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La tragédie mexicaine. Les impératrices Charlotte et Eugénie
BUFFIN Camille - 1925

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BUFFIN Camille, La tragédie mexicaine. Les impératrices Charlotte et Eugénie

(Paru en 1925 à Bruxelles, chez A. De Wit)

Chapitre VIII. Difficultés politiques et financières

(page 151) Trois races habitaient le Mexique : les Indiens, les Métis, les blancs. La race indigène. la plus nombreuse, se trouvait dans un état de dégradation tel que l'on ne pouvait compter sur elle que pour des travaux purement matériels, et d'un ordre inferieur, Les Métis étaient actifs et intelligents, mais leur démoralisation était complète. C'étaient eux qui composaient les bandes de voleurs et de guérilleros qui sillonnaient le pays. La race blanche possédait à un haut degré la civilisation européenne. (Discours de Pimentel à la junte de colonisation, le 24 août 1865.) Ce qui la caractérise, c'est l'abîme, qui, chez elle, sépare la pensée de l'action. Les hommes instruits, intelligents, raisonnables y sont beaucoup plus communs qu'on ne le pense en Europe, mais toute cette sagesse se dépense en paroles, souvent éloquentes, qui jamais ne prennent corps, qui jamais ne s'élèvent à l'acte.

Ils avaient souhaité un maître pour échapper aux centaines d'oppresseurs qui détenaient le pouvoir. Or, depuis l'empire, ils ne se sentent pas gouvernés.

(page 152) Il leur fallait un Louis XI ou un Cromwell, marchant droit à son but, songeant au pays, avant de penser aux individus. Il leur fallait un souverain toujours à cheval, l'épée au côté, ils n'avaient qu'un savant, armée du Bulletin des Lois. (Comte E de Keratry, L'élévation et la chute de Maximilien, Paris, 1867. p. 41.) Sous son sceptre débonnaire, le gouvernement manque d'énergie et d'activité pratique. Le ministre de Belgique, Blondeel de Cuelenbroeck, relève un symptôme fâcheux, c'est l'étrange liberté de langage des fonctionnaires et même des personnes attachées à la Cour. « On disait d'un ton ironique : L'Empereur fait des réparations au château de Chapultepee. au palais de Mexico, comme s'il devait y rester longtemps. » (Archives du ministère des Affaires Etrangères de Belgique. Rapport de Mr. Blondeel du 27 février 1865.)

Ennemi, par faiblesse de caractère, des complications, Maximilien tâche de n'avoir que des amis, et pour arriver à ses fins, il néglige ceux qui lui sont vraiment attachés pour attirer, par des avances et des amabilités, ceux qui lui sont hostiles, blessant les premiers, sans parvenir à conquérir les autres. Il dépasse même toute mesure, en choisissant comme ministre de l'Intérieur, Cortès y Esparza, surnommé le « rouge », à cause de la violence de ses opinions. Aussitôt au pouvoir, ce sectaire peuple les Etats de préfets politiques et de fonctionnaires de son parti. Dès lors, même dans les provinces déjà ralliées, comme le Michoacan, l'insurrection relève la tête, les libéraux gagnent en assurance, en force, en nombre. Et les conservateurs ont partout une attitude sombre et menaçante :

« - Pourquoi un empereur, demandent-ils, puisqu'on exécute le plan de Juarez ? Si les deux gouvernements (page 153) agissent de la même façon, nous préférons un gouvernement national à la domination d'un étranger. »

La confiance en l'avenir n'existe plus et si l’on pose la question : « Où sont les partisans de l'empire ? » on ne peut indiquer que quelques individualités isolées.

Malgré leurs défauts. les conservateurs sont les soutiens naturels de l'empire. Ils l'ont voulu, ils l'ont créé. Et ils forment un parti nombreux et indivisible. Quant aux libéraux, l'expérience a été vite faite. Le gouvernement a suivi leur programme, il s'est inspiré de leurs idées, imprégné de leur colère. Quels résultats a-t-il obtenus ? Leurs chefs, après l'amnistie, repassent avec leurs hommes et les armes qu'on leur a confiés dans les rangs ennemis. Ils entrent librement dans les villes, qui n'ont point de garnisons françaises, comptant à bon droit sur les sympathies des fonctionnaires impériaux, leurs coreligionnaires politiques, désireux de se ménager de bonnes relations avec d'anciens amis, qui seront peut-être les maîtres demain. (Archives du ministère des Affaires Etrangères de Belgique. Rapport de Mr. Blondeel du 10 mai 1865.)

On presse l'empereur de prendre des mesures énergiques et de punir ces compromissions. Il cède. Par un décret du 20 juin 1863, Forey avait institué une cour martiale pour juger, sans appel, les malfaiteurs pris les armes la main. L'application de cette loi entraîna de tels abus que les réclamations affluèrent chez l'empereur. Il usa souvent de son droit de grâce, quoique les généraux se plaignissent de l'affaiblissement de leur autorité. Espérant arrêter l'extension de la révolte, et cédant à divers conseils, Maximilien promulgue un nouveau décret, plus étendu. s'appliquant également à ceux, qui combattent pour l'indépendance : Tous les dissidents, pris les armes la main ou convaincus (page 154) d'appartenir à une bande armée, seront traduits sur le champ devant la cour martiale et fusillés dans les 24 heures.

