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Esquisses historiques de la révolution de la Belgique en 1830
DE WARGNY Auguste - 1830

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DE WARGNY, Esquisses historiques de la révolution de la Belgique en 1830 (1830)

(Paru à Bruxelles en 1830, chez H. Tarlier)

Chapitre XVI. Journée du mardi 21 septembre 1830

Deuxième gouvernement provisoire. L'état de trouble continue. Proclamation du Prince Frédéric à Anvers. Revue de la Garde bourgeoise sur la Grand'-Place. Création des corps francs. Premier tocsin. Seconde journée des barricades. Première sortie des Bruxellois. Attaque des avant-postes ennemis à une lieue de la ville. Premier signal de la guerre civile

(page 219) La nuit fut plus calme qu'on n'aurait pu s'y attendre. Les postes bourgeois se regarnissaient peu-à-peu, et le commandant en chef s'occupa sans relâche des mesures propres à réorganiser la garde et à la réunir dans le jour pour en passer la revue.

On arrêta plusieurs personnes dans la matinée, entre autres, un individu bien mis qui criait dans les groupes : qu'il fallait chasser les Liégeois qui n'étaient venus à Bruxelles que pour mettre le trouble et le désordre partout ; on le regarda comme un espion hollandais, de même qu'un maréchaussée déguisé qui, près de la porte de Laeken, se défendit contre 8 hommes.

On s'était plaint, dès la veille, à la Réunion centrale, qu'il y avait des cendres mêlées avec la poudre dans les cartouches et qu'une partie des fusils distribués n'avaient pas de lumières. Le peuple était inquiet, méfiant, menaçant. On alla jusqu'à accuser M. Vandersmissen, (page 220) commandant en second de la garde, de connivence avec les Hollandais ; il donna dès le 20 sa démission.

Dans la matinée on lut dans les journaux ; « que la Commission de sûreté étant dissoute par le fait, et les autorités n'existant plus, la Réunion centrale venait de décider qu'elle serait remplacée par un gouvernement provisoire, composé de trois membres, lequel était nommé. »

On se rappela les trois noms inscrits sur le drapeau liégeois promené la veille dans la ville avec pompe et appareil.

Enfin on vit placardée sur les murs une affiche de grande dimension, où n'étaient écrits, mais en très gros caractères, , que les seuls mots du drapeau placés dans le même ordre, savoir : gouvernement provisoire : De Potter, d'Outremont de Liége, Gendebien.

Dès lors plus de doute ; il y avait union et concert ; un gouvernement était établi ; c'est ce que nous nommons : deuxième gouvernement provisoire.

Mais remarquons bien qu'il ne fut pas plus stable, pas plus constitué que le premier ; il n'a pas donné signe d'existence ; il a été écrasé par les événements.

Dans la nuit les nouvelles de Bruxelles du 19 et du 20 parvinrent au prince Frédéric à Anvers ; on doit croire qu'elles furent tronquées, défigurées ; mais toujours sera-t-il déplorablement vrai qu'il fut cruellement trompé par les apparences ! Il crut que l'anarchie populaire divisait, affaiblissait les Bruxellois, tandis qu'elle avait décuplé leurs moyens, leurs forces, leurs ressources ; qu'on allait lui ouvrir les portes et le recevoir à bras (page 231) ouverts comme un sauveur ! Il est même permis de supposer qu'aveuglé par cette idée fixe, il ne consulta pas La Haye pour prendre dès lors, de son chef, l'affreuse résolution de tenter l'essai de la force contre Bruxelles, résolution dont les malheurs et les suites sont encore incalculables !

Tout concourt à confirmer cette conjecture ; la conduite du Prince, à dater de cette nuit, ne fut plus la même ; les mouvements de troupes qui se concentraient sur Vilvorde et dont les avant-postes s'approchèrent insensiblement de Bruxelles, comme pour sonder le terrain la marche en avant des batteries, jusqu'alors placées au-dessus de Malines, et une foule d'autres indices indiquaient assez qu'une décision soudaine venait d'être prise ; enfin la proclamation (V. ci-après, no 1.), signée à Anvers le 21, à une heure du matin, ne laisse presqu'aucun doute sur le motu proprio du Prince, motivé sur les troubles nouveaux de Bruxelles.

