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La tragédie mexicaine. Les impératrices Charlotte et Eugénie
BUFFIN Camille - 1925

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BUFFIN Camille, La tragédie mexicaine. Les impératrices Charlotte et Eugénie

(Paru en 1925 à Bruxelles, chez A. De Wit)

Chapitre VI. Arrivée au Mexique

(page 99) La Novara entre à Vera Cruz le 28 mai 1864, et le jour même, Maximilien reçoit à bord le général Almonte, lieutenant de l'Empire. Il le remercie et lui confère la charge de grand maréchal de la cour, ce qui est une manière honorifique de lui enlever toute autorité.

Le lendemain, l'empereur et l'impératrice débarquent à 8 heures du matin. Par crainte du vomito, qui règne en ce moment, ils traversent rapidement la ville, dont les murs sont couverts d'un manifeste impérial et ils prennent le chemin de fer jusqu'à Paso del Macho. De cette localité, six voitures escortées par un régiment de cavalerie mexicaine, les transportent jusqu'à Cordova. La foule est immense, les acclamations enthousiastes. Ces ovations continuent à Orizaba, à Puebla, à Notre Dame de la Guadelupe.

L'entrée dans Mexico a lieu le 12 juin. Elle est grandiose. Une foule immense est accourue pour voir cet empereur qui, pour les Indiens, est envoyé par Dieu pour apporter à leur vie misérable les bienfaits de la justice et de la paix. Et, c'est avec délire, que ces centaines de mille victimes de la vie agitent des rameaux verts, en poussant des vivats frénétiques.

(page 100) En tête du cortège, marche un régiment de lanciers mexicains, commandé par Lopez, l'homme néfaste de Queretaro, et dix escadrons de hussards et de chasseurs français. Aussitôt après vient le carrosse, contenant souriants et heureux, l'empereur et l'impératrice. Aux portières se tiennent, l'épée à la main, à droite le général Bazaine, à gauche le général baron Neigre. Derrière est porté le fanion du commandant en chef de l'armée française, suivi de l'état-major, des chefs de services, des dignitaires de l'Empire, des fonctionnaires, de tous les grands personnages. (Colonel Blanehot: ouvrage cité : t. Il, p. 171.)

Ce cortège se dirige lentement vers la place d'Armes, où s'élève la cathédrale, magnifique monument du XVIème siècle. Devant le parvis, les souverains descendent de voiture et s'avancent sous le gigantesque portique à la rencontre de l'archevêque, qui les complimente et les mène à l'autel, où un Te Deum est célébré, puis le cortège se rend à pied au palais impérial, vaste édifice façade de caserne. Conduit dans la salle du Trône, restaurée et meublée avec recherche, l'empereur. en présence de toutes les autorités, prononce une allocution émue et sincère, qui est accueillie avec enthousiasme.

Mais dans la soirée, lorsque Maximilien et Charlotte, après avoir admiré les illuminations, se retirent dans leur chambre à coucher. tendue de moire blanche relevée de baguettes d'or, un incident se produit. A peine plongées dans le sommeil LL MM. sont désagréablement réveillées. Elles sont assaillies par des légions de... punaises. La lutte est impossible. Refugiés dans une pièce voisine, l'empereur s'étend sur un billard, et l'impératrice s'installe dans un fauteuil. Sous un prétexte, dès le lendemain, les souverains transportent leur logement au château de Chapultepeac, ancienne (page 101) résidence des rois aztèques, situé sur une roche qui domine la plaine de Mexico. Là, au moins, ils sont à l'abri des insectes.

Quelques jours après, Charlotte envoie à l'impératrice Eugénie une relation de son arrivée.

« Mexico, le 18 juin 1864.

« Madame et bien chère sœur,

« M. de Montessiu m'a transmis hier votre bonne lettre, au moment où j'allais écrire à Votre Majesté pour lui des nouvelles de notre heureuse arrivée dans ce pays-ci. Elle peut se figurer avec quel intérêt, j'ai questionné le jeune envoyé sur votre Majesté, cela me faisait plaisir de causer d'Elle avec quelqu'un qui l'avait vue. Quant à penser à Vos Majestés, nous n'avons fait que cela, depuis quinze jours, parfaitement secondés par les Mexicains, qui éprouvent envers Elles une reconnaissance légitime, que nous tâchons de leur inculquer davantage. Si jamais pays a été sauvé miraculeusement d'un état dont il ne serait jamais sorti, c'est bien celui-ci, il le sait, et il le comprend ; il le témoigne par sa joie toujours croissante et par l'accueil affectueux qu'il nous a fait.

« C'est la liberté d'expression qui lui a été rendue par la France, car vraiment depuis qu'il la possède. il semble être devenu tout autre. On le disait froid et apathique ; je le vois au contraire montrer beaucoup de cœur et de confiance et surtout de satisfaction d’être délivré de ces mille despotes, dont il se serait jamais débarrassé tout seul, sans la main généreux de la France.

« Les tricolores de Vos Majestés et les nôtres flottent partout, réunis parfois à côté de celles de mon pays, qui lui aussi été redevable à l'alliance française du berceau de son indépendance et de sa prospérité.

« Parmi les poésies qu'on nous a jetées Puebla, nous en avons recueilli deux dans notre voiture que je me permets de vous envoyer. Si j'y ajoutais toutes celles que nous avons reçues ici également sur vos Majestés le nombre en serait prodigieux.

(page 102) Sur un arc de triomphe. près du lac de Chalco, on lisait « Eterna gratitud Napoléon tercero ». A notre arrivée à Guadelupe, on crie beaucoup « Viva Maximilano primero » Viva Napoleon tercero » et la foule répondait « que viva » en soulevant ses grands sombreros. La vue de la Vierge de Gadalupe m'a beaucoup touchée. C’était comme une grande réparation historique, que l'hommage rendu à la protectrice des Indiens par un descendant de Charles Quint, prêt à s'asseoir sur le trône de Montezuma. Aussi l'accueil que nous reçumes ce jour-là fût tel que je n'en ai jamais vu, c'était l'effusion de la délivrance et comme une espèce de délire, qui s'était emparé de plusieurs milliers de. cavaliers et de toutes les dames de Mexico. Le lendemain sur la grande place, qui regorgeait de monde, il se produisit une manifestation très affectueuse, c'était le soir, nous avions passé quelques instants sur le balcon, lorsque des voix se firent entendre : « Salga nuestro imperator » , nous revîmes et il y eut alors de telles acclamations que ce n'était plus que des bruits confus et inarticulés.

« L'armée française nous a reçus partout de la manière la plus aimable et les cris de « Vive l'Empereur » interrompent avec non moins d'ardeur ceux de « Viva el Emperador. » C'est que l'armée francaise assiste en effet au commencement du succès de son œuvre, d'une des plus belles certainement que parmi toutes ses gloires. elle ait été appelée à accomplir. Ce qui est satisfaisant pour nous et, en même temps, un hommage rendu aux efforts et la grande pensée qui a présidé l'entreprise.

« Le sang versé Puebla ne l'aura pas été en vain, car il aura fait germer une nation là il en avait pas, et élever un autre empire avec un autre aigle pour symbole sur la rive opposée de l’Atlantique.

« L'alliance entre ces deux empires peut devenir un des grands faits de l'histoire.

« D'après tout ce que j'ai vu, une monarchie dans ce pays est faisable et répond aux besoins unanimes de la population. cependant cela n'en reste par moins une tentative gigantesque, car il y a à lutter avec le désert, avec les distances, avec les routes, avec le chaos le plus complet. Il y a dans ce pays-ci des hauts et des bas de civilisation surprenants.

