Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 30 novembre 1855

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 113) M. Ansiau fait l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. Maertens lit le procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Des cultivateurs et éleveurs du canton de Puers prient la Chambre de voter les fonds nécessaires à l'entretien, au haras de l'Etat, d'un nombre d'étalons suffisant pour maintenir les stations qui existaient précédemment dans la province d'Anvers. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.


« Le sieur Belot, pharmacien à Namur, demande que la position des pharmaciens militaires soit améliorée. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Despeghel réclame l'intervention de la Chambre pour que son fils Amand soit exempté du service militaire. »

- Même renvoi.


« Des cultivateurs à Zarren demandent que le sieur Pierre Winne, vétérinaire non diplômé, soit autorisé à continuer l'exercice de sa profession. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Burght demande le rétablissement du service de bateaux à vapeur entre Anvers et Tamise, soit par le gouvernement, soit au moyen d'un subside qui serait accordé à la société Vander Elst. »

- Même renvoi.


« Plusieurs cultivateurs à Coolscamp et dans les communes environnantes demandent que les artistes vétérinaires non diplômés puissent continuer l'exercice de leur profession. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Godveerdegem demande l'établissement d'un chemin de fer de Gand à St-Ghislain, par Sottecgem, Ath, Villerot, avec embranchement sur Grammont. »

- Même renvoi.


« Le sieur Kannegiesser, commissaire de police à Verviers, demande qu’il soit alloué un traitement spécial aux commissaires de police qui remplissent les fonctions d’officier du ministère public près les tribunaux de simple police ».

- Même renvoi.


« Plusieurs cultivateurs de l'arrondissement d'Anvers demandent que, dès le commencement de la saison de la monte, le département de l'intérieur envoie en station à Merxem, deux étalons de gros trait et qu'il les y maintienne pendant toute la duréee de cette saison. »

- Même renvoi.


« Les sieurs Delaveleye et Moucheron adressent à la Chambre deux exemplaires de leurs divers mémoires sur l'établissement d'un chemin de fer de St-Ghislain à Gand et demandent la concession de cette ligne. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Wasmes se plaint de I'intrerprétation donnée par le gouvernement à la loi sur l'instruction primaire, en ce qui concerne les obligations des communes. »

M. Laubry. - Je demande le renvoi de cette requête à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

M. le président. - La Chambre est saisie d'un projet de loi relatif à la révision de l'article 23 de la loi du 23 septembre 1842. Ne vaudrait-il pas mieux lui renvoyer celle pétition ?

M. Laubry. - J'y consens.

- Le renvoi à la section centrale est ordonné.


« Il est fait hommage à la Chambre, par M. Goupy de Beauvolers, de 100 exemplaires de sa brochure en réponse à la question soumise au conseil supérieur d'agriculture : » Faut-il encourager l'agriculture ? »

- Distribution aux membres de la Chambre.

Rapports sur des pétitions

M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée d'Ans, le 17 mai 1855, le sieur Streel prie la Chambre de modifier la législation sur les distilleries, en ce qui concerne la betterave.

(page 113) Les motifs que le pétitionnaire allègue sont ; 1° La restriction de la loi actuelle qui exige que la cuve-matière sort renouvelée par 24 heures, ce qui l'oblige à distiller la cuve avant que la fermentation soit achevée et que par suite il ne peut recueillie que la moitié d'un produit ordinaire et lui fait perdre une partie notable de l'alcool d'une fermentation complète.

La loi actuelle étant basée sur la farine, n'est pas applicable à la betterave qui fermente lenlementet souvent d'une manière désordonnée. D'après lui, il faudrait accorder au moins 38 heures par cuve-matière.

Il s'attache ensuite à énumérer les avantages qui en résulteraient, dans les circonstances actuelles, pour l'alimentation du peuple si le seigle et l'orge pouvaient être remplacés par la betterave.

Il termine en alléguant l’exemple de la France, où le distillateur, jouissant de plus de liberté, s’enrichit sous un régime plus libéral, et il prie la Chambre de prendre sa pétition en sérieuse considération.

Votre commission, considérant que cette pétition renferme des données d'un haut intérêt en faveur de l'agriculture et de l'alimentation du peuple dans les circonstances actuelles, a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre des finances.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition, en date du 18 mai 1855, des cultivateurs de Deynze, Gaver et Asper demandent des modifications à la loi du 27 juin 1842, sur les distilleries.

Les pétitionnaires demandent que le distillateur ne soit plus astreint à la culture d'un hectare de terre par hectolitre et demi de matière (article 5, paragraphe 1, littera c), ce qui augmente la concurrence pour la location des terres et prive les autres cultivateurs de l'engrais.

Ils demandent, en outre, que chaque distillateur, travaillant 20 à 25 hectolitres par jour, soit obligé d'engraisser une tête de bétail par hectolitre.

Ils prétendent que cette modification de la loi serait éminemment favorable à l'agriculture.

Votre commission, messieurs, sans rien préjuger, a l'honneur de proposer le renvoi de cette demande à M. le ministre des finances.

- Adopté.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Bruxelles le 21 novembre 1855, le sieur Faes, ancien militaire, demande une pension. La durée de son service a été de cinq ans tant en Belgique qu'en Hollande ; il a été congédié en 1834 pour cause d'ophthalmie militaire, contractée au service, et depuis il vit misérablement avec sa femme qui est maladive et infirme.

Votre commission, eu égard aux recommandations d'un honorable membre de cette Chambre plutôt qu'aux considérations peu concluantes du pétitionnaire, a l'honneur de vous proposer le renvoi de sa requête à M. le ministre de la guerre.

- Adopté.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition sans date, le sieur Vaudenbroeck, docteur en médecine, soumet à la Chambre des projets de loi destinés à prévenir et à réprimer les sophistications des denrées alimentaires et des médicaments.

Le pétitionnaire, qui a analysé depuis plusieurs années gratuitement les denrées alimentaires qu'on lui a soumises, prétend avoir trouvé sur 107 échantillons soumis à l'analyse chimique :

37 échantillons renfermant des matières étrangères inoffensives,

13 échantillons des matières étrangères nuisibles,

19 échantillons des matières étrangères vénéneuses.

Déjà en 1847, le 20 janvier, il s'est adressé, dans le même but, à la Chambre, et sa pétition est restée sans suite.

Il prétend que les dispositions législatives du Code pénal, actuellement en vigueur, sont insuffisantes, et il ajoute quelques exemplaires d'une brochure qu'il a écrite et qui renferme deux projets de loi préventive et répressive sur ces délits.

Votre commission, messieurs, a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à MM. les ministres de l'intérieur et de la justice.

- Adopté.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l’exercice 1856

Discussion du tableau des crédits

Chapitre IX. Etablissements de bienfaisance

Motion d'ordre

M. Moreau (pour une motion d’ordre). - Hier, l'honorable ministre de la justice, en répondant aux observations que j'ai eu l'honneur de présenter à l'appui de mon amendement, a déclaré qu'il allait s'occuper activement de la question des dépôts de mendicité. Je viens de lire son discours dans le Moniteur et je n'ai pas été peu surpris de n'y rencontrer aucune trace de cette promesse.

Cependant ma mémoire est fidèle, et avant d'entretenir la Chambre de cette omission, j'ai fait appel aux souvenirs de plusieurs de mes honorables collègues. Je tiens donc à ce que cette omission soit réparée et à la signaler au pays. Car sans cette rectification, je serais censé avoir retiré mon amendement sans motifs plausibles, et le Moniteur contiendrait un non-sens.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je ne me souviens plus, je l'avoue, si j'ai terminé hier mon dernier discours par un engagement formel. Si je ne l'ai pas fait, c'est que cet engagement est au fond de ma pensée. Je l'ai énoncé au commencement de ,a discussion ; il est rappelé dans le rapport de la section centrale, et si j'ai supprimé quelques observations à cet égard, c'est que j'aurai voulu abréger un discours déjà trop long.

Projet de loi réglant le pilotage et le halage sur les canaux et les rivières

Dépôt

(page 114) M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - J'ai l'honneur de présenter un projet de loi autorisant le gouvernement à régler le pilotage et le halage des bateaux sur les canaux et rivières.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi. La Chambre en ordonne l'impression et la distribution et leren-voie à l'examen des sections.

Projet de loi portant le budget du département de la justice pour l’exercice 1856

Discussion du tableau des crédits

Chapitre VIII. Cultes

Articles 27 à 36

M. le président. - La discussion générale sur le chapitre VIII a été close hier. Nous passons aux articles.

« Art. 27. Clergé supérieur du culte catholique, personnel enseignant et dirigeant des grands séminaires, à l'exception de celui de Liège : fr. 311,700. »

- Adopté.


« Art. 28. Bourses et demi-bourses affectées aux grands séminaires, à l'exception de celui de Liège : fr. 62,010. »

- Adopté.


« Art. 29. Clergé inférieur du culte catholique, déduction faite de 8,914 fr., pour revenus de cures : fr. 3,365,171. »

- Adopté.


« Art. 30. Subsides aux provinces, aux communes et aux fabriques d'églises pour les édifices servant au culte catholique, y compris les tours mixtes et les frais du culte dans l'église du camp de Beverloo .

« Charge ordinaire : fr. 394,000.

« Charge extraordinaire : fr. 26,000. »

- Adopté.


« Art. 30 bis. Monument à ériger en commémoration de la Reine Louise-Marie (troisième cinquième du crédit de 450,000 fr., alloué par la loi du 21 juin 1853). Charge extraordinaire : fr. 90,000. »

- Adopté.


« Art. 31. Culte protestant et anglican (Personnel) : fr. 50,376. »

- Adopté.


« Art. 32. Subsides pour frais du culte et dépenses diverses : fr. 7,524. »

- Adopté.


« Art. 33. Culte israélile (Personnel) : fr. 8,600. »

M. le président. - M. le ministre de la justice a proposé de transférer de l'article 34 à l'article 35 une somme de 600 fr., ce qui porterait le chiffre de ce dernier article à 9,200 fr.

