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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 23 février 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 814) M. T'Kint de Naeyer procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart et lit le procès-verbal de la séance précédente. La rédaction en est approuvée. Il présente ensuite l'analyse des pièces adressées à la chambre.

Pièces adressées à la chambre

« Plusieurs maréchaux-ferrants, à Ypres, demandent une loi qui interdise la délivrance de patentes à tous artisans et maîtres-ouvriers attachés à des corps de l'armée. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Un grand nombre d'habitants de la ville d'Anvers demandent que la garde civique soit divisée en deux bans et que le premier ban soit composé de jeunes gens et de veufs sans enfants de 21 à 3 ans. »

« Même demande de plusieurs habitants de Courtray. »

M. Coomans. Messieurs, nous avons déjà reçu un grand nombre de pétitions du même genre. Je remarque celle-ci, parce qu'il s'y trouve un très grand nombre de signatures, il parce que les arguments qu'on y développe semblent généralement fondés. Il est impossible de croire que tant de réclamations qui se manifestent si obstinément et qui nous arrivent de toutes parts, ne soient pas justifiées. La convenance de modifier la loi sur la garde civique n'est plus contestable. Je prie la chambre de renvoyer cette requête à la commission des pétitions, en l'engageant à lui soumettre promptement un rapport raisonné.

- La proposition de M. Coomans, mise aux voix, est adoptée.


« Plusieurs habitants de l'arrondissement d'Anvers demandent la suppression du service des bateaux à vapeur, exploité par l'Etat entre Anvers, et, Tamise. «

M. Coomans. - Messieurs, je ferai une observation semblable pour cette pétition-ci. Les pétitionnaires demandent la suppression d'un, service qui coûte très cher à l'Etat, qui nuit à des intérêts privés et qui rapporte peu de chose à quelque point de vue qu'on se place. Je proposerai le renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l’exercice 1849

Discussion générale

M. Peers. - Messieurs, aussi longtemps que la paix de l'Europe sera mise en question presque chaque jour, je pense que le maintien de notre armée sur un pied respectable est une nécessité qui n'est contestée par personne, car de ce maintien dépend la sécurité, l'ordre et la tranquillité publique; il est la plus belle égide qu'un gouvernement fort puisse opposer avec succès aux tentatives anarchiques et aux envahissements de l'espèce de ceux du mois de mars dernier ; c'est là une question sur laquelle tous les hommes d'Etat sont d'accord. Mais une question d'une nature plus complexe se présente après elle, c'est celle des économies qu'il s'agit d'introduire dans tous les services, sans les compromettre et sans les désorganiser.

La solution de ce problème n'est pas difficile, puisque l'honorable ministre de la guerre nous en donne lui-même la preuve évidente, en venant nous proposer la suppression ou la modification de certains de ces services. Partant de ce principe, toutes les économies désirables et possibles ont-elles été tentées? Je ne le pense pas. Il en est surtout quelques-unes qui, si elles avaient été mises en avant, auraient, tout en diminuant considérablement le chiffre du budget, contribué fortement à relever dans l'esprit de la nation l'indispensable utilité de cette institution.

La suppression des lieutenants-colonels dans l'infanterie et la cavalerie, celle de l'indemnité des fourrages pour le service des intendants, cède du supplément de solde aux adjudants-majors d'artillerie et de cavalerie, la suppression du supplément aux officiers détaches au ministère de la guerre, telle que la propose la section centrale, et la viande fournie aux ordinaires par le gouvernement, seraient autant d'économies notables et réelles qui ne porteraient aucune désorganisation dans l'armée.

Personne de nous n'ignore, messieurs, que l'utilité des lieutenants-colonels dans les régiments d'infanterie et de cavalerie est fortement contestée, excepté dans le génie et l'artillerie, où le nombre des fonctions spéciales est très grand; ces grades sont très peu importants relativement à l'occupation qu'ils donnent, le colonel du régiment s'empare presque toujours des fonctions spéciales du lieutenanl-colonel, et le plus ancien des majors à la surveillance de l'instruction, de l'administration, de l'habillement de l'école, etc. *

La suppression de l'indemnité des fourrages accordée aux intendants serait une mesure très légitime, par la raison que leur service n'exige pas l'usage du cheval.

La suppression du supplément de solde aux adjudants-majors d'artillerie et de cavalerie se justifie par le motif que le travail de ces officiera n'est pas plus fort que celui des autres officiers, parce qu'ils ne sont assujettis à aucun service intérieur; quant à l'infanterie,, le capitaine adjudant-major obligé d'avoir un cheval, et astreint par conséquent à plus de dépens ses, doit être maintenu dans l'obtention de cette solde supplémentaire.

La suppression de supplément de solde aux officiers détachés au ministère de la guerre, trouve encore sa justification dans les dépenses plutôt en moins qu'en plus, auxquelles ces officiers ne sont pas assujettis comme tout le reste des officiers de l'armée.

Je dois signaler ici comme un véritable abus un fait qui n'a pas non plus échappé à la section centrale, c'est celui qui consiste pour les officiers à rester au ministère pendant plusieurs années. Il faut que l'officier apprenne son service ailleurs que dans les bureaux du ministère de la guerre ; après la promotion il faudrait qu'il rentrât au moins pendant deux ans dans les rangs de son corps.

La viande fournie aux ordinaires par le gouvernement avait pour avantage de servir dans toutes les garnisons la viande au même prix, prix qui serait de beaucoup inférieur à celui payé aux bouchers; les opérations d'achat et d'abattage rentreraient sous la surveillance spéciale de l'intendance et de la commission des vivres dans chaque ville de garnison, où l'abattage se ferait; il résulterait d'une pareille mesure bien organisée, une économie très notable pour le trésor.

Maintenant, messieurs, si d'un côté j'ai cru devoir vous signaler quelques économies qui étaient réalisables, je dois d'un autre côté m'élever en faveur de quelques dépenses qu'il est très facile de justifier par leur bon emploi.

Dans plusieurs régiments de cavalerie le harnachement est en très mauvais état et tient à peine. Annuellement sa réparation est très frayeuse, et il ne serait pas en état de résister à la moindre fatigue. Je ne crois pas me tromper en avançant qu'il y a plus de deux ans que le terme du renouvellement est expiré; cette dépense est donc urgente, tout retard de remise à neuf, loin d’être une économie, est une dépense mal faite par suite des réparations continuelles.

Si la suppression d'une ration aux lieutenants et sous-lieutenants était admise par la législature, il serait de toute justice au moins, d'accorder cette deuxième ration jusqu'à la fin de juin, afin de donner à tous ces officiers le temps nécessaire pour se défaire le plus avantageusement de leur deuxième cheval.

Après avoir jeté un aperçu général sur les améliorations et les économies que le pays est en droit d'attendre, d'un gouvernement sage, éclairé, et désireux de concilier les intérêts de la nation, d'après la mesure des moyens dont elle peut disposer, qu'il me soit permis, messieurs, en qualité de représentant de la ville de Bruges, de demander à M. le ministre de la guerre s'il ne songera pas bientôt à lever l’interdit dont il semble avoir menacé cette antique cité, par la privation qu'il lui fait éprouver d'une garnison en harmonie avec ses besoins et ses ressources. Il y a peu d'années que cette ville s'est imposée de grands sacrifices, pour l'appropriation de casernes et la construction à neuf d'écuries pour 500 chevaux, de manèges couverts et découverts, de hangars et de locaux de toutes espèces pour l'usage d'un régiment de cavalerie; ces bâtiments ont coûté au-delà de 300,000 fr.

Aujourd'hui un escadron de cavalerie légère, composé de 89 hommes et autant de chevaux, occupe ces vastes constructions, qui, d'après le dire de tous les hommes compétents, sont les plus belles, les plus commodes et qui réunissent le plus grand nombre de bonnes conditions hygiéniques de loin le pays.

Je n'ai pas besoin de dire à M. le ministre que l'absence d'une garnison, comme celle qui y existait il y a quelques mois, est une perte immense pour une ville qui, par suite de la disparition et du déplacement de son commerce et de ses industries, devrait être pour le gouvernement l'objet d'une constante sollicitude.

La solde annuelle d'un régiment de grosse cavalerie, s'élevant à 252,000 fr., y était dépensée largement, l'octroi perçu par la ville du chef de cette présence, montait annuellement à 23,000 fr. Aujourd'hui ces produits et dépenses s'élèvent à peine au sixième de cette somme, de sorte que tous ces avantages, qui étaient en quelque sorte des droits acquis, ont été enlevés à cette ville, sans qu'il en soit résulté la moindre compensation.

Je désirerais donc que M. le ministre de la guerre voulût s'expliquer sur les motifs qui l'empêchent de satisfaire aux trop justes réclamations tant de fois et toujours inutilement réitérés par les autorités locales, pour que le gouvernement leur accorde comme auparavant, à titre d'indemnité, pour tous les avantages dont cette ville est si cruellement déshéritée, la présence d'un corps qui contribue à faite vivre le petit commerce et les industries qui s'y rattachent, car il est temps et plus que temps que le gouvernement songe sérieusement à tirer par une foule de moyens énergiques qui sont à sa disposition, la ville de Bruges de l'état de prostration et de marasme dans lequel depuis plusieurs aimées elle est plongée. 25,000 pauvres secourus, 50,000 ouvriers sans travail, et 6,000 dentellières dont l'industrie est aux abois, voilà sur une population de 48,000 âmes, le triste mais trop réel tableau, que j'ai à faire d'une cité qui renferme dans son sein (page 815) tous les éléments de prospérité, je conjure donc M. le ministre de la guerre de se rendre aux sollicitations aussi fondées que légitimes de la ville que j'ai l'honneur de représenter dans cette enceinte.

M. Van Cleemputte. - Messieurs, pour être aussi bref que possible, je commencerai par vous indiquer tout de suite le point de vue où je me place.

J'admets comme incontestables les points suivants : D'abord que notre neutralité ne nous dispense pas de nous préoccuper, dans la mesure de nos forces et de nos ressources, du soin de nous défendre nous-mêmes ; j'admets ensuite que, dans la situation présente de l'Europe, il y aurait plus que de l'imprudence à réduire considérablement nos moyens de défense.

C'est vous dire de suite que, dans la grave discussion qui vous occupe, la question d'économie n'arrive pour moi qu'en seconde ligne. Ce qui me préoccupe surtout, c'est la question de l'armée elle-même, c'est celle de sa force, de sa bonne organisation, à laquelle l'avenir et l'honneur du pays sont intimement liés.

Je commence donc par me demander si, avec les éléments qui la constituent, notre armée se trouve à la hauteur du rôle qu'elle peut être appelée à remplir?

Oui, messieurs, quelle que soit la confiance que j'ai dans nos corps d'officiers qui peuvent défier toute comparaison quelconque, à la question que je viens de poser, ma conscience me défend jusqu'à présent de répondre affirmativement. Quelque chose que je fasse, messieurs, il me reste des doutes, des craintes. Ce sont les motifs de ces doutes, de ces craintes que je m'en vais brièvement exposer; et en cela je croirai n'avoir rempli qu'un devoir rigoureux, car ou mes doutes sont fondés, et il faut qu'on y ait égard, ou ils ne le sont pas, et alors il faut qu'ils reçoivent ici un démenti formel et raisonné. Voilà ce que me paraissent vouloir également et l'intérêt du pays cl celui de l'armée elle-même.

Jusqu'à présent, messieurs, la discussion a déjà fait un pas, et je crois que tout le monde est d'accord ici, que nous n'avons que deux éventualités à prévoir : ou bien une invasion du côté de la France, ou bien une invasion du côté de l'Allemagne. Il faut donc nécessairement que notre armée, abstraction faite du nombre, réunisse des conditions égales sinon supérieures à celles qui se rencontrent dans les armées de nos ennemis éventuels. Or, cela est-il ? Je crois, messieurs, que sans blesser aucune susceptibilité, il est permis d'en douter. En admettant, et cela je l'admets sans aucune réserve, en admettant que nos cadres d'officiers et de sous-officiers soient dignes de tout ce qui peut leur être opposé, alors encore il se rencontre dans notre armée plusieurs causes d'infériorité que rien ne me paraît pouvoir compenser. Une des premières, et je crois la principale est que chez nous le soldat ne reste pas assez longtemps sous le drapeau.

En France, en Prusse, le milicien reste pendant trois ans sous les armes. En Belgique il n'y reste guère plus d'un an.

Or, à moins de supposer que le fantassin belge soit apte à être au bout d'un an aussi bon soldat que le fantassin français ou prussien au bout de trois ans (et cette supposition, messieurs, serait absurde), il faut nécessairement qu'une armée belge, toutes choses égales du reste, soit inférieure aux armées avec lesquelles elle peut être appelée à se trouver en contact. Il y a donc là un vice radical, qu'il faut faire disparaître dans l'intérêt du pays et de l'armée elle-même.

Il est vrai, messieurs, et j'ai entendu avec bonheur ces paroles sortir de la bouche de l'honorable ministre de la guerre, il est vrai qu'il nous a assuré hier que, le cas échéant, notre armée répondrait honorablement à ce que le pays est en droit d'attendre d'elle.

Messieurs, j'admets volontiers cette assurance que, pour ma part, je suis loin de mettre en doute, mais je trouve que cela n'infirme en rien ce que je viens de dire. Au bout d'un an (car voilà à peu près ce temps qu'on a pu se préparer aux éventualités d'une guerre), au bout d'un an, dis-je, et à force de soins, d'activité et d'intelligence, il a été possible, peut-être, d'élever notre armée à la hauteur des armées de nos voisins; mais on n'a pas toujours un an devant soi pour se préparer. Après de longues années de paix, on peut se trouver brusquement surpris par la guerre. Ainsi donc, si le vice que j'ai signalé plus haut a disparu pour le moment, ce vice se reproduira quand nous serons rentrés dans une situation normale, et à mon avis, il faut le faire disparaître à tout jamais. Quand on veut tant faire que d'avoir une armée, il faut s'arranger de manière à l'avoir aussi bonne que celle de ses adversaires éventuels.

À cette première cause d'infériorité sur laquelle j'ai appelé l'attention de la chambre, après quelques honorables collègues, viennent se joindre encore d'autres causes d'infériorité, qu'il importe de signaler également. Une de ces causes c'est que notre effectif de paix n'est pas en rapport avec notre effectif de guerre. Tandis qu'en France et en Prusse, si je dois en croire une publication qui, je l'avoue, a produit une profonde impression sur moi, tandis qu'en France et en Prusse les 3/5 des hommes se trouvent constamment sous le drapeau, en Belgique il ne s'y trouve qu'un tiers. L'inconvénient ou plutôt le danger qu'il en résulte est palpable; qu'un cas de guerre vînt à se présenter subitement et sans qu'on pût s'y préparer, les deux tiers de nos régiments d'infanterie se trouveraient composés de recrues, tandis que dans l'armée à laquelle nous aurions à nous opposer, il n'y aurait que les 2/5 d'hommes nouvellement appelés sous le drapeau. Dans de pareilles conditions, la lutte est inégale. Il y a donc encore là un vice radical qu'il importe de dire disparaître.

Les réflexions que je viens de faire s'appliquent principalement à notre infanterie ; des réflexions analogues s'appliquent également à notre cavalerie qui, comparée à celle de nos puissants voisins, se trouve aussi dans des conditions d'infériorité qu'il me paraît impossible de méconnaître.

Mais, messieurs, je ne veux pas m'étendre davantage sur des questions qui, pour être discutées convenablement, devraient l'être par des hommes spéciaux, et je me hâte d'arriver à une conclusion, que voici : C'est que si, pour faire disparaître les conditions d'infériorité relative où se trouve placée notre armée, il faut toucher à son organisation, eh bien, à mon avis, il n'y a pas lieu d'hésiter. Quand je parle ainsi, qu'on se garde bien de croire que je sois animé d'aucune intention hostile contre une institution que je regarde non seulement comme utile, mais comme indispensable. Non, ce qui me préoccupe avant tout, c'est l'intérêt que je porte à l'armée elle-même, c'est le désir que, quoi qu'il arrive, elle sauve l'honneur de son drapeau. Or, ce rôle n'est pas facile. Dans quelque éventualité qu'on la place, elle aura à lutter contre les meilleures troupes de l'Europe. Soit qu'elle ait un premier choc à supporter, en cas d'une invasion subite, soit qu'elle ait à combattre conjointement avec ses alliés naturels et nécessaires, contre ceux qui voudraient attenter à notre indépendance, elle ne peut le faire avec honneur que pour autant, qu'à force numérique égale, elle vaille autant qu'une armée française ou prussienne. D'après le peu que je viens de vous dire, cela n'est pas possible. Ce n'est pourtant qu'à cette condition que l'armée belge pourra au besoin soutenir l'honneur du pays, et lui conserver cette considération dont il jouit actuellement et à laquelle se rattachent les plus graves intérêts de son avenir.

Messieurs, d'après ce que je viens de vous dire, ce qui me fait surtout désirer une réorganisation de notre armée, c'est le désir qu'elle soit plus forte, plus à même de sauvegarder l'honneur du pays et le sien même; mais je ne le cache pas, il est une autre considération, quoique moins importante, qui me fait désirer cette réorganisation, c'est que tout en améliorant notre situation militaire, il en résulterait encore une économie très considérable pour le pays. Or, messieurs, dans la position où nous nous trouvons, la question d'économie a une importance immense.

Le double problème à résoudre serait donc d'avoir une armée meilleure que celle que nous avons, tout en dépensant moins. Mais ce problème est-il susceptible d'être résolu? Quant à moi, j'en ai la conviction presque autant que j'en ai le désir. Oui, je crois que si les chambres et le gouvernement étaient fermement résolus à le résoudre, ils y parviendraient sinon immédiatement, du moins au bout d'un certain temps et par des réformes successives.

Messieurs, j'ai à peine effleuré quelques-unes des graves questions qui se présentent en masse dans la discussion du budget de la guerre, et je m'aperçois que je m'écarte déjà plus ou moins de la résolution que j'avais prise en commençant, d'être bref. Aussi me hâté-je de conclure en émets tant le vœu que la question de l'organisation de notre armée, Celle du système de défense à adopter et toutes celles qui s'y rattachent puissent, dans un avenir peu éloigné, être l'objet d'une discussion complète et approfondie entre hommes compétents et spéciaux. Si cela avait lieu, notre rôle deviendrait simple et facile. Nous n'aurions alors qu'à consulter notre bon sens pour nous établir juges entre les différents systèmes qui nous seraient soumis.

En émettant ce vœu, je l'ai déjà dit, je suis surtout mu par les sympathies que j'éprouve pour l'armée. Aussi, pour que personne ne s'alarme, finirai-je par dire, que quant à ce qui me concerne, si je suis jamais appelé à concourir à une réorganisation de notre force militaire, je n'y consentirai que pour autant que tous les droits acquis soient saufs et respectés. Quand un homme a mis, pendant des années, son intelligence et sa vie au service de son pays, quand on n'avait qu'un mot à lui dire pour qu'il allât se faire tuer à la frontière, le congédier ensuite en lui disant : Va-t-en, je n'ai plus besoin de loi! serait un acte d'inhumanité auquel je ne m'associerai jamais.

Quant au vote que j'émettrai sur le budget, qui m'est actuellement soumis, il sera probablement affirmatif. La différence qui existe entre les propositions du ministre et celles de la section centrale sont très petites. Je ne marchanderai pas pour si peu de chose. Mais, à moins que les circonstances n'empêchent d’aborder les réformes que l'intérêt du pays et celui de l'armée réclament impérieusement, je le déclare dès à présent, je ne voterai plus un budget de la guerre calqué sur celui qui nous est soumis actuellement.

M. le président. - La parole est à M. Destriveaux.

M. Destriveaux. - J'y renonce.

M. Pierre. - Le rapport de la section centrale du budget qui nous occupe est parfaitement l'expression des opinions et de la manière de voir de la majorité de cette section; mais ayant eu l'honneur d'en faire partie, en qualité de rapporteur de la première section, et ayant appartenu à la minorité sur presque tous les points qui ont soulevé une discussion, je tiens à justifier devant la chambre, comme je l'ai fait en section centrale, les motifs qui ne m'ont point permis de voter avec la majorité; et pour complément à cette justification, il ne sera pas inutile de vous indiquer sommairement quelle marche la section centrale a adoptée pour ses travaux.

Elle est d'abord tombée d'accord sur la position d'une série de questions de principes tendant à opérer les économies principales ou à réaliser des projets de réorganisation de l'armée.

Ces questions ont été soulevées, tant par suite de l'élaboration du budget dans les section, que par des membres de la section centrale, qui en ont pris l'initiative. Elles ont été examinées, débattues, discutées et mises aux voix chacune séparément,

(page 816) Je dois néanmoins à la vérité de faire observer que la section centrale a décidé, avant d'aborder ce travail, qu'il ne servirait que de préliminaire et n'aurait aucun caractère définitif, que M. le ministre de la guerre serait prié de vouloir se rendre au sein de la section pour donner toutes les explications qu'il trouverait convenir et qu'après avoir obtenu ces nouveaux éléments d'une appréciation plus éclairée, elle prendrait seulement alors les résolutions destinées à vous être présentées. Cette marche tracée, elle l’a suivie.

