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Histoire du royaume des Pays-Bas et de la révolution belge de 1830
VAN KALKEN Frans - 1910

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Frans VAN KALKEN, Histoire du royaume des Pays-Bas et de la révolution belge de 1830

(Paru à Bruxelles en 1910, chez J. Lebègue et Compagnie)

Chapitre II. Les débuts du règne de Guillaume Ier (1814-1821). La loi fondamentale de 1815

Premiers actes administratifs et diplomatiques du prince souverain. Les Cent-Jours. Guillaume se décerne le titre de roi des Pays-Bas (16 mars 1815). La campagne de 1815. Second traité de Paris (20 novembre 1815).

Caractère de Guillaume Ier.

La « Grondwet » hollandaise du 30 mars 1814. La vie politique en Hollande, en 1814. Modifications apportées à la Constitution par une commission hollando-belge (22 avril-13 juillet 1815). Le principe des libertés de conscience et des cultes combattu par le clergé belge. Le projet de Loi fondamentale repoussé par une assemblée de notables (18 août 1815). Le roi l'adopte cependant, par décret du 24 août. Violent conflit entre Guillaume Ier et le clergé belge au sujet de l'acceptation de la Constitution (août 1815octobre 1821).

(page 32) Le 1er août 1814, le prince souverain prenait possession de la Belgique, à titre provisoire, comme nous l'avons vu. Mis en garde contre l'esprit inquiet des Belges, « peuple irascible et remuant », par le baron de Vincent qui le priait de respecter nos préjugés et de ménager la noblesse, Guillaume, assez favorablement accueilli, prit immédiatement certaines mesures pour « défranciser » le pays et se concilier les faveurs du clergé (Pour les détails, voir De BOSCH-KEMPER, De staatkundige geschiedenis van Nederland tot 1830, pp. 444 et 445). D'une part, il supprima le jury, « institution des temps barbares » - comme il l'avait fait en Hollande dès le 6 janvier - modifia la censure, rendit facultatif l'emploi officiel de la langue néerlandaise, adoucit certaines dispositions trop draconiennes de la (page 33) législation impériale ; d'autre part, il rétablit l'invocation expresse de la Divinité dans le serment judiciaire (4 novembre 1814), augmenta le traitement du clergé et de la magistrature, ordonna d'observer plus rigoureusement le repos des dimanches et des jours fériés.

Entre-temps il faisait de multiples efforts pour obtenir, des souverains alliés, sa reconnaissance définitive comme souverain des Pays-Bas. Le 22 septembre 1814 s'était ouvert le célèbre Congrès de Vienne. Les Alliés, pressés par l'Angleterre et ayant d'ailleurs conservé pour Guillaume les meilleurs sentiments, avaient ratifié les conventions déjà conclues antérieurement. Les diplomates avaient inséré le protocole de Londres toujours encore ignoré du public dans les actes du Congrès, comme s'il était son œuvre et s'étaient préoccupés de fixer les bornes du nouvel État (traité des limites, Vienne, 31 mai 1815).

(Note de bas de page : Par ce traité signé par GuillaumeI(er et les souverains de Russie, d'Autriche, de Prusse et d'Angleterre, le roi des Pays-Bas perdait ses Etats héréditaires de Nassau-Dillenburg, Dietz, etc., et renonçait à toutes prétentions sur la rive gauche du Rhin ; par contre, il recevait le grand-duché de Luxembourg à titre personnel. Pour les détails sur ces questions, cf. BLOK, Geschiedenis, pp. 313 et suiv.)

Durant ces négociations le touchant de si près, Guillaume avait su néanmoins conserver une attitude indépendante vis-à-vis des puissances orientales et il avait fièrement refusé d'entrer dans la Confédération germanique, comme souverain des Pays-Bas, préférant - suivant sa propre expression - devenir la « sentinelle de la Grande-Bretagne sur le continent ». Mais tandis que les diplomates s'occupaient à Vienne de subtils remaniements politiques, un événement capital se produisit soudain, semant l'anxiété dans toutes les cours et parmi tous les peuples de l'Europe : le retour en France de l'exilé de l'île d'Elbe ! Plus que tout autre prince, Guillaume (page 34) avait à craindre les conséquences de la rentrée triomphale de ce dangereux voisin. Aussi prit-il immédiatement des mesures énergiques, commençant par profiter - non sans habileté - du désarroi général pour se proclamer lui-même roi des Pays-Bas, le 16 mars 1815 (Le Congrès de Vienne ratifia cet acte une semaine plus tard). Le danger commun produisit spontanément ce que ni les proclamations, ni les promesses n'avaient pu faire : un rapprochement réel entre les Belges et leur souverain. Menacés d'une nouvelle annexion à la France, ils accueillirent Guillaume Ier avec enthousiasme dans leurs provinces, à la fin de mars, et répondirent même avec plus de zèle que les Hollandais à son appel aux armes (DU CHASTEL, 1830, p. 25, signale que le clergé belge soutint cet appel aux volontaires. Cite un extrait de la lettre pastorale de l'évêque de Gand à ce sujet (14 avril)).

