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Instruction sur l'établissement des Frères des Ecoles chrétiennes
VAN BOMMEL, Corneille - 1840

VAN BOMMEL, Corneille, Instruction sur l'établissement des Frères des Ecoles chrétiennes

(Paru dans « Mandements, lettres pastorales, circulaires et instructions de Monsieur C.R.A. Van Bommel, évêque de Liége », t. 2, années 1838 à 1844. Liége, P. Kersten, 1845)

(page 98) Corneille-Richard-Antoine Van Bommel

Par le miséricorde divine et par la grâce du saint siège apostolique, évêque de Liège,

A Messieurs les Doyens et Curés de la ville et des faubourgs de Liége.

Messiers,

S'il est vrai qu'il importe souverainement à la société de ne confier l'instruction de la jeunesse qu'à des hommes aussi distingués par la pureté des principes que par leurs connaissances, leur zèle et leurs bonnes méthodes, cette vérité se fait sentir avec une nouvelle force depuis que de dangereux sophistes, remettant tout en question, Dieu, l'homme et la société, redoublent d'efforts pour s'emparer de l'instruction publique et faire descendre jusque dans les classes inférieures de la population leurs décevantes et pernicieuses doctrines.

On l'a dit vingt fois, et nous ne pouvons nous empêcher de le redire : la Religion et la société ont ici un intérêt commun à défendre contre le mauvais génie qui s'efforce de prévaloir. Otez à l'enseignement la Religion, (page 151) base nécessaire de la morale, que devient l'enseignement lui-même ? Un moyen d'étendre le cercle des connaissances humaines. Mais à quoi servent ces connaissances plus étendues, plus développées, si vous n'y joignez le grand préservatif de la Religion qui peut seule les empêcher de se corrompre et de se changer en poison ? Séparées de la Religion et de la morale, les sciences ne sont qu'un plus grand développement donné aux facultés de l'homme, sans aucune garantie contre l'abus de ces facultés perfectionnées. C'est aiguiser un instrument qui peut donner la mort, sans prendre garde à quelles mains vous le confiez. L'expérience des quarante dernières années nous a donné à cet égard de cruelles leçons : puissent-elles ne pas rester stériles !

Et ce que nous disons de l'instruction en général, de celle du riche comme de celle du pauvre, devient plus sensible encore pour celui-ci ; parce que, le plus souvent, il trouve moins de ressources dans les habitudes de la famille et que plus de dangers l'attendent du côté des personnes avec lesquelles il se trouvera sans cesse en contact.

Frappés de ces vérités, nos pieux ancêtres ne voulaient confier le soin de former la jeunesse qu'à des maîtres joignant au mérite scientifique celui d'hommes religieux et moraux. Il en résultait que les générations nouvelles s'élevaient dans la connaissance de tout ce qui est vrai et de tout ce qui est bon, et que plus l'instruction prenait d'essor, plus aussi la société pouvait s'applaudir du progrès des lumières.

(page 152) Cet état de choses dont il est impossible de ne pas reconnaître les avantages immenses, a cessé de nous régir. Aux saintes précautions prises pour empêcher les écarts de la science, a succédé chez nous la liberté la plus absolue de tout enseigner, le mensonge comme la vérité. Dieu veuille nous préserver des dangers que peut amener l'abus de cette liberté ; mais nous ne pouvons que trembler en voyant ceux qui devraient, par l'influence de leur position, diminuer la somme des dangers, conspirer au contraire à les hâter en implantant et protégeant une instruction dénuée de ses plus fortes garanties d'ordre et de moralité.