Le résultat de cette sévérité est désastreux : quelques jours après, des Juaristes font dérailler le train de Vera Cruz, saisissent le colonel Friquet et 8 soldats et les fusillent. Indigné, Bazaine lance une circulaire aggravant encore la rigueur de la loi :

« Je n'admets pas qu'on fasse de prisonniers. Tout individu quel qu'il soit, pris les armes à la main sera mis à mort... C'est une guerre à mort, une lutte à outrance entre la civilisation et la barbarie, qui s'engage aujourd'hui. Des deux côtés, il faut tuer où se faire tuer. »

A l'instant le colonel impérialiste Mendez, qui a capturé dans le Michoacan les généraux juaristes Orteaga et Salazar, 8 colonels et de nombreux officiers subalternes, les massacrent. (Blanchot : ouvr. cité : t. III, pp. 12 et 16.) Cet acte de barbarie cause une indignation générale dans le pays.

En apprenant la cruauté des instructions du maréchal, et ses funestes conséquences, Charlotte s'affole. Depuis le combat de Tacambaro (BUFFIN, Récits d'hier et d'aujourd'hui, p. 243), trois compagnies belges sont prisonnières de l'ennemi. D'un instant à l'autre elle s'attend à apprendre leur mort. Elle tente des démarches pour les sauver, pour les échanger à tout prix. Elle y parvient.

On s'étonnera souvent dans cette histoire de voir les souverains si peu renseignés sur ce qui se passe. Cela tient à ce que l'empereur et l'impératrice, tous deux d'un caractère optimiste, cherchent à conserver leurs illusions sur la situation. Ils repoussent comme importuns des avis qui, quoique fâcheux, n'en sont que plus utiles.

(page 155) « Je me trouve en face d'une confiance qui m'irrite. signale Blondeel, et j'ai d'ailleurs pour excuse à mon pessimisme de n'être qu'un écho fidèle de ce qui se dit partout, dans la rue, dans les ministères et dans l'antichambre impériale. »

Au mois de juin 1865, l'empereur remplace Cortès Esparza au ministère de l'Intérieur par Esteva, libéral d'une nuance plus modérée. Ce changement est dû aux accusations portées par Bazaine :

« - Croyez-vous que les ministres trahissent, s'exclame l'empereur ? »

« - Je n'oserais l'affirmer, répond le maréchal, mais leurs sympathies sont ailleurs. Ils laissent faire et, peut-être, ne seraient-ils pas fâchés, si Votre Majesté, rebutée par les difficultés, renonçait à cette besogne ingrate.

« - Mais, objecte l'empereur, je suis la politique que vous avez inaugurée. »

A quoi le maréchal réplique : « - Ma politique à moi était transitoire comme ma position ; je n'avais qu'à préparer une bonne réception à V. M. Nous avions les conservateurs, il fallait y joindre les libéraux ; mais aujourd'hui qu'il s'agit d'un gouvernement régulier et stable, il faut procéder d'autre façon. » (Archives du ministère des Affaires Etrangères de Belgique, rapport de M. Blondeel de C du 10 juin 1865.)

Ces conseils ne sont pas écoutés, pas plus que ces sages paroles écrites par un haut personnage belge : « Manger du prêtre le matin, et du Français le soir, quand on a été appelé par le clergé et qu'on n'a d'autre appui que la France, c'est une dangereuse manière de gouverner. » (Ch. d'Hericault, Maximilien et le Mexique, Paris, 1869, p. 60.)

Maximilien est complètement dérouté au milieu de gens d'une race, d'une mentalité et d'une conception de la vie, voire même de l'honneur, si différentes de celles des Européens. Il persiste dans sa tentative de gagner (page 156) les libéraux. Il songe même à offrir à Juarez la présidence du tribunal Suprême. En attendant. il reçoit souvent à sa table d'anciens amis du président et, s'inspirant de leurs avis, il édicte une foule de lois, dont l'ensemble forme déjà 7 volumes et dont la diversité en rend impossible l'exécution. Cela nuit au pouvoir. qui aurait dû être prompt et énergique, pour être respecté.

Les ministres entretiennent l'empereur dans l'optimisme le plus complet, ce qui leur est d'autant plus facile que la liberté de la presse est fort restreinte. Ainsi le ministre de Belgique ayant signalé à Mr. Robles, ministre des Travaux Publics, la difficulté du voyage entre Vera Cruz à Mexico, celui-ci lui avoue qu'il a effectué le trajet peu auparavant et qu'il n'a passé que par miracle, tellement le sol est défoncé. En même temps. il envoyait un rapport à l'empereur disant que la route est très praticable. (Arch. du ministère des Affaires Etrangères de Belgique. Rapport de M. Fra Hoorickx. secrétaire de la légation de Belgique à Mexico, du 1er novembre 1865) Cependant. depuis 3 mois par un charriot n'a pu arriver à Mexico.

Il en est de même pour la colonisation. Robles déclare que le gouvernement, par manque d'argent, ne peut ni acheter des terres. ni établir des colons. et néanmoins, sur ses propositions, une foule de décrets. réglant la colonisation et offrant des terres aux émigrants. paraissent journellement.