C'était même dans son caractère ; ceux qui le connaissent en seront convaincus comme nous, et quand le 24 ou 25, il arriva enfin des ordres de La Haye, il était trop tard ! on était engagé, enfourné ! et le 27, lorsqu'on évacua, c'était encore un motu proprio ! on n'avait point reçu un tel ordre de La Haye, c'était impossible ! il fallait plus de vingt-quatre heures pour correspondre ; mais n'anticipons point sur les événements.

En effet, dans le moment même où les Etats-Généraux examinaient la question de séparation qui leur était soumise et qu'ils décidèrent affirmativement huit jours plus tard, quel ordre, quelle impulsion pouvait (page 220) porter ce malheureux prince à attaquer Bruxelles à force ouverte ?

C'est qu'il pensait ne pas y trouver de résistance sérieuse, et par ce coup de main hardi et décisif, aplanir bien des difficultés, faciliter les opérations des États Généraux, et dompter l'effervescence belge ; enfin se faire la réputation d'un jeune militaire de cœur, de tête et d'exécution.

Voilà la seule solution raisonnable et même possible, dans l'hypothèse à peu près démontrée selon nous, qu'il n'avait pas reçu de La Haye l'ordre d'attaquer le 23.

Cependant tout le monde, il s'en faut, n'a pas été de notre avis et n'a pas excusé, comme nous, le père aux dépens du fils, et ceux qui l'ont fait ont encore cherché, deux autres mobiles à sa conduite.

On a dit d'abord qu'il avait des partisans en ville, qu'on l'y appelait avec son armée, qu'on l'assurait qu'on ne résisterait pas ou fort peu.

Ce bruit a couru ; il est encore impossible de savoir s'il était fondé ; nous ne pouvons le croire ! le supposer seulement nous paraît déjà une atroce calomnie. Cependant la proclamation disait que les troupes allaient entrer, à la demande des meilleurs citoyens !

On a ajouté que le prince, irrité des attaques faites contre ses avant-postes par les Bruxellois et leurs auxiliaires, le 21 et le 22, s'était brusquement déterminé, par ce seul motif, à sévir, à punir le 23 !

On s'est trompé, et cette supposition n'est pas soutenable ; ses avant-postes s'étaient avancés de plusieurs lieues, dès la matinée du 21, malgré toutes ses promesses, avaient (page 223) ainsi donné le signal des hostilités et forcé par-là les Bruxellois à les prévenir pour n'être pas eux-mêmes. surpris ; son plan était arrêté avant qu'ils songeassent à faire des sorties contre ses troupes, et ils n'eussent pas bougé de leurs murs, pas plus que depuis trois semaines, sans les mouvements militaires autour d'eux, et si les grand'-gardes ennemies ne se fussent montrées à Schaerbeek, à une demi-lieue de la ville. Personne ne peut en douter et n'en a douté.

Au surplus, ces circonstances peuvent sans nul doute l'avoir confirmé dans sa résolution du 21 en l'aigrissant de plus en plus ; peut-être même qu'alors seulement la batterie d'obusiers reçut l'ordre de rejoindre... !

L'on sait cependant que depuis, le prince Frédéric, pour justifier son attaque sur Bruxelles, a invoqué ces hostilités des 21 et 22, commises contre ses troupes, et même l'on a remarqué que le roi hollandais, dans son discours d'ouverture des États-Généraux, le 18 octobre, a encore rappelé cette circonstance en terme d'excuse ou de défense ; nous croyons avoir démontré qu'ils doivent chercher ailleurs une justification, si toutefois il en existe une pour eux dans les possibilités humaines !

La proclamation du Prince ne fut connue à Bruxelles que par son insertion dans la Gazette des Pays-Bas, distribuée tard dans la soirée du 22 ; elle ne fut point affichée ; qui l'aurait fait d'ailleurs ? il est même douteux que des exemplaires en placards en soient parvenus aux autorités, c'est-à-dire, aux chefs de la Garde bourgeoise, toutes les communications étant interceptées ; elle fut donc peu connue avant le 23, fit alors quelques dupes, (page 224) mais en petit nombre, entre autres, au spectacle du 22 soir, ouvert ce jour-là pour la dernière fois et où plusieurs habitués l'approuvèrent hautement en disant qu'enfin tout allait être fini le lendemain ; elle ne produisit donc en définitif d'autre effet que de faire ouvrir les yeux aux incertains et de confirmer la résolution de se défendre à outrance et jusqu'à la mort. On n'eut pas le temps d'ailleurs de la méditer ; la menace fut trop tôt réalisée. L'éclair ne précéda la foudre que de peu d'heures.

