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Louis De Potter. Un philosophe au pouvoir
VAN TURENHOUDT E. - 1946

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VAN TURENHOUDT E., Louis de Potter. Un philosophie au pouvoir

(Paru à Bruxelles en 1946, chez Charles Dessart)

Chapitre IV. Premier exil

1830 - Bref exil - Séjour de Louis de Potter à Paris - La Révolution éclate à Bruxelles - Rentrée triomphale du fougueux patriote

(page 95) Il entrait dans les intentions de Louis De Potter et de ses amis condamnés avec lui de se rendre en France, et d'y séjourner pendant leurs années d'exil. Leur formation intellectuelle, leurs goûts personnels, les nombreuses relations qu'ils y comptaient, les communications faciles avec la patrie, tout concourait à les décider à ce choix.

Malheureusement pour eux, le gouvernement français, soumis à l'autorité de M. de Polignac, avait pris des dispositions pour refouler les proscrits à la frontière ; il ne leur resta plus comme refuge rapproché que la Suisse, le pays de liberté et de libre accueil pour toutes les opinions.

Comme ils souhaitaient brusquer les adieux, trop pénibles, avec leurs familles, les quatre bannis quittèrent Bruxelles, le 7 juin au matin, escortés (page 96) d'un seul gendarme. Trois ou quatre personnes, au maximum, suivirent leur voiture, de la prison aux portes de la ville. Louvain, Maestricht furent des étapes douloureuses aux proscrits.

A Vaels, dernière commune belge sur leur itinéraire, eut lieu la cérémonie symbolique de l'exécution (en tant que bannis politiques).

Ensuite, ce fut l'exil, l'exil avec toutes les déceptions et les mesquineries que pareille épreuve peut comporter : tracasseries administratives, cruautés inutiles ou vexations de la part de fonctionnaires subalternes, sans compter la « méticuleuse et hargneuse surveillance de la part de la police ».

A Aix-la-Chapelle, où ils s'étaient arrêtés, les exilés reçurent l'ordre de repartir, le territoire des provinces rhénanes leur étant aussi interdit : n'étaient-ils pas de dangereux condamnés politiques, rebelles à Sa Majesté Guillaume Ier, lui-même ami et parent de la famille régnante de Prusse ?

C'est ainsi que, pendant deux mois de « tripotage ministériel et policier », ils restèrent comme suspendus au poteau-frontière de séparation entre les Pays-Bas et les Etats allemands.

Expulsés d'une part, refoulés de l'autre, ils passèrent cette période à Vaels, consignés dans une auberge à la frontière. Ils occupaient leur temps à adresser de vaines requêtes à leur propre gouvernement, dont ils ne reçurent jamais de réponse, ainsi qu'aux autorités suisses et prussiennes ; sans oublier une correspondance suivie avec les amis et différents journaux.

Vers la fin du mois de juin, Madame De Potter (page 97) vint rejoindre son mari avec leurs deux enfants, dont un bébé de sept mois ; la vieille mère De Potter était restée seule à Bruxelles.

« L'éloignement où j'allais être d'elle, a écrit le banni dans ses Souvenirs, avait achevé de terrasser ma mère. Je ne pouvais me dissimuler que je ne la reverrais plus, et l'idée de notre séparation m'inspira un juste effroi. »

Mme Tielemans et ses enfants arrivèrent également à Vaels ; et, depuis ce jour, les proscrits prirent leurs repas en famille. Comme il n'y avait pas suffisamment de place à l'auberge, la caravane alla se loger dans le village.

Nos exilés vécurent ainsi, tant bien que mal ; et ce temps aurait pu être considéré comme un temps de bonheur relatif, s'il n'avait été hanté par l'appréhension du provisoire, de l'incertain...

Pendant leur semi-détention à Vaels, les exilés eurent la joie d'apprendre qu'une souscription nationale avait été ouverte, par tous les journaux, en leur faveur. Dès le début, elle avait produit une somme importante : largement suffisante pour payer outre les frais du procès, une rente qui permit de subvenir à toutes les dépenses des bannis pendant la durée de leur bannissement.

De Potter, lors de son premier procès, avait déjà eu les honneurs d'une souscription publique. Mais, cette fois encore, il retourna les sommes mises à sa disposition.

Le 31 juillet, les échos des événements qui venaient de se dérouler à Paris arrivèrent jusqu'à Vaels. Les frontières de la France républicaine (page 98) s'ouvraient enfin devant nos proscrits ; ils allaient pouvoir lever le voile sous lequel ils étouffaient depuis leur condamnation, mettre à exécution leur projet initial.

Le lendemain déjà, ils quittaient le sol belge, pour se rendre à Aix-la-Chapelle et, de là, par Cologne et Mayence, jusqu'à Manheim.

Les nouvelles reçues de Paris dans cette dernière ville leur permirent de renoncer définitivement au projet d'aller chercher refuge sur le territoire de la Suisse hospitalière : une France nouvelle leur ouvrait les bras

! Ils se dirigèrent sans retard vers Kehl, où ils traversèrent le Rhin, et entrèrent enfin en France. L'accueil que réserva Strasbourg à nos proscrits fut une compensation pour les mois pénibles qu'ils venaient de vivre ; tout laissait entrevoir qu'une ère nouvelle allait s'ouvrir pour les peuples avides de liberté. Leur arrivée fut signalée dans les journaux comme un événement ; et, quelques jours plus tard, dans l'enthousiasme de la Révolution victorieuse, Paris accueillait les condamnés politiques belges avec la musique de la Garde Nationale !