En présence de l'inutilité de leurs observations, les représentants de la France inaugurent un système de vexations. Si par exemple. le général autrichien comte Thun ou quelques officiers reçoivent mission du département de la guerre d'organiser un corps d'armée mexicain. dès qu’ils ont réuni et équipé à grand peine 200 ou hommes, un ordre du maréchal disperse tous ces soldats par escadron de 25 dans les provinces, (page 157) de sorte qu’au bout d'un mois. ces militaires, à peine exercés et ces officiers improvisés ont disparu, sans qu'il soit possible au gouvernement de retrouver leurs traces. Ou bien, c'est l'intendance française, qui s'approvisionne pour un an, afin d'aggraver les embarras du trésor mexicain.

L' empereur récrimine : « J'ai été amené au Mexique en colin-maillard. Lors de mon arrivée à Paris, l’empereur Napoléon possédait sur le Mexique une série de rapports des plus satisfaisants. On déclarait que la question militaire était une affaire déjà terminée. A Paris. on disait même, que l'arrivée du nouvel Empereur dans sa capitale suffirait pour ne plus en entendre parler.

« L'Empereur des Français lui-même m'expliqua l'urgence d'un emprunt franco-anglais. tant pour défrayer les avances faites par le trésor français à la Régence que pour solder les troupes qui. selon le traité secret devaient rester au Mexique et enfin. dans le but de nous gagner l'adhésion de l'Angleterre.

« Les rapports que recevait le gouvernement français de ses agents étaient en effet. si séduisants que l'Empereur Napoléon s'arrêtait avec grand enthousiasme sur l'emploi des vastes sommes que laisserait l'emprunt aux travaux d'amélioration du pays. Il me donnait donc toute confiance.

« Comment ai-je maintenant trouvé la réalité ? A peine la dixième partie du pays était-elle occupée. Sur nos talons à deux heures de nous. Porfirio Diaz essayait de nous disputer le chemin de la capitale, sur la route de Vera Cruz Puebla. L'ennemi, de même qu'aujourd'hui, se trouvait dans les montagnes aux environs de Mexico. Les caisses de l'Etat étaient complètement vides. Aucune armée nationale n'avait été organisée. Loin de là, de nombreuses bandes indisciplinées, rassemblées sous le nom d'auxiliaires dévoraient les revenus publics. Aujourd'hui, elles aidaient le gouvernement (page 158) impérial, demain elles jouaient le rôle de voleurs. Peu de temps m'a suffit pour être saisi de la chimère de l'édifice, et pour comprendre combien l'on s'était joué de la confiance de l'Empereur Napoléon ! » (Papier d'Eloin.)

Avec non moins de vivacité, Bazaine. de son côté, assure que l'élection a été faite de bonne foi et par la grande majorité :

« L'Empereur. ajoute-t-il, ne me reçoit jamais à Chapultepec et quand je demande audience, il ne me l'accorde que cérémonieusement au palais de Mexico. Je suis parfois deux mois sans pouvoir l'approcher. Il est vrai qu'alors il me donne raison sur toute chose, opine du bonnet et me dit du mal de ses ministres, mais quand il est avec eux, il dit pis que pendre de moi. Où peut conduire une telle politique ?

« Chaque jour, j'adresse au palais une note politique et une note militaire pour être placées sous les yeux de l'Empereur. Ces bulletins me reviennent avec des annotations : « Transmis au Ministre de... » ou « Demandé un rapport au Ministre … », et tout est dit. Je crois que ces communications agacent l'Empereur, mais je juge de mon devoir de les continuer. (Rapport de Blondeel de C. du 28 octobre 1865.)

Un jour, apprenant ces griefs, l'empereur fait appeler le maréchal et M. Dano, ministre de France, et leur demande :

« - De quoi avez-vous à vous plaindre ? »

« - Moi, qui ne suis qu'un soldat aux ordres de V. M. répond le maréchal. je ne me plains que d'une chose, c'est que nous ne pouvons compter sur aucune autorité, que mes commandants ne savent sur qui s'appuyer. »

Et Bazaine en racontant cette entrevue, y joint ce commentaire :

« Il pleut des fonctionnaires dans les provinces, des visiteurs impériaux, des préfets politiques, des (page 159) préfets municipaux, des commandants divisionnaires, tout cela grassement rétribué. ayant une autorité fort étendue, dont chacun use à son gré et selon son caprice, percevant les revenus et ne rendant ni compte, ni argent. Si quatre hommes passent dans les environs, ils créent aux frais du Trésor, bien entendu, pour parer à ce grand danger, une garde de 2 à 300 hommes, en réalité ils en ont 50 et mettent en poche la solde et les vivres du reste !

« Je voudrais que l'Empereur, qui nous supporte avec tant d'impatience. voulût bien se passer de nous. Qu'il nous donne un port ou deux comme garantie de la dette ou s'arrange d'une façon quelconque et je serais heureux de partir. »

Comme on croit qu'Eloin, le chef du cabinet, exerce sur Maximilien une influence beaucoup plus grande qu'elle ne l'est en réalité, il devient le bouc émissaire, On le surnomme « le fléau du Mexique ». De toutes parts s'élèvent des plaintes, des accusations :

« L'affaire Eloi, écrit le baron Beyens le 8 avril 1865, continue à me tourmenter fort. LL. MM. se sont plaintes amèrement de lui à l'ambassadeur d'Autriche. Elles ont exprimé le plus vif désir de le voir éloigné de Mexico. L'Impératrice toujours plus ardente que l'Empereur, a dit formellement à Metternich de me prier d'écrire au Roi dans ce sens...