(page 103) A Mexico, on est peu près comme en Europe. A une demi-heure de là, on verse dans une gorge et l'on est attaqué par des voleurs. Cela ne nous est pas arrivé, grâce à l'habilité des généraux français, mais nous avons traversé maint endroit très suspect, où l'on avait caché plusieurs milliers de partisans. J'avoue que le premier jour de notre voyage de Tejeria, à Cordona, la chose me paraissait très louche et si Juarez même était apparu avec quelques centaines de guérillas, je n'en aurais pas été étonnée. C’est une route abominable traverse des plaines incultes jusqu'au Chiquihuite. Les seuls points civilisés sont des postes français avec leur cantine côté. Au Chiquihuite, 7 heures du soir, au sein d'une épaisse forêt, la roue 'le notre voiture cassa et nous ne fîmes qu'à 2 heures du matin, notre entrée à Cordeba dans une diligence de la republica. Cette journée me laissa une étrange impression, les Mexicains se conifndaient en excuses à cause de la route (nous avions passé par une demi-douzaine de barrancas, avec des pierres de plusieurs mètres de longueur), et nous leur assurions cela ne nous faisait rien du tout, mais de fait cela dépassait toute expression et il fallait notre âge et notre bonne humeur pour ne pas avoir de courbature ni de côte cassée. Les routes sont du reste la seule chose que j'ai trouvée pis que je ne croyais. Entre le Canada et Palmar, l'une des diligences qui nous suivaient a versé complètement avec six messieurs, dont M. Velasquez de Leon, qui a dû sortir par la fenêtre et cela seulement parce qu’il venait de pleuvoir pendant un demi-quart d'heure.

« Votre Majesté voit que voyager dans ce pays-ci n'est pas une petite affaire, cependant nous n'avons pas même été fatigués. M. de Montessui vient de me dire que la diligence vient de nouveau d'être arrêtée entre Mexico et Vera Cruz et que l 'on y a pris trois piastres. Elle l'avait été la veille de notre arrivée à Cordoba, bien qu'Almonte ne veut pas tout fait en convenir.

« Orizaba est un des jolis endroits qu'on puisse voir et rappelle l'Italie et le Tyrol méridional, l'air y est délicieux, d'une légèreté extrême. Le Cerro du Barreys surplombe la ville. A Puerte Colorado nous attendaient les autorités de Puebla et le général Brincourt. Je ne saurais assez faire l'éloge à votre Majesté (page 104) de ce dernier, c'est je crois parmi tous les officiers capables qui sont ici l'un des plus remarquables, comme bravoure, comme énergie, et aussi comme tact, car il comprend et ménage le caractère mexicain plus que personne. Je le crois appelé à rendre des services signalés dans ce pays-ci. L'Empereur lui a donné la croix de grand officier de la Guadelupe ainsi qu'au général de Manssion, à l'occasion d'une promotion qui a été faite à notre passage à Puebla.

« De Puebla, nous avons été à Cholula et nous avons entendu la Messe sur le teocali dans la chapelle de la Vierge de los Remedios, Cela a quelque chose de très émouvant que cette petite chapelle sur l'emplacement où se faisaient les sacrifices humains.

« La plaine environnante rappelle beaucoup la Lombardie, comme aussi les environs de Mexico, qui sont ravissants. Les officiers, qui ont fait la campagne d’Italie, conviennent que cela y ressemble. C'est une grande satisfaction pour nous, car on se croit en Europe. Le Pasco de Mexico, avec un peu de bonne volonté, fait penser aux Champs Elysées, il y a beaucoup de voitures le soir, mais toutes fermées à commencer par celle du général en chef. Les matinées sont on ne peut plus agréables ainsi que les soirées.

« Pendant notre trajet de Vera Cruz ici, nous avons pu nous convaincre de plus en plus que la population de ce pays-ci est indienne, car hors des villes on ne trouve pas un blanc. C'est comme un coup de baguette. A peine dans un endroit considérable que voilà des préfets en habits brodés et écharpe tricolore comme en France, sauf que les broderies sont d'or. Cela fait un étrange contraste avec le reste du pays, il en est de cela comme du chemin de fer, la civilisation est commencée par plusieurs bouts, mais il manque les jalons intermédiaires et la suite.

« Presque tous les Indiens savent lire et écrire, le peuple est souverainement intelligent et si le clergé l’instruisait comme il le faut, ce serait un peuple éclairé. Nous avons vu des écoles fort avancées, où les enfants savaient des choses qu'ils ne savent certainement pas en Autriche, d'autres où on leur demandait si Dieu avait des mains ou des oreilles, ou bien quelle était la différence entre la Sainte Vierge véritable ou celle qui était à l'église : et cela dans la ville cléricale par excellence de Puebla. Les prêtres ne font même pas le (page 105) catéchisme dans les écoles. Cependant, il y a dans le clergé des éléments de patriotisme et même de progrès intellectuel, dans le bas clergé. bien entendu. Lorsqu'on l'aura fait rentrer dans sa sphère et qu'il commencera à s'occuper de son ministère, il pourra peut-être avec le temps devenir assez bien.

« Tout est refaire dans ce pays-ci, on ne trouve que ce qui est nature au physique et au moral. C'est une éducation à entreprendre jusque dans les plus petites choses, heureusement qu'il y a une grande docilité, cette docilité qui a fait supporter tous les pouvoirs les plus écrasants, toutes les exactions et tous les crimes. Les gens tranquilles aimaient mieux se cacher que de résister.

« L'homme. qui a sur la conscience tous les malheurs et toutes les aberrations du Mexique, c'est le général Santa Anna. C'est lui qui a établi la république comme un moyen de régner avec impunité, qui a perdu la moitié du territoire, qui a fait toutes les révolutions et qui a corrompu tout ce qu'il a pu corrompre, surtout les sentiments de moralité. I.es gouvernements éphémères, qui se sont succédés depuis quarante ans, n’ont jamais été que des minorités supplantées par d'autres, car jamais ils n'ont eu de racine, dans la population indienne, la seule qui travaille et qui fasse vivre l'Etat. Aussi a-t-on salué comme indice de nouvelle ère que l'Empereur voyage simplement et sans uniforme dans les provinces, car le peuple est blasé de tous ces généraux chamarrés qui ne savaient que monter à cheval et se faire la guerre. Sous ce rapport le système de Juarez était une amélioration sensible, mais il tendait à obtenir la civilisation par les Etats-Unis, ce qui était une grande anomalie. La France est venue juste temps pour arrêter ce courant et en substituer un autre vers elle, ce qui je crois est le seul moyen de civiliser le pays, car il faut y importer la civilisation.

« Le 22 Juin.

« J'ajoute encore quelques lignes car le courrier n'est pas encore parti. Le bal a été fort beau dimanche et tout le monde très aimable. Le quadrille se composait de l'empereur et de la fille du préfet municipal, du général Bazaine et de moi, et des deux couples, Moutholon et Almonte. Ce dernier est heureusissime de la Légion (page 106) d'honneur qu'il porte avec un orgueil visible. Cela fait plaisir qu'il recueille enfin quelque satisfaction pour prix de tant de peines et de difficultés.

« Adieu, Madame et bonne sœur. Les choses iront ici, si Vos Majestés nous secondent. parce qu'elles doivent aller et nous voulons qu'elles aillent, mais c'est un labeur prodigieux. Quand un pays s'est amusé pendant quarante ans de son existence à défaire tout ce qu’il avait en fait de ressources et de gouvernement, on ne réédifie pas cela en un jour. Ceci, du reste, ne nous effraye nullement, ce n'est que comme fait que je constate.

« Nous nous sommes voués à cette œuvre avec une parfaite connaissance de cause, pour ma part, je le répète, je n’ai été surprise que des routes. Tout le reste je l'ai trouvé plutôt mieux que plus mal, Il faut les chemins de fer avant tout et l'émigration. Les plateaux qui environnent Mexico sont magnifiques, si l’on savait cela davantage, il n’y aurait pas tant de pauvres dans les grandes villes de l'Europe. Il y a la richesse des mines, qui est prodigieuse. mais les voies manquent pour charrier ces produits. A Mexico, on a de la peine à se procurer du fer à côté des filons les plus productifs, Dans les filatures de coton, on brûle du charbon de bois, parce qu'on ne sait comment amener la houille qui se trouve aussi dans le pays.

