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Lettre pastorale des évêques belges sur le projet de loi scolaire
- 1879

Lettres pastorales de S.E. le cardinal archevêque et de NN. SS. Les évêques de Belgique, adressée au clergé et aux fidèles, le 12 juin 1879

Nos Très Chers Frères, Dans nos deux précédentes instructions pastorales, nous vous avons fait voir le principe, le caractère et le but du projet de loi sur l'enseignement primaire, soumis en ce moment aux délibérations des Chambres législatives. Nous avons aussi appelé votre attention sur les conséquences funestes, sous le rapport religieux et moral, que le régime de l'école primaire neutre, c'est-à-dire sans religion et partant sans Dieu, - doit produire en Belgique, comme il l'a fait et comme il continue de le faire dans tous les pays où il est appliqué.

Notre langage a été celui du devoir et de la vérité.

Responsables du salut de vos âmes, défenseurs de vos droits et de vos intérêts moraux et religieux, interprètes des lois émanées du ciel, nous étions obligés d'élever la voix, de vous signaler, dans l'acte le plus significatif qu'elle ait encore tenté, la conspiration organisée par les loges maçonniques contre Jésus-Christ, contre son Eglise, contre vos croyances, contre les âmes de vos enfants.

C'était donc un devoir pour nous, un devoir impérieux, urgent, de parler. Si nous avions gardé le silence, si, sentinelles muettes, nous n'avions pas dénoncé les desseins de l'ennemi, nous eussions prévariqué contre le ciel et contre vous. En qualifiant, comme nous l'avons déjà fait, de mauvais et de pernicieux de sa nature, le principe qui a donné naissance à la loi projetée, et qui domine dans les principales dispositions de cette loi ; en attribuant à cette œuvre un caractère anti-chrétien, antinational et antisocial ; et en en dévoilant le but, à savoir la propagation de l'indifférentisme en matière de religion, c'est-à-dire l'oubli de Dieu, l'abandon des devoirs de la religion chrétienne, l'extinction du sentiment religieux dans les âmes, nous nous sommes rencontrés avec tous les hommes politiques et conservateurs les plus dévoués au pays et au Roi, avec les plus intelligents défenseurs des revendications de la conscience catholique, des droits des pères de famille et des enfants, en même temps que des intérêts de la société. Leur langage, soit dans la presse, soit dans les assemblées publiques, soit dans les Chambres, a confirmé de tout point nos appréciations et justifié nos alarmes : leurs jugements comme leurs sentiments sont à l'unisson des nôtres.

Nos instructions ont aussi porté la conviction dans vos esprits, nos très chers frères. C'est que notre langage est l'expression de la vérité, c'est que nos jugements se fondent sur les vices intrinsèques du régime scolaire auquel l'Etat prétend soumettre l'enfance, et sur les funestes effets que ce régime produit ailleurs et nécessairement.

Ce qui le prouve non moins manifestement, ce sont les efforts que les auteurs et les partisans de la loi projetée ont prodigués dans la presse et dans des documents officiels, et qu'ils emploient encore à la tribune parlementaire et dans la loi même, pour dissimuler la malignité de celle-ci, et faire croire que nos appréciations sont injustes et nos craintes exagérées. Mais la plupart de leurs organes et de leurs représentants les plus autorisés ont reconnu et proclamé franchement le caractère et le but de la loi. La prudence elle-même des habiles s'est démentie, leur haine contre l'Eglise catholique s'est démasquée ; des aveux leur ont échappé, et ces aveux révèlent clairement ce qu'ils veulent, ce qu'ils cherchent en neutralisant l'école primaire, à savoir un moyen infaillible de déchristianiser le pays.

La dissimulation n'a pas eu de succès ; elle ne pouvait tromper personne. La loi projetée est trop formelle, trop catégorique dans ses dispositions principales ; les intentions du Gouvernement, manifestées dans l'exposé des motifs à l'appui de la loi, les commentaires de la section centrale, consignés dans son rapport, et les explications données à la Chambre par le rapporteur, sont trop explicites, pour que les catholiques puissent se laisser donner le change. Le caractère, le but de la loi projetée sont donc tels que nous les avons définis, tels que les ont définis, signalés et réprouvés avec nous ces hommes d'Etat, élite de l'opinion conservatrice, dont nous avons ci-dessus invoqué le témoignage.

