Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Histoire de la démocratie et du socialisme en Belgique depuis 1830
BERTRAND Louis - 1907

Retour à la table des matières

Louis BERTRAND, Histoire de la démocratie et du socialisme en Belgique depuis 1830

(Tome premier paru en 1906 à Bruxelles, chez Dechenne et Cie)

Tome premier. Première partie (la Belgique de 1830 à 1848)

Chapitre IX. La Propagande phalanstérienne en Belgique

Charles Fourier et sa doctrine - Victor Considerant - Son amitié avec Charles Rogier - Première propagande en 1838-1839 - Les phalanstériens en Belgique en 1844, 1845, 1847 et 1848 - Nombreuses conférences à Bruxelles, Liége, etc. - Public d'élite - Banquet offert a Victor Considerant - Nombreux discours - La phalange de Louvain - Influence de l'école fouriériste - Ses principaux adeptes : Alexandre et Félix Delhasse, Ed. Ducpetiaux, François Haeck, Adolphe Demeur, etc.

Charles Fourier, né à Besançon en 1772, fut le fondateur d'une doctrine sociale nouvelle ayant pour base le Phalanstère, commune modèle dont tous les habitants seraient associés et dans laquelle le produit du travail commun ou sociétaire serait partagé entre les trois éléments : Travail, Capital, Talent.

Il mourut à Paris en 1837, mais comme Saint-Simon, il eut la joie avant de fermer les yeux, d'être entouré de disciples capables et dévoués, qui lui promirent de continuer son œuvre et d'aller porter en son nom la bonne parole de délivrance !

En 1831, les disciples de Saint-Simon quittèrent Paris pour aller en province et à l'étranger prêcher la doctrine du maître. En 1838, un an après la mort de Charles Fourier, les apôtres de l'école phalanstérienne se mirent en route, eux aussi, afin de convertir les hommes de bonne volonté.

A cette époque, l'Eglise catholique envoyait également ses meilleurs prédicateurs à travers le monde. Les doctrines sociales de Saint-Simon et de Fourier avaient un fond de croyance religieuse et il n'est pas étonnant dès lors que la méthode de propagande de ces deux écoles ait été quelque peu copiée sur celles des missionnaires et prédicateurs de 1'Eglise catholique.

Ce fut Victor Considerant, le principal et le plus éloquent des disciples de Fourier, qui vint le premier en Belgique ; il le fit vers 1838 ou 1839. A l'encontre de ce qu'avaient fait les missionnaires saint-simoniens de 1831, qui s'étaient adressés à la foule, au grand public, il concentra ses efforts de propagande dans des cercles privés, composés en grande partie de gens instruits et aisés : hommes politiques, professeurs, avocats, etc.

D'après M. Discailles (Ernest DISCAILLES. - Le socialiste français, Victor Considerant en Belgique, Bulletin de l'Académie, nº 5, 1895), V. Considerant s'était lié d'amitié avec Charles Rogier peu de temps avant ou après la révolution de 1830. Aussi, lorsqu'il vint en Belgique vers 1838, fut-il l'hôte de Rogier, qui occupait alors le poste de gouverneur de la province d'Anvers. Il le lui rappela plus tard, dans une lettre de 1850 que publie M. Discailles :

« ... Vous rappelez-vous nos tête-à-tête de dix heures par jour au coin de votre feu ?... Vous compreniez admirablement bien les vanités, les stupidités, les folies de la grande politique de tous les cabinets ; vous compreniez l'état critique du monde, les besoins impérieux de la société moderne, les vices odieux, l'urgente nécessité d'une transformation dans le sens démocratique et social... Il me souvient d'une formule qui vous revenait sans cesse : « Quoi d'étonnant, répétiez-vous, à ce que les peuples n'aiment pas leurs gouvernements ? Les gouvernements ne se sont jusqu'ici montrés à eux que sous les espèces et apparences du gendarme et du percepteur des contributions. Ils n'ont de rapport avec eux que pour leur demander de l'argent et leurs enfants... » Vous m'assurâtes même spontanément que si vous désiriez rentrer au pouvoir et que vous y rentriez, ce ne serait que pour commencer la grande œuvre de transformation sociale, en organisant, sous le déguisement d'un nom quelconque, un véritable phalanstère où vous centraliseriez une grande partie des familles des ouvriers et employés de vos chemins de fer. »