- Ce chiffre est mis aux voix et adopté.


« Art. 34 Frais de bureau du consistoire central et dépenses imprévues : fr. 900. »

Par suite du vote qui vient d'être émis, le chiffre de cet article doit être réduit à 500 fr.

- Ce chiffre est adopté.


« Art. 35. Pensions ecclésiastiques (payement des termes échus avaut l'inscription au grand-livre) : fr. 8,000. »

- Adopté.


« Art. 36. Secours pour les ministres des cultes ; secours aux anciens religieux et religieuses : fr. 18,000. »

- Adopté.

M. le président. - La Chambre passe au Chapitre X, Prisons.

Chapitre X. Prisons

Section I. Service domestique
Articles 44 à 47

« Art. 44. Frais d'entretien, d'habillement, de couchage et de nourriture des détenus.

« Charge ordinaire : fr. 1,300,000. »

« Chargé extraordinaire : fr. 300,000. »

- Adopté.


« Art. 45. Gratifications aux détenus employés au service domestique : fr. 34,000. »

- Adopté.


« Art. 46. Frais d'habillement et de couchage des gardiens et des surveillants : fr. 20,000. »

- Adopté.


« Art. 47. Frais de voyage des membres des commissions administratives des prisons, ainsi que des fonctionnaires et employés des mêmes établissements : fr. 11,000. »

- Adopté.

Article 48

« Art. 48. Traitement des employés attachés au service domestique : fr. 435,000. »

M. le président. - M. le ministre de la justice a demandé une augmentation de 6,000 francs.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, j'ai demandé l'augmentation de 6,000 francs parce qu'il est nécessaire d'assurer le service de quelques prisons nouvelles qui vont être ouvertes.

Ainsi, dans la nouvelle maison d'arrêt de Courtrai il faudra un personnel plus nombreux que lorsque cette maison était une simple prison d'arrondissement. Il faudra un gardien en chef, un gardien de première classe et un gardien de deuxième classe ; les frais qui en résulteront pourront s'élever de 2,500 à 3,000 francs.

Il sera également nécessaire de mettre à Bruxelles un gardien de plus.

Enfin, la prison d'Anvers sera probablement ouverte vers la ïin de l'exercice,eten vue de cetleévenlualite,il faut une allocation de 2,000 fr. environ.

C'est pour ces divers objets que j'ai demandé ce crédit. Cette somme est indispensable pour exécuter les lois qui ont créé en Belgique l'emprisonnement cellulaire.

Je ne puis terminer sans dire qu'il y aurait d’autres besoins également urgents à satisfaire, notamment les frais d'instruction dans nos prisons ; mais eu égard à la situation financière, il m'a fallu renoncer à regret à demander une augmentation sérieuse, devenue inévitable.

- L'article est adopté avec l'augmentation demandée par M. le ministre.

Article 49

« Art. 49. Frais d'impression et de bureau : fr. 10,000. »

- Adopté.

Article 50

« Art. 50. Prisons. Entrelien et travaux d'amélioration des bâtiments : fr. 190,000. »

M. de Mérode-Westerloo. - Si le régime des prisons attire, à bien juste titre, toute l'attention du gouvernement et des Chambres, leur sollicitude doit s'étendre aussi aux maisons d'arrêt, situées dans les chefs-lieux de canton, résidence ordinaire d'une justice de paix. Si, par le court séjour qu'y font les reclus, ces maisons ne comportent point un régime destiné à l'amendement du prisonnier, elles ne doivent point, au moins, devenir un lieu de démoralisation ; et pour cela il faudrait que la plus complète séparation existât entre le local destiné aux hommes et celui qui l'est aux femmes. Je sais pertinemment qu'il n'en est pas ainsi partout et je crois cet objet digne de l'attention de M. le ministre de la justice. Cette amélioration ne donnerait point lieu d'ailleurs à une dépense considérable pour le trésor.

- L'article 50 est mis aux voix et adopté.

Articles 51 à 57

« Art. 51. Prison cellulaire de Courtrai. Complément des travaux de construction ; charge extraordinaire : fr. 20,000. »

- Adopté.


« Art. 52. Prison cellulaire d'Anvers. Continuation des travaux de construction ; charge extraordinaire : fr. 250,000. »

- Adopté.


« Art. 53. Prison de Bruges. Continuation des travaux d'appropriation ; charge extraordinaire : fr. 90,000. »

- Adopté.


« Art. 54. Prison cellulaire de Hasselt. Premiers travaux de construction ; charge extraordinaire : fr. 30,000. »

- Adopté.


« Art. 55. Honoraires et indemnités de route aux architectes, pour la rédaction de projets de prisons, la direction et la surveillance journalière des constructions. ; charge extraordinaire : fr. 22,000. »

- Adopté.


« Art. 56. Traitement et frais de route du contrôleur des constructions dans les prisons ; charge extraordinaire : fr. 6,000. »

- Adopté.


« Art. 57. Achat et entretien du mobilier dans les prisons : fr. 55,000. »

- Adopté.

Section II. Service des travaux
Article 58

« Art. 58. Achat de matières premières et ingrédients pour la fabrication : fr. 500,000. »

- Adopté.

Article 59

« Art. 59. Gratifications aux détenus : fr. 170,000. »

M. Wasseige, rapporteur. - La note marginale insérée dans les développements du budget pour justifier l'augmentation de 5,000 francs introduite à l'article 59, et qui déclare cette augmentation inutile si l'on adoptait le projet d'arrêté qui supprime la part affectée à l'argent de poche dans les gratifications accordées aux femmes détenues dans la maison pénitentiaire de Namur, m'engage à demander à M. le ministre de la justice si l'arrêté existe, et à lui présenter quelques observations qui me paraissent de nature à provoquer le retrait de cet arrêté, si déjà il a vu le jour.

Je suis d'avis que la suppression des deniers de poche serait une mesure très regrettable au double point de vue de la sécurité publique et de l'intérêt social. Je pense, avec la commission instituée auprès de la maison pénitentiaire de Namur, dont le remarquable rapport doit se trouver entre les mains de M. le ministre de la justice, que la cause principale d’un grand nombre de récidives que l'on remarque provient du défaut de ressources chez les femmes qui sortent de prison après l'expiration de leur peine, et que la suppression des deniers de poche, au profit de (page 115) l'Etat, qui aura pour conséquence inévitable de diminuer encore ces ressources, augmentera par cela même le nombre des récidives. Que s'il est incontestable que l'un des moyens de moralisation les plus efficaces consiste dans l'habitude et le goût du travail, ce moyen diminuera d'influence en raison du peu de bénéfice qu'en retireront les détenues ; qu'à la vérité la mesure projetée a une apparence de justice, en ce qu'elle range sur la même ligne la maison pénitentiaire de femmes à Namur et les autres maisons centrales du pays ; mais que la position n'est pas la même ; qu'en effet, les hommes trouvent bien plus facilement, à l'expiration de leur peine, le moyen de pourvoir à leur subsistance par leur travail, que les femmes, dont les occupations sont bien plus restreintes et qui sont exposées à bien plus d'occasions de rechutes par défaut de ressources.

L'économie à résulter de l'adoption de la mesure qui supprime l'argent de poche au profit de l'Etat, serait d'aillleurs bien minime. Elle n'est évaluée, en effet, qu'à la somme de 5,000 fr., et cette somme serait encore bien diminuée par l'obligation d'augmenter l'allocation à verser à la caisse de secours destinée à fournir aux détenues qui n'ont pas su gagner un pécule suffisant, les moyens de regagner leurs foyers et de fournir à leurs premiers besoins.

J'engage donc vivement M. le ministre à ne pas donner vie à l'arrêté dont parle le projet de budget, et à examiner sérieusement s'il n'y aurait pas lieu de le rapporter pour le cas où il serait déjà mis à exécution.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, l'arrêté auquel vient de faire allusion l'honorable rapporteur de la section centrale a été proposé par mon honorable prédécesseur, vers la fin de février dernier, dans un double but : d'abord d'assurer à l'Etat une économie de 3 à 4 mille francs, ensuite de rétablir l'égalité, entre les femmes détenues à la prison de Namur et les détenus des autres prisons.

On fait deux parts du salaire accordé aux condamnés pour leur travail : l'une destinée à former la masse de sortie, l'autre à former ce qu'on appelle l'argent de poche des détenus. Cet argent permet aux détenus de faire quelques dépenses à la cantine.

Or, il se trouve que la cantine est supprimée à la prison des femmes de Namur. Quand on a y opéré cette suppression on a eu soin d'augmenter la ration alimentaire des condamnées, elle est plus élevée que celle des autres prisonniers auxquels on a conservé la ressource de l'argent de poche, afin qu'ils pussent se procurer quelque nourriture dans les cantines.

Cette circonstance n'existant plus pour les femmes de la prison de Namur, ce serait leur faire une position privilégiée que de leur donner une gratification qui n'aurait plus sa raison d'être.

L'honorable rapporteur a appelé mon attention sur le travail de la commission administrative de la prison de Namur au sujet de l'arrêté du 19 février.

J'ai lu ce travail, mais je ne pense pas qu'il y ait lieu de revenir complètement au passé, par les motifs que je viens de faire connaître. La commission administrative de la prison de Namur est guidée par des motifs d'humanité, elle a en vue le sort des femmes qui sortent de la prison et notamment des femmes récidivistes. Les directeurs de toutes nos grandes prisons se sont élevés contre cette faveur faite aux condamnées récidivistes, et c'est à la suite des propositions de ces fonctionnaires que l'arrêté du 19 février a été pris.

Je termine en disant que j'examinerai la question, mais au point de vue que j'ai indiqué ; peut-être y aura-t-il lieu d'élever pour la maison pénitentiaire de Namur la tarification du travail. C'est sous ce rapport seulement que je prends l'engagement d'examiner la question.