Après les difficultés matérielles et morales qui avaient marqué leur exode, l'installation dans la Ville lumière, aussi laborieuse fût-elle, ne représentait guère qu'un plaisir fatigant.

Paris vit alors dans la fièvre, Paris acclame son nouveau roi, que le banquier Laffitte, bien plus (page 99) que le général Lafayette, vient de porter sur le trône.

Des historiens ont estimé que De Potter, au cours de son séjour comme proscrit à Paris, a projeté et préparé un rapprochement entre la France de Louis-Philippe et notre pays, en vue de réaliser leur union future. Il est probable que telles ont été, en effet, ses intentions initiales. Mais les relations qu'il se créa dès les premiers jours de son arrivée parmi les personnages qui s'étaient trouvés à l'avant-plan des récents événements durent rapidement le faire changer d'avis.

La Révolution avait été triomphante ; et, maîtresse de la capitale, elle avait accepté le fils de Philippe-Egalité comme « la meilleure des républiques.3 Mais, tout compte fait, c'était un retour à une autre forme de royauté, dont, cette fois, l'aristocratie de la finance allait être, en même temps, la protectrice et la bénéficiaire.

A Paris, le « parti du mouvement », bien qu'il eût cédé la place à Louis-Philippe, « roi des Français », mit tout en œuvre pour faire déborder la Révolution jusque par delà les frontières de France. De Potter fut reçu par le général La Fayette, alors promu aux fonctions de commandant en chef de la Garde Nationale. : « Nous désirons vivement que notre Révolution influe sur le sort de la Belgique, » lui déclara le vétéran révolutionnaire.

Mais lorsqu'il le rencontra à nouveau, notre compatriote estima que le général La Fayette ne paraissait pas se rendre compte du sens du mécontentement des Belges, ni des conséquences qui (page 100) pouvaient en résulter. « La Belgique se réunirait-elle à la France ? » demanda le général à De Potter. Et comme ce dernier répondait par la négation, La Fayette de dire : « Les Belges seront donc hostiles aux Français ? » De Potter lui résuma alors ce qu'étaient l'opinion et le vœu de la généralité de ses compatriotes : « Ayant un sentiment aussi profond que les Français de leur droit à l'indépendance, ce qu'ils veulent, ils le veulent pour eux-mêmes : prêts à verser leur sang avec vous et pour vous, parce que vous êtes l'avant-garde de l'armée des peuples contre celle des despotes, ils vous accueilleront toujours en frères, si vous ne vous présentez pas en maîtres. »


La nouvelle des scènes violentes qui se dérou1èrent à Bruxelles, dans la nuit du 25 août, vint surprendre les proscrits à Paris, comme elle prit à l'improviste les patriotes dans notre pays. « Nous ne sommes point les auteurs de la Révolution belge », a écrit Adolphe Bartels, dans ses Documents historiques, « elle fut à nos yeux légitime, mais prématurée. »

Or, l'ampleur des excès auxquels la foule s'est livrée à l'issue de la représentation de la Muette de Portici fait réfléchir De Potter et ses amis sur les conséquences de ces actes de violence.

Les manifestants avaient mis au pillage la maison de Libri-Bagnano, lequel, heureusement pour lui, absent, échappa ainsi à la colère populaire, L'hôtel de van Maanen, ministre de la justice, situé en face de la prison des Petits-Carmes, avait subi le même sort. Le Hollandais (page 101) van Maanen, qui s'était efforcé de faire oublier son ancien passé anti-orangiste par la manière arbitraire avec laquelle il avait fait arrêter et condamner les patriotes belges, devait nécessairement être une des premières cibles de la vindicte des foules. Enfin, l'habitation du baron de Knyff, le directeur de la police, rue de Berlaimont, avait été prise d'assaut, et le mobilier, amoncelé dans la rue, était devenu la proie des flammes.

Le lendemain, dévastations et incendies continuaient à sévir, en dépit de la garde communale qui, armée, avait été chargée de veiller à la sécurité de la ville. Car, ni police, ni pompiers, ni gens d'armes, ni soldats n'arrêtaient ces violences qui promettaient de - tout semblait l'indiquer - s'étendre davantage. Il ne s'agissait plus là d'une simple émeute, mais d'une insurrection en règle, que les autorités ne semblaient pas en mesure d'endiguer.

De Potter comprit tout de suite la gravité de la situation : l'écho de la Révolution de Juillet, et la présence à Bruxelles d'étrangers - surtout des Français - avaient entraîné la capitale à commettre l'irrémédiable et précipité le dénouement. II revit le général La Fayette et plusieurs des dirigeants français, qui, tout en manifestant leurs sympathies pour notre mouvement national, semblaient assez perplexes quant à l'attitude à adopter. « J'avais clairement vu, a-t-il noté plus tard, que le gouvernement français était plutôt contraire que favorable à l'insurrection, parce qu'elle (page 102) le troublait dans son dessein de tout immoler à la consolidation de la nouvelle dynastie.