En 1844, un autre orateur phalanstérien, Jean Journet, vint en Belgique pour propager la doctrine nouvelle. Il parla au Salon de Monplaisir, à Molenbeek, dans un local appartenant à la Société ouvrière le Meeting flamand, de Jacques Kats, que celle-ci s'était vue dans la nécessité de louer, en présence des difficultés qu'elle rencontrait de se procurer des salles publiques pour tenir ses meetings.

Jean Journet consacra plusieurs séances à développer ses idées devant un public composé en grande partie d'ouvriers et de petits bourgeois.

En 1845, au mois d'octobre, Victor Considerant revint dans notre pays pour faire un exposé plus complet de la doctrine.

Il fit sept conférences, dont la première eut lieu le mercredi 29 octobre, dans la salle de la Société Philharmonie, devant un public nombreux et choisi.

Les théories de Fourier, au surplus, n'étaient pas inconnues en Belgique. On y avait distribué un grand nombre d'exemplaires du Manifeste de l'Ecole sociétaire, œuvre de Victor Considerant, et le journal de celui-ci, La Démocratie pacifique, y comptait un assez grand nombre d'abonnés.

Parmi les auditeurs des conférences phalanstériennes, il y avait des notabilités de la politique et de l'administration, des députés, des ministres d'hier et de demain : Charles Rogier, le général Chazal, qui devint ministre de la guerre ; Masui, administrateur des chemins de fer de l'Etat, Ducpétiaux, inspecteur général des prisons ; François Haeck, directeur du ministère des finances ; Lucien Jottrand et les députés Verhaegen, Castiau, Cans, Orts et de Bonne. La magistrature, l'armée, l'industrie, les arts, le commerce, l'enseignement y étaient représentés par Tielemans, De Facqz, Van Meenen, Eenens de Marneffe, le général Colignon (qui devint plus tard bourgmestre de Schaerbeek), le sculpteur Geefs, le peintre Verbockhaven, Altmeyer, Baron, Arntz et Maynz, professeurs de l'Université de Bruxelles. Parmi les journalistes les plus en vue on remarquait Bourson, directeur du Moniteur belge ; les deux frères Delhasse, rédacteurs du Débat social, les frères Bartels, Faure, Funck (qui devint échevin et député de Bruxelles), Louis Defré (le père de Madame Alice Bron).

Dans ses conférences, Considerant s'attacha surtout aux problèmes de l'ordre économique et moral.

Comme moyen de réalisation, il condamnait la violence et déclarait que « l'har¬monie sociétaire pouvait s'établir sans aucune espèce de commotion violente et de révolution ».

Il voulait, disait-il, placer la question sociale, le problème de l'amélioration du sort de la classe laborieuse, au dessus des questions de partis et, pour la résoudre, il faisait appel aux classes instruites et aisées.

Ses conférences eurent un grand succès. Il fut l'objet de la part de ses auditeurs, de nombreuses marques de sympathie, dont quarante années plus tard, il se souvenait encore avec émotion quand il nous rendit visite au journal le Peuple.

Ses auditeurs se cotisèrent pour lui offrir un banquet, qui eut lieu le mercredi 5 novembre, à l'hôtel de la Couronne d'Espagne et dans lequel furent portés deux toasts, l'un par Alexandre Delhasse, l'autre par un conseiller communal de Bruxelles dont le Débat Social, qui rendit compte de la fête, omet de citer le nom.

Delhasse s'exprima comme suit :

« A Fourier ! …

« A cet homme immortel, dont l'immense et puissant génie a découvert les lois de notre destinée, les plans préconçus par le créateur pour gouverner l'humanité !