Pourquoi le Gouvernement propose-t-il de séculariser l'école primaire, c'est-à-dire d'en exclure l'enseignement de la religion et l'intervention de toute autorité religieuse quelconque ? Ce n'est certainement pas dans le but d'assurer aux enfants la liberté de conscience. Cette liberté leur est suffisamment garantie par les dispositions de la loi de 1842 ; et il est avéré que les dissidents n'ont élevé de ce chef aucune plainte contre les instituteurs communaux catholiques. Quel avantage moral ou scientifique, quelle nécessité nouvelle religieuse ou sociale l'ont déterminé à recourir à une mesure d'une si haute gravité ? L'établissement de ce régime scolaire se comprend, sans se justifier toujours, dans les pays. où chaque agglomération d'habitants se compose de familles appartenant tant à diverses confessions religieuses qu'à diverses sectes philosophiques incroyantes, et où le manque de ressource ne permet pas d'ouvrir autant d'écoles qu'il y a de confessions et d'opinions. Mais quelle raison y a-t-il d'établir ce régime scolaire dans toute la Belgique, où sur environ 2500 communes, il y en a peut-être 2400 qui ne comptent dans leur population ni juifs, ni protestants, ni libres-penseurs? L'égalité entre les croyants, ainsi que la liberté de conscience, n'est ici qu'un vain mot, qu'un futile prétexte.

Les incrédules, renégats de toutes les confessions chrétiennes, plus acharnés que les hétérodoxes contre l'Eglise catholique, - les déistes, les libres-penseurs, les nihilistes, les matérialistes athées ou panthéistes - ne s'y trompent pas. Pourquoi, en effet, demanderaient-ils, tiendraient-ils tant à séculariser l'école primaire, s'ils n'étaient pas convaincus que le régime de l'école neutre aura infailliblement pour résultat d'éteindre la foi chrétienne dans la plupart des jeunes âmes, et de ne laisser dans les esprits atrophiés qu'une incurable indifférence ?

Aussi est-ce vainement que le ministre de l'instruction publique a soutenu que la loi n'exclut aucunement Dieu de l'école instituée par sa loi. La loi ne veut-elle pas exclure de l'école primaire, et même des salles d'asile ou écoles gardiennes, au nom de la tolérance, l'enseignement de tout dogme et de tout culte positifs? Et l'an dernier, l'homme d'Etat qui est aujourd'hui le chef du ministère, n'a-t-il pas déclaré solennellement qu'un gouvernement libéral ne peut s'appuyer sur aucun dogme, pas même sur la croyance à l'existence de la divinité, parce que le déisme lui-même serait intolérant ? L'a-t-on oublié ? le ministre actuel de l'instruction publique a précisé le sens et la portée de ces paroles, en disant, en plein Sénat, que le décalogue ne sera point enseigné dans l'école instituée par la nouvelle loi, parce que le décalogue est la négation de la liberté de conscience? L'a-t-on oublié ? un orateur, organe attitré des partisans de la loi, croyant concilier les déclarations contradictoires des ministres, les a aggravées, en disant que l'instituteur pourra parler de Dieu à ses élèves d'une manière non dogmatique ? Tel est bien le sens de ses paroles. Or, que signifient ces paroles ? Elles veulent dire que l'instituteur pourra parler de Dieu sans le définir, de façon à ce que ce Dieu indéfini ne soit qu'une pure abstraction. Et l'on croit que l'enfance élèvera dans son cœur, comme la superstitieuse Athènes sur sa place publique, un autel à ce Dieu inconnu, et l'adorera chrétiennement en esprit et en vérité ! Non, non! Qu'est-ce, en effet, qu'un Dieu sans culte ? Qu'est-ce que l'Être suprême sans souveraineté, sans pouvoir, sans droit sur les êtres inférieurs, ses créatures, et sans rapport avec eux ? Qu'est-ce que ce Dieu spéculatif, impersonnel, fainéant, étranger à l'origine et à la fin dernière et de l'homme et des choses? Qu'est-ce que ce Dieu, qui ne mérite pas d'être officiellement adoré, aimé, servi, ni même d'être connu dogmatiquement? Que penser enfin de ce Dieu selon la nouvelle loi, sinon ce qu'en a dit l'un des coryphées contemporains de l'impiété, un bon vieux mot qu'il faut conserver ? Arrière, arrière la dissimulation ! c'est donc avec raison, en toute vérité, que nous qualifions, comme l'ont fait avant nous les catholiques d'Angleterre et de Hollande, l'école neutre ou sécularisée, d'école sans Dieu !