M. Wasseige, rapporteur. - Les explications que M. le ministre de la justice vient de donner me paraissent suffisantes. Que les femmes qui sortent de la prison pénitentiaire de Namur soient mises à même de pourvoir pendant quelque temps à leur entretien, à l'expiration de leur peine et ne soient pas ainsi exposées à tomber de nouveau, voilà ce que je désire, et peu m'importe que ce soit à l'aide de l'argent de poche, ou d'une gratification plus forte qui leur serait laissée, cela m'est indifférent, mon but est atteint.

Je dois cependant faire une observation à M. le ministre. Je ne pense pas que la commission qui, dans son rapport, demandait le maintien de l'argent de poche, ait spécialement en vue les femmes récidivistes, mais la commission a insisté sur cette considération que la cause des récidives provenait surtout du manque de moyens d'entretien pour les femmes. Elle a fait remarquer que les femmes avaient moins de facilité que les hommes pour trouver immédiatement à se procurer du travail. C'est à ce point de vue qu'elle a pensé que l'on pouvait accorder aux femmes une sorte de privilège qui n'était pas accordé aux hommes dont la position n'était pas la même.

Mais, je le répète, dès que j'arrive au but que j'ai indiqué, que ce soit par le rétablissement de l'argent de poche ou par un autre moyen, je me déclare satisfait.

- L'article 59 est mis aux voix et adopté.

Articles 60 et 61

« Art. 60. Frais d'impression et de bureau : fr. 5,000. »

- Adopté.


« Art. 61. Traitements et tantièmes des employés : fr. 85,000. »

- Adopté.

Chapitre XI. Frais de police

Article 62

« Art. 62. Mesures de sûreté publique : fr. 58,000. »

- Adopté.

Chapitre XII. Dépenses imprévues

Article 63

« Art. 63. Dépenses imprévues non libellées au budget : fr. 5,000. »

- Adopté.

Vote de l’article unique et sur l'ensemble du projet

M. le président. - L'article unique du projet de loi est ainsi conçu :

« Article unique. Le budget du ministère de la justice est fixé, pour l'exercice 1856, à la somme de douze millions cent trente-neuf mille sept cent cinquante et un francs (fr. 12,139,751), conformément au tableau ci-annexé. »

- Adopté.


Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du budget qui est adopté à l'unanimité des 68 membres présents.

Ces membres sont : MM. de Breyne, de Decker, de Haerne, de La Coste, Delfosse, Deliége, Della Faille, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Naeyer, de Perceval, de Portemont, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de Theux, de T'Serclaes, Devaux, Dumon, Dumortier, Faignart, Goblet, Jacques, Jouret, Lambin, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lesoinne, Maertens, Magherman, Malou, Mascart, Matthieu, Mercier, Moncheur, Moreau, Orts, Osy, Pierre, Rodenbach, Rousselle, Sinave, Tack, Thibaut, Thiéfry, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Van Cromphaut, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Vilain XIIII, Wasseige, Allard, Ansiau, Boulez, Calmeyn, Coomans, Coppieters 't Wallant, David, de Baillet-Lalour et Delehaye.


M. le président. - Il reste à statuer sur deux propositions faites par la section centrale relativement à des pétitions qui lui ont été renvoyées.

L'une de ces pétitions présentée par les concierges des prisons dites maisons de passage, de la Flandre occidentale, réclame une amélioration dans la position de ces employés. La section centrale propose le renvoi à M. le ministre de la justice.

- Cette proposition est adoptée.

M. le président. - L'autre pétition, présentée par le sieur Iweyns, commissaire de police à Seraing, prie la Chambre de prendre une décision qui accorde une indemnité aux commissaires de police remplissant les fonctions de ministère public près les tribunaux de simple police. La section centrale propose aussi le renvoi de cette pétition à M. le ministre de la justice.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l’exercice 1856

Discussion générale

M. le président. - La discussion générale est ouverte.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Vilain XIIII). - Le rapport de la section centrale, messieurs, débute par quelques considérations sur la neutralité belge. Je saisis avec plaisir l'occision qui m'est offerte sans que, du reste, je l'aie provoquée, pour dire à la Chambré que, pas un mot n'a été écrit, pas une parole n'a été prononcée, pas une insinuation n'a été faite de près ni de loin auprès du gouvernement pour essayer d'engager la Belgique à sortir de la neutralité que le droit international européen lui a imposée, comme condition de son indépendance.

M. David. - Je ne veux pas faire de discours ; je viens, messieurs, motiver, en très peu de mots, mon vote.

J'ai lu avec un grand plaisir le préambule du rapport de la section centrale. La Belgique entière partage cette manière d'envisager notre position d'Etat neutre, et moi, me fondant sur plusieurs autres considérations, mais surtout sur cette neutralité, je crois de mon devoir de refuser mon adhésion au budget de la guerre tel qu'il est formulé.

Tout ce qui s'est passé depuis notre régénération politique de 1830, et les événements récents surtout démontrent l'inutilité pour la Belgique neutre, d'une armée aussi considérable que celle qu'elle entretient aujourd'hui.

Cette armée est en disproportion avec le chiffre de notre population, lorsqu'on la compare à celles des pays comptant le même nombre d'habitants.

Le budget de la guerre est écrasant pour le trésor public, il n'est pas en rapport avec les ressources du pays et produit les embarras financiers nous signalés à chaque session.

La défense du pays, bien combinée, efficace, n'exige ni un pareil nombre d'hommes, ni le sacrifice d'une somme de 44 millions de francis, les pensions militaires et les travaux extraordinaires compris, soit au-delà du tiers du budget général, chaque année. Ce chiffre énorme est malheureusement exact, il est conforme à l'évaluation qu'en a faite mon honorable ami M. Deliége l'année dernière en comité secret, sans que personne l'ait contesté, lorsqu'il vous a cité la statistique des dépenses du département de la guerre de 1840 à 1854, statistique qui donnait en moyenne 41 millions de francs, pensions non comprises, pour ces années. En y ajoutant 3 millions pour ces pensions, il devient évident et incontestable que les dépenses totales montent à 44 millions.

En s'appuyant, avec une armée de 60,000 hommes, sur un point à peu près inexpugnable, nous serions plus forts qu'avec le système actuel de défense ; 20 à 25 millions de francs suffiraient à un pareil état de choses ; il deviendrait alors superflu de s'ingénier à inventer de nouveaux impôts ou à faire produire davantage aux anciens ; avec l'économie de 15 à 20 millions qu'il serait possible de réaliser, le déficit du trésor serait bientôt comble et beaucoup de grandes choses d'utilité générale pourraient être exécutées. Aussi longtemps donc que le budget de la guerre sera aussi écrasant pour la Belgique, je me verrai, à regret, forcé de voter contre.

M. Goblet. - Messieurs, depuis l'existence de la loi d'organisation actuelle de l'armée, c'est, la première fois que j'assiste, comme représentant, à la discussioan du budget du département de la guerre. La part que j'ai prise, en dehors de celle enceinte, aux débats relatifs à la défense nationale, ne me permet point aujourd'hui de garder le silence.

En demandant la parole, je n'ai point l'intention d'attaquer le budget en discussion. Au point de vue de la loi, il n'est pas susceptible de critique ; il est dressé avec un grand soin et accompagné de tous les éclaircissements désirables.

Les observations que j'ai à présenter n'ont donc point trait à des détails d'administration, ni de régularisation financière ; elles sont cependant de nature à trouver leur place dans la discussion qui nous occupe. Elles expliqueront le vote que je vais être appelé à émettre. D'ailleurs, ce n'est pas en présence de dépenses militaires, ordinaires et extraordinaires, qui s'élèveront probablement pour le prochain exercice à 40 millions, que ceux des membres de cette Chambre, qui se sont occupés de la constitution de la force publique, doivent s'abstenir d'apporter le tribut de leurs études et de leur expérience.

Les développements dans lesquels je vais entrer, en donnant une juste idée de l'influence du passé sur le présent, peuvent contribuer à des améliorations, réclamées par les véritables intérêts militaires et financiers de la Belgique. Ils ne seront pas nouveaux pour ceux d'entre vous, messieurs, qui ont parcouru les nombreux documents qui furent antérieurement communiqués à la législature. Ces honorables membres n'ignorent pas que je n'ai cessé de lutter contre un courant d'idées, qui m'a toujours paru en opposition avec la situation politique toute particulière à la Belgique.

Il est, messieurs, une dernière considération qui m'encourage à parler. L'honorable ministre que nous avons devant nous est resté, je crois, jusqu’à son entrée dans le cabinet actuel, complètement étranger à toutes les délibérations dans lesquelles furent posées et discutées les bases du système défensif du pays et de l'organisation de l'armée. Cette circonstance, que l'on ne peut facilement expliquer quand on connaît les mérites éminents de cet officier général, m'a paru d'un bon augure pour l'avenir.

On ne doit pas craindre que le chef du département de la guerre soit arrêté par des précédents personnels lorsqu'il reconnaîtra la convenance de proposer la modification de certaines dispositions, à l'adoption desquelles il n'a pas concouru.

En prenant connaissance des discussions qui ont eu lieu sur la force publique, au sein de la représentation nationale, j'ai remarqué que des détails d'organisation avaient souvent détourné les esprits de considérations fondamentales, qu'on ne peut jamais négliger sans un véritable danger. Après avoir concouru aux actes internationaux qui devaient servir de base à notre système de défense, il m'a paru, peut-être plus qu'à tout autre, que vos débats n'avaient pas toujours été engagés sur un terrain bien préparé ; il m'a semblé qu'on s'était souvent trop occupé des particularités de l'institution, avant d'en avoir complètement, défini et arrêté la destination. L'on reconnaissait la nécessité absolue d'une armée, mais on n'avait point une idée bien nette des résultats pratiques que l'on devait recueillir des sacrifices que la Belgique s'imposait pour l'entretien de la force publique. On n'était pas enfin assez pénétré de la nature des devoirs que le pays avait à remplir, aussi bien envers l'Europe qu'envers lui-même.