« A tous ses disciples et particulièrement à M. Considerant le brillant interprète de la science du maître !...

« Puisse ce savant et courageux propagateur de la foi sociale recueillir partout autant de marques de sympathie qu'il en a recueillies parmi nous !... Puisse-t-il partout, comme ici, rallier sous la pacifique bannière des phalanstériens autant de bons esprits, de cœurs nobles et généreux, autant d'hommes de science, d'intelligence et de bonne volonté !... Messieurs, en présence de l'extension que prennent les idées sociales chez tous les peuples civilisés et dans toutes classes de la société, à l'aspect des terres d'harmonie que je vois se développer à l'horizon, je sens que le monde est sur le point de se transformer !... Que le premier phalanstère s'établisse, et le monde est sauvé ! La terre, qui n'est plus qu'une vallée de larmes et de douleurs, reprendra sa parure. Elle reviendra ce qu'elle était avant la chute de l'homme, avant la déviation de notre destinée ; elle reviendra ce que Dieu veut qu'elle soit pour nous tous, c'est-à-dire un Eden, un séjour de joies perpétuelles et d'ineffable bonheur.

« Messieurs, je termine en portant ce toast, qui résume en deux mots ce que je viens d'exprimer :

« A la formation du premier Phalanstère ! »

Le conseiller communal de Bruxelles, prit la parole à son tour et s'exprima ainsi :

« A l'amélioration du sort de tous, à la réhabilitation du travail, aux travailleurs dans toutes les sphères, à la fraternité !

« ... L'association avec ses applications innombrables et variées, tel est le grand remède aux maux qui affligent la société. L'association substituée à l'égoïsme et aux luttes de toutes espèces ; la solidarité qui relie tous les hommes et confond tous les intérêts ; la fraternité qui n'est que le règne de Dieu sur la terre, tels sont les grands principes auxquels l'humanité souffrante devra son salut... »

Les deux toasts furent couverts d'applaudissements aussi unanimes que bruyants, dit le Débat social, auquel nous empruntons ce récit, et ils furent suivis d'un troi¬sième, porté par Louis Defré, avocat, plus tard député libéral de Bruxelles :

« Victor Considerant, dit celui-ci en terminant, vous êtes venu parmi nous ; vous y avez trouvé des cœurs dévoués, des hommes progressifs. Vous qui nous avez appréciés, dites là-bas, dans votre pays, ce que nous sommes ; dites à cette France d'où part aujourd'hui la lumière, que de même que nous nous sommes levés pour marcher avec elle à la conquête des réformes politiques, nous nous levons encore aujourd'hui pour marcher avec elle à la réalisation de l'harmonie sociale ». (Note de bas de page : Louis Defré publia en 1850 une brochure : L'Université catholique de Louvain et le Christianisme ou Jésuitisme et Socialisme, qui est une défense des principes phalanstériens. Cette brochure n'est pas signée.)

Considerant parla enfin pour remercier les trois orateurs. Il exprima la satisfaction qu'il éprouvait de ce que les idées sociales se propageaient vigoureusement en Belgique

« La Belgique, cette terre classique de la liberté et des franchises communales - qui dans tous les temps a fait de si grandes choses - est peut-être encore appelée à donner la première l'exemple de la transformation sociale vers laquelle le monde aspire. Je suis autorisé à penser ainsi, si j'en juge par les hommes d'élite au milieu desquels j'ai l'honneur de me trouver en ce moment, au milieu de ces hommes pacifiques et dévoués, de ces esprits distingués que la nouvelle science inspire. Qu'elle soit donc libre et à tout jamais indépendante cette Belgique si intelligente et si hospitalière ! Qu'ils soient libres et à tout jamais indépendants, ces Belges si dignes - par le noble usage qu'ils en font - de la liberté qu'ils ont conquise eux-mêmes en 1830 et qu'ils ont fait consacrer dans la Constitution la plus démocratique du monde. Après mon pays, toutes mes sympathies sont pour eux.

