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La tragédie mexicaine. Les impératrices Charlotte et Eugénie
BUFFIN Camille - 1925

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BUFFIN Camille, La tragédie mexicaine. Les impératrices Charlotte et Eugénie

(Paru en 1925 à Bruxelles, chez A. De Wit)

Chapitre IV. Maximilien refuse le trône de Grèce. Réception de la délégation mexicaine à Miramar. Réponse conditionnelle de Maximilien. Mesures prises par Bazaine

(page 67) Le roi de Grèce, Othon l, ayant été déposé le 24 octobre 1862, les grandes puissances cherchèrent un nouveau souverain pour ce pays. L'Angleterre propose Maximilien. C'est un moyen détourné de l'empêcher de se rendre au Mexique, où la reine Victoria et surtout le prince consort Albert, estiment qu'il jouera le rôle d'un duc d'Albe, imposant le catholicisme par la force.(Archives de Vienne. Lettre de Léopold Ier à l'archiduc du 7 février 1863.)

(page 68)- Léopold Ier transmet l’offre anglaise à son gendre.

« Laeken, le 16 février 1863.

« Mon cher fils

« Tu t'étonneras de cette lettre, mais comme je suis choisi comme négociateur, je m'empresse de remplir ma mission.

« Avant de faire des propositions à d'autres candidats, Palmerston avait songé à toi et m'avait écrit qu'il craignait que tu n'acceptes pas, et que les Russes feraient probablement de l'opposition à ta candidature, mais qu'à son avis, tu étais la personne la plus apte à gouverner la Grèce. Je me déclarai d'accord avec lui sur ce point, et l'affaire en reste là.

« Hier, j'ai reçu une lettre de Victoria et une autre de Lord Russel, au nom du cabinet, qui me chargent de te dire que, si tu consentais à assumer le gouvernement, ton choix serait approuvé en Grèce. Tu connais la question tellement bien, que je n'ai qu'à ajouter que cet arrangement serait d'une grande importance pour l'Autriche. Jadis, l'Autriche était fortement hostile à la Grèce. Du temps de l'expédition des Egyptiens, sous Ibrahim, elle disait : Comme il n'y aura plus de Grèce, on ne pourra plus nous en parler. L'adjonction de Corfou, qui n'est un danger pour l'Autriche que du côté de l'Adriatique, serait entre tes mains, au contraire, un renforcement de la situation autrichienne.

« Le Mexique, dès qu'il sera soumis, devra être administré nécessairement par la France pendant plusieurs années, car pour développer ses ressources, une sécurité complète est indispensable. La France ne pourra retirer ses troupes que petit à petit, ce qui, pendant tout un temps, créera une situation fausse, qui ne s'arrangera que quand les Français seront partis, départ qui même avec beaucoup de bonne volonté sera tiré en longueur.

« Aie l'obligeance de me répondre télégraphiquement si, en principe, tu acceptes l'offre qui t'est faite ou si tu ne veux pas en entendre parler.

(page 69) « Cette affaire a naturellement pour la politique autrichienne, une tout autre importance que le Mexique ; mais tu sais tout ce qui peut en être dit et je termine avec l'expression de mon affection la plus cordiale. »

Maximilien répond en ces termes :

« Miramar, le 21 février 1863.

« Père bien aimé,

« Je vous prie d'accepter mes meilleurs remerciements pour votre lettre du 16 courant. Comme je vous l'annonçais télégraphiquement hier, l'offre a déjà été faite le 14 à Vienne par Lord Bloomfield..

« Le lendemain, je reçus de l'Empereur-François Joseph la dépêche suivante :

« Le gouvernement anglais vient de me proposer votre candidature pour le trône grec. Mais comme les droits existants, notre dignité et les circonstances s'y opposent, j'ai décliné immédiatement. »

« Je répondis à mon frère que je ne pouvais que l'approuver en ce qui concerne cette question. »

Dans une lettre à sa belle mère, du 1er septembre 1863, Charlotte donne les raisons du refus de l'empereur d'Autriche :

« 1°) Le royaume de Grèce, tel que le constituèrent les protocoles de 1832, sans frontières et sans possibilité d'en acquérir par des moyens légaux, n'est qu'un avorton qui porte en soi le germe de sa destruction inévitable.