La ptersistance que j’ai mise, en toutes circonstances, à revenir sur les rapports intimes qui doivent exister entre la constitution militaire du pays et les conditions spéciales de son indépendance politique a selon moi, toujours été d'autant mieux justifiée, qu'il y a, en Belgique, une cause particulière qui tend à obscurcir et même à dénaturer ces rapports.

Cette cause est le résultat des événements au milieu desquels nos institutions militaires ont pris naissance et des circonstances qui ont ensuite et successivement, pesé sur elles pendant plusieurs années. C’est une influence d'origine, qui s'est fait et se fera sentir longtemps encore ; elle a été le point de départ des dissidences qui se sont manifestées quand il s'est agi de modifier ces institutions, en raison du changement de situation. On a rencontré alors des résistances d'autant plus fortes, qu'elles étaient la conséquence d'un état de choses préexistant, qu'il faut analyser, pour bien en expliquer et la nature et les dangers.

En 1830 l'énergie révolutionnaire avait glorieusement expulsé l'étranger du territoire belge ; mais le sol de la patrie affranchi, il fallait encore le défendre contre un adversaire prêt à l'envahir de nouveau. Après des succès incontestables, le pays se trouvait sans armée, sans forces organisées, et cela, au moment même où tous les moyens administratifs et coercilifs réguliers faisaient défaut. Les hommes qui, dans cette situation eurent la tâche difficile d'organiser l'armée ne songèrent naturellement qu'aux nécessités impérieuses du moment.

Ils n'allèrent pas jusqu'à prévoir quelle pourrait être, par la suite, la situation internationale, pour y trouver les bases d'une organisation permanente de la force publique. Il fallait des hommes et des armes, indépendamment de tout système.

Les populations et le gouvernement provisoire lui-même n'étaient émus que par la seule pensée d'empêcher le retour d'un ennemi auquel nous n'avions à opposer que le corps de nos soldats ; c'était donc des hommes qu'il fallait, c'était une armée destinée à tenir la campagne pour lutter contre des forces dont nous pouvions égaler les proportions.

Telle fut notre position, toute d'exception, jusqu'au jour de notre admission au nombre des nations européennes, sous la royauté d'un prince auguste, qui voulut bien consentir à venir partager nos périls et nos espérances. Alors seulement, messieurs, la Belgique eut une parfaite connaissance des principes fondamentaux de ses relations avec l'étranger ; et cependant, dans cette nouvelle situation, le pied de guerre n'en subsista pas moins et nous dûmes, au point de vue défensif, continuer à négliger les prévisions d'un avenir définitif, en présence des éventualités dont nous ne cessions d'être menacés. Les errements qui avaient servi de point de départ à notre organisation militaire furent donc maintenus, et rien ne vint immédiatement nous porter à modifier nos moyens de résistance.

Si de 1830 à 1839 la Belgique sut constituer et perfectionner ses institutions civiles, si elle put donner à sa nationalité de profondes racines, elle ne fit nullement dominer dans l'organisation de son état militaire, les considérations qui se rattachaient à la position qu'elle devait occuper dans le système européen. Toujours préoccupée des sentiments hostiles que continuait à lui vouer le gouvernement des Pays-Bas, elle ne voyait qu'un seul but, la résistance à ce gouvernement et dès lors le salut de l'Etat semblait ne reposer que sur une armée en campagne la plus considérable possible.

La manière de voir, dont je viens, messieurs, de vous entretenir, fut parfaitement justifiée jusqu'en 1839 ; mais, à partir de cette époque, il fallait entrer dans une autre voie. La pensée exclusive d'un danger actuel ne devait plus faire l'objet de toutes les préoccupations. Notre sécurité dépendait désormais d'uue organisation qui pût donner, de toutes parts, des garanties à l'indépendance.

Malheureusement, les esprits n'étaient point préparés aux modifications qu'un changement radical dans notre situation politique devait nécessairement amener dans notre système défensif. On ne voulut toujours voir que des batailles à livrer, et il en résulta qu'après être enfin arrivés à la situation normale, nous persistâmes à maintenir un état de choses qui ne convenait qu'aux circonstances anomales que nous avions traversées.

Aussi, messieurs, l'opinion publique ne fut-elle pas longtemps sans s'émouvoir ; on n'avait pas généralement la conviction que les sacrifices que faisait la nation en faveur du département de la guerre reçussent la meilleure destination possible. Le doute était dans tous les esprits, par cela même que l'on ne pouvait bien se rendre compte de la tâche que l'armée remplirait avec succès, dans les éventualités qui pouvaient se présenter. On ne se dissimulait pas que l'organisation de cette armée était plutôt le résultat de règles générales, qu'une application raisonnee des nécessités politiques et stratégiques du pays. L'on avait fini par pressentir qu'il ne suffisait pas d'avoir posé le principe de la neutralité, mais qu'il fallait encore en subir les conséquences, et mettre le système de défense en parfaite harmonie avec le caractère de cette neutralité.

Ces considérations, toutes fondées qu'elles étaient, paraissaient faire bien peu d'impression sur la plupart des sommités de l'armée. Le gouvernement, lui-même, ne cessait d'être sous l'influence des prûcédents, dont je vous ai signale l'origine et la raison d'être, pendant plusieurs années.

Cependant de graves circonstances vinrent rendre la responsabilité du pouvoir d'autant plus grande, que les événements extérieurs devenaient plus obscurs. On ne put se dissimuler plus longtemps qu'il était urgent de mettre un terme aux divergences d'opinion qui ne cessaient de s'accroître, tant au-dehors qu'au dedans de cette Chambre. Le gouvernement consentit enfin à ce que l'on délibérât, mais en persistant à n'admettre que des idées qui tendaient à assigner au pays un rôle qui ne pouvait être le sien.

En présence de cette dernière préoccupation, il était à prévoir qu'il ne surgirait des discussions, auxquelles on se préparait, qu'une organisation défensive qui ne satisferait que très imparfaitement aux exigences de la situation. Je le dis à regret, messieurs, ces fâcheuses prévisions se sont, selon moi, réalisées ; je vais chercher à vous en convaincre.

On ne peut, certes, messieurs, mettre en doute qu'une situation entourée d'autant de restrictions que l'est celle de la Belgique, ne doive exercer une très grande influence sur la nature de ses moyens de défense, tant sous le rapport de l'organisation du personnel de l'armée que sous celui de la disposition des établissements permanents. En ce qui concerne ces derniers, j'ai, dans la session précédente, émis quelques considérations sur leur destination. J'ai laissé entrevoir que, dans les combinaisons adoptées, l'on avait perdu de vue une partie des motifs qui, dans notre propre intérêt, avaient donné naissance à la convention du 14 décembre 1851. Je me dispenserai donc de revenir en ce moment sur le même sujet et me bornerai à attirer votre attention sur l'organisation, de certaines parties du personnel de la force publique.

La position toute spéciale de la Belgique ne lui permet pas de rien livrer au hasard, dans ses opérations défensives. Il suffit qu'elle sache conserver, momentanément, l'importance stratégique du pays, en (page 17) faveur de ses alliés éventuels ; elle n'a pas pour mission de s'exposer à succomber dans une lutte inégale. Son premier devoir envers elle-même, comme envers l'Europe, est de sauvegarder son indépendance, même sous la pression la plus violenle. Ce devoir, elle peut le remplir et elle le doit, pour échapper aux reproches et surtout aux conséquences fatales de faillir à ses obligations internationales.

Mais ne pouvant se concerter préalablement avec aucun de ses puissants voisins, la Belgique ne doit jamais oublier que les plus grands dangers qu'elle puisse courir se présenteront toujours au début des hostilités, et que ces dangers seront d'autant plus menaçants que l'attaque peut être plus inattendue Dès lors il est impossible de nier l'extrême importance de certaines positions fortifiées, sans le concours desquelles il n'y aurait de salut ni pour le gouvernement ni pour l'armée elle-même. On manquerait donc aux mesures de prudence les plus vulgaires si l'on ne pouvait compter, en tout temps, pour la garde et la défense de ces positions, sur des troupes complètement organisées et immédiatement disponibles.

Cependant, messieurs, ne vous a-t-on pas proposé et fait admettre de les confier à des corps dont le mérite, je dirai même l'existence réelle est très problématique, s'il fallait y avoir recours instantanément ? Peut-on croire, en effet, que la réserve, telle qu'elle est constituée, présente toutes les garanties que l'on a le droit d'exiger pour l'accomplissement immédiat de sa mission ? Serait-il possible de compléter, sans retard, ses cadres par les très nombreuses nominations qu'ils réclameront, et ses bataillons pourront-ils être assez tôt disponibles pour permettre à l'infanterie de l'armée active d'abandonner ses garnisons et d'entrer en campagne au premier cri d'alarme. J'ai sur tous ces points plus que des doutes et vous n'en serez pas étonnés, quand vous saurez que je partage généralement, sur la réserve, la manière de voir des adversaires qu'elle a rencontrés.

Je n'ai jamais pu concilier les efforts du gouvernement, pour faire adopter l'organisation dont il s'agit, avec les principes qu'il a proclamés lui-même, en diverses circonstances. On peut se rappeler que ses organes ont déclaré que, si l'on confiait la garde et la défense des forteresses à des troupes de la réserve, ces troupes devaient avoir un caractère tout spécial, qui leur permît d'être le pivot de l'organisation militaire. On reconnaissait alors que la mise sous les armes de la réserve devait précéder le rassemblement de l'armée active ; que, sans cela, celle-ci resterait attachée aux remparts des villes de guerre, sans pouvoir se constituer.

Certes, messieurs, il était impossible de mieux comprendre et de mieux définir le rôle et les relations des différentes parties de la force publique, du moment où l'on persistait à vouloir la séparer en deux sections distinctes. On devait donc être porté à croire que l'on adopterait un système en parfaite harmonie avec les nécessités que l'on avait reconnues.