« Je bois à la prospérité de la Belgique ! »

Lucien Jottrand se leva pour remercier « le représentant d'une école aussi puissante que l'Ecole sociétaire » et termina en portant un toast « à l'indépendance de tous les peuples ».

Au mois de novembre 1847, un autre phalanstérien, rédacteur de la Démocratie pacifique et auteur de plusieurs ouvrages de propagande de la doctrine, Victor Hennequin, vint à Bruxelles. Il exposa la conception fouriériste dans la salle de la Philharmonie, devant un public nombreux qui se montra sympathique aux idées nouvelles. Il se rendit ensuite à Louvain, où il obtint un grand succès devant les étudiants de l'Université catholique.

En 1847, Charles Rogier était ministre de l'Intérieur. Considerant lui écrivit une lettre, datée du 12 août (Voir Discailles, page 719), pour lui annoncer son arrivée en Belgique, à l'effet de continuer la propagande fouriériste. Cette fois, disait-il, il voulait agir surtout sur les centres industriels et il se proposait de conférencier à Gand, à Liège, à Verviers, à Huy, à Louvain et à Tournai.

A cette époque, les idées fouriéristes étaient fort goûtées en France surtout parmi les gens instruits, les polytechniciens, et les officiers. Il en fut de même en Belgique. Le général Colignon devint un adepte convaincu de la nouvelle école et son adhésion fut suivie de celle d'autres officiers du génie et de l'artillerie, ainsi que l'établit un lettre datée de Liège, 12 février 1848, que Considerant écrivit à Rogier :

« ... Les meilleures têtes de l'armée, dit-il, parmi les jeunes officiers surtout, deviennent rapidement phalanstériennes : j'en ai trouvé ici un beau noyau. C'est assez vous dire que ce sont des hommes très éclairés, très raisonnables et les meilleurs amis de votre gouvernement. Cela n'empêche pas qu'on ne cherche, paraît-il, à les tracasser (Note de bas de page : C'était vrai, dit Discailles, qui tenait le fait de feu le général Colignon). On nous a même parlé de démarches faites auprès de votre collègue de la Guerre, le brave et intelligent Chazal, pour lui dénoncer des associations auxquelles seraient affiliés les officiers. Le fait est que ces officiers ont choisi, dans les dépendances d'un café, une pièce où ils aiment à se réunir librement, fumant leur cigare, buvant leur chope, mangeant un beefsteak et causant de phalanstères, d'organisation du travail et de tous les problèmes qui les intéressent. Quant à quelque chose de ressemblant à une association politique, on n'en saurait trouver l'ombre. Au reste, ces officiers sont si raisonnables, que je leur ai entendu exprimer l'opinion qu'il leur faudrait être exactement renseignés, officieusement, sur la pensée du Ministre de la Guerre, afin de ne rien faire qui pût le contrarier... »

Considerant était arrivé en Belgique au début du mois de février 1848, et il avait commencé sa nouvelle tournée de propagande par Liège où, du 13 au 17 février, il parla dans la salle de la société L'Emulation, devant onze à douze cents personnes.

Le Journal de Liège rendit compte de ses conférences.

« Le public, dit-il, écoute avec beaucoup d'attention et d'intérêt, et si la forme est parfois un peu négligée, il y a une large compensation par l'abondance des idées. »

Considerant exposa non seulement la doctrine, mais il aborda des problèmes d'ordre pratique, tels que l'éducation naturelle, les méthodes d'enseignement, les salles d'asile, les crèches, les arts et les sciences, l'impôt, le commerce intérieur et extérieur, la réalisation du premier phalanstère avec des enfants, les moyens de transition de l'état actuel à l'ordre sociétaire. Il examina même des questions d'intérêt local, telle l'application de l'armée à la dérivation de la Meuse !

Pour donner plus d'attrait aux réunions, il engageait les auditeurs à lui poser des questions par écrit, auxquelles il apportait les réponses aux séances suivantes.