« Nous sommes ravis de Chapultepec, où nous habitons déjà, le panorama est peut-être un des plus beaux du monde. Je crois que cela surpasse Naples. L'air d'ici est excellent et nous convient beaucoup. Tout cela nous offre d'amples compensations pour la patience qu'il faudra exercer pour le reste, Si votre Majesté voyait ce pays, je suis sûre qu'elle l'aimerait, mais elle ne se fait peut-être pas une idée de l'état dans lequel il se trouve. Et en songeant que la présence de l'armée française lui a rendu la sécurité et l'a de beaucoup amélioré, on peut se figurer ce qu'il était avant.

« Il est peut-être regrettable que le gouvernement depuis un an n'ait pas résidé tout entier entre les mains de l'autorité française, dont l'influence eut été plus directe, car les Mexicains, malgré toute mon affection pour eux, ne savent pas se gouverner et peut-être y eût-il eu ici du temps de gagné. Maintenant les (page 107) partis sont en suspens. Tous attendent leur rédemption, mais je ne sais pas s'ils y contribueront, car on aime assez ici que les choses aient par miracle. Il en a été ainsi lors de leur indépendance, tout le monde était persuadé que ce serait la poule aux œufs d'or et qu’l n'y aurait plus qu'à se croiser les bras ; l'histoire en a donné le démenti. »


Les premiers jours, tout marche donc à souhait. mais lorsqu'il fallut aborder les affaires, des difficultés surgirent de toutes parts. (Niox, ouvr. cit., p. 383.) La détresse financière, les désordres administratifs, la stagnation commerciale, rendaient la situation fort critique.

Simple de manières, vêtu d'un costume de cuir sans ornements, l'empereur étudie les différentes questions et travaille avec la régularité d’un fonctionnaire consciencieux. Même en se rendant, dans un modeste coupé, de Chapultepec au palais de Mexico, il compulse de volumineux dossiers. (Ch. Mismer, ouvr. cit., p. 155) Son absence de faste nuit à son prestige. La population avait conservé le souvenir des vice-rois espagnols, qui passaient dans un équipage ruisselant d'or, attelé de 8 chevaux magnifiquement harnachés, que conduisaient des cochers et des piqueurs chamarrés. A cette vue, tous s'arrêtaient, sombrero bas, pétrifiés de respect.

Charlotte abandonne la simplicité d'allure de son époux, la suite d'un incident, qui survint peu après son arrivée: le carrosse de l'impératrice s'étant arrêté, pour une cause quelconque, sur la place principale de Mexico fut entouré par des gens qui, plus curieux que respectueux, approchaient du véhicule avec la familiarité inconsciente de ce peuple démocrate. Surprise d'abord et fâchée ensuite, la souveraine se pencha en dehors de la voiture et cria : « A bas los sombreros ! » (à bas les chapeaux).

(page 108) Dès lors, elle s'entoure de la pompe impériale. Elle est vraiment imposante, quand elle préside quelque cérémonie, couronne en tête, la poitrine barrée par le cordon rouge de son ordre de San Carlos, ou qu'elle traverse dans ses somptueux équipages la place d'armes pour se rendre à la cathédrale, au son des cloches ou au vacarme des « cohetes » (sorte de pétards). Parfois, après une victoire, elle passe les troupes en revue, questionnant les officiers ct les soldats, visiblement radieuse de leurs succès.

Dans une lettre adressée le 23 juin à Léopold Ier, Maximilien indique les premières mesures qu'il adopte :

« ... Notre voyage de Miramar à Mexico a été très heureux, sur mer, nous avons eu un temps magnifique, et pendant le passage de Vera Cruz, quoique la fièvre jaune régnât fortement, on n'a pas éprouvé le moindre malaise parmi notre suite nombreuse ; ensuite, pendant notre voyage par terre de quinze jours, pas un seul accident n'est survenu.

« La réception de la population a été partout extrêmement sympathique et cordiale, de longues colonnes gens grimpaient des vallées et descendaient des montagnes pour nous voir ; les Indiens surtout se faisaient remarquer par leur enthousiasme. Chez eux vit une tradition de la monarchie, ils forment la masse sur laquelle il faudra bâtir l'avenir. L'Indien est laborieux et obéissant, il fournit un artisan excellent et un soldat courageux.

« Je passe les détails du voyage. cher père, Charlotte vous donnera à ce sujet renseignements précis. Arrivés à la capitale, j'étudie maintenant la possibilité de trouver une position pour les hommes dont je peux utiliser les services. Je commence par la formation de deux commissions, l'une pour la réglementation précise et exacte des finances, l'autre pour l'organisation de l'armée ; j'y attire les capacités du pays et quelques Français. La première commission a des subdivisions qui s'occupent de l'impôt, de la dette, de l'emprunt, de la vérification des contrats, de la(page 109) réglementation des exploitations minières, de la frappe de la monnaie, de la formation d'agents etc., etc.

« La commission de l'armée doit me présenter des propositions pour un recrutement équitable, pour une gendarmerie capable de maintenir l'ordre, pour un équipement pratique et à bon marché ; en dehors de cela la commission de l'armée doit élaborer un plan précis pour l'occupation de tout le pays.

« Par cette dernière mesure, nous obligeons l'armée française et son chef en particulier, qui est en même temps chef de la commission, à déployer une plus grande activité. Ces braves gens se reposent un peu trop sur leurs lauriers. Quand ces deux commission fonctionneront, sous mon contrôle direct, j'en formerai une troisième, qui aura à étudier la question épineuse droit, de l'enseignement et d'un peu d'art. A côté de ces commissions, dont le travail réformateur exige du temps et du calme. le gouvernement doit s'occuper actuellement de la sécurité publique et de la construction de bonnes voies de communication.

« Etant pris journellement en ville pendant plusieurs heures, nous passons les matinées et les soirées au calme, à Chapultepec, une résidence qui, au point de vue de la beauté de la nature, et des panoramas, dépasse toute description, et ne peut être comparée qu'à Sorrente et Naples.

« Charlotte et moi. cher Père, nous vous baisons les mains, et je reste ;

« Votre fils très fidèle.

« Maximilien. » (Archives de Vienne.)

Ce qui complique singulièrement le travail de réorganisation, c'est l'acharnement de la lutte politique, qui divise la population. Il y a deux partis : les démagogues et les réactionnaires et les uns sont aussi violents que autres. Leur parler modération, conciliation, justice, c'est peine perdue, chacun ne voit dans le pouvoir que le moyen (page 110) d'opprimer son adversaire ; si Maximilien s'était fait la créature du parti clérical, avait suivi ses idées, adopté ses hommes, s'il lui eût rendu la domination, il aurait recruté sans peine de nombreux partisans. Mais cette manière d'agir aurait été en désaccord avec ses opinions libérales. Il cherche donc à étayer son gouvernement sur les Indiens et sur un groupe nouveau composé de gens modérés des deux partis. Il proclame une amnistie, lève le blocus des ports, et transforme un arc de triomphe qu'on projette de lui élever en un monument dédié au souvenir des héros de l'Indépendance.

Tous les litiges sont tranchés d’une manière conforme à l'équité. Il rejette ainsi certaines prétentions, déçoit de nombreuses espérances, et s'attire à la fois l'hostilité des catholiques et des libéraux. En effet, les premiers n'étaient pas loin de demander le rétablissement de l'Inquisition, les seconds l'expulsion de tout ce qui portait une soutane.

Par crainte de blesser le sentiment national de son nouveau peuple, il mécontente aussi Napoléon, en lui refusant diverses concessions et, lors de l’arrivée de la mission scientifique de Paris, en renouvelant par décret la défense de faire des fouilles et d'exporter des antiquités mexicaines.