Il n'en fut cependant pas ainsi et, comme s'il s'agissait encore de se mesurer, à armes égales, avec une puissance d'égale importance, on ne voulut pas renoncer aux précédents que je vous ai indiqués. Refusant de reconnaître le changement de situation, on ne voulut pas admettre, comme condition absolue, la garde de certaines positions fortifiées. L’on continua à accorder le premier rang à toutes les nécessités d'une armée en campagne, et on ne consacrait que de bien faibles ressources à l'organisation des troupes destinées aux garnisons des places fortes.

Quels que soient les nombreux arguments qu'on ait fait valoir, dans les discussions antérieures, pour justifier une telle combinaison, ces arguments n'ont fait sur moi aucune impression ; je suis resté insensible à la sévérité avec laquelle on a qualifié le système que je considère comme le seul rationnel.

Sans me laisser émouvoir par la manière chaleureuse dont on a traité la question, mes convictions n'ont même point été ébranlées par le talent et l'éloquence que l'on a mis à les attaquer.

Il n'en fut pas de même chez beaucoup d'entre vous, messieurs, c'est à vos cœurs que l'on s'est adressé et on ne les a pas trouvés insensiblesà de nobles sentiments ; en vous laissant entrevoir de la gloire, on vous a fait oublier la prudence.

Certes, c'était une mission fort douce que celle de venir dans cette enceinte exalter le patriotisme dont vous êtes animés ; mais il est des hommes auxquels leurs convictions imposaient une tâche moins attrayante, et ces hommes n'ont pas reculé devant la manifestation de le'r pensée tout en sachant qu'elle n'était pas de nature à recueillir d'enthousiastes approbations.

C’est un mérite qu'ont eu plusieurs orateurs adversaires de la loi d'organisation actuelle ; il est seulement à regretter que des discours, qui témoignaient d'autant de bon sens que de dévouement, n'aient pas produit une plus forte impression.

Je ne puis maintenant, messieurs, mieux compléter ma pensée qu'en rappelant la nature des dissidences qui surgirent au sein de la commission mixte, dont les travaux ont servi de base à la loi d'organisation de l'armée. Ces dissidences ont éclaté, quand il s'est agi de déterminer l'effectif de l'armée en campagne. Plusieurs membres de la commission étaient d'opinion que cette question ne pouvait être résolue, au moment où elle était posée. Ils paraissaient convaincus que, si on la décidait par des considérations purement stratégiques, on serait conduit à fixer un effectif tel, que, mis en présence de celui réclamé par d'autres services, il ne sera pas réalisable d'une manière satisfaisante. Ils regardaient, enfin, comme un véritable danger toute discussion où la nécessité de garder et de bien défendre les forteresses n'obtiendrait pas le premier rang.

Ils n'admettaient pas que l'effectif de l'armée pût être déterminé, sans avoir recours à d'autres considérations que celles de lui donner, en rase campagne, des chances de succès.

L'érudition dont on a fait usage n'a pu me persuader qu'il fallait que l'armée active atteignît un certain effectif pour que l'on pût en tirer parti ; mais j'ai toujours admis que cette armée devait être aussi forte que le permettraient les ressources de l'Etat, après avoir pourvu à des nécessités plus impérieuses. Cette manière de voir s'opposait évidemment à ce que je me prononçasse sur un effectif quelconque avant que je pusse apprécier comment on satisferait à ces nécessités.

J'étais d'ailleurs convaincu qu'une séparation absolue entre l'armée en campagne et les forces destinées à défendre les forteresses ne pouvait s'établir qu'au détriment de la sûreté de ces dernières et qu'en détruisant l'unité qui doit exister dans la force publique, on porterait atteinte à son ensemble. Je redoutais enfin qu'un système économique, poussé à l'extrême, dans l'organisation des troupes destinées à la défense des places fortes, pour favoriser une plus nombreuse armée en campagne, n'eût un résultat tout contraire à celui que l'on désirait atteindre.

N'est-il pas en effet à prévoir, messieurs, qu'en employant presque toutes les ressources permanentes du département de la guerre à l'entretien, sur le pied de paix, des éléments d'une armée en campagne, on ne soit fatalement amené, par la force des choses, à ne pouvoir disposer de cette armée pour l'usage auquel elle est destinée ?

On ne peut mettre en doute qu'au jour du danger, alors que les moyens réservés pour la garde des places fortes feraient défaut ou paraîtraient insuffisants, le gouvernement ne fût forcé de laisser la défense des points fortifiés à la plus grande partie de l'infanterie de l'armée active. Dès lors l'on n'aurait plus, pour tenir la campagne, que des éléments disproportionnés entre eux, qui ne répondraient certainement pas à l'attente des partisans du système en vigueur.

Je ne partageais pas seul les appréhensions que je viens de vous signaler ; d'autres que moi persistaient à penser que l'armée active et les troupes de la réserve étant obligées d'agir simultanément, leur ensemble devait être homogène et recevoir une organisation qui ne fît perdre aucune aptitude aux cadres de la réserve. Cette manière de voir était celle des trois lieutenants généraux et de plusieurs autres membres de la commission mixte. Ils objectaient que cette réserve, telle qu'on voulait l'établir, n'avait nullement le caractère spécial qu'elle devait avoir. En Belgique, cette partie de la milice n'aura pas toujours, comme dans d'autres pays, le temps de se rassembler, de se reconstituer, sous la protection de l'armée en campagne. Son action doit y être préalable et non postérieure.

Je le répète, messieurs, mon opinion sur la réserve n'était pas isolée ; le général l'Olivier partageait à ce sujet ma manière de voir. Cet officier général n'a cessé de se déclarer partisan absolu du projet qui, repoussant toute différence entre l'organisation des unités d'une même arme, ne divisait pas les forces nationales en deux sections. Il désapprouvait hautement le système, qui fut adopté malgré lui, et qui établissait une séparation bien tranchée entre l'armée active et celle dite des forteresses. Non seulement, pensait-il, cette distinction détruisait l'esprit de famille et de camaraderie, si ulile à la force des corps, mais encore ne nous laissait, pour commander les troupes destinées aux places fortes, que de rares officiers et sous-officiers, qui, privés de soldats, ne participaient ni aux exercices, ni à l'instruction des corps.

L'opinion de mon très honorable collègue était pour moi d'un grand poids. Cet officier général, à la mémoire duquel je me plais à rendre un hommage bien sincère, avait une grande autorité d'expérience, pour tout ce qui touchait à l'infanterie. Il entrevoyait comme moi, sous le rapport exclusivement militaire, tous les désavantages d'une organisation de la nature de celle qui fut admise, et les considérations politiques dont j'étais profondément pénétré, venaient encore, à mes yeux, accroître le danger, pour la Belgique, d'oublier toute l'importance qu'avaient pour elle des positions fortifiées, convenablement disposées.

Ne sont-ce pas, en effet, ces positions qui nous permettraient d'éviter toute action désastreuse vers laquelle nous serions inévitablement entraînés, si nous avions la prétention de constituer une armée, dans l'espoir unique de succès en rase campagne ? Ne sont-ce pas elles encore qui rendraient possible l'adoption d'un système défensif, n'excédant pas la mesure naturelle de nos moyens ? Enfin, messieurs, on ne saurait trop se rappeler les paroles prononcées, il y a plusieurs années, par l'une des voix les plus éloquentes qui aient traversé cette chambre.

« La question pour la Belgique, disait M. d'Elhoungne, c'est surtout la conservation des forteresses, parce que le moindre coup de main qui entraînerait la prise de l'une d'elles par une puissance, serait une cause d'invasion par les autres puissances belligérantes. D'un autre côté, tant que nous posséderons ncs forteresses, nous aurons un gouvernement belge, un noyau d'armée belge, il y aura une Belgique, enfin, pour traiter avec les puissances de l'Europe, et il faudra que, dans les traités qui interviendront, on compte avec elle. »

Messieurs, d'après ce que je viens de vous exposer, vous comprendrez facilement les nombreux motifs qui s'opposent à ce que j'approuve l'organisation actuelle.

(page 118) Le doute et l’incertitude, comme je crois l'avoir démontré, continuent à planer sur l'action de l'armée et sur le sort d'établissements militaires dont la perte entraînerait immédiatement la soumission du pays.

La première condition, pour bien garder des points fertifiés, aussi exposés surtout que le sont les nôtres, c'est d'avoir à sa disposition des troupes dont l'organisation permanente ne laisse rien à désirer. A ce point de vue, il est facile de concevoir qu'il faut à la Belgique une seule et même infanterie bien organisée et bien exercée.

L'uniformité d'organisation et l'égalité d'aptitude dans l'infanterie donnent seules au général en chef la liberté d'action et la promptitude d'impulsion nécessaires pour opérer avec succès. Il doit pouvoir, à l'occurrence, employer indifféremment et selon les besoins du moment ses troupes, soit à défendre les places fortes, soit à composer l'armée active.

Cette liberté d'action est d'autant plus indispensable, que toutes les parties de la force publique sont destinées à agir avec spontanéité et simultanéité : il faut absolument, comme je l'ai déjà dit, que les garnisons soient à leur poste pour que l'armée puisse entrer en campagne.

Ici, messieurs, sans vouloir soulever un débat immédiat, je suis naturellement amené par ces considérations à poser une alternative.

Dans l'état actuel de son organisation, l'armée belge n'est pas constituée de manière à satisfaire convenablement aux conditions que je viens d'énumérer ; en bien des cas, elle ne pourrait entrer immédiatement en campagne et pourvoir en même temps aux garnisons des nombreuses forteresses disséminées sur tous les points du territoire. Si donc, ce que je ne veux pas préjuger aujourd'hui, l'on veut continuer à suivre les errements qui, jusqu'à ce jour, ont dominé nos institutions militaires, il faudra forcément en venir à une nouvelle et considérable diminution dans le nombre de nos forteresses. C'est le seul moyen pratique de bien sauvegarder celles que l'on conserverait, sans nuire d'une manière regrettable à l'effectif de l'armée active.