Non moins vainement l'organe de la section centrale assure-t-il que l'école, sous le nouveau régime, sera loyalement, complétement, constamment neutre envers toutes les religions ; que l'instituteur, en vertu d'une disposition qui sera insérée dans la loi, sera tenu de respecter, et qu'il respectera scrupuleusement les croyances religieuses et le culte de chacun de ses élèves.

Cette disposition que l'on propose d'insérer dans la loi, sera tout à fait inefficace.

Elle sera inefficace à l'égard de l'instituteur libre-penseur. Celui-ci se bornera à professer un respect négatif envers la religion de ses écoliers, - en s'abstenant d'en parler d'une manière ouvertement agressive ; mais il affichera pour elle un dédain, un mépris positif, - en s'abstenant d'en remplir les devoirs. Peut-être ne corrompra-t-il pas la foi des enfants par ses leçons orales ; mais il la ruinera plus sûrement dans leur estime par l'enseignement tacite, mais effectif de ses exemples. Et encore, sans disserter contre les dogmes et les institutions catholiques, que de moyens n'a-t-il pas d'en ébranler, d'en saper la croyance, et d'en affaiblir le respect dans l'esprit de ses élèves? Ne le sait-on pas ? Tout est enseignement chez le maître de l'enfance ; tout aussi est leçon pour elle, un mot, un regard, un geste, un ricanement, le silence même. L'enfance s'imprègne avec une merveilleuse facilité de tout ce qui s'impose à son intelligence avec le prestige de la supériorité ; mais elle accepte et imite le mal et l'erreur beaucoup plus facilement que le bien et la vérité.

Mais n'attribuons au maître aucune disposition hostile ; ne supposons pas même qu'il puisse, sans mauvaise intention, entremêler à son enseignement de la morale des doctrines ou des maximes fausses, dangereuses, pernicieuses : nous nous demandons seulement quelle impression l'écolier recevra d'un instituteur qui, obligé par la position que lui fait la loi de ne tenir compte d'aucune religion, doit se borner à enseigner quelques devoirs civils, et se comporter dans l'école, comme s'il ne se souciait aucunement de Dieu à qui il ne rend officiellement aucun culte, qu'il ne peut prier, invoquer qu'en-dehors des heures de la classe ? L'atmosphère de l'école sera donc indifférentiste, incrédule, même sous un maître religieux qui observera servilement la foi. A plus forte raison sous un maître mécréant, propagateur adroit de ses opinions, l'atmosphère de l'école sera-t-elle irréligieuse, et l'enfance y respirera-t-elle l'incrédulité ou l'indifférence, sans qu'elle s'en doute ; la tendance à l'impiété sera réelle, active, dans l'enseignement de cet instituteur, sans que cette tendance puisse être constatée dans des actes déterminés : on ne s'en apercevra que par ses funestes effets. Ainsi se sera opéré un mal immense, l'empoisonnement des âmes, et la disposition législative, moyen soi-disant tutélaire de sauvegarder la foi de l'enfant, aura été impuissante à prévenir les ravages du mal et n'en aura ni arrêté ni réprimé l'auteur.

Cette disposition que l'on propose d'insérer dans la loi, sera donc inefficace.

Il n'en saurait être autrement. En effet, tandis qu'elle ferme l'entrée des écoles publiques aux instituteurs et aux institutrices formés dans les écoles normales catholiques, la loi autorise l'Etat, devenu l'antagoniste de l'Eglise, à placer des maîtres libres-penseurs, nihilistes, protestants, juifs, francs-maçons, à la tête des écoles primaires, même composées exclusivement d'élèves catholiques, comme elles le sont presque partout. La loi charge l'Etat de choisir comme il lui plaît, et d'imposer à ces mêmes écoles des manuels de lecture, de morale indépendante, de sciences naturelles, d'histoire, et de désigner des livres destinés, soit à former les bibliothèques scolaires, soit à être donnés en prix aux élèves, sans que l'autorité religieuse, gardienne des croyances et de la morale chrétiennes, soit même consultée. Cette loi, exécutée à la lettre et selon son esprit, par un ministre de l'instruction publique, qui peut être un ardent ennemi de la religion catholique, par une inspection et des comités scolaires composés peut-être exclusivement de francs-maçons ou de libres-penseurs, cette loi présente-t-elle aux familles catholiques une garantie d'absolue neutralité ? Non.

