentes ; ni l'une, ni l'autre n'ont besoin d'être démontrées. La seconde justifie dans leur objet les coalitions ouvrières, comme la première les justifiait dans leur cause.

Contester la première de ces deux vérités ce serait affirmer que des hommes peuvent être obligés de travailler à des conditions qu'ils ne croient pas équitables. Et qui sera juge du prix de son travail, si ce n'est le travailleur lui-même ? Sera-ce le maître ? Dans ce cas nous revenons tout simplement, par une voie détournée, au rétablissement de l'esclavage. L'ouvrier devient la chose du patron. Le salaire disparaît ou plutôt il change de nature ; il est, non plus le prix de la peine, mais le moyen de conserver en bon état la machine humaine dont nous nous servons.

On ne peut pas plus nommer salaire cette allocation destinée à soutenir la vie de l'homme utilisé par un autre homme, qu'on ne peut donner ce nom à la botte de foin dont un voiturier nourrit son âne ou son cheval. Là aussi on vise à se conserver un agent utile ; on cherche encore à lui créer un certain bien-être favorable à sa conservation ; on tâche même d'agrandir ce bien-être de manière à ce qu'une extension de travail ne puisse pas nuire à l'être animal dont on a la propriété ou l'usage. Y a-t-il salaire pour cela ? Nul ne le soutiendrait ; la force des choses est si grande que jamais un pareil abus des mots ne s'est rencontré.

Le salaire, le loyer de l'ouvrage, exige un contrat et le contrat suppose des conditions librement débattues. Il faut donc reconnaître que l'ouvrier est juge de la hauteur du salaire moyennant lequel il croit pouvoir travailler. Il faut le reconnaître, si on ne veut pas confisquer sa liberté et réduire sa volonté à néant pour ne laisser subsister que celle du maître. Le droit de travailler est un droit dont l'ouvrier peut user ou ne pas user. C'est à lui d'examiner si les conditions dans lesquelles il peut en user sont ou ne sont pas acceptables. Il n'y a, dès lors, rien de punissable ni dans le chômage, qui est l'objet des coalitions, ni dans le désir d'une augmentation de salaire, qui en est la cause.

Je n'ai parlé jusqu'ici que des coalitions d'ouvriers, mais il est facile de voir que le même raisonnement peut s'appliquer aux coalitions des patrons ; si on ne doit pas souffrir que la volonté de l'ouvrier soit contrainte à s'effacer, il ne faut pas non plus détruire la volonté du maître ; il ne peut pas se faire que le maître soit contraint d'employer l'ouvrier à des conditions dont il ne veut pas. (colonne 438) Lui aussi est juge de ce qu'il peut donner en échange de ce qu'il reçoit et libre de s'abstenir, s'il ne trouve pas que ses efforts puissent le conduire à une rémunération, c'est-à-dire à un bénéfice équitable.

VI. Le nombre des coalisés ne change rien à la nature des coalitions

Mais, me répondra-t-on, vous ne considérez que l'homme discutant vis-à-vis d'un autre homme les conditions auquel il travaillera ou fera travailler. Pouvez-vous dire que votre raisonnement subsiste en entier quand il s'agit d'un ensemble d'hommes discutant avec un ou plusieurs autres ?

La réponse est facile.

J'ai examiné le contrat de coalition dans ceux de ses éléments qui sont essentiels à la validité de toutes les conventions ; je n'y ai rien trouvé de répréhensible en droit. Il m'est resté démontré, au contraire, qu'en principe il ne constituait qu'une convention parfaitement licite. La conclusion, que je tire de cet examen, fournit une réponse toute naturelle à l'objection proposée. « Une action qui est innocente en soi, n'est pas criminelle parce qu'elle se multiplie par un certain nombre d'hommes. Lorsqu'une action est mauvaise en elle-même, je conçois que si elle est faite par un certain nombre d'individus on puisse dire qu'il y a aggravation. » (Bastiat, discours du 17 novembre 1849.)Mais lorsqu'elle est parfaitement licite en elle-même, en quoi la multiplicité de ceux qui la perpètrent peut-elle changer sa nature ? Me répondra-t-on que dans ce cas une hardiesse plus grande règnera chez les agents de la coalition et les obligera à gâter leur but par les moyens qu'ils emploieront pour y arriver ? Je réponds que votre loi doit punir les moyens répréhensibles, mais les moyens seulement. Si la coalition se borne à la force d'inertie, à la passivité, si les ouvriers se sont concertés, se sont entendus et qu'ils disent : « Nous ne voulons pas vendre notre marchandise à ce prix ; nous en voulons tel autre ; et si vous refusez, nous allons rentrer dans nos foyers ou chercher de l'ouvrage ailleurs,» il me semble qu'il est impossible de dire que ce soit là un fait blâmable. (Bastiat, discours du 17 novembre 1849.)

Pour repousser la réfutation que nous opposons à l'objection, il faut aller jusqu'à prétendre que l'entente, le concert dans le but le plus licite peuvent être punissables. Il faut nier le droit de réunion et le droit d'association. Ce n'est pas au milieu d'une nation dont le pacte constitutionnel consacre l'inviolabilité de ces deux droits, que je puis avoir besoin de les défendre et de les justifier.

VII. Une question de droit constitutionnel

Ici nous sommes naturellement amenés à quitter le terrain du droit philosophique pour entrer dans le domaine de la législation positive.

La répression des coalitions, alors qu'elles se bornent à établir une entente pacifique entre les ouvriers, est-elle permise par notre droit constitutionnel ?

Nous répondons sans hésiter: NON.

