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Histoire de la démocratie et du socialisme en Belgique depuis 1830
BERTRAND Louis - 1907

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Louis BERTRAND, Histoire de la démocratie et du socialisme en Belgique depuis 1830

(Tome second, paru en 1907 à Bruxelles, chez Dechenne et Cie)

Tome II. Troisième partie : De 1850 à la Chute de l’Internationale (1874)

Chapitre IX. La Législation ouvrière en Belgique, jusqu'en 1874

Le réveil de la classe ouvrière - Situation des ouvriers et des pauvres - La législation ouvrière à l'étranger - Les livrets d'ouvriers en Belgique - Condamnations monstrueuse. - L'article 1781 du code civil - Proposition de l'abroger - Refus du sénat - La loi sur les conseils de Prud'hommes. - La loi sur les coalitions - Nombreuses poursuites pour délit de grève - Mouvement de protestation - Liberté des coalitions en 1866 - Le travail des femmes et des enfants - Refus de légiférer en leur faveur

A partir de 1864, il y eut en Belgique un véritable réveil de l'élite de la classe ouvrière, réveil qui s'accentua pendant plusieurs années de suite, à cause de la propagande faite par les membres de l'Internationale.

La situation des travailleurs belges laissait beaucoup à désirer à cette époque, et si l'on a pu dire de notre pays qu'il était le Paradis des capitalistes, on eût pu dire avec autant de raison qu'il était un Enfer pour les travailleurs et pour les pauvres.

Le nombre des pauvres secourus par les bureaux de bienfaisance fut toujours considérable, non seulement pendant les années de disette de 1846-1847, mais plus tard encore. Or, les secours donnés aux malheureux tombant à la charge des bureaux de bienfaisance étaient dérisoires, et les moyens employés par certaines institutions charitables, pour organiser un service de secours économiques, étaient souvent odieux. Dans certaines villes et dans des communes rurales, le service médical des pauvres faisait l'objet d'une adjudication au moins offrant, et l'on put voir des médecins offrant de soigner 4,000 personnes pour 200 francs par an, soit 5 centimes par personne et par année (Tel fut notamment le cas à Poperinghe, en 1850).

L'entretien des orphelins et des vieillards faisait aussi l'objet d'une adjudication publique. On exposait le vieillard sur la place publique et chacun venait l'examiner de près, tâter ses membres, le faire marcher, et lorsque le vieillard était encore capable de se livrer à une besogne quelconque, l'adjudicataire s'offrait à l'entretenir moyennant quelques francs par mois ! La même chose se passait pour les orphelins.

Quant aux ouvriers, on leur payait des salaires dérisoires et des centaines de mille travailleurs honnêtes étaient obligés de nourrir, de vêtir et de loger leur famille, avec un salaire inférieur à ce que coûtait à l'Etat l'entretien d'un prisonnier ou d'un vagabond !

Les ouvriers belges, au moment du réveil dont nous parlons plus haut, c'est-à-dire en 1864, pouvaient être comparés à de véritables parias. Au point de vue légal, dans ce pays « libre », dont la Constitution proclame que tous les citoyens sont égaux devant la loi, les ouvriers étaient traités comme des êtres inférieurs, placés hors la loi commune !

Le livret était obligatoire. Il était considéré, à bon droit, comme un signe de servage, et celui qui n'en était pas porteur était condamné à la prison !

Dans les contestations que l'ouvrier pouvait avoir avec son « maître », celui-ci était cru sur parole en vertu de l'article 1781 du code civil. Et s'il avait recours aux rares conseils de prud'hommes institués alors, en cas de parité de voix, pour le jugement, la voix du président, qui était toujours un patron, était prépondérante !

La coalition patronale était libre et s'exerçait dans le but d'abaisser les salaires.

La coalition ouvrière était interdite, sous peine de mois et parfois d'années de prison !

Les femmes et les enfants, engagés en grand nombre dans l'industrie, faisaient concurrence au travail des adultes, car au nom de la sacro-sainte liberté, le législateur leur refusait la protection de la loi qu'il accordait aux poissons et aux petits oiseaux ! Bref, l'exploitation capitaliste se donnait libre cours et, dans ces conditions, il n'est pas étonnant que la condition des travailleurs belges était souvent misérable à l'excès !

Aussi faut-il remarquer qu'à partir du jour où l'élite des classes ouvrières se fut réveillée, ce qu'elle réclama tout d'abord, ce n'était point une législation protectrice du travail, mais bien la suppression des inégalités qui frappaient les travailleurs, des entraves qui les empêchaient d'user de leurs droits pour améliorer leur sort : suppression des livrets d'ouvriers et de l'article 1781 du code civil ; liberté des coalitions, etc.

Avant de rappeler les tentatives faites dans ce sens et les résultats obtenus, il nous paraît utile de rappeler quelle était, au point de vue légal, la situation des ouvriers dans les pays voisins, comme l'Angleterre et la France.

Le premier conseil de Prud'hommes fut établi à Lyon, dès 1806, par Napoléon.

La liberté des coalitions, en Angleterre, date de 1825 et, en France, de 1864.

Le truck-system, c'est-à-dire le payement d'une partie des salaires en marchan¬dises, fut supprimé, en Angleterre, en 1831.

L'interdiction du travail des femmes dans les mines date de 1842, en Angleterre.

L'inspection des fabriques, dans ce même pays, fut décrétée en 1844.

La reconnaissance légale des associations professionnelles (syndicats) fut votée, en Angleterre, en 1871.

La réglementation du travail des enfants dans l'industrie existait aussi depuis des années, dans plusieurs pays d'Europe, alors qu'en Belgique, le Parlement censitaire refusait de s'en occuper, bien qu'il ne pouvait ignorer les conséquences fâcheuses de ce travail, que des enquêtes officielles avaient étalées au grand jour.

Telle était la situation de la législation ouvrière quand, en 1864, des groupes d'ouvriers belges commencèrent à élever la voix et à réclamer justice, ou plutôt la cessation des injustices qui les frappaient depuis longtemps.

Nous allons voir maintenant comment les élus de la bourgeoisie belge accueillirent les revendications ouvrières et dans quelle mesure ils y répondirent.


Parlons d'abord du livret imposé aux ouvriers belges.

L'institution des livrets d'ouvriers a son origine, en Belgique, dans la loi du 22 germinal an XI, décrétée lorsque notre pays faisait partie de la France. Cette loi était intitulée : « Loi relative aux manufactures, fabriques et ateliers » ; elle protégeait les marques de fabriques, proscrivait les coalitions et, dans son article 12, défendait à un patron, sous peine de dommages-intérêts, de recevoir un ouvrier s'il n'était porteur d'un livret.

Cette loi n'imposait donc, comme on le voit, aucune obligation à l'ouvrier. C'est aux « maîtres » qu'elles s'adressait : elle leur interdisait de recevoir un ouvrier non porteur d'un livret, portant le certificat d'acquit de ses engagements délivré par le dernier patron. Et comme sanction à cette interdiction, il n'y avait que des dommages-intérêts, qui pouvaient être réclamés par le maître envers lequel l'ouvrier engagé n'aurait pas rempli ses engagements.

Un arrêté du Consul du 9 frimaire an XII vint régler l'exécution de cette loi.