Avec les souverains étaient venus d'Europe deux hommes. qui eurent une influence fâcheuse: l'autrichien Scherzenlechner, ancien gouverneur de Maximilien, et le belge Eloin, ingénieur qui s'était acquis de la réputation par des missions en Californie et en Australie. (Il avait été chargé avec 2 compagnons en janvier 1861 par le Roi d'explorer les nouvelles Hébrides, et, s’il le juge convenable, d'en prendre possession au nom de la Belgique. Le gouvernement belge désapprouva cette annexion. les îles étant à son avis trop éloignées. (Papiers d’Eloin.).

Installés au cabinet de l'Empereur, ils traitent toutes (page 111) les questions, malgré leur ignorance des habitudes du pays et leur incompétence en matière politique et administrative. Les fonctionnaires supportent difficilement la suprématie de ces deux étrangers, dont le caractère bourru et la rude franchise contrastent avec la politesse habituelle des Mexicains. (Arch. de Vienne. Lettre de l'Empereur au Roi Léopold du 2 juillet 1865.)

A Eloin surtout, qu'on dit franc-maçon et athée. s'attache la haine des catholiques, qui n'hésitent pas à l'accuser faussement de malversions. On le représente de plus comme hostile à l'intervention. C'est exagéré. Il estime que l'influence française, prépondérante et dominatrice avant l'avènement de l'empire, doit nécessairement diminuer après sa proclamation, pour disparaître tout à fait. Napoléon ne l'entend pas ainsi. Il compte exercer sur le Mexique un véritable protectorat.

Poussé par ses idées libérales, et par l'influence de ses conseillers, Maximilien constitue son ministère avec des hommes trop connus pour leurs idées avancées. Il donne le portefeuille des Affaires Etrangères à M. Ramirez, républicain ardent, d'une grande valeur intellectuelle, mais un des seuls notables qui ait voté contre l'établissement de l'empire. Il s'était acquis, disait-on, la bienveillance de Maximilien par son projet de rallier Juarez et Ortega à l'empire et d'obtenir leur soumission contre le renvoi des troupes françaises. Ramirez d'abord refuse, puis sur une démarche de Charlotte, il accepte d'entrer dans le cabinet. (Le duc et Lara : Diccionario de geografia, historia y biogratia mexicanas, Mexico 1910, art. Ramirez.)

Maximilien ne promulgue pas la Constitution qu'il a préparée. Il concentre en ses mains tous les pouvoirs, sans Chambres, sans élections, sans contrôle des citoyens.

(page 112) « Il ne peut être question pour le moment, écrivait-il le 10 juillet à Léopold Ier, d'un essai constitutionnel, il faut que le gouvernement ait pleins pouvoirs jusqu’à ce que le pays soit pacifié, Ces bonnes gens doivent d’abord apprendre à obéir avant qu'ils puissent dire leur mot. » (Archives de Vienne. Lettre de Max à Léopold Ier, 10 juillet 1864.)

Cette dictature aurait été avantageuse. si Maximilien avait su gouverner, malheureusement pour tout, il montrait de l'indécision et cherchait à gagner du temps.

« J'évite toute précipitation, répétait-il. car la précipitation fut l'erreur essentielle du gouvernement précédent. Le calme surtout impressionne les gens qui semblent tout étonnés de nous voir, Charlotte et moi, prendre les affaires d'une manière si tranquille. » (Archives de Viennes.)

L'empereur considère les Mexicains comme de braves gens très mous, très lents, mais dont on fait ce qu'on veut à la longue et avec lesquels il faut surtout de la patience. C'est une erreur. Pour les mener, il faut de l'énergie. non de la patience. Son système de temporisation est déplorable dans un pays, dont la population est d'une paresse et d'une inertie telles qu'un Mexicain préfère se laisser battre et dépouiller, plutôt que de faire un effort.

A titre d'exemple, un fait historique mérite d'être rapporté :

La femme de Mozco, bandit célèbre, s'avisa de se vêtir en ranchero, de s’armer d'un fusil et d'un révolver et d'arrêter aux environs d'Amozoc la diligence qui fait le trajet entre Vera Cruz et Puebla. Ce jour-là, il y avait six Mexicains dans la voiture. La señora Mozco les fit descendre, leur prit leur argent et leurs bijoux ; puis, remontant à cheval, elle déboutonna son gilet. montra sa poitrine et leur dit : « Voyez. vous avez été (page 113) dépouillés par une femme ; vous êtes tous des lâches et je vous ... », la suite de la phrase ne s'imprime pas. (E. Domenech : Le Mexique tel qu'il est, Paris 1867, p. 60.)

Au mois d'août, voulant se rendre compte des disposition. du pays, Maximilien laisse la régence à l'impératrice et suivi d'officiers français, il visite San Juan del Rio, Queretaro. Dolores, Guanajuato, Léon, Morelia, Toluca et ne revient à Mexico que le 30 octobre.

« Ce voyage, explique-t-il de Queretaro à son beau-père, me fut commandé par de sérieuses raisons et porte déjà ses fruits; il m’a fallu personnellement exciter l'activité du commandement militaire, afin de jeter hors du pays Juarez, dont le gouvernement d'ailleurs est à toute extrémité ; ensuite, il était nécessaire de fournir la preuve sur les marchés financiers de l'Europe, que le pays est tranquille et que le souverain peut le traverser librement ; enfin, il est indispensable que je connaisse la contrée et les gens avant de prendre des mesures définitives. La réception est partout des plus cordiales et dépasse de loin nos prévisions, ce sont principalement les Indiens qui viennent en masse des régions les plus éloignées pour m'acclamer et me recevoir avec une affection filiale. J'ai laissé Charlotte à Mexico. la saison pluviale de ces provinces n'est pas saine pour les dames et puis je désirais qu'avec son intelligence et son tact, elle garde le centre et qu'elle préside en mon nom le conseil des ministres, ce qu'elle fait avec beaucoup d'aptitude. »

Jetée à 24 ans au milieu de difficultés multiples, l'impératrice montre tout de suite sa haute intelligence et sa grande facilité d'assimilation. Levée l'aurore, son activité est inconcevable : entretiens avec les Ministres, examen des rapports sur la politique et la sureté publique envoyés hebdomadairement par les préfets et les commandants militaires français, remaniement des divisions territoriales, adoption des cartes de sûreté dans tout l'empire, fondation d'un conservatoire de musique, (page 114) d'une académie de peinture, d'écoles gardiennes, de crèches, d'asiles ; établissement de petites sœurs des pauvres, création d'un almanach impérial, telles sont les principales questions qui attirent son attention. (Archives de Vienne. Notes S. M. l'Impératrice.)

Eugénie l'encourage :

« J'ai été bien heureuse d'apprendre, lui disait-elle, que vous êtes restée à Mexico pendant l'absence de l'empereur, car, outre que dans un pays à bouleverser, on a besoin de se sentir protégé, il y a de plus l'avantage que les Mexicains se voient aussi bien gouvernés par vous que par l'empereur.

« Dans un empire si vaste, c'est indispensable. Pour tout Mexicain, la stabilité repose dans la possession de Mexico et la vue du départ des souverains aurait frappé au cœur tous les timorés, Mais je conçois combien a dû être pénible pour votre Majesté cette séparation. » (Arch. de Vienne. Lettre de l'Impératrice Eugénie au 2 septembre 1864.)

Dès le premier moment, Maximilien a pris son rôle fort au sérieux, et n'a rien négligé pour paraître s'identifier avec le peuple qu'il vient gouverner. Nul plus que lui ne s'est appliqué à rehausser les souvenirs nationaux et même à flatter l'orgueil mexicain. Il célèbre avec solennité l'anniversaire de la proclamation de l'indépendance, tombé dans l'oubli et, au discours qu'on lui adresse, il répond en vrai patriote :

« Mon cœur, mon âme, mes travaux, tous mes loyaux efforts vous appartiennent ainsi qu'à notre chère patrie. Chaque goutte de mon sang est aujourd'hui mexicaine... » (Annuaire des Deux Mondes, t. XIII, 1864-65, p. 800.)