Les considérations par lesquelles se termine notre paragraphe 6 nous dispensent de démontrer le fondement de cette négation. Mais nous ne négligerons pas l'occasion de mettre sous les yeux de nos lecteurs l'opinion exprimée sur ce point, l'année dernière, par M. Léopold Frison, représentant de l'arrondissement d'Ath, parlant au nom de la Commission des pétitions. Voici comment il s'exprimait dans la séance du 2 juin 1858 :

« Par dix pétitions, un grand nombre d'ouvriers et d'industriels demandent l'abrogation des articles 414 à 417 du code pénal... Au point de vue du droit les pétitionnaires représentent que la législation sur les coalitions est contraire à la constitution qui proclame la liberté du travail et la liberté d'association. Le maître, disent-ils, est libre de donner ou de refuser de l'ouvrage aux ouvriers ; il détermine à son gré le taux des salaires ; de son côté l'ouvrier dispose à sa guise de son travail qu'il refuse s'il lui plaît, qu'il évalue à sa discrétion ; mais si le maître et l'ouvrier ont respectivement le droit l'un d'offrir, l'autre de demander le salaire qui lui convient, l'un et l'autre peuvent exercer ce droit de commun accord avec d'autres. Ainsi il est loisible aux maîtres entre eux et aux ouvriers entre eux de s'entendre, de se concerter sur le prix des travaux. C'est cette entente, ce concert que la (page 439) loi pénale réprime sous le nom de coalitions et que la constitution autorise sous le nom d’association... Les dispositions pénales sur les coalitions ne font-elles pas disparate dans l’ensemble de nos institutions sociales qui ont la liberté pour base ? »

Ces idées sont éminemment justes. Mais poursuivons notre démonstration.

VIII. De quelques arguments juridiques sur lesquels on veut légitimer la répression des coalitions d’ouvriers

VIII. Comme les considérations précédentes doivent le faire pressentir, ce n'est pas en général par l’analyse des éléments constitutifs de la coalition, que l'on cherche à démontrer la légitimité des lois qui les punissent. C'est par des résultats déplorables que l'on aime à justifier l'intervention du législateur ; c'est aussi par la crainte de quelques moyens, auxquels la coalition a trop souvent recours.

D'après ce que nous avons déjà dit, il est facile de comprendre que la coalition, telle que nous la croyons légitime, ne peut constituer « une atteinte à la liberté du travail, en ce que plusieurs des coalisés n'entreraient dans la ligue que malgré eux et forcés par les menaces de leurs confrères. » (Dalloz, Nouv. Rép., V° Industrie et commerce, n°385.) Les menaces, comme les violences, peuvent s'exercer à l'occasion de tout contrat, à l'occasion des conventions les moins suspectes. Elles ne font cependant point partie inhérente de ces conventions. Il en est de même du rôle qu'elles jouent dans les coalitions. Punissez donc toute menace, toute violence, tout abus de leur force et de leur nombre, que les coalisés pourraient commettre pour créer, en quelque sorte, un despotisme sur une partie des ouvriers au profit d'une autre partie d'entre eux ; mais respectez le concert pacifiquement et librement formé entre des hommes qui doivent, en définitive, demeurer juges de leurs intérêts.

On fait encore valoir, en faveur de la répression des coalitions ouvrières, les troubles de toute nature qu'elles apportent à l'ordre public. « Il suffit, dit-on (Dalloz, Nouv. Rép., V° Industrie et commerce, n°385.), de réfléchir au résultat immédiat des coalitions, qui jettent sur le pavé des milliers d'ouvriers oisifs, en proie à toutes les passions, quelquefois au désespoir et à la faim, et à la merci du premier agitateur pour concevoir tous les troubles qui peuvent en être la conséquence. » C'est encore là une argumentation qui place dans la coalition même, le mal qui se fait à l'occasion de la coalition. S'il arrive des troubles à l'ordre public, qu'on réprime ces troubles ; que la répression soit proportionnée à la gravité du danger que peut courir la société, rien de plus juste. Mais la coalition qui se sera formée sans occasionner de troubles, devra-t-elle être punie parce qu'elle aurait pu en occasionner ?

S'il fallait raisonner ainsi en matière législative, on finirait par incriminer toutes les conventions ; une vente, un louage, un mandat peuvent aussi occasionner des troubles du même genre que ceux que les coalitions font redouter. Supposez une usine importante, et dont dépend en quelque sorte la vie de toute une population. Le propriétaire veut cesser d'exploiter son usine ; elle l'ennuie, il n'a pas d'autre raison à donner de sa résolution. Il ferme l'usine et l'expose en vente. Lui aussi, pour employer les expressions colorées de nos contradicteurs, va jeter sur le pavé des milliers d'ouvriers oisifs, en proie à toutes les passions, quelquefois au désespoir et à la faim, et à la merci du premier agitateur.... Peut-être la vendra-t-il sans la fermer préalablement ? Mais ceux qui veulent en devenir adjudicataires sont antipathiques aux ouvriers ; cela est su dans la localité ; les ouvriers se croient déjà sacrifiés et appauvris. Voilà encore une fois la vente de l'usine qui sert d'occasion à une fermentation des passions et peut-être à des troubles graves.

Je suppose maintenant qu'au lieu de la vendre, le propriétaire, en se retirant, la loue ; le choix du locataire, les dispositions nouvelles qu'on s'attend à lui voir prendre peuvent surexciter les défiances des ouvriers et créer des tumultes. Que le propriétaire cessant d'exploiter directement se choisisse un fondé de pouvoirs, ce choix aussi (colonne 440) peut amener des troubles. Défendrez-vous cependant, de par la loi, au propriétaire d'une usine importante de la fermer, de la vendre, de la louer, de l'exploiter par mandataire ? Vous ne le ferez-pas, parce que vous saurez distinguer le contrat licite des actes illicites qui se produisent à son occasion.