Quoi qu'il en soit, je ne puis m'empêcher de vous faire part de la stupéfaction et du découragement que j'ai éprouvés quand, à mon retour des vacances dernières, que j'ai dû, malgré moi, prolonger au-delà du terme fixé, j'ai appris que le travail auquel nous nous étions livrés pendant 8 ou 9 séances de plusieurs heures, était comme non avenu, que, semblable à une bulle de savon qu'un souffle de vent brise, il avait disparu de telle façon qu'il n'en restait pour ainsi dire aucune trace. Cependant si diverses questions n'avaient reçu que l'assentiment de la minorité, à laquelle j'appartenais, d'autres très importantes avaient été accueillies favorablement par la majorité, que M. le ministre a réussi à faire changer de conviction.

Loin de moi, messieurs, la pensée du plus léger blâme ; je sais trop que l'on doit admettre que la discussion éclaire et qu'il est même très honorable d'avoir le courage de modifier son opinion, lorsque l'on vous démontre que vous versiez dans l'erreur. D'ailleurs, un homme, qui parle de conviction, ne serait-il point injuste en refusant de croire à la même sincérité chez ses contradicteurs? Toujours est-il que M. le ministre a été très heureux dans son argumentation, puisqu'il est arrivé à faire accepter par la majorité de la section centrale son budget sans réduction autre que celle de 11,000 francs, savoir : 10,000 francs qui étaient demandés pour supplément aux officiers employés au département de la guerre et 1.000 fr. pour frais de bureau de l'aide-major général. Car je n'oserais penser qu'aucun de nous ait la bonhomie de regarder comme une économie l'amoindrissement du chiffre destiné au fourrage et au pain. Le bas prix actuel de ces articles s'en est seul chargé, c'est uniquement une affaire de mercuriales.

Je disais tout à l'heure qu'il n'était pour ainsi dire demeuré aucune trace du premier travail de la section centrale. Je dois toutefois dire, pour garder la plus scrupuleuse exactitude, qu'il en était resté une, une seule, c'était la suppression d'une division territoriale, qui, admise une première fois, lors de la discussion des questions de principes, l'avait postérieurement été une deuxième fois, nonobstant l'opposition prononcée qu'y avait faite M. le ministre. Je pensais que cette fois, elle serait définitive, à moins d'admettre dorénavant pour règle l'application rigoureuse du vieil adage latin : omne trinum perfectum.

Eh bien, messieurs, vous croiriez peut-être que c'est de ma part une plaisanterie, mais non, veuillez-y croire, je vous prie, c'est très sérieusement que je vous parle, ce bon vieil adage a reçu l'application la plus complète et ne laissant rien à désirer. La lecture du rapport a été interrompue à cet article. Un membre a proposé de le remettre en discussion. C'était donc pour la troisième fois. La majorité a appuyé cette proposition. J'ai cru devoir protester contre ce nouveau vote, en déclarant que ce mode d'agir me paraissait fâcheux et frappé au coin d'une instabilité très singulière, qu'en l'adoptant il n'y avait plus de raison pour ne pas, lors de la lecture de chaque rapport, remettre en question tout ce qui avait été décidé ; que je voulais bien admettre que cela serait possible, mais seulement dans deux cas, soit celui où une erreur flagrante, matérielle, une erreur de chiffres, par exemple, serait reconnue, soit celui où un fait nouveau, de nature à dominer la discussion et qui lui aurait échappé, serait produit, exceptions qui ne se rencontraient pas ici, puisque les deux votes sur cet article avaient été successivement émis, après mûr examen et discussion approfondie, à un assez long intervalle de temps l'un de l'autre, qu'au surplus aucun fait nouveau n'était mis en avant et qu'on se bornait à invoquer pour prétexte que la mesure n'avait aucune portée d'économie.

Je regrette que ma protestation, appuyée du vote d'un honorable collègue, n'ait point empêché la section centrale d'entrer dans cette voie de versatilité. L'exemple de précédents analogues, dont on s'est étayé, ne m'a certes pas touché et m'a paru fort peu concluant. Après cet exposé et avant d'aborder au fond la question du budget, je me plais à déclarer que j'ai pleine confiance en M. le ministre de la guerre et qu'il me serait excessivement pénible de voir le pays privé de son talent et de ses hautes capacités administratives et militaires; mais, messieurs, je comprends très bien que M. le ministre, en demeurant exclusivement placé à son point de vue, ne peut guère, pour des raisons que je énumérerai pas ici et qui sont toutefois facilement appréciables, faire autrement que défendre son budget, tel qu'il l'a présenté, attendu que les mêmes motifs qui ont présidé à sa formation présideront infailliblement à sa défense.

Quant à moi, quoi qu'il avienne et sans hésiter, j'obéirai au devoir que m'impose le mandat qui m'est confié.

Je dirai, franchement et sans détour, où est, à mon avis, le mal et j'indiquerai les moyens qu'il me paraît convenable d'employer pour y remédier.

Quel que soit le résultat que j'obtienne, j'aurai du moins la satisfaction d'avoir rempli ma tâche en conscience.

Et ne croyez pas, messieurs, que je veuille esquisser un travail qui serait uniquement le fruit de mes lumières personnelles. Je n'ai garde d'afficher une pareille prétention.

Quoique j'aie pris à cœur d'étudier de mon mieux les différentes questions qui se rattachent au budget de la guerre, mon insuffisance pour embrasser un semblable sujet, avec l'immense importance qu'il comporte, serait encore beaucoup trop évidente, pour que vous accordassiez quelque valeur, quelque poids à mes paroles, si je n'avais eu soin de m'entourer des lumières d’hommes très compétents, dont quelques-uns ont par leurs armes contribué à l'éclat d'immortels drapeaux, d'officiers aussi estimables que capables et expérimentés.

Ils ont donné et donnent encore des gages de leur patriotisme et de leur dévouement au pays; ils ne sont animés, comme vous et moi, d'aucun autre sentiment, en réunissant leurs efforts aux nôtres, pour doter la Belgique d'une armée meilleure, plus nombreuse d'une manière permanente sous les armes, plus homogène, plus forte et cependant moins coûteuse, conditions organiques les plus précieuses à réunir et qui peuvent l'être, comme je vais essayer de le démontrer.

La première et la plus indispensable règle pour la formation d'une armée, c'est évidemment celle qui consiste à lui donner la proportion des besoins et des ressources du pays, auquel elle appartient. L'importance de ces besoins doit être naturellement basée, non pas seulement sur l'étendue du territoire, sur le nombre de places fortes, sur le développement des lignes frontières, sur le chiffre de la population, mais bien plutôt sur la situation géographique, car elle peut servir de base à toutes les éventualités que nous avons le plus à redouter. Outre cela, il ne serait peut-être pas hors d'œuvre de faire aussi la part des traités fondamentaux réglant l'existence du pays, si de nos jours de semblables traités n'avaient pas considérablement perdu en valeur réelle, et offraient encore quelque garantie.

C'est le motif qui m'engage à tenir compte principalement de la position géographique, parce que celle-ci n'est point sujette à l'instabilité, au caprice des hommes et qu'elle est immuable. Or, messieurs, en créant l'armée belge, c'est précisément cette règle à laquelle on n'a point songé, il ne semble pas même qu'on en ait eu le moindre souci. En effet, ne prendrait-on pas aujourd'hui notre armée pour celle d'une nation appelée à jouer un rôle belligérant, je dirai presque conquérant? La force effective de notre armée se trouve dans les hommes de la réserve et dans ceux renvoyés en congé dans leurs foyers. Avienne une éventualité quelconque, soit à l'intérieur, soit de l'intérieur, qu'avons-nous à y opposer ? Des régiments disséminés sur toute la surface du pays et composés de compagnies comptant dans leurs rangs 41 hommes, savoir : 18 de tous grades et 23 soldats. Pour peu qu'il y ait de malades ou de congédiés temporairement, et il est à remarquer que ce sont bien plutôt les soldats que l'on renvoie en congé que des militaires gradés, il est évident qu'il y a autant de commandants que de commandés.

Cet état de choses n'est-il pas anormal, dérisoire? Ne suffît-il point de le signaler pour en faire justice? Tout commentaire n'est-il pas superflu? Il y a un moyen de parer à cet inconvénient, me dira-t-on, c'est de rappeler immédiatement les hommes en congé, et dans quelques jours ils seront à leur poste.

Je répondrai à cela que certaines éventualités et ce sont assurément celles-là qui nous menaceraient avant toute autre, réclament la plus grande célérité. Ainsi, par exemple, que la France ou l'Allemagne veuillent l'une ou l'autre faire à l'improviste un coup de main sur la Belgique, votre armée pourra-t-elle opposer même pour un seul instant une résistance tant soit peu respectable ? Non sans aucun doute. Que des émeutes, un tant soit peu imposantes, éclatent dans quelques-unes de nos grandes villes, croyez-vous que les miliciens en congé, que vous rappelleriez, arriveraient à temps? Croyez-vous même que vous les verriez arriver? Le doute est au moins permis, et je le partage vivement. L'exemple de 1830 est d'ailleurs là pour le justifier. Combien de miliciens rappelés par le gouvernement déchu pour venir comprimer Bruxelles se sont rendus sous les drapeaux? Très peu, excessivement peu, on le sait.

Eh bien ! messieurs, ce qui est arrivé alors se reproduirait à plus forte raison aujourd'hui ; et du reste, des soldats, revenant de chez leurs parents, ont-ils l'âme aussi fortement trempée de l'esprit militaire qu'ils l'auraient eue s'ils étaient demeurés au corps? Encore une fois, non. Ces considérations m'amènent à constater deux choses très distinctes : d'une part le vice de l'organisation de l'armée, et de l'autre l'absence de l'esprit militaire chez les soldais miliciens, élément essentiel pour placer l'armée à la hauteur de sa mission.

Quelle est l'origine du vice d'organisation? Comme j'ai eu l'honneur de vous le faire remarquer tout à l'heure, ce vice provient en première ligne de ce que, lors de la formation de l'armée, il n'a été tenu aucun compte de la position que nous a faite la nature, de notre situation géographique. L'oubli de cette haute et puissante considération, qui aurait dû présider à la création de notre armée et en faire en quelque sorte le principe fondamental et constitutif, trouve son explication dans les préoccupations et les craintes qu'inspirait à la Belgique l'attitude menaçante de la Hollande vis-à-vis d'elle. La tentative d'envahissement, opérée en août 1831, ne pouvait s'oublier de sitôt et nous a déterminés à nous maintenir sur un pied de guerre imposant, disproportionné avec nos ressources. On conçoit qu'il ne pouvait en être autrement. C'était un sacrifice momentané, auquel nous étions obligés de nous astreindre.

La prudence nous commandait de demeurer l'arme au bras, dans une respectable et sage expectative.

Mais, au moment où le traité de paix définitif, intervenu en 1839 entre les deux nations, fut signé et reçut son exécution, la prolongation d'armements aussi exagères pouvait-elle encore se justifier? Notre état militaire ne devait-il point des lors subir des modifications profondes, complètes, radicales?

Cessant de craindre la Hollande, et je pense bien que, depuis cette (page 817) époque, la moindre crainte de ce côté n'est restée dans l'esprit de personne, quelles pouvaient donc être nos autres appréhensions? Une violation de territoire ou un envahissement de la part de la France ou de celle de l'Allemagne, ces deux colosses qui nous avoisinent.

Je n'oserais me permettre de juger mon pays d'une manière assez défavorable pour admettre qu'il puisse s'y rencontrer un seul esprit sérieux accessible à la pensée qu'une résistance de notre part soit possible de l'un ou de l'autre de ces deux côtés.

Il serait pas trop ridicule de douter que nous serions à leur merci, dès que l'un, ou l'autre de ces puissances le voudrait.

Or, messieurs , dans ce cas encore, s'il était possible de supposer que nous fussions à même de faire un seul instant résistance , est-ce avec notre armée actuelle que nous le pourrions? Non, certes ; pour qu'elle soit capable de pareille chose, il faudrait avant tout la doter d'une organisation qui lui donne une consistance et une valeur militaire réelles, avec lesquelles la force et la qualité suppléeraient au nombre. Ce sont là les éléments indispensables qui lui manquent et que je voudrais lui voir donner. Ce qui est vrai pour les éventualités que je viens d'indiquer, le serait également dans le cas d'une émeute sérieuse, qui se manifesterait tout à coup dans l'un ou l'autre de nos grands centres de population; car alors encore il faudrait la plus grande promptitude de répression , la plus grande énergie d'action.

Pourriez-vous compter sur une telle efficacité de vos forces militaires avec leur composition vicieuse ? Je ne le pense point. Je suis cependant fort éloigné de révoquer en doute la valeur et le courage dont se montreraient animés, j'aime à le croire, si l'occasion d'en faire preuve venait à se présenter, nos officiers et soldats, chacun individuellement. Je suis trop intimement persuadé que l'ardeur des combats et la plus noble vaillance se leur feraient point défaut.

Ils se montreraient jaloux de conserver pure et inaltérable la belle réputation guerrière que nous ont léguée nos ancêtres et que consacre l'histoire, en remontant même aux temps les plus reculés.

Mais le corps péchant par sa base, la bravoure personnelle serait impuissante, d'autant plus que chez les soldats l'esprit militaire manque, comme je l'ai dit précédemment et ainsi que je le démontrerai ultérieurement.

Quant au vice d'organisation lui-même, il est hors de doute que le défaut essentiel, capital de notre armée, c'est d'être créée pour l'avenir et non pour le présent, de manière à pouvoir dans un certain délai donné et malheureusement trop long, offrir des forces plutôt nombreuses et apparentes que réelles et effectives, et à se trouver pour le moment où il faudrait agir immédiatement dans une position bâtarde, anormale, fictive, qui ne lui permettrait de mettre en avant pour ainsi dire que ses cadres.

Le vice que je signale ici était déjà reconnu en 1842 par M. le ministre de la guerre d'alors, lorsque soumettant un projet de réorganisation de l'armée à une commission composée d'officiers généraux les plus expérimentés, il leur disait au sujet de l'infanterie (je cite textuellement) : « Les compagnies d'infanterie, réduites, d'après le budget, à 55 hommes, n'ayant pas la consistance convenable pour l'instruction ou pour le service, il faut rechercher si, en modifiant l'organisation du bataillon, on ne pourrait trouver le moyen de leur donner un effectif plus élevé. »

Trois systèmes ont été mis en présence par M. le ministre, pour obvier à ce grave inconvénient. Le premier consistait à réduire, dans chaque bataillon, le nombre des compagnies à quatre, d'un effectif d'environ 80 hommes sur le pied de paix et de 216 sur celui de guerre, avec un cadre proportionnel.

Le deuxième à mettre les bataillons à quatre compagnies pour le pied de paix et à les dédoubler pour le pied de guerre, en adoptant la formation française de 8 compagnies à 112 hommes ; en faisant subir au cadre de la compagnie les modifications nécessitées par la formation du second cadre.

Et enfin, le troisième à conserver dans les bataillons de guerre, 6 compagnies à 144 hommes et dans ceux de réserve, seulement 4 compagnies pour le pied de paix, et à suppléer à la faiblesse de l'effectif qui existait, en rappelant un certain nombre d'hommes sous les armes, à l'aide de l'économie résultant de la suppression d'un sous-lieutenant par compagnie et de celle de deux compagnies par bataillon de réserve.

L'examen de ces trois systèmes démontrait que le premier nous rapprochait des compagnies de la Hollande, de la Prusse, de l'Autriche, du Wurtemberg, où elles atteignent respectivement le chiffre de 216, 250, 200 et 218 hommes. .Mais on pouvait lui reprocher avec justesse, que, d'après notre mode de milice, le soldat, rentrant dans ses foyers, avant d'être bien formé, n'a pas acquis l'aplomb nécessaire pour paraître en ligne.

Voici le moyen d'y remédier que proposait M. le ministre (je cite encore textuellement) : « Le seul palliatif à ce vice organique de notre armée doit consister à rendre les cadres d'autant meilleurs et plus nombreux pour suppléer au manque d'éducation militaire du simple soldat. » Après s’être livré à l'appréciation des deux autres systèmes, M. le ministre ajoutait: « Toute autre modification des corps de l'infanterie, affectant trop profondément les bases de l'armée, et diminuant d'une manière dangereuse ses cadres constitutifs, il n'y a pas lieu de s'en occuper. »

Est-il possible, messieurs, de rencontrer une inconséquence, une contradiction plus évidente, plus palpable? D'un côté, on reconnait que la force et l'extension des cadres n'est qu'un palliatif, et de l'autre, on déclare qu'il ne peut être question de rechercher un autre moyen. Aussi, je me hâte de dire que cette déclaration inqualifiable a eu le triste privilège de stupéfier la commission, qui n'a pu voir en cela autre chose qu'une mystification. En effet, la lier de la sorte, lui imposer de pareilles entraves, c'était certainement la mettre hors d'état de s'acquitter de la mission qu'on semblait lui confier et de faire quoi que ce fût de bon et d'efficace en réorganisation. Du doigt on lui montrait le mal, en l'invitant à y porter remède, tout en lui en ôtant les moyens.

Quant à la cavalerie, un arrêté royal du 22 septembre 1831 en a fixé l'effectif sur le pied de paix, à 143 hommes et 125 chevaux par escadron. En 1842, cet effectif a été fixé en raison des allocations du budget à 120 hommes et 100 chevaux. M. le ministre exprimait à cet égard l'opinion suivante : « Il en résulte qu'un escadron, ne pouvant plus se suffire à lui-même pour les manœuvres, doit se compléter chaque jour dans un autre, qu'il paralyse. Pour obvier à cet inconvénient, qui n'est pas sans gravité, puisqu'il détruit le principe militaire de l'escadron, il ne se présente guère que deux systèmes, en restant dans les termes du budget. » Après avoir établi et discuté ces deux systèmes, M. le ministre s'empressa d'ajouter : « Quant à la suppression totale d'un ou de plusieurs escadrons, elle doit être rejetée, pour ne pas détruire les moyens de reporter la cavalerie à un chiffre élevé, si les circonstances pouvaient l'exiger. » N'est-ce point encore une fois résoudre la question par la question? Il est fort clair que M. le ministre reconnaissait parfaitement le mal que je viens ici signaler et qu'il ne s'en dissimulait même point toute la gravité, comme ses expressions, que j'ai reproduites, le prouvent à l'évidence; seulement il reculait devant l'application du remède.

Les vices dont se préoccupait M. le ministre, loin d'être amoindris, sont au contraire augmentés depuis cette époque. Au lieu d'un effectif de 55 hommes par compagnie, nous n'avions en 1848 que 42 hommes et en 1849, d'après la proposition du gouvernement; nous n'en aurons que 41, c'est-à-dire, que très souvent et presque toujours, il y aura, si surtout on fait entrer en ligne de compte les officiers, dans les compagnies, autant de commandants que de commandés, comme j'avais déjà l'honnenr de vous le faire remarquer tout à l'heure.

Pour ce qui est des escadrons, chaque fois qu'un régiment de cuirassiers a été appelé au camp, il a fallu tous les simples cavaliers montes des deux régiments, pour en compléter un.

Il en est à peu près de même pour les régiments de cavalerie légère, qui sont organisés à six escadrons, mais lorsqu'ils doivent manœuvrer ils ne peuvent en former que quatre avec tous les simples cavaliers montés de deux autres et ils ne sont même point encore alors très complets.

On m'objecterait en vain qu'on peut compléter en rappelant des miliciens, car les chevaux manqueraient et ce ne seraient point ceux de remonte nouvellement achetés, en admettant qu'on pût se les procurer immédiatement dans le pays, ce qui n'est pas très certain, qu'on pourrait employer ces miliciens; il faudrait, pour arriver à ce résultat, plusieurs mois de manœuvres et d'exercices, ce qui n'est nullement d'accord avec les prévisions probables de l'emploi que pourrait recevoir notre armée.

De ce qui précède, il résulte que, si la situation de celle-ci était mauvaise en 1842, de l'aveu le plus formel de M. le ministre de la guerre d'alors, elle est devenue aujourd'hui beaucoup plus mauvaise encore, par suite de la diminution successive des hommes présents au corps.

Notre artillerie n'est pas non plus en rapport avec l'importance de notre effectif des autres armes.

Pendant neuf ans nous avons dû, sous l'empire de circonstances majeures et regrettables, dont le trésor a eu tant à souffrir, nous maintenir sur le pied de guerre. Durant cette longue période d'une pénible expectative, nous n'avions que trois régiments d'artillerie, et l'idée qu'ils fussent insuffisants n'est jamais entrée dans l'esprit de personne. Et le croirait-on, messieurs ! c'est au moment où nous nous estimions heureux de désarmer et d'alléger enfin les charges de l'Etat, en rentrant sur le pied de paix, que l'on s'est avisé de créer un quatrième régiment.

L'on prétend que certaines combinaisons personnelles n'ont point été étrangères à cette intempestive création. Je l'ignore; mais je dois convenir et qu'il serait assez difficile d'en donner une explication plausible de toute autre manière.

C'est à des combinaisons de la même espèce que doit être, dit-on, attribuée la formation du deuxième régiment de cuirassiers, qui avait eu lieu un peu plus tôt.

Quoi qu'il en soit, et sans vouloir rechercher ce qu'il peut y avoir de vrai dans cette appréciation de l'opinion publique, on sait pertinemment que l'armée et le pays surtout en ont été fort peu édifiés.