Cet arrêté ordonnait à tout ouvrier d'être porteur d'un livret indiquant son âge, sa profession, et le nom du maître chez lequel il travaille. L'article 7 de cet arrêté stipulait que l'ouvrier qui avait reçu des avances sur son salaire ou contracté l'engagement de travailler un certain temps, ne pouvait réclamer son livret qu'après avoir acquitté sa dette par son travail et rempli ses engagements.

L'ouvrier était donc tenu chez son patron et ne pouvait le quitter, sous peine de mourir de faim ou d'être ramassé comme vagabond ! En effet, sans livret, il ne pouvait être engagé chez un autre patron et, de plus, étant alors considéré comme vagabond, il pouvait être arrêté et puni comme tel ! (L'article 3 de l'arrêté du 9 frimaire, an VII réputait vagabond l'ouvrier qui voyageait sans être muni d'un livret dûment visé, et permettait de l'arrêter et de le punir comme vagabond ! Ce texte était formel !)

N'était-ce pas mettre les ouvriers hors la loi ? Le livret n'était-il pas dans de pareilles conditions, une marque de servage ?

En matière d'obligations, le code civil, dans son article 1142, stipule que le plaignant n'a droit qu'à des dommages-intérêts. Le créancier, à qui des dommages-intérêts ont été accordés, n'a plus le droit de se plaindre. Pour les ouvriers, il en était autrement. La loi dérogeait au principe essentiel du droit civil, car elle obligeait l'ouvrier à rester au service du patron, l'empêchait de gagner sa vie ailleurs et le menaçait de prison, s'il se trouvait en défaut.

Cette loi, résidu de l'ancien régime, était en réalité un puissant instrument de domination d'une classe sur l'autre, selon l'expression de M. Adolphe Demeur (Chambre des représentants. Rapport à M. Demeur sur les livrets d'ouvriers, séance du 8 juillet 1879).

Telle était la situation faite à l'ouvrier belge, lorsque furent pris les arrêtés royaux du 30 décembre 1840 et du 10 novembre 1845.

Le premier arrêté réglementait les mines, minières et usines métallurgiques et reproduisait, avec des modifications, l'arrêté du 9 frimaire an XII, pour ce qui concerne les ouvriers attachés à ces industries.

Le second arrêté avait un caractère plus général, et s'appliquait à tous les ouvriers travaillant dans les fabriques, les usines et les ateliers.

Il supprimait le mot « maître » figurant dans l'article de l'an XII, et lui substituait le mot « patron », ce qui était plus moderne, mais en même temps il stipulait des pénalités sévères contre les infractions à la législation sur les livrets.

Cet arrêté royal du 10 novembre 1845 fut pris à la suite d'un rapport au roi par le ministre clérical M. A. Deschamps.

Ce rapport disait que si le décret de frimaire oblige les ouvriers à se munir d'un livret, il ne détermine aucune pénalité en cas d'infraction. Le nouvel arrêté doit parer à ce que le ministre appelle « un grave inconvénient, un vice radical qui détruit les salutaires effets que l'on peut attendre de l'institution du livret ! »

Dans ce but, et « tout en maintenant les cas de dommages-intérêts », l'arrêté royal établissait, pour toute contravention, une pénalité consistant soit en une amende de 14 à 100 florins, soit en un emprisonnement de un à quatorze jours, soit de ces deux peines réunies !

Le projet de règlement dont il était question dans le rapport au roi, et qui est devenu dans la suite l'arrêté royal du 10 novembre 1845, ne se bornait pas à imposer à tout ouvrier l'obligation d'être muni d'un livret, en même temps qu'au fabricant celle de n'employer que des ouvriers porteurs de livrets en règle ; il rendait, en outre, applicables aux contrevenants de l'une et de l'autre catégorie, les peines comminées par l'article premier de la loi du 6 mars 1818. « Cette pénalité est le point capital de la question. La manière dont elle est comminée n'a pas paru illégale en présence de la loi de germinal an XI. On n'a fait qu'ajouter une pénalité plus efficace à celle que prévoit cette loi » !

L'article premier déclare le livret obligatoire pour tous les ouvriers.

L'article 4 dit qu'en cas de déplacement, l'ouvrier est tenu de faire viser son dernier congé par le bourgmestre ou par l'échevin délégué de sa résidence ou du lieu ou il travaille, et d'y faire indiquer le lieu où il se propose de se rendre.

L'article 5 interdit à tout fabricant ou maître d'employer un ouvrier non porteur d'un livret en règle.

L'article 23 dit que, sans préjudice des dommages-intérêts ... toute contravention à l'une ou l'autre disposition de l'arrêté royal, sera punie des peines établies par l'article 1er de la loi du 6 mars 1818.

Ainsi, désormais, l'inexécution des engagements civils par les ouvriers était érigée en délit, et l'action publique était mise au service des intérêts privés du patronat, pour assurer l'exécution du contrat de travail ! Et, à côté de l'amende, on plaçait l'emprisonnement ! Et tout cela par un simple arrêté royal, alors que l'article 9 de la Constitution dit que « nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu'en vertu d'une loi ! »

Ce scandaleux arrêté royal, contraire au droit privé et au droit public, illégal au sens de l'article 9 de la Constitution, fut critiqué à la Chambre par Adelson Castiau, dans un éloquent discours qu'il rappelle, du reste, dans ses Lettres démocratiques . MM. Verhaegen et Dumortier soutinrent, à leur tour, qu'en édictant ces peines, le gouvernement était sorti de ses attributions et avait empiété sur le pouvoir législatif.

L'arrêté royal fut néanmoins mis à exécution et, trois mois après, les tribunaux étaient saisis de délits relatifs aux livrets d'ouvriers.

En 1847, le tribunal de Mons condamna à l'amende un patron et un ouvrier, celui-ci pour avoir quitté son service sans avoir fait viser son livret, celui-là pour avoir reçu cet ouvrier dans son atelier.

La cour d'appel de Bruxelles, par un arrêt du 13 mars 1847, prononça l'acquittement du patron, en décidant que les peines établies par l'arrêté royal du 10 novembre 1845 étaient illégales. Cet arrêté fut confirmé le 14 juin suivant par la cour de cassation.

Par la suite, aucun patron ne fut plus condamné pour infraction à la loi sur les livrets, l'arrêté de 1845 étant déclaré illégal ; mais, chose incroyable, il n'en fut pas de même des ouvriers, pour lesquels l'arrêté royal en question restait parfaitement légal !!!

Et, en cas d'insolvabilité, aux termes de l'article 53 du code pénal, les peines frappant les ouvriers pouvaient aller jusqu'à six mois de prison, et ce pour le crime d'avoir travaillé sans livret !

Plus tard, l'arrêté de 1845 fut appliqué aux deux parties et le Moniteur Belge, très complaisamment, publia régulièrement les condamnations odieuses frappant les ouvriers.

