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Circulaire ministérielle adressée aux gouverneurs (avril 1841)
NOTHOMB Jean-Baptiste - 1841

J.-B. NOTHOMB, Circulaire ministérielle adressée aux gouverneurs

(Paru dans le Moniteur belge du 14 avril 1841)

M. le ministre de l'intérieur a adressé à MM. les gouverneurs la circulaire suivante :

M. le Gouverneur,

Le Roi et le pays se sont trouvés, pendant un mois environ, dans une situation extraordinaire qui, en suspendant tous les pouvoirs alarmait tous les intérêts.

Nous n’avons pas à rechercher de quelle manière cette situation s’était produite.

Quels étaient les moyens de la faire cesser ?

C’est tout ce que nous avons à examiner.

Il n’en existait que deux : la dissolution des Chambres ou au moins de l’une d’elles, ou la création d’un ministère nouveau.

Nous attachant aux choses et non aux personnes, nous n’avons vu et nous n’avons dû voir que la question de gouvernement.

Nous avons pensé avec la Couronne que les Chambres, telles qu’elles sont constituées, peuvent suffire au gouvernement du pays.

Il nous était dès lors impossible de refuser notre concours à la formation d’un cabinet.

S’il avait pu nous rester des doutes sur l’inopportunité de la dissolution, bornée même au sénat, l’intervention de corps non politique dans la question du gouvernement aurait suffi pour détruire nos hésitations et pour vaincre nos répugnances ; nous nous serions crus coupables en délaissant la Royauté, obligée de prononcer non plus entre le ministère et les Chambres, mais entre les Chambres et des pouvoirs extraparlementaires.

Avec les chambres, telles qu’elles sont l’une et l’autre, nous croyons pouvoir regarder le gouvernement comme possible dans toutes les idées d’ordre et de progrès ; nous le croirons jusqu’au jour où nous serons détrompés par une expérience portant sur une question non de personne, mais de chose.

La tentative du renouvellement des chambres ou de l’une d’elles, ne nous paraissant pas nécessaire au point de vue où nous pouvons nous placer, nous avons cru de notre devoir de préserver le pays de cette épreuve.

Ce n’est pas, monsieur le Gouverneur, que la dissolution des chambres, ou de l’une d’elle ne puise, dans aucun cas, devenir indispensable, et par cela même, efficace ; mais il faudrait que cet appel extraordinaire aux électeurs eût pour objet une question spéciale, positive, susceptible d’une véritable solution, disparaissant avec la lutte, et non une question vague de parti, de classification politique, question destinée à être non pas résolue, mais agrandie, non pas terminée, mais éternisée par l’effet même de la lutte.

De malheureuses dénominations ont été jetées dans le public ; en appeler aujourd’hui au pays, ne fût que par la dissolution du sénat, c’eût été inviter la nation à se partager en deux camps, à se livrer bataille, et à décider, au nom de quel parti le pays serait gouverné, jusques aux élections prochaines, destinées à renouveler le même combat.

Chef, non d’un parti, mais de la nation, le Roi ne pouvait autoriser une lutte à la fois aussi dangereuse et aussi inefficace.

S’il est vrai que le pays renferme des éléments nouveaux, ils pénétreront dans les Chambres sans secousse, graduellement, par le cours naturel des choses, sans provocation directe du pouvoir royal resté neutre.

C’est se faire d’ailleurs étrangement illusion que de regarder dans les circonstances où nous sommes la dissolution comme le moyen de rendre le calme au pays et la stabilité au gouvernement ; la victoire de l’un des partis ne ferait que créer une autre crise où le vainqueur serait en possession du pouvoir, le vaincu dans l’attente d’une occasion de le saisir à son tour.

Les crises de ce genre ne se terminent point ainsi ; elles finissent par des transactions.

Il était donc plus sage d’essayer de prime abord d’une transaction en replaçant le gouvernement aux yeux de tous, par la création d’un ministère mixte, sur le terrain où peuvent se rencontrer les hommes modérés de toutes les nuances.

En maintenant le gouvernement sur ce terrain, il nous paraît que, considérées en elles-mêmes, dégagées des préventions et des défiances, les questions de politique intérieure qui restent à résoudre, sont susceptibles d’une solution convenable.

Notre intention ne peut être de passer ici en revue toutes ces questions ; il en est une seulement en rapport intime avec les institutions communales et provinciales ; c’est précisément la plus grave ; nous voulons parler de l’instruction primaire et moyenne.

