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L'expédition belge au Mexique ; appel aux Chambres
DEMEUR Adolphe - 1864

DEMEUR A, L'expédition belge au Mexique ; appel aux Chambres

(Paru à Bruxelles et Leipzig, en 1864, chez A Lacroix, Verboeckhoven et Cie)

I. L’expédition

(page 3) Le sort en est jeté ! Nos soldats vont partir, commandés par des officiers et sous-officiers de notre armée. La légion est organisée. Dans quelques jours, nous irons chercher les navires de transport à Saint-Nazaire, en passant par Paris. Un mois après, nous aborderons à la Vera-Cruz et bientôt nous serons à Mexico. La Belgique, qui n'est connue au delà des mers que par son industrie et son commerce, y sera connue par sa force militaire. Nous allons porter notre obole à la régénération du Mexique. De concert avec les Français et avec la légion autrichienne, notre légion va soutenir et défendre le gouvernement impérial dont S. M. Napoléon III a doté le Mexique.

C'est au mois de mars dernier que le projet de cette expédition fut publiquement annoncé. Tous les journaux publièrent alors la note suivante ;

« Nous apprenons qu'il est question de former en Belgique un corps militaire qui composerait la garde de l'impératrice Charlotte au Mexique.

« Cette garde sera commandée par un officier distingué du régiment des grenadiers, M. le capitaine Vander Smissen, attaché actuellement au ministère de la guerre. C'est à la demande de S. A. I. l'archiduc Maximilien que cet officier a consenti à organiser la garde de la fille de notre Roi, qui sera confiée à ses compatriotes.

(page 4) « De bonnes et sérieuses conditions sont faites aux volontaires.

« On espère que la présence de Belges à Mexico favorisera l'établissement de relations commerciales et industrielles dans ces riches contrées, dès que l'ordre et la confiance y seront établis.

« Quoi qu'il arrive, nous sommes persuadés que la nouvelle garde belge, placée sous le commandement du capitaine Vander Smissen, sera aussi fidèle, aussi dévouée, aussi vaillante que les glorieuses gardes wallonnes qui ont autrefois porté si haut, à l'étranger, le renom militaire des Belges. » (Voyez notamment l’Etoile belge, 23 mars 1864.)

Une seconde note, plus explicite, parut bientôt ;

« La force numérique de la garde de l'Impératrice sera de 2,000 hommes.

« Les officiers et sous-officiers de notre armée y entreront avec le grade immédiatement supérieur à celui dont ils sont actuellement revêtus. Leurs années de service en Belgique compteront pour la fixation de leur pension au Mexique. Ils contractent un engagement de six ans, et obtiendront, sur leur demande, de notre département de la guerre, un congé d'un an sans solde. S'ils rentrent en Belgique endéans cette année, ils reprendront dans l'armée belge leur ancien grade et leur rang d'ancienneté ; s'ils laissent passer ce délai, ils perdent chez nous tous leurs droits militaires.

« Ceux de nos compatriotes qui, après avoir contracté l'engagement de six ans dont nous venons de parler, ne pourront pas s'acclimater au Mexique, seront rapatriés quand ils le voudront aux frais du gouvernement mexicain, mais sans autre indemnité. Ceux qui, à l'expiration des six années, voudront revenir en Belgique, obtiendront, outre leur rapatriation, une indemnité déterminée. Enfin ceux qui voudront s'établir au Mexique sans esprit de retour obtiendront du gouvernement impérial des donations en terres, les soldats aussi bien que les officiers, l'intention de l'archiduc Maximilien étant de développer, autant qu'il le pourra, la colonisation de son futur empire. » (Voyez l'Etoile du 24 mars 1864.)

Bien que ces notes eussent paru en même temps dans tous les journaux et ne fussent pas démenties par le gouvernement, au nom de qui se faisaient des promesses aux officiers et sous-officiers de notre armée, beaucoup de personnes ne prirent pas au sérieux le projet d'expédition. Elles considéraient l'entreprise comme contraire aux principes fondamentaux sur lesquels. repose la nationalité belge et partant comme impossible.

(page 5) Aujourd'hui, le doute même n'est plus permis.

Après avoir été momentanément retardée par l'absence de fonds, la formation du corps expéditionnaire s'est opérée au grand jour. Au mois de juillet, nous avons pu lire la circulaire de M. Chapelié, lieutenant-général en retraite, « chargé par S. M. l'empereur du Mexique de la mission d'organiser, en Belgique, un corps de troupes destiné à faire partie de la garde impériale du Mexique, qui annonçait au public les conditions du recrutement pour les officiers, sous-officiers et soldats. (Voyez l'Etoile belge du 7 juillet 1864).

Chaque jour les journaux nous apportent des nouvelles de l'expédition.

Voici ce qu'on écrit de Mons ;

« Plusieurs officiers appartenant à notre garnison viennent de prendre du service dans la légion belge qui doit partir pour le Mexique. Ce sont ; M. le baron de Posch, lieutenant-adjudant-major au 1er lanciers, qui part en qualité de capitaine-adjudant-major ; M. le baron Vanderstraeten, qui part en qualité de lieutenant ; et M. le maréchal-des-logis Vaucamp, qui part comme sous-lieutenant. Quatre ou cinq lanciers suivent ces messieurs dans leur excursion lointaine.

« M. Waltonne, sous-lieutenant au 12ème de ligne, part également pour le Mexique. Il est accompagné, nous assure-t-on, par quatre-vingt-dix soldats de son régiment ». (Voir la Belgique, 3 août 1834).

A Tournay, un journal publie ces lignes que le Moniteur belge reproduit dans son numéro du 5 août :

« Le 2 régiment de chasseurs à pied, en garnison en notre ville, fournit quatre officiers à la légion belge du Mexique ; ce sont MM. les lieutenants Simonot, Delannoy, adjudant-major, Visart et Delånnoy. Deux d'entre eux sont déjà partis pour Audenarde, où s'organise cette légion.

« Un premier bataillon, composé de quatre compagnies, partira le 16 octobre ; il ira s'embarquer à Saint-Nazaire en passant par Paris.

« Le bataillon sera commandé par le major Tydgat ; les deux compagnies de grenadiers seront commandées par les capitaines Altwies et Devaux, lieutenants Dufour et Vanderstraeten ; les deux compagnies de voltigeurs, par les capitaines (page 6) Visart et Delannoy ; lieutenants Wahis et Walton ; le capitaine Ernest Chazal en sera l'adjudant-major.

« C'est le lieutenant-colonel Vander Smissen qui commandera la légion en chef.

« Le médecin Camer part comme médecin de régiment, et l'officier-payeur Huysmans, comme quartier-maître. »

A Audenarde sont centralisées les opérations du recrutement. C'est là que siège le conseil d'administration de l'expédition ;

« L'organisation du corps belge destiné à servir de garde d'honneur à l'impératrice du Mexique, se poursuit avec activité à Audenarde. Les quatre premières compagnies sont en voie de se constituer. Une quinzaine d'officiers de l'armée ont déjà reçu leur commission et exercent les volontaires. Ces messieurs ont obtenu des congés de deux ans, et jouiront des bénéfices de la loi de 1836, qui a prévu le cas du service à l'étranger avec l'autorisation du roi.

« Les engagements se font dans toutes les classes de la population, bourgeois et miliciens des classes qui ne sont plus sous les armes. Plus d'un dandy amoureux d'aventures, et las de battre le pavé de nos villes à la recherche d'une position, se pavane aujourd'hui dans les rues d'Audenarde dans le brillant uniforme du corps, qui ressemble beaucoup à celui des anciens mousquetaires.

« Le premier détachement belge s'embarquera à Saint-Nazaire, le 16 octobre prochain. » (Voyez la Belgique, 9 août 1864.

Ainsi, ce n'est plus un congé d'un an que le ministre de la guerre accorde aux officiers de l'armée belge qui s'enrôlent dans l'expédition, comme on l'avait annoncé au mois de mars. C'est un congé de deux ans.