Mais enfin il n'y avait plus de doute ; le roi ou son fils en appelaient au dieu des batailles. Il traitait sa capitale de rebelle, son peuple de factieux ; il offrait dans sa clémence l'amnistie ordinaire, c'est-à-dire, la punition de tous ceux qu'il voudrait trouver coupables ; il ordonnait que les portes fussent ouvertes le lendemain à son armée ; les bons citoyens de la ville le lui avaient fait demander ; elle entrera donc demain, sinon elle usera de violence contre une poignée de factieux, etc. ; telle est en effet la substance ou résumé de la proclamation du Prince Frédéric !

Vers dix heures du matin eut lieu sur la Grand'-Place la revue de la Garde bourgeoise convoquée et rassemblée par les soins et les ordres de son commandant en chef. On s'étonna avec raison, qu'après les événements de la veille, cette garde pût offrir un semblable coup-d’œil ; tous les officiers décorés de leurs insignes étaient à la tête des compagnies. On calcula qu'il y eut là environ 3,500 hommes armés, dont 300 tout au plus l'étaient de piques seulement. On vit dans les rangs deux corps de (page 225) volontaires bruxellois qui, la veille, s'étaient procuré des armes aux dépens des bourgeois. Le premier, fort d'environ 600 hommes, commandé par M. E. Grégoire ; le second, d'à-peu-près 200 hommes, sous les ordres de M. Borremans ; ils y avaient été convoqués par le commandant en chef qui passa la revue, accompagné de tout son état- major, et qui ayant ensuite réuni les commandants des sections et des volontaires, leur fit part « qu'il restait à la tête de la Garde bourgoise comme chef civil et pour le maintien du bon ordre intérieur, mais que le peuple témoignant, depuis deux jours, la volonté déter- minée de se défendre contre toute attaque extérieure, et ce danger paraissant imminent d'heure en heure, il était nécessaire de nommer un commandant en chef des forces actives, pour repousser toute agression et même pour aller à la rencontre de l'ennemi ; qu'ils pouvaient donc dire à leurs sections respectives, que tous ceux qui voudraient faire partie des forces mobiles pouvaient s'annoncer ; qu'ils recevraient à l'instant des instructions, des ordres et des armes, s'ils en étaient dépourvus ; qu'il les engageait par suite à conduire, après la revue, leurs troupes aux lieux de rassemblement qu'il leur indiqua, à procéder sur-le-champ à cette opération et à en lui transmettre le résultat. »

Les 8 chefs sectionnaires, joints aux commandants des volontaires, élurent sur-le-champ M. Vandermeeren pour commandant en chef des forces mobiles, et M. Plétinckx pour commandant en second, ensuite les sections obéirent, à l'invitation de Mr d'Hoogvorst, et un (page 226) grand nombre de bourgeois s'inscrivirent comme volontaires ; on en porta le nombre à plus de 1,200 ; les deux sections rassemblées sur la place Saint-Michel en fournirent seules 332. Vers midi, le recensement était terminé partout ; ceux de la 6me section se rendirent à Sainte Élisabeth pour se joindre aux volontaires de M. E. Grégoire.

L'avis suivant fut publié dans la matinée à la suite de cette résolution (V. ci-après, n° 2.), mais on n'eut guère le temps d'incorporer à ces volontaires le nombreux renfort que leur offrait la Garde bourgeoise ; on fut à la lettre dominé par les heures.

Vers une heure et demie, l'alarme se répand dans tout Bruxelles avec la rapidité de l'éclair ; on fuit, on court, on se heurte, les portes se ferment, on prend les armes, et quand on demande la cause de tant d'agitation et de terreur, on n'entend que ces seuls mots : ils sont là, défendons-nous.