Pendant que les événements, à Bruxelles, marquaient un temps d'arrêt, les quatre proscrits furent dignement fêtés par la colonie belge de Paris. Le 31 août, un banquet leur fut offert par la garde nationale, et, deux semaines plus tard, un autre banquet eut lieu, organisé cette fois par les ouvriers belges, fort nombreux à Paris.

Au cours de ces réjouissances, auxquelles assistaient des hommes en vue appartenant au pouvoir et, malgré l'enthousiasme qui était de circonstance, De Potter devait faire une constatation dont il se souviendrait plus tard, en Belgique, une fois la Révolution entrée dans notre histoire : « Ce qui me frappa le plus, ce fut un contraste pénible entre les apparences de rondeur démocratique qui, imposée par la victoire de juillet, n'avait pas encore pu être entièrement répudiée, et la laideur d'une aristocratie nouvelle qui tendait à se substituer à la morgue ancienne. »

Si le nouveau gouvernement français demeurait dans une prudente réserve, par contre la population parisienne apportait avec élan ses offres de secours aux frères du Nord. De nombreuses députations de Belges occupés en France. et des Parisiens, « pour la plupart du faubourg Saint-Antoine », se présentèrent auprès de nos proscrits, s'offrant à combattre, « déterminés à vaincre ou à mourir. »

De fait, la correspondance de Louis De Potter, (page 103) et notamment une lettre du 11 septembre à Sylvain Van de Weyer, cite un chiffre de 8.000 hommes : « tous Belges, dont la plupart avaient fait leurs preuves dans les journées des 27, 28 et 29 juillet », et prêts à marcher sur Bruxelles au premier signal. Il y est souvent question du faubourg Saint-Antoine, aussi des Polonais, Italiens, Espagnols, etc., qui offraient leurs services et paraissaient impatients de prendre part aux prochains combats.

Mais devant ces offres de concours de la part d'éléments étrangers, assez suspects, le sage et prudent Van de Weyer répondit à De Potter « qu'il devait se tenir tranquille »

En réalité. la plus grande hésitation régnait à Bruxelles parmi les rangs des patriotes - des intellectuels - qui avaient dirigé le mouvement à ses débuts. Ils craignaient que les violences commises ne discréditassent pour longtemps toute opposition légale, aussi modérée fût-elle. Aussi virent-ils avec crainte la tourbe d'hommes hâves, à la face sinistre, et de femmes en haillons augmenter de jour en jour dans les rues de la capitale et se mêler à toutes les manifestations.

Depuis le 28 août, le drapeau brabançon avait été arboré à l'Hôtel de ville. L'ordre de pavoiser aux anciennes couleurs - noir, jaune et rouge - serait venu de la Régence, qui voulait faire retirer le drapeau français, fort inopportunément mis en avant par certains meneurs. Les groupes de gardes bourgeoises qui circulaient dans les rues sc faisaient également précéder du drapeau tricolore, et de nombreux (page 104) « civils » arboraient nos couleurs à leur boutonnière.

Mais les scènes de violence allaient croissant ; elles devinrent autant de prétextes à pillage. Quatre usines furent la proie des flammes ; et la crainte de voir s'aggraver les troubles augmentait. Aussi les bourgeois aisés firent-ils partir leur famille pour la province, et la noblesse prolongea-t-elle son séjour à la campagne.

Le ravitaillement devenait tous les jours plus difficile. Déjà des groupes d'hommes allaient frapper aux portes des hôtels particuliers, réclamant de l'argent.

A l'arrivée du prince d'Orange à Bruxelles. un conseil avait été créé, avec, à sa tête, l'ancien bourgmestre Rouppe. Celui-ci. attaché à l'état-major de la garde bourgeoise. serait appelé à intervenir dans les questions non-militaires. Mais les bourgeois pusillanimes redoutaient que ce conseil sur lequel des journalistes du Courrier des Pays-Bas exerçaient une grande influence, ne dégénérât par la suite en comité révolutionnaire, et ne prît la tète du mouvement.


Cette situation confuse n'était connue par De Potter que très imparfaitement. Il avait l'intuition des difficultés dans lesquelles se trouvaient les patriotes, menacés d'être débordés par les éléments étrangers. qui, pour la plupart. ne voyaient qu’une occasion de troubler l'ordre. D'autre part, il savait parfaitement que l'explosion populaire avait été prématurée. et que rien n'était prêt pour suppléer (page 105) à l'autorité défaillance : ni cadres, ni traditions administratives.

Mais il connaissait la psychologie des foules ; il savait bien qu'un mouvement populaire une fois déclenché doit être exploité C'est pourquoi il poussa nettement à la Révolution. Son sens aigu des lendemains, qui le faisait considérer comme un oracle par les amis qui avaient collaboré avec lui, lui fit entrevoir le destin de nos provinces si elles retombaient sous la coupe du roi Guillaume, tout prêt à réprimer les troubles et se venger durement sur nos populations. Le vin était tiré : il fallait le boire...