Faites donc la même distinction à propos du contrat nommé coalition, ou démontrez-nous qu'il est légitime en soi, ce que vous restez en défaut de faire. Jusqu'à ce que vous ayez fourni cette démonstration, je ne m'arrêterai pas devant votre objection, tirée de la crainte des troubles. « A cela je répondrai, que toutes les fois que les coalitions sont devenues un danger social, qu'elles ont atteint des proportions qui ont troublé la paix publique, il y a eu des faits d'intimidation et de violence ; et ce sont ces faits d'intimidation et de violence que je demande que la loi réprime, et réprime sévèrement. » (Morin (de la Drôme) ; Discours à l’Assemblée législative, du 16 novembre 1849). Nous ne nous rendons ainsi ni à l'objection tirée d'une atteinte à la liberté des travailleurs, ni à celle qui se fonde sur les troubles apportés par les coalitions à l'ordre public.

On a essayé de trouver un troisième argument en faveur de la répression des coalitions d'ouvriers ; on a prétendu qu’elles portaient atteinte à la liberté des patrons. Nous ne comprenons pas comment on a pu le soutenir sérieusement et comment surtout on a pu considérer la répression comme le remède au prétendu mal que l'on signalait. « Je suis en face d'un patron ; nous débattons le prix ; celui qu'il m'offre ne me convient pas ; je ne me porte à aucune violence ; je me retire et vous dites que c'est moi qui porte atteinte à la liberté du patron ? » (Bastiat, discours du 17 novembre 1849) Est-ce que réellement vous auriez attaché quelque importance à cette raison ridicule ? Est-ce que vous n'auriez pas vu qu'il n'y a dans le fait signalé autre chose qu'une proposition faite d'une part et une acceptation refusée de l'autre, c'est-à-dire l'usage libre de leurs volontés par deux individualités distinctes ? Et vous prétendez que vous allez rétablir l'équilibre troublé en me punissant, moi, ouvrier, de m'être retiré parce que le patron ne voulait pas accepter mes propositions, en me punissant d'avoir ainsi, d'après vous, attenté à sa liberté ? Mais, grâce à votre moyen, ne voyez-vous pas que c'est lui qui viole la mienne. S'il fait intervenir la loi pour que sa volonté me soit imposée, où est la liberté ? où est l'égalité ? » (même discours.)

Nous croyons avoir rencontré successivement les divers arguments juridiques, qui sont invoqués en faveur de la répression des coalitions ouvrières.

On invoque ensuite des considérations économiques. Discutons-les également.

IX. De quelques arguments économiques produits en faveur de cette répression (I)

Au point de vue économique, on attribue et on reproche aux coalitions trois résultats déplorables : la ruine des entrepreneurs ; la ruine des ouvriers eux-mêmes ; enfin la ruine de l'industrie nationale, conséquence de la ruine des industries particulières. (Dalloz, à l’endroit déjà cité).

Pour démontrer qu'elles entraînent la ruine des entrepreneurs, on fait valoir que, « si la grève des ouvriers se prolonge, les capitaux des entrepreneurs restent oisifs ; « ils ne peuvent faire honneur à leurs engagements, ils font faillite. » (Dalloz, au même endroit.- Mais la loi peut-elle forcer des hommes à faire travailler les capitaux d'autres hommes, à des conditions imposées par ces derniers et que les premiers ne veulent pas accepter ? Peut-elle obliger une catégorie de citoyens à engager, malgré eux, leurs services à d'autres, pour soustraire ceux-ci à la faillite et leur permettre de remplir des engagements contractés ? Une réponse affirmative à ces questions entraînerait, comme nous avons déjà eu l'occasion de le faire remarquer, une restauration de l'esclavage au bénéfice des entrepreneurs et des capitalistes. L'homme, qui se souvient des principes vrais du droit naturel, devra donc repousser cette solution. « Je crois, se dira-t-il, que la première loi d'une société libre est celle-ci aucun citoyen n'a droit ni sur la propriété, ni sur le travail de ses semblables ; en un mot, chaque homme est chargé du soin de sa destinée ; l'indépendance (colonne 441) de chacun envers tous crée l'indépendance de tous envers chacun. » (Sainte-Beuve, discours à l'Assemblée législative, du 17 novembre 1849.)