Je me plais toutefois à reconnaître qu'il ne me paraît plus possible que de semblables choses se reproduisent maintenant. La rénovation politique dans laquelle nous venons d'entrer forcera désormais les gouvernements à se montrer plus soucieux des intérêts du peuple et à ne point en faire aussi bon marché.

Un cri de réprobation générale ferait aussitôt tomber sous son puissant stigmate le ministre qui oserait se permettre de pareils actes.

Mais, messieurs, de ce que l'abus existe, devons-nous conclure qu'il ne faut pas y toucher, que nous pouvons le tolérer et nous prêter à sa continuation? Ce serait tuer là une conclusion fort étrange ; aussi, je me garderai bien d'assumer une telle responsabilité, car, à mon avis, dès que l'abus est dévoilé, constaté, sa réparation ne saurait être trop prompte. Je repousserais donc toute fin dilatoire, si l'on songeait à y recourir.

Si nous étions attaqués ou forcés de nous mettre sur la défensive, nous devrions placer au moins la moitié de notre armée, en tenant même compte du concours de la garde civique, dans les places fortes, non pas pour y soutenir un siège, mais bien pour les mettre à l'abri d'un coup de main. Notre artillerie de campagne comprenant dix-neuf batteries de huit pièces, faisant un ensemble de cent-cinquante-deux bouches à feu de campagne, (page 818) outre l'artillerie de siège dont je ne parle pas, on pourrait en distraire tout au plus, pour les places fortes principales, deux batteries destinées à faire, au besoin, des sorties. Il resterait conséquemment cent trente-six pièces disponibles à mettre en campagne avec l'autre moitié de l'armée, qui, en supposant celle-ci sur le pied de guerre et tous les miliciens rentrés, serait d'environ trente ou trente-cinq mille hommes. Notre artillerie ne se trouverait-elle pas ainsi dans une proportion exagérée avec ce corps de troupe, dont elle rendrait les mouvements excessivement lents et pesants?

Dans une note communiquée à la section centrale et figurant au rapport de celle-ci, M. le ministre dit que la proportion généralement admise par les auteurs militaires les plus récents est de trois bouches à feu par mille hommes.

« Or, continue M. le ministre, nous devons compter sur une armée en campagne de 60,000 hommes environ, ce qui, d'après la proportion indiquée, nous donnerait un total de 180 bouches à feu, soit 22 batteries au moins de 3 pièces, et cependant notre organisation n'en compte que 19. »

Voilà précisément où M. le ministre tombe dans l'erreur. Tout en admettant avec lui le principe proportionnel qu'il invoque, je ne puis admettre le calcul qu'il en déduit, en prenant pour base un effectif de 60,000 hommes, qu'il ne nous sera jamais possible de mettre en campagne, après déduction des troupes que nous devrons laisser dans les forteresses, ainsi que je viens de le dire. Car il est évident que ce calcul ne doit s'établir qu'en raison du chiffre de l'effectif réel que nous pourrons mettre en campagne, et non pas surtout autre chiffre fictif.

À ce propos, il ne sera peut-être pas sans intérêt de vous dire que des officiels généraux d'un mérite incontestable, qui faisaient partie de la commission de réorganisation de l'armée en 1842, étaient déjà frappes de cette disproportion et déclaraient franchement entre eux qu'avec de tels éléments de force militaire, ils ne voudraient point se charger d'un commandement de troupes surchargées d'un semblable matériel d'artillerie, qu'ils auraient infiniment de peine à défendre, avec la force des autres armes mises à leur disposition.

Quant à M. le ministre, il ne trouvait d'autre argument pour légitimer cette exagération qu'en alléguant que, dans le cas de guerre, nous ne manquerions pas d'alliés pour venir à notre aide et qu'alors nous pourrions leur offrir l'excédant d'artillerie dont nous n'aurions pas besoin.

Cette ingénuité, venant surtout d'un officier général appartenant à l'arme, me paraît à elle seule plus concluante que toute autre considération.

Vous penserez sans doute comme moi, messieurs, que la générosité est un très beau sentiment, mais qu'il n'appartient pas à la nation belge de le pousser jusque-là.

L'aveu de ce but d'organisation est vraiment curieux, et quand on en est réduit à de pareils moyens pour sa justification, il est clair qu'on n'en trouve aucun bon à opposer ou à donner.

Au surplus, la remarque que je faisais plus haut pour la cavalerie doit également se reproduire ici pour l'artillerie. Nous n'avons pas actuellement le quart des pièces attelées, et bon nombre de canonniers sont renvoyés dans 'leurs foyers. Néanmoins, la dépense occasionnée par les états-majors et les cadres ne diminue pas et reste la même.

On le voit, nous marchons de fictions en fictions. Impossible de rencontrer autre chose dans l’organisation de notre armée, à quelque arme ou à quelque branche de service que l'on s'arrête pour y pousser ses investigations. Ainsi, pour mettre notre artillerie en campagne, il nous faudrait acheter deux ou trois fois autant de chevaux que nous en avons aujourd'hui. Si j'examine le service de santé, j'y trouve aussi une extension exagérée de personnel.

Avant 1830, le service, au grand complet, pour un régiment d'infanterie, comprenait trois bataillons de 1,000 hommes chacun, plus le dépôt qui était de cinq à six cents hommes, étant composé comme suit :

1° Un chirurgien-major, officier de santé de première classe : 1,600 florins.

2° 3 aide-majors, officiers de santé de deuxième classe. : 2,700 florins.

3° 3 sous-aides, officiers de santé de troisième classe : 1,800 florins.

Ensemble six mille cent florins., 6,100.

Tandis qu'aujourd'hui pour un régiment comptant 12 compagnies, à 41 hommes chacune et 6 compagnies de réserve, dont 3 de dépôt et 3 d'école, où le plus souvent il n y a que les cadres, nous avons :

1° Un médecin de régiment : fr. 4,200

2° Quatre médecins de bataillon : fr. 11,200.

3° Un médecin adjoint, au service de l'hôpital, sans compter la nourriture, qui est encore aux frais du gouvernement : fr. 1,800.

4° Un médecin de garnison : fr. 4,800

Total vingt-deux mille francs : 22,000.

Pour le service médical, au grand complet, d’un régiment de cavalerie, y compris le dépôt, il y avait avant 1830

1° Un chirurgien-major, officier de santé de deuxième classe : 1,600 florins.

2° Un aide-major, officier de santé de deuxième classe : 900 florins

3° Un sous-aide, officier de troisième classe : 600 florins.

Ensemble trois mille cent florins : 3,100 florins

Notre organisation actuelle nous offre pour le même service :

1° Un médecin de régiment : fr. 4,200.

2° Un médecin de bataillon de première classe : fr. 3,200.

3° Un médecin de bataillon de deuxième classe : fr. 2,800.

Total dix mille deux cents francs. 10,200

J'ai mis en parallèle notre organisation présente avec celle antérieure pour vous démontrer d'une manière plus perceptible, combien l'on s’est ingénié à créer de nouveaux grades et à compliquer le personnel, en élevant notablement les traitements. Une bonne partie de ces emplois pourraient facilement être supprimés sans préjudicier au service.

Je citerai entre autres celui de médecin de bataillon de première classe, dénomination qui, soit dit en passant, est assez singulière, puisqu'elle s'applique à la cavalerie. Ces fonctions constituent une véritable anomalie, en ce que ce médecin n'est point attaché au bataillon ou plutôt à un escadron, pour me servir d'une expression plus exacte, mais bien exclusivement au régiment.

Notez, messieurs, que je n'ai supputé la dépense de nos services de santé qu'au taux normal, d'où il conste que mes chiffres sont en dessous de la vérité; car, quoique le plus grand nombre des médecins de bataillon soient de deuxième classe, beaucoup d'entre eux obtiennent, sans examen et sans autre titre que la faveur ou l'ancienneté, de passer à la première classe, ce qui leur vaut une augmentation de traitement de 400 francs. Cependant l'article 2 de la loi du 10 mars 1847 exige positivement un examen pour l'obtention de ce grade. Je crois même, sans toutefois pouvoir le garantir, que d'autres membres du corps médical jouissent d'une bonification de traitement motivée sur ce qu'ils ont plus de dix années de service.

Autrefois le chirurgien-major faisait en même temps les fonctions de chirurgien de l'hôpital et de la garnison de la résidence où se trouvait le régiment. Il n'y avait dès lors pas de médecins de garnison.

Il n'existait point de médecins principaux, nous en avons aujourd'hui trois au traitement de lieutenant-colonel, grade auquel la loi les assimile ; un médecin en chef, qui, il est vrai, est en disponibilité depuis plusieurs années, ce qui prouve que l'inutilité de cette charge a été reconnue, plus un inspecteur-général au traitement de plus de 21,000 fr., y compris les indemnités de fourrages et autres accessoires puisés à trois budgets différents, dont la superfluité est au moins aussi flagrante. D'un tel état de choses naissent nécessairement de nombreux abus. Qu'il me suffise, pour vous en donner une faible idée, de citer un exemple que j'ai connu il y a environ trois ans et qui probablement n'est pas l'unique en ce genre. Un médecin principal honoraire, avec appointements de médecin de garnison, faisait le service d'un bataillon et touchait 4,830 francs, alors qu'il remplissait une place à laquelle la loi n'a attribué que 2,800 francs de traitement. De pareils faits peuvent se passer de commentaires.

Puisqu'en commençant j'ai exprimé le regret que j'avais éprouvé en voyant la section centrale revenir sur la suppression d'une division territoriale et la rapporter par un troisième vote, je dois motiver mon opinion sur cette suppression.

Nous avons emprunté à la France le principe de la division territoriale, tout en adoptant la répartition des troupes prussiennes. De là un système mixte, vicieux, où se trouvent en présence deux principes opposés, que l'on a voulu concilier et qui s'excluent néanmoins réciproquement ; ce qui fait qu'il a tous les défauts du système français sans avoir aucun des avantages du système prussien. Ainsi, comme l'a dit un officier supérieur très compétent, « en Prusse , chaque corps d'armée est stationné dans une des grandes divisions territoriales, où il se recrute et où son administration se trouve concentrée. Il est toujours prêt à se former, à se réunir et à entrer en campagne. Le général a dès lors toujours autour de lui et sous sa main toutes les troupes qui composent son corps d'armée. » C'est un avantage immense que nous n'avons pas, car, en cas d'événement, quelle perturbation ne jetterait point chez nous le rappel de toutes les classes des miliciens ?

Les routes seraient littéralement couvertes d'hommes allant ci et là en désordre vers les dépôts pour prendre leurs armes et de là rejoindre leurs régiments respectifs, qui peuvent se trouver et se trouvent très souvent dans des directions opposées et à de fort grandes distances des dépôts. Cela ressemblerait assez à une déroute anticipée et répandrait la plus fâcheuse alarme sur tous les points du pays.

A part même cette défectuosité de notre division territoriale, dont nous avons emprunté le principe à la France, comme je le disais à l'instant, il a encore une fois fallu, pour rester conséquents avec nous-mêmes, exagérer l'application de ce principe.

Et, messieurs, cette exagération dont on devrait faire justice, on semble au contraire mettre un soin tout particulier à la maintenir.

La France, depuis les événements de février, comprenant combien son système administratif était dispendieux, a supprimé à peu près la moitié de ses divisions territoriales et départementales. En sorte que maintenant la plupart de ces divisions comprennent chacune une étendue de territoire environ égale à celle de toute la Belgique. Celle comprenant les départements du Nord, de la Somme et du Pas-de-Calais, dont le siège est à Lille, peut être prise pour exemple. Cette complication inutile de rouages non seulement est excessivement onéreuse pour le trésor; mais, outre cela, elle ralentit l'action et ne produit aucune amélioration pour l'exécution des ordres. Il est incontestable qu'elle n'a eu d'autre but que de pourvoir d'emplois un plus grand nombre de généraux.

Au fait, n'eût-il pas été infiniment plus simple et plus rationnel de ne faire que deux ou trois divisions tout au plus que d'en créer quatre? Trois et quatre provinces pouvaient être sans inconvénient réunies en une (page 819) division, aussi bien et mieux que deux, comme elles le sont aujourd'hui. En supprimant une division, les trois autres pourraient être ainsi composées : première division : les deux Flandres ; deuxième division : Anvers, Brabant, Hainaut ; troisième division : Liège, Namur et les deux fractions du Luxembourg et du Limbourg.

Ce serait la division de Mons, dont le commandement est ce moment vacant et à laquelle est préposé un général-major ad intérim, qui serait supprimée. Elle est formée du Hainaut, qui passerait à la deuxième division et de Namur qui passerait à la troisième. Le service et les relations y gagneraient sous tous les rapports.

Il est hors de doute qu'en cas de guerre, la division de Mons devrait rétrograder. On ne pourrait enfermer un commandement de division dans une place, à l'extrême frontière, sans détruire son action.

Quant à la répartition des corps de l'infanterie en quatre divisions, elle n'est pas plus fondée. L'armée, en campagne ou sur pied de guerre, ne sera jamais assez nombreuse pour la formation de quatre divisions. Il ne faut pas perdre de vue qu'une grande partie des troupes sera chargée de la défense des places fortes, comme je l'ai dit plus haut, et que ces troupes cesseront de fait d'appartenir aux divisions, puisqu'elles seront alors mises exclusivement sous les ordres des commandants des forteresse s où elles se trouveront respectivement placées.

En temps de paix il importe peu qu'il y ait quatre ou cinq régiments dans chaque division, l'unité du commandement gagne toujours par un plus petit fractionnement.

L'économie serait immédiate, car il faudra faire des nominations ou promotions, si les quatre divisions sont conservées.

Celle de Mons, ainsi que je viens de le faire remarquer, est commandée ad intérim par un général-major, dont la promotion nécessiterait la nomination d'un général-major ; ainsi cette économie se décompose comme suit :

1° Un lieutenant général : 16,900 fr. Fourrage : 1,828 fr.

2° Supplément à deux aides de camp : 2,100 fr. Fourrage : 1,825 fr.

3° Un lieutenant-colonel chef d'état-major : 6,300 fr. Fourrage : 912 fr. 50 c.

4° Deux capitaines d'état-major : 8,600 fr. Fourrage : 1,825 fr.

5° Différence d'un intendant, remplacé par un sous-intendant : 2,500 fr.

6° Un colonel d'artillerie directeur : fr. 8,400 fr. Fourrages : 912 fr. 50 c.

7° Un lieutenant-colonel directeur du génie : fr. 6,400 fr. Fourrages : 912 fr. 50 c.

8° Les officiers attachés à ces deux derniers.

9° Frais de bureau de la division au général : 600 fr. et au chef d’état-major : 1,500 fr.

10° Idem du colonel d'artillerie : 1,200 fr.

11° Idem du directeur du génie : 1,200 fr.

12° Indemnité au général-major commandant aujourd'hui la division ad inteérim : 1,100 fr.

Totaux : 56,700 fr. Fourrages ; 8,212 fr. 50 c.

L'économie monterait donc à une somme globale de 64,912 francs 50 c non compris les traitements ou suppléments de traitements aux officiers attaches au colonel d'artillerie directeur et au lieutenant-colonel directeur du génie, que je n'ai point fait figurer en ligne de compte, manquant de données précises a cet égard. Cette économie et la simplification des rouages administratifs ne seront pas les seuls avantages qu'amènera la suppression qui m'occupe : elle nous viendra encore en aide pour combler une lacune dont se plaint M. le ministre; elle remédiera à l'insuffisance du personnel du corps d'état-major, sur laquelle il se fonde, lorsqu'il détache des officiers de cavalerie et d'infanterie pour remplir les fonctions d'aide de camp près des officiers généraux. Je lis dans le rapport de la section centrale le passage suivant, relatif à l'état-major des provinces : « Le gouvernement, afin d'arriver à des réductions de dépenses compatibles avec le service, s'est arrangé de manière à faire commander les provinces par les généraux commandants les brigades de l'armée. La province de Luxembourg seule conserve un commandant spécial à cause de sa position géographique. » D'après cette déclaration explicite, ne devons-nous pas, messieurs, nécessairement croire que huit commandants spéciaux de provinces sont supprimés et que celui du Luxembourg est seul maintenu.

Eh bien, il paraît que c'est exactement le contraire, au moins pour quatre provinces, que nous devons admettre. Un officier supérieur, digne de toute ma confiance et de la vôtr, un homme on ne peut plus honorable, m'assure qu'il est à sa parfaite connaissance, que quatre commandants, absolument spéciaux, sont maintenus savoir : à Hasselt, à Bruges, à Anvers et à Gand, sans compter celui d'Arlon, dont on avoue le maintien. Il me paraît superflu de faire à ce sujet aucune réflexion. Je pourrais citer les noms de ces quatre généraux, ils m'ont été indiqués, mais je pense que vous jugerez à propos de m'en dispenser. Ils touchent chacun 8,400 fr., traitement attribué par la loi à cette position sédentaire et n'exercent aucun autre commandement que celui de la province. Il y a quelque chose de tellement insolite dans le fait que je signale que je serais vraiment tenté de désirer avoir été induit en erreur.

A ce propos je demanderai h M. le ministre comment il se fait que le gouvernement voulant d'une part marcher dans la voie d'économie et de l’autre reconnaissant l'utilité de la suppression des commandants spéciaux de province, se soit hâté de faire la promotion d’un colonel au grade de général-major pour le préposer au commandement de province à Gand, dès la nomination du titulaire à l'emploi de sous-chef d'état-major général, mesure qui, au lieu de réaliser une économie présente une aggravation des charges, c'est-à-dire que le pays aura à payer en plus la différence qui existe entre le traitement du secrétaire général actuel et celui que touchait son prédécesseur. Ainsi quand nous avons lu à la note préliminaire du budget : « Suppression d'un secrétaire général, » il eût été plus exact de lire: « Augmentation de 2,600 fr. pour le secrétaire général. » A quoi il faut ajouter, pour être dans le vrai, le montant de la pension de l'ancien titulaire.

J'ai eu lieu d'être d'autant plus surpris en apprenant ce fait, qui n'est à ma connaissance que depuis quelques jours, que je lisais dans une note émanée de M. le ministre et insérée au rapport de la section centrale: « Une sage répartition du personnel de l'état-major général a permis de disposer d'un officier général pour lui faire remplir en même temps les fonctions de sous-chef d'état-major général et de secrétaire général, et la somme de 9,000 fr. allouée jusqu'alors à la personne chargée de ces dernières a pu être rayée du budget des dépenses. »

Je finirai cette partie de mes considérations générales, en m'élevant contre quelques autres superfétations que je voudrais aussi voir disparaître. Je me bornerai à en citer deux principales : N'est-il pas ridicule de maintenir deux inspecteurs, dont l'un pour l'artillerie et l'autre pour le génie, lesquels sont en même temps généraux commandants en chef ces armes spéciales? L'une de ces deux fonctions n'est-elle pas évidemment la négation de l'autre? L'inspecteur n'exerce-t-il point son contrôle sur le commandant en chef, qui est un seul et même homme, et qui, en cette dernière qualité, a déjà la responsabilité de toutes les branches de service de son arme? Que dirai-je de la création d'une place d'aide-major général de l'armée? La loi organique pose en principe qu'il ne peut y avoir de grade sans emploi, cependant je ne rencontre nulle part dans cette loi la désignation de semblables fonctions. Quant aux frais de bureaux qui y sont attachés, j'ai d'autant plus lieu d'en être étonné, que je ne connais aucune relation de service qui puisse motiver une correspondance.

Je crois avoir suffisamment démontré que notre armée, pour pouvoir agir immédiatement et sans délai, dans les seules éventualités dont nous serions menacés, manque de force et de consistance ; que ses cadres sont aussi nombreux que les soldats; qu'en cas de rappel de miliciens ce ne serait réellement qu'une armée improvisée; qu'elle n'est, en un mot, qu'une véritable fiction couchée sur le papier, tandis qu'elle devrait être organisée dans un sens précisément inverse, pour être toujours prêle à répondre convenablement aux besoins de sa destination.

Voilà pour le côté militaire de la question. Et que dirai-je pour le coup, si j'envisage le côté financier? Dès qu'il est établi que notre armée, dans sa situation permanente actuelle, n'est point propre à l'action, ne peut être mise ainsi en avant, à l'apparence du moindre danger, nous devrons donc voter des crédits extraordinaires , comme on l'on fait, en allouant neuf millions après les événements de février, en sorte que nous dépenserons chaque année vingt-sept ou vingt-huit millions de francs, sans que nous puissions le moins du monde compter sur notre armée , qui ne sera point en mesure de faire un pas sans crédits sur crédits , étant reconnue impuissante dans son étal normal, s'il est bien permis de lui donner cette qualification, qui cependant nous coûte annuellement la somme énorme que je viens d'indiquer.