« 2°) L'acceptation du trône implique l'adoption d'une religion schismatique, sinon pour première génération du moins pour la seconde.

« 3°) En Grèce, on impose au pays un gouvernement qui ne répond pas au vœu de la nation. A part le costume et peut être la langue, le souverain demeurera (page 70) toujours un étranger. Il ne saura ni se maintenir ni tomber avec gloire.

« Enfin on ne s'est adressé à Maximilien qu'après avoir tâté le pouls à tout le monde et des refus successifs ont fait tomber la question dans le domaine du ridicule. » (Archives de Vienne.)


Cet incident clôturé, Maximilien et Charlotte apprennent l'espagnol et élaborent avec Almonte et Arrangoiz un projet de Constitution pour le Mexique. Déjà, la faiblesse de caractère et l'indécision de l'archiduc se manifestent et sa femme prend dans ces négociations une place prépondérante. Complètement séduite par le romanesque de cette entreprise, elle s'étonne de la réserve montrée par son père. Au mois de septembre 1863, elle se rend à Laeken, afin de soumettre au Roi, dans son ensemble, la future Constitution.

D'une manière générale, Léopold déclare qu'une Constitution doit toujours être élastique et passer sous silence les choses sujettes à changement et à amélioration. (Archives de Vienne : note de l'archiduchesse Charlotte : rapports et résumé des différentes conversations que j'ai eues avec cher Papa.) Il fait l'éloge de la Constitution belge, quoiqu'elle contienne une foule de points qui n'auraient jamais dû s'y trouver. « A mon arrivée ici, raconte-t-il, la mentalité était déplorable. A la première campagne, une partie de l'armée trahit, l'autre s'enfuit. Il y a un pont, près de Malines, que je n'ai conservé en mon pouvoir qu'en m'asseyant dessus. Même les sentiments d'honnêteté et de moralité étaient fort bas. Il a fallu créer cela peu à peu et organiser pour ainsi dire l'esprit national qui, à l'origine, n'était qu'un esprit d'antagonisme et de séparation d'avec la Hollande. Tout cela a pu s'effectuer surtout par la scrupuleuse fidélité avec (page 71) laquelle la Constitution a été observée, non seulement dans son ensemble, mais aussi au pied de la lettre. Jamais le plus petit article n'en a été transgressé et, quelque défectueuse qu'elle puisse être, elle n'en a pas moins fait la base de la confiance et la sécurité publique. »

Après une étude du statut mexicain, le Roi approuve l'égalité devant la loi, la liberté de la presse. Il admet la religion catholique comme religion d'Etat, mais blâme la Chambre législative unique. Il conseille un sénat, dans le genre du sénat américain, et une cour des comptes inamovible, nommée par le souverain et exerçant un contrôle sur les dépenses des ministres. La tendance des ministres, ajoute-t-il, est toujours de s'émanciper à l'égard du souverain, et l'on y prend garde, même en Angleterre. »

Lorsque Charlotte lui demande, si elle doit accompagner l'archiduc au Mexique ou le retrouver plus tard. : « Tu peux être utile à Max, répond-il, à cause des Français. C'est ta mission. Les Français se piquent de sentiments chevaleresques pour défendre les femmes ; ils l'ont montré au plus haut degré à Gaëte, à l'occasion de la reine de Naples. Ensuite, certains souvenirs, qui n'ont pas péri dans l'armée française, font que tu ne leur es pas étrangère. Ceux qui sont aujourd'hui officiers supérieurs se rappellent encore leur jeunesse avec plaisir et, par suite de l'association d'idées qui s'y rattachent, le nom de chère maman, qui a été vénéré en France, et moi-même qu'on a beaucoup connu et pour qui on a toujours été bienveillant. Tout cela donnera des éléments utiles à ta position vis-à-vis d'eux et, par conséquent, à celle de Max. » (Archives de Vienne.)