En effet, dès le matin de ce jour, mardi 21 septembre, les avant-postes hollandais s'étaient partout approchés de la ville ; on avait signalé un piquet de cavalerie à Schaerbeek ; on savait qu'il y avait des troupes cantonnées à Dieghem et à Ever, à une lieue de Bruxelles ; les rapports avaient été exagérés, le bruit général était que l'attaque allait avoir lieu ; personne ne le contredisait et tout le peuple en armes était d'accord qu'il fallait se défendre ; depuis la veille, disait-on, les Bruxellois venaient enfin de se réveiller ; à peine tenaient ils des fusils que l'ennemi, c'est-à-dire, les troupes de leur roi, paraissait à leurs portes.

(page 227) Au milieu de ce mouvement universel, on entendit. enfin pour la première fois le son lugubre du tocsin de Sainte Gudule, répété bientôt par toutes les paroisses, et mème au loin par les églises des villages voisins. La générale battit dans toutes les rues.

Bruxelles offrit alors pour la seconde fois, pendant trois ou quatre heures, le tableau effrayant d'une ville ouverte qui, sans troupes, sans général, se dispose à se défendre contre une armée, par le seul courage de ses habitants et par des moyens extramilitaires, si l'on peut s'exprimer ainsi.

Ce fut une répétition de la scène du 31 août soir ; l'élan fut même plus vif, plus général ; il est impossible de se faire une idée du tableau de Bruxelles dans ce moment suprême ; c'est toujours le peuple qui agit, c'est lui qui descend dans l'arène, c'est son sang qui va couler ! la bourgeoisie stationnaire ou simplement conservatrice doit nécessairement disparaître ou se confondre avec lui. On ne peut rendre l'expression de tous ces visages, de tous ces cris, de tous ces citoyens courant en sens divers et tous pourtant pour le même but ; on acheva de dépaver les rues ; on entendait sans cesse rouler les paniers de pierres sur les étages et les greniers ; tout le monde, femmes, enfants, vieillards courut renforcer les barricades et en construire de nouvelles qui se multiplièrent de toutes parts comme par enchantement et semblaient sortir de terre. On n'en comptait guères plus de cent depuis le 31 août ; du 21 au 23 septembre le nombre en était porté à plus de 550. On a calculé qu'à Paris, dans les journées de juillet, il y en eut 4200 environ et qu'on (page 228) y remua 3,400,000 pavés. La proportion a été gardée à Bruxelles dont l'aspect changea encore de face dans cette journée pour devenir de plus en plus guerrier et menaçant. Les barricades des portes de la ville, surtout celles de la porte de Schaerbeek si renforcées dès le dimanche matin, comme nous l'avons dit, furent encore doublées et garnies de défenseurs ; deux pièces de canon y furent dès lors placées aux acclamations du peuple, enfin aux yeux des Français, c'était Paris au 27 juillet, sa population tumultueuse, ses combattants improvisés !

Cependant l'heure du combat n'avait pas encore sonné ; mais les plus ardents d'entre nous, les Liégeois et une foule de bourgeois et d'auxiliaires, qui venaient, une heure auparavant, de se déclarer volontaires, ne travaillèrent point aux barricades ; ils coururent aux armes, sortirent de la ville et, sans autres guides leurs informations de route et les bruits ou rumeurs populaires, ils se précipitèrent à la recherche de l'ennemi qu'on annonçait dans les trois directions où il s'était montré, savoir sur la route de Flandre où étaient les hussards, sur celle de Louvain et surtout vers les villages où conduit la chaussée de Schaerbeek.

On vit alors sur ces trois points un spectacle singulier ; des hommes armés de fusils, sans vivres ni bagage, la plupart vêtus de blouses bleues, couraient à une bataille comme d'ordinaire on va à une partie de chasse ou de plaisir, et le danger qu'on allait affronter, son sang qu'on allait verser, était les choses auxquelles on songeait le moins. L'animosité contre le nom hollandais était dès (page 229) lors si forte, le mépris pour leur courage proverbial si prononcé, qu'on n'hésitait pas un instant à marcher en avant sans ordre, sans mesures arrêtées, et qu'on aurait ri au nez, et même fait pis, à quiconque aurait osé représenter qu'on n'était pas préparé à attaquer ainsi en plaine, et en tirailleurs, des troupes réglées soutenues de cavalerie et d'artillerie. On n'écoutait rien, et pendant les journées des 21 et 22 septembre, plus de 1800 hommes sortirent par les trois portes ci-dessus indiquées, en groupes de cinq, dix et rarement au-dessus de ce chiffre, sauf la troupe des volontaires de Mr E. Grégoire, à laquelle se joignirent quelques Liégeois sous le commandement de M. Rogier, ce qui forma un corps d'environ 250 hommes qui sortirent par la porte de Schaerbeek à la première alarme et se dirigèrent vers Dieghem. Mais les chefs ne réussirent que, pendant peu de temps, à conserver un peu d'ordre de marche ; l'exemple de quelques bourgeois, dont l'ardeur se ralentissait à mesure qu'ils approchaient de l'ennemi et que M. Grégoire fit désarmer parce qu'ils revenaient sur leurs pas, apporta un peu d'hésitation et de désordre dans les rangs ; un très grand nombre de volontaires marchait même isolément.