Le pays pouvant à peine suffire aux charges ordinaires, lui serait-il possible de supporter d'aussi lourdes charges extraordinaires? Non, sans doute. En définitive, si nous n'avons pas d'autre moyen de le sauvegarder qu'en le ruinant, je ne sais ce qui pourrait lui arriver de plus mauvais de tout autre côté. Une question que j'ai touchée tout à l'heure et que semble avoir posée la section centrale, c'est celle d'opportunité. Je tiens à la résoudre. Je ne crois pas qu'un moment plus favorable que celui-ci puisse jamais se présenter. D'un côté nous rencontrons, dans presque tous les rangs de la société, un malaise qu'on aurait mauvaise grâce de dissimuler; de là le cri général : « économie, » et de l'autre, il se manifeste dans tous les pays de l'Europe une tendance vers les réformes et les améliorations de toute nature. Sous le rapport politique, nous avons suivi l'impulsion de cet immense élan, qui a quelque chose de surhumain; il faut dès lors que nous fassions le même pas dans l'ordre matériel. Déjà diverses propositions du gouvernement, j'aime à le reconnaître, nous ont fait entrer dans cette voie salutaire, mais ne nous arrêtons pas à mi-chemin et tâchons d'avoir le courage de porter le scalpel réformateur où il est reconnu que son action est nécessaire.

Dans la vie des peuples, comme dans celle de chaque homme, dans la vie de l'être social collectif, comme dans celle de l'individu pris isolément, il est des occasions qu'il faut savoir saisir, dont il faut profiter quand elles se présentent; on les rencontre une seule fois dans la vie, une seule fois, peut-être, pendant une existence tout entière; mais si on a la maladresse, qui dans de graves circonstances peut devenir un véritable malheur, de les laisser se perdre, s'échapper, qu'on se garde bien d'espérer de les retrouver encore. Cette chance heureuse est tellement rare, qu'il y aurait vraiment témérité de fonder quelque espoir sérieux sur sa probabilité plus ou moins éventuelle.

A l’appui de ce que j'avance, qu'il me suffise, messieurs, de vous citer pour exemples trois grandes phases de l'existence politique de notre pays.

(page 820) A quoi doit-on attribuer la création du royaume des Pays-Bas? A une occasion, la perte d'une grande bataille.

A quoi sont ducs notre indépendance et notre nationalité ? A une occasion, la révolution de juillet !

A quoi devons-nous le pas immense que nous avons fait tout récemment dans l'ordre politique, par le développement inattendu de nos immunités publiques, parmi lesquelles je me contenterai d'indiquer les réformes électorale et parlementaire ? C'est encore à une occasion, les événements de février !

En effet, pour ne parler que du dernier des trois exemples que je viens de citer, n'est-il pas incontestable que, malgré l'avènement, remontant à quelques mois plus tôt, d'un ministère libéral, issu du vœu populaire, après dix-huit années de luttes, ce pouvoir nouveau dont l'origine a promis à la Belgique une ère nouvelle, n'eût point jugé prudent d'entrer résolument dans la voie des réformes, qu'il a proposées quelques mois plus tard, en suivant l'impulsion irrésistible de la démocratie envahissant l'Europe avec une rapidité, une énergie, une puissance qui tiennent du prodige et dont l'histoire ne nous fournit pas d'exemple?

Or, messieurs, si nous avons su saisir l'occasion, dans l'ordre politique, comme je vous l'ai dit à l'instant, sachons donc aussi la saisir dans l'ordre matériel.

Des libertés politiques, grandes, larges, n'ayant d'autres limites que la loi et les exigences impérieuses de la conservation de la société elle-même sont certes des choses admirables, et chaque peuple doit vouloir en être doté : là ne peut se borner la sollicitude d'un gouvernement. Une nation ne vit point exclusivement de ces libertés, il lui faut aussi une vie matérielle, non pas seulement supportable, mais bonne.

Il n'est aucun de nous, qui siégeons dans cette enceinte, qui ne veuille sincèrement voir arriver le pays dans cette heureuse position. Toutefois, si notre accord est aussi unanime pour le principe, il cesse de l'être dès qu'il s'agit de son application. Pour ma part, j'ai la conviction intime qu'aucun budget ne peut nous mettre à même de réaliser d'aussi belles économies que celui de la guerre, tout en nous donnant une armée meilleure et plus appropriée aux besoins de sa destination.

Il me paraît d'autant plus urgent de saisir avec empressement l'occasion qui nous est offerte, que, déjà en 1830, nous en avons laissé échapper une très favorable.

Une autre considération, que je n'ai point fait valoir jusqu'à présent et qui milite également en faveur d'une réforme immédiate de l'armée, serait celle-ci.

Il est à espérer que la crise, qui agite tous les peuples, se terminera sans guerre et recevra une solution pacifique ; mais, si, ce qu'à Dieu ne plaise, le contraire arrivait, si une conflagration générale avait lieu, ce serait assurément une guerre de principes, et, jamais peut-être, on n'en aurait vu de plus terrible.

Il ne faut point penser que la Belgique, le voulût-elle, supposition que, pour l'honneur de mon pays, je ne puis admettre, aurait la faculté de se retrancher derrière la consécration de sa neutralité.

Par la force seule des choses, elle se trouverait naturellement engagée dans la lutte a devrait y fournir son contingent, lequel serait, selon toute probabilité, en proportion de l'importance de notre armée.

Or, ayant des cadres aussi étendus que le sont ceux actuels, nous serions forcés de fournir un contingent qui ne serait pas en rapport avec nos ressources et dont il ne serait point possible au pays de supporter la charge ; ce qui est un motif de plus pour tirer l'armée de sa situation fictive.

S'il nous était permis d'éprouver à cet égard la moindre hésitation, je vous exposerais, pour achever de vous déterminer, l'exemple d'un pays voisin, la Hollande.

On y a senti l'urgence d'accomplir sur-le-champ des réformes et d'effectuer des économies également sur le budget de la guerre.

Le ministère, dans un rapport au roi, qui l'a accueilli avec remerciement et reconnaissance, a proposé récemment:

1° Des réductions dans l'école militaire et les suppressions suivantes ;

2° De deux ou trois batteries d'artillerie;

5* Du dixième du personnel de toute l'artillerie ;

4° De deux compagnies de dépôt, par chaque régiment d'infanterie ;

5° D'un régiment de cavalerie, sur cinq qui existent;

6° Et enfin la fusion des écoles spéciales des ponts et chaussées et des mines avec l'école militaire, pour en former une école polytechnique.

Néanmoins, messieurs, veuillez bien, je vous prie, remarquer que la Hollande est loin d'être dans des conditions aussi avantageuses que nous, pour opérer ce désarmement.

D'abord, elle ne jouit point, comme nous, de la neutralité, et ensuite c'est une puissance maritime, ayant dès lors souvent besoin de troupes au dehors, soit pour envoyer dans ses colonies, soit pour embarquements ou pour toute autre destination, que l'on ne peut prévoir. Cet exemple me semble très déterminant.

Je me fais un plaisir d'ajouter que la nouvelle de cette sage mesure a fait aussitôt hausser les fonds publics de 2 p. c. Nul doute qu'en cas pareil le même effet ne se produise chez nous et ne tende à relever considérablement le crédit public.

Pour donner à mes démonstrations le corollaire pratique et indispensable, sans lequel elles demeureraient frappées de stérilité, j'aurai l'honneur de vous soumettre des principes de réorganisation de l'armée , qui m'ont paru ne pas être dépourvus d'efficacité et que j'abandonnerai à votre appréciation éclairée, ainsi qu'à celle du gouvernement dont j'appelle l'examen approfondi.

1° Supprimer trois ou quatre régiments d'infanterie et en déverser les soldats dans les régiments conservés.

Nous gagnons par là l'état-major de chacun des régiments supprimés et leurs cadres, tout en conservant la même force en hommes : on pourrait même l'augmenter au moyen des économies provenant de la réduction des cadres.

Cette suppression est motivée sur ce qu'il n'est point possible, dans un aussi grand nombre de régiments que celui que nous avons maintenant, d'avoir un personnel de soldats suffisant pour faire le service et pour donner aux corps la consistance désirable, c'est ce que je pense avoir suffisamment démontré et ce qui résulte de l'aveu de M. le ministre de la guerre lui-même, en 1842.

Toutefois, j'ai omis de dire à ce sujet une chose qu'il ne sera peut-être pas sans intérêt de connaître, c'est que les officiers et hommes gradés, états-majors compris, nous coûtent environ un million plus que les simples soldats de toute arme. L'anomalie peut-elle encore une fois se révéler d'une manière plus sensible et n'indique-t-elle pas le gouffre où vont s'engloutir nos finances en pure perte? Aucun autre pays n'offre pareille particularité, si ce n'est l'armée sarde, dont l'organisation a assez d'analogie avec la nôtre.

L'exemple de cette armée ne parle guère en faveur de ce système d'organisation. Elle n'a pu tenir devant des troupes autrichiennes beaucoup moins nombreuses, mais plus fortement organisées. N'est-il pas naturel de craindre pour notre armée le même résultat, le cas échéant, puisque ses conditions d'existence sont les mêmes?

2° Supprimer, sur le pied de paix, les deux compagnies de réserve de tous les régiments, qui resteraient, comme ils sont maintenant, à trois bataillons, l'école régimentaire pouvant très bien continuer à exister, en formant une compagnie à part, dont les cadres seraient formés d'officiers, sous-officiers et caporaux détachés des autres compagnies des trois bataillons.

3° Supprimer un régiment d'artillerie et en déverser les soldats et les chevaux dans les trois autres régiments. Nous gagnerions de la sorte un état-major tout entier, l'entretien du matériel et la solde des cadres de cinq batteries de campagne et de six batteries de siège, car on sait qu'à part le premier régiment, qui n'a que dix batteries, dont 4 d'artillerie légère et 6 de siège, nos trois autres régiments comprennent chacun 3 batteries montées ou de campagne et 6 de siège.

Chaque batterie de campagne est composée de 8 bouches à feu ; ce qui donne les cent cinquante-deux pièces, dont j'ai parlé précédemment. J'ajouterai que la division de l'artillerie en régiments n'étant qu'une mesure de forme, prise dans des vues administratives, perd son but et son utilité en temps de guerre, puisque cette arme se trouve répartie par batteries dans les diverses brigades et divisions des autres armes, ainsi que dans les parcs de réserve ; on pourrait, sans préjudice pour le service et sans inconvénient, répartir les batteries des trois régiments conservés dans deux, ce qui procurerait l'économie de l'état-major d'un régiment.

4° Supprimer un régiment de cuirassiers, à l'exception d'un escadron, qui serait adjoint au régiment conservé, lequel se composerait dès lors de cinq escadrons, au lieu de quatre qu'il a aujourd'hui et recevrait le personnel et les chevaux des trois escadrons supprimés. Par la fusion des deux régiments de cuirassiers en un seul, nous gagnons un état-major complet et les cadres de trois escadrons.

5° Supprimer un escadron de chaque régiment de cavalerie et les dépôts de tous ces régiments, y compris celui du régiment de cuirassiers qui serait conservé. Par suite de ces deux suppressions, l'on gagne le cadre d'un escadron et l'on peut supprimer un officier supérieur. Je ferai observer à ce sujet qu'en Prusse un régiment de cavalerie, comprenant quatre escadrons, n'a que deux officiers supérieurs, le commandant et un officier supérieur adjoint. Il n'y a même pas de capitaine en second, mais seulement un capitaine commandant par escadron.

La suppression des dépôts de sept régiments nous donnerait, à elle seule, une économie annuelle d'environ soixante-six mille francs, tout en régularisant et fortifiant le service ; car les hommes qui sont attachés à ces dépôts sont distraits de leurs escadrons, qu'ils privent d'un personnel suffisant pour soigner les chevaux.

Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on reconnaît l'utilité de cette suppression; elle avait déjà été proposée à M. le ministre de la guerre en 1842 par la commission de réorganisation de l'armée.

6' Supprimer les lieutenants-colonels ou au moins les utiliser. Il y a deux ans, on a cherché par instruction ministérielle à prescrire à ces officiers supérieurs la direction et la surveillance des différentes branches de services. Ils ne peuvent néanmoins toujours être envisagés que comme aides du colonel, qui, vis-à-vis de ses chefs, conserve réglementairement la responsabilité entière de ce qui se fait, en bien ou en mal, dans son régiment. Toutefois, si l'on veut conserver l'échelon de gradation pour l'avancement, on supprimerait un major, dont les fonctions passeraient en mains du lieutenant-colonel. Ceci est parfaitement praticable pour l'infanterie, et plus encore pour la cavalerie, où le major ne joue qu'un rôle de pure surveillance de l'exécution des ordres du colonel, ce dont tout autre officier pourrait aussi bien être chargé sans aucun inconvénient.

7° Ramener le corps du génie à son organisation primitive d'un bataillon à 6 ou 8 compagnies. En 1848, il n'y avait que 6 compagnies. Le nombre en a été successivement porté à huit et à dix, et depuis un peu plus d'un an, on a partagé ce corps en deux divisions, qui ont fini par arriver à l'état de deux bataillons, formant un régiment ; ce qui a amené la nécessité de nommer pour le commander : 1° un colonel, 2° un lieutenant-colonel, 3° deux majors, 4° un capitaine adjudant-major, 5° et tout un (page 821) petit état-major, comme pour un régiment. Il est certain que l'organisation primitive, à laquelle je voudrais revenir, serait suffisante. La meilleure preuve que l'on puisse en donner, c'est que les compagnies actuelles ne comptent pas plus de cinquante hommes, cadres compris.

8° Supprimer les cinq commandants de provinces, qui sont encore maintenus, comme je l'ai expliqué antérieurement. Il est clair que si l'on a pu supprimer les généraux commandant les quatre plus importantes provinces, le Brabant, Liège, le Hainaut et Namur, on pourra, à plus forte raison, supprimer les cinq autres.

9° Réduire le personnel du service de santé et le mettre en rapport avec l'effectif réel de l'armée. Ce personnel est arrivé à une extension démesurée; il est entaché du même vice que les autres cadres de l'armée, puisqu'il est établi sur les bases actives d'un effectif complet. Il en résulte que les officiers de santé, qui ne sont point attachés aux hôpitaux, n'ont absolument d'autre besogne que de délivrer des billets d'hôpital, attendu qu'il leur est défendu de traiter des malades dans les casernes.

10° Réunir l'école militaire à celle des mines et des ponts et chaussées, pour en former une école polytechnique. Le gouvernement déclarant, dans une note figurant au rapport, qu'il s'occupe de cette question, je n'entrerai à cet égard dans aucun développement. Le principe de la fusion ayant paru excellent à M. le ministre, je me bornerai à le prier d'engager la commission instituée pour élaborer l'organisation à s'occuper de cet important travail, dont le résultat serait de faire une notable économie, tout en fortifiant les études. Je suis cependant loin de révoquer en doute le mérite actuel de ces écoles et de méconnaître les services éminents qu'elles ont rendus et rendront encore au pays; aussi je ne voudrais voir opérer cette fusion qu'en ménageant scrupuleusement les droits acquis des corps professoraux.

11° Réduire l'état-major général de l'armée en proportion des réductions que j'ai proposées, et sans oublier les intendances militaires, parmi lesquelles de très utiles simplifications sont aussi à pratiquer.

12° Et enfin supprimer toutes les superfétations, dont j'ai indiqué quelques-unes, telles que les emplois d'inspecteur en chef du service de santé, de médecin en chef, d'aide-major général et d'inspecteur d'armes spéciales. Réaliser en outre diverses autres économies de détail dont il serait trop long de faire ici la nomenclature et qui sont compatibles avec le bien du service.

Ayant proposé plusieurs suppressions, on pourrait me faire des objections sur les inconvénients qui en découleraient. Je tiens autant que possible à les rencontrer à l'avance. D'abord, quant à la suppression de 3 ou 4 régiments d'infanterie, on me dira que les cadres des régiments conservés ne pourraient plus convenablement recevoir les miliciens des différentes classes, non libérées, et, qu'en supposant un chiffre de huit à neuf cents hommes par bataillon, la force totale de l'infanterie ne serait que de trente ou trente-cinq mille hommes au plus, qu'il serait donc impossible avec ce chiffre de pourvoir à la défense des places fortes et de conserver un chiffre suffisant pour l'armée qui tiendrait la campagne. A ceci je répondrai que, pour parer à cette insuffisance de force pour les deux destinations, il serait dans l'intérêt de l'économie de diviser l'armée en deux catégories : l'une en armée active et l'autre en corps de réserve.

Pour organiser cette seconde catégorie, l'on pourrait former des bataillons par cantons ou par arrondissements, suivant l'importance des contingents qu'ils fournissent, composés des miliciens qui appartiennent déjà aux trois classes de réserve.

Il serait assigné à ces bataillons des places fortes, les plus à portée de leur domicile, où ils se rendraient au premier appel.

Les armes et les effets de ces hommes seraient en dépôt dans les places fortes qui seraient respectivement assignées à ces bataillons.

Les officiers, sous-officiers et caporaux provenant des régiments supprimés pourraient déjà former une partie des cadres, ainsi que les officiers en disponibilité par suppression d'emplois.

L'organisation de ces corps étant formée sur des contrôles, au premier appel, en cas d'agression ou de guerre, chacun se rendrait à son poste.

On diminuerait par là les allées et venues d'un grand nombre de miliciens allant chercher leurs armes aux dépôts actuels pour de là rejoindre leurs régiments, attendu que par la proximité de leur résidence à la forteresse qui leur serait assignée, ils seraient rendus sous les aimes dans un délai très court.

Ces bataillons viendraient compléter les garnisons des places fortes, ce qui pourrait laisser l'armée active à mettre eu campagne plus forte.

Pour ce qui concerne les détails de l'organisation, je m'abstiendrai de vous en entretenir; ils ne sont d'ailleurs point de notre compétence et appartiennent de droit à celle d'hommes spéciaux. Je me suis borné à en établir les principes, dont la mise en pratique me semble d'autant meilleure que la catégorie de réserve ne nécessiterait aucune dépense que lorsqu'elle serait appelée sous les armes.

La division de l'armée en ces deux catégories convient essentiellement à un pays comme le nôtre, qui ne peut être dans le cas de faire autre chose qu'une guerre défensive.

Quant aux officiers appartenant aux corps ou portions de corps, dont je propose la suppression, tout en les employant à la formation des cadres des bataillons de réserve, comme je l'expliquais un peu plus haut, je les renverrai dans leurs foyers avec deux tiers de solde, et je suis autorisé par des précédents, qu'il ne m'est point permis de citer, attendu que ce serait indiquer une des sources principales où j'ai puisé ces utiles renseignements, à vous donner l'assurance que, très probablement, le renvoi, avec deux tiers de solde et conservation de tous les droits à l'avancement, trouverait plus d'amateurs désireux de l'obtenir, qu'il ne serait possible d'en satisfaire.

On pourra aussi m'objecter que je vais anéantir l'avancement. Je dois convenir qu'il sera paralysé pendant quelques années, mais anéanti, non. Et pour qu'il n'en soit point ainsi, je donnerais la moitié des grades à l'avancement, et pour l'autre moitié j'appellerais les officiers qui seraient en disponibilité. Ce mode n'est pas non plus sans antécédents. Il a été suivi en France, depuis 1818 jusqu'en 1826, mais, dans des conditions beaucoup moins avantageuses pour les officiers, dont la moitié était renvoyée forcément en congé pendant plus de six mois chaque année, avec demi-solde seulement. On pourrait également me dire que les officiers renvoyés dans leurs foyers seraient exposés à perdre leur instruction et leurs habitudes militaires. Je répondrai qu'on y obviera, en les astreignant à se rendre, lors des inspections générales annuelles, à un régiment de leur arme, qui leur serait désigné le plus à proximité de leur résidence, et s'il était reconnu nécessaire ou convenable, en les faisant alterner tantôt dans l'activité, tantôt dans la disponibilité.

Sans doute, pendant quelques années, l'avancement sera plus lent; mais en présence de la déplorable situation financière où se trouve engagé le pays, et du malaise qui se manifeste dans toutes les classes de la société, les intérêts particuliers ne doivent-ils point céder, et chacun ne doit-il pas, dans certaines limites, s'imposer un sacrifice ? Du reste, je pense que, de la sorte, les ménagements de positions acquises seront équitablement gardés.

Lorsqu'une armée, après une campagne, passe du pied de guerre au pied de paix, la disponibilité devient, pour ainsi dire, la position normale et obligée d'un grand nombre d'officiers et surtout d'officiers généraux, dont une partie était restée dans le pays, et l'autre préposée à l'armée et qui, rentrant, se trouvent trop nombreux pour pouvoir être employés d'une manière permanente.

Ou le voit, les suppressions que je désire ne placeraient pas nos officiers dans une position moins avantageuse qu'ils ne l'auraient eue après une campagne. Ce système nous ferait arriver dans quelque temps, sans secousse et sans lésion notable des droits acquis, à un état normal, rationnel, où les cadres seraient en rapport avec le personnel conservé sous les armes.

L'on ne m'accusera pas, j'espère, de chercher à affaiblir l'armée; je veux au contraire, en ne touchant qu'aux cadres, la rendre plus compacte, plus homogène et lui donner un effectif plus réel que celui qu'il nous est possible de tenir aujourd'hui avec notre système fictif; car tout le monde sait que, selon le plus ou le moins de gêne que l'on éprouve dans le courant de l'exercice, pour se renfermer dans les allocations limitatives du budget, on renvoie souvent en congé bon nombre de soldats, ce qui fait varier la force réelle de l'armée et la tient continuellement au-dessus du chiffre fixé par le budget.