X. De quelques arguments économiques produits en faveur de cette répression (II)

Comme conséquence de la ruine des entrepreneurs, disent les partisans de la répression, les coalitions entraînent la ruine des ouvriers eux-mêmes. Nous nous demandons encore en entendant cette objection, si nos adversaires placent bien la question où elle doit être. Sans nous prononcer encore ici sur la vérité, que peut au fond contenir leur objection, ce que nous avons également évité provisoirement de faire pour la précédente, nous ferons observer que le problème est de savoir si la loi peut régler les intérêts des ouvriers, quand ceux-ci les comprennent mal. Il y a longtemps que Malebranche a dit : « L'erreur est la cause de la misère des hommes. » Sommes-nous ici en présence d'une erreur, que la loi doive se mêler de redresser pour prévenir les misères qui en seront la suite ? Je ne le pense pas. Notre opinion peut admettre que le plus souvent les ouvriers coalisés nuiront à leurs propres intérêts. « Mais c'est précisément pour cela, répondra-t-elle aux partisans de l'opinion opposée, que je voudrais qu'ils fussent libres, parce que la liberté leur apprendra qu'ils nuisent à eux-mêmes ; et vous, vous en tirez cette conséquence, qu'il faut que la loi intervienne et les attache à l'atelier. Mais vous faites entrer la loi dans une voie bien large et bien dangereuse. Tous les jours vous accusez les socialistes de vouloir faire intervenir la loi en toutes choses, de vouloir effacer la responsabilité personnelle. Tous les jours vous vous plaignez de ce que partout où il y a un mal, une souffrance, une douleur, l'homme invoque sans cesse la loi et l'Etat. Quant à moi je ne veux pas que parce qu'un homme chôme et que par cela même il dévore une partie de ses économies, la loi puisse venir lui dire : tu travailleras dans cet atelier, quoiqu'on ne t'offre pas le prix que tu demandes. » (Bastiat, discours du 17 novembre 1849.)

XI. De quelques arguments économiques produits en faveur de cette répression (III)

Le reproche fait aux coalitions de ruiner l'industrie nationale n'est que la reproduction des deux précédents réunis en un seul au lieu d'être présentés isolément. L'industrie nationale se compose en effet de la somme des industries particulières, de la somme des intérêts des entrepreneurs et des ouvriers. Or, nous avons reconnu que le dommage qui pouvait être causé à ces intérêts par les coalitions, n'était pas une cause qui en légitimât la répression. Il nous suffit ainsi d'analyser cette nouvelle raison pour la réfuter. Quand cependant les soutiens de notre système ont eu à la rencontrer dans sa synthèse, la lutte ne leur a pas été difficile. Il leur a suffi de répéter leurs raisonnements antérieurs, mutatis mutandis. « Un homme juge qu'en cessant de travailler, il obtiendra un meilleur taux de salaire dans huit ou dix jours ; sans doute, c'est une déperdition de travail pour la société, mais que voulez-vous faire ? Que la loi remédie à tout ? C'est impossible. » (Bastiat, discours du 17 novembre 1849.) Qu'elle remédie au mal spécial qui va affliger la société ? Mais c'est nous ramener à ces deux questions : la loi peut-elle obliger un homme à faire fructifier, malgré lui, le capital d'un autre ? La loi peut-elle se mettre au lieu et place de l'ouvrier pour juger de son intérêt privé, de son salaire ? Or, ces deux questions viennent d'être discutées et négativement résolues.

XII. Les coalitions seront en fait presque toujours inutiles et déplorables

En rencontrant les diverses objections tirées du résultat des coalitions, nous nous sommes bornés à dire à nos adversaires : les choses fussent-elles comme vous le dites, cela ne nous devrait pas faire changer d'avis. Nous avons évité de nous prononcer sur la nature des résultats que nous attribuons aux coalitions. C'était pour rendre notre raisonnement plus bref que nous agissions ainsi ; ce n'était point pour nous ménager une réticence.

Nous en conviendrons sans peine, les coalitions que nous trouvons parfaitement légitimes en droit, seront le plus souvent déplorables en fait. La raison en est facile à saisir ; elles seront déplorables parce qu'elles constitueront des (colonne 442) sacrifices inutiles. L'économie politique l'a parfaitement démontré depuis longtemps.

« Ni les ouvriers, ni les maîtres ne sont assez puissants pour changer les conditions générales qui président à la distribution des salaires et des profits, et lors même que la science économique ne fournirait pas des démonstrations éclatantes à l'appui de cette vérité, l'expérience serait là pour lui donner une sanction solennelle. Combien de fois, dans les grands centres manufacturiers de l'Angleterre, n'a-t-on pas arrêté des tarifs d'un commun accord ! et toujours il a fallu y déroger. Les salaires, comme tous les prix-courants, sont déterminés par la demande et l'offre, qui, à leur tour, sont réglés par les besoins de la consommation. Si la consommation s'arrête, si elle descend au dessous d'une certaine limite, par une de ces causes nombreuses et souvent mystérieuses que renferme la société, le manufacturier se verra forcé d'arrêter son usine plutôt que de payer un salaire qui le ruinerait: Il a bien signé un tarif, mais il n'a pas pris et ne pouvait prendre l'engagement de fournir, dans les cas imprévus, du travail aux ouvriers de sa fabrique ; il préférera donc le chômage complet ou partiel à une activité qui ne tarderait pas à le ruiner. Que feront alors les ouvriers ? Ils lui offriront, ainsi que cela est arrivé mille fois, une réduction dans les salaires, et l'entrepreneur lui-même sera appelé à fixer le montant de la réduction. Si au contraire les besoins extraordinaires amenaient une demande plus forte de la main-d'œuvre, les ouvriers imposeraient des conditions au maître, qui les accepterait dans la limite de ses profits.» (Théodore Fix, Situation des classes ouvrières (Journal des économistes, 1845.) Les pertes que les ouvriers se seront imposées à eux-mêmes, comme celles qu'ils auront imposées au patron seront donc presque toujours des pertes sèches. C'est seulement dans des cas extrêmement rares, dans des cas exceptionnels, que les coalitions pourront amener un résultat favorable à leurs auteurs.

XIII. Un mot sur les coalitions de maîtres spécialement

Nous venons de rencontrer les divers motifs par lesquels on essaie de faire prévaloir dans la législation la répression des coalitions ouvrières. On invoque, pour justifier la répression des coalitions des maîtres, des motifs moins nombreux. Elles sont attentatoires, dit-on, à la liberté des rapports entre patrons et ouvriers, et donnent forcément naissance aux coalitions de ces derniers. (Dalloz, au mot cité, n°384.)