D'autre part, Charlotte expose à Eugénie le lien qui historiquement doit rattacher l'empire à l'indépendance :

(page 115) Je suppose que l'Empereur passera l'anniversaire de l'Indépendance au village même de Dolorès. Ici, nous tâcherons de le célébrer aussi pompeusement que possible. Il est utile de prouver que l'empire n'est que le couronnement de l’édifice, dont les fondements ont été jetés alors.

« Il y aura des fêtes populaires et l'entrée à tous les théâtres sera gratuite. Je me réjouis fort de ce que beaucoup de soldats français auront ainsi au théâtre français leur part à la fête.

« Je vois tous les dimanches le général Bazaine, avec lequel nous avons, comme avec toute l'armée, des rapports les plus amicaux.

« J'ai donné quelques petits diners émaillés de Mexicains et de Français depuis le départ de l'Empereur. Il a désiré aussi, qu'à l'instar de V. M. et suivant ses bons exemples, je présidasse le conseil des Ministres. Le dimanche. je donne en outre. au nom de l'Empereur, des audiences publiques. Bon nombre d'ex-officiers de Juarez s'y sont déjà présentés. Ensuite je visite le plus d'écoles et d'établissements que possible. Aujourd'hui je reviens de Flalpan, où nous avons vu entre autres deux fabriques, l’une de papier. l'autre de coton. Cette dernière est dirigée par deux Espagnols, l'un des Asturies, l'autre de la Vieille Castille. V. M. aurait eu du plaisir à les entendre parler avec cet accent pur et correct que nous, Mexicaines, n'avons pas et qui est bien joli.

« M. et Mme Almonte m'accompagnaient, Nous avons déjeuné en plein air, sous de grands arbres avec l'officier des chasseurs d’Afrique de l'escorte. Je raconte tout ceci à V, M., parce que je sais qu'elle aime les descriptions. Nous disons souvent Madame Almonte et moi: « Quel bonheur si l'Impératrice Eugénie venait ici ! ct alors nous nous prenons à médire de l'Océan et de la distance. » (Arch. de Vienne. lettre du 10 septembre 1864.)

Aiguillonné par Maximilien. Bazaine, au mois de juin entreprend une expédition. Il lance le général L'heriller sur Durango, le général Castagny su Saltillo et Monterrey, le général Mejia sur Matamoros. (page 116) Toutes ces villes sont occupées. L'armée de Juarez n'oppose aucune résistance et lui-même transporte à Chihuahua le siège de son gouvernement. (E. Ollivier : ouvrage cité: 198 et suivantes).

A la suite de ces succès, d'autres pointes sont poussées : Vers l'océan Pacifique. Douay s'avance jusqu'à Colima ; dans la Senora les villes de Mazatlan et Guaymas sont conquises.

En récompense de ces victoires et, pour accroître son autorité. Napoléon envoie au commandement en chef le bâton de maréchal (30 août 1864).

Le Nord paraissant soumis, Bazaine porte son effort vers Oaxaca. Dès juillet 1864, le général Brincourt s'était avancé jusqu'a 20 heures de cette ville, qui en ce moment, n'était pas en état de défense ; par un vigoureux coup de main, on l'eût emporté ; Mais Bazaine se réserve ce facile triomphe. Il arrête Brincourt et organise l'expédition à grand fracas. Il construit une route de 40 kilomètres à travers un pays montagneux. II fait transporter, au prix d'immenses fatigues et d'énormes dépenses, un matériel de siège et arrive lui-même devant la place avec 5.500 soldats (15 janvier 1865).

Cependant, son commandant Porfirio Diaz utilise le temps qu'on lui laisse. Il fortifie la ville, réquisitionne jusqu'aux vases sacrés et aux cloches pour fondre des canons ; il réunit une garnison de 7,000 hommes.

Bazaine investit la ville, la tranchée est ouverte le 1er février et le 10, un assaut se prépare, quand Porfirio capitule. Ces conquêtes ne terminent pas la lutte. En effet, toute position abandonnée par les troupes françaises est aussitôt réoccupée par les guérillas. Ainsi, Negrèto, général juariste reprend Saltillo et Monterey. Il menace Matamoros, en sorte que les expéditions n'amènent aucun résultat définitif.

A ce point de vue, la système adopté par Bazaine est déplorable. Il s'établit dans quelques villes importantes (page 117) et, de là, lance des colonnes plus ou moins nombreuses, qui dissipent les rassemblements, arment les populations délivrées, les excitent à pourvoir à leur sécurité et rallient ensuite leurs points de concentration. Malheureusement, la sécurité apportée par la présence des Français rend plus grave l'insécurité qui suit leur départ.

Ceux qui accueillent bien les envahisseurs sont exposés aux plus cruelles représailles. Ces incidents, ne troublent pas la confiance du maréchal. Il envoie à Napoléon un rapport des plus rassurants :

« La situation à tous les points de vue est bonne, l'autorité royale prend chaque jour plus d'influence. Les entreprises commerciales et les travaux publics sont en progrès sensible.... »

Spontanément, Bazaine propose de rapatrier une partie du corps expéditionnaire. Dés le 12 juin 1864, il écrit :

« Je puis annoncer à V. M. qu'on peut faire rentrer six bataillons, une compagnie du génie, une batterie. le train de la garde, ce qui réduira l'armée à 25.000 hommes, chiffre suffisant comme appui de l'armée mexicaine, qui va s'augmenter avant peu par l'adhésion d'Uraga. »

Cette adhésion s'effectue, mais n'apporte aucune force; néanmoins. le maréchal écrit encore les 28 août, 28 septembre, 28 octobre :

« L'effectif peut être réduit à 25.000 hommes. »

Les généraux Douay, l'Heriller, Brincourt. jugeaient au contraire indispensable d'augmenter le corps d'armée d'une division. Mais Bazaine, par courtisanerie, dissimule la vérité et berce Napoléon et ses ministres de dangereuses illusions.

Charlotte est très inquiète du départ prochain des corps français. Loin de partager l'optimisme du (page 118) maréchal, elle craint que cette réduction n'amène une catastrophe ect elle le signale son amie de France :

« Je suis bien touchée de l'intérêt de V. M. pour le Mexique et je m'adresse à son amitié pour lui en demander la continuation. Qu'elle me permette seulement de la prier de ne pas attacher ure trop grande importance à l’enthousiasme des Indiens, en ce sens que le pays ait besoin moins de troupes.

« Je sais bien qu'elles seront nécessairement réduites un jour, mais je prends la liberté de faire observer à V. M. que le plus tard sera le mieux.

« Les populations sont, malgré leurs bonnes dispositions tellement apathiques, un peu par nature, beaucoup par suite de leurs malheurs, que si l'effectif de l'armée française venait a être diminué, cela donnerait lieu au plus grave découragement de la part de ceux qui désirent l’avenir du pays, et une insécurité très grande pour les habitants.

« Les Indiens des villages viennent de jour en jour demander ne fut-ce qu'une compagnie française, le colonel Touré, des Zouaves, me disait qu'on l'avait supplié de laisser dans un endroit de la Sierra au moins un sous-lieutenant. Cela donne la mesure du besoin qu’ont ces pauvres gens de l'armée française. et du bien qu’elle leur fait, sans compter que Juarez, bien que chassé de Monterrey, possède encore les trois riches territoires du Nord. Il y a malheureusement une idée, qui n'est pas encore développée chez nos braves Mexicains, c’est le sentiment de la défense ; entre nous soit dit, ils se laissent piller, ravager, sans opposer de résistance et il nous faudra quelque temps pour leur inculquer ces notions, les troupes de V. M. sont pour le moment leur seul refuge. »

Il est opportun de signaler que Charlotte gagne de plus en plus l'affection de ses sujets.

« Je ne puis m'empêcher de consigner ici la remarque, écrit le chargé d'affaires de Belgique, que j’ai eu l’occasion de faire chaque jour, à chaque pas : l’immense popularité dont jouit S. M. l' Impératrice. Hommes, femmes de toutes les classes, de tous les états et de (page 119) tous les partis ne tarissent pas d'éloges. Ce sentiment est universel. »

Très bonne et très attachée à ses amis, la souveraine sait découvrir le mérite, même chez les gens les plus modestes et les plus effacés et, par un mot, par un acte affectueux, elle témoigne sa sympathie et rend hommage au talent et la vertu de ceux qui l'entourent.