Cependant tout était entraîné ,les tièdes mêmes se trouvaient en avant, tant l'idée d'une attaque avait exaspéré les esprits ; les sections entières auraient marché, si alors il avait pu être question d'organiser une défense réglée. Nos tirailleurs les plus diligents s'étaient avancés en très petit nombre entre Schaerbeek et Dieghem, peu après la fusillade s'engagea hors de portée.

Il est difficile de rendre un compte exact et détaillé (page 230) de ces escarmouches continuelles aux portes de Bruxelles pendant ces 2 jours. Les rapports ont trop varié et, vu le défaut d'ensemble, cela ne pouvait être autrement ; mais toujours est-il vrai que l'ennemi, surpris de l'audace de notre poignée de braves, n'osa plus se montrer, dès le 21 soir, qu'en gros détachements ; le prince Frédéric dut être un peu détrompé, s'il avait compté sur un défaut de résistance.

Les traits de courage, et même de témérité, sont trop nombreux pour qu'on puisse même essayer de les retracer ici ; il y aurait d'ailleurs trop de noms à offrir à la reconnaissance des Belges ; le brave Colette de Liége, officier du corps de M. Grégoire, s'étant avancé en tirailleur, fut entouré et chargé par 20 dragons. Il se défendit, blessa l'officier M. Kenesse, belge, reçut 22 coups de sabre et 2 coups de feu, fut fait prisonnier et conduit en prison à Anvers où il ne fut pansé qu'au bout de 8 jours ; on peut regarder comme un miracle qu'il n'ait pas succombé.

On s'aperçut dès lors que les grenadiers et chasseurs, troupes d'élite et exercées, étaient adroits et visaient fort juste ; nos gens très souvent se jetaient à plat ventre dans les tiges des pommes de terre, lâchaient leur coup de fusil à l'improviste, se traînaient lestement à quelques pas de là pour éviter les balles qui ne manquaient jamais d'atteindre la place d'où était parti leur coup de feu, et rechargeaient étant couchés. Pas un arbre, une haie, un buisson n'était négligé ; les balles sifflaient de toutes parts dans les pelotons hollandais en partant à la fois de 25 comme de 400 pas ; ils en étaient étourdis et montraient de l'hésitation et de la colère ; un de leurs (page 231) officiers s’écria que les balles des Bourgeois sortaient de terre.

Il y avait aussi de nombreux spectateurs du combat ; des paysans étaient accourus,, ainsi qu'une foule d'enfants et de pauvres de Bruxelles. Un mouvement de cavalerie les entoura, les dispersa et en prit une centaine parmi lesquels il n'y avait pas 20 hommes armés. Ce sont ces prisonniers qui furent conduits à Anvers avec tant d'emphase, une escorte formidable et à qui on fit l'honneur du vaisseau-ponton où il paraît qu'ils ne furent pas toujours traités avec les égards dus à leur malheur et à leur position. Les prisonniers hollandais du 23 et jours suivants n'eurent jamais les mêmes plaintes à faire. Nous verrons qu'il y eut pour leur échange de longs pourparlers, et que nos compatriotes ne purent même être mis en liberté avec les parlementaires arrêtés le lendemain 22, que le 18 octobre par ordre du prince d'Orange et sur parole.

Au surplus cet événement rendit les tirailleurs et spectateurs plus circonspects et ils ne se laissèrent plus prendre.

Vers le soir les postes ennemis gardèrent leurs positions et 2 à 300 tirailleurs déterminés, disséminés sur une ligne de près d'une lieue, eurent la gloire d'en imposer à un nombre quadruple de forces réglées de toutes armes, les seules qui se firent voir ce jour-là. Ils revinrent en ville, en laissant quelques vedettes avancées.