En voici trois que nous reproduisons textuellement d'après le Moniteur de 1848 :

1°« Par jugement du 29 mars et du 1er avril derniers du tribunal de première instance de Bruxelles, les sieurs P. Tays, ouvrier carrossier et J. Van Dievoet, carrossier, d'une part, et, d'autre part, les sieurs Jamar et J. Jamar, ouvriers, et la dame Reisse, marchande, ont été condamnés, le premier, à un jour d'emprisonnement, le deuxième, à 22 francs d'amende, le troisième et le quatrième, également à un jour d'emprisonnement, et la cinquième, à fr. 21.16, plus, les uns et les autres, aux frais du procès, pour contravention, de part et d'autre, aux dispositions du règlement du 10 novembre 1845 sur les livrets d'ouvriers. »

2°« Par jugement du 4 mars dernier, le tribunal de première instance de Termonde, les sieurs L.-G. De Cock et P.-J. De Vos, tisserands, à Saint-Nicolas, ont été con¬damnés l'un et l'autre à 14 jours d'emprisonnement, plus aux frais du procès, pour contravention aux dispositions du règlement du 10 novembre 1845, sur les livrets d'ouvriers. »

3°« Par jugement du 12 avril dernier, du tribunal de première instance de Bruxelles, les sieurs G. Verheidt, ouvriers bottiers, ont été condamnés le premier à un jour d'emprisonnement, le second, à fr. 21.16 d'amende, plus l'un et l'autre aux frais du procès, pour contravention aux dispositions du règlement du 10 novembre 1845 sur les livrets d'ouvriers. »

Cette abominable attitude du gouvernement, frappant de peines correctionnelles sévères, des ouvriers non porteurs d'un livret, compliquée de l'attitude partiale de certains tribunaux déclarant illégal l'arrêté royal de 1845, quant à son application aux patrons, mais bien fondé et parfaitement légal pour frapper les ouvriers, révolte la conscience publique et montre combien était odieux le régime censitaire laissant subsister de pareilles injustices.

Œuvre d'un ministère clérical, l'arrêté royal de 1845 fut maintenu par le ministère libéral, malgré les nombreuses protestations des ouvriers et de la presse démocratique de l'époque.

Au mois de novembre 1867, des ouvriers de Bruxelles adressèrent à la Chambre une pétition réclamant la suppression des livrets d'ouvriers. La Chambre passa à l'ordre du jour !

Quatorze mois plus tard, cependant, le 27 janvier 1869, M. Pirmez déposa un projet de loi rendant facultatif le livret d'ouvrier. Ce projet, qui en somme n'était qu'une hypocrisie, - car adopté, le livret n'en resterait pas moins obligatoire pour les ouvriers dont le patron exigerait le livret - fut rapporté le 22 avril suivant, par M. Anspach, mais ne fut pas discuté.

La dissolution des Chambres, en 1870, rendit le projet caduc et, en 1873, M. Anspach usa de son initiative parlementaire pour le représenter à la Chambre, en y ajoutant une disposition supprimant l'article 1781 du code civil.

Six années se passèrent encore et ce ne fut qu'en 1879 que M. Demeur déposa un rapport favorable au système du livret facultatif et ce n'est que quatre ans après, le 10 juillet 1883, que le Moniteur publia la loi sur les livrets.

En résumé, le gouvernement de 1845, d'accord avec le roi, et contrairement à l'esprit et à la lettre de la Constitution, admettait que le fait de travailler sans livret était un délit pouvant entraîner 14 jours de prison. De plus, les tribunaux déclarèrent que cet arrêté était illégal, quand on voulait l'appliquer aux patrons, mais parfaitement légal pour frapper les ouvriers, et ce régime abominable ne prit légalement fin qu'en 1883, c'est-à-dire après trente-huit années !


Une seconde inégalité frappait les ouvriers nous voulons parler de l'article 1781 du code civil.

Le code civil, on le sait, ne renferme que deux dispositions relatives au louage des domestiques et des ouvriers, l'article 1780 qui ne permet d'engager des ouvriers que pour un temps limité ou pour une entreprise déterminée, et l'article 1781 dont voici le texte :

« Article 1781. Le maître est cru sur son affirmation :

« Pour la quotité des gages ;

« Pour le payement du salaire de l'année échue ;

« Et pour les acomptes donnés pour l'année courante.»

Cette disposition, disant qu'en cas de contestation entre un ouvrier et un patron sur une question de salaire, le patron est cru sur son affirmation, est également un reste de l'ancien régime féodal.

Son application en Belgique, où la Constitution proclame que tous les citoyens sont égaux devant la loi, ne paraissait pas possible. Il n'en fut rien et maintes fois l'article 1781 fut appliqué, ce qui constituait évidemment une flétrissure pour l'ouvrier, traité une fois de plus en paria, placé hors la loi commune, la Constitution étant pour lui lettre morte !

Dans le Manifeste des ouvriers, de 1866, on protesta contre cet article 1781 du code civil. L'Internationale, d'autre part, fit campagne pour son abolition. Elle trouva, pour la faire, un moyen pratique faire triompher, dans les élections pour le conseil de Prud'hommes, des candidats qui, après avoir prêté serment, donnaient leur démission pour protester contre le maintien, dans nos lois, de cet article.

Plusieurs manifestations de ce genre eurent lieu et appelèrent de nouveau l'attention du public sur cette disposition d'un autre âge. Mais, comme on va le voir, la suppression de cet article ne se fit pas facilement et souleva de vives protestations.

Le 26 novembre 1866, M. Bara, ministre de la justice, proposa à la Chambre l'abrogation de l'article 1781, à un moment où déjà un grand nombre de conseils de Prud'hommes refusaient de l'appliquer.

L'exposé des motifs de son projet de loi constatait que l'article 1781 dérogeait au droit commun, assurait au maître une position privilégiée en justice, et blessait, sous ce rapport, le principe d'égalité consacré par l'article 6 de la Constitution.

Or, la Constitution datait de 1831. Il avait donc fallu trente-cinq années pour s'apercevoir de cette iniquité ! Il avait fallu que les ouvriers protestassent contre cet article qui les frappait d'indignité, pour qu'un ministre prît enfin la décision d'en demander la suppression !

On put croire que le vote de ce projet de loi ne serait qu'une simple formalité parlementaire, que son adoption ne donnerait lieu qu'à un vote unanime.

Il fallut en rabattre !

La Chambre consacra les séances du 22, 24, 31 janvier, 2, 5 et 6 février 1867, à la discussion.

Plusieurs orateurs protestèrent contre la suppression de l'article 1781. D'autres, comme M. Lelièvre, en demandèrent le maintien, mais avec cette restriction que l'article ne serait applicable qu'en l'absence de toute preuve légale, en faveur des domestiques et ouvriers.

Finalement, dans la séance de la Chambre du 6 février 1867, l'abrogation de l'article 1781 fut adoptée par 67 voix contre 30 et 4 abstentions.

Le projet de loi fut envoyé au Sénat.

Le 2 mars 1867, M. Barbanson, sénateur libéral de Bruxelles, déposait un rapport de la Commission de la justice concluant, à l'unanimité, au rejet du projet de loi !

M. Pirmez combattit également le projet qui fut défendu par MM. Bara, ministre de la justice, Van Schoor et Forgeur.

Toute la droite se déclara hostile à l'abrogation de l'article 1781. Le prince de Ligne affirma que cette suppression était inutile ou dangereuse. M. Rogier riposta que si au Congrès national de 1830, quelqu'un avait signalé cet article, qui est une flétrissure pour l'ouvrier, personne n'aurait osé en défendre le maintien.

Le discours que M. Bara prononça au Sénat à cette occasion fut remarquable (séance du 20 mars 1867).