Ce qui plaît aussi la population, c'est qu'elle a complètement adopté les mœurs du pays :

« Nous nous habillons la Mexicaine, écrit-elle à Eugénie, moi-même, je monte à cheval avec un sombrero, nous mangeons à la mexicaine, nous avons un équipage à mulets avec force sonnettes, nous ne sommes jamais enveloppés que de sarapes, je vais la messe avec une mantille, bref, si avons des arrière-pensées d'émigration, il n'y paraît guère. Ce n'est pas la réforme qui change les hommes, c'est la manière de la faire, aussi dans tout ce qui est extérieur et puéril, nous nous conformons à tout ce qu'il y a de mexicain, au point de confondre les Mexicains eux-mêmes. Mes soirées se terminent passé une heure, lundi prochain sera la sixième. Je danse quelques quadrilles, dont l'un régulièrement avec le général L’Heriller. J'invite graduellement tous les officiers français. même les payeurs qui avaient une grande démangeaison de danser. » (Archives de Vienne : Lettre à l'Impératrice Eugénie. »

A la fin de l'année, Maximilien effectue son retour. Au cours de son voyage l'empereur s'est rendu compte du déplorable état de l'administration. Les préfets tendent à gouverner leur province comme Etat indépendant. ayant leur armée et leur budget particuliers, et refusent de contribuer aux charges de l'empire.

D'une manière générale, tous les agents remplissent leurs fonctions avec autant de négligence que de (page 120) malhonnêteté. Même le clergé partage l'insouciance générale. A Queretaro, Maximilien s'étonne de ne pas voir l'évêque et le fait mander. Le prélat répond que le soin de sa famille « l'empêche de quitter la capitale. Or, à quelques lieues de Queretaro, des villages entiers d’Indiens ne sont pas baptisés. L'empereur fait procéder à cette cérémonie et leur sert de parrain. Cette race toujours opprimée et qui supporte sa misère avec résignation et courage l'intéresse. Son sort est digne de pitié. Les Mexicains exploitent ces malheureux et les méprisent, souvent les étrangers les imitent. Une anecdote montrera à quel point certains individus font marché de leur vie.

Un savant, qui poussait fort loin l'amour de l'anthropologie, se rendit de Mexico à Yucatan pour collectionner des crânes mayas. Peu de temps après son arrivée, il remarque un Indien dont la tête offre des caractères particuliers. Prendre l'individu vivant et le mettre dans un bocal d'alcool est impossible. perdre un sujet aussi précieux lui paraît plus impossible encore.

« - Bah !, se dit il, après trois jours de réflexion. cet Indien vivra et mourra bêtement ici. Sans utilité pour personne. En prenant sa tête, je ferai une chose peu délicate, mais je rendrai service à la science. » Sur cette conclusion. il guette l'Indien, le tue d'un coup de carabine, lui coupe la tête et la met dans sa collection. (E. Domenech, ouvra. cité, p. 102.)

Charlotte est fière de son œuvre, lorsqu'elle se rend à Toluca. au devant de l'empereur. Habillée d'une amazone grise et d'un petit sombrero blanc. garni d'un galon d'or, elle répond par un sourire aux acclamations de la foule, qui est venue lui souhaiter bon voyage.

(page 121) Le général et Madame Almonte, le comte de Bombelles l'accompagnent. Ce voyage paraît charmant, si charmant qu'elle en publie un récit, imprimé à 25 exemplaires seulement, dont ce début montrera tout le charme :

« Le 24 octobre, nous quittâmes Mexico à six heures du matin, par une radieuse journée. Le soleil commençait à abattre, de la cime des montagnes dans les vallées, le brouillard amoncelé en nuages blancs, lorsque à Santa-Fe, hameau qui domine Mexico, nous échangeâmes la voiture contre le cheval. Le maréchal Bazaine, qui avait désiré nous accompagner, nous attendait là avec son état-major. revêtu de burnous blancs, et de coiffes flottantes. Nous cheminâmes toujours en gravissant jusqu'au Monte-de-las-Cruses, célèbre par une grande victoire remportée par le curé Hidalgo sur les Espagnols le 30 octobre 1810. Au village de Cuajimalpa, il y eut discours avec accompagnement d'Indiens, portant des mouchoirs de couleur arborés à l’extrémité de longs bambous, et poussant des hourras enthousiastes.

« Vers une heure, nous arrivâmes au Llano de San Lazaro, admirable vallée bordée comme celle des Alpes, de tapis fleuris et de grands sapins verdoyants ; un ruisseau d'eau vive la traverse. Un chasseur d'Afrique, en vigie, était immobile sur son cheval, comme une statue, sur l'une des hauteurs. Il y avait là, en effet, les tentes blanches d’un camp français impro visé. Au milieu, s'en dressait une un peu plus grande, ornée des drapeaux tricolores de la France et du Mexique, où le maréchal avait voulu nous donner à déjeuner avec son quartier général. Nous nous mîmes à table par un air et un calme délicieux. Chevaux et mulets reposaient sur l'herbe ; les soldats et les officiers, les uns couchés, les autres debout, avec le bleu et le rouge éclatants de leurs uniformes, le blanc éblouissant de leur couvre-nuques, faisaient un effet souverainement pittoresque.

« Le silence de la nature n'était troublé que par le pas des sentinelles ne l'on relevait, celui des chevaux qu’on abreuvait à la rivière, et ce murmure confus de paroles et d’ordres donnés à haute voix qui anime toujours un camp... »

(page 122) A Toluea, elle retrouve l'empereur. L'enthousiasme de la population est comme toujours très grand. La municipalité offre un banquet aux souverains, suivi d'un « Gallo », cérémonie absolument mexicaine, qui peut se décrire ainsi : la plus grande partie des femmes de la ville s'étant rassemblées, viennent rendre hommage à l'impératrice. Il y a là des femmes de toutes les classes et de tous les âges, les riches ont mis leurs plus splendides atours, leurs plus belles toilettes de bal ; les pauvres ont revêtu une simple chemise blanche, les petites filles sont déguisées en anges. Toutes portent des fleurs, des rameaux, des drapeaux. Une bruyante musique précède cette nuée de femmes, qui s'avancent deux par deux. Ce gigantesque monôme plus de 2.000 femmes. Heureusement, elles gardent le silence.

Comme on ne peut recevoir tout ce monde dans une seule salle, on forme cette immense colonne en bataille, dans les galeries, dans la cour. dans l'escalier. Et l’impératrice passe la revue, adressant par-ci, par-là, quelques paroles aimables et donnant de quoi acheter une robe celles qui n'ont qu'une chemise.

La revue terminée, le défilé commence. Le gigantesque ruban se déroule, Rien n'est plus original, plus grotesque parfois, que les manières que font ces femmes, filles ou enfants, chacune cherche produire son effet particulier, et à se faire remarquer, Et, comme pendant le défilé, on a la consigne du silence, tout ce monde jacasse, piaille à qui mieux mieux.

La cérémonie terminée, l'impératrice, qui a gardé avec peine son sérieux, se met à rire aux larmes... (Blanchot, ouvr. cité, t. II ? p. 219.)

Le retour des souverains à Mexico devait avoir lieu sans réception officielle, mais la population spontanément, leur prépare une entrée triomphale.

(page 123) Le lendemain, Maximilien a une cruelle déception. Aucune des commissions qu'il a instituées n'a apporté de solution aux problèmes qui lui ont soumis. Corta, sur lequel il comptait pour la réorganisation des finances, a profité de son départ pour s'éclipser.