« Le motif est toujours l'hostilité à la France, antagonisme avec les fonctionnaires et militaires français. Par exemple, tandis qu'il fait aller l'Empereur au devant de la Légion belge, Eloin empêche qu'il se rende jamais dans une caserne ou un hôpital français. » (Papier Eloin.)

(page 160) Les raisons du mécontentement du gouvernement français contre Eloin, sont plus graves que ne le suppose le ministre de Belgique à Paris. S'identifiant au sentiment national mexicain. le chef du cabinet combat diverses demandes que Napoléon et Eugénie se froissent de ne pas voir accorder.

Ce sont :

1) Les indemnités dues à la France pour les dommages subis par ses nationaux et dont le chiffre a été considérablement augmenté par Dubois de Saligny.

2) Le paiement de la créance Jecker que le ministre des finances mexicain cherche avec raison à réduire.

3) La concession de la Sonora. qui avait été adoptée par la Régence, et que Maximilien ne ratifie pas.

4) Le privilège de la Banque Nationale, réclamé par M.M. Hottinguer, Fould, Mallet et Cie. et plus tard par M. Pinard. directeur du comptoir d'Escompte.

5) La construction et l'exploitation du chemin de fer de Vera Cruz à Mexico, dont malgré les lettres les plus pressantes des Tuileries et des sommités financières de Paris, Eloin fait limiter la durée de concession et le barème des tarifs. (Papiers Eloin, lettre du 28 janvier 1865.)

Il est naturel que les Français, qui doivent désespérer du paiement de leurs créances, cherchent à acquérir des intérêts dans le pays qu'ils ont conquis. Maximilien est fort maladroit en leur opposant des refus. Il aurait dû leur accorder les concessions sollicitées, en faisant diminuer les créances françaises d'une somme équivalente à la valeur des avantages donnés.

Les difficultés qu'il doit vaincre chaque jour, jointes à l'hostilité dont il est l'objet, découragent le chef du cabinet.

« Je suis toujours très affairé. écrit-il le 11 février 1865 à un de ses amis, et j'ai parfois des moments de (page 161) désespérance. quand je vois que nos efforts n'aboutissent pas. L'Empereur fait de bons décrets, ordonne d'excellentes choses, mais l'exécution ne suit pas. Nous attendons toujours l'organisation des tribunaux. Nos ministres eux-mêmes persistent à conserver des juges unitaires ct ceux-ci sont d'une immoralité révoltante. Tu n'as pas idée de ce qu'est la justice ici. Parfois, je me demande si l'adhésion à l'empire est bien sérieuse et si ceux qui semblent nous servir n'ont pas une arrière-pensée...

« La haine de l'étranger est profonde et générale. On abhorre l'armée française et, on ne nous supporte que difficilement... » (Papier Eloin.)

Maximilien, cédant à l'opinion publique, envoie Eloin en mission en Europe. Son cabinet est géré par le commandant français Loysel, homme loyal et conciliant. Cependant la situation ne s'améliore pas, au contraire. Divers actes de l'empereur augmentent encore le mécontentement de ses alliés : La reconnaissance du petit fils d'Iturbide, l'empereur éphémère, comme prince de la famille impériale, espèce d'adoption que le maréchal juge dirigée contre la France ; le discours prononcé par Maximilien à l'inauguration de la statue de Morelos, où l'on croit voir un défi à l'intervention ; enfin la situation de M. Langlais, envoyé par Napoléon pour remplir les fonctions de ministre des finances, qui vit en simple particulier, tandis que le gouvernement français lui envoie des instructions comme s'il dirigeait les finances. Ces incidents. relatés à Paris. avec des considérations malveillantes, attirent une mercuriale sévère.

Dans une longue dépêche à M. Dano, ministre de France, dont chaque mot est pesé, qui est aussi convenable dans la forme qu'énergique et dure dans le fond, M. Drouyn de Lhuys commence par dire que tous les rapports qui arrivent à Paris, de sources nombreuses et diverses, sont à tel point unanimes pour signaler la (page 162) voie fâcheuse dans laquelle s'est engagée le gouvernement impérial qu'il n'est plus possible de se faire illusion ; l'empereur ne s'entoure que des ennemis de l'occupation et de son propre empire. Au lieu de songer aux progrès matériels et à la pacification, il ne s'occupe que d'académies, d'instruction obligatoire etc., qui ne sont que le luxe des civilisations avancées et d'Etats bien constitués. Lorsque l'empereur Napoléon s'est donné la tâche de régénérer le Mexique, il s'est bien rendu compte des difficultés et des charges qui l'attendent, mais il n'a pu prévoir que les obstacles viendraient de l'empire lui-même et quel que soit son dévouement, ce dévouement a des limites. Le gouvernement mexicain semble s'étudier à rendre plus lourd le fardeau dont la France s'est chargée, et elle aura à examiner s'il ne convient pas de le déposer. Certes les soldats français acceptent leur labeur avec résignation et versent bravement leur sang, mais ils ne peuvent voir sans ressentiment leurs ennemis caressés par le gouvernement et. s'ils les font prisonniers. remis en liberté pour renouveler de nouveaux combats. système qui éternise la lutte. (Maximilien avait remis en liberté prisonniers faits à Oaxaca, espérant acquérir ainsi leur reconnaissance.)

Après voir observé qu'il est trop tôt pour être ingrat la lettre se termine par cette phrase : « Vous vous inspirerez. Monsieur, de ces remarques, dans toutes vos conversations avec les ministres et surtout avec LL. M.M. elles-mêmes. » (Archives du ministère des affaires étrangères de Belgique. Rapport de Blondeel de C. du 28 septembre 1865.)

