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Histoire de la démocratie et du socialisme en Belgique depuis 1830
BERTRAND Louis - 1907

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Louis BERTRAND, Histoire de la démocratie et du socialisme en Belgique depuis 1830

(Tome second, paru en 1907 à Bruxelles, chez Dechenne et Cie)

Tome II. Troisième partie : De 1850 à la Chute de l’Internationale (1874)

Chapitre I. Situation générale de l’Europe de 1850 à 1874

La république française étouffée par Louis Napoléon - Le coup d'Etat du 2 décembre 1851 - L'Europe - Réaction en Europe - L'Eglise catholique - Le libéralisme - Le socialisme - Grande prospérité économique - Le socialisme se réveille vers 1860

Nous avons vu comment la révolution du 24 février 1848 échoua et quelles furent les causes principales de cet échec. Dès le début, la lutte s'engagea entre les socialistes et les républicains bourgeois formalistes. Le suffrage universel, à son tour, donna une arme terrible aux mains des paysans ignorants auxquels on persuada qu'en travaillant au succès des Rouges, l'on avançait l'heure du partage des biens.

Le 10 décembre 1848, Louis Napoléon se fit élire président de la République par cinq millions et demi de suffrages sur sept millions de voix émises. Son mandat était de quatre ans et il n'était pas rééligible. Le 2 décembre 1851 eut lieu le coup d'Etat ; Napoléon fit emprisonner et déporter les principaux chefs du parti républicain et, cette besogne accomplie, il convoqua un sénatus-consulte qui le proclama empereur héréditaire...

Napoléon III rétablit ainsi la monarchie en s'appuyant sur le suffrage universel qui, sans liberté de la presse, de réunion et d'association, est une dérision. Le peuple était nominalement souverain. Il y avait une Chambre élue par lui, mais cette Chambre n'était là que pour approuver ce que demandaient l'Empereur et ses ministres. La Chambre, en effet, n'avait le pouvoir ni d'élire son président, ni de faire son règlement, ni de présenter un amendement aux lois qu'on lui présentait à voter, ni de modifier le budget, car elle devait accepter ou rejeter en bloc le budget de tout un ministère. Ses débats n'étaient publiés que sous forme d'un compte rendu officiel et la session ne durait que trois mois (Voir Histoire de la Civilisation contemporaine, par Ch. Seignobos).

Tous les citoyens étaient électeurs, mais en fait il n'y avait que les candidats officiels qui avaient des chances de se faire élire. Les candidats de l'opposition n'avaient aucun moyen de lutter efficacement, les réunions électorales étant interdites, sous prétexte qu'elles étaient contraires à la liberté des électeurs ! La distribution des bulletins de vote était interdite et, à partir de 1858, tout candidat aux élections législatives était obligé d'envoyer d'avance et par écrit un serment de fidélité à l'Empereur.

Ce n'est pas tout. Les circonscriptions électorales étaient réglées, par un simple décret, pour cinq années et arrangées de façon à donner la majorité au candidat officiel.

La presse politique n'avait aucune liberté d'allure : tous les journaux étaient soumis à la censure des préfets et, pour en fonder un nouveau, il fallait une autorisation. La liberté individuelle était inscrite dans la Constitution, mais en fait la police faisait surveiller tous les mécontents et les faisait arrêter au moindre soupçon. Ce système odieux de gouvernement dominait le pays de telle façon que, de 1857 à 1863, il n'y eut que cinq députés de l'opposition qui parvinrent à se faire élire.

Cela dura jusqu'en 1869, époque où l'Empire devint libéral.

En 1870, la guerre franco-prussienne about à Sedan. Le 4 septembre, la République fut proclamée à Paris. Après un long siège, Paris capitula, la paix fut signée et, la République étant en danger, Paris se leva et proclama la Commune qui fut étouffée dans le sang pendant les terribles journées de mai 1871.

Pendant près de vingt ans, le système politique autoritaire, absolutiste de l'Empire français donna le ton à l'Europe et, après la secousse démocratique de 1848, la réaction y reprit le dessus.

Cette période de réaction politique, de deuil de la liberté, fut caractérisée par une expansion économique et industrielle considérable. Ce fut l'époque des grandes entreprises de chemins de fer, du développement de l'industrie. Il s'ensuivit une grande prospérité économique. Certains déclarèrent que cette prospérité était due au régime impérial. Ce qui est plus vrai, c'est que ce régime subsista si longtemps à cause de la prospérité industrielle et commerciale, qui améliora la condition matérielle du peuple par l'augmentation des salaires (Note de bas de page : En Belgique, dans l'industrie houillère, qui peut être prise comme indication générale, le salaire annuel, qui était de 464 francs en 1850, monta à 725 francs en 1860 et 878 francs en 1870. Le nombre de chevaux-vapeurs qui était en 1850 de 65,930 monta en 1870 à 348,246.)

Néanmoins la réaction fut terrible en Europe pendant ces années. La France semblait dominer les autres nation et, au fond, les gouvernants de tous les pays ne demandaient pas mieux que de suivre son exemple.

L'Eglise, elle, après avoir, en 1848, béni les arbres de la liberté et vanté la république, vint en aide à la réaction. Cela était conforme à ses traditions et favorisait ses intérêts. Elle se fit payer son concours et n'en devint que plus forte, plus puissante. L'enseignement mis entre ses mains devait, dans sa pensée, lui assurer un long avenir de domination sur les âmes et sur les corps par-dessus le marché.

Le libéralisme bourgeois faisait le mort. Il n'eut garde de prendre la défense des peuples opprimés, de réclamer la liberté. Il se contentait de jouir des avantages matériels du régime. La bourgeoisie s'enrichissait et n'en demandait pas davantage.

Pendant la période des vingt et quelques années que nous allons décrire, on vit se développer un mouvement nouveau, celui du principe des nationalités.

Le principe de la souveraineté de la nation donna ainsi naissance à celui des nationalités, qui veut que chaque nation forme un Etat indépendant et se gouverne lui-même.

Jusque-là, les Etats s'étaient constitués au hasard des successions et des conquêtes, sans préoccupation des différences de race, de langue, de mœurs des peuples que l'on accouplait ainsi.

On vit ainsi, d'une part, de petits Etats incorporés à de grands pays, tels la Grèce, la Serbie, la Roumanie, la Bulgarie, rattachés à l'Empire turc ; telle l'Autriche dominant la Hongrie, la Bohême ; l'Angleterre dominant l'Irlande, et la Russie, la Pologne. D'autre part, certains peuples de même race, parlant la même langue, ayant les mêmes mœurs, étaient cependant divisés en petits Etats. Tel était le cas de l'Allemagne et de l'Italie.

Près de vingt années furent consacrées à la défense du principe de nationalité et à la lutte pour sa réalisation.

Cette lutte aboutit finalement à créer l'unité italienne et l'unité allemande.

Le socialisme, lui, étouffé en Europe en 1850, se releva peu à peu et tenta de se réorganiser vers l'année 1860.

Peu de temps après, les efforts isolés se combinèrent et l'Association internationale des travailleurs fut constituée.

Le libéralisme se réveilla en même temps et la lutte recommença alors contre la réaction politique d'une part et contre la puissance capitaliste d'autre part.

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