Nous n'avons pas à retracer ici, en détail, la période des Cent-Jours. L'armée hollando-belge, à peine créée, fut hâtivement mobilisée, puis encadrée dans les troupes d'élite du duc de Wellington. Quoique jeunes et inexpérimentés, les soldats belges et bataves surent, par deux fois, rivaliser en intrépidité et en force d'endurance avec les vétérans de Sa Majesté Britannique. (Note de bas de page : Le fait est d'autant plus notoire qu'au début de 1814 l'on avait, dans plusieurs villes belges, dû procéder aux opérations du tirage au sort avec l'appui de la force armée, tant les nouvelles lois de milice, pourtant si nécessaires, avaient été mal accueillies par les jeunes gens et leurs familles. Voir BUFFIN, Documents inédits, Introduction, p. VII.3) : le 16 juin aux Quatre-Bras, en repoussant, sous les ordres du prince d'Orange, fils aîné de Guillaume Ier, les soldats du maréchal Ney ; le 18, à Waterloo, en défendant la ferme de la Haye-Sainte et en participant à la dernière attaque contre les grenadiers de la garde (Sur la campagne de 1815, voir F. DE Bas et comte J. DE T'SERCLAES DE WOMMERSOM, La Campagne de 1815 aux Pays-Bas, d'après les rapports officiels néerlandais (3 vol., Bruxelles, 1908, A. Dewit). Ce grand ouvrage, fruit de longues et judicieuses études, met définitivement fin à la légende calomnieuse de la lâcheté des troupes hollando-belges, durant la campagne de 1815.).

Fait à noter : ce furent (page 35) deux généraux de l'armée hollando-belge qui, par leur rôle, décidèrent en majeure partie du sort heureux de la campagne. Wellington avait, en effet, voulu faire évacuer le point stratégique important des Quatre-Bras à l'approche des Français. Le général baron Jean de Constant-Rebecque, Suisse d'origine vaudoise ayant combattu aux Tuileries, le 10 août 1792, et le général hollandais de Perponcher, osèrent désobéir aux ordres du généralissime. Il en résulta que, le 16 juin, Ney se trouva dans l'impossibilité de compléter la défaite des Prussiens à Ligny, en les prenant à revers. Blücher, ayant ainsi échappé à la destruction totale, put rentrer en ligne dans l'après-midi du 18, avec l'effet que l'on sait. Durant cette grande journée de Waterloo, les généraux, officiers et soldats du prince d'Orange payèrent héroïquement de leur personne. Le prince fut même blessé à l'assaut final. Certains historiens étrangers ont cherché dans la suite à diminuer la valeur des troupes hollando-belges, avec l'intention de mettre d'autant plus en relief les mérites de leurs compatriotes. Les Alliés, en 1815, furent plus justes. Le général Pirch, s'adressant au maire de Namur, disait : « De tous temps, les Belges se sont montrés un peuple brave, généreux et vaillant. » Blücher, dans une proclamation « aux braves Belges », les apostrophait ainsi : « Vous êtes un peuple brave, loyal et noble... » (JUSTI, Le Soulèvement, pp. 171 et suiv.)

Jusqu'à la fin de la guerre les soldats du nouveau royaume firent loyalement leur devoir, participant à l'envahissement du nord de la France et aux sièges du Quesnoy, de Condé et de Valenciennes. Le (page 36) 22 décembre seulement ils rentraient dans leurs quartiers d'hiver. Entre-temps, le 20 novembre, le second traité de Paris avait été conclu entre les Alliés et la France, traité arrondissant la Belgique, au sud, par l'adjonction de l'ancien duché de Bouillon et des places de Philippeville et de Mariembourg. En outre, Guillaume Ier recevait, sur la contribution imposée à Louis XVIII, un subside de 60 millions de florins, qu'il consacra à la construction d'une « barrière » de forteresses à la frontière française, ainsi qu'à la réorganisation complète de son armée (Sur les actes diplomatiques qui suivirent la bataille de Waterloo, cf. Blok, Geschiedenis, pp. 335-337).

Guillaume Ier, tant qu'avait duré la crise dans laquelle faillit sombrer le royaume naissant des Pays-Bas, n'avait pu s'occuper assidûment de son administration. Mais aussitôt le danger conjuré, il se mit courageusement à l'œuvre. D'accord avec les Alliés pour considérer la Belgique et la Hollande comme formant désormais un Etat homogène, nul plus que lui ne désirait réaliser cet « amalgame le plus parfait » dont parlaient les articles de Londres.