L'expérience acquise dans les pays où est en vigueur le régime scolaire que le Gouvernement projette d'appliquer à la Belgique, prouve que cette neutralité absolue est moralement impossible.

C'est ce que démontrent les plaintes et les réclamations de l'épiscopat en Irlande, aux Etats-Unis d'Amérique, au Canada, en la Nouvelle-Ecosse, en Australie, en Hollande. C'est ce que le Saint-Siège a reconnu, après une longue et sérieuse instruction, sur des documents d'une irrécusable autorité, fournis à sa demande par les évêques des pays que nous venons de nommer, et de plusieurs autres, comme l'Allemagne et quelques contrées de l'Orient.

Mais remarquez-le bien, nos très chers frères, ce n'est pas le manque de neutralité absolue qui fait le vice principal, la malignité essentielle de l'école sécularisée, mais la neutralité elle-même. Oui, c'est la neutralité qui rend l'école primaire dangereuse pour la foi des enfants et funeste à leur âme.

Le danger que ce régime de l'école sans religion et partant sans Dieu présente pour la foi de l'enfant, l'influence délétère qu'il exerce sur son âme si impressionnable, se démontrent facilement, car ils résultent de la force des choses. Ils résultent de la nature de l'enseignement primaire séparé de la religion, de l'insuffisance de cet enseignement, des lacunes qu'il cause dans l'intelligence, lacunes qui, chez le plus grand nombre, ne se réparent jamais, et par là même de sa tendance nécessaire, inévitable, peut-on dire, à l'indifférentisme et à l'incrédulité. Ils résultent de la nature de l'enfant, des besoins moraux et religieux de son âme, besoins qui, pour la généralité, ne trouvent leur satisfaction qu'à l'école unie à l'Eglise, et auxquels l'école neutre, séparée de l'Eglise, ne veut ni ne peut satisfaire. C'est ce que tous les pédagogistes sensés reconnaissent et que les hommes d'Etat, vraiment dignes de ce nom, ont proclamé en Angleterre, en Allemagne et en France.

Ce n’est point toutefois sur ces données rationnelles, mais sur l'expérience que l'Eglise se fonde pour déclarer dangereuse, nuisible de sa nature, l'école neutre ou sécularisée. C'est ainsi que le Pape Grégoire XVI, prenant en considération les mesures adoptées par le gouvernement anglais pour rendre accessibles à la jeunesse catholique de l'Irlande les écoles publiques, jusque-là exclusivement protestantes, - mesures mettant suffisamment à couvert, semblait-il, la foi des catholiques, - permit que les évêques de ce pays fissent l'essai de ces écoles, s'ils le jugeaient à propos, jusqu'à ce que l'expérience eût démontré le danger ou l'innocuité de ce régime scolaire. Mais cet essai ne fut autorisé que moyennant l'emploi de certaines précautions que la Congrégation de la Propagande leur indiqua, et à la condition que, si le résultat n'était pas satisfaisant, le Saint-Siège en fût exactement informé, afin qu'il y apportât un prompt remède.

L'expérience ayant parlé aux Etats-Unis d'Amérique, dans les colonies anglaises, en Hollande et dans d'autres pays, comme aussi en Irlande, le Saint-Siège n'hésita pas à déclarer le régime de l'école neutre ou sécularisée dangereux et nuisible de sa nature, à reconnaître qu'il est inspiré par un esprit d'hostilité contre l'Eglise et par le désir d'éteindre chez les peuples la lumière divine de la foi. (Voir la lettre de Sa Sainteté Pie IX à Mgr Vicari, archevêque de Fribourg. Les propositions XLVII et XLVIII condamnées par le même Pape. L'Instruction de la Congrégation du Saint-Office aux évêques des Etats-Unis, 30 juin 1875.)

Un essai d'application, même mitigé, de ce régime ayant été tenté récemment dans les écoles primaires de Rome par la municipalité de cette ville, a été réprouvé par Sa Sainteté le Pape Léon XIII, en termes explicites, comme une mesure digne de réprobation, comme un nouvel attentat à la religion et à la piété du peuple romain. (Voir la lettre du Pape Léon XIII à son Eminence La Valetta, Cardinal-Vicaire, 26 juin 1878.)