«... C'est un devoir de la société moderne, disait-il, d'étendre à tous les rapports des hommes entre eux les règles de la justice. Si des nécessités graves écartent les citoyens des affaires publiques, qu'au moins ils jouissent de toutes les garanties pour la défense de leurs droits civils ; que le fruit de leur travail leur soit assuré, qu'on les garantisse contre la fraude et la mauvaise foi. »

C'était là une naïveté sans pareille, attendu que les élus, chargés de faire la loi, ne la font jamais qu'en faveur de la catégorie de citoyens qui les élisent. Une classe exclue du droit de représentation n'a rien à espérer d'un législateur élu par une oligarchie censitaire.

M. Barbanson, ayant fait appel à l'opinion des auteurs, des jurisconsultes, pour combattre l'abrogation de l'article 1781, M. Bara lui répliqua :

« Avez-vous besoin d'ouvrir un livre, de consulter qui que ce soit, pour condamner cet article ? Quelle est cette justice où une partie juge elle-même ? Où trouverons-nous, dans notre conscience, la légitimation d'un pareil tribunal ? Supposez un instant qu'au lieu d'une contestation entre un ouvrier et un industriel, il s'agisse d'un procès entre le roi, entre la liste civile, et vous-même. Et que. diriez-vous, messieurs, si la loi, pre¬nant en considération la grandeur du souverain, venait dire : La parole du souverain fera la loi ?

« Vous vous sentiriez humiliés, et vous diriez : la justice est injuste !

« Eh bien, l'article 1781 consacre, pour les ouvriers, la même iniquité, la même humiliation. »

Après avoir rappelé qu'au temps de l'esclavage il y avait aussi des ouvriers et, que sous le régime du droit romain, jamais le prêteur n'avait pensé que le procès serait terminé par l'affirmation du maître ; qu'en Angleterre, les rapports de l'ouvrier et du patron sont régis par le droit commun ; qu'en Italie, pays qui avait aussi le c ode Napoléon, on en était revenu au droit commun, et qu'enfin en Russie, les ouvriers jouissaient d'un régime plus favorable que le nôtre en cas de contestation avec leurs maîtres, M. Bara s'écria :

« Ne venez pas dire que l'ouvrier subit la loi qu'il s'est faite, qu'il y a là une convention. L'ouvrier ne s'est pas fait cette loi. C'est la loi civile qui, injustement, vient lui enlever un droit qui appartien t à tous les autres citoyens, et ce au mépris des principes les plus incontestables de la justice, des notions les plus vulgaires de l'équité.»

Citons encore ces dernières paroles du ministre de la justice, qui démontrent tout l'odieux du maintien dans la loi de l'article 1781 :

« Voyez, messieurs, s'écria-t-il, l'indignité de la loi : Voici un maître condamné pour vol, mais à une peine qui n'a pas entraîné pour lui la perte du droit de prêter serment ; voilà un homme dix fois flétri en justice, pour escroquerie, abus de confiance, attentats aux mœurs. Un honnête domestique s'égare chez lui ; il a eu la médaille d'honneur pour avoir prouvé sa probité en vingt circonstances. Une contestation s'élève entre lui et son maître, il réclame son salaire. Le maître est voleur, le passé le dit, l'opinion publique le répète et le juge doit, après le serment de ce maître indigne de la moindre foi, renvoyer l'ouvrier et lui dire : la loi proclame que tu es un menteur et un voleur, tu as réclamé ce qui t'avait été payé.

« Et c'est ça de la justice, et c'est au XIXe siècle qu'il faut perdre des heures et faire des efforts pour faire disparaître de nos lois de semblables monstruosités ! Oh ! messieurs, quand plus tard on verra la lutte que le gouvernement soutient en ce moment, on ne voudra pas croire qu'au milieu de toutes nos prospérités et de nos splendeurs, il ait fallu faire tant d'efforts pour démontrer ce que la conscience proclame avec tant de facilité.

« Je termine, messieurs, j'ai honte d'avoir dû tant dire pour plaider une cause gagnée devant l'opinion. J'attends avec regrets, mais sans désenchantement, la solution négative que vous allez donner. »

Rien n'y fit en effet :

M. Barbanson, sénateur libéral de Bruxelles, répliqua à M. Bara et MM. Rogier, Bischoffsheim, Van Schoor et Forgeur défendirent en vain le projet de loi. Par 39 voix contre 12, le sénat, dans sa séance du 22 mars 1867, refusa de supprimer l'odieux article 1781.

Un an après ce vote du sénat belge, le corps législatif de France vota la suppression de l'article 1781 du code civil, à l'unanimité, et au sénat français, le projet ne rencontra que trois voix opposantes. Le 2 août 1868, l'article 1781 du code Napoléon était abrogé en France.

En Belgique, le vote du sénat souleva de vives protestations.

Au mois de décembre 1869, le conseil de prud'hommes de Bruxelles, à l'unanimité de ses membres - patrons et ouvriers - déclara que, tous les Belges étant égaux devant la loi, il n'y avait pas lieu de déférer le serment à l'ouvrier qui était plaignant, dans un conflit avec son patron.

Depuis cette date, l'article 1781 ne fut plus appliqué, mais il n'en resta pas moins inscrit dans les lois du pays jusqu'en 1883, ce qui prouve combien les injustices les plus odieuses ont la vie dure, combien la classe ouvrière fut dédaignée par les élus des électeurs censitaires, et combien sont mensongères, en fait, les constitutions et les lois proclamant l'égalité des citoyens, la suppression des distinctions, aussi longtemps qu'existe l'inégalité politique, le privilège électoral !


En règle générale, les ouvriers belges furent pendant longtemps traités comme des êtres inférieurs, comme des mineurs, des incapables ; lorsque par hasard la classe dirigeante, souvent contrainte et forcée, s'occupa de leur accorder quelques droits, ce fut toujours avec une certaine parcimonie et avec une forte dose de méfiance.

Nous en avons un nouvel exemple dans la loi sur les conseils de prud'hommes.

On sait que c'est en 1806 que fut créé, à Lyon, le premier conseil de prud'hommes. Cette création est due à Napoléon 1er.

Deux décrets de 1809 et 1810 complétèrent l'œuvre ébauchée à Lyon, et bientôt toutes les villes manufacturières de France furent dotées d'institutions de ce genre.

Alors que la Belgique se trouvait sous la domination française, la ville de Gand fut dotée d'un conseil de prud'hommes, par un décret du 28 août 1810, et Bruges par un autre décret daté du 1er mars 1813.

A l'origine, les prud'hommes étaient des arbitres, des conseils, mais ils étaient dépourvus de tout moyen capable de donner force de loi à leurs décisions.

Une loi du 9 avril 1842 vint régulariser l'existence constitutionnelle des conseils de prud'hommes de Gand et de Bruges, et permit d'en instituer d'autres. Les premiers furent constitués dans les principales villes manufacturières des Flandres, à Ypres, Courtrai, Renaix, Saint-Nicolas, Termonde, Lokeren, Alost, Roulers, où il existait un grand nombre d'artisans, notamment de tisserands à la main, travaillant à domicile et qui étaient souvent en conflit avec leurs patrons.

Ces conseils de prud'hommes, en vertu de la loi, se composaient de deux classes : celle des chefs d'industries ou négociants-fabricants, et celle des chefs d'ateliers ou ouvriers.