Il était à cette époque dans toute la force de l'âge (Excellentes descriptions du caractère de Guillaume [er, se complétant l'une l'autre, dans Fris, t. Ior, pp. 91 et 92, et Blok, Geschiedenis, pp. 350 et 351). D'aspect robuste, le visage calme et grave, il était simple dans ses habitudes, ennemi de l'éclat, préférant aux chamarrures des uniformes, la coupe sobre des vêtements du bourgeois. Très intelligent, doué d'une mémoire surprenante qui lui permettait d'utiliser ses amples connaissances en toutes matières, (page 37) il faisait preuve, sinon de génie, du moins des talents les plus étendus. Son ardeur dévorante au travail, son énergie, ses capacités d'administrateur méthodique, il les mettait toutes au service de sa tâche de souverain, qu'en sa qualité de croyant, il considérait comme une mission divine dont il était responsable devant Dieu et devant ses peuples. Bienveillant, il réservait un jour par semaine à des audiences où ses sujets, sans distinction de classe, avaient libre accès. Honnête, sincère, tolérant, il présentait, en somme, beaucoup d'analogies avec les négociants et les rentiers de son pays natal, par la pratique des vertus familiales, par son esprit d'économie parfois poussé jusqu'à l'avarice et la cupidité, par sa nuchterheid, expression intraduisible qui dépeint un état d'âme réfléchi, étranger aux griseries de l'enthousiasme. « Les théories favorites du roi, » dit un de ses contemporains, l'Anglais White (CH. WHITE, The Belgian revolution (Londres, 1835, 2 vol. Trad. en 1836 par Miss MARY CORR, La Révolution belge de 1830), t. Ier, chap. VII, pp. 174 et 175), « ses méditations continuelles étaient exclusivement tournées vers les affaires commerciales et l'emploi des capitaux... Sa pensée dominante pouvait être comparée à un prix courant susceptible seulement d'être influencé par la hausse ou la baisse des produits coloniaux et industriels ou des fonds publics. Les inventions de Watt et de Bolton étaient à ses yeux plus dignes d'admiration que les hauts faits de Frédéric et de Napoléon et l'écrit le plus insignifiant sur des sujets d'économie politique et de philosophie pratique, lui paraissait beaucoup plus digne de son attention que ceux de Byron ou de Chateaubriand. II encourageait la littérature, non par amour pour les lettres, mais sous le point de vue des transactions commerciales. Le (page 38) bruit des ateliers de Gand, le retentissement monotone des forges du Luxembourg étaient pour ses oreilles plus doux que les chants les plus mélodieux de Rossini et de Beethoven... Tout était chez lui matériel, positif et mathématique. »

Comme beaucoup d'hommes habitués à agir en tout par eux-mêmes, Guillaume avait des prétentions à l'infaillibilité. Ne demandant conseil à personne, il supportait mal la contradiction, s'entêtait dans ses vues, prenant en pitié ceux qui lui présentaient de respectueuses observations, ou voyant dans leur zèle des tendances à désobéir. Cet orgueil lui était d'autant plus fatal que souvent, en présence de questions politiques réclamant une solution urgente, il hésitait, temporisait, concluant volontiers par les mots : « Je dormirai là-dessus. » C'est ce qui faisait dire au comte du Chastel : « Il a tant dormi sur celles de Belgique, qu'un beau jour, à son réveil, il s'est trouvé dépossédé de son royaume. » (DU CHASTEL, 1830, p. 9. Décrit assez justement le caractère de Guillaume Ier, mais avec quelque amertume, en exagérant ses défauts. Le dit égoïste, chicaneur, de mauvaise foi, mal disposé envers les Belges).

Ces défauts n'empêchaient pas Guillaume d'être idolâtré en Hollande, on pouvait espérer que ses nombreuses et brillantes qualités le feraient aimer des Belges et qu'il serait véritablement le père de tous ses sujets. Il le souhaitait ardemment, mais dès le début il apparut que, pour des causes psychologiques et morales, ses veux seraient de réalisation difficile. Il était « le plus libéral des princes de son temps » et l'avait prouvé par son indépendance d'attitude vis-à-vis de la Sainte-Alliance, mais, de par sa naissance, son éducation, ses goûts propres, il restait, avant tout, partisan du gouvernement personnel ! (Sur la manière de gouverner du roi, voir le tableau fort exact qu'en trace L. DE POTTER dans le tome Ier, p. 11, de ses Souvenirs personnels (Bruxelles, 1839. 2 vol.)). Comme (page 39) le disait finement le baron de Vincent : Guillaume Ier. était « trop libéral pour être roi ; trop roi pour être sincèrement libéral ». Les Hollandais de 1814 trouvaient parfait le régime du despotisme éclairé, mais les Belges, plus imprégnés des doctrines politiques de la Révolution française, s'y adapteraient-ils aussi facilement ?

En outre, le nouveau souverain était Hollandais. d'origine, de caractère, de tempérament, de cœur et d'âme. Presque inconsciemment et de très bonne foi, il allait opérer des réformes en prenant pour point de départ ce qui existait ou était désiré dans sa patrie. Il allait non point « amalgamer » mais « hollandiser ». . Le royaume des Pays-Bas serait, non pas une reconstitution territoriale modernisée des dix-sept provinces de Charles-Quint, mais la continuation historique de la république des Provinces-Unies. N'y avait-il pas là de quoi inquiéter les Belges ? (Ces tendances presque inconscientes à la « hollandisation » sont fort bien exposées par Blok, Geschiedenis, p. 352).