Par le même courrier, Napoléon écrit Bazaine une lettre de sa main disant que les relations avec les Etats-Unis prennent un caractère de gravité, et il lui donne des conseils quant au plan à adopter si cette nation songeait à envahir le Mexique.

(page 163) Cette mission contient de plus cet ordre :

« Faites comprendre à l'Empereur que, dans les circonstances graves dans lesquelles nous pouvons nous trouver d'un jour à l'autre, il ne s'agit pas de faire du libéralisme et de la clémence, mais de montrer de l'énergie, du bon sens et de se livrer complètement à ceux-là seuls qui peuvent le sauver. » (Cette lettre est reproduite en entier dans Gaulot, ouvrage cité, t. II. p. 169.)

Malheureusement l'empereur et l'impératrice du Mexique, comme je l'ai déjà dit, n'admettent aucun conseil sur les questions de gouvernement. Le maréchal transmet à Maximilien le dernier paragraphe de la lettre de Napoléon, mais en l'adoucissant beaucoup. « parce qu'il n'est pas agréable de faire de telles commissions. » Quant à Mr. Dano, qui n'a pas confiance en Mr. Ramirez, il communique sa dépêche au colonel Loysel, chef du cabinet de l'empereur, qui n'a pas non plus le courage de dire toute la vérité. Et, Maximilien ignore la sévérité de ces avertissements et persévère dans sa politique maladroite. (Archives du ministère des Affaires Etrangères de Belgique, rapport de Blondeel de C. du 28 septembre 1865.)

A ce moment, l'empire aurait pu encore être sauvé, à condition de prendre des mesures immédiates :

l) Nomination de ministres conservateurs modérés, s'appuyant sur les propriétaires et le clergé.

2) Abandon de certaines lois dont l'application cause du mécontentement, telles que la loi sur la presse, la loi sur la révision des ventes des biens ecclésiastiques. etc.

3) Subsides au clergé réduit à la mendicité, par suite de la perte et de ses biens et du casuel, les sacrements devant être administrés gratuitement.

4) Compression des dépenses, suppression de la division du territoire en 52 départements, en divisions (page 164) militaires, en « commandances » qui exigent trop de personnel ; révision des traitements. création de nouvelles sources.

\5. Organisation d'une armée nationale, dont les cadres seraient pris dans les corps autrichien et français. et qui serait chargée de désarmer la population, qui a l'habitude de se battre sans cesse pour tout et pour rien.

Ces deux derniers points nécessitent quelques explications :

Depuis la proclamation de l'indépendance en 1821. la série de révolutions que le Mexique a supportées fut accompagnée d'une kyrielle d'emprunts volontaires ou forcés. Certaines de ces dettes donnèrent lieu à des critiques, des discutions sans fin ; d'autres tombèrent dans l'oubli, surtout les emprunts faits par les généraux dans les provinces éloignées de Mexico. Bref. la dette mexicaine constitue un imbroglio dans lequel on se perd.

Voici cependant, approximativement quelle est la situation :

La dette publique comprend un emprunt anglais 3 p. c. de 250 millions, un emprunt espagnol de 20 millions, deux emprunts intérieurs de 175 et 121 millions, l'emprunt français de 1864 de 250 millions. l'emprunt primes de 1865 de 250 millions, les créances admises à des résidents étrangers, soit 150 millions. enfin les sommes dues à la France, s'élevant à 325 millions.

En total 1,600 millions exigeant un intérêt annuel de près de 100 millions. De plus, par suite des révolutions, des dépenses urgentes s'imposent : subventions aux habitants dépouillés. réfection des routes, construction de chemin de fer, avances aux cultivateurs pour l'achat d’instruments agricoles. Les campagnes sont pillées, razziées. saccagées par les bandits qui opèrent au nom des partis politiques. Hors des villes, pas de fermes, pas de villages, pas de cultures. Enfin, et c'est la grande charge, il faut maintenir des troupes pour pacifier le pays.

(page 165) Pour faire face à ce passif formidable les revenus annuels de l'Etat ne s'élèvent qu'à 65 millions. La détresse est telle que les fonctionnaires ne parviennent pas à toucher leur traitement. Duran, accrédité Londres, demande vainement un acompte sur les sommes qui lui sont dues.

A Paris, on ne se rend pas compte de cette pénurie :

« Nous attendons avec impatience la nouvelle du retour de l'Empereur, écrit Eugénie le 15 décembre 1864, afin de voir les mesures financières que Vos Majestés auront prises. Cette question, si importante partout, l'est encore plus au Mexique et, pour nous, à l'approche de la session, il serait à désirer que nous puissions dire ce qui a été fait pour la pacification at l'organisation de votre beau pays, car Votre Majesté n'ignore pas quel point l'opposition est toujours prête se servir de tout. » (Archives de Vienne.)

Quelles mesures auraient pu remplir le Trésor ? Comment frapper d'impôts une population ruinée par 30 années de guerre civiles ? Eugénie se garde bien de l'indiquer.

Les héros de roman ont toujours une bourse inépuisable : pourquoi Maximilien fait-il exception à cette coutume ?