Une réunion devait avoir lieu le 25 février au soir, mais au dernier moment, le Journal de Liège annonça « que les cours donnés à la salle 1'Emulation par M. Victor Considerant étaient suspendus, les événements forçant le conférencier à rentrer à Paris. »

Considerant, que les événements de la révolution de 1848 rappelaient dans son pays, arriva à Bruxelles le 25 février au soir. Avant de prendre le train de Paris, il écrivit au ministre de l'intérieur, Ch. Rogier, plusieurs lettres dont nous parlerons plus loin.

Ce qu'il y eut de plus curieux dans cette propagande fouriériste en Belgique, c'est que ce fut surtout dans la classe aisée qu'elle produisit son effet immédiat. Les ouvriers assistèrent en petit nombre aux réunions et ceux qui s'y rendirent ne durent pas comprendre grand chose à une théorie trop compliquée pour leur intelligence. Elle communiqua cependant à la masse laborieuse l'idée de l'association et elle lui fit entrevoir les avantages de la coopération.

Parmi les adeptes belges de l'école, il faut citer, en première ligne, avant 1848 et pour Bruxelles, les deux frères Alexandre et Félix Delhasse, Rogier, Colignon, Bourson et F. Haeck.

A Liège, à Verviers, à Huy, à Gand, il y eut parmi les gens instruits, un certain nombre de phalanstériens.

Il en fut de même à Louvain, où un jeune docteur en droit, qui était allé suivre des cours à l'Université de Paris et y avait fait la connaissance de quelques partisans des idées de Fourier, constitua une « phalange » en 1847.

Cette phalange débuta modestement par six à sept personnes, qui se réunissaient dans une maison particulière. Peu de semaines plus tard, le nombre des adhérents ayant grandi, elle s'établit au Café de la Tête d'or, aujourd'hui démoli, mais qui a joui à Louvain d'une certaine célébrité.

Elle était administrée par un président, un vice-président, un secrétaire, un tréso¬rier et un bibliothécaire. Elle était divisée en trois groupes ou sections : la première avait à examiner les idées de Fourier en elles-mêmes, c'est-à-dire à faire de la théorie pure ; la seconde était chargée d'examiner la possibilité de l'application de la théorie sociétaire et dans la troisième, on étudiait l'utilité des institutions économiques et philanthropiques qui pouvaient conduire vers un meilleur avenir. (La Question sociale à Louvain, par un Louvaniste, chez L. Fonteyn, 1886

Parmi les phalanstériens de Louvain, il y en eut de très fervents. Nous n'en voulons pour preuve que la polémique que suscita, en 1846, un article de la Revue Démocratique de Bruxelles.

Cette revue ayant publié un article intitulé : Coup d'œil sur quelques doctrines sociales, dans lequel il n'était pas parlé avec assez de respect et d'enthousiasme de l'œuvre de Fourier, s'attira une réponse signée : Un ancien élève de l'Université catholique, dont voici la conclusion :

« Notre but n'est pas, en écrivant ces lignes, de faire ce que l'auteur aurait dû faire, savoir, une exposition de la doctrine de Fourier ; nous renvoyons l'auteur, pour s'y initier, aux livres de l'école sociétaire, qui sont aujourd'hui entre les mains d'une masse de lecteurs. Notre but est plus modeste ; nous avons essayé cette réponse afin de faire entrevoir la solution de questions graves et urgentes, et d'engager l'auteur à quitter les vieilles routes battues, où croissent tant de plantes parasites, tant de fleurs empoisonnées.