Le corps de musique se forme à Bruxelles. C'est dans les casernes du gouvernement, « au quartier du régiment des grenadiers », qu'a siégé, le 8 août, le jury chargé de choisir les musiciens. » (Voyez les annonces qui ont paru dans divers journaux.)

De nombreuses affiches, placardées sur les murs de la capitale, font appel aux volontaires.

Enfin nous connaissons la proclamation du (page 7) commandant en chef de l'expédition, en prenant le commandement, et nous y voyons que le corps expéditionnaire représentera la Belgique et l'armée belge à Mexico.

« Je veux, dit-il, que le corps arrive sans punition, que la discipline la plus sévère et la bonne tenue se maintiennent par l'esprit militaire et le sentiment du devoir, que tous soient constamment guidés par la volonté d'inspirer, par leur conduite en Belgique, la plus haute opinion sur la façon dont le pays et l’armée seront représentés à Mexico. (Voyez la Belgique, 6 août 1864.)

II. Le but de l'expédition

Pour se faire une idée exacte du but de l'expédition belge au Mexique, il est indispensable de connaître les faits dont ce pays a été le théâtre durant ces dernières années. Nous n'avons pas la prétention d'en donner ici l'histoire complète. Il suffira de rappeler les événements principaux. Nous les indiquerons, sans commentaire, dans l'ordre chronologique, les puisant dans des documents authentiques, dont nous nous bornerons le plus souvent à citer les textes par extraits. C'est au Moniteur belge, à lui seul, que nous emprunterons ces documents. Chacun ainsi pourra, au besoin, vérifier et compléter nos citations ;

- 31 octobre. Convention, signée à Londres, par laquelle la Grande-Bretagne, la France et l'Espagne s'engagent à organiser les forces nécessaires pour saisir et occuper les diverses forteresses et positions militaires sur la côte du Mexique. L'expédition aura pour but de réclamer des autorités mexicaines une protection plus efficace des personnes et des propriétés des sujets des trois puissances, ainsi que le respect des obligations contractées à l'égard de celles-ci par (page 8) la république du Mexique. Chacune des trois puissances s'engage à n'exercer dans les affaires du Mexique aucune influence de nature à préjudicier au droit de la nation mexicaine de choisir et de constituer librement la forme de son gouvernement (Moniteur belge, 1832, p. 690.)

- 10 janvier 1862. Proclamation adressée de la Vera-Cruz, par les représentants des trois puissances, au gouvernement et au peuple mexicain, pour les engager à accepter l'ultimatum. Elle rappelle le but de l'expédition ; le respect des traités et la sûreté des étrangers. « Ceux qui vous font croire que derrière de si justes prétentions se trouvent cachés des projets de conquête, de restauration et d'intervention dans votre politique et votre administration, vous trompent..... C'est à vous, exclusivement à vous, sans aucune intervention étrangère, qu'il importe de vous constituer d'une manière solide et durable » (Moniteur belge, 1862, p. 852.).

- janvier 1862. Le bruit de la candidature de l'archiduc Maximilien au trône du Mexique est répandu en Europe par les organes du gouvernement français.

Le parti réactionnaire, vaincu au Mexique, et dont les représentants travaillent auprès des cours d'Europe pour obtenir l'intervention étrangère, est arrivé à ses fins. (Note de bas de page : Voyez la lettre du 18 avril 1862, adressée par M. Hidalgo, ancien secrétaire de la légation mexicaine à Madrid (sous Santa-Anna), à M. Arrangoiz : « L'un des meneurs du parti qui travaillait à renverser le gouvernement mexicain. » (Moniteur belge, 1862, p. 2224). Cette lettre établit que, dès la fin de 1861, il y avait accord complet entre S. M. Napoléon III, S. A. I. l'archiduc Maximilien et les chefs du parti conservateur mexicain qui conspiraient en Europe contre le Mexique.)

A partir de ce moment, toute l'action de la France va tendre au renversement du président Juarez et à l'intronisation de Maximilien.

Un nouveau corps expéditionnaire, commandé par le général de Lorencez, s'embarque à la fin de ce mois pour aller rejoindre au Mexique le corps commandé par l'amiral Jurien de la Gravière.

- 19 février 1862. Le gouvernement mexicain, ayant manifesté la volonté de donner satisfaction aux puissances alliées, les représentants de celles-ci « acceptent d'entrer en négociations sous formes de traités pour donner corps à toutes les réclamations qu'ils ont à faire au nom de leurs gouvernements respectifs. Dans ce but, les représentants des puissances alliées protestant qu'ils n'ont aucune intention d'attenter à l'indépendance, à la souveraineté ou à l'intégrité du territoire de la république, des négociations s'ouvriront à Orizaba. " (Convention signée à la Soledad, le 19 février 1862 (Moniteur belge, 1862, p. 1544), par M. Doblado, ministre de Juarez et les représentants des trois puissances, y compris ceux de la France, MM. Dubois de Saligny et Jurien de la Gravière, qui, à ce moment, ignorent le triomphe que viennent de remporter en Europe les réactionnaires mexicains.)

L'ouverture des négociations à Orizaba est fixée au 15 avril, afin de permettre aux représentants des puissances alliées de faire connaître à leurs gouvernements (page 9) l'état des choses au Mexique et de leur laisser le temps de recevoir de nouvelles instructions.

- 5 mars 1862. Arrivée au Mexique du général de Lorencez, à la tête du nouveau corps expéditionnaire, et porteur d'instructions qui lui enjoignent de ne pas traiter avec Juarez et d'aller droit à Mexico.

Conflit momentané entre M. Jurien de la Gravière, qui a signé la convention de la Soledad, et M. de Lorencez, dont les instructions sont contraires à cette convention, sans qu'elles l'autorisent toutefois à la désavouer (Moniteur belge, 1862, p. 1755, 1813).

- mars 1862. Almonte et ses compagnons, débarqués à la Vera-Cruz en février, venant d'Europe, annoncent hautement leur volonté de renverser le gouvernement constitutionnel du Mexique et d'y substituer l'archiduc Maximilien à qui ils ont offert la couronne. Almonte déclare au général Prim, commissaire du gouvernement espagnol, que l'appui des armes françaises est assuré à son projet. Il pénètre dans l'intérieur du pays sous une escorte française.

Protestations des commissaires anglais et espagnols et du gouvernement mexicain (2).

AVRIL 1862. Les commissaires français ayant reçu des instructions de France qui répudient la convention de la Soledad, déclarent à leurs collègues, les commissaires anglais et espagnols, qu'ils n'entendent plus traiter avec le gouvernement de Juarez et qu'ils sont résolus à marcher sur Mexico. Les commissaires anglais et espagnols déclarent, de leur côté, qu'ils considèrent cette ligne de conduite comme une violation de la convention de Londres (31 octobre 1861) et de la convention de la Soledad, que rien ne la justifie et qu'ils se retirent avec leurs troupes du territoire mexicain. (Voir le procès-verbal dressé à Orizaba, le 11 avril 1862, Moniteur belge, 1862, p. 2364. Ce document authentique jette le plus grand jour sur les causes de la rupture entre les trois puissances.

- Lettre du général Prim, commissaire de l'Espagne au Mexique, datée d'Orizaba, 14 avril : « La triple alliance n'existe plus. Les soldats de l'empereur restent dans ce pays pour établir un trône pour l'archiduc Maximilien - quelle démence ! pendant que les soldats de l'Angleterre et de l'Espagne quittent le sol du Mexique... » (Moniteur belge, 1862, p. 2167.

Proclamation du général Zarragoza à l'armée mexicaine : « … Trompés par des Mexicains traîtres que vous châtierez bientôt, les Français prétendent s'immiscer dans nos affaires intérieures. La république est indépendante ! Fils de cette génération, nous sommes nés libres et nous conserverons cette liberté ou nous mourrons en la défendant ! » (Moniteur belge ? 1862, p. 2179).