Le premier acte important du roi allait être d'accomplir les stipulations du protocole de Londres, étendant aux Belges les bénéfices du régime politique dont jouissaient déjà les Hollandais depuis 1814. En effet, dès le 2 décembre 1813, Guillaume Ier avait promis à ces derniers une Grondwet. Cette Constitution, élaborée par une commission de quinze membres, parmi lesquels des aristocrates comme le comte van Hogendorp et des hommes nouveaux, défenseurs (page 40) de la monarchie constitutionnelle, fut un compromis entre les idées républicaines-fédéralistes, de mode au temps de l'ancien stadhoudérat, et les conceptions modernes, datant du Consulat et de l'Empire (BLOK, Geschiedenis, pp. 295, 302 et 303). Modèle de charte octroyée, elle garantissait à tous les citoyens le libre exercice des droits individuels et de certaines libertés sociales ; créait un pouvoir exécutif fortement centralisé, attribuait au souverain le droit de présenter des lois et « autres propositions » à la Chambre ainsi que celui d'approuver ou de refuser les propositions de cette assemblée, enfin, n'admettait pas le principe de la responsabilité ministérielle. Le pouvoir législatif, représenté par les États généraux (55 membres), ne recevait ni le droit d'initiative, ni le droit d'amendement, il pouvait seulement présenter au monarque des voordrachten et censurer ou même éventuellement rejeter ses projets de loi et ses budgets (Il y avait deux sortes de budgets : 1° le budget annuel pour certaines recettes et dépenses ; 2° le budget décennal, qui se votait d'avance, ce qui rendait impossible tout contrôle de la gestion financière du souverain). Suivant un mécanisme compliqué d'élections à plusieurs degrés, la nation, divisée en trois ordres : équestre, des villes et des campagnes, élisait les états provinciaux, chargés eux-mêmes de choisir les États généraux. Telle était, en résumé, la teneur de ce pacte fondamental qui, approuvé solennellement par une assemblée de cinq à six cents notables triés sur le volet, était entré en vigueur le 30 mars 1814 (Voir les analyses détaillées de la Constitution de 1814 dans De BOSCH-KEMPER, De staatkundige geschiedenis van het Nederlandsche volk tot 1830, chap. XVIII ; Blok, Geschiedenis, pp. 296 et suiv.)

Cette Constitution, quoique fort démocratique pour une époque où triomphaient, en Europe, les principes réactionnaires de la Sainte-Alliance, était encore beaucoup moins libérale dans la réalité que dans ses apparences. Mais les Hollandais - comme le fait observer le professeur Blok (BLOK, Geschiedenis, p. 304) - n'en demandaient pas davantage. C'étaient Leurs Hautes Puissances les Seigneurs États généraux qui avaient eu la direction du pouvoir sous l'ancien régime ; ce serait le roi sous le nouveau. Indifférent à la vie politique, le peuple batave ne songeait qu'à remettre ses affaires en bon état. Niebuhr, fils du célèbre explorateur de l'Arabie et conseiller d'État prussien délégué en Hollande, s'étonnait de cette « servitude générale » et de ce « manque d'énergie » qui devaient durer des années et faire du gouvernement une « monarchie absolue sous des aspects de liberté constitutionnelle ».

La première session des États généraux fut des plus mornes. Les députés, dont un grand nombre étaient de naissance aristocratique, ne sortirent de leur torpeur qu'à propos d'une loi sur la chasse. Le protocole de Londres avait, fort heureusement pour les Belges, stipulé que la Grondwet hollandaise serait révisée « de commun accord » avant d'être appliquée dans le nouveau royaume. Une commission de vingt-deux membres, composée de onze Belges et d'autant de Hollandais, sous la présidence de Van Hogendorp, fut réunie à La Haye, le 22 avril 1815. Les délégués du Sud avaient été choisis de façon à représenter toute la gamme des opinions du temps (BUFFIN, Documents inédits, Introduction, p. ix, donne la liste des commissaires belges : Comte d'Aerschot, Dotrenge, F. Dubois, Gendebien, Holvoet, 0. Leclercq, comte C. de Méan, comte de Mérode-Westerloo, comte C. de Thiennes, Raepsaet, Lampsins).

(Note de bas de page : J.-J. RAEPSAET, Œuvres complètes, t. VI (1840) : Journal des séances de la commission qui a été chargée par le roi, en 1815, de rédiger un projet de Constitution pour le royaume des Pays-Bas, pp. 36-38, décrit la composition de la commission. Le jurisconsulte Raepsaet, ancien membre des états de Flandre, greffier de la commission, donne un compte rendu exact de ses travaux, mais les appréciations personnelles qu'il émet dans son Introduction sont inspirées par le regret du passé et la haine des « francs jacobins », elles sont sans valeur historique. A. R. FALCK, Brieven, p. 23. L'auteur signale qu'il fit nommer, comme secrétaire de la commission, un israélite, son ami Meyer).