C'est pour écarter d'une cité si chère à notre cœur les dangers d'une instruction mauvaise ou incomplète donnée aux enfants du peuple, que, de concert avec vous et avec d'autres personnes respectables, nous avons appelé parmi nous les Frères des écoles chrétiennes. Nous ne nous arrêterons pas ici à faire ressortir le mérite de ces excellents instituteurs. Qui pourrait méconnaître la haute capacité, le zèle admirable et les prodigieux succès de ces amis du pauvre ? C'est en vain qu'ils se couvrent du manteau de l'humilité, leurs œuvres n'ont pu échapper aux regards des hommes éclairés, et l'on a vu des princes et des hommes d'Etat, protestants, philosophes et catholiques, louer hautement ces modestes instituteurs et leur donner la préférence sur tous leurs concurrents. Paris et la France se disputent aujourd'hui l'avantage de multiplier leurs établissements.

En présence de pareils hommages rendus au mérite (page 153) des Frères, on peut bien ne pas tenir compte des clameurs passionnées de quelques hommes qui se font leurs détracteurs. Mais qu'est-il besoin d'invoquer en leur faveur des témoignages étrangers ? Vous-mêmes, messieurs, vous les avez vus à l'œuvre et vous pouvez dire si leur zèle et leurs succès peuvent être facilement surpassés.

En appelant les Frères à Liége, nous avions compté sur des succès ; mais, nous devons le dire, messieurs, ces succès ont dépassé nos espérances. Les écoles formées à Saint Jacques, à Saint Denis, à Sainte Marguerite, non seulement sont au grand complet, mais depuis un an il a fallu refuser au moins deux cents enfants qui demandaient à y être reçus, preuve évidente que le peuple comprend mieux qu'on ne le pense ses véritables intérêts et sait même distinguer les maîtres propres à donner à ses enfants le pain de la bonne instruction.

Il est donc devenu nécessaire, si l'on ne veut reculer devant tout le bien qui reste à faire à Liége, d'y former pour les Frères, de nouveaux établissements. Les quartiers de Saint Nicolas et de St Barthélemi réclament ce bienfait, et nous voudrions pouvoir immédiatement satisfaire à leurs justes désirs.

Un seul obstacle nous arrête et c'est pour nous aider à le lever que nous venons réclamer votre active coopération. Malgré ses efforts réitérés, la commission chargée de pourvoir aux besoins des Frères, n'a pu réussir encore à leur faire obtenir de la commune les subsides que méritent leur utilité et leur incontestable supériorité. Il a donc fallu que la charité des fidèles fît tous les (page 154) sacrifices tant pour les frais de premier établissement que pour la dépense annuelle et invariable. On sait quel est le désintéressement des bons Frères ; cependant le nombre des traitements à payer annuellement, le prix d'acquisition ou d'appropriation de plusieurs bâtiments, les frais d'ameublement, etc., ont absorbé des sommes considérables, et les dépenses doivent se renouveler, en partie du moins, chaque année. D'un autre côté l'enseignement des Frères est purement gratuit, et ils ne consentiraient point à se charger d'écoles rétribuées par les élèves. La charité donc, la charité seule nous est venue en aide, et, hâtons-nous de le dire, elle a suffi pour édifier et elle suffira pour conserver ce qui est déjà fait. Honneur aux personnes généreuses qui comprenant tout l'avantage d'une bonne instruction, ne s'effraient d'aucun sacrifice pour en faire jouir les enfants de leurs concitoyens moins favorisés qu'eux par la fortune. Nous nous plaisons d'autant plus à proclamer cette sainte libéralité, qu'elle pourrit passer inaperçue au milieu de la vie si agitée de nos grandes villes. Nous éprouvons d'autant plus de bonheur à en publier les heureux fruits, qu'étant un des caractères du catholicisme, elle prouve combien cette divine Religion est encore pleine de vie parmi nous.

Mais ce qui a suffi jusqu'à ce jour, ne suffira plus, maintenant que de nouvelles dépenses doivent se faire pour acquérir un local dans le quartier d'Outre-Meuse, pour meubler et organiser des écoles et pour faire des traitements aux instituteurs dans deux nouveaux (page 155) quartiers. Il est donc nécessaire de créer de nouvelles ressources et ce sera encore à la charité à se cotiser pour le bien de la cité. C'est à vous, messieurs, et à tous les respectables membres du clergé de la ville; c'est à vos ouailles fidèles, à tous les catholiques de Liége que nous faisons aujourd'hui un appel en faveur de ces établissements. Ce que nous désirons, est moins de recueillir quelques dons considérables que de voir la multitude des fidèles s'imposer une légère contribution annuelle.