Ou m'opposerait en vain que cette façon d'agir ne serait pas tolérée par la cour des comptes, celle-ci admettant toutes les dépenses de l'autorité militaire, quand bien même elles ne seraient point spécifiées au budget ou se trouveraient transposées d'un article à l'autre, dès qu'elles ne sont point contraires aux règlements d'administration militaire. Et quand cette administration prévoit qu'il pourrait s'élever à ce sujet quelque difficulté, un arrêté royal vient couvrir la dépense et la mettre à l'abri de toute discussion. Alors, la Cour se voit fort souvent, quoique à regret, forcée de légitimer de sa sanction ces graves irrégularités, dont le tort évident est de faire du budget un mensonge et de faire croire au pays qu'il a sous les armes une quantité d'hommes que, de fait, il n'a pas.

Quant au défaut d'esprit militaire, comme il a un rapport moins direct avec le budget, je n'en dirai que quelques mots.

On paraît généralement d'accord sur un point, c'est que des soldats, demeurant aussi peu de temps sous les drapeaux, ne peuvent avoir l'aplomb convenable, ni être assez imbus de l’esprit militaire qu'ils vont à chaque instant perdre chez leurs parents.

Ces allées et venues continuelles de miliciens sont en outre très onéreuses pour le trésor et surchargeant les habitants de logements militaires mal à propos. On ferait disparaître ces deux graves inconvénients en conservant chaque classe de miliciens, successivement, deux ou trois ans au corps.

Je ne crois pas devoir laisser échapper cette occasion, messieurs, pour signaler un abus extrêmement grave aussi, qui, à la vérité pour la forme ne se rattache pas directement au budget de la guerre; cependant il dérive, au fond, de ce département. J'entends parler de la multiplicité des pensions militaires, et surtout de la facilité dégénérant en véritable légèreté, avec laquelle on prodigue ces pensions, qui, fort souvent, ne sont point demandées, mais sont au contraire reçues avec mécontentement.

Le pays, il faut le dire, en est vraiment scandalisé et c'est à bon droit. Le moment me parait encore très opportun pour demander la révision de la loi de 1836, en ce qui concerne les conditions d'âge et de services.

Je ne puis admettre qu'un ministre puisse, sans consulter autre chose que sa propre volonté et sans en devoir compte à personne, mettre à la retraite des officiers par le seul motif qu'ils ont 55 années d'âge et 25 ans de service. A cet âge, l'homme est resté presque toujours vigoureux et fort, et son mérite est rehaussé pour une vieille expérience, qui offre beaucoup de garantie d'aptitude et de capacité, surtout chez les officiers supérieurs. Or, messieurs, le croirait-on? j'ai peine à le croire moi-même, tellement (page 522) cela est exorbitant, nous avons à peu près autant d'officiers supérieurs valides en retraite que nous en avons dans les positions actives. Cette manière de faire prive l'armée de ses meilleurs officiers généraux et impose à l’Etat, en pure perte, une charge énorme, et tout cela pour favoriser l'avancement de quelques officiers préférés!

La section centrale signale également un très grand abus, dont l'existence avait déjà été constatée au budget de 1848, c'est celui qui consiste à conférer un grade supérieur à des officiers qui, eu égard à leur état physique, doivent être mis à la retraite; elle prie le gouvernement de ne plus en agir ainsi, et en cela nous nous joindrons tous à elle, j'espère, pour insister sur cette sage recommandation.

Un autre abus que consacre cette loi, c'est qu'un militaire demandant la retraite n'a droit qu'à l'obtention d'une pension calculée sur les grades dont il a été investi pendant deux ans, tandis que si c'est le ministre qui prend l'initiative pour le pensionner, il peut lui accorder la pension attachée au grade qu'il vient de recevoir et qu'il pourrait n'avoir que de la veille. Et de pareilles choses ne sont pas entièrement des hypothèses faites à plaisir, on les a déjà vues passer à l'état de fait accompli, sans que je veuille accuser M. le ministre, attendu que j'ignore sous quels ministères cela est arrivé. J'ai aussi rencontré dans la loi du 10 mars 1847 relativement au rang et au mode d'avancement et d'admission des officiers du service de santé une disposition fort curieuse que consacre l'article 2, conçu en ces termes : « Il est compté six années de service effectif à titre d'études préliminaires, aux personnes qui sont admises dans le service de santé au grade de médecin adjoint et trois années à celles qui y sont reçues en quantité de pharmacien ou de vétérinaire de troisième classe. » Qu'en pensez-vous, messieurs ? Une telle disposition ne suffit-elle pas pour commander la révision d'une loi? N'est-il pas ridicule de faire compter les années passées à l'université ou dans une école spéciale comme années de service effectif ? Je pense que vous serez d'avis avec moi qu'une telle loi doit être au plus tôt révisée, ainsi que celle de 1836 sur les pensions militaires. Cette révision, je l'appelle de tous mes vœux. Je désirerais que d'autres conditions d'âge et de services fussent stipulées, et surtout que le mérite et les droits des officiers fussent mieux sauvegardés contre la volonté d'un seul homme, résultat que l'on atteindrait au moyen d'une commission qui serait composée, au moins en partie, par des officiers retraités et indépendants.

Aucune mise à la retraite ne pourrait être faite, sans son avis préalable, conforme et motivé, lequel serait inséré dans l'arrêté royal accordant la pension et figurerait au Moniteur.

S'il pouvait rester dans vos esprits quelque hésitation sur l'appréciation de la défectuosité de cette loi, j'invoquerais l'exemple de l'octogénaire qui est en ce moment à la tête d'une importante armée autrichienne et dont le commandement n'est pas plus mal dirigé. On me répondra que c'est la une rare exception, j'en conviens; mais, entre l'âge de cet homme de guerre et celui fixé chez nous pour la mise à la retraite, n'y a-t-il pas un quart de siècle ? Cela réfute surabondamment l'objection.

Je terminerai, messieurs, en déclarant que, dans tout le travail que je viens d'avoir l'honneur de vous présenter, j'ai été guidé par la conviction intime de faire quelque chose d'utile au pays, en cherchant à jeter certaine lumière sur une question aussi ardue que celle du budget de la guerre et de l'organisation de l'armée. La crainte qu'éprouvait la section centrale d'y produire la défiance, la désaffection et l'affaiblissement de l'esprit de corps, en mettant hardiment la main à l'œuvre salutaire des réformes, ne m'a point arrêté. J'ai cru, au contraire, obéir à un devoir en faisant mes efforts pour tirer l'armée de la position fictive, précaire, anormale, dans laquelle elle a elle-même, plus que nous peut-être, la conscience de se trouver, ce qui fait qu'a la discussion de chaque budget, elle s'attend à voir son existence mise en question, parce qu'elle sait et comprend pertinemment qu'un tel étal de choses ne peut toujours durer !

M. le président. - La parole est à M. Delescluse.

M. Delescluse. - Les observations que j'ai à présenter n'étant pas susceptibles d’une application immédiate, je renonce pour le moment à la parole.

M. Van Hoorebeke. - Messieurs, j'en demande pardon à l'honorable préopinant, j’ai suivi avec une attention assez distraite les immenses développements dans lesquels il est entré. Je me plais à rendre justice aux connaissances spéciales, aux connaissances techniques, de stratégie et de tactique dont il a fait preuve, connaissances dont le mérite est d'autant plus grand qu'elles appartiennent à un homme entièrement étranger à la carrière des armes ; mais si j'interviens dans ce débat, c'est moins avec la pensée de traiter toutes les questions que l'honorable préopinant a discutées avec beaucoup d'érudition, avec beaucoup d'étendue, que dans l'intention de motiver aux yeux du pays et aux yeux de mes commettants le vote que je me propose d'émettre.

Que la chambre me permette d'abord de faire une réflexion qui m'est, en quelque sorte, personnelle. Il y a quelques mois, j'eus l'occasion de m'associer de fait et de cœur à une manifestation imposante qui eut lieu ici, à Bruxelles, qui a été répétée depuis en Angleterre et qui avait pour objet, vous le savez tous, messieurs, de faire prévaloir dans la politique des peuples, mais lentement, mais par la voie de la persuasion et de la discussion publique, les principes de la fraternité qui, dans un autre ordre d'idées, ont amené le triomphe du droit et de la justice sur la force brutale et les guerres privées. Je ne renonce pas, quoi qu'on en ait pu dire hier, en parlant de la paix perpétuelle, je ne renonce pas, pour ma part, à cette expectative séduisante. Tant et de si grands événements se sont accomplis en Europe depuis un an qu'il faudrait, en vérité, fermer les yeux à l'évidence, pour ne pas être convaincu que désormais, dans le droit des gens, dans le droit international, un principe nouveau, le principe de l'arbitrage, le principe de la conciliation, des négociations amiables tend à se substituer aux conflits sanglants et aux guerres entre les peuples, à ces guerres qui, selon moi, seront toujours un legs des temps barbares.

C'est même à l'influence de ce fait général, fait que nous subissons tous dans une certaine mesure, que j'attribue les répugnances invincibles que suscitent dans tous les pays les dépenses occasionnées par les armées permanentes. Il semble que tout le monde comprenne aujourd'hui que le génie militaire, l'esprit guerrier va s'altérant de plus en plus; il semble que tout le monde comprenne que désormais les tendances, la sollicitude des gouvernements et des peuples sont pour les questions économiques, pour les questions qui ont pour objet l'amélioration morale et matérielle de la condition des classes inférieures.

A cet égard même, la Belgique se trouve dans une position, pour ainsi dire, exceptionnelle. Condamnée par la diplomatie à cette neutralité dont l'honorable M. Lebeau vous a hier analysé éloquemment les conditions, à cette neutralité que je ne regrette pas, parce que j'y vois le secret de notre force, poussée comme invinciblement par le génie industrieux de ses habitants dans la carrière des intérêts industriels, préoccupée ensuite et douloureusement préoccupée de la situation d'une partie de la population dans les Flandres, la Belgique n'a pas pour se dédommager des sacrifices que lui impose un état militaire considérable et fort coûteux, quoi qu'on en dise, l'aiguillon puissant du sentiment national et le désir d'accroitre son influence territoriale.

C'est sur ses institutions et l'esprit de sagesse qui anime ses populations qu'elle se repose du soin de féconder cette influence, de la fortifier, de se faire aimer, estimer de l'étranger.

Ainsi, si à cet égard je ne cédais aux illusions de mon esprit, je regretterais le vote que je vais émettre ; mais au fond de mon cœur une pensée de justice me retient. Je ne puis, dans la question actuelle, penser à l'armée, sans penser en même temps au patriotisme et au dévouement de ceux qui la composent.... Je ne puis croire que dans les circonstances périlleuses que nous traversons, ce soit chose utile et patriotique de soumettre ici à une analyse, à une dissection périodique, le sort de ceux qui ont embrassé la carrière des armes.

Et, je le dirai sans détour, lorsqu'il s'agit des détails de l'organisation militaire, lorsqu'il s'agit de décider avec l'honorable M. Osy ce qu'il faudrait réduire de notre artillerie, de notre cavalerie, de notre infanterie; lorsqu'il s'agit de décider avec l'honorable M. Thiéfry, si les miliciens doivent rester plus longtemps sous les armes, je suis, bien malgré moi, obligé de confesser mon ignorance; je suis bien obligé de me demander pourquoi, au lieu de deux régiments, on n'en supprimerait pas trois, quatre. Dans le système de l’honorable M. Thiéfry je me demande ce que deviendrait l'économie, et ce que diraient surtout les parents qui aujourd'hui déjà se plaignent que leurs enfants passent trop longtemps sous les armes ?

Toutes ces questions de détail, de métier, je n'ai aucun scrupule à le déclarer, je suis incompétent pour les résoudre.

Je comprendrais le langage de ceux qui viendraient nous dire, comme l'honorable M. Delfosse a dit, je pense, dans la discussion de l'année dernière : « Au XIXème siècle on ne fait plus de guerres; les peuples et les gouvernements sont à la paix; ce qu'il faut à la Belgique, c'est une milice citoyenne bien organisée et une force militaire capable de maintenir l'ordre à l'intérieur du pays. » Je comprendrais ce langage; il aurait le mérite d'une franchise peut-être par trop cruelle; mais au moins d'un trait de plume, il réaliserait des millions d'économies, et ce serait préférable à ces cruelles alternatives, à ces incessantes inquiétudes dont l'armée souffre.

Si vous pensez, messieurs, avec moi que la force réelle, la force morale de l'armée est moins encore dans les allocations que nous sommes appelés à voter ici que dans l'esprit sympathique dont l'entourent les grands pouvoirs de l'Etat, si vous croyez que ses titres à la sollicitude du pays sont moins dans les services rendus que dans les calamités qu'elle a prévenues par son attitude ferme et dévouée, permettez-moi de vous le dire, épargnons-lui ces discussions sans cesse renouvelées, qui, quoi que vous fassiez, de quelque ménagement que vous enveloppiez votre langage, de quelques figures de rhétorique que vous le décoriez, auront toujours pour résultat de décourager le moral de l'armée.

On a présenté l'exemple de ce qui se passe dans plusieurs pays pour demander la réalisation d'économies dans le budget de la guerre; on a parlé de la Hollande, de l'Angleterre, de la France; mais ces considérations si puissantes n'ont pas été perdues de vue par M. le ministre de la guerre, car des économies notables ont été introduites par lui dans le budget. Voulez-vous des économies plus fortes, croyez-vous qu'un effectif de 20 mille hommes soit trop fort, il y a un moyen, moyen extrême, héroïque, c'est de revenir sur ce que vous avez fait, de réviser la loi d'organisation, de procéder à une organisation nouvelle. Si on ne veut plus avoir d'armée en vue de la défense extérieure, mais uniquement dans l'intérêt de l'ordre intérieur, si la chambre veut entrer dans cette voie, si elle croit devoir imposer à l'armée cette douloureuse épreuve, elle est parfaitement maîtresse, parfaitement libre de le faire, mais c'est une voie dans laquelle, pour mon compte, je n'entrerai pas.

Je ne prétends pas pour cela que l'organisation actuelle ne soit pas susceptible de modifications profondes qui, sans détruire la force numérique de l'armée, nous permettront d'introduite des réductions (page 823) considérables dans les dépenses. Mais je crois que le moment n'est pas venu d'agiter ces questions et encore moins de les résoudre.

On parle souvent, en dehors de cette enceinte, d'une question qui préoccupe un grand nombre d'esprits sérieux et qui m'a souri longtemps, je veux parler de l'emploi de l'armée aux travaux publics.

L'honorable M. Lebeau a engagé M. le ministre de la guerre à en faire l'objet de son attention et de sa sollicitude toute spéciale.

Je ferai à M. le ministre de la guerre la même recommandation, mais par des motifs autres que ceux qui semblent avoir inspiré l'honorable M. Lebeau; en principe, je ne crois pas que l'Etat ait le droit de transformer le soldat en ouvrier.

Comme soldat, le citoyen paye l'impôt du dévouement militaire; il consacre le plus beau temps de sa vie à défendre l'Etat, à protéger la société; au besoin, il se fait tuer pour la défendre. Pouvez-vous exiger davantage? Pouvez-vous, sans une criante injustice, vouloir que, outre l'impôt du sang, il paye encore l'impôt de la corvée.

Mais les travaux coercitifs, dans l'ensemble de notre législation, sont le résultat d'une condamnation judiciaire. On les impose aux prisonniers. Encore une fois pouvez-vous assimiler à cet égard le soldat au détenu ?

Il y a une autre considération qui semble justifier mon opinion : c'est que le ministre de la guerre lui-même a déclaré qu'on employait au défrichement du camp la compagnie de pionniers. Or, il nous l'a dit encore hier, les pionniers sortent des compagnies de discipline.

Il y a du reste une autre considération : c'est que, dans ce moment, tant de milliers d'ouvriers manquent de travail et en sont réduits à demander à la charité le pain de chaque jour. Ne serait-ce pas aggraver leur position que d'ajouter, comme on le propose, à la concurrence que rencontre déjà le travail isolé une nouvelle et redoutable concurrence?

J'ajouterai une dernière considération (je ne veux pas examiner la question; je ne fais que résumer les scrupules qui se sont présentés à mon esprit, lorsque j'ai examiné la question), considération qui me parait décisive; de l'avis des hommes les plus compétents, des hommes les plus instruits (je citerai entre autres, le général Duvivier et le marquis Oudinot) les travaux entrepris pour le compte de l'Etat par les soldats ont été extrêmement dommageables. L'histoire en fait foi.

On a cité l'exemple des armées de Rome et d'Athènes, et les beaux travaux qu'elles ont exécutés. Mais l'organisation de ces armées n'avait aucune analogie avec celle de nos armées permanentes. Ces légions avaient à leur suite un nombre considérable de menuisiers, de charpentiers , de maçons, de forgerons. Lorsqu'elles construisaient une route, un canal, elles le faisaient dans un but de conservation, en vue de l'attaque ou de la défense; elles se faisaient assister, dans ces travaux, par les populations conquises elles-mêmes.

A une époque plus rapprochée de nous, nous trouvons les travaux exécutés sous Louis XIV. Ces travaux ont coûté le double de ce qu'ils auraient coûté, exécutés par des ouvriers civils; et à cette époque, messieurs, les soldats étaient recrutés à prix d'argent et pour un temps illimité. C'étaient des mercenaires qui étaient en quelque sorte la propriété du prince.

Les fortifications de Paris, qui ne sait que si elles ont été construites par des soldats, ce fut moins dans un but d'économie que pour empêcher des coalitions d'ouvriers ?

Les routes stratégiques de la Vendée, construites de la sorte, ont coûté de 25 à 30 p. c. de plus que si elles avaient été' exécutées par des ouvriers civils.

Hier, on disait que le milicien ne passe pas assez de temps sous les armes pour son instruction militaire; et l'on voudrait le détourner de ses travaux militaires pour l'employer à des travaux qui certainement constitueraient l'Etat en perte!

J'ai quelques dernières observations à soumettre à la chambre : et elles s'adressent plus spécialement à M. le ministre de la guerre.

Je viens appeler sa sollicitude toute spéciale sur la position vraiment exceptionnelle qu'a faite aux officiers de notre armée la loi de 1830, loi exceptionnelle, créée en vue de circonstances qui n'existent plus aujourd'hui. Je considère cette loi comme une choquante anomalie dans l'ensemble de notre législation militaire.

Voyez ce qui arrive : un soldat ne peut être incorporé dans une compagnie de discipline sans que sa conduite ait fait l'objet d'un examen spécial de la part d'un comité d'enquête. Un sous-officier ne peut être cassé, sans l'avis d'un conseil d'enquête, composé de trois officiers et d'un sous-officier. Ce sont là des garanties sérieuses que nous devons à l'initiative éclairée de M. le ministre de la guerre.

Ces garanties n'affaiblissent en rien la discipline. Elles la fortifient, au contraire, parce qu'elles relèvent le soldat et le sous-officier à leurs propres yeux.

Je me demande, je me suis demandé plus d'une fois pourquoi, ces garanties, on ne les accorderait pas aux officiers? pourquoi on laisserait subsister dans notre législation une loi qui autorise la condamnation d'un officier au traitement de réforme ou de non-activité, sans qu'on soit tenu de respecter à son égard un des points les plus élémentaires de toute justice répressive, sans que cet officier ait le droit de se faire entendre, sans qu'il ait le droit de protester, sans qu'il ait le droit de soupçonner la main qui le frappe!

Ne sent-on pas que cet officier peut être victime d'une vengeance individuelle, qu'il peut être victime d'une fausse dénonciation, qu'il peut être victime même d'une erreur matérielle? Le cas s'est présenté; il s'est présenté plus d'une fois; et savez-vous ce qui est arrivé, quand ce cas s'est présenté? C'est qu'alors le ministre, malgré la meilleure volonté, s'est trouvé dans l'impossibilité de réparer les effets de cette mesure. Car le temps pendant lequel l'officier est resté en non-activité ne lui compte pas comme années de service.

Cette législation, messieurs, est unique. Elle n'existe nulle part, elle n'existe pas dans les pays absolus, parce qu'on n'y connaît pas cette position exceptionnelle de la réforme et de la non-activité. Elle existe en France; mais j'ai le regret de le dire, elle présente un caractère moins illibéral que chez nous, en France, en effet, l'officier en non-activité a les (erratum, page 868) trois cinquièmes de sa solde. Il reste trois années en non-activité. Il comparaît ensuite devant un conseil d'enquête; il produit ses moyens de justification, et la commission examine s'il convient de le maintenir en non-activité ou de le mettre à la réforme. Il a au moins le droit de se défendre.

Ici au contraire, l'officier peut être frappé sans qu'on ait on quelque sorte besoin de le prévenir; on lui fait connaître par un arrêté sa mise en non-activité ou à la réforme.

Dans les observations que je présente, je prie M. le ministre de la guerre de remarquer qu'il n'y a rien de personnel, rien de désobligeant pour lui; je ne le fais que dans l'intérêt d'un principe que je crois méconnu par la loi de 1836. Cette loi, dans ma conviction intime, permet non seulement d'éluder le Code pénal militaire, le Code pénal ordinaire, mais elle peut, dans certains cas, servir à éluder la loi sur l'avancement militaire, loi qui est une des bases de notre organisation militaire, parce que rien n'empêche le ministre de la guerre (je ne parle pas de M. ministre actuel, mais il aura des successeurs) d'éluder cette loi en plaçant un officier en non-activité.