La classe des patrons, avait la majorité dans les conseils, c'est-à-dire que ceux-ci étaient composés d'un patron en plus que le nombre des conseillers ouvriers !

Pour être électeur et éligible, il fallait notamment « être patenté », mais dans la pra¬tique on dut s'écarter de ce principe, faute de trouver des ouvriers réunissant la qualité de patentable.

L'élection avait lieu en une seule réunion où se trouvaient réunis les électeurs patrons et quelques électeurs ouvriers, principalement des contremaîtres, et c'est ainsi que les patrons, non contents d'avoir la prépondérance du nombre dans ces conseils, aidaient encore à désigner leurs contremaîtres pour y représenter les ouvriers !...

Les conseils de prud'hommes, en vertu de la loi belge de 1842, non seulement avaient à se prononcer sur les différends surgissant entre patrons et ouvriers pour ce qui concerne le salaire, mais ils avaient encore le droit d'infliger des peines disciplinaires, pour tout fait tendant à troubler l'ordre ou la discipline dans l'atelier. Et ces peines allaient jusqu'à trois jours de mise aux arrêts !

Voilà quelle fut l'organisation des conseils de prud'hommes d'après la loi de 1842 ; elle fut conforme à l'esprit de méfiance du monde dirigeant à l'égard des travailleurs manuels.

Cette loi fut modifiée en 1859.

Le projet fut discuté pendant de longues séances, tant au sénat qu'à la Chambre. M. Henri de Brouckère le critiqua vivement, lui reprochant d'être conçu dans un faux esprit progressif, dans l'intérêt exclusif des ouvriers et en vue de diminuer la prépondérance des fabricants !

M. Rogier lui répondit que c'était là une grave erreur ; « que le projet de loi ne se présentait pas comme populaire et progressif, et qu'il n'était nullement une émanation des idées de 1848 ! »

M. Rogier avait raison, mais le discours de M. Henri de Brouckère - qu'il ne faut pas confondre avec Charles de Brouckère, qui fut bourgmestre de Bruxelles - montre bien quel était l'état d'esprit des dirigeants de cette époque, à l'égard des ouvriers.

Les conseils de prud'hommes, en vertu de la loi de 1859, furent composés de dix membres au moins et de seize au plus, choisis moitié parmi les chefs d'industries et moitié parmi les ouvriers.

C'était l'égalité. Mais en fait, cette égalité n'existait point, puisque le président était toujours un patron et que dans toutes les délibérations, en cas de partage, la voix du président était prépondérante, c'est-à-dire comptait pour deux !

Autre inégalité choquante de la loi : tous les patrons étaient électeurs de droit.

Pour être électeur prud'homme, il ne suffisait pas d'être ouvrier ; il fallait encore ou avoir obtenu une distinction spéciale instituée pour l'habileté et la moralité, ou posséder un livret de la Caisse d'épargne se montant au moins à cent francs ; ou avoir obtenu une récompense pour acte de courage et de dévouement !

En d'autres termes, il y avait toujours deux poids et deux mesures ; on plaçait les ouvriers dans un état d'infériorité vis-à-vis des patrons.

C'étaient les administrations communales qui étaient chargées de dresser les listes provisoires des électeurs, mais la députation permanente révisait ces listes provisoires, statuait sur les réclamations et arrêtait les listes définitives.

Enfin, c'était le roi qui nommait le président et les vice-présidents des conseils de prud'hommes, au lieu de laisser à ceux-ci la liberté de se constituer comme ils le désiraient.


Le même esprit de méfiance présida à l'élaboration de la loi de 1851 sur les sociétés de secours mutuels.

Pour obtenir la personnification civile, ces sociétés devaient souscrire aux obligations suivantes :

D'abord, le bourgmestre ou un membre du conseil communal, délégué à cet effet, avait le droit d'assister à toutes les séances de la société. En outre, celle-ci avait l'obligation d'adresser à l'administration un compte de ses recettes et de ses dépenses, et de répondre à toutes les demandes de renseignements que l'autorité lui transmettrait sur des faits la concernant.

Pour terminer sur ce point, rappelons que la reconnaissance légale pouvait être retirée à toute société qui tendait « directement ou indirectement à favoriser les coalitions ou à susciter des désordres ! »


Sous l'ancien régime, les ouvriers et les patrons, réunis en corporations de métiers, réglementaient l'organisation du travail, le taux des salaires, etc.

Les corporations furent supprimées et il fut défendu aux ouvriers de se réunir, de s'associer, « dans le but de défendre leurs prétendus intérêts professionnels. ».

La coalition, c'est-à-dire l'entente établie entre les ouvriers pour obtenir de meilleures conditions de travail, fut considérée comme un délit. Ce fut dans la loi du 22 germinal an XI que le délit de coalition fut, pour la première fois, prévu et défini, et ce furent ces dispositions qui furent reproduites dans le code pénal de 1810.

Ce code pénal de 1810 fut appliqué à la Belgique lors de sa réunion à la France ; plus tard aussi, sous le régime hollandais, et, chose bizarre, après le vote de la Constitution belge !

Or, la Constitution proclame la liberté de réunion et la liberté d'association. Pourquoi serait-il défendu à une association de s'occuper d'améliorer la condition de ses membres, en s'entendant pour faire augmenter les salaires ou pour diminuer le nombre des heures de travail journalier ? Imposer pareille interdiction, n'était-ce pas déclarer que le chômage est un fait punissable et que le désir d'une augmentation de salaire est un désir que la loi condamne. (Pierre Van Humbeeck, Des coalitions de maîtres et d'ouvriers, dans la Belgique judiciaire de 1859).

C'est cependant ce qui arriva, et les coalitions d'ouvriers furent punies de la peine de prison, en Belgique, comme elles le furent en France, pays où n'existaient point, comme chez nous, la liberté de réunion et la liberté d'association.

On chercha, il est vrai, à rendre égales les dispositions du code pénal concernant les coalitions entre les fabricants, les marchands et les ouvriers, mais en fait et en règle générale, il en fut du délit de coalition comme de l'arrêté de 1845 relatif aux livrets d'ouvriers : la loi ne frappa que les travailleurs. C'est ce qui la rendit odieuse, de mauvaise qu'elle était : mauvaise pour tous ceux qu'elle eut pour objet de frapper ; odieuse en ce qu'elle n'atteignait que les seuls ouvriers.

En Angleterre, par contre, dès 1825, les coalitions furent autorisées, déclarées légales. Depuis cette époque, ceux qui les forment peuvent prendre entre eux les engagements qu'il leur plaît ; mais ils ne peuvent rien faire qui engage ceux qui ne font pas partie de l'association à se soumettre à ses décisions.

Dans ses Etudes sur l'Angleterre, M. Louis Faucher écrit à ce sujet : « Les Anglais ont poussé jusqu'à ses dernières conséquences la théorie du salaire. Ils ont voulu non seulement que le prix du travail fût librement débattu entre les ouvriers et les maîtres, mais que les uns comme les autres eussent la faculté de se concerter sur les intérêts qui leur étaient communs. Dès l'année 1825, les lois qui frappaient les coalitions d'interdit ont été rapportées sur la proposition de M. Hussel ; et, depuis ce moment, le pouvoir légal n'intervient plus dans les débats industriels que pour réprimer les violences qui alarment ou qui troublent la société. »

Malgré la loi interdisant les coalitions, des grèves eurent lieu cependant en Belgique, à diverses reprises, et chaque fois les grévistes et les soi disant meneurs furent condamnés sévèrement.