Pas d’enseignement sans éducation religieuse.

Pas d’éducation religieuse sans le concours du clergé.

Telles sont les prémisses sur lesquelles s’accordent toutes les opinions non exclusives.

Quelles seront les règles du concours du clergé ?

C’est à ses termes que se réduit la question principale, encore non résolue ; elle le sera, nous n’en doutons point, elle ne peut l’être que de manière à assurer aux pères de famille toutes les garanties morales et religieuses.

Dans le cours de l’année précédente, les inspections des collèges subventionnés par l’Etat ont eu lieu d’après un mode nouveau ; bien que défectueux à certains égards, ce mode a des avantages incontestables ; aussi notre intention est-elle de maintenir le concours dans les limites que l’absence d’une organisation définitive a rendu nécessaires ; nous croyons ainsi aller au-devant des désirs des administrations locales et des pères de famille.

Une proposition qui se rattache à l’exercice de la liberté de l’enseignement, a dans ces derniers temps excité de vives préoccupations ; sans rien préjuger sur le fond de cette proposition, le désir du gouvernement est qu’elle ne soit discutée qu’à l’époque où l’organisation de l’instruction publique recevra son complément ; cet ajournement, nous avons lieu de le croire, ne rencontrera pas d’obstacle. Si définitivement il venait à être reconnu que cette proposition, faite d’ailleurs dans des intentions louables, renferme des dangers, elle serait, nous en avons la conviction, abandonné par ceux-là même qui croient en avoir besoin.

Nos rapports avec l’autorité ecclésiastique sont définis par la constitution : en consacrant la séparation de l’Eglise d’avec l’Etat, elle a créé une situation toute nouvelle qu’il est impossible de méconnaître ; laissant à chaque pouvoir son domaine, nous devons à la fois respecter les droits qui résultent du principe de séparation et faire respecter, si elles pouvaient être méconnues, la dignité et l’indépendance du pouvoir civil.

L’époque où le mandat de la moitié des membres de la chambre des représentants vient de droit à cesser, est prochaine ; nous formons des vœux, M. le Gouverneur, pour que dans l’intervalle trop court peut-être qui nous sépare de la réunion des collèges électoraux, on ait appris de nouveau à juger les hommes d’après leurs qualités personnelles et les services rendus et non d’après les distinctions de parti ; nous espérons que chacun donnera cet exemple du retour aux saines appréciations. Ce qui fait dès à présent l’honneur, ce qui doit faire la force du ministère actuel, c’est de pouvoir dire hautement, à moins qu’il ne soit obligé de subir les conséquences de provocations mal entendues, qu’il n’éprouve, par lui-même, le besoin d’aucune élimination ; des hommes sur lesquels, à travers les circonstances les plus diverses, le gouvernement du pays s’était presque constamment appuyé depuis 1830 et dont plusieurs ont attaché leurs noms à la fondation de la nationalité belge, semblaient menacés dans leur réélection, les uns, au nom du ministère auquel nous succédons, les autres par ses adversaires ; double menace qui, à elle seule, révèle tout ce qu’il y a eu de faux dans la situation.

Nous ne demandons grâce à personne, nous ne redoutons aucun genre d’hostilité, mais l’initiative ne viendra pas de nous.

Vous aurez prochainement, monsieur le Gouverneur, à représenter le pouvoir central devant le conseil provincial ; vous vous placerez, nous en sommes convaincus, au même point de vue que nous ; et si la session vient à se clore, comme les années précédentes, c’est-dire sans scission de partis, après un débat calme des intérêts positifs de la province, vous aurez bien mérité du Roi et du pays.

La pensée de l’homme d’Etat, l’espoir du bon citoyen, ne peut être le triomphe de l’un ou de l’autre parti ; la victoire d’une portion de la nation sur l’autre.

Un gouvernement qui aurait ce principe d’existence, ne serait plus un gouvernement ; ce ne serait plus l’organe libre et impartial du pays considéré dans son ensemble, mais l’instrument passif du parti momentanément dominateur.

Le cabinet actuel n’est l’avènement ni d’un parti politique, ni d’une classe sociale ; il s’appuiera sur ce qu’il y a de vrai et par cela même de légitime dans tous les intérêts.