Lorsque la liberté d'abstention sera rendue aux ouvriers dans toute son intégrité, il y aura une sanction suffisante pour assurer réciproquement leur indépendance et celle des maîtres, pour les protéger contre les manœuvres abusives que les patrons pourraient se permettre. Les deux genres de coalitions doivent mutuellement se servir de contrepoids. Seulement toutes deux devront garder une attitude pacifique, à peine de provoquer une répression, qui cette fois sera juste et pourra être rigoureuse.

Bornons-nous à ces quelques mots sur les coalitions de patrons, puisqu'en définitive on n'argumente, pour les repousser, que d'une réciprocité, dont la nécessité viendrait à disparaître dans notre système. Revenons aux coalitions d'ouvriers, qui soulèvent des préventions plus générales.

XIV. Nécessité de recourir à l’histoire pour trancher la question. Exposé de la législation française et de la législation anglaise sur la matière

Nous en sommes arrivés à démontrer qu'en droit, les coalitions d'ouvriers sont légitimes, mais qu'en fait elles seront le plus souvent désastreuses. On se demande naturellement qui, du droit ou du fait, devra l'emporter ? Le législateur devra-t-il se laisser guider par la justice ou par l'utilité ? On conçoit ce que cette alternative a de cruel. Mais est-il possible, logiquement et rationnellement, qu'une pareille antinomie subsiste ? Nous ne pouvons l'admettre. Approfondissons encore le problème ; cherchons à démontrer que le juste et l'utile ne se heurtent pas plus en la matière qui nous occupe aujourd'hui qu'en toute autre.

« Dans toutes les questions, a dit un philosophe moderne, il faut d'abord interroger la justice ; et en examinant bien les résultats, on trouvera que ce qui est juste (colonne 443) est en même temps ce qu'il y a de plus utile à faire. » (Aurens, Droit naturel, p. 54. « La justice, c’est l’utile en commun » (Aristote.) Mais où trouver cette preuve des résultats utiles que peut avoir la liberté des coalitions ? Pour la découvrir, nous sommes naturellement conduits à interroger l'histoire, c'est-à-dire l'expérience des peuples.

Deux grandes nations dans notre monde moderne ont adopté sur les coalitions ouvrières des législations entièrement opposées. Le système que nous combattons a prévalu en France ; celui que nous vantons a été préféré par l'Angleterre.

Par une aberration singulière, ce fut au nom du grand principe de la liberté industrielle et immédiatement après sa proclamation, que la France fit sa première loi moderne contre les coalitions. Ce fut la loi du 14 juin 1791. Elle prononça des peines, qui avaient bien leur rigueur, contre les citoyens attachés aux mêmes professions, arts et métiers, qui prendraient des délibérations ou feraient entre eux des conventions tendant à refuser de concert ou à n'accorder qu'à un prix déterminé le secours de leur industrie (page 444) ou de leurs travaux. La loi du 28 septembre suivant étendit le même principe aux ouvriers agricoles. Le 22 germinal an XI, la législation sur les coalitions fut refondue et les dispositions de cette dernière loi se trouvent presque textuellement reproduites dans le code pénal de 1810.

En Angleterre on distingue, en matière de coalitions, la loi commune et les statuts spéciaux. La première punit, comme illicite dans son objet, toute convention dans laquelle il s'agit d'élever le taux des salaires, de réduire la durée du travail, de cesser de travailler. Mais on n'applique pas cette loi commune, parce qu'elle emporte avec elle une procédure trop compliquée et un rigorisme tout à fait britannique dans l'appréciation des éléments de preuve. On échappe ainsi à ses dispositions. Restent les statuts spéciaux. Nous en trouvons un de la 39ème année de Georges III et un autre de 1824. Mais tous deux ont été abolis et remplacés par un bill de 1825, qui constitue en fait la seule législation sérieuse de l'Angleterre sur les coalitions. D'après ce bill les coalitions ne sont pas prohibées. « Ceux qui les (colonne 445) forment peuvent prendre entre eux les engagements qu'il leur plaît ; mais ils ne peuvent rien faire qui engage ceux qui ne font pas partie de la réunion ou de l'association à se soumettre à ses résolutions. » Le bill garantit ceux-ci contre toute espèce de violence, molestation, vexation, empêchement ou contre toute autre tentative de ce genre. C'est bien là un système législatif, entièrement analogue à celui que nos raisonnements théoriques nous ont fait considérer comme le plus rationnel et le plus équitable.

Comme on le voit, le système que je défends, celui que je combats, ont tous deux été appliqués. Jugeons-les par leurs résultats.

XV. Ce qu’a produit la législation française

Il y avait dans le système français des causes nombreuses appelées à entretenir une aigreur continue dans les relations des patrons et des ouvriers. Et d'abord, on avait eu beau décréter des peines contre les coalitions des maîtres en même temps que contre celle des ouvriers, la nature des unes et des autres empêchait que l'égalité pût régner entre elles. Les coalitions des patrons pouvaient se dérober facilement aux investigations et aux poursuites. Celles des ouvriers, par le nombre même des individus appelés à y participer, s'ébruitaient aisément et étaient toujours saisies. Cette circonstance devait semer, dans l'esprit de la classe ouvrière, les germes d'irritation les plus funestes.