En 1856, notamment, les tribunaux de Gand et de Tournai condamnèrent plusieurs ouvriers à des peines variant de 15 jours à six mois de prison, pour s'être rendus coupables du délit de coalition !

La même année, vingt-neuf membres de l'Association libre des compositeurs et imprimeurs typographes de Bruxelles furent poursuivis et condamnés, pour la plupart, à une amende de vingt francs chacun et aux frais du procès. Parmi ces condamnés se trouvaient M. A. Fischlin, qui devint plus tard patron imprimeur, et Dauby, qui fut directeur du Moniteur belge.

Ils furent défendus par Maîtres Max Veydt et Ed. De Linge (Histoire de l'Association libre des compositeurs et imprimeurs typographes de Bruxelles, 1842-1892. Bruxelles, imp. Weissenbruch, 1892).

La même année, le 29 avril, l'Association des typographes de Bruxelles résolut d'organiser un vaste pétitionnement en faveur de l'abrogation de la loi sur les coalitions.

Une réunion eut lieu au Cygne, Grand'Place. On y avait convoqué diverses asso-ciations ouvrières, de secours mutuels pour la plupart : bijoutiers, garnisseurs en meubles, bottiers, serruriers, sculpteurs, imprimeurs, pressiers, mécaniciens, tailleurs, etc.

Dans une nouvelle réunion, qui eut lieu au même local, le 11 mai suivant, le texte de la pétition à adresser aux Chambres fut enfin arrêté. En voici les passages principaux :

« Les lois sur les coalitions et sur les enrôlements d'ouvriers pour l'étranger, que les auteurs du code ont empruntées, purement et simplement, à la législation de l'ancien régime, datent d'une époque où la liberté du travail n'existait point ; où la rémunération des travailleurs était abandonnée à la discrétion des maîtres, où la loi établissait même un maximum pour le prix du travail, comme pour ceux des autres marchandises ; mais où, en revanche, les coutumes et les règlements des corporations, à défaut de prescriptions légales, imposaient aux maîtres l'obligation de venir en aide aux ouvriers, lorsque l'âge ou la maladie mettait ceux-ci hors de service.

« Ce régime a disparu, depuis la révolution de 1789, et la liberté du travail a été inscrite dans notre constitution, sinon dans notre code. Les entrepreneurs d'industrie et les ouvriers sont devenus, du moins, en principe, également libres, également indépendants les uns vis-à-vis des autres. L'entrepreneur peut se procurer des ouvriers où bon lui semble et aux conditions qui lui conviennent ; en outre, le salaire payé, il n'a plus aucune obligation à remplir envers eux. L'ouvrier, de son côté, peut ou doit pouvoir disposer de son travail à sa guise, le porter dans les endroits où il espère en tirer le parti le plus avantageux, refuser même de travailler si les conditions qu'on lui offre ne lui conviennent point. Telles sont les conditions naturelles du régime de la liberté du travail.

« Or, les dispositions du code pénal qui interdisent les coalitions et qui font obstacle aux enrôlements des travailleurs pour l'étranger, établissent entre les maîtres et les ouvriers une déplorable inégalité, et cette inégalité va croissant, à mesure que les grandes manufactures se substituent davantage aux petits ateliers, sous l'impulsion irrésistible des progrès de l'industrie.

« En effet, quelle est, dans une grande manufacture, où se trouve rassemblé un nombreux personnel de travailleurs, la situation de l'ouvrier qui veut faire usage du droit que la Constitution lui reconnaît de débattre librement les conditions de son travail ? S'il réclame isolément une augmentation de salaire, sa réclamation ne sera point écoutée et elle l'exposera, neuf fois sur dix, à être renvoyé de l'atelier. S'il se concerte avec ses camarades, ou même s'il arrive que plusieurs ouvriers réclament, d'une manière simultanée, mais sans s'être entendus, une augmentation de salaire, et s'ils refusent de continuer à travailler à l'ancien prix, ils s'exposent à ce qu'on leur applique les lois sur les coalitions, c'est-à-dire à ce qu'on leur fasse subir un emprisonnement d'un mois à cinq ans au plus. Or, un emprisonnement a, pour l'ouvrier, des conséquences particulièrement funestes. Car, du moment où il cesse de pouvoir soutenir sa famille, celle-ci est presque toujours réduite à recourir à la charité pu¬blique. Une condamnation à la prison pour le mari ou pour le père, c'est une condamnation à la misère pour la femme et les enfants.

« Sans doute, les ouvriers ont pour ressource dernière de quitter les ateliers et les localités où ils ne peuvent obtenir un salaire suffisant ; ils ont le droit de se déplacer ; mais, sans parler des difficultés inhérentes à tout changement de lieu, ils manquent généralement des informations nécessaires pour se déplacer avec fruit ; la publicité qui est organisée, sur une échelle si vaste pour le déplacement des produits ou des capitaux, n'existe pas encore pour celui du travail.

« Que cette législation, empruntée à une époque de servitude, exerce une influence funeste sur la condition des classes ouvrières, cela ne saurait, croyons-nous, être contesté. Depuis quinze ans, notre commerce extérieur a plus que doublé, et les profits des entrepreneurs et des négociants se sont accrus en conséquence. Dans le même intervalle, le revenu des propriétés foncières s'est augmenté de plus de 50 pour cent, les documents officiels en font foi, tandis que les salaires des classes ouvrières sont loin d'avoir suivi la progression du prix des choses nécessaires à la vie.

« La réforme de cette législation, qui contribue à abaisser d'une manière artificielle la rémunération du travail, serait donc bienfaisante au plus haut degré pour les classes ouvrières. Serait-elle, en revanche, comme quelques-uns l'affirment, nuisible aux entrepreneurs et compromettante pour l'ordre public ?

« Nous ne le pensons pas. Nous sommes convaincus, au contraire, que les entrepreneurs sont intéressés, comme les ouvriers, à l'abrogation d'une législation injuste et inégale, l'injustice tournant toujours, en définitive, au détriment de ceux-là mêmes qu'elle semble favoriser. C'est ainsi que l'expérience de tous les jours démontre que l'avilissement des salaires abaisse la qualité du travail, de manière à compenser et au delà l'économie réalisée sur la rémunération des travailleurs. D'ailleurs, lorsque le salaire ne suffit plus, c'est à la charité publique que l'ouvrier s'adresse pour obtenir le supplément qui lui est nécessaire pour subsister, et l'entrepreneur d'industrie n'est-il pas obligé de supporter sa part de l'augmentation des charges du paupérisme ?