A côté (page 42) de réactionnaires ultra-catholiques, partisans de l'ancien régime ralliés au gouvernement hollandais, de catholiques et de libéraux modérés, siégeaient des voltairiens radicaux et anticléricaux, tels l'ex-vonckiste Théodore Dotrenge et l'avocat limbourgeois Olivier Leclercq, « l'enfant de la révolution ». S'étant assidûment consacrés à leur tâche, les membres de la commission terminèrent, le 13 juillet non sans que parfois les débats eussent pris une tournure assez âpre (Sur l'attitude des Hollandais, calmes, ultra-modérés, et des Belges libéraux, prolixes, brillants théoriciens des idées de 89, cf. BLOK, Geschiedenis, p. 338) - des travaux auxquels le roi avait pris une part directe.

Signalons les principales questions résolues par le comité hollando-belge, les unes dans un sens (page 43) favorable à nos compatriotes, les autres en opposition avec leurs idéaux.

Il fut décidé, sans difficulté, que le pays serait divisé en dix-sept provinces et que Bruxelles et La Haye seraient alternativement, d'année en année, ville capitale et siège du Parlement. (Note de bas de page : Les dix-sept provinces du royaume des Pays-Bas furent : Anvers, Brabant méridional, Brabant septentrional, Drenthe, Flandre occidentale, Flandre orientale, Frise, Gueldre, Groningen, Hainaut, Hollande, Liége, Limbourg, Namur, Overijssel, Utrecht, Zélande)

Après de longs débats, on admit que le pouvoir législatif, conservant le nom un peu suranné de Staten-Generaal (États généraux), comprendrait : I° une Chambre Haute, de quarante à soixante membres, nommés à vie par le roi, et où l'emploi de la langue française serait exclusif ; 2° une Seconde Chambre de cent dix députés âgés de trente ans au moins, et où l'emploi des deux langues serait facultatif (De même, l'emploi des deux langues fut facultatif au conseil d'État. Le Staatscourant (journal officiel) fut bilingue. Le gouvernement usa des deux idiomes pour ses communications importantes. Quant au roi, il se servait du hollandais lorsqu'il parlait aux Chambres).

Le protocole de Londres stipulait que les Belges auraient, dans la Chambre du nouveau royaume, une représentation « convenable ». La plupart des membres belges de la commission, tablant sur le chiffre de la population : au Sud, 3 millions et demi d'habitants ; au Nord, 2 millions à peine, auraient voulu députer à la Seconde Chambre soixante-cinq mandataires. Certes, ce faisant, l'on eût réalisé, sur le terrain politique, « la fusion intime et complète », mais les Hollandais, par l'organe des Van Maanen et des Hogendorp, refusèrent catégoriquement d'admettre un système qui eût consacré la prédominance de l'élément méridional. Ils tiraient leurs arguments du fait que la Hollande avait des annales plus glorieuses, (page 44) une culture intellectuelle supérieure et des colonies comptant des millions de sujets. Il fut alors établi que le Parlement comprendrait un chiffre égal (55) de députés des deux nations (FRIS, t. 1er, pp. 94 et 95). Cette solution qui, en 1815, ne rencontra guère d'opposition, devait dans la suite, lorsque le peuple belge s'éveilla à la vie politique, lui apparaître comme injuste et humiliante.

Il en fut de même de certaines mesures conservatrices prises par la majorité de la commission et auxquelles seuls quelques libéraux s'opposèrent, mais si ces derniers parvinrent à faire admettre la publicité des délibérations à la Chambre Basse, ils ne purent sauver le principe de la responsabilité ministérielle. Le royaume des Pays-Bas resta une monarchie tempérée par une Constitution et il fallut quinze années dans le Sud, vingt-cinq dans le Nord, avant que la bourgeoisie et le peuple tout entier en vinssent à réclamer le plein exercice de leur souveraineté par l'établissement du régime parlementaire.

A côté des articles du projet de Loi fondamentale contenant les germes de graves dissentiments futurs entre les Belges et leur prince, il en était d'autres qui, immédiatement, allaient soulever contre lui la plus violente opposition. On sait que le catholicisme - tout-puissant sous l'ancien régime - avait su conserver en Belgique d'excellentes positions, même après avoir subi la tourmente révolutionnaire et le régime impérial. S'appuyant sur une population très fervente, sur la noblesse et la vieille bourgeoisie réactionnaires, le clergé, bien discipliné, avait fait, dès 1814, de grands efforts pour obtenir la restauration de l'ancien régime. Rentré de l'exil où l'avaient mené ses démêlés avec Napoléon Ier, l'évêque de Gand, Maurice de Broglie, le plus impétueux et le plus combatif de nos (page 45) prélats, s'était, dans un mémoire adressé au Congrès de Vienne, le 8 octobre, élevé en faveur des trois ordres, du rétablissement de leurs privilèges ainsi que de la dîme et des juridictions ecclésiastiques.

(Note de bas de page : Maurice-Jean-Madeleine de Broglie, issu d'une famille piémontaise, naturalisée française, fils d'un maréchal de France (1718-1804), vécut de 1766 à 1821. Emigra en Prusse lors de la Révolution. Aumônier de Napoléon Ier. Evêque d'Acqui en 1805, de Gand en 1807. Prit parti pour Pie VII dans sa lutte contre l'Empereur. Disgracié en 1809, interné dans l'ile Sainte-Marguerite en 1811. Démissionne. Louis XVIII lui ayant rendu son rang d'évêque, il fit sa rentrée triomphale à Gand, le 26 mai 1814. Homme chétif, mais intrépide, mordant, spirituel.)