Cette idée est si naturelle, que ceux-là mêmes qui veulent tout conserver ne cessent de porter leur attention sur l'établissement d'un système de concentration, qui est, à leurs propres yeux, réclamé par l'état de choses existant. L'extension que l'on veut donner à la place d'Anvers et à ses dépendances n'est pas autre chose que la réalisation de ce système de concentration et, plus cette extension sera considérable, plus nous serons obligés de renoncer à certaines forteresses, dont l'existence, en affaiblissant l'armée active, pourrait en même temps lui faire courir de graves dangers. Il serait, en effet, possible que ces forteresses fussent, dans des circonstances critiques, le point de départ de combinaisons stratégiques, qui compromettraient les lignes de retraite vers notre refuge, construit à si grands frais. On conçoit facilement qu'un tel événement serait le plus grand désastre qui pût atteindre la patrie.

Messieurs, je ne me fais pas illusion ; je n'ai pas la prétention de faire, généralement et immédiatement surtout, partager telles de mes convictions que l'on n'a cessé de combattre, depuis qu'a surgi la question de la défense du pays. Il faut du temps pour modifier l'effet de la constance que l'on a mise à les décrier.

Il est difficile de détruire promptement le résultat de discours brillants, de phrases chaleureuses. Ne tendait-on pas à vous présenter les convictions comme un système, qui était une flétrissure pour le pays ? C'est en effet ainsi que l'on a cru devoir caractériser l'opinion des adversaires de l'organisation qui fut adoptée. Cette sévérité ne m'a pas découragé. Il ne faut jamais, en Belgique, ce pays de raison et de bon sens, perdre l'espoir de voir triompher les idées que l'on croit les plus conformes aux intérêts de la nationalité.

Je borne ici, messieurs, les considérations que j'avais à vous présenter. Elles ont toutes été dictées, non seulement par mon dévouement au pays, mais encore par le vif intérêt que je porte à l'armée ; on ne peut, en effet, mieux servir cette dernière, qu'en lui assurant un rôle qui la rende chère au pays et la mette à même de sauvegarder les intérêts nationaux les plus précieux. Or, messieurs, c'est en la constituant au point de vue de sa plus grande utilité pratique, qu'on la protégera le plus efficacement. Cette noble institution doit savoir ce que l'on attend d'elle.

Il faut que sa mission soit bien définie et que, dans son action, elle ne soit pas livrée à tous les hasards d'un système plein de vague et d'inertitude. Il faut, surtout, lui faire redouter des fictions qui, en lui enlevant de son importance réelle, ne lui viendraient nullement en aide au milieu des dangers dont la patrie pourrait être menacée.

La Chambre voudra bien m'excuser d'avoir aussi longtemps occupé son attention par des considérations, qui ne peuvent avoir de conséquences immédiates ; mais il m'eût été impossible d'en agir autrement. Je ne veux pas que mon abstention, lors du vote du budget, soit considérée comme un acte d'hostilité ou d'indifférence. Il me tient à cœur que chacun en connaisse bien les véritables motifs.

L'organisation de l'armée est, selon moi, défectueuse, au point de vue des nécessités de notre position ; je ne puis donc lui donner mon approbation. D'un autre côté, je ne voterai cependant pas contre le budget en discussion, parce qu'il est possible, du moins, de trouver dans la constitution actuelle de cette armée, les éléments nécessaires à la conservation et à la bonne défense des places fortes, en dehors de ceux que l'on y a particulièrement destinés.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Messieurs, la Chambre comprendra que m'étant préparé à la défense du budget au point de vue administratif, je n'ai pas pu prévoir que la question d'organisation serait discutée de nouveau devant vous et que dès lors j'aurais à répondre à l'honorable général qui vient de porter la parole.

Je commencerai par le remercier des choses bienveillantes et flatteuses qu'il a bien voulu dire pour moi. Je les accepte, non pas à titre personnel, mais comme chef de l'administration de l'armée à laquelle je reconnais avec plaisir qu'il a voulu rendre hommage dans cette circonstance.

L'honorable général a représenté une partie des arguments qu'il avait fait valoir dans la commission mixte, pour faire admettre un projet d'organisation qui lui paraissait préférable à celui qu'on a cru devoir adopter.

Certes, au point de vue scientifique, il était possible de soutenir tout ce qui a été avancé par le parti qui a succombé. Mais avons-nous à nous prononcer aujourd'hui en dernier ressort sur ce procès déjà jugé ? Là est la question.

Une commission mixte a été chargée du soin de présenter un projet d'organisation militaire, cette commission n'a pas pu être unanime dans ses décisions. La majorité a été écoutée. La question a été portée devant la Chambre, et la Chambre l'a résolue d'une manière souveraine. Pour le moment nous n'avons plus à nous en occuper.

Je désire cependant rencontrer quelques-unes des observations de l'honorable préopinant, et j'espère le convaincre que nous ne sommes pas aussi loin de nous entendre qu'il paraissait le présumer en commençant.

Il nous a parlé de restrictions qui nous entourent, je n'en connais aucune que les conditions ordinaires de la neutralité. Mon honorable collègue vient de proclamer devant vous que notre neutralité est reconnue, que notre neutralité n'est pas attaquée, mais je dirai qu'en présence de cette neutralité reconnue, qui n'est pas menacée d'être attaquée, nous avons cependant à remplir le devoir d'être toujours prêts à la défendre. Nous avons ce devoir à remplir et envers nous-mêmes et envers ceux qui nous entourent.

C'est en vertu de ce principe que l'organisation de l'armée a été arrêtée dans les conditions actuelles. C'est en vertu de ce principe que la Chambre a jugé convenable de confier au gouvernement le soin d'organiser nos forces militaires comme elles le sont et de porter au budget les crédits nécessaires pour en maintenir les cadres sur cette échelle.

Quant à la division qui a été faite en armée de réserve et en armée active, il serait difficile de discuter en ce moment les motifs qui ont fait prévaloir cette manière d'opérer. Mais je ne puis accepter la distinction que l'honorable préopinant a faite entre l'armée active et l'armée de réserve.

Les éléments en sont les mêmes. Seulement les hommes de la réserve appartiennent à des classes plus anciennes que celles qui fournissent les hommes de l'armée active. Si dans leur organisation actuelle les cadres pr

L'orateur auquel je réponds a laissé échapper dans son discours une phrase que je suis forcé de relever.

Il aurait fallu, a-t-il dit, consacrer une partie des sommes portées au budget de la guerre à des nécessités plus impérieuses.

J'en demande pardon à l'honorable général, mais je ne connais pas de nécessité plus impérieuse que la défense du pays, je n'en connais pas de plus impérieuse que la conservation de son indépendance ; eri présence d'aussi grands intérêts, toute autre idée s'efface ou devient secondaire.

L'honorable général a touché la question des forteresses, eh bien, messieurs, en ce moment même cette question est soumise à de nouvelles études et, dans un avenir peu éloigné, des comités spéciaux auront à s'occuper de projets qui pourront amener la question de savoir s'il ne serait pas utile de supprimer quelques-unes de nos places fortes, précisément pour suivre le système de concentration qui a été préconisé et que l'honorable général a si parfaitement compris.

Quant aux positions données actuellement à la réserve, ici encore nous nous rapprochons dans notre manière de voir, car j'ai eu l'honneur, il y a peu de jours, de présenter au conseil des ministres des idées nouvelles sur les emplacements à assigner à la réserve et sur les moyens de la réunir. Je trouve, en effet, qu'il y a là quelque chose à faire, et je n'approuve pas entièrement le système qui a prévalu jusqu'aujourd'hui.

Il y a peu de divergence entre l'opinion de l'honorable préopinant et la mienne, sur les craintes que nous pouvons concevoir et sur la manière dont nous devons disposer nos moyens de défense. Je pense aussi que la réunion de la réserve doit, sinon précéder l'attaque, du moins marcher de concert avec elle. Rien ne doit être négligé pour que la réserve puisse fournir un concours efficace. J'espère pourvoir à cette nécessité, et je prendrai d'ailleurs en sérieuse considération les observations qui viennent d'être présentées à la Chambre.

Discussion des articles

Chapitre premier. Administration centrale

Articles 1 à 5

(page 119) « Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »

- Adopé.


« Art. 2. Traitement des employés civils ; fr. 151,000. »

- Adopté.


« Art. 3. Supplément aux officiers et sous-officiers employés au département de la guerre : fr. 14,000. »

- Adopté.


« Art. 4. Matériel : fr. 40,000. »

- Adopté.


« Art. 5. Dépôt de la guerre : fr 29,000. »

- Adopté.

Chapitre II. Etats-majors

Articles 6 à 8

« Art. 6. Traitement de l'état-major général : fr. 770,214 10. »


« Art. 7. Traitement de l'état-major des provinces et des places : fr. 290,699 70. »

- Adopté.


« Art. 8. Traitement du service de l'intendance : fr. 150,748 50. »

- Adopté.

Chapitre III. Service de santé des hôpitaux

Article 9 à 11

« Art. 9. Traitement du service de santé des hôpitaux : fr. 209,486 75. »

- Adopté.


« Art. 10. Nourriture et habillement des malades ; entretien des hôpitaux : fr. 627,792. »

- Adopté.


« Art. 11. Service pharmaceutique : fr. 100,000. »

- Adopté.

Chapitre IV. Solde des troupes

Article 12 à 16

« Art. 12. Traitement et solde de l'infanterie : fr. 11,851,000. »

« Les crédits qui resteront disponibles, à la fin de l'exercice sur les chapitres II, III, IV et VIII, concernant le personnel, pourront être réunis et transférés, par des arrêtés royaux, à la solde et autres allocations de l'infanterie, ce qui permettra le rappel sous les armes, pendant un temps déterminé, d'une ou de deux classes de miliciens qui appartiennent à la réserve.