Ainsi, qu'on le constate, Léopold, malgré sa prudence et son scepticisme, s'est laissé gagner par sa fille, (page 72) enthousiasmée par le mirage de ce trône qu'on définissait un lit de roses dans une mine d'or. » (Arch. de Vienne : note de l'archiduchesse Charlotte : conversation avec cher Papa 12 et 13 sept. 1863)

Mais Napoléon, quand on lui soumet le texte de la Constitution mexicaine, se montre opposé à sa promulgation :

« Permettez-moi, écrit-il à Maximilien, de bien appuyer sur un point, ce n'est point avec la liberté parlementaire qu'on régénère un pays, en proie à l'anarchie. Ce qu'il faut au Mexique, c'est une dictature libérale, c'est-à-dire un pouvoir fort, qui proclame les grands principes de la civilisation moderne, tels que l'égalité devant la loi, la liberté civile et religieuse, la probité de l'administration, l'équité de la justice, etc. etc. Quant à la Constitution, elle doit être l'œuvre du temps et je crois que, promise et élaborée, elle ne devrait être appliquée que dans quelques années, lors que le pays serait pacifié et le gouvernement bien établi. Le Times, dans un article très remarquable, disait lui-même, il y a quelques jours, qu'il fallait au Mexique pacifier le pays, assurer les propriétés et les personnes, avant de songer à la liberté qui viendrait plus tard d'elle même. » (Arch. de Vienne.)

Maximilien professe une profonde admiration pour le génie politique de Napoléon, aussi dans cette circonstance, comme dans beaucoup d'autres, il se conforme à son avis : la promulgation de la Constitution est retardée indéfiniment.


La députation mexicaine, composée de trois anciens ministres, MM. Velazquez de Leon, Ignacio Aguilar, Xavier Miranda, du général Woll, de MM. Suarez Pereda, Landa, Escandon et Iglesias arriva le 16 octobre à Trieste. Le lendemain, accompagnée de (page 73) M. Gulierrez de Estrada et de M. Hildago, elle est reçue au château de Miramar, à 1 heure de l'après midi.

Dans un long discours en français, M. Gutierrez expose « qu'interprètes des aspirations et des souhaits de leur patrie, ils viennent en son nom, offrir à l'archiduc la couronne du Mexique, qu'un décret solennel de l'assemblée des notables, déjà consacré par l'adhésion de tant de provinces, et, qui le sera bientôt, tout l'annonce, par la nation entière, lui décerne librement et spontanément. »

Maximilien réplique dans la même langue « que la monarchie ne saurait être établie au Mexique que si la nation tout entière, exprimant librement sa volonté, ratifie le vœu de la capitale. » Ensuite, il explique qu'il « faut obtenir en faveur de l'empire naissant les garanties indispensables pour le mettre à l'abri des dangers qui menaceraient son intégrité et son indépendance. » Si ces deux conditions se réalisaient, fort de l'assentiment de l'auguste chef de sa famille et confiant dans l'appui du Tout-Puissant, il sera prêt à accepter la couronne. »

Cette réponse conditionnelle cause une déception à la délégation. Il est impossible de penser à un plébiscite, tant que le pays n'est pas pacifié. Seules, les villes de Puebla, Toluca, Orizaba, Cordova, Vera Cruz ont adhéré au vote de l'assemblée, soit un million de suffrages sur 8 millions de sujets mexicains. D'autre part, à l'exception de la France, aucune puissance ne veut donner de garanties.

Lorsque Napoléon avait entrepris l'expédition du Mexique, il comptait d'une part sur l'appui du Sud des Etats-Unis, dont il prédisait la victoire sur le Nord, de l'autre sur la coopération de la population mexicaine. Or le Sud vient d'être battu et Juarez conserve plus de partisans qu'on ne l'a prévu. Il s'ensuit que l'établissement d'un régime monarchique aux portes des Etats-Unis (page 74) est précaire et entrainera tôt ou tard la guerre avecl'a république américaine (Général du Barrail : ouvrage cité, t. I., p. 303.)

L'empereur est fort embarrassé. Il ne blâme pas cependant Maximilien.