Il réclamait, en outre, la restitution des biens nationaux au clergé, la direction exclusive de l'enseignement par l'Eglise, la suppression de la tenue, par des employés communaux, des registres de l'état civil, le retour des jésuites, l'interdiction aux réformés d'élever des temples en Belgique ! (Fris, t. Ier, p. 98. Par exception, il eût été permis au prince de pratiquer les rites de son culte, mais seulement dans l'enceinte du palais royal.) Au sein de la commission constitutionnelle les conservateurs belges avaient, de leur côté, émis la prétention de réserver au clergé la faveur d'un rang spécial (Idem, t. Ier, p. 94). Il en était résulté des heurts entre protestants hollandais et libéraux belges d'une part, catholiques belges de l'autre. Mais que signifiaient ces démêlés en présence de l'opposition que firent les catholiques aux articles de la Loi fondamentale, concernant le respect de la liberté de conscience et des cultes ?

(Note de bas de page : Loi fondamentale.

(Art. 190. La liberté des opinions religieuses est garantie à tous.

(Art. 191. Protection égale est accordée à toutes les communions religieuses qui existent dans le royaume.

(Art. 192. Tous les sujets du roi, sans distinction de croyance religieuse, jouissent des mêmes droits civils et politiques, et sont habiles à toutes dignités et emplois quelconques.)

Le protocole de Londres avait stipulé la volonté formelle des puissances de (page 46) faire respecter ces deux immortels principes dans l'État des Pays-Bas, mais si grande était la crainte que l'on avait de voir nos populations s'insurger contre eux, que l'on n'avait encore, jusque-là, osé en faire mention. Devant les débats violents soulevés en commission à ce sujet, Guillaume Ier, dont l'esprit de large tolérance s'indignait de ces résistances inattendues, révéla au public la teneur des articles de Londres. Les points controversés furent alors admis par la commission, mais de ce fait se manifesta une grande irritation en Belgique.

Le projet de Loi fondamentale rédigé, Guillaume Ier voulut le faire approuver par une assemblée de notables, comme l'avait été, en Hollande, la Grondwet de 1814. La première fois, cette cérémonie, simulacre d'une consultation de l'opinion publique, s'était caractérisée - comme le disait humoristiquement l'homme d'Etat Van Maanen - par « vele solennia en weinig zaken » (beaucoup de mise en scène et peu d'action). Mais cette fois il y avait conflit entre ceux qui présentaient la Constitution aux suffrages de la nation et ceux qui étaient censés représenter cette dernière. Le peuple belge - y compris la bourgeoisie - n'était pas mûr pour apprécier dans toute sa force la beauté des notions de tolérance. Le clergé le poussait à se montrer intransigeant (Sur les événements de juillet-août 1815, cf. FRIS, t. 1er, pp. 95 et 96). Le 28 juillet 1815, Maurice de Broglie, François-Joseph Pisani de la Gaude, évêque de Namur, François-Joseph Hirn, évêque de Tournai, tous trois prélats d'origine française, et les vicaires généraux des évêchés vacants de Malines et de Liége, Forgeur et Barrett, avaient adressé au roi des Représentations respectueuses, dans lesquelles ils se plaignaient amèrement de ce que le clergé fût dépossédé de son rang d'ordre privilégié, et critiquaient cette (page 47) nouveauté dangereuse : la liberté de conscience (RAEPSAET, Œuvres complètes, t. VI, pp. 350 et suiv. Pièces justificatives : Texte des Représentations respectueuses).

Le 2 août, l'évêque de Gand, prenant délibérément la direction du mouvement de protestation, avait adressé à son clergé, formé par lui et très discipliné, ainsi qu'aux notables de son diocèse une Instruction pastorale, par laquelle il leur interdisait « avec une sainte hardiesse » d'adhérer à la Constitution. Dans cet acte, aussitôt reproduit par les autres prélats belges, il déclarait le « principe de l'égalité des cultes pernicieux et en contradiction avec la religion ». (Idem., lbidem, pp. 356 et suiv.). Aussi, sous l'influence directe de cette entrée en campagne du clergé, l'assemblée des notables, réunie à Bruxelles, le 18 août 1815, ne s'en tint-elle pas à un rôle de pure forme. Tandis que tous les délégués luxembourgeois, presque tous les namurois, les liégeois et limbourgeois, une petite minorité de brabançons et d'hennuyers approuvaient la Loi fondamentale, ceux des Flandres et de la province d'Anvers s'y montrèrent absolument hostiles. Soixante-dix notables gantois sur quatre-vingts, tous ceux d'Ypres et de la ville d'Anvers rejetèrent le projet (COLENBRANDER, De Belgische omwenteling, pp. 128 et 129). Sur seize cent trois délégués, deux cent quatre-vingts s'abstinrent d'émettre un avis ; sur les treize cent vingt-trois votants, sept cent quatre-vingt-seize formulèrent un vote négatif, dont cent vingt-six en motivant leur refus parédes considerations d'ordre religieux ; bref, cinq cent vingt-sept seulement adhérèrent aux vues du prince.