Tout en approuvant le système de transaction que nous préconisons, on vous dira peut-être, Monsieur le Gouverneur, que ce système ne sera compris et réalisable qu’à la suite d’une lutte de plusieurs années qui aura constaté les forces respectives des partis et atténué leurs exigences par une alternative de succès et de revers. Ce serait là une funeste erreur. Les opinions modérées qui se prêtent aux transactions, existent ; la lutte les ferait disparaître pour ne laisser placer qu’à des vainqueurs et à des vaincus. Pourquoi, après le combat, le vainqueur offrirait-il une transaction ? Pourquoi le vaincu en obtiendrait-il une ? Le vainqueur n’en aurait pas besoin ; le vaincu n’y aurait pas droit.

Si, malgré la victoire, le vainqueur doit éprouver le besoin ; si malgré la défaite, le vaincu doit conserver le droit de transiger, la lutte devient une inutile calamité ; au lieu de provoquer les partis, il faut chercher à faire comprendre dès à présent la nécessité d’une transaction dont les succès ne peuvent affranchir les uns, dont les revers ne peuvent priver les autres.

Ailleurs, nous ne l’ignorons pas, il a existé, il existe des luttes du genre de celle qui est sur le point de s’emparer de la Belgique ; mais ces exemples doivent nous servir, non de modèle, mais de leçon : ces pays n’ont jamais trouvé de repos que dans l’existence malheureusement momentanée d’opinions intermédiaires.

Notre révolution si malheureuse de 89 n’a non plus connu que deux partis ; ce qui a fait le salut de la révolution de 1830, c’est qu’elle a été dirigée par la réunion de toutes les opinions modérées ; c’est le véritable progrès de notre époque ; revenir exclusivement à l’un ou à l’autre des partis de 89 serait également rétrograder.

Moins qu’aucun autre pays, la Belgique, née d’hier, ne pourrait impunément donner le spectacle de la lutte prolongée entre deux partis se disputant la direction des affaires publiques, et s’entravant mutuellement ; « l’union fait la force », est surtout la devise des nations petites et jeunes.

Sur un grand théâtre, M. le Gouverneur, ces luttes commandent l’attention, développent quelquefois des caractères remarquables et créent des noms historiques : résultat dont les esprits positifs peuvent contester l’importance et que ces luttes n’offrent pas même dans les petits pays où elles altèrent sans éclat les relations publiques et privées ; où, sans évoquer aucun glorieux souvenir, elles jettent le trouble dans les familles comme dans la nation ; où elles conduisent obscurément à l’impuissance gouvernementale et à l’instabilité du point.

Au point où nous sommes arrivés, est-il possible encore de fixer d’une manière sincère le gouvernement sur le terrain des opinions modérées ? Nous le croyons ; et dès lors nous devons l’essayer.

Si cet essai ne réussissait pas, nous le verrions échouer sans regret pour nous-mêmes ; nous tomberions fidèles à nos antécédents et sans nous sentir amoindris. Notre chute serait accueillie avec joie par toutes les opinions extrêmes ; car, au-delà du ministère actuel il n’y aurait probablement plus à opter qu’entre deux combinaisons également exclusives : deux partis seraient peut-être pour longtemps mis en présence, se passionnant de jour en jour davantage, absorbant toutes les nuances intermédiaires, convoitant le pouvoir, l’obtenant tour à tour par d’inévitables réactions et l’exerçant alternativement, non dans l’intérêt général, mais au détriment l’un de l’autre.

Ce serait un grand malheur que de réduire le gouvernement à cette alternative ; nos osons donc le dire : le cabinet actuel est le point culminant d’une situation ; après lui il faut presque inévitablement que le pouvoir se porte à droite ou à gauche.

Il n’en sera point ainsi : nous en avons pour garant le bon sens national.

Si dans l’intervalle qui nous sépare de la session nouvelle, le pays rendu à lui-même, sorti de la sphère passionnée des partis, rentré dans le cercle plus modeste peut-être des intérêts réels et sérieux, a retrouvé le calme, ce sera un grand résultat, résultat négatif sans doute, mais dont la fatalité des circonstances fait déjà un succès.

Votre mission, M. le Gouverneur, ne peut être autre que la nôtre ; si dans votre province, si dans les conseils communaux, devant le conseil provincial, dans toutes les situations enfin où il vous est donné d’exercer directement ou indirectement quelque influence, vous parvenez à prévenir ou à arrêter une déplorable classification, si aux questions de partis, vous parvenez à substituer les questions d’affaires, vous aurez accompli votre tâche, vous vous serez avez nous dignement associés à la pensée royale.

Le Ministre de l’intérieur, NOTHOMB.