Mais, à côté de cette injustice, il faut immédiatement en signaler une autre, qui en était la conséquence. Nous avons dit que le taux des salaires se détermine par l'offre et la demande ; la demande est représentée par les patrons ; les ouvriers représentent l'offre. Un système de répression, impuissant contre les coalitions de maîtres et inexorable pour les coalitions d'ouvriers, « a pour résultat nécessaire de peser sur l'offre et de ne pas peser sur la demande ; par conséquent d'altérer, en tant qu'il agit, le taux naturel des salaires et cela d'une manière systématique et permanente. » (Bastiat, discours du 17 novembre 1849).

Que devenait le salaire régi par ces influences artificielles ? Il devenait une création arbitraire de la loi ; n'étant pas librement discuté, il semblait entraîner une humiliation pour celui qui était obligé de le subir. Au lieu de voir un prix équitable du travail dans le paiement qu'il recevait de son patron, l'ouvrier n'y voyait que le dédommagement bien faible d'un joug qu'il supportait impatiemment ; il y voyait « une dernière forme d'asservissement peu distincte du servage et de l'esclavage. » (L. Reybaud, Mémoire sur les associations ouvrières (Journal des économistes, 1852.) Et quelle était l'idée qui devait naturellement se glisser dans son esprit ? Il se croyait la victime d'une injustice permanente et se disait, « que dans une société civilisée il ne peut pas se faire qu'une injustice reste impunie. » (Saint-Beuve, discours du 17 novembre 1849.)

Il fallait alors, selon lui, ou que l'Etat lui permît de se faire justice ou que l'Etat lui fit justice lui-même. L'intervention de l'Etat dans ces matières le trompait sur sa puissance ; il l'appelait ainsi à fixer le taux des salaires ; de ce courant d'idées créé en grande partie par la législation sur les coalitions est sortie la pernicieuse et chimérique théorie de l'organisation du travail. Ainsi s'expliquent les épithètes injurieuses adressées à l'instrument de production qui réside aux mains des entrepreneurs ; ainsi se comprend pourquoi l'ouvrier ne pouvait plus prononcer le mot de « capital » sans y ajouter la qualification d'« infâme ». (page 446) Comment eût-il respecté le bien de ceux qu'il prenait pour ses oppresseurs, alors qu’il en était venu à mépriser le fruit de son propre travail, tant était grand l’aveuglement suscité en lui par les rancunes comprimées ? Toute loi qui trompe l’ouvrier sur la nature des salaires, fournit un aliment fatal au désordre.

Il est un point, en effet, sur lequel n'ont pas manqué d'insister ceux qui ont étudié de près les perturbations intellectuelles occasionnées par certaines écoles : « C'est que parmi les armes de guerre, aucune n'a eu d'effet plus meurtrier que le continuel et perfide rapprochement de la condition de l'ouvrier et de celle du patron, des salaires de l'un et des profits de l'autre. Au lieu de voir dans le salaire la part naturelle de l'ouvrier, déterminée par le prix même des choses et à l'abri de toute éventualité, dominée d'ailleurs, soit en bien, soit en mal, par la grande loi de l'industrie, la concurrence, l'esprit de secte n'a voulu y reconnaître qu'un mode de rétribution arbitraire, humiliant, oppressif, bien inférieur au service rendu, hors de proportion surtout avec les bénéfices qui en résultent pour l'entrepreneur. De là ces sorties virulentes contre le régime manufacturier ; de là ces ferments de jalousie et de haine répandus dans le cœur de l'ouvrier, et ce terrible mot d’« exploitation » qui devait, à un jour donné, servir de ralliement aux colères et aux convoitises déchaînées. » (Louis Reybaud, mémoire cité.)

XVI. Ce qu’on produit la législation anglaise

En Angleterre, au contraire, que voyons-nous arriver ? On a deviné déjà que les ouvriers anglais ne pouvaient manquer de faire usage de la liberté que leur laissaient leurs lois. Il est même évident qu'ils devaient fonder sur cette liberté des espérances exagérées. La ténacité du caractère anglais devait les pousser d'ailleurs à n'abandonner les desseins concertés entre eux qu'à la dernière extrémité.

Aussi nous apprend-on que « l'Angleterre est par excellence le pays des coalitions ; il s'est fait là des choses dans ce genre qui sont à la fois merveilleuses et absurdes. On y a vu des milliers d'ouvriers obéir à une impulsion unique, dépenser leurs épargnes de plusieurs années jusqu'à la dernière obole, attendre stoïquement leur ruine en provoquant celle des entrepreneurs, et passer, en un mot, d'une situation prospère à un état de complète misère ; et tout cela pour obtenir un accroissement de salaire qui n'aurait pu compenser les pertes au devant desquelles ils allaient volontairement. » (Théodore Fix, article cité.)

Sans doute, il y a eu là bien des désastres à déplorer, bien des calamités dont gémissaient les hommes éclairés sur les véritables intérêts de la classe ouvrière. Mais, tandis qu'une . répression aurait comprimé l'éclat des ressentiments, sans en diminuer l'intensité réelle et en l'augmentant au contraire, les ouvriers anglais reçurent des maux qu'ils s'étaient préparés, des leçons plus profitables à l'ordre futur des sociétés. Ils acquirent insensiblement la conviction de l'impuissance dans laquelle se trouvent les coalitions pour élever le taux des salaires. Ils surent que ce n'était pas de leurs patrons que dépendait la hausse ou la baisse des prix du travail. Ils soupçonnèrent d'abord et bientôt ils comprirent la puissance de ces lois économiques, dont aucun (colonne 447) mécanisme législativement inventé ne peut remplacer l’action.