Je crois que dans les circonstances actuelles, quand on fait peser sur l'armée tant et de si dures économies, il serait sage, il serait vraiment libéral de revenir sur la loi de 1836. Je ne pense pas que la discipline en souffre ; je crois, au contraire, que l'autorité morale du pouvoir gagnera à mettre les mesures qu'il prendra sous la sanction des officiers eux-mêmes, qui sont les meilleurs juges de la dignité des collègues qu'ils doivent conserver dans leurs rangs.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, les propositions tendantes à modifier ou à réduire notre état militaire, que vous venez d'entendre, et celles qui oui été développées dans la séance d'hier, ne sont pas nouvelles. Tous les ans, à l'époque de la discussion du budget de la guerre, des propositions analogues vous ont été présentées, et tous les ans la majorité de cette chambre les a repoussées.

Bien que j'aie l'espoir que les propositions qui vous ont été faites cette année auront le même sort, j'éprouve cependant, je l'avoue, un certain embarras à les combattre. Mon embarras provient de la nécessité où je me trouve de développer devant vous des arguments qui vous ont été si souvent présentés, de vous répéter ce que moi-même j'ai eu l'honneur de vous dire l'année dernière dans la discussion du budget. Mon embarras provient surtout de la conviction où je suis que des discussions de cette nature ne sont pas sans inconvénient, et je dirai même sans danger pour le pays et pour l’armée.

En effet, messieurs, comment voulez-vous que les membres de l'armée puissent prendre au sérieux leur carrière et leur position, si cette carrière, si cette position est tous les ans mise en question? Comment voulez-vous qu'ils puissent se livrer avec tranquillité d'esprit, avec persévérance, aux travaux, aux études longues, pénibles, difficiles qu'on exige d'eux et qui sont indispensables à leur profession, si on leur enlève toute espérance d'avenir? Il faut avoir vécu au milieu de l'armée pour comprendre tout le découragement, toute l'inquiétude que des discussions de cette nature jettent dans ses rangs, et tout le danger qu'il y a de revenir continuellement sur la loi d'organisation.

Mais cette loi, sur laquelle ou revient tous les ans, rappelez-vous qu'elle a été votée il y a trois années seulement; que c'est la chambre qui l'a exigée, car le gouvernement éprouvait une certaine répugnance à la présenter; il y voyait, à tort ou à raison, une atteinte portée aux prérogatives constitutionnelles du Roi. Cependant le gouvernement céda au vœu de la chambre: il présenta la loi d'organisation.

Cette loi ne fut pas une improvisation, car elle était la conséquence naturelle, le corollaire, en quelque sorte, du système de défense générale du royaume. Les hommes les plus compétents y avaient travaillé; elle avait été, ainsi que le système de défense, l'objet de dix années d’études. La chambre elle-même fit de cette loi l'examen le plus approfondi, car, si j'ai bonne mémoire, le projet est reste déposé au sein des sections pendant dix-huit mois, et la discussion publique en a duré a peu près trois semaines.

Messieurs, pour vous démontrer quelle était l'opinion de la chambre et de la section centrale, je me permettrai de vous citer les conclusions de l'honorable rapporteur de la section centrale d'alors :

« De grandi sacrifices ont encore été consentis par le gouvernement pour satisfaire aux vœux de la représentation nationale et aux exigences de notre état financier. La section centrale les rend plus grands encore, mais sa majorité n'hésite pas à déclarer que, dans sa pensée, on ne peut aller plus loin. »

Voilà, messieurs, ce que disait la section centrale après avoir examiné la loi d'organisation : On ne pouvait pas aller plus loin.

Le gouvernement fit les concessions demandées par la section centrale, parce qu'il comprit que, par la stabilité, l'armée gagnerait en force morale ce qu'elle perdait en force matérielle. Chacun avait senti tous les inconvénients qu'il y avait à remettre périodiquement en question l'organisation (page 824) de l'armée; on voulait faire cesser le découragement que cette situation précaire jetait dans les rangs. Ce découragement allait si loin que, comme on l'a souvent répété à la chambre, on ne pouvait plus conserver de bons sous-officiers dans l'armée et que les officiers même, dès qu'ils trouvaient une issue quelconque, s'empressaient de quitter la carrière militaire qui ne leur offrait aucune espèce de certitude et d'avenir. Tout le monde comprit alors que sans la stabilité dans les institutions militaires, il est impossible de créer l'esprit de corps, l'esprit militaire, qui constitue la force et la valeur d'une armée.

Eh bien, messieurs, la loi d'organisation ne répond-elle pas à ce que la chambre et le gouvernement désiraient ? Est-ce que les progrès de l'armée, sa discipline, l'esprit qui l'anime depuis la loi d'organisation, laissent quelque chose à désirer ? L'armée n'est-elle pas à la hauteur de sa mission, ne répond-elle pas à tout ce que l'on peut attendre d'elle ? Dans ces derniers temps, lorsque les armées ont eu tant d'épreuves à subir, alors que tant d'institutions se sont écroulées autour de nous, alors qu'on a vu les caractères les plus fermes n'être pas exempts de quelques moments de défaillance, notre armée n'a-t-elle pas donné des preuves d'un dévouement, d'un patriotisme et d'une énergie qui ne se sont pas démentis, d'une solidité de principes qui prouve la bonté de nos institutions et, permettez-moi de le dire aussi, qui lui fait honneur.

- Plusieurs membres. - Très bien !

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Et c'est au moment où ces faits se produisent, où la loi d'organisation donne de si beaux résultats, c'est à ce moment-là qu'on vous propose de renverser ce qui est à peine créé, de remettre tout en question, de vous lancer dans la voie des expériences nouvelles, et de jeter encore une fois l'inquiétude et le découragement dans les esprits! Mais, alors même que la loi d'organisation n'aurait pas produit d'aussi bons résultats, alors même qu'elle serait défectueuse, je dirais encore que dans les circonstances actuelles il serait extrêmement dangereux de la modifier. Une armée ne se forme, ne prend de la consistance que par la stabilité de ses institutions. Je crois avoir eu l'honneur de le dire l'année dernière : rien n'est plus long, plus difficile, plus dispendieux à créer, à discipliner, à instruire qu'une armée; mais aussi rien n'est plus prompt à se désorganiser.

Aussi, messieurs, voyez ce qui se passe à côté de vous; voyez avec quelle sollicitude on maintient les institutions militaires. En France depuis l'empire, l'organisation militaire n'a point varié. On a créé quelques régiments nouveaux nécessités par la guerre d'Afrique; c'étaient des régiments spéciaux. Voilà à peu près la seule modification que l'armée française ait subie. Depuis 1807 l'organisation de l'armée prussienne n'a point varié. Tous les écrivains militaires sont d'accord pour reconnaître que, si l'Autriche a pu conjurer tous les dangers auxquels elle a été exposée depuis la fin du dernier siècle, se relever même de grands désastres, renaître en quelque sorte de ses cendres, elle le doit à la stabilité de ses institutions, à la constance avec laquelle elle a maintenu immuablement son organisation militaire. C'est cette stabilité des institutions autrichiennes qui a créé et développé cet admirable esprit de corps qui a toujours distingué cette armée et qui lui a fait supporter avec tant d'honneur et de gloire la plus rude, la plus cruelle épreuve à laquelle une armée puisse être soumise.

En Angleterre, messieurs, dans ce pays où l'on a une grande expérience des nécessités gouvernementales, on comprend si bien les avantages de la stabilité dans les institutions militaires que, depuis des siècles, l'organisation de l'armée anglaise n'a point varié bien que cependant on reconnaisse, même en Angleterre, que cette organisation est défectueuse dans plusieurs de ses parties et que c'est certainement l'organisation la plus onéreuse qui existe.

Quoique l'on reconnaisse tous ces inconvénients, on aime encore mieux les subir que de changer l'organisation de l'armée; mais aussi, messieurs. si l'Angleterre maintient inébranlablement ses institutions militaires, quand elle a besoin de son armée, l'armée se montre également inébranlable sur tous les points du globe. Voilà, messieurs, comment on comprend les institutions militaires à l'étranger et les avantages de la stabilité.

Tout en préconisant la nécessité de la stabilité dans les institutions militaires, ce n'est pas que je veuille prétendre qu'il faille rester stationnaire, repousser toute modification, toute amélioration nécessaire ou utile. Loin de moi une pareille pensée! Mais mon opinion est qu'il faut repousser tous les essais aventureux, tous les changements, toutes les modifications qui ne sont pas reconnus véritablement indispensables, et qu'il ne faut apporter d'autres modifications à une loi organique qui fonctionne bien, que celles qui sont présentées par des hommes spéciaux, expérimentés, compétents.

Je vous le demande, messieurs, les modifications qu'on propose aujourd'hui à la loi d'organisation de l'armée, proviennent-elles d'hommes spéciaux, d'hommes qui peuvent être mis en parallèle avec ceux sur l'opinion desquels on s'est basé pour établir notre organisation militaire? Je rends certes hommage au sentiment qui anime les honorables membres qui viennent combattre l'organisation actuelle; mais leur opinion ne peut raisonnablement prévaloir sur celle de tous les hommes de guerre de l'opinion desquels ou s'est aidé pour créer notre organisation militaire.

Messieurs, il me sera facile de démontrer combien la plupart des propositions qui vous sont faites, sont inadmissibles.

L'honorable M. Osy a proposé hier la suppression d'une division; il a trouvé également notre artillerie trop forte; notre cavalerie n'a pas été non plus à l'abri de ses critiques; il voudrait aussi la réduire. Plusieurs orateurs ont soutenu aujourd'hui la même thèse.

Examinons si ces propositions sont fondées.

La répartition de notre armée en quatre divisions ne s'est pas faite arbitrairement. Il n'est pas indifférent de distribuer une armée d’une force déterminée dans un nombre facultatif de bataillons, de régiments, de brigades, de divisions. Il y a des règles fixes, des principes en quelque sorte absolus dont on ne peut pas se départir impunément.

Il est nécessaire que j'entre dans quelques détails pour faire comprendre ces règles et ces principes.

L'organisation militaire d'une nation s'établît en raison de sa position politique, géographique et topographique, en raison du chiffre de la population, en raison du caractère et des mœurs des habitants, de la situation financière du pays et enfin du but politique à atteindre.

C'est là ce qui a servi de base à notre organisation militaire. Il a été reconnu que pour sauvegarder les intérêts nationaux, pour faire face à toutes les éventualités, il était nécessaire d'avoir une armée qui put être portée presque instantanément du pied de paix au pied de guerre, et dont le pied de guerre fût au minimum de 80 à 90,000 hommes.

La nécessité du, passage prompt du pied de paix au pied de guerre se conçoit facilement, quand on fait attention que la Belgique est un pays ouvert de toutes parts, sans frontières naturelles, et dont la capitale n'est qu'à deux ou trois étapes des frontières.

Quant au chiffre de 80,000 hommes, il ne vous paraîtra pas exagéré, si vous vous rappelez que lorsque nous étions en hostilité avec la Hollande, notre effectif a été de 110 et même de 112,000 hommes, non pas sur le papier, mais présents sous les armes. La Belgique alors, en s'imposant des sacrifices, a pu entretenir une armée de cette force ; j'ai donc le droit de dire aujourd'hui que, si l'indépendance du pays et l'honneur nationale étaient compromis, menacés, il y a assez de patriotisme en Belgique pour qu'elle s'impose, pendant quelque temps, les sacrifices nécessaires à l'entretien d'une armée de 80,000 hommes.

Ce chiffre reconnu indispensable et adopté, il a fallu aviser au moyen de le répartir entre les différentes armes qui composent une armée : l'infanterie, la cavalerie, l'artillerie et le génie. Cette répartition pouvait-elle être faite arbitrairement? Non, sans aucun doute. Il est des règles, des principes qui dominent encore ici.

Il a été reconnu dans tous les pays, par tous les hommes de guerre compétents, que la force de l'infanterie devait faire les trois quarts de la force totale de l'armée; que la cavalerie devait être un cinquième de l'infanterie, l'artillerie un sixième et le génie un vingtième.

Je ne m'occuperai pour le moment que de l'infanterie, puisqu'elle est seule en cause et qu'elle forme la base de la composition d'une division. Du moment où nous savons que l'infanterie doit former les trois quarts de l'armée et que le chiffre total est de 80,000 hommes, notre infanterie doit donc être de 60,000 hommes. Ce chiffre déterminé à raison des principes que je viens de démontrer, il faut aviser au moyen d'encadrer cette infanterie dans le nombre de bataillons nécessaire. Eh bien, pour cette répartition, il y a encore des principes, des règles fixes.

Le bataillon est l'unité de force dans l'infanterie. Si nous connaissons le nombre d'hommes qu'un bataillon peut contenir, il nous sera facile de connaître le nombre de bataillons qu'il nous faudra pour aligner nos 60,000 hommes. Du nombre de bataillons se déduira naturellement le nombre des régiments, des brigades et des divisions.

Comme mon opinion n'aurait pas pour vous l'autorité de l'opinion d'un homme de guerre illustre, permettez-moi, messieurs, de vous citer les paroles prononcées à la tribune française, dans une discussion analogue à celle-ci, par le ministre de la guerre, par M. le maréchal Soult, je pense, en 1841 ou 1842.

Le ministre français s'exprimait en ces termes :

« La tendance de quelques organisateurs et surtout des hommes appelés à contrôler l'emploi des deniers publics, est d'accroître outre mesure l'effectif du bataillon ; on ne songe qu'à faire entrer le plus grand nombre possible de soldats dans les cadres, afin d'économiser sur ces cadres, et sans s'inquiéter si cette accumulation excessive n'est pas nuisible à la qualité des troupes et au parti qu'on doit en tirer devant l'ennemi. Les gros bataillons qu'on croit les meilleurs, sont les plus difficiles à commander et à faire mouvoir.

« Au-delà de six à sept cents hommes, un bataillon n'est plus maniable pour personne. Ceux qui le composent ne sauraient voir, ne sauraient entendre assez distinctement leur chef, à cause de la grande étendue du front, de sorte que l'action de ce chef, qui doit être l'âme de sa troupe, s'affaiblit à mesure qu'elle a à s'exercer sur un plus nombreux effectif. Le commandement d'une compagnie de 100 à 110 hommes exige tout ce qu'un capitaine actif et vigoureux peut avoir de soins et d'énergie dans l'accomplissement de ses devoirs journaliers , si nombreux , si assujettissants et si essentiels au bien de service. Il serait difficile de trouver beaucoup de capitaines en état de commander un plus grand nombre d'hommes.

« C'est une dure condition pour les soldats que leur encombrement dans les cadres. Les appels, les prises d'armes, les distributions deviennent interminables ; tout est lent et pénible dans les bataillons trop nombreux ; les détails du service échappent aux chefs responsables, pour tomber aux mains de leurs sous-ordres; la moralité en souffre ; le soldat, se voyant perdu dans la foule, se croit inconnu de ses officiers ; il ne s'attache à personne; le gouvernement qui est responsable du bien-être de ses enfants que la patrie lui confie, ne doit point oublier que son premier devoir est d'assurer l'exécution des règlements qui ont pour objet de prévenir les abus de pouvoir, et répartir également toutes les charges du service ; rien de tout cela n'est bien observé quand une troupe est trop nombreuse, relativement aux dépositaires de l'autorité et à leurs délégués immédiats.

(page 825) « On répète sans cesse que la force du bataillon peut être portée à 1000 hommes, et même à 1,200 ; que les bataillons se fondent facilement et que leur effectif se trouve bientôt réduit par les maladies et les absents à divers titres ; mais il serait plus vrai de dire que les bataillons trop nombreux sont ceux qui se fondent vite, attendu que les soldats s'y trouvent moins surveillés, moins soignés ; attendu que l'esprit de corps y est moindre, l'action des chefs moins forte et moins prompte; attendu en un mot, que la constitution du bataillon de 1,000 hommes ne vaut pas celle du bataillon dont l'effectif est plus en rapport avec l'action que le commandant doit exercer, et qu'il cesse de conserver entière au-delà de certaines limites. »

Voilà, messieurs, quelle est l'opinion d'un homme dont personne ne récusera la compétence. Je pourrais vous faire dix, vingt citations semblables. Ces principes ont été posés par tous les hommes qui font autorité dans la matière; tous sont unanimement d'accord sur ce point.

Les principes qui dominent pour établir la force du bataillon sont les mêmes pour établir la force des différentes fractions de l'armée. Nous voyons que la force du bataillon ne peut dépasser 6 à 700 hommes; j'admets que, par économie, on porte la force de nos bataillons à huit cents hommes.

Combien de bataillons faudra-t-il alors pour encadrer nos 60,000 fantassins? 75 bataillons. Les hommes qui ont été appelés à faire la loi d'organisation ont trouvé que ce seraient des cadres trop nombreux pour les finances du pays, ils ont donné plus d'élasticité aux bataillons, les ont renforcés et les ont portés jusqu'à 900 hommes, afin d'avoir moins de cadres à solder, de sorte que nous n'avons que 65 bataillons pour encadrer nos 60 mille hommes ! Vous voyez donc, messieurs, que l'idée d'économie a été ici l'idée dominante.

Maintenant il s'agissait de répartir ces 65 bataillons dans le nombre de régiments requis par l'intérêt de la bonne administration, du bon ordre, de l'instruction, de la discipline. Dans tous les pays du monde on a reconnu que 3 ou 4 bataillons étaient tout ce qu'un colonel pouvait administrer, surveiller. Dans plusieurs Etats les régiments n'ont que deux bataillons ; nous avons pris la limite la plus élevée : 4 bataillons par régiment; le régiment d'élite en a même reçu 5. Comme nos bataillons sont plus forts que les bataillons ordinaires, il en résulte que nos régiments auront une force considérable, quand nous appellerons la réserve.

Une brigade doit se composer de 4 à 6 bataillons, nous avons formé les nôtres de deux régiments ou de 8 bataillons; de sorte que nos brigades auront une force extrêmement grande, trop considérable même, car partout on a reconnu qu'il fallait un général pour manier trois mille hommes, et nos brigades se composent de 7 à 8 mille hommes. Je pourrais citer plusieurs aimées, où des corps d'armée composés de plusieurs brigades n'avaient pas la force d'une seule de nos brigades, et c'est alors que les plus beaux faits d'armes ont eu lieu.

Deux brigades forment une division, nos huit brigades forment donc nos quatre divisions. Comme je viens de le dire, nos brigades étant plus fortes qu'elles ne le sont d'ordinaire, nos divisions ont une force beaucoup trop considérable. C'est encore par économie qu'on n'en a formé que quatre. Vous voyez donc qu'au point de vue de la tactique et des manœuvres, au point de vue de l'encadrement des troupes, il n'y a pas lieu de diminuer, mais plutôt d'augmenter le nombre de nos divisions.

Quand notre armée fut mise sur pied de guerre en 1839, un des généraux français qui avaient l'honneur d'en faire partie, me disait, en revenant de Paris, que le maréchal Soult avait fait remarquer qu'il ne comprenait pas qu'on eut donné autant d'extension à nos divisions, qu'il ne connaissait pas d'officier général capable de manier une force aussi considérable avec aussi peu d'intermédiaires, c'est-à-dire avec des cadres aussi faibles. Ce dont on nous accusait, ce n'était pas de prodigalité, c'était d'avoir mis trop de parcimonie à l'endroit des cadres.

Et cependant depuis lors nous avons poussé plus loin encore l'économie, nous avons fait cumuler aux commandants d'infanterie les commandements des divisions territoriales, bien que chacun de ces commandements exigeât tout le zèle, toute l'aptitude d'un chef spécial. Les commandements territoriaux ont pour objet la défense du pays, le maintien de l'ordre, la sécurité publique, la discipline militaire, la conservation des places fortes, des établissements militaires, des propriétés de l'Etat.

Dans tous les Etats de l'Europe, cette organisation existe sous des noms différents. On a dit que sous l'ancien gouvernement des Pays-Bas, les provinces méridionales ne formaient que trois divisions. C'est une erreur; elles en formaient quatre. Il est vrai que la Zélande y était comprise, mais par contre, le Luxembourg n'en faisait pas partie, appartenant à la confédération germanique. Ainsi cela se compensait. Si vous vous rendez compte de l'importance de chacune des divisions territoriales, vous comprendrez la nécessité de les maintenir telles qu'elles sont organisées. Comme ce sont les commandants d'infanterie qui commandent aussi ces divisions, alors que vous supprimeriez une division territoriale, vous ne feriez pas un centime d'économie, car je ne pense pas que personne puisse songer à diminuer le nombre de divisions d'infanterie.

Voici comment se composent les divisions territoriales : la première division comprend les deux Flandres. La population est de 1,500,000 habitants; elle contient sept places de guerre, trois grandes villes de garnison, sept dépôts de régiments, l'école d’équitation et plusieurs arsenaux renfermant de très grandes richesses. La deuxième division comprend les provinces d'Anvers et du Brabant : population, un million d'habitants ; cinq places de guerre et forts, parmi lesquels Anvers, qui est d'une si grande importance; huit villes de garnison, neuf dépôts de régiments, l’école militaire, l'école des enfants de troupe, les compagnies de discipline, l'arsenal de construction, la capitale.

Pour le dire en passant, le commandant de cette division territoriale est commandant d'une division d'infanterie, gouverneur de la résidence, aide de camp du roi et inspecteur général. Cet officier général remplit cinq fonctions importantes, qui dans tout autre pays nécessiteraient cinq personnes.