Vue à distance, l'insurrection de Bruxelles apparaissait à De Potter telle qu'elle était réellement : timorée. manquant d'impulsion et surtout de direction effective. Il reprit l'habitude qu'il avait prise lorsqu'il était aux Petits-Carmes : par la voie des journaux, il adressa de nombreux appels à ses compatriotes pour les conseiller, les guider, au besoin pour les pousser agir. Dans une Adresse au Peuple belge qui parut, le 7 septembre. dans la Tribune, il exhortait ce peuple à profiter de sa victoire et à déclarer l'indépendance réelle - parlementaire et administrative - de la Belgique. « Je suggérai la fédération immédiate de toutes les provinces, dont les députés réunis à Bruxelles en Congrès constituant jetteraient les fondements de la liberté belge, tandis qu'un gouvernement révolutionnaire provisoire organiserait la défense du pays. » En réalité. il traçait là en quelques mots la charte d'un (page 106) pouvoir central provisoire. tel qu'il allait être constitué, un mois plus tard, par ceux qui se trouvaient à l'origine de la Révolution victorieuse.

Pendant cette brève période. De Potter tint une correspondance très active avec les nombreux amis politiques restés au pays. Son leitmotiv était celui-ci : l'initiative appartient aux patriotes, il ne s'agit pas de la laisser passer dans l'autre camp...

Mais déjà, on semblait se méfier de la clairvoyance de De Potter, de sa forte personnalité. Sa lettre du 12 septembre. à Gendebien et à Van de Weyer, est très significative à cet égard ; elle mérite d'être abondamment citée :

« Je vous le confesse, je suis vivement affligé de voir que personne de vous n'a songé à utiliser mes bonnes intentions et mon séjour à Paris : vous pouvez cependant, me paraît-il, me charger de bien des choses, et de bien des choses fort délicate, dont j'ose le croire... je me serais acquitté aussi proprement qu'un autre. Je vous ai dit que j'avais sollicité auprès du gouvernement français la déclaration positive, franche et officielle du principe de non-intervention. avec celle d'une promesse précise qu'on interviendrait pour empêcher les autres d'intervenir. J'ai ajouté que j'avais obtenu des réponses franches, précises, positives ; mais officielles : non. Car enfin, je n'avais pas mission pour en demander, et on craignait encore alors d'en donner même aux personnages en mission. »

« Je vous renouvelle maintenant mes offres : (page 107) donnez-moi une mission populaire quelconque auprès de ce gouvernement-ci, mission signée par vos principaux chefs révolutionnaires provisoires, et j'agirai. je vous le promets. »

Louis De Potter ne fut jamais mandaté pour agir auprès du gouvernement français. Il ne se doutait pas alors qu'il empiétait sur un terrain que d'autres s'étaient réservé : Alexandre Gendebien n'allait-il pas lui-même, quelques semaines plus tard, faire pareilles démarches à Paris, avec toutes les illusions que l'initiative comportait ?

Le 14 septembre. De Potter répéta ses avis ; l'urgence s'imposait de s'emparer des revenus publics pour organiser la défense de la patrie, de faire rentrer tous les Belges au service de l'étranger, et de déclarer traîtres ceux qui coopéraient de n'importe quelle manière aux mesures à prendre contre la Belgique par l'ex-pouvoir néerlandais.

Le lendemain. il faisait paraître un nouvel article dans la presse à seule fin de rappeler à ses amis que « toute révolution doit marcher vite, parce que les maux qu'elle entraîne à sa suite ne peuvent se supporter longtemps.’

« Le peuple a encore autre chose à faire qu'à réformer l'ordre social : il doit vivre, c'est-à-dire travailler, et s'il ne travaille pas. il faudra qu'il pille ses ennemis ou ses amis : choisissez ! »

Ces paroles n'avaient-elles pas un sens prophétique ? Toutes les difficultés par lesquelles le Régent et son équipe eurent à passer ne le confirmeraient-elles pas ? Mais De Potter était tenu, en fait, à l'écart du théâtre des opérations, comme si (page 108) d'aucuns eussent craint sa présence au milieu du peuple qui aurait obéi à sa voix.

Pendant ce temps. il créait, avec Tielemans, le « club patriotique belge », société populaire réunissant les compatriotes qui se trouvaient à Paris, et chargée de s'entendre avec le gouvernement, les commissions ou les clubs de Belgique, sur les mesures à prendre dans les deux pays.


Vers le 20 septembre, le banni se rendit à Lille pour y rencontrer sa vieille mère, échappée de Belgique, et l'installer avec lui à Paris.

Ce voyage avait été préparé depuis quelque temps non sans difficultés : le laissez-passer que le consulat des Pays-Bas avait refusé venait d'être finalement accordé par la police française.

Etait-ce là l'occasion que De Potter attendait pour se rapprocher de la frontière et recevoir des nouvelles plus fraîches sur le cours de l'insurrection ? C'est assez probable ; il a suffisamment insisté, dans ses Souvenirs, sur l'indolence des meneurs et sur ses efforts pour les stimuler. Tel que nous le connaissons, il devait s'impatienter devant l'inaction des patriotes, l'indécision des uns, le « légalisme » des autres. Aussi est-il compréhensible que lui - qui avait sacrifié sa liberté à la cause commune - ne tenait pas en place et voulait accélérer le mouvement. D'autre part, il devait estimer, non sans raison, que sa place n'était plus à l'étranger, mais parmi le peuple de Bruxelles qu'il avait défendu contre les (page 109) exactions du régime hollandais et qui l'avait acclamé comme son porte-parole.