Sans insister sur l'exécution du traité de Miramar, Bazaine prélève sur les fonds de l'emprunt laisses à Paris le coût des travaux de construction du chemin de fer de Vera Cruz. ainsi que les frais de l'occupation militaire. Ces frais sont très élevés. Maximilien s'en plaint diverses reprises à Napoléon :

« Il est nécessaire que V. M. sache comment les efforts que je fais sont déjoués. L'automne dernier, j'avais fait mon budget qui donnait l'heureux résultat d'un surplus au lieu d'un déficit permanent. Le Maréchal (page 166) qui assistait au Conseil. approuvait toutes les mesures. Eh bien un mois après, il donna contre-ordre sur tous les points militaires et nous jeta dans de nouvelles dépenses affreuses. La seule campagne d'Oaxaca coûta dix millions, et des militaires prétendent qu'au mois d'août dernier le général Brincourt aurait pu prendre la ville avec un millier d'hommes. Je me rappelais alors les paroles de notre excellent Corta, qui me dit un jour : Bazaine est la plus grand dépensier de notre armée. »

Napoléon avait chargé Corta, député au corps législatif, d'étudier le moyen de régler les indemnités dues à la France sans oublier la créance Jecker. Après un séjour de quelques semaines à Mexico, Corta revient à Paris. Il fait à la tribune un tableau merveilleux des richesses du Mexique et de l'avenir réservé au commerce, à l'agriculture et l'industrie, sous le gouvernement de Maximilien que les Indiens déclarent l'homme de la prédiction aztèque, le demi dieu au cheveux blonds et aux yeux d'azur, parti pour l'Est et dont on attend le retour. » (10 avril 1865.)

Un emprunt de 250 millions de francs est lancé et souscrit à Paris, sur lequel après des prélèvements divers, il reste cent millions pour le Mexique. C'est une victoire à la Pyrrhus, dont le résultat est encore rendu plus pénible pour l'impératrice par cette lettre de Corta :

« En parcourant les débats, V. M. saisira la force du sentiment général, en France, qui demande le retour de nos troupes et Elle se convaincra de l'impossibilité d'en augmenter l'effectif, sans heurter l'opinion publique. On lit dans Les Débats : M. Rouher s’est montré plus habile que M. Corta ; il laisse entrevoir le retour de nos troupes dans quelques mois, tandis que M. Corta ne précise rien. La perspective du Ministre est une concession au courant de l'opinion.

« L'emprunt va mettre cent millions à la disposition de S. M. l’Empereur Maximilien. Ces 100 millions et les 10 millions de la Banque doivent assurer l'avenir financier du Mexique. Le gouvernement français pense qu'il serait difficile de faire un nouvel appel au crédit et il espère que cette réserve de capitaux européens (page 167) permettra de féconder les ressources des services administratifs et financiers. Que le Ministre des finances se mette sans retard à l'œuvre. L'essentiel n'est pas la perfection du système des impôts, l'essentiel est son application immédiate. L'expérience fera reconnaître les imperfections et permettre de les corriger. » (Archives de Vienne. Lettre de Corta à l’Impératrice du 25 avril 1865.)

Afin d'établir un système financier pratique, M. Bonnefons, inspecteur des finances, est envoyé de Paris. Il tombe malade. Napoléon envoie alors un homme très capable. Monsieur Langlais, qui est d'abord désigné comme ministre. Mais devant la répugnance de ses sujets à être gouvernés suivant des principes, des règlements français, Maximilien cède. Il constitue une commission des finances chargée de préparer une organisation nouvelle, en prend la présidence, ne laissant à Langlais que la vice-présidence, poste que ce dernier refuse dès son arrivée, ne voulant pas approuver des mesures prises hâtivement pendant son voyage.

C'est une grande maladresse commise par Maximilien. S'il avait placé Langlais à la tête des finances mexicaines, il eût laissé à la France toute la responsabilité des réformes à exécuter. Une crise est inévitable, ç'aurait été au gouvernement français à la conjurer. Les rôles eussent été intervertis. Maximilien aurait demandé des explications, et les agents français auraient dû chercher des ressources. Langlais quoique malade, devient un conseiller officieux. Il travaille sans relâche à la confection d'un budget. Les dépenses qui se sont élevées en 1865 à plus de 45 millions sont ramenées à 32 millions de piastres, par suite de la suppression de 3.000 emplois et la réduction d'un tiers de tous les émoluments, y compris la liste civile de l'empereur. En même temps, il augmente les recettes de la douane par une réforme du personnel, par la répression de la fraude, par un accroissement des (page 168) impôts intérieurs. Grâce à ces mesures, le budget ne présentera qu'un déficit de 4 à 5 millions de piastres, qui seront couverts par une avance de la banque.

Ce plan, approuvé par Maximilien et conforme aux exigences de la situation, soulève un tollé général parmi les parasites du budget, à ce point que la mort subite de son auteur est attribué au poison. Débarrassé de Langlais, le gouvernement continue ses dépenses. Eugénie s'inquiète. Elle se plaint :

« Je ne saurais trop appeler l'attention de Votre Majesté parce que cela intéresse tout le monde, sur la rapidité effrayante avec laquelle le montant de l'emprunt disparaît.

« Les traites se succèdent sans qu'on se préoccupe même de la rentrée des fonds, au point que la commission se trouve dans l'embarras et dans l'alternative, ou de laisser protester les traites, ou de rester à découvert en y faisant face avec la perspective d'une rentrée de fonds non encore recouvrés.