L'empereur est déconcerté par la stérilité des efforts effectués pendant les 4 mois qui se sont écoulés depuis son arrivée. Il se met lui-même au travail et préside à Chapultepec de longues séances, auxquelles assistent les ministres et le maréchal. Et il faut le reconnaitre, les entreprises de télégraphes, de chemins de fer, de bateaux vapeur qui sont établies, sont dues l'initiative personnelle de Maximilien. Mais deux questions paralysent son œuvre et troublent sa quiétude : Les finances et les difficultés avec Rome. Il écrit à cc sujet à Napoléon le 11 novembre, car quoiqu'il ne l'avoue pas, son embarras est extrême.

« Monsieur mon Frère,

« J'ai reçu le dernier billet si amical de votre Majesté, le jour même de ma rentrée à Mexico, après un voyage long et pénible, il est vrai, mais qui, bientôt j'espère portera ses fruits. J'ai pu reconnaître pendant cette excursion à travers une portion du pays remarquable par ses richesses, que les habitants des provinces ont plus d’intelligence, de noblesse et me sont plus patriotiquement dévoués que ceux de la capitale qui, malheureusement, ont subi la mauvaise influence de l'élément étranger, habitué depuis trop longtemps à profiter des désordres et des révolutions pour faire ou essayer de faire leur fortune n'importe par quels moyens.

« Mais si je crois au dévouement de la grande majorité du peuple mexicain, je n'oserais cependant encore essayer d'en obtenir une preuve matérielle par un emprunt volontaire, dont nous aurions besoin. Les dépenses de l'armée que mon ami le maréchal Bazaine a persisté à déclarer indispensables jusqu'aujourd'hui, ont dépassé toutes les prévisions et, bien que les (page 124) recettes se maintiennent, le déficit mensuel atteint le chiffre de 1 1/2 millions de piastres.

« Cette somme, que nous avons pu jusqu'ici puiser dans notre caisse de Paris, où la trouverons-nous pendant les quelques mois qui sont nécessaires pour recueillir le fruit de nos efforts ? J'ai cru qu'il était de mon devoir de les demander aux financiers nationaux, mais mes tentatives ayant échoué, j'ai aujourd'hui la conscience d'avoir tenté le nécessaire pour sauvegarder les intérêts mexicains, je puis donc avant de penser à prendre des mesures extrêmes, telles que la création de papier monnaie par exemple, faire un appel aux capitaux étrangers et si la maison Hottinger et Cie est disposée me procurer les 6 à 8 millions de piastres qui me manquent pour attendre les résultats des grandes réformes économiques introduites dans mes budgets. En même temps que l’augmentation progressive des ressources que personne ne met en doute, je serai de mon côté tout prêt à accorder à cette maison le privilège qu'elle sollicite, d'une banque nationale à des conditions avantageuses pour tous. Que V. M. me permette d'invoquer sa noble et généreuse intervention, afin qu'à l'aide de l'influence de son gouvernement. je puisse franchir ce pas difficile, sans compromettre par des concessions onéreuses, les intérêts de mon pays d'adoption dans l'avenir duquel j'ai foi plus que jamais.

« J'espérais qu'à la suite de la politique adoptée par V. M. pour terminer la question italienne, la cour de Rome entrerait à propos du Mexique dans une voie raisonnable et conciliatrice, mais s'il faut en croire la dépêche dont j'adresse une copie à Votre Majesté, les prétentions du clergé mexicain sont encore moindres que les exigences du gouvernement pontifical.

« Je serai donc entraîné à montrer dans la solution de cette importante question, une fermeté inébranlable que commandent, du reste, mes convictions et l'avenir du Mexique.

« Je suis très heureux d'apprendre que mes premières mesures ont été approuvées par Votre Majesté, j'espère que celles que j'ai cru devoir prendre depuis mon retour, seront également sanctionnées avec la même bienveillance. Je vous renouvelle l'assurance des (page 125) sentiments de haute estime et de sincère amitié avec lesquels je suis

« de Votre Majesté le bon frère

« Mexico, le 11 novembre 1864. »

En même temps, Napoléon envoyait à Maximilien une longue lettre de conseils, plus faciles à donner qu'à suivre :

« Monsieur mon Frère,

« Je n'ai pas écrit depuis longtemps à V. M. parce que j'attendais pour le faire de pouvoir, en connaissance de cause, communiquer à V. M. résultat des renseignements que j'avais reçus et des réflexions qu'ils avalent fait naître. Je puis d'autant plus Vous exprimer toute ma pensée qu'ayant eu dernièrement une longue conversation avec le roi des Belges, j'ai pu me convaincre que nous étions complètement d'accord sur ce qu'il y aurait de mieux conseiller à V. M. dans son propre intérêt.

« Nous croyons d'abord qu'il est temps que Vous tranchiez le plus possible les questions qui touchent à l'organisation même du Mexique. Après avoir avec raison consulté les hommes du pays. il est essentiel que Votre volonté se manifeste et que l'incertitude cesse sur des points d'une haute importance.

« On attend avec impatience la solution des questions :

« 1° Les biens du clergé

« 2°L’organisation administrative

« 3° L'organisation judiciaire (note de bas de page : 4° manque)

« 5° La loi sur le recrutement d'armée

« 6° L'organisation financière.

« Je n’ai pas grand’chose à dire à V. M. sur les cinq premières questions d'autant que je crois que ses idées sont arrêtées sur ces différents sujets. Je me permettrai seulement d’insister pour qu'Elle prenne une décision quelconque ; tout vaut mieux que l’incertitude. Quant au sixième point, qui est un des plus importants, il (page 126) faut bien comprendre que l'état présent du crédit est pour Votre gouvernement de toute nécessité. On a déjà jeté ici les bases d'un emprunt qui, se confondant avec le premier, pourrait dans les premiers mois de l'année prochaine donner à V. M. cent millions de francs. Mais pour cela il faut qu'une banque solide soit établie au Mexique et je pense que c'est un rare bonheur pour V. M. que les premiers banquiers de Paris associés à de bonnes maisons de commerce consentent à se mettre à la tête de cet établissement. Il est clair que ces hommes d'affaires espèrent gagner de l'argent, mais ils rendront aussi d'immenses services à V. M., en étant les intermédiaires avec l'Europe pour toutes les transactions financières, et en fondant un crédit solide au Mexique. J'engage donc bien V. M. à accepter les offres qu'on lui fait.

« Et à cette occasion, je me permettrai de lui dire qu'en travaillant à fonder un nouvel empire, il est impossible d'arriver d'un coup à la perfection, Toutes les mesures que l’on prend offrent toujours à côté de certains avantages certains inconvénients. L'habilité du souverain consiste à voir si les premiers l'emportent sur les seconds. Il en est de même de la question de la Sonora, Je sais que les projets de M. Gwyn n’ont pas été goûtés au Mexique et, cependant, c'est l’homme qui, dans ce pays, peut rendre le plus de services. Il faut pour exploiter la Sonora adopter, pour les mines, la législation espagnole et pour les colons, celle de l’Amérique du Nord. On craint, au Mexique, de voir la Sonora devenir une province américaine, mais croyez bien que si l'on ne fait rien. elle le deviendra par la force des choses ; les colons et les aventuriers s'y introduisent déjà individuellement, et lorsqu'ils y seront en grand nombre, sans organisation et sans le contrôle du gouvernement, ils se déclareront indépendants. Ce qui n'arrivera pas, si le gouvernement se met à la tête de l'émigration, y plante son drapeau et organise le pays.

« J'arrive maintenant à une question plus délicate. Je crois que V. M. doit conserver longtemps le pouvoir absolu, néanmoins je voudrais que sans courir aucun risque, elle fît sanctionner ses actes par une apparence de représentation nationale. C'est à dire que je croirais très utile, aux yeux de l'Europe surtout, lorsque V. M. aurait terminé l'organisation du pays et tranché toutes les grosses questions (page 127) pendantes, de réunir pour un jour ou deux un Congrès, dont les membres seraient choisis par V. M. parmi les membres élus des municipalités, de cette manière le Congrès serait composé d'individus, ayant la confiance de leurs concitoyens, et cependant le choix de V. M. empêcherait que ce Congrès ne fût composé d'opposants. A cette assemblée, je voudrais à Votre place lui faire part de ce que j'ai fait, lui annoncer que, dès que le pays sera pacifié, je travaillerais avec diligence à une constitution, mats que je demande un vote de confiance pour me donner encore pendant quelques années un pouvoir dictatorial.