« Nous ne sommes pas moins convaincus que les lois sur les coalitions et sur les enrôlements d'ouvriers sont nuisibles à l'ordre public, d'abord en rendant les coalitions mêmes plus fréquentes par le développement des causes qui les provoquent, ainsi qu'on en a eu la preuve en Angleterre, où les coalitions sont devenues moins nombreuses depuis qu'elles ont été permises ensuite en semant des germes funestes d'irritation entre les maîtres et les ouvriers, alors qu'il serait si désirable que des sentiments de bienveillance et d'affection mutuelle rattachassent toujours les chefs d'industrie et leurs coopérateurs. »

Dans la séance de la Chambre du 2 juin 1858, M. Léopold Frison, député d'Ath, parlant au nom de la commission des pétitions, analysa celle-ci et déclara qu'à son avis les dispositions pénales sur les coalitions font tache dans l'ensemble de nos institutions sociales, qui ont la liberté pour base ; mais ce fut tout et aucune suite ne fut donnée à la réclamation des pétitionnaires.

En 1858, des ouvriers charpentiers d'Ostende s'étaient mis en grève pour obtenir une augmentation de salaire. Quinze d'entre eux furent poursuivis devant le tribunal correctionnel de Gand et condamnés.

Les cinq ouvriers qui s'étaient rendus en délégation, au nom de leurs camarades, auprès des patrons, furent condamnés à trois mois de prison.

Quatre ouvriers eurent à subir un mois, et les six derniers de 8 à 15 jours d'emprisonnement !

En 1859 et 1860, l'agitation continua en faveur de la suppression de la loi sur les coalitions. Des centaines de pétitions furent adressées aux Chambres. A Bruxelles et à Gand surtout, les ouvriers étaient très montés contre le régime qui leur était imposé, alors qu'ils voyaient les fabricants et les industriels s'entendre librement pour réduire les salaires.

Pendant ce temps, la Chambre et le Sénat avaient abordé la discussion de la révision du code pénal, Le projet du gouvernement maintenait le régime en vigueur en matière de coalition qui restait considérée comme un délit.

Ce ne fut qu'en 1866 que M. Bara, ministre de la justice, proposa de détacher du code pénal les articles relatifs aux coalitions et d'en faire un projet spécial.

Le projet fut d'abord soumis au sénat, et M. d'Anethan fit un rapport favorable. Il fut voté à l'unanimité, presque sans discussion, le 17 mai 1866.

Le droit de coalition devenait libre, était reconnu, mais les violences étaient réprimées.

L'article 2 du projet, qui en forme la portée essentielle, était ainsi conçu :

« Art. 2. Sera puni d'un emprisonnement de 8 jours à 3 mois et d'une amende de 26 à 1,000 francs, ou de l'une de ces deux peines seulement, toute personne qui, dans le but de faire la hausse ou la baisse des salaires, ou de porter atteinte à l'exercice de l'industrie ou du travail, aura commis des violences, proféré des injures ou des menaces, prononcé des amendes, des défenses, des interdictions ou toutes prescriptions quelconques, soit contre ceux qui travaillent, soit contre ceux qui font travailler.

« Il en sera de même de ceux qui, par des rassemblements près des établissements où s'exerce le travail ou près de la demeure de ceux qui les dirigent, auront porté atteinte à la liberté des maîtres ou des ouvriers. »

Lorsque le projet vint à la Chambre, M. Eudore Pirmez demanda l'ajournement de la discussion, tant en son nom qu'au nom de M. Tesch, l'ancien ministre de la justice. M. Pirmez n'était pas d'accord avec le gouvernement. Il ne pouvait, disait-il, admettre le projet adopté par le sénat, et il parla ensuite du danger des grèves, du rôle des meneurs, etc., etc.

MM. Bara, Couvreur et Van Humbeeck protestèrent contre l'ajournement du débat, mais M. Dumortier, député catholique, approuva la proposition de M. Pirmez.

On passa au vote et l'ajournement ne fut repoussé qu'à deux voix de majorité : 37 contre 35.

M. L. Hymans, qui avait voté pour l'ajournement, se leva alors pour dire que la Chambre ne semblait pas prête à discuter utilement et proposa de mettre à l'ordre du jour de la séance du lendemain quelques petits projets. Cela se passait le 17 mai, c'est-à-dire à la fin de la session.

M. Orts, rapporteur, s'écria, avec raison : « C'est l'ajournement, sans la franchise !... »

Et la discussion continua.

Finalement, le projet fut adopté par 66 voix contre 6 et une abstention, celle de M. Pirmez.

Désormais, l'entente entre les ouvriers et la grève devenaient légales ! Ce droit fut reconnu aux travailleurs belges, alors que les ouvriers anglais en jouissaient depuis plus de soixante années. Mais il fut entouré de prescriptions minutieuses, renforcées encore depuis lors, et qui souvent vinrent annihiler la liberté des coalitions pour les ouvriers.


La situation des enfants employés dans l'industrie fut souvent discutée en Belgique.

On sait que, dès 1802, le parlement anglais vota une loi ayant pour but de garantir la santé et la moralité des apprentis employés dans les filatures de coton et de laine, et qu'en 1838 une loi générale fut votée. On sait aussi qu'en 1839, la Prusse, et en 1842, la France entrèrent dans la même voie, de même que l'Autriche, la Bavière, le Grand-Duché de Bade, etc.

En Belgique, l'exploitation de l'enfance par l'industrie ne connut aucun frein.

A plusieurs reprises, la question du travail des jeunes enfants préoccupa cependant l'opinion publique.

En 1844, M. André Le Pas, publiait dans la Nouvelle Revue de Bruxelles une étude sur la situation de la classe ouvrière de Verviers, et dans laquelle il se plaignait amèrement de l'état de prostration de nos travailleurs.

« Voulez-vous assister à un triste spectacle, écrit-il, regardez la foule des ouvriers se rendre aux ateliers ou en sortir. Vous ne verrez pas sur un visage d'homme les couleurs de la santé. Tous sont pâles et quelquefois livides, et nombre d'entre eux sont horriblement contrefaits. »

Quelle est la cause de ce mal ? M. Le Pas désigne cette cause « l'emploi prématuré des enfants aux travaux des manufactures, alors qu'ils sont pour ainsi dire encore en germes, que ni leur poitrine, ni leurs membres ne sont développés, et qu'on les emprisonne pendant une longue et laborieuse journée dans les ateliers où ils ne respirent qu'un air, sinon véritablement délétère, du moins dénué de ces qualités bienfaisantes nécessaires à l'entretien, mais surtout au développement de tout ce qui a vie. »

A la même époque, Edouard Ducpétiaux publiait son ouvrage De la condition physique et morale des jeunes ouvriers (Bruxelles, Méline, Cans et Cie, 1843, 2 volumes ) et le gouvernement organisait une enquête (Les résultats de cette enquête furent publiés en trois gros volumes, chez Lesigne, Bruxelles, de 1846 à 1848) qui révéla des faits vraiment monstrueux, mais aucune mesure ne fut prise, bien que d'autres pays fussent entrés déjà dans la voie de la réglementation.

En 1848 et après, des ouvriers réclamèrent une législation protectrice du travail, mais leur voix n'eut aucun écho. Chose curieuse, en 1852 et en 1853, ce furent des industriels gantois qui pétitionnèrent à la Chambre pour demander le vote d'une loi réglant la durée du travail dans les manufactures, surtout dans le but de protéger les enfants. Mais eux aussi parlèrent dans le désert, car l'idée générale du monde gouvernemental, c'était que l'Etat n'avait pas a intervenir en pareille matière...