- 5 mai 1862. - Arrivée des Français à Puebla. Grave échec. Ils sont repoussés et retournent à Orizaba.

- Juin 1862. - Le Moniteur français annonce que des renforts considérables vont être envoyés au Mexique.

(page 10) - août 1862. Election dans tous les Etats du Mexique pour le renouvellement du Congrès.

M. de la Fuente remplace le général Doblado comme ministre des affaires étrangères et de l'intérieur, et publie une circulaire aux gouverneurs des divers Etats mexicains dans laquelle il expose le programme du gouvernement central. « La réforme sera maintenue et développée dans le sens de la démocratie et du principe lumineux de l'entière indépendance des choses de la religion d'avec celles de l'Etat. » (Moniteur belge, 1862, p. 4868.

- 25 septembre 1862. Le général Forey débarque à la Vera-Cruz, à la tête de nouvelles troupes. Proclamation ; » ... On a cherché à soulever contre nous le sentiment national, en voulant faire croire que nous arrivions pour imposer à notre gré un gouvernement au pays ; loin de là, le peuple mexicain, affranchi par nos armes, sera entièrement libre de choisir le gouvernement qui lui conviendra ; J'ai mission expresse de le lui déclarer. » (Moniteur belge, 1862, p. 5047.)

- Octobre 1862. Manifeste du Congrès mexicain.

« ... Il est un axiome consacré dans la longue et sanglante histoire des révolutions du monde, c'est que les peuples qui veulent être libres le sont ; nous voulons l'être et nous le serons. Pour cela, il est indispensable que nous défendions notre être politique et le lieu qu'ont conquis avec leur sang, pour cette patrie indépendante, ses héroïques fondateurs.

« Cette défense insurmontable, poussée jusqu'au dernier extrême, la résistance par tous les moyens, en épuisant toutes les ressources, le sacrifice de tout et de tous, des vies et des biens, sans s'arrêter à rien, sans être retenu par aucune considération secondaire, tels sont l'intention et l'esprit qui animent tous et chacun des représentants du peuple mexicain outragé...

« Unis, nous serons respectés ; unis, nous souffrirons le sort qui nous sera réservé ; unis, nous affronterons tous les dangers et nous supporterons tous les malheurs ; unis, nous triompherons enfin, et nous sortirons avec honneur et avec gloire d'une lutte qui, en même temps qu'elle n'a pas été provoquée, est l'exemple de la plus grande des iniquités qui puissent être enregistrées dans les fastes de l'histoire. » (Salon des séances du Congrès de l'Union, à Mexico, le 27 octobre 1862.)

« Jose-Gonzalez Echeverria, représentant de l'Etat de Zacatecas, président ; Félix Romero, représentant de l'Etat d'Oaxaca, secrétaire ; Manuel M. Ovando, représentant de l'Etat de Puebla, secrétaire ; Joaquim M. Alcade, représentant de l'Etat de Guerrero, secrétaire ; Francisco Bustamante, représentant de l'Etat de San-Luis Potosi, secrétaire." (Suivent les signatures des autres représentants des différents Etats, dont le nombre s'élève à 109) (Moniteur belge, 1863, 1.152).

- 17 février 1863. Le général Forey ayant reçu de France tous les (page 11) renforts, tant en hommes qu'en matériel, quitte Orizaba et se dirige vers Puebla où sont concentrées les forces mexicaines.

- 14 mars 1863. Gonzalez Ortega qui a succédé, comme général en chef de l'armée mexicaine, à Zarragoza, mort en septembre 1862, adresse une proclamation aux soldats français. « … On vous a dit que vous veniez renverser un gouvernement, on vous trompe, vous venez assassiner un peuple. On vous a dit que vous veniez détruire un parti, et on vous mène pour vous faire égorger huit millions d'hommes. On vous a dit que vous anéantiriez Juarez, et Juarez c'est le droit ; que vous vous empareriez du Mexique, et le Mexique c'est l'indépendance. On vous a dit que vous mettriez en lambeaux la réforme avec vos baïonnettes, et la réforme c'est l'expression de la conscience humaine. Sans doute, la France est puissante ; mais elle ne l'est pas contre le droit, contre l'indépendance, contre la conscience de tout un peuple...

« Français, si vous venez en amis, nous vous tendrons la main, et nous vous offrirons notre hospitalité ; si vous venez en ennemis, il y a dans le cœur du dernier de nos soldats assez d'orgueil et de haine pour faire en sorte que notre gloire soit immortelle, comme éternelle aussi sera votre honte ! » (Moniteur belge, 1863, p. 2251.

- Mars-mai 1863. Siège de Puebla. Combat acharné, défense aussi énergique que courageuse des Mexicains. « C'est rue par rue, maison par maison, disent les correspondances françaises, que nos soldats, pleins de cette ardeur héroïque qu'on leur connaît, ont dû attaquer la ville et prendre position. Les rues barricadées, les maisons couvertes de terre, constituaient autant de forts contre lesquels notre artillerie a dû successivement diriger ses feux. » Puebla succombe le 17 mai.

- 22 mai 1863. - Le général Forey ordonne la mise sous séquestre des propriétés mobilières et immobilières appartenant aux Mexicains en armes contre la France.

- 31 mai 1863. Juarez évacue Mexico et se retire à San-Luis Potosi.

- 10 juin 1863. Entrée des Français à Mexico. On écrit que les soldats français ont été littéralement écrasés sous les couronnes et les bouquets.

- 12 juin 1863. Lettre de S. M. l'empereur Napoléon III au général Forey pour le féliciter de la prise de Puebla ; « ... Notre but, vous le savez, n'est pas d'imposer aux Mexicains un gouvernement contre leur gré, ni de faire servir nos succès au triomphe d'un parti quelconque... » (Moniteur belge, 1863, p. 2863.

- 11 au 23 juin 1863. - Décret du général Forey, 11 juin, qui interdit provisoirement toute publication périodique excepté le Bulletin officiel. Quelques jours après, décret sur la presse, rédigé conformément à la législation en vigueur en France. » (Moniteur belge, p. 3912.)

Décret du général Forey qui nomme le préfet politique de Mexico. (Moniteur belge, p. 3912.)

Décret du général Forey qui nomme le préfet municipal de Mexico. (Moniteur belge, p. 3912.)

Décret du général Forey qui nomme les membres du conseil municipal de Mexico. (Moniteur belge, p. 3912.)

Décret du général Forey qui nomme la junte suprême de gouvernement, composée de 35 membres. (Moniteur belge, p. 3912.)

Décret du général Forey qui déclare hors la loi tout individu faisant partie d'une bande de « malfaiteurs » armés. Ceux qui seront appréhendés seront jugés par une cour martiale investie de pouvoirs discrétionnaires. Les sentences seront sans appel et exécutées dans les 24 heures. (Moniteur belge, p. 3912.)

Le 23 juin, proclamation du général Forey, annonçant le choix fait par la junte suprême de gouvernement, dans la personne du général Almonte, de l'archevêque de Mexico, Labastida (en ce moment-là, à Paris), et du général Salas, pour prendre en main la puissance exécutive jusqu'à l'installation d'un pouvoir définitif. (Moniteur belge, p. 3912.)

- Juillet 1863. Une assemblée de notables, composée des 35 membres de la junte suprême qui se sont associés 215 autres individus, décide que la couronne impériale du Mexique sera offerte à S. A. I. et R. le prince F. Maximilien d'Autriche.