- Adopté.


« Art. 13. Traitement et solde de la cavalerie : fr. 3,571,000.’

- Adopté.


« Art. 14. Traitement et solde de l'artillerie : fr. 2,955,000. »

- Adopté.


« Art. 15. Traitement et solde du génie : fr. 793,900. »

- Adopté.


« Art. 16. Traitement et solde des compagnies d'administration : fr. 265,000. »

« Les hommes momentanément en subsistance près d'un régiment d'une antre arme compteront pour toutes leurs allocations, au corps où ils se trouvent en subsistance. »

- Adopté.

Chapitre V. Ecole militaire

Articles 17 et 18

« Art. 17/ Etat-major, corps enseignant et solde des élèves : fr. 175,417 60. »

- Adopté.


« Art. 18. Dépenses d'administration : fr. 25,950 90. »

- Adopté.

Chapitre VI. Etablissements et matériel de l’artillerie

Articles 19 et 20

« Art. 19. Traitement du personnel des établissements : fr. 37,000. »

- Adopté.


« Art. 20. Matériel de l'artillerie : fr. 763,000. »

- Adopté.

Chapitre VII. Matériel du génie

Article 21

« Art. 21. Matériel du génie : fr. 700,000. »

- Adopté.

Chapitre VIII. Pain, fourrage et autres allocations

Articles 22 à 25

« Art. 22. Pain : fr. 1,916,643 52. »

- Adopté.


« Art. 23. Fourrages en nature : fr. 3,025,000. »

- Adopté.


« Art. 24. Casernement des hommes : fr. 633,000. »

- Adopté.


« Art. 25. Renouvellement de la buffleterie et du harnachement : fr. 100,000 »

- Adopté.

Article 26

« Art. 26. Frais de route et de séjour des officiers : fr. 85,000. »

M. Magherman. - Messieurs, je désire appeler un instant l'attention de M. le ministre de la guerre sur les frais de route et de séjour des officiers en voyage. Le tarif qui règle cet objet est d'une date très ancienne. Cependant les tarifs qui concernent cette matière dans d'autres départements ont été modifiés, à raison des facililés de voyage qu'a procurées le chemin de fer. En effet, grâce à cette voie de communication, on fait en un jour et à beaucoup moins de frais des voyages qui autrefois exigeaient beaucoup plus de temps et de dépenses.

Je n'entrerai pas dans des détails. Je ne m'attendais pas à voir la discussion du budget avancée jusqu'à ce point aujourd'hui ; je me borne à appeler en général l'attention de M. le ministre de la guerre sur lus tarifs en vigueur dans son département ; de la modification de ces tarifs peut résulter une économie considérable dans le budget.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - J'aurai l'honneur de répondre à l'honorable M. Magherman que cet objet a déjà attiré mon attention, sans avoir cependant donné lieu jusqu'à présent à aucuue mesure nouvelle ; je ferai observer à l'honorable membre, que l'emploi des chemins de fer n'est pas de nature à modifier profondément les tarifs actuels, en ce qui concerne les frais de route des officiers. Les officiers en voyage sont souvent des officiers montés ; ils doivent être accompagnés de chevaux ; cette circonstance explique pourquoi on n'a pas encore mis le tarif en rapport avec les facilités de voyage que procure le chemin de fer. Quand on s'occupera de cet objet, l'observation de M. Magherman ne sera pas perdue.

- Personne ne demandant plus la parole, l'aricle 26 est mis aux voix et adopté.

Articles 27 à 29

« Art. 27. Transports généraux : fr. 60,000. »

- Adopté.


« Art. 28. Chauffage et éclairage des corps de garde : fr. 50,000. »

- Adopté.


« Art. 29. Remonte : fr. 558,340. »

- Adopté.

Chapitre IX. Traitement divers et honoraires

Articles 30 et 31

« Art. 30. Traitements divers et honoraires : fr. 156,700. »

- Adopté.


« Art. 31. Frais de représentation : fr. 30,000.’

- Adopté.

Chapitre X. Pensions et secours

Article 32

« Art. 32. Pensions et secours : fr. 67,185 18. »

- Adopté.

Chapitre XI. Dépenses imprévues

Article 33

« Art. 33. Dépenses imprévues : fr. 98,490 25.

« (La partie disponible du crédit porté à l'article 33 pourra être transférée, par des arrêtés royaux, à d'autres articles du même budget, si des circonstances éventuelles rendaient insuffisants les crédits alloués ponr, ceux-ci.) »

M. Thiéfry. - La section centrale a présenté un amendement à cet article ; je demanderai à. M. le ministre de la guerre s'il se rallie à cet amendement.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Je ne m'y rallie pas.

M. Thiéfry. - M. le ministre ne se ralliant pas à l'amendement, je dois le développer. Je serai peut-être un peu long ; il est plus de quatre heures ! La Chambre désire-t-elle que je continue ?

- Des membres. - Parlez.

M. le président. - M. Thiéfry, vous avez la parole.

M. Thiéfry. - Je viens, bien malgré moi, vous entretenir pour la quatrième ou la cinquième fois de la masse des recettes et dépenses imprévues. L'amendement dont il est question a pour but d'imposer l'obligation de mettre le règlement de l'administration de l'armée en rapport avec la loi sur la comptabilité ; il a été adopyé par la section centrale, à l’unanimité, et a déjà été présenté lors de la discussion du budget des recettes et dépenses pour ordre ; je l’ai retité alors à la demande de M. le ministre des finances, et dans la persuasion que M. le ministre de la guerre se serait enfin conformé à la loi sur la comptabilité.

(page 120) Vous le savez, messieurs, c'est en raison des abus qui avaient eu lieu, que j'ai demandé, il y a déjà plusieurs années, que les recettes et dépenses de cette masse fussent portées dans les budgets.

Quand même toutes les dépenses seraient bien justifiées, vous devriez encore adopter l'amendement de la section centrale.

En effet, si les Chambres ont fait une loi, c'est pour que les ministres la respectent ; or, tous se conforment à la loi sur la comptabilité, excepté M. le ministre de la guerre. Si une chose doit surprendre, c'est de voir des hommes, si sévères pour le plus petit acte d'indiscipline, se refuser de se soumettre à la loi.

L'article 16 de la loi sur la comptabilité dit :

« Les ministres ne peuvent faire aucune dépense au-delà des crédits ouverts à chacun d'eux. »

Eh bien, M. le ministre de la guerre fait des dépenses en dehors des crédits qui lui sont ouverts.

Le deuxième paragraphe du même article est ainsi conçu :

« Ils ne peuvent accroître par aucune recette particulière le montant des crédits affectés aux dépenses de leurs services respectifs. »

M. le ministre de la guerre, contrairement au paragraphe de cette loi, crée des recettes particulières pour faire les dépenses dont je viens de parler.

Mon amendemeut ne devrait nécessiter aucun autre développement pour obtenir l'assentiment unanime de la Chambre ; car je ne puis pas supposer qu'il en est un seul parmi nous, et je n'en excepte pas même les honorables membres qui siègent au banc des ministres, il n'en est pas un, dis-je, qui oserait prétendre que M. le ministre de la guerre ne doit pas se soumettre à la loi comme les autres ministres. Si la loi est imparfaite, présentez un projet pour la changer ; aussi longtemps que celle existante n'est pas modifiée, M. le ministre de la guerre doit s'y conformer.

Voici, messieurs, le dernier paragraphe de l'article 16 :

« Il est également fait recette sur l'exercice courant de la restitution au trésor des sommes qui auraient été payés indûment ou par erreur sur les ordonnances ministérielles, et généralement de tous les fonds qui proviendraient d'une source étrangère aux crédits législatifs sauf les exceptions déterminées par les règlements sur l'administration de l'armée et relatives aux ventes du fumier dans les corps de troupes à cheval, des objets d'habillement et d'équipement hors de service dans les corps des diverses armes et des approvisionnements sans destination, par suite de mouvements inopinés de troupes sur le pied de guerre. »

Il en résulte à évidence que la loi sur la comptabilité maintient les recettes de la masse des recettes et dépenses imprévues, mais uniquement, remarquez-le bien, messieurs, pour la vente de fumier dans les corps de troupes à cheval, pour les objets d'habillement et d'équipement hors de service dans les corps, et pour les approvisionnements sans destination, par suite de mouvements inopinés de troupes sur le pied de guerre. Toutes ces recettes doivent être versées au trésor par le département de la guerre, d'après la loi, il ne peut en disposer : toutes les dépenses, sans exception aucune, doivent figurer au budget.

Cela est tellement clair et positif, que j'ai été d'abord dans l'intention de ne donner aucune autre raison à l'appui de mon amendement. Toutefois, en présence des refus réitérés de tous les ministres de la guerre, je me crois obligé d'ajouter encore quelques considérations.

Ayant su que de sommes importantes avaient été dépensées à diverses reprises pour couvrir des déficits provenant de vols qui n'avaient eu lieu qu'en raison de la négligence des officiers responsables, j'essayai en 1849 d'introduire la régularité dans cette comptabilité. J'ai cru alors, comme la section centrale qui a examiné le budget, que dans le courant de l'année, on ne faisait sur cette masse, que les dépenses permises par le règlement de 1819, et qu'il n'y ayait d'abus qu'au moyen de l'excédant dés recettes existant à la fin de l'année. Voici ce qui est consigné dans le rapport du 7 février 1849, de l'honorable M. de Man :

« L'article 156 du règlement de 1819 dispose que, lorsqu'il y a excédant sur ce fonds, le département de la guerre fera servir cet excédant au bien-être commun du corps ou à toute autre utilité.

« La section centrale ayant été d'avis qu'il convenait que les garanties destinées à assurer le bon emploi des deniers publics fussent étendues à l'usage qui est fait de cet excédant de recette, a manifesté le désir que le gouvernement prît l'engagement de n'en disposer qu'à la suite d'un arrêté royal motivé, publié au Moniteur.