« Quoique la question mexicaine, dit-il, devienne chaque jour plus grave et quoiqu'on assure, selon toute apparence de raison, que la présence de l'archiduc ferait plus que 100.000 hommes victorieux, je ne puis qu'approuver son attitude et à sa place, je ferais comme lui. » (Archives du ministère des Affaires Etrangères de Belgique. Lettre du Baron Beyens, ministre de Belgique à Paris à Ch. Rogier, ministre des Affaires Etrangères du 16 décembre 1863.)

Le parti le plus sage eût été de conclure un arrangement financier avec Juarez et de rappeler les troupes ; cette solution est préconisée par Favre. « Retirons-nous ! s'est écrié le grand orateur. Nos braves soldats, nos officiers si pleins d'honneur, n'ont rien à faire au milieu des ces aventuriers fangeux et sanglants parmi lesquels ils se trouvent égarés. » Mais l'abandon d'une expédition, présenté comme une conception politique si grandiose, nuirait au prestige de l'Empire, et serait considérée comme un triomphe par l'Angleterre et par l'Espagne. Napoléon ne peut s'y résoudre. Il se persuade que l'ingéniosité du général Bazaine, le nouveau commandant, aplanira toutes les difficultés qui surgiront.

Du côté de Maximilien, Napoléon ne rencontre qu'une faible résistance, quoique l'archiduc pose des conditions. Il est poussé par Léopold Ier dans la voie de la prudence :

« Si tu acceptes le trône, lui écrit le Roi le 21 décembre 1863, tu rends un service inappréciable à Napoléon, qui ne saurait plus se tirer d'affaire autrement. Il faut conclure un arrangement, fixant la durée pendant (page 75) laquelle des troupes françaises devront rester au Mexique. D'ici peu, on pressera l'Empereur de retirer ses troupes ; si alors, il ne peut invoquer un engagement, on doit craindre qu'il ne cède à l'opinion publique. Sa préoccupation principale sera naturellement le souci de sa popularité en France, et il ne faut pas se faire d'illusion, devant ce mobile tous les autres cèderont. Cependant, je crois que s'il s'engage par un traité à laisser ses troupes pendant un délai fixé, il tiendra sa parole. » (Archives de Vienne.)


A Mexico, le commandant en chef, s'établit au palais de Buena-Vista, vaste et splendide demeure, qui a été par les soins de la municipalité somptueusement meublée et ornée. Rien n'y manque : linge, service de table, argenterie. Dans les écuries, des attelages ; dans les remises, des carrosses variés. Enfin, une domesticité nombreuse est revêtue d'éclatantes livrées. Bazaine juge qu'une grande représentation s'impose, il mène un train de souverain. La consigne est de faire le plus dignement, le plus grandement possible. Toujours large et généreux, il tient table ouverte... (Vlanchot : ouvrage cité, t. II, p. 68.)

Très coureur, il affiche plusieurs liaisons, que n'interrompent pas la perte de sa femme, restée à Paris. L'histoire de son mariage est curieuse. Il avait retiré d'un mauvais lieu d'Afrique, une enfant espagnole. Il la fit élever avec soin et l'épousa. C'était une femme charmante. Sa mort subite donna lieu aux bruits les plus fâcheux. On dit, et l'on croit encore, qu'elle avait noué une intrigue avec un certain De Rosne, mari de la vieille Judith, de la Comédie française. Celle-ci, ayant trouvé une correspondance compromettante, l'aurait envoyé au général. Affolée, Madame Bazaine se serait empoisonnée. (Papier d’Eloin.)