« Je soumets ces idées à V. M. en la priant de me pardonner, si je me permets de lui donner un conseil, mais elle doit bien sentir que c'est l'intérêt réel que je lui porte qui m'a encouragé à lui dire toute ma pensée.

« J'ai appris avec grand plaisir que le voyage de V. M. s’accomplissais sous les meilleurs auspices et que pendant Votre absence, l'Impératrice s'acquittait avec un tact et une habilité remarquable du rôle de Régente. Je Vous prie de lui présenter mes hommages.

« V. M. a déjà fait de bonnes choses et je vois avec bonheur que tout le monde lui rend justice, mais qu'elle permette de lui dire, qu’il est essentiel qu’elle s’occupe d’abord des grands choses, de la base de la charpente de l’édifice qu'elle commence à élever avant de porter son attention sur les détails.

« Le Roi des Belges croit qu'il serait très utile. si cela était possible, d’employer l'armée mexicaine aux travaux publics ; quant au Chemin de fer qui doit relier Vera Cruz, je crois que rien n'est plus important.

« Je termine cette longue lettre en renouvelant à V. M. l'assurance des sentiments de haute estime et de sincère amitié avec lesquels je suis de V. M. le bon frère et ami

« Napoléon.

« Compiègne, le 16 novembre 1864. »

(page 128) A ces observations de l'empereur des Français, Maximilien s'empresse de répondre :

« Monsieur mon Frère.

« J'ai reçu avec grand plaisir la bienveillante lettre de V. M. et je m'empresse de répondre aux importantes questions qu'elle renferme.

« En arrivant au Mexique, j'espérais que la Régence et l'administration ayant alors toute autorité, auraient non seulement déployé mais préparé la voie de façon à me mettre à même de trancher immédiatement les grandes questions de réforme et de réorganisation du pays. Je ne puis que répéter à V. M., ce que M. Corta a dû également reconnaître : que tout était à faire.

« 1° La question des biens du clergé fut l'objet de mes premières études. J'ai toujours été décidé la résoudre dans le sens libéral des gouvernements européens, mais, après avoir fait près du Saint Père des démarches personnelles, après en avoir obtenu la promesse de déléguer promptement un fondé de pouvoirs et reçu l'assurance de son arrivée, j'ai pensé qu'il ne serait pas convenable de résoudre tout ou partie de cette question, sans l'intervention du Nonce.

« Le prélat, arrivé au Mexique depuis une quinzaine de jours, a été immédiatement instruit de mes intentions, dès que j'obtiendrai l'assurance officielle qu'il n'a pas faculté pour traiter les importantes questions laissées en souffrance à cause de lui, je publierai les décrets de nationalité et de révision des ventes frauduleuses déjà faites des biens du clergé.

« Dès lors. il ne restera régler avec la Cour de Rome que les articles du Concordat.

« 2° Quant à l'organisation administrative, une division nouvelle de l’empire par départements était indispensable ; ce travail long et difficile vient d'être terminé ; il ne reste donc qu'à mettre en vigueur le système administratif élaboré par mon ministre de l'intérieur et soumis au conseil d’Etat.

« 3° L'organisation judiciaire est également achevée. mais avant d'installer les nouveaux tribunaux, il était nécessaire de résoudre la question des biens du clergé, (page 129) nous ne pouvons nous dissimuler que nos meilleurs, nos plus honnêtes magistrats sont les coryphées du parti clérical, une rupture avec le Nonce pouvait entraîner la désorganisation de tribunaux à peine créés. J'ai cru en conséquence qu'il était plus prudent d'attendre une solution qui touche à son terme.

« 4° La loi de recrutement fut-elle même élaborée, rencontrerait des difficultés d'application insurmontables. S'il est vrai que le parti de l'empire s'accroît de jour en jour, on ne peut se dissimuler que la sécurité publique est loin d'être assurée. A chaque instant on signale, à quelques lieues de la capitale. des crimes ou des délits que l'armée française est souvent impuissante à réprimer. Au lieu donc de songer pour le moment à pourvoir par une loi de recrutement, à l'organisation d'une armée mexicaine, j'ai décrété le licenciement de nombreux corps indisciplinés inutiles et nuisibles qui ruinent le pays, en autorisant les soldats à rentrer dans leurs foyers, rendant par là à l'agriculture des bras nécessaires et ne conservant qu'un noyau composé de l'élite des officiers et des soldats volontaires.

« 5° Avant mon arrivée. j'avais pu croire que les capitaux mis à ma disposition par l’emprunt mexicain seraient suffisants pour attendre la régularisation des finances de l'Empire. Dès mon arrivée, j'ai perdu cette illusion et. après avoir constaté le manque de spécialité mexicaine, j'ai fait un appel au dévouement de M. Corta qui a abandonné (momentanément j'espère) la partie alors que sa présence devenait si nécessaire. En attendant l’arrivée d'une capacité financière. j'ai cherché à rassembler les renseignements qui manquaient pour former un budget de voies et moyens pour l'exercice prochain.

« Ce budget , soumis, en ce moment, à l'examen du conseil d'Etat. comporte des économies d'au moins 10 millions de piastres d'une part et promet de notables accroissements dans les recettes ; d'un autre côté, pour conclure au plus tôt l’établissement d'une banque franco-mexicaine. j'ai, depuis un mois, délégué à Paris MM. Bourdillon et Barron. Tout me porte à croire que la banque est déjà constituée, ces Messieurs ont en outre pour mission d'élaborer avec MM. de Germiny et Corta. un projet d'emprunt dont la nécessité est bien reconnue, j'ajouterai que j'espère parvenir à terminer l'amiable (page 130) la question du chemin de fer de Vera Cruz à Mexico, sans être entraîné à créer à l'Etat des embarras trop grands pour l'avenir.

« Enfin l'installation en Sonora d'un gouvernement régulier sous la protection simultanée des drapeaux français et mexicains, fait l'objet de toute ma sollicitude et me permettra d'apprécier dans un avenir très prochain je l'espère, les ressources de cette portion si intéressante de mon vaste empire, Je serai dès lors charmé de voir M. Gwyn y attirer par son installation les nombreux colons américains, qui semblent n'attendre que son signal pour venir chercher fortune, en se groupant autour de lui.

« Quant à la réunion d'un Congrès ayant pour but de réclamer, par un vote de confiance, la latitude de conserver pendant quelques années encore, un pouvoir dictatorial, ce vote de confiance m'a déjà été donné implicitement par la grande masse de la population, lors de mon dernier voyage, et je me permettrai de faire observer à V. M. que, de l'avis des Mexicains eux-mêmes, le temps n'est pas encore venu, où l'on puisse sagement et avec possibilité de succès mettre ce projet à exécution, bien qu'il soit de nature à être approuvé par l'Europe entière. Plus j'étudie le peuple mexicain, plus je suis porté reconnaitre qu'il faudra essayer de le rendre heureux sans lui et peut-être malgré lui.

« Je termine cette longue lettre en priant V. M. de bien vouloir me rappeler au bon souvenir de l'Impératrice et en renouvelant à V. M. l'assurance des sentiments de haute estime et de sincère et reconnaissante amitié, avec lesquels je suis de V. M.

« Le bon frère et ami.

« Mexico, le 27 décembre. »

L'Empereur du Mexique avait été très sensible aux critiques de Napoléon. Jusqu'ici il avait examiné lui- même et avait fait étudier les diverses questions par des commissions, mais il sentait qu'il devait agir. Il annonça qu'il allait gouverner et il entreprit de solutionner le premier point en litige : les biens ecclésiastiques et le concordat.

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