Mais il aurait fallu des chefs, et à l'exception de M. d'Hoogvorst, il n'en existait pas. On s'était persuadé, à tort ou à raison, que le gouvernement provisoire (page 232) désigné ci-dessus allait s'installer : point du tout ; les personnes choisies pour le composer reculèrent devant une responsabilité effrayante. Dans la soirée l'on apprit positivement que le peuple était abandonné à lui-même et qu'il n'avait ni guides, ni frein. Ce fut un coup de foudre pour les plus exaltés des patriotes. Abandonnés d'abord par leurs députés, puis par la commission de sûreté publique, enfin par les élus de leur choix, ne voyant personne qui voulût se mettre en avant pour les diriger, ils tombèrent dans une sorte de stupeur. Plus ils avaient eu d'espérance le moment d'avant, plus ils se laissaient aller au désespoir. Les uns s'indignaient, les autres s'effrayaient ; les plus défiants soupçonnèrent qu'il était arrivé des nouvelles sinistres qui avaient rappelé aux chefs sur lesquels on comptait, qu'il y allait de leur tête.

Loin de nous cependant l'intention de jeter le moindre blâme sur cette hésitation que montraient des hommes mariés, des pères de famille, à saisir une autorité qui d'ailleurs ne leur était pas légalement offerte. Aucun de ces messieurs n'avait des antécédents qui l'autorisassent à penser que sans lui c'en était fait de la patrie. Bien peu avaient même la science de l'administration et l'habitude des affaires publiques. Simples particuliers, qu'un vœu tumultueux appelait en avant, il y avait peut-être de la vertu en eux à vouloir rester confondus dans la foule ; mais, dans les commotions politiques, le public ne tient pas compte aux hommes de leurs motifs, pas même de leurs vertus.

Quoi qu'il en soit, de sombres nouvelles ne tardèrent pas à transpirer parmi ceux qui avaient des relations (page 233) avec le haut commerce ; on sut, à l'entrée de la nuit, que le prince Frédéric avait annoncé officiellement son entrée à Bruxelles pour le 23 ; la 9e et la 10e divisions, toutes hollandaises, avaient grossi son corps d'armée : un matériel de cent pièces de canon, disait-on, s'était cheminé vers Malines ; l'on donnait comme positive l'acquisition récente de grils à rougir les boulets ; l'escarmouche de l'après-midi avait fait apercevoir des lanciers, des chevau-légers, des chasseurs et des grenadiers de la garde. L'on ne pouvait plus se dissimuler que le péril ne fût grand ; enfin rien n'était plus menaçant que la proclamation publiée par le prince dans la Gazette des Pays-Bas. (V. ci-après, no 1, p. 234.)

Si l'inquiétude se glissait dans les esprits les plus fermes, après la lecture d'une pièce dont le ton était si positif, l'aspect des postes, pendant la nuit du 21 au 22, n'était pas plus rassurant ; à peine dix à douze bourgeois armés se rendirent-ils à chaque corps-de-garde, fatiguée qu'était la population de la revue du matin et de l'alarme de l'après-midi. Nous allons voir que de fausses alertes mirent, il est vrai, toute la ville sur pied vers une heure du matin, que le tocsin sonna, que le tambour battit, mais tout ce bruit, sans motif, ne servait qu'à décourager davantage les personnes sensées qui prévoyaient, qu'en harassant ainsi les gens de bonne volonté, sans cause et sans résultat, on les ferait rester chez eux au moment du vrai danger, ce qui ne manqua pas d'arriver le 23 au matin.

On vit jusqu'à la nuit, à la tête des tirailleurs, MM. Ernest Grégoire, Gillain et plusieurs autres ; nous citerons (pafe 234) encore Mr. Pellabon, capitaine de la 3me compagnie de la 7me section, qui réunit 25 braves de bonne volonté dans sa seule compagnie, se mit à leur tête, sc procura des armes et des munitions aux Annonciades, et se porta le 21 à Dighem, où il protégea une de nos pièces, et le 21 à Zellick où, embusqué dans un bois, il imposa jusqu'au soir à tout le régiment des hussards qui n'osa même tenter de forcer sa petite troupe.