(page 76) Après avoir établi un blocus des côtes, de façon à ce que les Juaristes ne reçoivent aucun secours par mer, le général Bazaine organise dans les terres chaudes une contreguérilla sous les ordres du colonel Dupin. C'est une espèce de condottière. Vêtu d'un dolman rouge, constelle de décorations, d'un pantalon de coutil blanc, de bottes en cuir jaune armées d'immenses éperons, et coiffé d'un large sombrero, il commande une bande invraisemblable de truands. Il commence, pour rendre impossible des coups de main sur les convois, par brûler à plusieurs lieues de distance, toutes les cases isolées, les fermes ou maisons qui peuvent offrir à l'ennemi des abris pendant la saison des pluies ; ensuite il parcourt les villages, appliquant son système : « Incendier et pendre. » A Cotatla, il fit fusiller un aubergiste, dont la femme avait vainement tenté d'obtenir la grâce. Après l'exécution, elle barre la route à son cheval, en criant : « Avant huit jours, colonel, tu mourras. » Puis elle disparaît. Dans la même semaine, le train de Vera Cruz à Paso del Macho dérailla. « Où est le misérable Dupin » criaient les guerillos, en massacrant les voyageurs. Le colonel, qui avait été à Vera Cruz pour toucher la solde de ses hommes, et qui devait prendre ce train, avait eu vent de quelque chose. Il avait retardé son départ.

Une autre anecdote indiquera son genre de plaisanterie. Il était parvenu à saisir dans un village indien une bande redoutable. Il la fit pendre aux arbres d'une clairière voisine. Seul le chef, un bandit fameux, manquait. On le cherche partout et on le découvre blotti sous une paillasse. Le Mexicain le prend de très haut : Je suis votre prisonnier, mais comme je suis colonel, je tiens à être traité avec les honneurs de la guerre. Je demande à partager le sort de mes soldats et à être remis à la tête de ma troupe. »

(page 77) « - Soit, j'y consens, dit Dupin, qui, avec un sourire, ordonne aux hommes qui le tiennent : Menez-le à la tête de sa troupe et traitez-le comme elle. » Et le chef fut pendu à la droite de ses hommes. (Blanchit, ouvr. Cité, t. II, p. 80.)

Hâtons-nous de dire qu'au mois de septembre 1864, Maximilien, instruit de ces cruautés, exigea le renvoi en France du colonel Dupin.

La situation politique occupe aussi le général en chef ; il avait reçu l'ordre d'annuler le décret séquestrant les biens des personnes combattant dans l'armée républicaine, mais de maintenir toutes les autres lois promulguées par le haut commandement français. Il transmet ces instructions à la Régence.

Almonte s'était d'abord laissé entraîner par le parti clérical, mais Napoléon, qui désapprouvait les excès, lui avait envoyé cette mercuriale :

« Je n'ai pas répondu depuis longtemps aux lettres que vous m'avez écrites, parce que, je l’avoue, je n'étais pas très satisfait de la marche des affaires au Mexique et que je préférais que mon mécontentement ne vous arrivât pas directement.

« En effet, tant que mon armée sera au Mexique, je ne permettrai pas qu'il s'établisse une réaction aveugle, qui compromettrait l'avenir de ce beau pays et qui, aux yeux de l'Europe, déshonorerait notre drapeau. » (2)

Depuis lors, Almonte marche dans la route tracée par l'Empereur. Le général Salas l'y suit ; mais il en est tout autrement de Mgr. Labastida.

Au retour du prélat à Mexico, le 19 octobre, Bazaine se rend auprès de lui. Dès les premiers mots, l'archevêque lui exprime sa volonté de recouvrer le domaine enlevé au clergé par Juarez, soit par la persuasion, soit, s'il le faut, par la force de son pouvoir spirituel.

(page 78) Le général proteste. Ses instructions, diamétralement opposées, lui prescrivent d'observer la proclamation du général Forey du 12 juin 1863, admettant seulement une révision des ventes irrégulières.

Encore jeune, gras, la figure rose et fleurie, encadrée d'un triple menton, avec un petit ventre qui ne demande qu'à pousser, Mgr. Labastida est le type de l'ecclésiastique papelard, onctueux, doucereux et faux. Quand on l'entend parler, on le croit un libéral ; mais, au fond, c'est un entêté, imbu des idées les plus vieilles, qui sera la grande pierre d'achoppement pour le succès de l'intervention et un obstacle invincible à la conciliation des partis. (Général du Barrail, ouvrage cité, p. 487.)