En conséquence, appuyés sur l'autorité du Saint-Siège et dociles à son enseignement ; en union avec les évêques de toute la catholicité, et notamment avec les vénérables Pères du IIe concile national de Baltimore (1866 Titre IX, chapitre 1), du Ier et du IVe concile provincial de Westminster (1852 et 1873), du Ier, du IIe et du IIIe concile provincial de Québec (1851, 1854 et 1863), du Ier concile provincial de Halifax (1857), du concile provincial de Sydney (1869), du concile provincial d'Utrecht (1865), du concile provincial de Cologne (1860), de l'assemblée de l'épiscopat irlandais tenue à Maynooth le 18 août 1869, et à Dublin au mois d'octobre 1871, en acquit de notre charge pastorale, nous dénonçons le régime scolaire que le pouvoir civil se propose d'appliquer à notre pays, comme dangereux et nuisible de sa nature ; nous déclarons qu'il favorise la propagation de l'incrédulité et de l'indifférentisme, et qu'il est un attentat à la foi, à la piété et aux droits religieux du peuple belge. Et, pour ces raisons, nous le réprouvons et le condamnons.

En conséquence encore, nous conformant à l'enseignement du Saint-Siège consigné dans la lettre déjà citée, de Pie IX à l'archevêque de Fribourg, et nous servant des paroles mêmes de ce pontife, nous avertissons tous les fidèles et nous leur déclarons que l'on ne peut en conscience fréquenter de pareilles écoles, instituées qu'elles sont contre l'Eglise catholique.

Remarquez-le bien, nos très chers frères, ces paroles du Pape dérivent d'un principe et constituent une règle, règle applicable à tous les pays, dans tous les lieux, dit-il, dans tous les pays où l'on formerait et surtout où l'on exécuterait ce pernicieux dessein de soustraire les écoles à l'autorité de l'Eglise, et où, par suite, la jeunesse serait misérablement exposée au danger de perdre la foi. C'est le principe et la règle que rappelle aussi la Congrégation du Saint-Office, dans son instruction aux évêques des Etats-Unis, approuvée par Pie IX le 24 novembre 1875.

Si l'application de cette règle, dans toute sa rigueur, est parfois impossible dans les pays où les habitants catholiques sont une faible minorité mêlée à des dissidents de diverses sectes, manquent des ressources nécessaires pour établir une école confessionnelle, et n'ont point, dans leur voisinage, une école catholique accessible à leurs enfants, il n'en est pas de même en Belgique. Les tempéraments apportés ailleurs à la règle ne seront donc presque jamais ni nulle part applicables en Belgique.

Conséquemment, aucun père, aucune mère de famille ne peuvent en conscience placer leurs enfants dans une école publique soumise au régime de la loi projetée, s'il y a dans la localité une école catholique, si, dans le voisinage, il s'en trouve une accessible à leurs enfants, ou s'il leur est possible de pourvoir de quelque autre manière à l'instruction de ceux-ci. Cette défense est applicable aux tuteurs et autres personnes à qui sont confiés les enfants d'autrui. Nous ne croyons pas nécessaire d'expliquer en détail la conduite que doivent tenir les catholiques, chefs de famille, tuteurs ou autres, dans toute situation différente de celle qui est définie dans la règle précédente : ces situations ne seront que momentanées, attendu que dans un avenir très prochain, il sera établi dans chaque paroisse une école catholique parfaitement organisée. Dans les cas exceptionnels, chaque chef de famille s'adressera au curé de sa paroisse, qui, après avoir entendu ses raisons, en fera rapport à l'évêché, en la forme qui lui aura été indiquée, et l'évêque décidera.

S'il n'est pas permis en conscience aux chefs de famille de confier leurs enfants aux écoles soumises au régime de la loi projetée, il ne peut l'être à aucun catholique de concourir par des actes spontanés au maintien de ces écoles, à l'exécution de cette loi. Les catholiques ne peuvent donc accepter de fonctions scolaires, par exemple, de faire partie des comités des écoles.

Le pape Pie IX, dans sa lettre, itérativement citée, à l'archevêque de Fribourg, décide, et les évêques des Etats-Unis, de Hollande et d'Irlande, rappellent que c'est très certainement pour l'Eglise, pour les laïcs et pour les clercs, une obligation très sérieuse d'employer tous les moyens pour procurer à la jeunesse catholique l'instruction et l'éducation chrétiennes.

Ces devoirs que nous rappelle le chef de l'Eglise, se résument en ces deux mots : Agissons et prions ! Secondons l'action par la prière et la prière par l'action. Confions-nous sur l'assistance divine comme si tout dépendait uniquement de Dieu, et agissons, employons tous les moyens humains, comme si tout dépendait de nous seuls.