Stupéfait de se voir tenu en échec, Guillaume Ier en conçut une très vive irritation. Décidé à faire prévaloir sa volonté, lié d'ailleurs par les traités, il eut alors recours à un artifice. Considérant les abstentions comme des (page 48) approbations, et déclarant nuls les votes négatifs motivés, il obtint 807 suffrages approbateurs contre 670 bulletins défavorables. Tenant compte en outre de l'adhésion totale de la partie nord du royaume à la charte nouvelle, il déclara, le 24 août 1815, jour de son anniversaire, la Loi fondamentale acceptée en vertu des droits de souverain absolu qu'il possédait encore. Il motivait son attitude en prétendant que « l'énumération et la comparaison des votes respectivement émis » ne permettaient « aucun doute sur les sentiments et les voeux de la grande majorité du pays ». ‘Détails, cf. Ch.-V. DE BAVAY, Histoire de la révolution belge de 1830. (Bruxelles, 1873), pp. 11-14). Ce sont ces calculs subtils, faits pour égarer l'opinion sur la portée d'un acte incontestablement abusif, que l'opposition belge flétrit plus tard du terme ironique d'« arithmétique néerlandaise ».

Enfin, le royaume des Pays-Bas était donc doté d'une Constitution. Issue d'une série de compromis et de remaniements, elle était certes, comme le disait un homme politique batave, « een veelhoofdig monster » (un monstre polycéphale) (BLOK, Geschiedenis, p. 344).

Bien que consacrant les principes du gouvernement personnel et de la monarchie constitutionnelle, bien que hérissée de restrictions antidémocratiques, elle réalisait néanmoins un progrès, en ces temps où l'absolutisme était redevenu maître en Europe. Sans doute, même remaniée « de commun accord », elle correspondait bien plus à la mentalité hollandaise qu'à celle de nos pères ; les libéraux belges avaient à faire valoir contre elle des griefs sérieux... Et cependant, dans son ensemble, elle eût, en 1815, été accueillie avec faveur sans l'opposition intransigeante du clergé, entraînant à sa suite la masse des fidèles. A cause de cette résistance (page 49) inopinée, il avait fallu « imposer » au Sud la Loi fondamentale. Les politiques hollandais étaient consternés, déçus spécialement par l'attitude de la Flandre, ce sol « sur lequel ils avaient le plus compté pour la communication et la diffusion des idées et des institutions hollandaises » (FALCK, Brieven, p. 223. Falck à J. van Lennep, 11 août 1815 : « En juist in dat Vlaanderen waarop wij om gelijkheid van taal en zeden, het meest gerekend hadden voor de mededeeling en verspreiding van Hollandsche begrippen en instellingen ! »). Guillaume, ne pouvant dissimuler son amertume, blâmait, dans son arrêté de promulgation du 24 août, les chefs du clergé : « ces hommes de qui le corps social devait attendre l'exemple de la charité et de la tolérance évangélique ».

La mise en vigueur de la Constitution, loin de terminer le conflit, ne fit que l'envenimer. Durant six ans, Maurice de Broglie dirigea le mouvement d'opposition à la Loi fondamentale avec une très grande âpreté. De Bavay a longuement décrit les péripéties de cette lutte dont nous nous bornerons à indiquer les phases essentielles (DE BAVAY, Histoire de la révolution belge, pp. 15-45 ; FRIS, t. Ier, pp. 99-101). Immédiatement après la promulgation de la Loi fondamentale, les prélats et vicaires généraux belges ripostèrent par la publication d'un Jugement doctrinal (Leerstellige uitspraak), - rédigé par l'évêque de Gand - qui défendait aux catholiques de prêter les serments prescrits par la Constitution, « sous peine de trahir les plus chers intérêts de la religion ». RAEPSAET, t. VI, pp. 376 et suiv. (Pièces justificatives : Texte du Jugement doctrinal). Ils condamnaient avant tout les articles 190, 191, 192 mentionnés plus haut, ainsi qu'une clause additionnelle maintenant provisoirement en vigueur « beaucoup de lois (page 50) anticatholiques et manifestement injustes (notamment la loi du 18 germinal an X, soumettant au contrôle de l'Etat la nomination et l'installation des ministres du culte, leur interdisant toute correspondance avec la Cour de Rome, sur des questions religieuses, ainsi que toute publication non autorisée de bulles, brefs et autres actes pontificaux).