L'heure de remonter sur la scène politique avait sonné ; il prévoyait le déroulement des événements à venir ; « ses lettres semblaient avoir un don de prophétie. »

On pourrait épiloguer longuement sur les intentions véritables de notre héros, à cet endroit précis de son existence. Quoi de plus naturel, cependant, que ce voyage à Lille de la part d'un fils affectueux qui allait à la rencontre de sa vieille mère, dont les circonstances l'avaient séparé ? N'étant pas autorisé à franchir la frontière, il la rejoindrait dans une ville aussi rapprochée que possible de celle-ci.

« Le moment où j'embrassai ma mère, qui j'avais bien cru en quittant la Belgique, dire un dernier adieu, fut un des plus doux de ma vie. Je comptais repartir avec elle pour Paris, dès le lendemain de mon arrivée, » a-t-il noté dans ses Souvenirs.

La rencontre entre la courageuse Mme De Potter et son fils dut être émouvante.

Mais sa mère - qui. nous l'avons vu, avait été n'a pas mêlée déjà au mouvement politique - n’a pas dû manquer de mettre son fils au courant des événements historiques que Bruxelles venait de vivre. Avec quel intérêt n'aura-t-il pas suivi son récit !

Les Etats Généraux convoqués par le roi à La Haye pour le septembre n'avaient amené aucune décision ; ce qui porta l'agitation à son comble.

(page 110) Guillaume Ier, dans son discours d'ouverture, avait eu la maladresse de décrire la situation du pays comme des plus heureuses, alors que les provinces du Midi étaient, somme toute, en pleine révolution. « L'Etat - proclamait le monarque - florissait dans un heureux repos, par l'ordre, le commerce et l'industrie. Le gouvernement s'occupait d'alléger les charges du peuple, d'introduire successivement dans l'administration intérieure les améliorations que l'expérience avait indiquées... » « Tout à coup, une émeute éclate à Bruxelles, et cet exemple est imité dans quelques autres localités... »

Une telle incompréhension avait excité au plus haut degré l'effervescence et le mécontentement populaires. Le discours du roi fut brûlé publiquement sur la Grand-Place de Bruxelles, et les réunions des clubs politiques devinrent de plus en plus orageuses. d’Hoogvorst. commandant de la garde bourgeoise, avait vainement tenté de ramener le calme parmi la population. Ni lui, ni aucun chef politique ne possédait plus assez d'autorité pour dominer les événements.

La garde bourgeoise semblait plutôt la gardienne des libertés publiques, entraînée qu'elle paraissait par un parti révolutionnaire dont la composition resta longtemps secrète.

Elle maintenait l'ordre tant bien que mal. Le 20 septembre, les gardes s'étaient laissé désarmer par la foule stationnée à la Grand- Place, « ce forum bruxellois », et qui avait envahi (page 111) l'Hôtel de ville où siégeait la Commission de Sûreté publique.

La composition de cette Commission de Sûreté - qui avait été installée officiellement par la Régence de Bruxelles - dût rendre rêveur un esprit clairvoyant comme De Potter. Ses anciens amis, Alexandre Gendebien et Van de Weyer, y figuraient côté du duc d’Ursel, du comte Frédéric de Mérode ct de Ferdinand Meeus, directeur de la Société Générale, avec Frédéric de Sécus, l’ancien maire Rouppe et le prince de Ligne ; ce dernier, d'ailleurs, n'assistait jamais aux réunions.

La Commission de Sûreté eut une existence fort brève, Elle avait déjà disparu quand De Potter apprit sa création. Mais pendant ses quelques jours d'activité. elle trouva le temps, à la grande satisfaction de notre proscrit, sans nul doute, d'écrire att procureur du roi Schuermans (le même qui avait joué un rôle décisif dans sa condamnation) « pour l'inviter à suspendre l'exercice de ses fonctions et les transmettre uà n de ses substituts, qui offenserait moins l'opinion publique. » Décidément, le pouvoir royal était tombé bien bas !

Malheureusement, les séances aux Etats Généraux n'avaient apporté aucun accommodement. Le roi et ses conseillers connaissaient la détresse dans laquelle les insurgés se débattaient. Leur intention était de l'augmenter, en faisant trainer les pourparlers, ct d'arriver ainsi à contraindre les provinces du Midi se soumettre.

De Potter apprit avec satisfaction que des (page 112) patriotes plus ardents - parmi lesquels dominaient les Liégeois - avaient constitué, sous le nom de Réunion Centrale, un parti du mouvement ; ce dernier ne se montrait guère satisfait de la marche d'une révolution « légale », et voulait « imprimer plus d'énergie à la Commission de Sûreté. » Charles Rogier, Alexandre Gendebien, Van Meenen, Jottrand, Ducpétiaux, Verbroeckhoven, et d’autres - bien connus comme de fougueux d'autres patriotes - s'y étaient ralliés. Ils essayaient de se maintenir en rapport avec les principaux centres révolutionnaires des autres villes du pays : Liége, Mons, Namur, Louvain. Ath, etc., qui déjà envoyaient des secours de toute nature vers la capitale.