« Je n'ai pas besoin de dire à Votre Majesté combien cette manière d'agir fait du tort au crédit du gouvernement mexicain et combien nous en souffrons pour notre part, car vous savez tout l'intérêt que nous avons pour tout ce qui se passe là.

« Les finances sont les plus grandes garanties pour un pays ; sa prospérité est en rapport avec la sécurité qu'elles donnent, aussi c'est sur cette question que j'ai toujours appelé l'attention de Votre Majesté.

« Nous le regrettons d'autant plus, qu'en voyant disparaître des ressources qui devaient permettre de vivre sans faire un appel au crédit, du moins de sitôt, nous voyons les difficultés ou même l'impossibilité d'y avoir recours, et nous nous demandons sur quoi l'on compte pour sortir de cette difficulté bien plus grande, à mon avis, que les bandes qui circulent sur ce vaste territoire. » (Archives de Vienne : Lettre de l'Impératrice Eugénie à l'impératrice Charlotte du 30 novembre 1865.)

(page 169) Ce qui annihile tous les efforts de Maximilien, c'est le vol qui, chez les Mexicains, est passé à l'état de seconde nature. Il règne du haut au bas de l'échelle sociale. L'opinion publique ne s'en émeut nullement. On appelle « vivos », c'est-à-dire : fins, adroits, les hommes qui font leurs petites affaires en dehors de la légalité.

Le nombre en est grand. Les fonctionnaires, étant peu rémunérés, ont la coutume d'exploiter leur position. Ainsi les conseillers communaux adjugent le pavage, l'éclairage et toutes les entreprises de travaux publics, soit eux-mêmes, soit des amis, qui les payent. Et quand un homme ramasse ainsi une immense fortune, on sourit en disant : « Este humbre es muy vivo » ce que l'on peut traduire par : « cet homme est un adroit coquin. » Il ne faut nullement s'étonner d'entendre appliquer ces mots et à juste titre, à des conseillers d'Etat, à des ministres, qui jouissent d'ailleurs de la plus grande considération.

On cite, ce sujet d'amusantes historiettes, qui montrent la dextérité des voleurs : Un jour, le président Santa Anna s'aperçoit au conseil des ministres qu'on lui a dérobé, sous ses yeux, un superbe encrier d'argent. Il fait aussitôt fermer les volets des fenêtres et dit à ses ministres : « - Je ne veux pas savoir qui m'a volé mon encrier ; mais si dans cinq minutes, il n'est pas retrouvé, je envoie tous en prison. » L'encrier fut replacé sur la table et, grâce à l'obscurité, le coupable resta inconnu. (Domenech, ouvr. cité, page 110 et suivantes.)

Sous Juarez, des voleurs entrèrent à sept heures du soir chez le marquis S. T., l'attachèrent ainsi que sa femme au pied de leur lit et employèrent la nuit à déménager les meubles dans le carrosse du marquis.

On était si habitué à ces sortes de choses, que la marquise, ayant prié les voleurs de ne pas maltraiter une (page 170) petite chienne, qu'elle aimait beaucoup, disait le lendemain :

« - Eh bien ! Ce sont des voleurs, soit, mais ce ne sont pas de mauvais gens ; pas un d'eux n'a battu ma chienne Cachucha. »

L'empereur lui-même a été volé fréquemment. Après les dîners du palais, pendant qu'on servait le café, un domestique allemand étalait sur le tapis deux serviettes. Dans l'une, il mettait les couteaux qui étaient confiés à un serviteur mexicain pour les nettoyer, dans l'autre il plaçait les couverts d'argent et de vermeil qu'il emportait. Un jour, raconte l'abbé Domenech, aumônier du corps expéditionnaire, à un dîner à Chapultepec. je demandai au sous-chef du cabinet civil de S. M. qui était un convive à mine patibulaire ! « - C’est un conseiller d'Etat, me répondit-il, un des plus grands voleurs du Mexique ; la semaine dernière il a mis encore dans sa poche 30.000 piastres qui devraient être dans les coffres de l'Etat. »

Quand à la fin d'octobre Maximilien renonçant à abdiquer, se rendit Orizaba, il s'arrêta, pour manger, chez le curé d'Alculcingo, misérable hameau situé au pied des Cumbres ; quand il voulut se remettre en route, on s'aperçut que les 8 mules blanches, qui traînaient sa voiture, avaient disparu !

Les voleurs de bas étage sont d'une obséquiosité, qui paraîtrait révoltante, si elle n'était intéressée ; quand ils se prosternent aux genoux de quelqu'un, c'est moins pour lui baiser les pieds que pour lui prendre les cordons de ses souliers.

Au commencement de l'intervention, les officiers français voyaient disparaître leurs revolvers, leurs épaulettes, leurs dragonnes, sans pouvoir mettre la main sur les auteurs de ces larcins. Pendant la messe militaire. dans la cathédrale, un officier placé à côté du maréchal perdit deux croix qui étaient attachées sur sa poitrine !

(page 171) Les chapelles des églises sont fermées par des grilles. Quant à la clochette qui sert la messe, une chaîne en fer la retient à l'escalier. Rien n'arrête les escrocs. Au Mexique, le viatique se porte à domicile en voiture, avec une certaine solennité : Lors de l'intervention, au rétablissement du culte, le jour où à Mexico, on étrenna la nouvelle voiture, des Mexicains volèrent les deux lanternes qui brillaient comme de l'argent.