Soutenus au début par Pie VII, ils déchaînèrent dans le pays la guerre religieuse. Le 14 mai 1816, de Broglie engageait le clergé de son diocèse à refuser l'absolution aux députés, magistrats communaux, fonctionnaires publics et autres, ayant juré obéissance au pacte fondamental. Aussitôt de nombreux nobles et bourgeois, croyants zélés, se démirent de leurs fonctions. De son côté, Guillaume Ier fit preuve d'une sévérité que l'on a généralement jugée maladroite. Avec un grand déploiement de forces de police, il fit, en maints endroits, arracher des bulles affichées sans autorisation aux murs des églises. S'entêtant dans sa volonté de ramener l'Église au respect des lois, peu lui importait d'apparaître comme un profanateur, aux yeux d'un peuple ignorant et soumis à de puissantes influences. Le 25 février 1817, rejetant, en présence d'une opposition dont la persistance l'exaspérait, toute chance de la vaincre par une évolution dans les voies de l'opportunisme, il imposait, par arrêté royal, le serment constitutionnel à tous les membres du pouvoir judiciaire, agents du ministère public, avocats, etc. Immédiatement le nombre des démissionnaires, à tous les degrés de la hiérarchie, fut tel que le fonctionnement de la justice en fut entièrement désorganisé. Des mourants, à qui les ecclésiastiques refusaient les derniers sacrements, désavouèrent leur adhésion à la Loi fondamentale. Le clergé déclara nuls les actes passés devant les notaires soumis au roi. Des pamphlets violents, d'ardents articles de presse envenimèrent encore la situation. Le 21 mars 1817, (page 51) l'abbé brugeois de Foere fut condamné à deux ans de prison, pour articles subversifs ; quelques jours plus tard, Mgr de Broglie, sous le coup d'un mandat d'amener, fuyait en France, ayant été averti sous-main du danger qui le menaçait, par le capitaine de la maréchaussée chargé de l'arrêter.

Cependant, parmi les catholiques, certains esprits pondérés commençaient à trouver excessive la résistance du clergé, la déclarant dangereuse au point de vue social. Le Saint-Siège, redoutant une rupture avec Guillaume Ier, n'osa plus aussi ouvertement soutenir l'évêque de Gand. Une formule transactionnelle fut donc cherchée, qui permettrait aux croyants d'accomplir leurs devoirs de citoyens, sans blesser leurs scrupules religieux. Le 18 mai 1817, François-Antoine, prince de Méan, dernier évêque de Liége sous l'ancien régime et désigné par le roi Guillaume comme futur archevêque de Malines, déclara publiquement que le serment de fidélité à la Loi fondamentale qu'il avait prêté comme membre de la Chambre Haute, l'avait été sous les réserves suivantes : il ne s'engageait « à rien qui fût contraire aux dogmes ni aux lois de l'Église catholique, apostolique et romaine » et il ne se tenait pour obligé de protéger toutes les communions religieuses de l'Etat qu'au point de vue civil et sans devoir en approuver les doctrines.

Cette formule ingénieuse fut aussitôt adoptée par un grand nombre de catholiques, de sorte que l'agitation alla en décroissant et ne se manifesta bientôt plus que dans son foyer d'origine : la Flandre. Là, le gouvernement commit la maladresse de surexciter les esprits par un acte bien inutile. Mgr de Broglie ayant été condamné par contumace à la déportation, cette sentence fut, de propos délibéré, affichée au pilori, le 19 novembre 1817, à Gand, entre deux individus condamnés à l'exposition (page 52) publique et aux travaux forcés ! Des milliers de gens, dont nombre de campagnards venus dans la ville pour y vendre leurs denrées au marché, s'indignèrent de cette allusion symbolique trop significative. Et, loin d'avoir marqué ainsi l'évêque de Gand d'une flétrissure indélébile, le procureur du roi l'avait auréolé du nimbe des martyrs (DU CHASTEL, 1830, pp. 44 et 45I).

De 1818 à 1821, le pouvoir civil sévit, plusieurs fois encore, contre des insoumis, soit en expulsant de leurs églises des prêtres non agréés, soit en poursuivant des vicaires généraux en correspondance avec Maurice de Broglie. Survenue le 20 juillet 1821, la mort de ce prélat, resté l'âme de la résistance, amena presque instantanément une trêve et des concessions réciproques entre les adversaires lassés. Le 10 août de cette même année, de nombreux ecclésiastiques se ralliaient à la « formule de Méan » et en octobre, Guillaume Ier, voyant son autorité reconnue, daignait enfin s'expliquer sur le caractère exclusivement civil du serment constitutionnel.

A partir de ce moment, les catholiques belges, tant ecclésiastiques que laïques, reconnurent les principes de liberté de conscience et des cultes. Depuis, et même lors de l'agitation qui précéda immédiatement la révolution de 1830, il ne fut plus question d'une suppression ou d'une révision des fameux articles de la Loi fondamentale qui, pendant six années, avaient provoqué de si vives résistances. Il ne faut donc, en aucune façon, voir dans la lutte que nous venons de résumer, une des causes de la rupture qui devait se produire une dizaine d'années plus tard. Tout au plus contribua-t-elle à éloigner davantage, dès le début, deux peuples peu disposés à fraterniser. Elle est néanmoins digne d'étude et intéressante à signaler, (page 53) parce qu'elle montre à quel point les puissances s'étaient méprises lorsqu'elles avaient admis la possibilité de fusionner des éléments ethniques séparés par l'abîme des convictions religieuses, surtout sous la conduite d'un prince de caractère aussi entier que l'était le roi Guillaume.

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