A la soirée du 19, les Liégeois proposèrent la constitution d'un Gouvernement provisoire, dont l'idée avait été rejetée une première fois par le Comité de Sûreté. Des noms avaient été avancés parmi les personnalités jugées les plus compromises : De Potter, Gendebien et le comte Emile d'Oultremont - de Liége - qui lui aussi s'était activement opposé aux tendances hollandaises. On déclarait : « De Potter est à Lille, on s'est mis en correspondance avec lui ; De Potter est l'homme du peuple ; Gendebien, celui des classes moyennes ; le comte est une véritable puissance dans le pays de Liége : il aura pour lui la noblesse. »

Les premières séances de la Réunion Centrale - que le peuple appelait du nom du local où l'on se réunissait : le « Club Saint-Georges » - furent tumultueuses. On se transporta ensuite (page 113) au théâtre du Parc : ce fût là que Niellon. Bouchez, Grégoire et Rodenbach organisèrent tant bien que mal les premiers groupes armés.

Leurs effectifs dépendaient en grande partie de l'enthousiasme des participants. Plus tard, ils allaient devenir les premiers « bataillons - en réalité, des corps francs - qui participèrent glorieusement à la défense de la capitale.

Toutes ces initiatives étaient graves ; mais combien les événements subséquents ne les dépassèrent-ils pas ! Marche de l'armée hollandaise sur Bruxelles sous le commandement du prince d'Orange et du prince Frédéric, escarmouche de Dieghem, où devait couler le premier sang ; la capitale et tout le pays en état de révolte ouverte contre les forces armées du roi Guillaume.


Le cœur de Louis De Potter dut battre d'émotion lorsque lui furent relatés tous les détails sur les mémorables journées de septembre ! Abandonné à lui-même. sans autorités responsables, sans commandement pour le conduire à l'assaut des troupes hollandaises, le peuple de Bruxelles avait résisté victorieusement à des forces régulières, et finalement chassé l'ennemi hors des murs de la capitale. La victoire était restée aux insurgés, à ces insurgés que Guillaume Ier avait qualifiés de rebelles !

Le 22 au soir, la veille de l'attaque générale hollandaise, les chefs de l'insurrection. devant l'imminence de la conflagration, s'étaient sentis écrasés (page 114) par leurs responsabilités. Conscients de leur faiblesse, et estimant toute résistance impossible, ils avaient désespéré d'eux-mêmes. Gendebien. Van de Weyer, Pierre Rodenbach, Vanderburcht, VIeminckx, Moyard, tous avaient fui d'instinct, vers cette France dont ils attendaient peut-être une chimérique intervention. Charles Rogier. abandonnant ses fougueux volontaires liégeois, errait comme un perdu dans la forêt de Soignes. Félix de Mérode lui-même et le général van der Meere avaient préféré quitter la capitale.

Tous les échos de ces événements arrivèrent à la connaissance de Louis De Potter, pendant qu'il était aux côtés de sa mère à Lille. Peu de jours après son arrivée dans cette ville. alors que la défaite des Hollandais n'y était pas encore connue, il avait rencontré quelques-uns des patriotes fuyards, d'autres ensuite à Valenciennes. « Tous, sans exception, étaient au découragement, à l’abandon. à la débandade. »

Aux premiers bruits de la victoire belge, Gendebien et Van de Weyer - avec lesquels De Potter avait eu de longs entretiens - rentrèrent à Bruxelles. pour se mettre à la tête des insurgés.

De Potter a relaté, dans ses Souvenirs, les hésitations par lesquelles il passa à Lille, quand ses amis insistaient pour qu'il retournât. avec eux, au milieu de cette population où son nom retentissait en même temps que le cri de « Liberté ! » « Tout ce qui m’était arrivé depuis mon départ pour l'exil avait singulièrement modifié mes idées. sinon sur les choses, du moins sur les hommes qui (page 115) se mêlent aux choses, les disposent, les combinent et souvent les gâtent ... Mais, plus j'avançais, plus les détails que j'apprenais sur les combats de Bruxelles me démontraient que le peuple avait vaincu complètement et de manière à ne plus devoir que régulariser les conséquences de son héroïsme. »

Bien plus tard, alors que Louis De Potter était mort, Alexandre Gendebien. dans ses Révélations historiques sur la Révolution de 1830 (publiées en 1867), a relaté les entretiens qu'il eut avec le proscrit à Lille. Il s'étend sur l'attitude indécise de ce dernier, décrit ses hésitations d'une manière telle qu'elles doivent faire contraste avec ses propres sentiments que nous connaissons comme particulièrement exaltés.

Pouvons-nous attacher une valeur historique à cet exposé tardif ? N'oublions pas qu'un abîme s'était creusé entre les deux hommes politiques, après la Révolution. Le témoignage manque pour le moins d'objectivité.

Quoi qu'il en soit, nous savons que De Potter quitta Lille, le 27 septembre au soir, en compagnie de Vleminckx et de Pierre Rodenbach, dans le cabriolet de ce dernier.

Ce voyage fut, pour le tribun, un retour triomphal. A son arrivée à Bruxelles. il fut accueilli dans un enthousiasme indescriptible, comme le grand héros de la Révolution.

En cours de route, il écrivit la lettre suivante qui révèle son état d'âme, au moment où l'œuvre dont il avait été le promoteur venait de se réaliser avec un succès inespéré.

(page 116) « Lettre à MM. Gendebien et Van de Weyer, Membres du Gouvernement Provisoire de la Belgique.