La lutte s'ouvre dès aujourd'hui ; elle sera longue et difficile. Vous l'accepterez, nos très chers frères, avec une résolution digne de votre caractère de catholiques et de Belges, en répétant le cri de vos ancêtres : « Dieu le veut ! Dieu le veut ! » il s'agit de l'honneur de son nom, de la conservation de la foi et de la piété dans l'âme des enfants et dans les familles, du salut de notre chère et catholique patrie. Nous ne soutiendrons cette lutte avec succès que par de grands et constants efforts de zèle, par d'abondants et persévérants sacrifices d'argent, par le concours de la charité de tous. Ces efforts, ces sacrifices nous les ferons, avec l'aide du ciel, et nous espérons que Dieu vous inspirera à tous la volonté d'y concourir généreusement.

Jamais devoir plus pressant ne s'est imposé à votre piété ni à votre patriotisme. Nous insistons sur cette considération, et nous empruntons, quant au sens, à cet effet, et nous faisons nôtres, en les adaptant à notre situation, les paroles que le saint et savant Pontife qui gouverne l'Eglise de Dieu, Léon XIII, adressa, il y a peu de mois, à son Cardinal-Vicaire et par lui au clergé et aux fidèles de Rome. - La défense de la vérité et de la religion nous incombe à tous, clergé et fidèles ; le succès de la défense dépend tout particulièrement de l'abondance des secours pécuniaires dont elle disposera. Quant à nous, nous sommes résolus à concourir, aussi largement que nous le pourrons, à cette œuvre catholique par excellence ; nous y consacrerons toutes nos ressources diocésaines et personnelles. Mais que sont ces ressources si limitées au prix de dépenses si considérables ? Nous avons besoin du concours, d'un large et généreux concours de nos ouailles.

Déjà, il est vrai, en Belgique, depuis 1830, nombre de familles, chez lesquelles la naissance et surtout la foi obligent, ont établi et maintiennent à leurs frais des écoles où des enfants puisent une instruction appropriée à leur condition sociale, en même temps que la connaissance de la doctrine catholique, et la pratique des vertus chrétiennes. Mais il faut généraliser ces bienfaits exceptionnels, et ils ne sauraient être étendus partout que par le concours de tous. Aussi espérons-nous, sommes-nous certains, osons-nous dire, que les catholiques belges, animés de l'esprit du bien et de l'amour de Dieu et des âmes, surtout ceux à qui la Providence a donné une large part des richesses de la terre, convaincus comme ils doivent l'être, de la nécessité absolue et urgente de pourvoir le jeune âge d'écoles chrétiennes, se feront un devoir et un honneur de nous fournir le moyen d'en établir dans toutes les paroisses où elles seront nécessaires, et de les entretenir.

Nous n'avons pas besoin de stimuler l'émulation de notre clergé dans ce concours de tous les fidèles à la création et à l'entretien des écoles catholiques. Le clergé belge ne se laissera vaincre par personne en générosité ni en dévouement. Le sacerdoce catholique a toujours figuré à la tête de toute œuvre entreprise pour l'honneur de Dieu et le bien des âmes. Les glorieuses traditions du clergé belge attestent avec éclat combien il a toujours noblement compris sa sublime mission, et disent comment il la remplira dans les circonstances présentes. Nous connaissons déjà, de la part de nombre de nos prêtres relativement pauvres, des actes admirables de charité en cette matière.

Si tous, prêtres et laïcs, ne peuvent participer à cette œuvre par des largesses, il en est bien peu qui ne puissent s'y associer par une aumône de quelques centimes par semaine, par mois, par année, et tous y peuvent concourir, soit en rappelant aux pères et aux mères de famille le très grave devoir qui leur est imposé d'élever chrétiennement leur famille, soit en enseignant les prières du chrétien et le catéchisme aux petits enfants, soit en embrassant eux-mêmes les fonctions de maîtres ou de maîtresses d'école. A l'œuvre donc, nos très chers frères, à l'œuvre :

DIEU LE VEUT !

Donné à Malines, le 12 juin 1879.

Victor-Auguste, Card. Dechamps, archevêque de Malines.

Theodore, évêque de Liége.

Jean-Joseph, évêque de Bruges.

Henri, évêque de Gand.

Théodore-Joseph, évêque de Namur.

Edmond, évêque de Tournay.