« Depuis que M. Considerant, le plus distingué des apôtres de la doctrine, est venu nous initier aux paroles de Fourier, notre intelligence endormie par l'enseignement catholique s'est réveillée en une lumière nouvelle ; notre cœur, en comprenant la cause et le remède des maux de la société, a éprouvé des consolations et a souvent tressailli d'espoir. Que tous ceux qui, comme nous, ont souffert des effets d'une éducation étroite et d'une discipline trop sévère, qui ont étouffé dans cette atmosphère sans air pur et sans soleil, retrouvent enfin à la lecture de ces livres, 'qui contiennent le salut du monde, l'indépendance de l'esprit et la liberté de la conscience ; qu'ils redeviennent des enfants de Dieu, des hommes fiers, libres et intelligents.

« O génération du dix-neuvième siècle, le Christ est mort pour l'affranchissement des esclaves, nos pères sont morts pour émanciper le genre humain, et après deux mille ans, l'esclavage n'existe pas moins, et l'affranchissement des masses n'est pas encore arrivé. Pourquoi ? Parce que proclamer des principes et mourir en les défendant, cela ne suffit pas encore ; les sociétés où règnent le désordre et le mal doivent être remplacées par des sociétés organisées. Tous les maux viennent de la misère et la misère est le résultat du désordre ; criez donc avec nous organisation, harmonie ; organisation de tous les éléments sociaux, harmonie de tous les rapports. Tels sont les grands principes qui doivent anéantir le mal. Ces principes, Fourier les a proclamés ; étudiez donc les œuvres de cet homme. Désormais pour arriver à la conquête de la liberté humaine, à la jouissance du bien-être, plus de luttes sanglantes, plus d'échafaud pour les vaincus, mais des transformations pacifiques et graduées, qui sans révolution violente, ramèneront la société entière à l'état normal voulu par la nature humaine, c'est-à-dire par Dieu. Que Dieu règne et le monde sera sauvé ! » (Courtes observations à la Revue Démocratique au sujet de son article « Coup d'œil », etc.) Bruxelles, 12 pages, imprimerie N.-J. Slingeneyer jeune, 31, rue de Schaerbeek.)

Après le 24 février 1848, on accusa les membres de la. Phalange de Louvain d'être de vulgaires partageux, des ennemis de la religion, de la famille et de la propriété ! Cependant la plupart étaient d'honnêtes pères de famille, ayant pignon sur rue ou de bonnes terres au soleil, et plusieurs occupèrent plus tard des grades élevés dans l'armée et de hautes fonctions dans la magistrature !

Quelques-uns, les plus convaincus, résistèrent à l'assaut et restèrent fidèles à la doctrine du Maître. Mais leurs réunions se firent plus rares et bientôt ils ne se retrouvèrent plus qu'une fois par an, le jour anniversaire de la naissance de Charles Fourier.


La propagande phalanstérienne laissa incontestablement des traces profondes dans certains esprits cultivés, qui eurent une réelle influence en Belgique.

Au premier rang, il convient de citer Edouard Ducpétiaux, qui publia de nombreux ouvrages sur la condition des classes laborieuses, et dont le projet de boulangerie et de boucherie communales qu'il soumit au conseil communal de Bruxelles est certainement d'origine fouriériste. Dans l'exposé de son projet, il invoque d'ailleurs plusieurs brochures phalanstériennes.

François Haeck, qui fut un des fonctionnaires les plus distingués du département des finances et qui publia divers ouvrages sur le crédit, était lui aussi un phalanstérien convaincu et le resta jusqu'à la fin de ses jours.

Il en fut de même d'Adolphe Demeur, l'ancien député progressiste de Bruxelles, auteur d'un Projet d'assurances contre l'incendie par l'Etat. Il connut Victor Considerant et eut avec lui une longue correspondance. Chaque fois que celui-ci venait en Belgique - on sait qu'il mourut à Paris le 27 décembre 1893, âgé de 85 ans, - c'était chez Adolphe Demeur, dans sa maison de la rue Jourdan, à Saint-Gilles, qu'il descendait.

Nous parlerons plus loin d'un autre séjour que Considerant et plusieurs de ses amis firent en Belgique, lorsqu'ils durent quitter la France, et de son entreprise de colonisation au Texas, qui fut combinée et organisée dans notre pays.

Retour à la table des matières