« Près d'Enghien, le 28 septembre 1830.

« Mes chers Amis,

« Vous m'aviez promis, à Valenciennes. de ne rien faire sans m'en prévenir, quitte à attendre ensuite ou à ne pas attendre ma réponse. Je vous ai écrit, moi : vous ne m'avez même pas répondu.

« Hier, ignorant votre départ, je vous avais envoyé Bartels à Valenciennes. L'ayant appris, hier encore, sans attendre le retour de Bartels, je partis avec MM. Rodenbach et Vleminckx.

« Je suis aux portes de Bruxelles.

« La victoire est à nous : Il n'y a plus qu'à en profiter !

« Mes amis. si je ne vous suis pas absolument indispensable, permettez-moi de retourner tout de suite à ma mère, à ma femme, à mes enfants, à mes occupations.

« J'aurais voulu vous être utile : vous n'avez plus besoin de personne. Laissez-moi ma liberté.

« De Potter. »

Il ne semble pas que nous nous trouvions là en présence d'un homme indécis, mais plutôt de quelqu'un qui aurait été laissé dans l'ignorance de la décision prise par d'autres, lesquels se montrèrent un peu trop pressés de « voler au secours de la victoire.3


(page 117) Mais nous devons revenir quelque peu en arrière pour pouvoir juger de la suite des événements qui se déroulèrent dans notre capitale.

L'attaque de Bruxelles par les troupes du prince Frédéric et la résistance opiniâtre des patriotes pendant les quatre glorieuses journées avaient provoqué une rupture ouverte entre les provinces du Sud et la dynastie. Au plus fort de la lutte, un Gouvernement provisoire avait été constitué par quelques Belges dévoués à la cause nationale. Leurs noms sont entrés dans l'histoire : d'Hoogvorst,, Rogier et Jolly, auxquels s'adjoignirent, deux jours plus tard, Félix de Mérode, Gendebien et Van de Weyer. Mais si en fait, ils avaient pris la responsabilité de la lutte ouverte, leurs bonnes volontés réunies ne représentaient ni l'autorité, ni la notoriété nécessaires à l'exercice du pouvoir effectif. En effet, la victoire militaire était plutôt le fait des circonstances ; et le succès des armes n'avait pas affermi le prestige de quelques hommes politiques groupés sous le signe d'un club ou d'un parti.

Ces hommes étaient inconnus de la grande masse de la population. Pour le surplus, leurs opinions divergeaient nettement.

Comme il arrive toujours lors des grands bouleversements historiques, tout le monde sait parfaitement ce qu'il ne veut pas, c'est-à-dire ce qu'il rejette, mais aucun accord n'est possible sur ce qu'il faut adopter, mettre à la place une fois le succès obtenu. « Sauf sur la question de l'indépendance nationale, a écrit Henri Pirenne, (page 118) leurs idées divergeaient en tous sens. » « C'était un amalgame de tendances bourgeoises (d'Hoogvorst), ultramontaines (de Mérode). libérales (Van de Weyer. Rogier), et francophiles (Gendebien). » « A l'heure décisive où l'on se trouvait, le Gouvernement provisoire ne possédait évidemment pas la force nécessaire à l'accomplissement de la tâche formidable qu'il avait assumée. » « Pour être à même d'agir. il devait se faire consacrer par l'adhésion du peuple. Il eut la sagesse de le comprendre. » (Henri Pirenne, op. cit., p. 411.)

Nous avons tenu à citer intégralement l'opinion de notre grand historien ; elle arbitre en quelque sorte l'instant le plus grave de notre Révolution : on avait besoin d'un chef qui. par sa popularité autant que par sa personnalité, fût capable de rallier les bonnes volontés dispersées.

Le choix se porta sur De Potter, le proscrit politique, considéré par le peuple comme le martyr de la cause. « Tous estimaient que lui seul était capable de s'imposer et de forcer la confiance », au milieu de l'anarchie menaçante. Le 27 septembre, le jour même de la victoire populaire. le Gouvernement provisoire fit afficher sur les murs de Bruxelles l'invitation à Louis De Potter de « rentrer dans sa patrie. »


Nous l'avons dit, ce retour de Louis De Potter (page 119) en Belgique fut un triomphe, tant pour la cause qu'il représentait que pour lui-même.

Le Courrier des Pays-Bas du 29 septembre a donné un récit très vivant de ce que fut l'entrée - la « Joyeuse Entrée » - dans la capitale :

« Le citoyen si populaire dont le nom a servi de premier cri de ralliement dans notre glorieuse révolution. M. De Potter est arrivé hier, à six heures du soir, à Bruxelles. Sa voiture l'a conduit directement à l'hôtel de ville, aux acclamations d'une foule immense qui l’accompagnait depuis les portes et grossissait sur son passage. »

« Depuis Enghien jusqu'à Bruxelles, la marche de M. De Potter a été vraiment triomphale : à Enghien, à Hal, sa voiture fut dételée, et l'air ne cessa de retentir de cris enthousiastes. Femmes, enfants. vieillards, tous voulurent lui prendre la main et le serrer dans leurs bras. »