Au sein de la misère profonde qui surgit, il y a quelques années, dans le Lancastre, les commissaires royaux, chargés d'une enquête sur les causes de cette détresse, purent constater le bon sens profond et la justesse frappante de raisonnement dont les ouvriers ne cessaient de donner des preuves. Ils demandaient un jour à l'un de ces malheureux travailleurs son opinion sur les causes de la variation du taux des salaires : « C'est bien simple, répondit l'homme ainsi interrogé ; quand deux ouvriers se disputent un maître, les salaires sont bas ; quand au contraire deux maîtres se disputent un ouvrier, les salaires sont élevés. » C'était résumer entièrement, dans une formule concise et populaire, la théorie de l'offre et de la demande. C'était démontrer que, sous la législation qui admet la liberté des coalitions, l'esprit des classes ouvrières avait échappé à ces aspirations fatales vers une organisation artificielle, dans laquelle les salaires et les profits seraient tarifés et distribués à l'intervention de l'autorité. Il y avait plus : là où une organisation artificielle existait, l'ouvrier en découvrait et en signalait les inconvénients. Un des commissaires de cette même enquête protestait dans un groupe d'ouvriers de l'impossibilité d'empêcher l'interruption de travail dont dérivait leur misère. Un ouvrier protesta à son tour du contraire, et ajouta avec un triste sourire : « Le blé qui reste à l'entrepôt pendant que le peuple est affamé, parce que les torys ne veulent pas abandonner la plus faible partie de leur prime, ce blé paierait à l'instant les filés de mon patron ; il rendrait la vie à une famille épuisée ; il mettrait en train ces engrenages qui chôment depuis si longtemps.» Cette fois, c'était le mécanisme de l'échange expliqué par la bouche d'un fils du peuple ; cet ouvrier comprenait que prohiber l'importation du blé étranger c'était défendre de le recevoir en paiement, et par conséquent enlever à l'industrie des occasions de travailler pour l'extérieur (Bastiat, discours du 17 novembre 1849. Hippolyte Dussart, Travail et charité (Journal des économistes, 1845). Léon Faucher, Etudes sur l'Angleterre, t. Ier, p. 266.)

N'oublions pas que, vers la même époque, on pouvait, entassant hérésies sur hérésies, prononcer impunément à la tribune française ces paroles tristement mémorables, destinées à faire prohiber l'importation des céréales étrangères : « Que le pain soit cher, y disait-on, et l'agriculteur sera riche ; et l'agriculteur devenu riche enrichira l'industrie. » (Ce mot a été attribué au maréchal Bugeaud.)

Déjà en Angleterre, au contraire, le principe si bien compris par l'ouvrier, dont nous parlions tout à l'heure, était envisagé par le peuple entier comme le principe réparateur. Une ligue s'organisait pour le faire triompher et aux meetings tenus par elle figuraient de nombreux représentants de la classe ouvrière. Ceux-ci écoutaient avec une religieuse attention et applaudissaient avec enthousiasme les voix éloquentes venant développer des principes que l'expérience de la liberté leur avait fait connaitre, souvent même à leurs dépens. Ils applaudissaient surtout chaque fois que l'on signalait les relations si intimes qui existent entre la question des salaires et celle de la liberté des échanges ; ils applaudissaient lorsque Fox s'écriait : « Protection signifie ce qui arrache à l'ouvrier honnête une (colonne 448) part de son juste salaire » (V. l'ouvrage Cobden et la ligue, Bruxelles, 1848, Compte-rendu du meeting tenu en octobre 1843) ; ils applaudissaient lorsque le même orateur leur disait encore : « On dit que la loi céréale doit être continuée pour maintenir le salaire de l'ouvrier. Mais, comme ce philosophe d'autrefois, qui démontra le mouvement en se prenant à marcher, l'ouvrier répond en montrant son métier abandonné et sa table vide... La loi céréale est une expérience faite sur le peuple ; c'est un défi jeté par l'aristocratie à l'éternelle justice » (Meeting du 30 mars 1843) ; ils applaudissaient enfin à ces paroles de Cobden: « Rendez au peuple de ce pays le droit d'échanger le fruit de ses labeurs contre du blé étranger, et il n'y a pas en Angleterre un homme, une femme ou un enfant, qui ne puisse pourvoir à sa subsistance et jouir d'autant de bonheur sur sa terre natale, qu'il en pourrait trouver dans tout autre pays sur toute la surface de la terre. » (Même meeting.)

Ainsi l'expérience des coalitions avait initié peu à peu l'ouvrier anglais à la science économique ; il en formulait les principes dans des phrases saisissantes d'énergie et de vérité. Il comprenait les bienfaits de la concurrence, il y faisait appel. On conçoit que les progrès de ces sages idées devait détruire chez l'ouvrier la confiance qu'il avait d'abord dans les coalitions ; il devait avoir appris qu'il n'y a pas de moyen efficace pour forcer le taux des salaires. Aussi les coalitions se produisent dans des proportions « de plus en plus faibles en même temps qu'elles sont moins fréquentes et l'on commence à comprendre que ces sortes de combats amènent toujours la défaite des deux partis et qu'ils sont plus funestes aux ouvriers qu'aux maîtres. » (Théodore Fix, article cité).