Que l'on ne joue pas sur les mots ; que l'on se reporte à notre position au 21 septembre et, abstraction faite de toute idée d'antipathie ou d'union nationale, l'on sera toujours forcé de convenir que la fusillade de Dighem fut le premier signal de la guerre civile !


Pièces publiées à Anvers et à Bruxelles le 21 septembre 1830

No 1. Proclamationp>

Nous Frédéric, prince des Pays-Bas, etc.

Aux habitants de Bruxelles.

Bruxellois, le roi notre auguste père s'occupe de concert avec les représentants de la nation et de la seule manière qui soit compatible avec leurs serments, d'examiner attentivement les vœux émis parmi vous.

Cependant l'ordre est sans cesse troublé dans vos murs ; tandis qu'avec un zèle et une activité dignes des plus grands éloges, vous veillez à la défense des propriétés publiques et particulières, un petit nombre de factieux, cachés parmi vous, excite la (page 235) population au pillage, le peuple à la révolte, l'armée au déshonneur ; les intentions royales sont dénaturées, les autorités sans force, la liberté opprimée.

Conformément aux ordres du roi, nous venons apporter à cet état de choses qui ruine votre cité et éloigne de plus en plus, pour cette résidence royale, la possibilité d'être le séjour du monarque et de l'héritier du trône, le seul remède véritable et efficace, le rétablissement de l'ordre légal.

Les légions nationales vont entrer dans vos murs, au nom des lois, et à la demande des meilleurs citoyens, pour les soulager tous d'un service pénible et leur prêter aide et protection.

Ces officiers, ces soldats, unis sous les drapeaux de l'honneur et de la patrie, sont vos concitoyens, vos amis, vos frères. Ils ne vous apportent point de réactions, ni de vengeances, mais l'ordre et le repos. Un généreux oubli s'étendra sur les fautes et les démarches irrégulières que les circonstances ont produites.

Les auteurs principaux d'actes trop criminels pour espérer d'échapper à la sévérité des lois, des étrangers qui, abusant de l'hospitalité, sont venus organiser parmi vous le désordre, seront seuls et justement frappés ; leur cause n'a rien de commun avec la vôtre.

En conséquence nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit, en vertu des pouvoirs à nous confiés ;

Art. 1er. Les troupes nationales rentreront dans Bruxelles.

\2. Tout obstacle à leur marche sera enlevé par les soins de l'autorité municipale, de la garde urbaine, de la commission de sûreté et de tous les bons habitants.

\3. Les postes de la garde urbaine seront successivement remis aux troupes nationales.

Nous statuerons ultérieurement sur le mode de service de ladite garde.

\4. Les individus armés, étrangers à la ville, se retireront sans armes dans leurs foyers. Toute troupe armée appartenant à (page 236) d'autres communes qui se rendrait à Bruxelles, sera invitée à se retirer et au besoin dissipée par la force.

\5. Les couleurs adoptées, comme marques distinctives par une partie de la garde urbaine, seront déposées.

Nous nous réservons de déterminer les signes de ralliement qu'elle sera autorisée à porter.

\6. L'administration municipale, la commission de sûreté, le conseil et les chefs de la garde urbaine, veilleront à l'exécution des dispositions qui précédent en ce qui les concerne, ainsi qu'au maintien de l'ordre jusqu'à ce que les troupes aient effectué leur entrée.

\7. Les membres de ces corps sont déclarés personnellement responsables, à dater de la notification des présentes, de toute résistance qui pourrait être apportée à la force publique, comme aussi de l'emploi illégal des deniers publics ou municipaux, armes et munitions.

\8. La garnison sera, le plus tôt possible, casernée ou campée de manière à ne point être à charge aux habitants ; elle observera la plus exacte discipline. Toute résistance sera repoussée par la force des armes et les individus coupables de cette résistance qui tomberont entre les mains de la force publique, seront remis au juge compétent pour être poursuivis criminellement.

Fait à notre quartier-général d'Anvers, le 21 septembre 1830.

FRÉDÉRIC, Prince des Pays Bas.


N° 2.

On invite tout citoyen, ancien militaire et porteur d'un congé ou démission, et qui avait des grades, de se présenter à l'état-major, hôtel-de-ville, afin d'obtenir des commandements.

Bruxelles 21 septembre 1830.

Pour le commandant,

Baron FELLNER, aide-de-camp.

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