Elle décide en outre que « dans le cas où, par des circonstances impossibles à prévoir, l'archiduc F. Maximilien n'arriverait pas à prendre possession du trône, la nation mexicaine s'en remet à la bienveillance de S. M. Napoléon III, pour qu’il lui désigne un autre prince catholique. » (Moniteur belge, p. 4581)

22 juillet 1863. Proclamation du comité permanent du Congrès mexicain, datée de San-Luis Potosi. « … Que les traîtres disent ce qu'ils voudront, pendant qu'ils essaient le joug qu'ils se sont mis au cou, l'intervention de l'étranger est incompatible avec la souveraineté de la nation. Le droit de souveraineté est entier, absolu, inaliénable, exclusif. Il ne saurait être ni abandonné, ni transmis, ni prêté, ni partagé. Pas de sécurité possible pour une souveraineté limitée, modifiée, protégée, soutenue par les baïonnettes étrangères, ne vivant pas de sa vie propre, n'ayant d'existence que celle du pouvoir protecteur. » (Moniteur belge, 1863, p. 4790).

- Août 1863. Nomination d'une commission chargée d'aller offrir à l'archiduc Maximilien la couronne impériale du Mexique.

Blocus des côtes du golfe du Mexique par la marine française.

Emprisonnement des hommes politiques qui refusent de donner leur adhésion formelle au nouvel ordre de choses. La peine de mort appliquée sans merci à tous les guerilleros.

- Septembre 1863. Expédition des Français contre Tampico. Prise de possession de ce port.

- Octobre 1863. Réponse de l’archiduc Maximilien à la députation mexicaine. (page 13) Acceptation conditionnelle. Si des garanties solides sont acquises pour l'avenir et si le suffrage universel du noble peuple mexicain s'adresse à moi, je serai prêt, avec l'assentiment du chef illustre de ma famille et en me confiant à la protection du Tout-Puissant à accepter la couronne... » (Moniteur belge, 1863, p. 4924.)

- 23 octobre 1863. Occupation de Jalapa par les Français.

- 12 novembre 1863. - Occupation de Queretaro par les Français. Le général Comonfort, ancien président du Mexique, qui, au début de l'invasion étrangère, accourut des Etats-Unis pour la combattre, sous les ordres de son ancien rival Juarez, tombe dans une embuscade et est tué.

Occupation de Guanaxuato.

- Décembre 1863. - Rapport de M. Larrabure au Corps législatif de France. « … Sur les 40 millions demandés pour la guerre, il y a 15,636,300 fr. pour les troupes mexicaines que nous avons pris la charge d'équiper, de solder, de nourrir, d'entretenir. La France a cru politique d'accueillir ces militaires, indigènes, de s'en faire des auxiliaires.... » (Moniteur belge, 1864, p. 135.)

Occupation de Morelia par les Français, après une résistance des plus violentes.

- Janvier 1864. - Occupation de Guadalaxara par le général Bazaine à la tête de 14,000 hommes ; puis de San-Luis Potosi et de Zacatecas. Juarez établit le siège de son gouvernement à Monterey.

Reddition de Campêche aux forces navales françaises.

- Janvier 1864. Le Mémorial diplomatique annonce qu'il ne peut être question de demander au suffrage universel la consécration du nouvel empereur, et que l'archiduc demande seulement la ratification du vote des notables par les conseils municipaux des villes aussitôt que les armes françaises les auraient délivrés de la pression juariste ! » ((Moniteur belge, 1864, p. 438.)

26 janvier 1864. - « On vous a dit que l'expédition nous coûtait 12 millions par mois. Or les mois s'écoulent et il nous en coûtera bien davantage. Nous sommes à 3,000 lieues de distance, à quinze jours de navigation. Nous avons au Mexique 40,000 soldats et 8,000 matelots, et tout cela dans quel but ? » (Extrait du discours de M. Thiers au Corps législatif de France) (Moniteur belge, 1864, p. 507.).

Protestation des archevêque et évêques de Mexico, Mechoacan, Guadalaxara, San-Luis-Potosi et Oaxaca.

« ... Les signataires affirment que l'Eglise subit aujourd'hui à Mexico, par le fait du gouvernement qui existe dans la capitale, une violence dirigée contre les droits les plus saints et contre les libertés canoniques, violence tout à fait semblable à celle que lui infligeait le gouvernement constitutionnel... »

« ... Alors, malgré les restrictions des lois de la presse, nous pouvions publier nos protestations et nos lettres pastorales ; aujourd'hui les imprimeries sont (page 14) soumises à de tels règlements que l'on ne peut publier que ce que l'intervention veut bien laisser paraître.

« ... Qu'un gouvernement élu par une assemblée de notables et qui se constitue comme gouvernement national en opposition au gouvernement de M. Juarez entreprenne de faire appliquer les lois décrétées par ce dernier (allusion aux lois sur la vente des biens du clergé), lorsque ces lois sont véritablement l'unique cause de la guerre civile, voilà ce qu'on ne peut concevoir. » (Moniteur belge, 1864, p. 1049.)

- Janvier 1864. Aux réclamations du général Neigre, l'archevêque de Mexico répond ; « ... Il est un fait avéré et de notoriété publique, c'est que nous avons tous protesté contre ces deux individus qui ont la prétention d'être un gouvernement... » (MM. Almonte et Salas, restés seuls régents, l'archevêque ayant été destitué, le 17 novembre 1863, par ses corégents d'accord avec le général Bazaine) (Moniteur belge, 1864, p. 1162.).

- On écrit de Mexico, 27 janvier, au Moniteur français ;

« … La pacification est complète, et les dernières conditions mises à la venue de l'archiduc Maximilien sont remplies. Ce courrier porte au prince les vœux et les actes d'adhésion des notables et des municipalités des Etats et des villes de Guadalaxara, Zacatecas, Saint-Luis Potosi et Guanaxuato. Vous recevrez sans doute de Vera-Cruz ou de Campêche, l'adhésion de la province de Yucatan, ce qui formera la presque unanimité, puisqu'on attend à chaque instant la soumission de M. Doblado et celle de M. Vidaurri, qui maintient un ordre parfait à Monterey et dans le Nouveau-Léon. (Moniteur belge, 1864, p. 1124) .

- 4 avril 1864. Proposition adoptée à l'unanimité par le Congrès des Etats-Unis ;

« Résolu que le Congrès des Etats-Unis ne veut pas laisser croire par son silence aux nations de la terre qu'il regarde d'un œil indifférent les événements déplorables qui se passent maintenant dans la république du Mexique.

« En conséquence, il croit à propos de déclarer qu'il ne convient pas au peuple des Etats-Unis de reconnaître un gouvernement monarchique élevé sur les ruines d'un gouvernement républicain en Amérique, sous les auspices d'un pouvoir européen. » (Moniteur belge, 1864, p. 1861.)

- Août 1864. L'escadre française va bloquer les villes du Mexique sur la côte du Pacifique, Mazatlan, San-Blas, Manzanilla, Acapulco. La flotte du golfe bloque Matamoros.

- 10 avril 1864. Acceptation définitive de la couronne par l'archiduc Maximilien.

« Un mûr examen de l'acte d'adhésion que vous me présentez m'a donné la conviction que le vote des notables de Mexico, qui vous a d'abord amenés à (page 15) Miramare, était sanctionné par l'immense majorité du pays et que je pouvais, dès ce moment, avec un plein droit, me considérer comme l'élu du peuple mexicain. La première condition indiquée dans ma réponse du 3 octobre est ainsi remplie ... Je déclare solennellement ici qu'avec l'aide du Tout-Puissant, j'accepte des mains de la nation mexicaine la couronne que celle-ci m'a conférée . » Moniteur belge, 1864, p. 1725.

- Avril-mai 1864. Chaque courrier du Mexique apporte la nouvelle de défaites essuyées par l'armée de Juarez et de la destruction des dernières bandes. Le 17 mai, dit le Courrier des Etats-Unis, Mejia a complétement battu Doblado à Matahuaba, lui prenant 1,117 prisonniers, 17 canons, 27 fourgons, 200 mules et une quantité d'armes et de munitions.