Messieurs et chers coopérateurs, ah! faites bien comprendre à vos chers paroissiens combien il leur importe de voir les écoles chrétiennes se multiplier dans cette ville, pour leur propre avantage, pour le bonheur et la sécurité des familles, pour la gloire de la Religion et la stabilité de la société.

Dites aux parents qu'un fils sage, docile et laborieux est tout à la fois leur gloire et leur consolation comme il sera l'appui de leur vieillesse, et qu'il n'appartient qu'aux maîtres sincèrement religieux de former de pareils élèves.

Dites à la jeunesse, à l'enfance elle-même, que, créé de Dieu et appelé à une vie immortelle, l'homme n'a pas de plus grand intérêt que de se former de bonne heure à la connaissance et à la pratique des devoirs qu'impose la Religion, et qu'en dehors des écoles chrétiennes ces grands objets sont trop souvent perdus de vue ou relégués au rang de simples choses accessoires.

Dites aux personnes fortunées, aux commerçants, (page 156) aux fabricants, aux entrepreneurs, que leur bonheur domestique, la sécurité de leur fortune et le succès de leurs entreprises dépendent en grande partie de la moralité, de l'attachement et de la fidélité de leurs sujets, et que ces vertus sont bien mieux garanties par les principes d'une éducation chrétienne que par cette morale tout humaine qu'on voudrait enter sur l'honneur et l'intérêt, mots vides de sens ou pleins de dangers lorsqu'on les isole de la Religion.

Dites surtout aux riches qu'il y a autant de prudence que de générosité de leur part à encourager les écoles chrétiennes où, avec l'amour de Dieu, on inculque le respect pour le bien d'autrui. Eh! que n'auraient-ils pas à craindre pour eux-mêmes si les faux principes qu'affichent déjà, dans un pays voisin, des prolétaires élevés sans Dieu et sans foi, venaient à se multiplier et à prévaloir. Bientôt des voix sinistres viendraient troubler leur repos, et, ici comme là, on entendrait crier à la communauté des biens, à une distribution plus rationnelle de la propriété.

Tels sont, messieurs, les puissants motifs qui militent en faveur de l'œuvre des Frères. Pourrions-nous craindre de n'être pas compris lorsque l'intérêt de la famille comme celui de la Religion et de la société la recommande si impérieusement ?

En conséquence nous ordonnons :

1° Que notre présente lettre circulaire soit lue au prône le dimanche avant la fête de l'Assomption.

2° Que le jour de l'Assomption, il soit fait, dans (page 157) toutes les églises de la ville et des faubourgs, à tous les offices, une quête extraordinaire au profit de l'œuvre des Ecoles de la Doctrine chrétienne. Nous désirons que la quête soit faite par Messieurs les Doyens ou Curés, et, en cas d'empêchement seulement, par un ecclésiastique ou un notable de la paroisse à désigner par eux.

3° Que la même collecte se renouvelle les années suivantes de la même manière le jour de la Toussaint, après avoir été annoncée au prône le dimanche précédent. Nous voulons même que ce jour, la présente circulaire soit lue en 1841 et 1842.

4° Qu'il soit tenu dans chaque paroisse un registre où seront inscrits les dons particuliers qu'on engagera les personnes fortunées à faire pour la même œuvre. Les bienfaiteurs pourront cependant garder l'anonyme, s'ils le désirent.

5° Que le produit des dons et des collectes soit versé en mains de Messieurs les Doyens et par ceux-ci dans la caisse de la commission pour l'œuvre des Frères.

Donné à Liège le 28 juillet 1840.

Corneille, Evêque de Liége.

J.-P.-A.-J. Beckers, secrétaire.