La troisième division comprend les provinces de Liège, du Limbourg et du Luxembourg: 825 mille habitants, quatre places de guerre, trois villes de garnison, quatre dépôts de régiment, les établissements les plus importants, la fonderie de canons, la manufacture d'armes, l'école de pyrotechnie, le camp de Beverloo, les pionniers, etc.

La quatrième division comprend les provinces de Namur et du Hainaut : 1 million d'habitants, huit places de guerre de première ordre, huit dépôts de régiment et le régiment du génie. Ce simple aperçu vous aura fait comprendre l'importance de ces divisions.

Mais cette importance s'augmente encore si l'on considère que chacun des commandants de nos divisions territoriales doit surveiller, étudier, et sauvegarder une longue ligne de notre frontière. L'organisation territoriale du pays se lie intimement avec l'organisation de l'armée et la défense générale du royaume, et les considérations que je viens de développer suffiront, je l'espère, pour vous démontrer l'impossibilité de supprimer une division et pour légitimer la formation et le maintien de nos quatre divisions militaires.

Quant à ce qu'on vous a dit relativement à l'artillerie, qu'on a trouvée trop nombreuse, les orateurs qui ont porté cette accusation contre l'artillerie ne se sont certainement pas rendu compte de l'importance de cette arme, du rôle prépondérant qui lui est réservé dans les prochaines guerres.

La force de l'artillerie ne se fixe pas plus arbitrairement que la force de l'infanterie. Il existe à cet égard des règles déterminées, des règles fixes. Ainsi, il est reconnu partout que la force de l'artillerie doit être de 3 à 4 pièces de canon par 1,000 hommes d'infanterie, de 4 pièces par 1,000 hommes de cavalerie. C'est l'opinion de Gassendi, de Decker, de Jomini, de Soult, de Napoléon, de tous les hommes enfin qui font autorité.

Cette proportion varie cependant dans certaines circonstances. Ainsi, quand on a une armée composée de jeunes soldats, il faut une artillerie plus nombreuse, il faut de fortes batteries pour les appuyer.

Cette proportion varie encore en raison du pays où l'on doit faire la guerre. On voit toujours au début de la guerre, quand les troupes n'ont pas été au feu, que la proportion de l'artillerie est plus nombreuse que dans les armées où il y a une infanterie et une cavalerie très aguerries, et que l'artillerie joue le principal rôle.

Au commencement des guerres de la révolution française, les premières batailles, celles de Valmy et de Jemmapes ont été qualifiées de canonnades, car dans ces affaires on ne se battit pour ainsi dire qu'à coups de canons.

Ce qui s'est passé l'année dernière en Italie vous prouve que l'artillerie joue le rôle le plus important au début de la guerre.

Sous les murs de Vienne également, vous avez vu une bataille entre les troupes autrichiennes et les Hongrois. Toutes les relations ont annoncé que cette bataille avait été un simple échange de coups de canon. C'est, je le répète, qu'au début de la guerre, l'artillerie joue toujours un grand rôle. Malheur à l'armée qui n'aurait pas en débutant une forte artillerie !

Cette arme a fait tant de progrès, a acquis tant de mobilité, tant de précision de tir, en un mot tout ce qui tient à cette arme a été si perfectionné, qu'elle est évidemment destinée à décider du sort des batailles et à modifier peut-être la tactique.

Je vous disais que, quand on a des troupes jeunes, il faut une nombreuse artillerie. Aux exemples que j'ai cités, je pourrais ajouter celui-ci : lorsque la vieille infanterie française fut restée dans les neiges de la Russie, l'empereur comprit si bien la nécessité d'augmenter l'artillerie dans la campagne de 1813 , qu'il en porta la proportion jusqu'à 5 pièces par 1,000 hommes d'infanterie, parce qu'il n'avait plus qu'une armée jeune, une armée de conscrits en quelque sorte.

Je vous disais encore que la situation topographique exerce une grande influence sur la force de l'artillerie. En effet, si l'on était appelé à faire la guerre dans un pays montagneux, accidenté comme la Suisse, on n'aurait pas besoin d'une artillerie nombreuse. Aussi l'organisation de l'armée suisse ne ressemble-t-elle nullement à la nôtre ; il serait ridicule à la Suisse d'organiser son armée sur le pied de la nôtre, comme il serait ridicule à nous d'organiser notre armée sur le pied de l'armée suisse.

La Suisse n'a besoin ni d'artillerie, ni de cavalerie destinées à se battre en plaine. Mais chez nous, c'est une condition essentielle, si essentielle que tous les auteurs s'accordent à reconnaître que, surtout en Flandre, il faut plus d'artillerie et de cavalerie qu'ailleurs. C'est l'opinion qu'exprime Napoléon lui-même dans ses mémoires.

C'est encore une nécessité pour nous, d'avoir une artillerie nombreuse, parce que nous avons des places fortes. Les forteresses ne se défendent pas sans artillerie, ou ne se défendent pas exclusivement avec de l'artillerie de siège ; elles ne peuvent se passer de batteries de campagne ; car une place ne se défend bien qu'au moyen de sorties. Qu'est-ce qu'une sortie, si ce n'est un combat en dehors de la ville? Il faut que les troupes soient appuyées par des batteries de campagne; il faut encore de l'artillerie de cette espèce pour se porter sur les points où l'exige la défense de la place. Plus (page 826) donc nous avons de places-fortes, plus il nous faut une artillerie de campagne nombreuse.

Mais voyons s'il y a exagération dans notre artillerie. Elle se compose de 19 batteries de campagne et de 24 batteries de siège; nos batteries d'artillerie sont formées de 8 pièces. Nos 19 batteries présentent donc une force de 152 pièces de canons; or 152 pièces de canon ne vous donnent que 2 pièces par 1,000 hommes.

Cependant, vous venez de voir que la proportion moyenne est de 3 à 4 par mile hommes d'infanterie et de 4 par mille hommes de cavalerie.

En Prusse, il y a 108 batteries de campagne, c'est-à-dire 861 canons de campagne. D'après la force des deux armées et la population des deux pays, l'artillerie belge devrait être dans la proportion d'un à trois, tandis qu'elle n'est que dans la proportion d'un à six. Elle est donc numériquement inférieure de moitié à ce qu'elle devrait être, comparativement à la Prusse.

En Hollande (l'honorable M. Osy invoque souvent ce qui se fait dans ce pays) Vous avez, comme en Belgique, 4 régiments d'artillerie, mais ces 4 régiments ont 48 batteries (les nôtres n'en ont que 43), dont 7 batteries à cheval (les nôtres n'en ont que 4); cependant la position de lz Hollande, au point de vue de la défense, est certainement beaucoup plus avantageuse que la nôtre.

La Hollande n'est pas ouverte de toutes parts ; elle est tellement bien fermée qu'il ne serait pas facile d'y pénétrer, je vous en réponds. Nonobstant, elle conserve une très forte artillerie et cependant elle possède une marine nombreuse, appropriée à la défense nationale, car elle a construit une grande quantité de chaloupes canonnières, armées de canons d'un fort calibre, qui peuvent naviguer sur les canaux et les fleuves et qui viendraient renforcer considérablement les effets de l'artillerie de terre.

Vous voyez donc encore que, loin de réduire l'artillerie, il y aurait plutôt lieu de l'augmenter.

On nous a dit que l'on pourrait réduire l'artillerie à 3 régiments, et supprimer l'état-major d'un régiment. L'économie serait bien faible; mais elle aurait de bien grands inconvénients.

L'artillerie a été répartie en 4 régiments, dans l'intérêt de l'instruction, de la discipline et de la surveillance d’un matériel d'une immense valeur.

Un régiment d'artillerie a autant de chevaux qu'un régiment de cavalerie, et a beaucoup plus d'hommes. Outre cela il a un matériel considérable.

Son service est nécessairement plus compliqué que celui des autres armes, puisque, outre l'instruction du fantassin et du cavalier, l'artilleur doit apprendre le service spécial de son arme en campagne, l'attaque et la défense des places, la confection de toutes les munitions pour l'infanterie et la cavalerie, pour l'artillerie même.

Ainsi, augmenter la charge des colonels, ce serait vouloir qu'ils négligeassent la plus grande partie de leur service. Au lieu de progresser, cette arme déclinerait. Cependant l'artillerie est une arme de progrès, qui doit faire des progrès ou tomber à rien. Voilà pourquoi on a fait la répartition entre 4 régiments. On ne pourrait supprimer un régiment sans désorganiser l'artillerie.

Messieurs, on a critiqué aussi l'organisation de la cavalerie. Je puis vous donner également des renseignements qui justifieront toutes les mesures qui ont été prises pour organiser la cavalerie telle qu'elle l'est. Dans aucun Etat de l'Europe on n'a besoin d'une cavalerie aussi forte qu'en Belgique. Car la Belgique est un pays de plaine, qui ne pourrait se défendre qu'avec le secours de la cavalerie combine avec celui de l'artillerie. Il serait impossible qu'une armée pût opérer en Belgique, si elle n'était éclairée et gardée par une cavalerie bien organisée et par une cavalerie forte. Tout le monde sait que la cavalerie ne s'improvise pas, qu'on ne peut du jour au lendemain créer des escadrons cl des régiments de cavalerie.

Je vous ai dit tout à l'heure, en vous parlant des rapports des différentes armes entre elles, que la cavalerie devait être le cinquième de la force de l'infanterie. Chez beaucoup de puissances elle et même du quart et du tiers. En Belgique savez-vous quelle est la proportion? La cavalerie est le neuvième de l'infanterie. Ainsi, nous sommes encore restés en dessous de ce qu'elle devrait être.

L'escadron est l'unité de force dans la cavalerie, comme le bataillon est l'unité de force dans l'infanterie. Un escadron au-dessus de 140 à 160 chevaux n'est plus maniable. On ne peut donc dépasser cette force. Vouloir diminuer le nombre d'escadrons pour supprimer quelques officiers, ce serait paralyser les escadrons que l'on conserverait, parce que du moment qu'on les mettrait sur le pied de guerre, ils ne pourraient plus faire les manœuvres nécessaires.

On vous propose encore de supprimer un régiment de grosse cavalerie et de réunir en un seul les deux régiments de cuirassiers.

On ne se rend pas bien compte de la différence du service imposé à la cavalerie légère et du service imposé à la grosse cavalerie.

L'honorable M. Osy, et d'autres membres de cette assemblée, insistent sur cette réunion, je pense, des deux régiments de cuirassiers en un seul. Ce serait rendre ce régiment complètement impropre à faire la guerre. Car un régiment de cuirassiers de cette force serait à peine maniable et d'une telle lenteur de mouvements, qu'il perdrait toute action.

On a mis moins d'escadrons dans les régiments de grosse cavalerie, parce que ces régiments ne fournissent aucun détachement en campagne; ils ne font pas les services d'avant-postes; ils ne détachent pas d'escadrons dans les divisions d'infanterie. Ils ne pourraient faire ce service, parce qu'ils seraient immédiatement anéantis par la fatigue. C'est une arme qui a besoin de beaucoup de soin, qui demande à n'être employée qu'au moment décisif d'une bataille. La cavalerie légère a plus d’escadrons, parce qu’elle doit en détacher pour le service des avant-postes, pour le service des divisions. Voilà pourquoi il y a une différence dans l'organisation de ces armes.

Messieurs, la base de notre organisation est conforme aux principes de tous les hommes de guerre compétents. Ainsi, je pourrais vous citer l'opinion du grand Frédéric, de Napoléon, de Jomini, du général Oudindt, de tous les hommes qui font autorité en cette matière.

Je crois que ces considérations suffiront pour démontrer qu'il n'est pas possible de modifier l'organisation de notre cavalerie, qu'il faut la conserver telle qu'elle est, que l'on est en quelque sorte arrivé à la dernière limite des réductions dans la formation des armes spéciales.

L'honorable M. Osy vous a fait encore d'autres observations.

Immédiatement après que je venais de vous expliquer comment la réduction de la première mise du soldat ne léserait pas ses intérêts, l'honorable M. Osy qui veut des économies, est cependant venu critiquer cette économie. Véritablement je ne sais ce qu'il faut faire pour satisfaire l'honorable M. Osy. Quand on fait des économies, il les critique; quand on n'en fait pas, il vous attaque ; de sorte que c'est à ne pas comprendre ce qu'il désire.

Je venais d'expliquer comment le soldat ne serait pas lésé par cette économie. Je n'avais pas même tout dit, parce que je n'aime pas à faire valoir les mesures que je prends. Mais je dirai plus aujourd’hui, je crois que la position du soldat sera améliorée. Ainsi on portait au compte du soldat des objets qui n'étaient nullement usés, qui ne pouvaient lui être d'aucune utilité, son service militaire terminé, et qu'il emportait avec lui. Je citerai le havresac. Un soldat reste 18 mois au corps; il dépose son havresac et retourne chez lui. Quand son temps de service est terminé, on le force à reprendre ce havresac pour une valeur de 10 ou 12 francs selon le prix d'adjudication. Eh bien, cet objet vaut encore 8 ou 9 fr. Le soldat, qui ne sait quel usage en faire, le donne pour 60 centimes au fripier du coin. Aujourd’hui l'Etat le reprendra pour sa valeur, et il le remettra pour le même prix à un des miliciens de la nouvelle levée. Je pourrais vous citer d'autres parties d'équipement pour lesquelles des mesures analogues ont été prises. Vous voyez donc que le compte de chaque milicien sera diminué quand il viendra sous les armes, et que celui du soldat qui partira sera moindre.

Ainsi, au lieu de demander aussi souvent de l'argent aux soldats pour apurer leur compte, il arrivera que plusieurs auront du boni à leur masse.

Que l'honorable M. Osy se rassure donc; qu'il soit certain que lorsqu'il s'agira d'améliorer la position du soldat, je ne négligerai rien, et que ce ne sera pas moi qui ferai peser sur le soldat une dépense inutile, Car j'ai autant à cœur ses intérêts que qui que ce soit.

On a parlé du crédit demandé pour la citadelle de Diest. On a dit que les autres années ce crédit était de 400 mille francs, et que si cette année il n'était que de 300 mille francs, la différence de cent mille francs n'était qu'une dépense ajournée. Mais le gouvernement n'a-t-il pas commencé par porter des sommes beaucoup plus considérables au budget? Je ne porterai pas 400 ni 500 mille francs l'année prochaine pour cet objet; je conserverai le chiffre de 300 mille francs. Plus tard ce chiffre sera encore réduit; il finira par disparaître entièrement. Il ne s'agit donc pas d'une aggravation de dépenses futures, comme on a eu l'air de le dire, mais d'une diminution prochaine.

Il est une autre question que l'honorable M. Osy m'a faite.

Il m'a demandé de prendre l'engagement de ne plus imputer aucune espèce de dépense sur le crédit de 9 millions qui m'a été alloué. Messieurs, si j'avais le projet de faire de nouvelles dépenses sur ce crédit, si même j'avais eu l'intention de l'employer entièrement, il est évident que j'aurais pu le faire depuis longtemps ; il était à ma disposition ; je pouvais le dépenser, je ne l'ai pas fait. J'ai été heureux d'avoir pu laisser plus de 2 millions disponibles sur ce crédit. Bien évidemment, c'est que j'ai l'intention de ne pas disposer de cette réserve, à moins d'événements extraordinaires. S'il se présentait des dangers imprévus pour le pays, afin de ne pas venir vous demander de nouveaux fonds, je prélèverais sur ce crédit ce qui serait nécessaire pour faire face aux éventualités; mais, dans tout autre circonstance, je prends bien volontiers l'engagement de le laisser entièrement disponible.

L'honorable M. Osy vous a encore parlé des dépenses qu'on avait faites sur la masse des régiments. Un règlement d'administration a prévu de quelle manière cette masse devait être administrée. Je ne conteste pas que l'honorable M. Osy a eu raison de dire qu'à certaines époques cette masse avait été mal administrée, c'est-à-dire qu'on avait payé sur cette masse des dépenses qui auraient dû être payées sur d'autres fonds. Pour ne pas solliciter de nouveaux crédits de la législature, on a couvert quelques dépenses de cette manière. C'était un tort. Ce tort ne pourra plus se renouveler, parce que je soumettrai à la signature du Roi un arrêté qui déterminera que toutes les dépenses autres que celles prévues par le règlement d'administration, et qui pourraient être payées sur la masse, devront être faites en vertu d’un arrêté royal qui sera inséré au Moniteur. On aura ainsi la garantie que, ni dans le présent ni dans l'avenir, personne ne pourra plus prélever la moindre somme sur cette masse pour dépenses non autorisées par le règlement d'administration.

Messieurs, il me reste encore deux mois à dire, relativement à l'inspecteur général du service de santé, que l'honorable M. Osy a accusé de recevoir des traitements de quatre ministères. Il faut que je vous explique comment la chose s'est faite, car véritablement c'est une accusation assez grave qui pèserait sur la conduite de ce chef de service.

Par mesure d'économie, mes collègues de différents ministères ont (page 827) employé M. l’inspecteur général du service de santé à certaines missions. Ainsi mon collègue de la justice lui a fait remplir les fonctions d'inspecteur du service sanitaire des prisons. Il ne reçoit de ce chef aucun traitement , mais on lui paye des frais de route. Ainsi, quand le typhus régnait dans les prisons et dans les Flandres, mou collègue de la justice et mon collègue de l’intérieur ont chargé l'inspecteur général du service de santé d'examiner ce qui se passait, de prendre les mesures nécessaires pour combattre le fléau, et naturellement les deux ministères lui ont payé des frais de route.

Il est évident qu'il ne pouvait pas remplir ces missions à ses frais, car indépendamment des dangers qu'il y avait à courir et qui ne l'ont jamais fait reculer, au-devant desquels il a toujours su aller; indépendamment de ces dangers, il y avait des dépenses à faire et ces dépenses il fallait bien l'en indemniser.

Quant aux 10 p. c. sur les médicaments délivrés par le département de la guerre, ce qui semblerait une énormité, voici, messieurs, ce qui a eu lieu. Il a été convenu, encore par mesure d'économie, que la pharmacie centrale du département de la guerre fournirait au département de la justice les médicaments nécessaires aux prisons, parce qu'il pouvait les fournir à meilleur marché; mais comme ce service exige une comptabilité et une correspondance étendues, le département de la justice a décidé qu'une indemnité de frais de bureau équivalant à 10 p. c. du prix des médicaments fournis, mais ne pouvant jamais dépasser 1,500 fr., serait accordée à l'inspecteur du service de santé.

On a été relever à la Cour des comptes les frais de route que M. l'inspecteur général da service de santé a reçus pour les différentes missions dont il a été chargé par le département de la guerre, par le département de la justice et par le département de l'intérieur, en 1847, lorsque le typhus a régné dans l'armée, dans les prisons et dans les Flandres. Il est naturel qu'on soit arrivé de cette manière à un traitement assez élevé, mais ce n'est pas là un cumul. Du reste, M. l'inspecteur-général du service de santé ne tient nullement à ces missions en dehors du service militaire, et plusieurs fois il a écrit au département de la guerre pour en être déchargé, tant il y trouvait peu d'avantage. Toutefois afin de faire cesser toutes réclamations, je viens d'adopter une nouvelle mesure.

M. l'inspecteur-général du service de santé a très bien compris que, dans l'intérêt de l'Etat, il ne pouvait pas abandonner les fonctions extraordinaires dont il s'agit, puisqu'il faudrait alors en charger d'autres titulaires, ce qui entraînerait une dépense beaucoup plus considérable, mais il a été arrêté que toutes les missions que mes collègues auront à lui confier, seront ordonnée par moi; de cette manière il y aura régularité parfaite et cet abus qui a été signalé, mais qui n'en est pas un en réalité, disparaîtra complètement.

L'honorable M. Thiéfry a également critiqué plusieurs parties de notre administration; il a prétendu que l'instruction de notre armée était insuffisante, que les miliciens restaient trop peu de temps sous les armes. Il vaudrait certainement mieux que nous pussions conserver les miliciens plus longtemps sous les armes; mais enfin ils y restent pendant 18 mois, ce qui est un temps suffisant, à la rigueur. Je vous ai rendu compte hier, prévoyant l'objection, d'une mesure que j'ai prise et qui améliorera beaucoup l'instruction de l'armée; elle consiste à faire passer aux miliciens 3 au 5 mois de l'année au camp. Je prétends que l'organisation de l'armée et le temps que les miliciens passent sous les drapeaux, sont suffisants pour le rôle que notre armée a à remplir, et cette question a été traitée, il n'y a pas si longtemps encore, à la tribune française, où l'on a proposé une organisation analogue à la nôtre, c'est-à-dire le renvoi des soldais en congé et la conservation des cadres. Ce sont les bases du projet d'organisation de M. le général de Lamoricière.

Il a été reconnu que, lorsque l'armée n'est pas appelée à faire des guerres de conquêtes, à porter la guerre au loin, sous divers climats, il n'est pas nécessaire d'avoir des soldats qui ont passé de nombreuses années sous les armes; que lorsque l'armée n'a à soutenir qu'une guerre défensive, on peut parfaitement se contenter de soldats qui n'ont passé qu'un an ou 18 mois sous les armes.