« D'autre part, le général Douai a eu un engagement, le 13, avec un corps juariste à Nochislan. Deux cents juaristes sont restés sur le terrain, 100 ont été faits prisonniers et 150 chevaux et 4 pièces de canon sont restés entre les mains des Français. A Valparaiso, près de Zacatecas, un détachement français a tué 120 juaristes, en a pris 300 et s'est emparé de huit pièces d'artillerie, de 500 fusils et de 200 chevaux. Ces victoires répondent victorieusement à ceux qui essaient de représenter le parti juariste comme ayant la moindre chance de succès, même dans lesEEtats les plus reculés ; c'est la bienvenue souhaitée par l'armée franco-mexicaine à Maximilien.2 (Moniteur belge , 1864, p. 2033.)

Toutefois, on écrit de Paris à l'Indépendance belge :

« On avait trop proclamé que les forces de l'ex-président étaient anéanties, son armée en dissolution et lui-même réduit à se cacher et à chercher un refuge à l'étranger. Et voilà que l'on apprend à n'en pouvoir douter que Juarez a installé un gouvernement à Monterey ; que ses lieutenants occupent, Uraga, le Xalisco, donnant la main à Alvarez dans l'Acapulco ; Doblado, le Cohahuila et Durango ; Ortega, une grande partie du Zacatecas, Tuapam, etc. » (Moniteur belge, 1864, p. 2864.

- 28 mai 1864. Arrivée de S. M. l'empereur Maximilien à la Vera-Cruz. Départ pour Mexico. A Paso del Macho, Sa Majesté Impériale reçoit une dépêche du général Bazaine ainsi conçue ;

« Le commandant de Courcy a rencontré les troupes de Sandoval et de la Cadena, le 22 de ce mois, à Valparaiso, dans l'ouest et à dix lieues de Zacatecas. Il leur a tué 120 hommes, fait 300 prisonniers, pris 5 canons, tout le parc d'artillerie, 500 armes, 200 chevaux. »

Réponse de Sa Majesté Impériale ;

« Merci de ma part et de la part de l'impératrice pour votre aimable attention... » Moniteur belge, 1864, p. 3123.

- Juin 1864. Voyage triomphal, sous les auspices de troupes françaises. Entrée solennelle, le 12 juin, à Mexico. Les journaux annoncent que l'enthousiasme des Mexicains va jusqu'au délire.

(page 16) 31 juillet 1864.-M. Kinglake, membre du parlement anglais, y demande la production des papiers relatifs au Mexique. Il soutient qu'il n'y a pas lieu de reconnaître le gouvernement impérial, parce qu'il n'occupe qu'un dixième environ du territoire du Mexique et parce que l'Angleterre doit tenir compte de l'indépendance des nations. Il rappelle que, « du côté de la monarchie, il y a quelques prêtres odieux à leur pays et un général qui a pris de force 132,000 livres sterl. à la légation britannique. » (Moniteur belge, 1864, p. 3849. Lord Palmerston déclare que l'Angleterre ne reconnaîtra le nouveau gouvernement que lorsque l'autorité de celui-ci « sera établie au Mexique. »

Résumons :

A l'aide de 50,000 soldats et d'une flotte, en dépensant 3 à 400 millions de francs, après une lutte de deux années, durant laquelle pas une seule ville ne s'est levée spontanément contre le gouvernement constitutionnel de Juarez, S. M. Napoléon III a fait la conquête de la capitale, des principales villes et de la plupart des ports du Mexique et remplacé les autorités centrale et locales par des hommes qui ont accepté, comme empereur, S. A. I. et R. Maximilien d'Autriche.

Et nous, étrangers au Mexique, nous allons y combattre les Mexicains qui tentent de renverser et de chasser ce gouvernement étranger, importé par les baïonnettes étrangères !

Tel est le but de l'expédition belge au Mexique.

III. L’expédition et la nationalité belge

Sur quoi repose, fondamentalement, la nationalité belge ? Sur le droit qui appartient à tout peuple de constituer (page 17) lui-même son gouvernement et de faire ses lois, en dehors de toute intervention étrangère.

L'histoire de la Belgique n'est qu'une longue lutte en faveur de ce principe.

Les Espagnols, les Autrichiens, les Français, les Hollandais ont été successivement les maîtres chez nous. Nous n'avons pas cessé de protester contre l'ingérence des étrangers dans nos affaires. En 1830, nous avons enfin conquis l'indépendance nationale. Nous sommes fiers de cette indépendance. Nous élevons des statues aux patriotes qui ont contribué, depuis des siècles, à son établissement.

Et, prodige d'inconséquence, c'est contre ce droit, c'est contre le principe même de notre existence, qu'aujourd'hui s'organise chez nous une légion !

Naguère encore, à Risquons-Tout, nous avions à repousser l'intervention de l'étranger. Et, aujourd'hui, nous nous faisons les complices d'un Risquons-Tout mexicain !

IV. L’expédition et la neutralité de la Belgique

« La Belgique formera un Etat indépendant et perpétuellement neutre. Elle sera tenue d'observer cette même neutralité envers tous les autres Etats

Reproduisant le protocole du 14 octobre 1831, ainsi s'exprime le traité du 15 novembre 1831, de même que le traité du 19 avril 1839 entre la Belgique et la Hollande, placé sous la garantie des puissances européennes. Ainsi, pour la Belgique, la neutralité est permanente. Elle est perpétuelle. Elle est universelle ; Tous les Etats (page 18) du globe sont tenus de la respecter et la Belgique doit l'observer envers tous.

La formation sur le territoire belge d'un corps de troupes destiné à opérer en pays étranger, est-elle compatible avec la neutralité de la Belgique ?

Comment le soutenir ?

Corps de troupes destiné à opérer en pays étranger,

Neutralité,

Ce sont là des termes contradictoires.

Qu'on ne dise pas le gouvernement n'est pour rien dans l'expédition ; il ne peut empêcher la formation d'un corps de troupes sur le territoire belge ; aucune loi ne le lui permet ; le gouvernement se borne à laisser faire.

Ceci a été dit. On le dira encore. C'est de l'hypocrisie ! Est-il vrai, oui ou non, que dès le mois de mars 1864, les organisateurs de l'expédition ont annoncé que les officiers et sous-officiers de notre armée obtiendraient, pour prendre part à l'expédition, un congé d'un an, de telle sorte que ceux qui ne se plairaient pas au Mexique pourraient revenir prendre leur grade en Belgique ?

Est-il vrai, oui ou non, que la durée de ce congé a été portée à deux années ?

Est-il vrai, oui ou non, que ce sont des officiers de notre armée qui ont organisé l'expédition ?

Est-il vrai, oui ou non, que le gouvernement et les autorités de la ville d'Audenarde ont fourni les locaux pour l'organisation de l'expédition ?

Ce sont là les faits publics, connus de tous, publiés par les organisateurs eux-mêmes. Inutile d'en citer d'autres. Et s'il en est ainsi, peut-on dire que le gouvernement s'est borné à laisser faire, qu'il a subi ce qu'il ne peut empêcher ? Peut-on dire qu'il n'a pas provoqué et favorisé l'expédition ?

On invoquera la loi du 15 juin 1836, en vertu de (page 19) laquelle le gouvernement peut autoriser des officiers à se mettre au service d'une puissance étrangère.

Cette loi existe, mais il faut concilier son application avec le principe de la neutralité, consacré lui aussi par la loi, et, de plus, inscrit dans des traités qui nous lient vis-à-vis des puissances étrangères.

« Il serait inconvenant et impolitique, disait M. Gendebien, dans la discussion de la loi du 15 juin 1836, de ne pas autoriser quelques-uns de nos officiers à servir à l'étranger, non pas seulement en temps de guerre, mais mème en temps de paix ; car quelque instruite que soit notre armée, on a toujours à gagner à visiter les pays étrangers, quand ce ne serait que pour établir des points de comparaison. »

Voilà dans quel but et dans quelles limites l'autorisation de servir à l'étranger peut être accordée à nos officiers.