Une autre fois, à une exécution, le prêtre qui accompagnait le condamné au supplice du garrot, au moment de monter sur l'échafaud. laisse son chapeau entre les mains d'un de ses voisins. Celui-ci s'empressa de le porter au mont de piété et le prêtre du retourner chez lui nu tête. Ces larcins religieux n'empêchent pas leurs auteurs de réciter chaque jour la prière de Montserrato, qui empêche ses fidèles d'être découverts par la justice.

Quand le colonel français X fut nommé commandant de Mexico, il délivra la ville des voleurs en quinze jours. pour opérer ce miracle. il s'y prit d'une manière fort simple. Chaque fois qu'on lui amenait un filou, il mettait sa montre sur la table, puis il écoutait les excuses de l'inculpé. Quand ces excuses duraient cinq minutes, il lui faisait donner 25 coups de bâton. Plus les excuses duraient plus de temps, plus le nombre de coups de bâton augmentaient.

On cria d'abord contre ce système, mais quand on en vit les heureux résultats, le colonel fut complimenté par tous les citoyens honnêtes.

Maximilien aurait dû user Vis à Vis des fonctionnaires prévaricateurs de moyens analogues et il aurait rapidement assaini son administration. Ainsi quand Langlais découvrit que Navarro, le président de la commission chargé de la révision des ventes frauduleuses des biens ecclésiastiques, recevait des pots de vin pour déclarer valables les acquisitions illicites, l'Empereur aurait dû (page 172) lui infliger une peine si sévère que ses collègues auraient été dégoutés de suivre son exemple.

C'est surtout lors de la perception d'une loi fiscale que se montrait toute la souplesse, toute la ruse du caractère mexicain. Quand les agents du Trésor se rendent domicile, leurs reçus à la main, ils sont accueillis avec urbanité : cigarette, chocolat, alcool tout est à leur disposition. Mais d'argent point ; l’un a eu son hacienda ravagée, l'autre a sa femme en couches ou ses enfants malades ; certains demandent des rectifications, la plupart réclament des délais : « Revenez demain ou plus tard. » Si bien que le percepteur ne rentre au bureau qu'avec une longue litanie de doléances et de suppliques.

S'il se présente quelques jours après, il n'a pas plus de succès : les fins de non recevoir se multiplient à mesure que le fisc presse et menace. Enfin. quand le gouvernement impatienté et à bout d'écus donne l'ordre d'exécuter les récalcitrants, le contribuable fait la tortue, se laisse enlever ses meubles, sa garde-robe ; si bien que le Trésor se trouve à la tète d'une foule considérable de pianos, de fauteuils. de chapeaux, etc. Que faire de ces objets ? Les mettre en vente ? Personne ne les achète. Payer ses employés et son armée en bric à brac ? La chose serait étrange et divertissante. (Domenech, ouvr. cité, p. 175 et 177.)

Si les Mexicains font la tortue. quand il s'agit de donner leur argent au gouvernement, ils montrent une rare activité pour se faire entretenir par lui. De cet amour de places résulte une foule d'employés qui encombrent toutes les administrations, épuisent le Trésor et trafiquent de leurs emplois pour obvier à l'insuffisance des appointements.

C’est ainsi qu'à Cordova, les voyageurs et les charriots de passage dans cette ville sont astreints à une contribution. qui produit 500 francs par jour, pour donner 60 francs aux tirailleurs algériens. Que devient le reste ?

(page 173) On voit que Maximilien avait autant de difficultés à percevoir les impôts des contribuables qu'à obliger les agents à les verser au Trésor. A ce point que le Maréchal Bazaine s'écria un jour : « Près de chaque fonctionnaire mexicain, il faudrait un soldat français pour le surveiller ! »

Malheureusement. certains éléments du corps expéditionnaire laissent à désirer. Dès l'avènement de l’empereur, une foule d'aventuriers de tous les pays. gens tarés, vicieux, prêts à tout, se sont abattus sur le Mexique. Ils s'engagent dans le corps expéditionnaire et déshonorent l'armée par des actes de brigandages. dont voici un exemple :

Au moment où une colonne française sous les ordres du colonel Tourré pénétrait dans la Huastica, le fils d'un des riches propriétaires de cette contrée, nommé Andrade. accourt à Chapultepec, et demande à parler d'urgence à l'empereur. Reçu aussitôt, il annonce que les troupes françaises se préparent à mettre au pillage la ville de Huanchinango. où habitent les siens. « - Ce n'est pas possible répond Maximilien. » Cependant pour le rassurer complètement, il fait atteler sa voiture, se rend la ville et envoie prendre des informations au quartier général.

Le maréchal, très surpris et très vexé, réplique à l'empereur que « ce ne sont que des calomnies et que de tels faits ne pourraient jamais avoir lieu sous le pavillon glorieux de la France. »

L'empereur transmet ces nobles paroles au fils d'Andrade, qui retourne en toute hâte à Huancbinango et rassure sa famille. Peu de jours après, leur riche demeure est pillée, ses habitants sont maltraités.

O scandale ! à la noce de Mlle de Montholon, fille du ministre de France. un de ses parents lui apporte comme cadeau un bijou d'or et un lot de dentelles de la famille d'Andrade ; dans son inconscience, il se vante de l'origine de ces dons !

(page 174) Maximien, voulant conserver à l’armée alliée sa bonne renommé, s’empressa de payer sur sa cassette particulière la forte somme fixée par Andrade comme indemnité. (Papiers Eloin.)

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