Remarquez, messieurs, quelles sont les nations qui conservent longtemps les soldats sous les drapeaux : C'est la Russie, l'Angleterre et la France; chez toutes les autres nations vous voyez un système analogue au nôtre; les soldats n'y restent pas plus longtemps en activité de service que chez nous et quelquefois ils y restent moins de temps. Je citerai la Hollande, la Bavière, la Saxe, la Prusse, la Sardaigne. En Prusse le soldat ne reste qu'un an sous les armes. On disait tout à l’heure trois ans ; c'est une erreur. Le soldat appartient pendant cinq ans à l'armée, mais il ne reste qu'un an sous les armes. En Belgique le soldat appartient à l'armée pendant huit ans, et il reste 18 mois en activité. Or personne ne pourra dire qu'en 1813 l'armée prussienne n'a pas donné des preuves d'une bonne organisation.

En Piémont il y a une organisation analogue à la nôtre, et il me semble que l'armée piémontaise vient de prouver qu'elle est assez bien organisée, qu'elle pouvait même à l'occasion prendre l'offensive ; car enfin elle vient de jouer un rôle offensif et elle ne s'en est pas trop mal tirée. Elle a lutté avec une certaine gloire contre l'une des meilleures armées de l’Europe.

L'honorable M. Thiéfry disait encore que le tiers de nos soldats n'ont pas reçu l'instruction nécessaire. Messieurs, cela était vrai il y a quelques temps, avant la mesure qui a été prise de ne plus incorporer aucune classe de la milice sans l'instruire immédiatement. Aujourd'hui dès qu'une classe a tiré au sort, les hommes sont incorporés, appelés sous les drapeaux et soumis aux exercices, tandis que précédemment ils restaient pendant deux ans dans leurs foyers avant de recevoir la moindre instruction.

Une autre objection de M. Thiéfry consiste à dire qu’une fois que le milicien est envoyé en congé, il oublie ce qu’il a appris et que si ces hommes étaient rappelés sous les drapeaux, ils jetteraient la perturbation et l’indiscipline dans les rangs, qu'ils occasionneraient des terreurs paniques. L'honorable membre a rappelé ce qui s'était passé à, cet égard dans les .guerres de la république française : le massacre du général Dillon par ses soldats. Si l'honorable M. Thiéfry se rendait compte de ce qui se passe dans notre armée, il reconnaîtrait que cette crainte est complètement dénuée de fondement. Nous avons fait plusieurs fois l'expérience du rappel de nos classes en réserve et, chaque fois, cette expérience a démontré la bonté de notre système. Ainsi, en 1830, lorsque nous avons appelé la réserve tout entière, tous les hommes sont arrivés avec le plus grand empressement. Je me rappelle que j'avais l'honneur de commander une partie de ces troupes au camp de Beverloo; nous avons été visités par des officiers français et ils nous ont dit que depuis le camp de Boulogne, ils n'avaient pas vu de plus belle armée. Aussi, tous les officiers qui en faisaient partie éprouvaient le plus vif désir de commencer les hostilités, tant cette armée était animée d'un admirable esprit, bien organisée, et tant ces miliciens, qu'on vous représente comme ignorants et indisciplinés, leur inspiraient de confiance.

L'année dernière, après les événements de février, n'ai-je pas immédiatement rappelé plusieurs classes de milice? Tous ces hommes ne sont-ils pas arrivés avec un empressement admirable ? Il n'y a pas eu un retardataire. Et ces hommes n'ont-ils pas prouvé encore qu'ils étaient animés d'un admirable esprit, et que, comme instruction, ils étaient à la hauteur de ce qu'on peut attendre d'eux.

Enfin, le grand grief articulé par l'honorable M. Thiéfry contre notre organisation militaire, c'est que nous ne pourrions pas réunir plus de 60 mille hommes sous les armes; que les 80 mille hommes sur lesquels nous comptons sont une illusion, et que, lorsque nous pourrions réunir ces 80 mille hommes, nous ne pourrions pas trouver assez d'officiers et de sous-officiers pour compléter les cadres nécessaires.

C'est encore une grande erreur. Si l'honorable M. Thiéfry connaissait mieux notre armée et les ressources qu'elle offre, il aurait été convaincu que le gouvernement à cet égard n'éprouverait aucun embarras.

Notre armée a été pendant un certain temps de 112,000 hommes présents sous les armes; nous avions tous les cadres nécessaires. Et cependant à cette époque l'école militaire n'avait pas reçu les développements qu'elle a reçus depuis; les écoles régimentaires étaient à peine créées; l'école des enfants de troupe, qui sera une si bonne pépinière de sous-officiers pour notre armée, n'existait pas.

Quant au chiffre de 80,000 hommes, il est vrai que, transitoirement, nous avons perdu une classe de milice par une modification que vous avez apportée en 1847 à la loi sur la milice. Mais, messieurs, vous vous rappelez que dans la discussion, il a été bien entendu qu'en cas d'événements, le gouvernement pourrait retenir la classe dont le terme de service était expiré, à l'effet de compenser cette perte. Aussi, qu'est-il arrivé l'année dernière? c'est qu'immédiatement après les événements de février, une classe pouvait être licenciée; mais comme je prévoyais que nous pourrions avoir besoin de cette classe, je me suis bien gardé de la licencier, et je dois le dire encore à l'honneur du pays, pas une réclamation ne m’est parvenue contre cette mesure, pas un homme n'a réclamé.

Messieurs, pour vous donner une idée de la facilité avec laquelle on pourrait compléter les cadres, je dirai qu'après les événements de février, j'ai eu, en quelques jours, 34,000 hommes environ, présents sous les armes. J'avais encore deux anciennes classes de la réserve, et une nouvelle classe non exercée, et qui l'a été l'année dernière Ces hommes sont arrivés, et tout le monde a pu voir de quelle manière ils ont fait le service.

Prévoyant que je serais peut-être obligé de rappeler toutes les classes, j'ai fait un travail préparatoire pour compléter les cadres. Je n'ai pas trouvé un instant d'embarras pour les remplir complètement, tant il y a de ressources dans l'armée pour créer d'excellents officiers et de bons sous-officiers.

J'avais même formé un bataillon supplémentaire avec la plus grande facilité.

Dans les anciennes classes, il y a une quantité de jeunes gens qui ont toute l'aptitude nécessaire pour faire d'excellents sous-officiers, mais qui n'ont pas voulu le devenir durant leur temps de milice, parce qu'ils n'avaient pas une assez grande perspective d'avancement. Ils seraient enchantés, en cas de guerre, au moment où ils seraient rappelés sous les armes, d'accepter les galons de sous-officier. Ainsi donc, il n'y a aucune inquiétude à avoir à cet égard.

Messieurs, ces considérations suffiront, je pense, pour vous démontrer que toutes les propositions de réduction qui vous ont été faites, sous prétexte d'économies, vous entraîneraient bien plutôt à une augmentation de dépense, si elles étaient acceptées; car vous n'auriez pas plus tôt sanctionné ces propositions que vous sentiriez immédiatement la nécessité de reconstituer l'armée; vous vous apercevriez que l'armée n'est plus en état de remplir sa mission, que vous avez jeté la perturbation dans le service et que le pays est exposé à tous les hasards de l'avenir.

Vous réorganiseriez donc ce que vous auriez détruit, et pendant cette période de réorganisation, période toujours critique, si nous étions surpris par quelque commotion intérieure ou extérieure, où serait notre point d'appui?

Nous jouissons en ce moment d'un certain calme ; mais l'année dernière, (page 828) à l'époque du la discussion du budget de la guerre, ne jouissions-nous pas d'un calme plus grand encore ? L'honorable M. Osy proposait alors aussi des réductions; eh bien, si nous les avions acceptées, ou en serions-nous aujourd'hui? Nous n'aurions pas pu faire face aux événements. J'ai pu voir par moi-même tous les embarras que nous aurions éprouvés.

Messieurs, n'oublions pas qu'après les jours de calme viennent quelquefois des jours d'orages, et pour alléger le navire, ne jetons pas à la mer notre ancre de salut.

Avant de mutiler notre armée, songeons aux services qu'elle a rendus, à ceux qu'elle peut rendre encore et qu'elle rendra certainement.

Une trop grande sécurité a été parfois fatale à des nations ; l'histoire abonde en exemples de peuples cruellement éprouvés pour avoir eu trop de sécurité; et que la chambre me permette de lui citer, à cet égard, un fait qui s'est accompli dans un pays voisin et qui a beaucoup d'analogie avec ce qui se passe aujourd'hui parmi nous.

Chacun sait que les Provinces-Unies ne parvinrent à s'affranchir du joug de la domination espagnole, qu'après une lutte héroïque, qui dura pendant quatre-vingt ans. Mais enfin, en 1648, il y a précisément 200 ans, les Provinces-Unies furent reconnues comme Etat libre et indépendant par le traité de Munster.

Eh bien, l'indépendance nationale ne fut pas plutôt accomplie que deux partis se formèrent, le parti républicain qui voulait un gouvernement à bon marché, qui voulait des économies, la réduction de l'armée, la réduction des dépenses de la diplomatie ; le parti orangiste qui voulait un pouvoir fort. Ce pouvoir il voulait le confier au prince d'Orange, qui avait rendu d'immenses services à l'indépendance nationale, en le nommant stathouder ; il voulait la conservation de l'armée et de la diplomatie et de tous les services publics. Le parti républicain l'emporta: il faillit conduire la Hollande à sa ruine. Le prince d'Orange, qui comprenait qu'au maintien de l'armée sur un pied respectable était attaché le salut du pays, fit des efforts énergiques pour sauvegarder tes institutions militaires. Rien de plus curieux et de plus intéressant que cette période de l'histoire de la Hollande ; les luttes qui eurent lieu au sein des Etats Généraux et dans le pays, ressemblent en quelques points à ce qui se passe dans notre pays et dans notre parlement.

En lisant récemment ces pages de l'histoire de la Hollande, j'étais frappé des rapports que je trouvais entre ce qui se passait alors en Hollande et qui se passe aujourd'hui en Belgique. A la fin de la guerre, l'armée hollandaise comptait 50 mille fantassins et sept mille chevaux. Immédiatement après le traité de Munster, elle fût réduite à 30 mille fantassins et 4,400 chevaux. Les Etats de Hollande ne furent pas satisfaits de cette réduction, et les Etats-Généraux votèrent une nouvelle réduction de 1,800 hommes, ce qui réduisit l'armée à 29,200 hommes. Cette mesure ne satisfit pas encore les Etats de Hollande ; ils réclamèrent des réductions plus radicales; des députés formulèrent même un système d'organisation et demandèrent la suppression de plusieurs emplois de généraux, celle de lieutenants-colonels, le licenciement de 55 compagnies, la réduction de la moitié de la cavalerie, etc., etc.

Ces propositions équivalent à peu près à celles de l'honorable M. Osy, qui vous demande la suppression d'une division et de plusieurs autres choses.

Le prince d'Orange vint démontrer que l'adoption de ces propositions entraînerait la désorganisation de l'armée; une longue discussion eut lieu. Cette fois cependant la majorité soutint le prince d'Orange, elle ne donna pas gain de cause à l'opposition. Mais de son côté, l'opposition ne se considéra pas comme battue ; elle revint sans cesse à la charge, si bien qu'en 1650, d'après un état de situation fourni par le prince d'Orange aux Etals-Généraux, l'armée se trouva réduite à 20,000 hommes d'infanterie. Ce prince démontra que, réduite au point où elle l'était, il était impossible à l'armée de faire face aux événements qui pouvaient surgir et aux besoins du service. Une longue lutte s'engagea, des chiffres furent débattus, et peut-être le prince d'Orange aurait fini par avoir gain de cause, lorsque malheureusement la mort vint le saisir. Sa mort fut le signal de nouvelles réductions dans l'armée ; personne n'avait assez d'autorité pour résister à l'entraînement. Qu'en résulta-t-il? L'armée fut d'abord réduite à 25 mille hommes.

La Hollande qui mettait en première ligne le souci des affaires d'argent, disent les historiens, et qui voulait se remettre des sacrifices qu'elle avait faits pendant la guerre, fil prévaloir le principe de nouvelles réductions.

On supprima plusieurs emplois d'officiers généraux, on diminua les cadres, on licencia des régiments, de sorte que l'armée ne fut bientôt qu'un corps sans direction, sans confiance en lui-même, dont l'indiscipline et l'ignorance ne tardèrent pas à s'emparer.

Le grand pensionnaire Jean de Witt, peu au fait des services militaires, ne fit rien pour régénérer l'armée. Le parti républicain dont il était le chef, s'opposa constamment aux propositions qui furent faites pour reconstituer l'armée; les idées d'économies étaient à l'ordre du jour dans le pays mal éclairé; aussi cette politique hostile à l'organisation de l'armée, prévalut-elle et elle obtint la sanction de la majorité des Etats-Généraux jusqu'au moment où le danger, dessillant tous les yeux, amena une terrible réaction.

Louis XIV avait employé son habile diplomatie à conclure des alliances et à miner celles de la Hollande. Jean Dewitt, au contraire, mal renseigné par ses ambassadeurs peu payés et que les provinces unies laissaient sans argent, disent encore les historiens, ne sut rien de ce qui se passait ; si bien qu'il ignora complètement les intrigues et le danger qui menaçaient son pays.

Dewitt, trop confiant dans les traités, se persuadait d'ailleurs que les Provinces Unies avaient peu de chose à craindre. Il eut le tort de compter sur les alliances étrangères et sur l'intérêt des autres puissances à défendre son pays plus que sur l'armée.

Il ne fit pas assez attention que les alliances reposent sur des intérêts qui peuvent changer du jour au lendemain, tandis que l'armée est un élément certain dont on a la libre et perpétuelle disposition, un élément qui ne fait pas défaut.

Sa sécurité fut si grande enfin que la Hollande vendait des armes et des munitions aux Français.

Tout cela ne ressemble-t-il pas un peu à une page d'histoire contemporaine?

Il fallut enfin ouvrir les yeux. Louis XIV venait de déclarer qu'il agirait à l'égard de la Hollande en vue de ses intérêts et de sa gloire. La Hollande comprit alors l'immense faute qu'elle avait commise en désorganisant son armée; elle comprit le danger qui la menaçait.

Elle voulut aussitôt reconstituer son état militaire ; le fils du prince d'Orange fut immédiatement nommé capitaine général; on voulut créer des généraux, des officiers, des régiments ; on fit des levées de troupes; mais malheureusement il n'existait plus de généraux habiles, d'officiers instruits, d'esprit de corps, de discipline, d'instruction militaire, et rien de tout cela ne s'improvise; aussi rien ne fut prêt au moment décisif.

L'armée française s'empara sans coup férir des provinces de la Gueldre, d'Utrecht et d'Overyssel; elle pénétra jusqu'au cœur de la Hollande.

L'armée hollandaise indisciplinée, mal commandée, se retira presque sans combattre et perdit le renom et le prestige qu'elle s'était acquis pendant la guerre de l'indépendance.

Les places fortes mal entretenues, commandées par des fils de bourgmestres à défaut d'officiers habiles, disent toujours les historiens, se rendirent honteusement, bien que réputées les plus fortes du monde !

La Hollande subit alors des exactions si affreuses que toute l'Europe s'en émut. Pour arrêter la marche des Français, elle n'eut d'autre ressource que de couper ses digues et d'inonder le pays. Ce seul désastre enfin lui coûta plus qu'elle n'aurait dépensé pour entretenir perpétuellement une armée qui l'aurait mise à l'abri d'une aussi grande calamité.

Enfin, messieurs, pour qu'il ne manquât aucune honte, aucune douleur à cette époque qu'on peut considérer comme une époque de décadence pour la Hollande, le peuple aveuglé se porta aux plus sauvages excès et Jean Dewitt et sou frère Corneille furent massacrés par la populace.

Messieurs, je n'ai évoqué ce souvenir historique que parce que j'ai cru qu'il pouvait nous fournir d'utiles enseignements.

En effet, il nous montre que les traités ne protègent pas toujours les petites puissances, qu'il ne faut pas trop compter sur les autres pour nous défendre, et qu'une bonne armée est le meilleur soutien des petits Etats, parce qu'elle résiste au moins assez longtemps pour donner aux voisins qui y ont intérêt le temps de se déclarer contre le conquérant.

Les armées ont encore un autre rôle à jouer. L'année dernière je vous expliquais quel était ce rôle des armées, et si je ne craignais d'abuser de de vos moments, je vous rappellerais ce que je disais.

- Plusieurs voix. - Parlez ! parlez !

Eh bien, je demande la permission de faire encore cette citation, parce que mes paroles ont été en quelque sorte prophétiques : Voici ce que je disais :

« Le rôle des armées se borne-t-il à défendre les frontières, à maintenir l'intégrité du territoire, à faire respecter la dignité nationale?

« Les armées n'ont-elles pas encore une autre mission à remplir ?

« Si, au point de vue de la défense extérieure, du maintien de l'indépendance, de la neutralité et de l'honneur national, une armée est indispensable à la Belgique, l'est-elle moins pour le maintien de l'ordre public à l'intérieur, pour le développement et la conservation de nos institutions et de nos libertés ?

« Dans les pays qui jouissent d'une grande liberté, où chacun peut exprimer son opinion, la proclamer du haut de la tribune, la publier, la répandre, la propager par la presse, où chacun peut prêcher et professer les doctrines les plus contradictoires, et quelquefois les plus fatales, si elles étaient prises au sérieux, préconiser des utopies subversives de tout ordre social, ne serait-il pas à craindre que ces théories, ces doctrines, ces utopies ne se traduisissent en faits violents, si une armée forte et disciplinée, calme et modérée, mais énergique et dévouée à ses devoirs et au pays, n'était pas toujours prête à prévenir et à réprimer toute action désordonnée ou oppressive ? »

Messieurs, j'aborde une question délicate, et cependant je n'éprouve aucun embarras à m'expliquer devant vous, parce que je vous parle avec la conviction d'un homme dévoué aux idées d'ordre, de progrès et de liberté, dévoué à tout ce qui peut être utile au pays.

Eh bien ! messieurs, je dis qu'à une époque où presque tous les liens moraux ont perdu la plus grande partie de leur force, où la foi politique, où la foi religieuse n'ont plus la puissance de persuasion nécessaire pour guider et contenir des populations, trop peu éclairées encore pour ne pas être induites en erreur par de fausses lueurs, par des excitations, des espérances, des promesses ou des menaces fallacieuses, surexcitées quelquefois aussi par des douleurs réelles; je dis qu'il n'y a guère qu'une armée ferme et solide qui puisse prévenir efficacement une explosion et empêcher la société de tomber dans la confusion, dans le chaos de l'anarchie.

Lorsque l'armée est faible au contraire, sans énergie ; lorsqu'elle n'inspire ni respect, ni confiance en sa force et dans sa puissance d'action, on voit presque toujours, et l'histoire de ce qui se passe dans d'autres pays (page 829) nous le prouve, on voit les discussions dégénérer en luttes, les partis s'opprimer tour à tour, s'abandonner à la violence, se faire justice à eux-mêmes avec tout l'emportement de l'exaltation ou du fanatisme ; on voit les mauvaises passions déchaînées triompher souvent, les arguments de la force aveugle et brutale se substituer à ceux de la raison, et le désordre, la misère et l'anarchie succéder à la modération , à la prospérité et à la paix.

Je dis plus encore, messieurs, je dis que les libertés mêmes qui vous sont légalement garanties et dont vous êtes si justement fiers et heureux, seraient dangereuses, dans certaines circonstances, sans une armée forte et régulière, et qu'au contraire sous cette égide protectrice, vous pouvez les développer, les discuter, les augmenter, sans crainte et sans péril.

Car, remarquez-le bien, messieurs, le rôle des armées n'est pas exclusivement un rôle coercitif, c'est surtout et heureusement un rôle préventif, et c'est leur plus beau rôle ; mais elles ne peuvent le conserver qu'autant qu'elles soient fortes et bien organisées.

En effet lorsqu'une armée est dans ces conditions, elle enlève tout espoir aux mauvaises passions ; elle contient par sa seule présence tous les projets violents, et les empêche de naître ; elle fait échouer sans avoir besoin d'agir, par le seul fait de son existence , toute action désordonnée.

Les derniers événements que nous venons de traverser n'ont-ils pas encore élargi le rôle des armées? n'en ont-ils pas fait sentir plus vivement encore la nécessité? Sans les armées, sans leur énergie, sans leur dévouement n'est-il pas à croire qu'une partie de l'Europe serait peut-être tombée aujourd'hui dans l'anarchie, dans la confusion la plus complète ? Dans ces derniers temps, on a semé à pleines mains, on a jeté à tous les vents, les germes les plus funestes, les doctrines les plus pernicieuses. Un des moyens les plus sûrs d'empêcher ces germes d'éclore, ces doctrines de porter de mauvais fruits, c'est d'avoir une armée ferme, dévouée, solide, capable de prévenir et de réprimer au besoin toute action violente et désordonnée, une armée enfin telle que vous la possédez aujour-4'hui.

C'est donc au nom des intérêts les plus précieux du pays que je vous demande de repousser les propositions qui vous ont été faites et de maintenir la loi d'organisation que vous avez votée il y a trois ans, loi que vous avez votée avec connaissance de cause, quoi qu'on en dise, et dans un esprit de sage et patriotique prévoyance.

- La discussion est continuée à demain.

La séance est levée à 5 heures et un quart.