Les abus continuèrent donc. D'une enquête faite en 1869 sur l'emploi des enfants dans les mines et l'industrie métallurgique, il ressort que dans le Hainaut, par exemple, 40 enfants de 8 à 10 ans, et 2,327 de 10 à 12 ans étaient occupés dans les charbonnages !

Et ce ne sont pas seulement les industriels qui exploitent odieusement les jeunes enfants ; dans un grand nombre de localités, dans les écoles libres, les écoles dentellières, sous prétexte d'instruction, on se livrait à une exploitation effrénée de l'enfance, même dès l'âge de cinq ou six ans !

Dans une étude publiée en 1865 par M. Léon Lebon, fonctionnaire du Ministère de l'Intérieur, étude qui revêtait ainsi en quelque sorte un caractère officiel, on pouvait lire les passages que voici :

« Le régime et l'organisation des ouvroirs, écrivait M. Léon Lebon, laissent beaucoup à désirer. Les locaux d'un grand nombre d'établissements sont insalubres, le travail imposé aux élèves est excessif et l'enseignement primaire est complètement négligé. Ainsi s'exprime le dernier rapport triennal. Le nombre de ces établissements a diminué de 244, soit de 30 p.c., dans l'espace de trois années. On en compte en tout 738, dont 525 sont entièrement libres, 189 adoptés et 24 communaux seulement. Ils sont fréquentés par plus de 37,000 élèves, dont 34,000 filles. Comparé à la population de 1857, ce chiffre présente une diminution de plus de 7,000 élèves ; 23,500 sont âgés de moins de quinze ans.

« Ces institutions appartiennent en majeure partie aux deux Flandres. Les unes sont tenues par des religieuses, adoptées, au moins pour la plupart ; les autres sont entièrement libres. Bon nombre d'écoles de religieuses se trouvent établies dans des locaux spacieux et bien aérés. Mais on n'y consacre guère plus d'une demi-heure par jour à l'enseignement. Dans les écoles libres, on entasse de malheureux enfants de 8 à 10 ans, à qui l'on fait faire de la dentelle, durant 11 à 12 heures par jour, sans leur donner le moindre enseignement littéraire. Ces deux catégories d'institutions se font une concurrence acharnée, d'autant plus que le gain hebdomadaire, dont le montant est susceptible de varier d'une école à l'autre, ne fût-ce que de quelques centimes, est le seul mobile qui guide les parents dans le choix des établissements. Le temps consacré à l'enseignement est considéré comme perdu. Lorsqu'on engage une institutrice à donner plus d'étendue à la culture intellectuelle de ses élèves, elle répond qu'elle devrait diminuer légèrement leur salaire et que la plus petite réduction amènerait la désertion de son école. Plutôt que d'adopter la mesure qu'on lui propose, elle serait toute prête à renoncer à l'adoption. Dans la plupart des écoles, les enfants sont classées en apprenties qui ne gagnent rien, et en élèves formées, qui seules gagnent quelque chose. On emploie ainsi les plus jeunes filles à un travail opiniâtre et gratuit, au profit d'un entrepreneur.

« Enfin, l'on semble s'être donné le mot pour tenir cette génération de travailleuses dans un état complet d'ignorance. La passion du lucre est l'unique mobile des personnes qui se livrent à cette honteuse spéculation ; et ces personnes, ce ne sont pas les maîtresses d'école, ce sont les propres parents des élèves, qui ne craignent qu'une chose la diminution du salaire de leurs enfants (5ème rapport triennal).»

Voici, au sujet de ces établissements, ce que dit le rapport fait à la députation permanente de la Flandre orientale en 1862, par M. Vanden Bulcke, commissaire de l'arrondissement de Bruges-Ostende :

« L'emploi des fonds votés par les Chambres en faveur de l'enseignement a produit de grands et heureux résultats ; mais si l'on tient à généraliser le bienfait, si l'on veut qu'il se répande sur tous les points, même les moins importants, du territoire, il est nécessaire que le pays fasse de nouveaux efforts et consacre à cette œuvre de civilisation en même temps que d'humanité, de plus larges capitaux. On verra se multiplier des établissements communaux destinés d'un côté à combler une lacune dont on apprécie de plus en plus l'étendue et de l'autre à combattre cette espèce de servage et d'abrutissement moral qui sont l'apanage de beaucoup d'écoles libres.

« Celles-ci, on le sait, partout où elles existent, ont en apparence un caractère mixte ; elles prennent pour enseigne l'instruction et le travail ; mais dans un grand nombre d'entre elles, alors surtout qu'elles sont éloignées de la partie centrale des habitations, l'instruction n'est que le prétexte, et l'on ne connaît que le travail seul, le travail continu et sans trêve ni repos, depuis l'aube du jour jusqu'à son déclin et même au-delà si la tâche, imposée pour la journée, n'est pas remplie !

« Dans cette situation faite à de jeunes enfants, n'y a-t-il pas un abus exorbitant et intolérable ?

« La question semble digne de fixer l'attention du gouvernement ; dans divers pays, l'on s'est efforcé de régler par la loi les heures de travail dans les manufactures ; une mesure analogue devrait limiter les heures de travail dans les écoles publiques ou privées où l'on s'occupe de la fabrication.

« L'amour immodéré du gain, soit de la part des parents, soit de la part des maîtres, n'autorise pas d'infliger à de faibles créatures, souvent exténuées de besoin, une véritable torture, qui, en les immobilisant en quelque sorte à leur place, les flétrit avant l'âge et les rend dans l'avenir impropres à toute autre occupation.

« On le voit, dans ces établissements, auxquels on donne un peu abusivement le nom d'écoles, le travail manuel des enfants fait l'objet de critiques aussi sévères que celles auxquelles donne lieu le travail des enfants dans les manufactures et dans les houillères. » (Léon LEBON, De l'Instruction primaire en Belgique, d'après les documents officiels de 1830 à 1864, Bruxelles, Mucquart, 1865.)

Quinze années plus tard, dans le cours de l'enquête scolaire, des faits aussi monstrueux concernant l'exploitation des enfants dans les ouvroirs et les écoles dentellières furent encore dévoilés par M. de Ridder, professeur à l'Université de Gand.

Malgré cela, les pouvoirs publics continuèrent à se croiser les bras. En 1868, l'Académie de médecine fit à son tour une enquête sur les conséquences du travail des femmes et des enfants dans les mines. Peu de temps après, le 13 janvier 1869, un député de Bruxelles, M. Funck, demanda à la Chambre que l'on réglemente le travail des enfants dans les mines et les manufactures. M. d’Elhoungne appuya cette proposition, mais Eudore Pirmez se leva et déclara que l'Etat n'avait aucune compétence en matière industrielle et que la liberté suffit...

M. Frère-Orban soutint la même idée et proclama « que la réglementation du travail est une forme de servitude ! »

Ce n'est que vingt ans plus tard que la Belgique fut dotée enfin d'une loi réglementant le travail des femmes et des enfants

A quoi bon faire des réflexions sur ce qui précède ? Les faits rappelés par nous parlent assez haut et démontrent dans quel état d'abaissement nos classes laborieuses furent tenues par les classes dirigeantes, sans distinction. Ils démontrent aussi que si, dans la suite, les inégalités les plus choquantes et les injustices les plus criantes ont pris fin, c'est à la suite des protestations et des efforts de la classe ouvrière elle-même.

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