L'autorisation donnée à l'officier pour lui fournir l'occasion de s'instruire, dans l'intérêt de l'armée belge, dans une pensée exclusivement nationale, celle-là ne viole en rien la neutralité. C'est celle que la loi de 1836 a eu en vue.

L'autorisation donnée à l'officier dans le but d'aller combattre une nation étrangère, dans le but de soutenir à l'étranger une cause étrangère quelconque, celle-là viole manifestement la neutralité. Aucune loi ne pourrait la tolérer.

Eh bien ! osera-t-on soutenir que c'est dans le but de perfectionner l'instruction de notre armée que l'on a fait un appel public, non seulement à nos officiers (les seuls, soit dit en passant, dont parle la loi de 1836), mais aussi aux sous-officiers et soldats ? Non, la chose est par trop notoire : c'est dans le but de soutenir le gouvernement impérial du Mexique, c'est pour combattre les insurrections du peuple mexicain contre ce gouvernement.

(page 20) Allons plus loin. Quand même le gouvernement ne favoriserait pas la formation du corps de troupes, quand même il ne permettrait pas de faire des appels publics aux officiers, aux sous-officiers et aux soldats de notre armée ; quand même on ne promettrait pas en son nom un congé d'un ou de deux ans aux officiers qui s'engagent, quand même les casernes du gouvernement ne serviraient pas aux apprêts de l'expédition, alors encore, il y aurait, dans la formation du corps de troupes, violation de la neutralité.

Ecoutez ce que dit des obligations imposées à une puissance neutre un homme éminent qui a fait de cette question une étude spéciale ;

« Obligé à observer entre les puissances en guerre une stricte et parfaite impartialité, l'Etat neutre doit se refuser d'accorder, sous quelque forme ou sous ́quelque prétexte que ce soit, à l'une ou à l'autre d'elles, tout secours qui pourrait lui servir d'une façon quelconque de moyen soit d'attaque, soit de défense, dans la lutte qu'elle soutient contre son ennemi. Il ne peut envoyer aux belligérants ni troupes, ni vaisseaux, ni munitions de guerre, il ne peut protéger ou favoriser les opérations militaires de l'un, ni entraver, par son intervention ou par des empêchements provenant de lui, celles de l'autre. Il doit en un mot s'abstenir soigneusement de tout acte qui puisse exercer quelque influence sur le sort de la guerre, et tenir une balance entièrement égale entre ceux qui la font.

« Ce devoir d'impartialité et d'abstention parfaites ne porte pas seulement sur les actes émanés directement du gouvernement, il oblige encore celui-ci à empêcher, partout où son autorité s'étend, qu'un concours quelconque soit prêté à l'un des belligérants contre l'autre. Toute concession, toute permission ou autorisation qui accorderait à un de ses sujets un droit, un pouvoir ou une faculté dont l'emploi pourrait augmenter l'action militaire de l'une des parties en guerre au détriment de l'autre est contraire à la neutralité, qui dans ce cas se trouverait violée par le propre fait du neutre. »

(1) Arendt. Essai sur la neutralité de la Belgique, p. 103.

Voilà le principe. Faisons-en l'application ;

Il y a, d'une part, le gouvernement constitutionnel de (page 21) Juarez, seul reconnu comme gouvernement légitime du Mexique notamment par les Etats-Unis de l'Amérique du Nord et par les républiques de l'Amérique du Sud, et, d'autre part, le gouvernement impérial de Maximilien reconnu seulement par S. M. Napoléon III, le Pape et la Belgique. La guerre existe entre ces deux gouvernements. que faisons nous ? Tenons-nous une balance égale entre les belligérants ? Nous abstenons-nous de tout acte qui puisse exercer quelque influence sur le sort de la guerre ? Empêchons-nous, partout où s'étend notre autorité, qu'un concours quelconque ne soit prêté à l'un des belligérants contre l'autre ?

Non, n'est-ce pas ? Donc, alors même que le gouvernement se bornerait à laisser se former la légion, sans la favoriser en aucune façon, la neutralité, selon l'expression de M. Arendt, se trouverait violée par le propre fait du neutre.

Sans doute, il n'est pas probable que le peuple mexicain, à qui nous allons faire la guerre, vienne jamais porter à son tour la guerre chez nous. Sous ce rapport nous n'avons rien à craindre. Quand même le Mexique recouvrerait son indépendance et chasserait tous les étrangers, de même qu'au commencement de ce siècle il a chassé les Espagnols, sa faiblesse et son éloignement protègent la Belgique contre des représailles. C'est pour cela sans doute que le danger de l'expédition n'apparaît pas à tous les yeux.

S'il s'agissait d'une expédition contre un Etat moins éloigné ou plus puissant, si seulement on formait sur notre territoire une expédition pour appuyer à Rome le gouvernement pontifical, la violation de la neutralité éclaterait à tous les yeux. Mais la question n'est pas de savoir si le Mexique pourra se venger de nos faits de guerre.

(page 22) La question, la voici ;

Quand nous aurons nous-mêmes déchiré notre neutralité, de quel droit l'invoquerons-nous à notre tour contre une invasion ?

V. L’expédition et le parti libéral

Que de fois n'a-t-on pas dit en Europe, dans ces dernières années : Le Mexique est depuis trop longtemps en proie à des luttes incessantes, à la guerre civile !

C'est cela même qui a servi de prétexte à l'invasion française. Pour faire cesser la guerre civile, on y a greffé une guerre étrangère.

Oui, depuis trop longtemps le Mexique était en proie à la guerre civile ! La révolution qui avait affranchi ce pays, dirigée tout entière contre la domination espagnole, avait, laissé debout à l'intérieur tous les privilèges, toutes les iniquités, tous les abus amoncelés sous l'ancien régime. Le parti réactionnaire et clérical les défendait à outrance. Pour ne citer qu'un exemple, rappelons que ce parti avait sur la liberté religieuse les opinions consignées dans l'Encyclique de Grégoire XVI si connue en Belgique, et qu'en 1860, Miramon, son chef alors, refusait d'accepter la liberté religieuse comme base d'un armistice entre les partis proposé par le gouvernement anglais. Aussi « la séparation des choses de l'Etat de celles de la religion » était formulée en tête du programme du gouvernement libéral de Juarez ; et, pour ce qui concerne la Belgique, un traité, signé à Mexico, le 20 juillet 1861, consacrait « une innovation importante ; la garantie de la liberté des (page 23 cultes. » (Annales parlementaires, 1861-1862, p. 889.) Des lois des 12, 13 et 23 juillet 1859 avaient ordonné l'aliénation des propriétés ecclésiastiques, plus considérables au Mexique que dans aucun Etat de l'Europe, de sorte que le clergé mexicain allait devoir se contenter de l'intérêt du prix de cette aliénation. Et ces lois étaient « véritablement l'unique cause de la guerre civile. » (Protestation des archevêque et évêques du Mexique, du 26 janvier 1864, citée ci-dessus.)

Tout cela est connu en Europe. Mais ce qu'on semble y ignorer ou oublier, c'est que le parti constitutionnel, le parti démocratique et libéral, celui qui avait toujours défendu la constitution du 12 février 1857, était arrivé, depuis plus d'un an avant l'invasion française, à rallier l'immense majorité du pays ; c'est que le gouvernement du loyal Juarez, l'ancien président de la cour suprême, l'homme du pays, l'Indien, le chef incontesté du parti libéral, était reconnu par tous les Etats composant la confédération mexicaine, depuis l'Yucatan jusqu'à la Sonora, depuis l'Etat de Tamaulipas jusqu'à celui de Xalisco ; c'est que le parti réactionnaire et clérical avait perdu tout espoir de reconquérir le pouvoir, ses principaux chefs parcourant les capitales de l'Europe, Madrid, Vienne, Paris, pour mendier l'intervention étrangère contre leur pays ; c'est que la constatation de cet état de choses a été le motif déterminant de la signature des préliminaires de paix, à la Soledad, le 19 février 1862, par les commissaires des puissances alliées ; c'est enfin que l'expédition française n'a été que le fruit d'une coalition entre S. M. Napoléon III et quelques chefs du parti réactionnaire et clérical du Mexique, pour renverser le parti libéral de ce pays.