« Arrivé aux environs de Bruxelles, M. De Potter trouva échelonné sur sa route un fort détachement de gardes bourgeoises : plus de vingt mille citoyens, parmi lesquels on remarquait une foule de nos braves blessés ; sa voilure fut dételée et portée (c'est le mot) jusqu'à la maison de ville. On n'entendait que les cris : « Vive De Potter ! Vive le défenseur de nos libertés ! »

« En sortant de sa voiture, il fut porté sur les bras de plus de dix mille personnes qui se trouvaient sur la place, et ce n'est qu’avec la plus grande peine qu'il est parvenu à entrer dans l'intérieur de l'hôtel de ville. Là, il fut reçu par les membres du Gouvernement provisoire, qui tous se (page 120) précipitèrent vers lui et l'étouffèrent pour ainsi dire de leurs embrassements. »

« Le peuple, rassemblé devant l'Amigo, le demandait à hauts cris au balcon. M. De Potter s'y présenta, accompagné de M. d'Hoogvorst. Il remercia ses braves concitoyens de l'accueil, vraiment admirable. qu'ils lui avaient fait, et leur jura que désormais il était tout à eux et que rien ne lui coûterait pour aider à les soustraire au joug des Hollandais. »

« Bruxelles gardera longtemps le souvenir de cette belle journée »

Abstraction faite du lyrisme emphatique de l'époque, constatons que l'élan populaire fut général, et que notre héros personnifiait bien, aux yeux de la masse, la Révolution victorieuse.

« Son entrée à Bruxelles, le 28 septembre, a écrit Pirenne. fut aussi triomphale que l'avait été, en 1577, celle de Guillaume le Taciturne. »


Le lendemain. le Gouvernement provisoire fit paraîitre la proclamation suivante :

« Un de nos meilleurs citoyens. M. De Potter, que le vœu national rappelait à grands cris depuis le commencement de notre glorieuse révolution, est entré dans nos murs. »

« Le Gouvernement provisoire s'est empressé de se l'adjoindre. »

« En conséquence. à partir du 28 septembre 1830, M. De Potter fera partie du Gouvernement provisoire. »

(page 121) Ainsi le pouvoir qui s'était constitué lui-même obtenait, grâce à De Potter, en même temps qu'une notoriété plus grande, l'indispensable sanction du peuple. Quant à notre héros, pour se sentir le maître de la situation, il n'avait qu'à écouter les acclamations qui montaient vers lui. Sans faire violence aux sentiments de la masse, il pouvait s'arroger le droit de parler en son nom, et au besoin de lui prêter ses propres sentiments. Tout compte fait, comme l'a noté Henri Pirenne, en se mettant ainsi à la tête de la nation, il ne faisait qu’obéir aux événements.

Le jour même où le Gouvernement provisoire informa la population de l’entrée de Louis De Potter dans son sein, le nouveau coopté publia l'adresse suivante à la population ; elle était autant un acte de foi politique qu'un élan du cœur.

« Mes chers Concitoyens !

« Me voici au milieu de vous.

« L'accueil que vous m'avez fait m'a vivement ému ; il ne sortira jamais de ma mémoire. Je ferai tout pour me rendre digne de vous et de la patrie.

« Brave peuple belge. vous avez glorieusement vaincu ; sachez profiter de la victoire. Vos lâches ennemis sont dans la stupeur. Ne perdons pas un instant ; que tous les citoyens se groupent autour du Gouvernement populaire qui est votre ouvrage ; de leur côté - n'en doutons pas - les incendiaires que vous venez de chasser si ignominieusement de votre capitale préparent de nouveaux crimes.

« Plus d'hésitations, plus de ménagements ! Il (page 122) faut éloigner à jamais de nos foyers les assassins qui y ont porté le fer et le feu, le viol et le carnage. Il faut sauver nos mères, nos femmes, nos enfants, nos propriétés. Il faut vivre, ou nous ensevelir tous sous des monceaux de cendre !

« Soyons unis, mes chers concitoyens. et nous serons invincibles. Conservons l'ordre parmi nous ; il nous est indispensable pour conserver notre indépendance.

« Liberté pour tous ! Egalité de tous devant le pouvoir suprême, la Nation ; devant sa volonté, la Loi !

« Vous avez écrasé le despotisme ; par votre confiance dans le pouvoir que vous avez créé, vous saurez vous tenir en garde contre l'anarchie cl ses funestes suites.

« Les Belges ne doivent faire trembler que leurs ennemis.

« Peuple ! ce que nous sommes, nous le sommes par vous ; ce que nous ferons, nous le ferons pour vous !

« Bruxelles, le 28 septembre 1830

« De Potter. »

Comme nous sentons, à travers l'enthousiasme de la victoire, percer l'appréhension des difficultés qui viendraient, qui ne pouvaient pas manquer de venir. Réalisateur de l'Union entre les deux partis politiques, De Potter prêchait encore l'union à tous les Belges. Il recommandait la confiance dans le nouveau pouvoir, et. surtout, il mettait ses compatriotes en garde contre l'anarchie. (page 123) Le peuple avait vaincu ; mais il restait à l'élite de la nation à organiser cette victoire. tant à l'intérieur du pays qu'aux yeux des puissances étrangères dont nos aïeux étaient venus troubler le repos.

Tâche lourde pour ceux qui s'étaient mis volontairement à tête la du pouvoir ! Elle susciterait bien des efforts. mais que de heurts ainsi que de rivalités !...

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