L'archevêque convoque le Conseil de Régence pour le lendemain et prie Bazaine d'y assister. Il répète ses déclarations et, se tournant vers le général : « Si votre armée, s'exclame-t-il, a été bien reçue dans la capitale, c'est par l'influence du clergé, et si vous ne le soutenez pas, si vous ne marchez pas avec lui, faites venir 15.000 hommes de plus, car vos amis d'aujourd'hui... et il fait un geste qui signifie : Ne comptez plus sur eux. »

Pour calmer l'agitation que ces discussions créaient dans le public, Bazaine obtient des généraux Almonte et Salas, que le journal officiel insère que « les ventes régulières des biens nationaux seront confirmées et que les transactions frauduleuses seules seront sujettes à révision » (24 octobre 1863).

Appuyé par le haut clergé mexicain, Labastida lance une protestation le 26 novembre, disant que ceux qui ont encouru la censure canonique, tant pour l'exécution les lois édictées par Juarez en 1856 et en 1859, que pour l'application des circulaires de la Régence, c'est-à-dire, les auteurs, exécuteurs, coopérateurs du dépouillement de l'Eglise, sont obligés à restitution, sinon ils ne pourront être absous, même à l'article de la mort.

(page 79) C'était une sorte d'excommunication du gouvernement de la Régence, de tous ses fonctionnaires et même du corps expéditionnaire français.

Le samedi suivant, Labastida fait savoir au général français Neigre, gouverneur de Mexico, que la messer militaire qui se dit le dimanche à la cathédrale n'aura plus lieu et que les portes de l'église resteront closes. Neigre répond à l'archevêque que si les portes de la cathédrale sont fermées, il les ouvrira à coups de canon. Le lendemain, à 7 heures du matin, une section d'artillerie arrive sur la Place d'armes et se met en batterie devant le portail de l'église, prête à commencer le feu. Quelques instants après, les portes sont largement ouvertes et la messe est célébrée à l'heure habituelle. On juge de l'effet produit par ces violences contre le clergé dans un pays, dont la plupart des habitants sont profondément religieux. (Blanchot, ouvarge cité, t. II, p. 113.) Et l'on ne s'étonnera pas d'apprendre que les membres de la cour Suprême joignent leurs protestations à celles du clergé et refusent de juger les conflits relatifs aux biens en discussion. Cette fois la Régence sévit : Par un décret du 2 janvier 1864, Almonte et Salas révoquent et remplacent tous les magistrats de la Haute Cour. Et Bazaine destitue l'archevêque de Mexico de ses fonctions de co-régent. Terrifiés, les évêques font amende honorable et se soumettent au gouvernement. Labastida, resté seul, juge prudent de se cacher.

Obéissant à la seconde partie de ses instructions, qui lui enjoint de faire ratifier l'élection de Maximilien par le plus grand nombre possible de Mexicains, Bazaine divise ses troupes en deux colonnes et s'avance à l'intérieur du pays. L'armée marche sur une grande ligne, dont la division Douay forme la droite et la division de Castagny la gauche. C'est une manœuvre de rabatteurs, (page 80) chassant les débris des troupes juaristes, que les journaux comparent à « des malfaiteurs fuyant la police. » Les dissidents ne résistent nulle part. Juarez qui, depuis six mois, se trouve à San Luis de Potosi, doit se réfugier à Paso del Norte, bourgade située sur le Rio Grande, qui forme la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique. Chaque fois que l'on signale un cavalier, le président traverse le fleuve pour ne le repasser que lorsque le danger a disparu Les autres chefs républicains ne sont pas plus heureux. Comorlford est tué dans une rencontre, le général Doblado, après avoir cherché à négocier, gagne un port du Pacifique, porteur de la caisse qui contient un million de piastres. Successivement les villes de Tampico, Jalapa, Queretaro, Guanajuato, Morelia, Zocatecas sont occupées par les Français. Dans chaque localité, on réunit les habitants et on leur présente un acte d'adhésion à la nomination de Maximilien. Tous signent sans hésiter. Alors on inscrit dans une colonne, en face du nom de la ville, le chiffre de la population (enfants compris), et l'on compte ce total comme celui des voix acquises.

Très satisfait de son succès, Bazaine revient à Mexico. Il se hâte d'annoncer à Napoléon que les votes sont unanimes en faveur de Maximilien.

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