Voilà ce qu'on semble oublier. Nous avons voulu le rappeler, aujourd'hui que, dans notre libérale Belgique, (page 24) sous un ministère qui se dit libéral, se forme une expédition contre le Mexique !

VI. L’expédition et le commerce de la Belgique

On n'a pas craint d'invoquer l'intérêt de notre commerce à l'appui de l'expédition. On a dit ; c'est un moyen de multiplier nos relations commerciales avec le Mexique.

Ce n'est pas sans honte pour notre pays que nous répondrons à cet argument, alors que l'iniquité de l'expédition est démontrée. Peut-on supputer les bénéfices de la violation du droit ? Nous ne poserions pas la question. D'autres l'ont posée, il faut y répondre.

Voici des chiffres que nous trouvons dans l'Exposé de la situation du royaume (1851-1860, tome III, pages 304 et suivantes), et que nous groupons en un tableau.

Commerce spécial de la Belgique avec le Mexique (années 1851 à 1860). (Ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée)

Ainsi, en dix années, nous avons importé du Mexique un peu moins d'un million de francs de marchandises, et, dans la même période de dix années, nous y avons exporté un peu plus de six millions de francs.

Supposons que l'importance de nos affaires double, quadruple, décuple même, on n'arrivera jamais qu'à un chiffre insignifiant, eu égard à la masse de nos affaires (page 25) générales. Mais, pour obtenir cette augmentation, sont-ce bien des officiers, des sous-officiers et des soldats que nous devons envoyer au Mexique ? Ce préliminaire est-il indispensable ? Sera-t-il efficace ? Cela serait douteux, alors même que, contre toute prévision, S. M. l'empereur Maximilien parviendrait à s'asseoir définitivement sur le trône. Qu'on lise le traité d'amitié, de commerce et de navigation, conclu à Mexico, le 20 juillet 1861, entre la Belgique et le gouvernement de Juarez, et qu'on indique quels nouveaux avantages un autre gouvernement pourrait nous accorder !

« Il n'y a, dit l'Exposé des motifs de la loi belge qui approuve ce traité, il n'y a donc dans le nouveau traité, d'autres restrictions à un régime plus libéral que celles qui résultent de la législation adoptée au Mexique pour la protection de la marine nationale. » (Annales parlementaires, 1861-1862, p. 889.)

Si, au contraire, le Mexique recouvre son autonomie, comment admettre qu'un peuple que nous aurons tenté d'enchaîner à un joug étranger, favorisera ses relations commerciales avec nous ?

En attendant, une chose est certaine, c'est que nous compromettons gravement nos relations avec les Etats-Unis de l'Amérique du Nord.

Quand les destinées d'une nation sont confiées à la merci d'un homme, difficilement on peut découvrir le mobile de ses actes. Quand on recherche pourquoi la France a entrepris la conquête du Mexique, on se trouve comme en présence d'une énigme. De cette énigme, chacun peut donner son mot. Le nôtre, le voici ; L'expédition française du Mexique, c'est la lutte du despotisme contre la démocratie, c'est S. M. Napoléon III, représentant le despotisme européen, prenant position contre les (page 26) Etats-Unis de l'Amérique du Nord, représentant la démocratie américaine.

Cette lutte est encore latente aujourd'hui. Quelles phases traversera-t-elle ? Nul ne le sait ; mais on peut affirmer que les Etats-Unis épuiseront leurs dernières ressources pour chasser, tôt ou tard, l'ennemi posté sur leurs frontières. La doctrine de Monroe n'est autre chose que le principe des nationalités appliqué au continent américain. Elle est vivante chez les confédérés comme chez les fédéraux ; et, la guerre civile terminée, soit par le rétablissement de l'Union, soit par la création de deux Etats distincts, cette doctrine sera le mot d'ordre universel au delà de l'Atlantique.

Serons-nous engagés dans la lutte ? Quand la Belgique et son armée seront représentées à Mexico, selon l'expression du commandant de la légion belge-mexicaine, les Américains ne nous considéreront-il pas à bon droit comme ennemis ? Et alors, à n'envisager ici les choses qu'au point de vue commercial, quel profit en tirerons-nous ? Le commerce de la Belgique avec les Etats-Unis est autrement important que son commerce avec le Mexique. Il est quarante-neuf fois plus considérable !

Voici les chiffres. Qu'on les compare avec ceux que nous avons donnés plus haut ;

Commerce spécial de la Belgique avec les Etats-Unis de l'Amérique du Nord (années 1851 à 1860) (Ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée)

VII. L’expédition jugée par le Parlement belge

(page 27) Dans les Chambres, on ne s'est pas occupé jusqu'à présent de l'expédition ; nos querelles intestines ont absorbé tous les esprits. L'opinion du Parlement sur le principe même de l'expédition est néanmoins connue. Elle s'est clairement manifestée dans une circonstance récente.

C'était en 1861.

Des Belges qui s'étaient rendus individuellement à Rome pour y soutenir par les armes la cause du pape contre l'Italie et qui, par ce fait, avaient perdu leur qualité de Belges, demandaient aux Chambres que cette qualité leur fût restituée.

Cette demande fut accueillie de manières diverses par les deux opinions qui divisent les Chambres. La question du clérical et du libéral vint dominer et obscurcir le débat. Un seul point rallia tous les orateurs ; tous se trouvèrent d'accord pour condamner les Belges qui s'enrôlent sous le drapeau de l'oppression des nationalités.

M. B. Dumortier, le député catholique, prenait la défense de nos compatriotes qui ont combattu à Castelfidardo pour la cause du pape, parce que, selon lui, ils n'avaient fait autre chose que soutenir la nationalité et l'indépendance des Etats romains envahis par l'armée de Victor-Emmanuel.

« Mes sympathies sont pour les peuples qui veulent conserver leur nationalité, la liberté de leur patrie. Qu'ils aient ou qu'ils n'aient pas la liberté politique, c'est là une chose secondaire ; la première chose, c'est la liberté du pays, l'indépendance du pays. Voilà comment j'entends le patriotisme, et pour moi, J'aimerais mieux être esclave sur le sol de la patrie, que libre sous un gouvernement étranger.3

(page 28) M. Orts blâmait indistinctement les Belges qui vont prendre du service à l'étranger :

« Je comprends les devoirs de la neutralité d'une manière générale et absolue. Je blâme ceux qui, sans obéir aux lois nationales, vont servir sous Garibaldi, comme ceux qui vont combattre à Gaëte ; je blâme plus encore ceux qui, en pleine paix, vont prendre du service dans les légions étrangères, au lieu de réclamer, dans leur propre pays, une part du fardeau de la défense nationale.

« Je blâme surtout ces Belges, allant chercher au loin une épaulette étrangère, pour l'unique motif qu'ils la croient plus brillante qu'une épaulette belge.

« Ah ! messieurs, si j'avais un fils destiné à la noble carrière des armes, si j'avais l'honneur de porter un nom historique, je voudrais voir ce fils officier belge, et j'en serai plus fier mille fois que de le savoir officier papal, prussien ou autrichien.. »

M. Guillery était moins absolu dans son opposition à l'enrôlement des Belges dans les armées étrangères, mais il ne comprenait pas que des Belges s'enrôlassent sous un drapeau autre que celui de la liberté ;

« Oui, je respecte les hommes qui défendent leur nationalité et ceux qui défendent le vœu des populations, mais je considérerai toujours comme la chose la plus odieuse que je puisse imaginer, d'empêcher, à l'aide d'une force étrangère, les peuples de jouir d'institutions conformes aux principes de liberté gravés au fond de leur cœur, comme ils sont gravés au fond des nôtres.