Les maux du passé se trouvent ainsi compensés en Angleterre par la création d'un magnifique mouvement intellectuel, qui assure à cette grande nation la sécurité sociale de l'avenir. Je sais bien que les partisans de la répression des coalitions prétendront que l'Angleterre veut changer sa législation. C'est un argument qu'ils inventent pour les besoins de leur défense. Un jour ils ont osé le produire à une tribune parlementaire. Alors s'est levé pour leur répondre un économiste, qu'une mort prématurée a depuis enlevé à la science. L'illustre et à jamais regrettable Frédéric Bastiat leur a dit : « J'ai parcouru l'Angleterre plusieurs fois ; j'ai interrogé sur cette question un grand nombre de manufacturiers. Je puis affirmer que jamais je n'ai rencontré une personne qui ne s'en applaudit et ne fût très satisfaite que l'Angleterre eût osé regarder la liberté en face. » (Bastiat, discours du 17 novembre 1849) Et dans cette discussion, traitée à la face du monde, personne, après ces mots de Bastiat, n'a osé critiquer son appréciation de savant, ni démentir sa parole d'honnête homme.

XVII. Conclusion théorique

Je me résume et je pose mes conclusions théoriques.

J'ai voulu établir que les coalitions de maîtres, comme les coalitions d'ouvriers étaient légitimes en elles-mêmes. J'ai invoqué, en faveur de ma thèse, le principe sacré de la liberté des conventions et le principe non moins inviolable de l'égalité civile. J'ai démontré que le chômage ne pouvait être érigé en délit ; que la demande d'une augmentation de salaire ne pouvait faire l'objet d'aucune répression et qu'il était utile, à la société toute entière, de ne (colonne 449) pas laisser tomber en oubli cette grande maxime que l'homme doit rester juge de ses intérêts et responsable de sa conduite. J'ai prouvé que cette maxime de liberté était aussi une règle de justice. Je n'ai pas méconnu cependant que les coalitions ne dussent produire de grands désastres. Mais nous avons vu que leur répression en produisait de plus grands encore ; l'utilité de celle-ci disparaît devant ses inconvénients en même temps que devant l'utilité bien autrement grande de la liberté.

La répression des coalitions n'a réussi qu'à donner une paix factice aux nations qui l'ont décrétée ; elle n'a réussi qu'à entasser des rancunes et à généraliser des erreurs qui, en faisant explosion, peuvent précipiter un peuple vers sa perte. La liberté au contraire, si elle a provoqué d'abord des agitations stériles et par conséquent funestes, a bientôt donné à l'ouvrier la conviction, qu'en recourant à ces moyens, il méconnaissait les lois véritables des transactions ; il s'est livré alors à la recherche des vrais principes de l'économie politique ; il les a découverts ; il s'est familiarisé avec eux ; il s'en est constitué le défenseur et, par conséquent, aussi celui de la société elle-même. Voilà ce que nous apprend l'histoire d'une nation qui a appliqué le système que je suis venu défendre dans ce travail. On ne l'aura pas oublié cependant la coalition que nous voulons voir tolérer ne peut consister que dans le simple fait d'un concert ou d'une réunion pacifique.

Nous ne voulons tolérer ni l'emploi des menaces, ni celui de la violence. Nous voulons seulement en cette matière, comme en toute autre, laisser passer, avec respect et sans crainte, la justice et la liberté. Elles seules peuvent assurer à la vérité un triomphe universel et durable.

XVIII. Comment cette théorie devrait être appliquée

Appliquons cette théorie.

Les désordres, excès, violences, qui peuvent s'exercer à l'occasion d'une coalition doivent être réprimés. Mais il est inutile de les prévoir par des textes spéciaux ; des pénalités sont déjà comminées contre ces faits. Il résulte des paroles prononcées par Treilhard au conseil d'Etat, qu'en adoptant les articles 414 et suivants du code pénal on n'a pas entendu exclure les peines plus graves pour le cas où la coalition aurait produit des désordres. Faure a dit, dans la même discussion, que si la coalition amenait des excès, le délit changerait de nature et que les coupables seraient atteints par d'autres dispositions. (Locré, édit. Walhen, t. XV, p. 502.)

Si donc nous n'avions à nous occuper que des désordres et des violences, la suppression pure et simple des articles 414 et suivants serait un moyen facile et excellent de réaliser les principes que nous venons d'adopter.

Mais nous avons aussi réprouvé les coalitions qui appellent la menace à leur aide, soit pour se former, soit pour se propager.

Or, les articles 305 à 308, 436 du code pénal exigent pour que les menaces soient punissables, des conditions, dont la réunion ne se rencontre pas toujours et ne devra pas se rencontrer nécessairement dans les menaces qui pourraient être colportées par les ouvriers ou les patrons coalisés.

Celles-ci doivent être spécialement prévues ; en conséquence on devrait, selon nous, modifier les articles 414 et 415 du code pénal, de manière à frapper de peines égales :

1° Toute coalition de la part de ceux qui font travailler des ouvriers, tendant à forcer l'abaissement des salaires, si elle a été accompagnée de menaces de la part des coalisés soit envers les ouvriers, soit les uns contre les autres, soit enfin contre les directeurs d'ateliers ou entrepreneurs d'ouvrages restés étrangers à la coalition ;

2° Toute coalition de la part des ouvriers pour faire cesser en même temps de travailler, interdire le travail dans un ou plusieurs ateliers, empêcher de s'y rendre et d'y rester avant ou après de certaines heures et en général pour suspendre, empêcher, enchérir les travaux, si elle a été accompagnée de menaces de la part des coalisés soit envers les chefs d'industries ou entrepreneurs, soit les uns envers les autres, soit envers les ouvriers demeurés étrangers à la coalition.

On pourrait maintenir une peine plus forte pour les moteurs de semblables délits et ensuite supprimer l’article 416, parce que les cas qu’il prévoit ou ne présenteront aucun danger, ou rentreront dans les menaces à prévoir par les textes précédents.