« Dans la grande lutte à laquelle nous assistons, entre le vieux droit qui s'écroule et la liberté qui s'élève, c'est pour la cause de la liberté que nous saurons, au besoin, verser notre sang ; c'est à la cause de la liberté que nous consacrerons, nous Belges, ce qu'il y a en nous de plus grand, de plus noble, de plus généreux. »

C'est ainsi que s'exprimaient les divers membres de la Chambre sur les enrôlements individuels de Belges dans les armées étrangères.

Pour les affaires de Rome, on n'avait pas formé une légion sur le sol belge. L'hypothèse de la formation d'une légion fut prévue néanmoins dans la discussion à la Chambre. M. Dumortier qui défendait le droit individuel (page 29) des Belges de s'enrôler dans des armées étrangères, sans perdre leur nationalité, M. Dumortier n'allait pas jusqu'à soutenir que l'on pût organiser des légions sur notre territoire. Au contraire, il trouvait entre ces deux choses une différence radicale ;

« Il est vraiment étrange, disait-il, que parce que je soutiens que les Belges ont la liberté individuelle et peuvent en user comme ils veulent, M. Orts veuille faire croire que je pousse les choses jusqu'à prétendre que l'on pourrait organiser, sur le sol belge, des légions contre les nations étrangères. Ce sont là des choses qui ne se ressemblent pas du tout.

« Tout individu a le droit, en vertu de sa liberté individuelle, de faire ce qu'il veut, et il y a quelque chose au dessus du code Napoléon que cite l'honorable membre, il Ꭹ a la Constitution, qui garantit la liberté individuelle. Mais il ne s'agit plus de liberté individuelle, quand vous formez des légions. »

Cette opinion était-elle combattue par le gouvernement ? Le ministre de l'intérieur, M. Rogier, aujourd'hui ministre des affaires étrangères, s'y ralliait dans les termes suivants ;

« Je ne crois pas, disait-il, que les individus, quittant isolément le pays pour aller servir ailleurs la cause qui répond à leurs convictions, je ne crois pas que ces individus, ne posant que des actes personnels, peuvent compromettre la neutralité du pays. Il en serait autrement si, comme on vient de le dire, le pays devenait le siége de recrutements considérables, s'il se formait en Belgique des compagnies, des bataillons, des légions, pour aller combattre dans un autre pays ; Des actes senmblables, il faudrait les réprimer » (Séance du 1er février 1861. Annales parlementaires, 1860-1861, pages 475 et suivantes.)

Il n'y a rien à ajouter à cela.

Au ministre qui parle ainsi, on ne peut que dire ; Conformez vos actes à vos paroles !

VIII. Appel aux Chambres

(page 30 Le moment est solennel.

D'un côté, il y a le droit du peuple mexicain, il y a l'existence de notre pays comme nation, il y a tous les principes qui font que nous sommes. De l'autre, il y a des intérêts privés.

Rien n'est fait encore ; mais tout est à la veille de s'accomplir.

Le danger est signalé la Belgique est avertie. Que fera-t-elle ? Qui décidera, en son nom, en dernier ressort ? La presse presque tout entière est muette. L'opinion semble impuissante. Les ministres sont complices. A qui s'adresser ?

Les élus de la nation sont notre seul refuge. Ils sortent d'un nouveau baptême. Ils sont notre espoir, notre sauvegarde. C'est en eux seuls que nous pouvons nous confier. Qu'ils élèvent la voix et cette voix sera entendue ! Qu'ils disent aujourd'hui ce qu'ils disaient hier ! Qu'ils veuillent, et cette volonté sera toute puissante !

Allons, M. B. Dumortier, le patriote, le vaillant, l'impétueux, le premier toujours à l'assaut quand il s'agit du salut de la patrie et de la liberté ! Interpellez votre co-insurgé de 1830, M. Rogier, et demandez-lui si le ministre des affaires étrangères d'un pays libre peut prêter la main à l'asservissement d'un peuple.

Et vous, M. Defré, dites-nous enfin si Joseph Boniface vit encore en vous. N'est-ce pas vous qui avez écrit ces lignes ?

« Etrange temps, où l'on parle de l'anéantissement d'une nationalité comme de l'expropriation d'un champ pour cause d'utilité impériale et gauloise ! (La Belgique indépendante ? p.

(page 31) Et celles-ci ?

« Oui, le sens moral s'affaisse, les notions de justice sont obscurcies. Depuis dix ans, la raison humaine assiste avec stupéfaction à cette grande comédie politique, qui cache sous des formules évangéliques les traditions de la force. Détruire le droit, cela s'appelle fonder la société moderne ; souffler la guerre, cela s'appelle fonder la paix ; menacer les peuples dans la jouissance de leurs libertés, cela s'appelle travailler à leur bonheur ; tout abîmer, les peuples et les races, renverser, disperser des nations, cela s'appelle créer l'équilibre européen. Jamais il n'y eut plus de mensonges dans les mots, plus d'hypocrisie dans les actes. » (La Belgique indépendante, p. 16).

C'est en 1860 que Joseph Boniface parlait ainsi. La question mexicaine n'était pas née alors. L'équilibre européen menaçait notre nationalité. Aujourd'hui c'est l'équilibre du globe qui nous tend un piège.

Et vous, monsieur Vilain XIIII ? aux prétentions de l'étranger, vous avez juré de répondre : Jamais ! Ce mot retentit encore aux oreilles de tous les patriotes. Laisserez-vous faire ceux qui, à ces mêmes prétentions, répondent Toujours !

Et vous, monsieur Orts ? C'est bien vous qui avez écrit cet épisode de l'histoire belge ; « La Guerre des paysans, 1798-1799§. A ceux qui disent que le vœu des Mexicains a appelé l'invasion étrangère, rappelez ce mot du citoyen Robergeot à un Belge, M. de Keverberg ; « Demandez la réunion à la France ou ne la demandez pas, vous serez réunis et l'on dira que vous l'avez demandée » (La Guerre des paysans, 1798-1799 ; épisode de l'histoire belge, par A. Orts. Bruxelles, 1863). A ceux qui traitent de bandits les guerilleros mexicains, lisez une de ces pages dans lesquelles vous célébrez les paysans flamands et brabançons levés pour combattre l'invasion française. Eux aussi, on les traitait de brigands. Il y avait les bandes de la forêt de Soignes, celles de la Campine et d'autres encore. Vous les avez glorifiées, bien qu'elles aient lutté (page 32) contre ceux qui apportaient chez nous l'idée de l'égalité ; vous les avez glorifiées, parce qu'elles ont défendu la patrie contre l'étranger. Ne direz-vous pas aux ministres du roi que les guerilleros mexicains défendent, contre l'étranger appelé chez eux par une fraction du parti réactionnaire et clérical, le sol national, la liberté de conscience et l'égalité des citoyens ?

Et vous, monsieur Guillery ? J'ai rappelé les nobles paroles que vous prononciez naguère à la Chambre des représentants, en faveur de la liberté des peuples. Le moment est venu de vous inspirer de la même pensée.

Je pourrais vous nommer un à un, presque tous, messieurs les représentants. Je trouverais, dans votre passé, l'expression du sentiment qui soulève ma conscience et a appelé cette protestation. Comment en serait-il autrement ? Vous êtes les représentants du peuple qui, entre tous, a le plus souffert de l'intervention étrangère et lutté pour son autonomie, de ce peuple qui, aujourd'hui, se gouverne lui-même.

C'est à vous tous que cet appel s'adresse, au nom de ce principe éternel ; Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fît, au nom du droit des nations, au nom de la liberté des peuples, au nom de la nationalité, de la neutralité et de tous les intérêts vivants de la Belgique.

Que chacun fasse son devoir. Le vôtre, messieurs, est tout tracé. Ce sont les traités qui vous le dictent ; formulez enfin la loi qui réprime, d'où qu'elles viennent, les atteintes intérieures à la neutralité de notre pays !

Bruxelles, 22 août 1864.