« Le gouvernement a répondu dans les termes suivants pour « satisfaire aux vœux émis par la section centrale : « Le ministre de la guerre s'empresse de faire connaître que le gouvernement ne fait aucune difficulté à prendre l'engagement qu'on lui demande. En conséquence, si après la clôture générale et annuelle des comptes au 1er janvier de chaque année, il y avait un excédant de recettes, le département de la guerre s'engage à ne disposer de cet excédant en tout ou en partie, que par suite d'arrêts royaux qui seront publiés au Moniteur. »

« La section centrale ayant obtenu la satisfaction qu'elle désirait, a adopté le crédit proposé. »

Malgré cet engagement, qu'est-il arrivé, entre autres faits ? On a payé chaque année une somme de 4,000 francs pour le loyer de la maison où dînent les officiers des grenadiers, et personne n'a jamais vu au Moniteur un arrêté royal autorisant cette dépense. On a donc payé 36,000 fr. pour cette maison ; et si mes renseignements sont exacts, on a encore puisé dans la masse, pour couvrir les frais de l'établissement de la table des officiers, une somme beaucoup plus importante qu'une et deux années de loyer.

Il faut avouer, messieurs, que les sous-officiers et soldats ont dû payer leurs habillements bien cher pour couvrir cette dépense.

Ce ne sont pas seulement certaines dépenses que je critique, je blâme encore plus fortement les recettes qui se font au moyen de mesures qu'on peut hardiment qualifier d'immorales. Indépendamment de 2 p. c. qu'on retient sur toutes les factures des livrances faites pour le soldat, le département de la guerre fixe à volonté le prix auquel les hommes payent leurs effets d'habillement ; il les taxe si bien que le pauvre soldat paye 12 et 14 p. c, quelquefois plus, au-dessus de ce que les effets ont coûté. Voici le résultat de mes recherches faites sur l'exercice 1853 :

Le drap bleu et vert a été adjugé 8 64 le mètre. Le département de la guerre a non seulement bénéficié 2 p. c. sur la facture, mais il a en outre vendu ce même drap aux soldats pour 9 50. Il a réalisé un bénéfice de 11.95 p. c.

Le drap gris a été adjugé 7 65, vendu au soldat 8 50. Bénéfice 13.11 p. c.

Coiffe de shakos, adjugé 40 c., vendu au soldat 45 c. Bénéfice 15 p. c.

Cordons en laine pour clairons, adjugé 3 95, vendu au soldat 4 50. Bénéfice 15.97 p. c.

Galon en fil blanc, adjugé 23 c., vendu au soldat 30 c. Bénéfice 30.43 p. c.

Boulons, adjugé 26 c., vendu au soldat 30 c. Bénéfice 15.38 p. c.

Patiences, adjugé 4 c., vendu au soldat 5 c. Bénéfice 25 p. c.

Gourdes, adjugé 74 c., vendu au soldat 85 c. Bénéfice 10 p. c.

Banderole de gourdes, adjugé 22 c., vendu au soldat 25 c. Bénéfice 13.63 p. c.

Sangle de couverture, adjugé 79 c., vendu au soldat 90 c. Bénéfice 13.92 p. c.

Il est inutile que j'en cite davantage pour faire ressortir toute l'iniquité d'une mesure semblable ; aucune loi ne permet à un ministre de se créer des ressources particulières. Les moyens employés blessent la délicatesse, ils donnent au soldat le droit de dire : On me trompe, on me vend mes effets beaucoup trop cher.

En mai 1853, je fis encore de nouveaux efforts pour faire ressortir la nécessité de mettre le règlement de l'administration de l'armée en rapport avec la loi sur la comptabilité.

On me répondit par des exagérations de chiffres vraiment incroyables. M. le colonel Renard, en sa qualité de commissaire du Roi, affirmait aussi qu'il n'y avait que des dépenses permises par le règlement d'administration, et qu'on ne disposait de l'excédant que par des arrêtés royaux publiés au Moniteur ; cependant, dans ce même moment on payait et on a régulièrement payé depuis les 4,000 fr. de loyer dont j'ai parlé. D'autres sommes l'ont été également sans arrêtés royaux.

Toutefois, je dois dire que dans cette séance la question fit un pas, très petit il est vrai. M. le commissaire du Roi, au nom du ministre de la guerre, déclara à la Chambre qu'il s'engageait à transmettre chaque année à là cour des comptes les comptes de la masse des recettes et dépenses imprévues. Eh bien, messieurs, celle promesse fut très vite oubliée, deux ans s'écoulèrent sans qu'aucun dépôt eût lieu à la cour des comptes, il a fallu que la section centrale du budget des recettes et dépenses pour ordre s'en plaignît dans son rapport du mois de mai dernier pour obtenir… devinez quoi, messieurs ? Le compte de la masse, me répondrez-vous ? Vous vous tromperiez ! C'est une simple feuille de papier dont voici la copie. C'est une note des recettes et des dépenses sans aucune pièce justificative.

Or, je le demande, comment la cour des comptes pourrait-elle exercer un contrôle efficace ? Il lui est impossible de voir si le département de la guerre a renseigné toutes les recettes, ou s'il n'y a pas eu de dépenses secrètes.

Je prie M. le ministre de nous dire si la cour des comptes ne lui a pas fait les mêmes observations que je lui présente en ce moment ; si elle ne lui a pas dit aussi que pour bien des sommes il y avait des crédits ouverts au budget, et si enfin le département de la guerre n'a pas gardé à ce sujet le silence le plus complet.

Je me résume, les recettes comme les dépenses de la masse dont nous nous occupons sont irrégulières et illégales. L'amendement impose l'obligation de mettre les unes et les autres en rapport avec la loi sur la comptabilité ; mais la section centrale demande en outre qu'aucun bénéfice ne puisse plus avoir lieu sur la vente des effets livrés aux sous-officiers et soldats.

La Chambre, je n'en doute pas, s'associera à la pensée qui a guidé la section centrale, pensée aussi sage que juste.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Messieurs, en effet, la masse des recettes et dépenses extraordinaires et imprévues a déjà été à plusieurs reprises l'objet des attaques de l'honorable M. Thiéfry. J'ai lieu de croire que des explications incomplètes n'ont pas permis à la Chambre de comprendre d'une manière absolue en quoi consiste cette masse, et à quelles nécessités elle pourvoit.

J'aurai l'honneur de faire connaître à la Chambre l’origine de cette masse qui est instituée par le règlement de 1819. L'article 154 de ce règlement est ainsi conçu :

« Il sera créé dans chaque corps une masse des recettes et dépenses extraordinaires et imprévues. »

(page 121) Remarquez, messieurs, et la suite de mon discours vous le prouvera, je le pense ; remarquez, dis-je, que toute l’erreur existe dans la fausse appellation de cette masse.

Si, au lieu de la nommer masse des recettes et dépenses extraordinaires et imprévues, on l'avait intitulée « masse générale des sous-officiers et soldats, » elle aurait dès l'abord été mieux comprise ; elle aurait été aussi, je dois le dire, mieux administrée.

Tout en défendant l'existence de la masse, je ne prétends pas défendre certains abus qui ont existé et qu'on a signalés à bon droit dans cette enceinte et ailleurs.

Nous lisons : « Il sera créé dans chaque corps une masse de recettes et dépenses extraordinaires et imprévues.

« Les recettes de cette masse se composeront :

« A. D'une retenue de deux pour cent à faire sur le montant de tous les comptes ou déclarations de fabricants, marchands ou maîtres-ouvriers, excepté ceux attachés aux corps, qui auront fait des fournitures ou ouvrages quelconques pour l'administration d'un corps. »

Voilà le premier élément de la masse des recettes et dépènsss extraordinaires et imprévues.

« Des traitements dus par décompte à des officiers qui ne sont plus présents, pour autant qu'il ne sera pas possible d'en effectuer le payement. »

Cette ressource est d'une extrême insignifiance, comme vous pouvez croire.

« C. De ce qui est dû par la masse d'habillement et d'entretien à des hommes qui ne sont plus au corps, pour autant que le payement n'en pourra ou n'en devra pas être effectué.

« D. Du restant disponible de l'indemnité pour frais d'administration.

« E. Du restant disponible de la niasse d'entretien du harnachement et le ferrage des chevaux des troupes à cheval.

« F. Du restant disponible de la masse de recrutement, pour autant que le département de la guerre en aura donné l'autorisation.

« G. Des bénéfices qui pourront se faire sur les prix d'achat des effets.

« H. Du produit des objets vieux ou hors de service, soit qu'ils aient été vendus publiquement, soit qu'ils aient été fournis aux infirmeries, pour autant que ces objets auront été compris sans valeur dans les comptes des magasins.

« I. De tous les bénéfices imprévus qui pourront se faire au profit de cette masse, en vertu de ce règlement ou par autorisation spéciale du département de la guerre. »

Voilà, messieurs, l'origine de la masse ; vous venez de voir de quoi elle se compose.

Maintenant à quoi a-t-elle à pourvoir ?

« Les dépenses à imputer à cette masse seront :

« A. Les dettes à la masse d'habillement et d'entretien des hommes perdus ou congédiés.

« B. Le déficit de l'indemnité pour frais d'administration, pour autant que le départemenl de la guerre en aura donné l'autorisation spéciale.

« C. Le déficit de la masse d'entretien du harnachement et ferrage des chevaux des troupes à cheval, lorsque le département de la guerre en aura donné l'autorisation spéciale.

« D. Les pertes de buffleterie et du harnachement, pour autant qu'elles ne devront pas être supportées par la masse de renouvellement, et qu'elles auront eu lieu sans qu'il y ait de la faute de celui qui on avait l'usage ou en était dépositaire.

« E. Les pertes d'armes, pour autant qu'elles n'auront pas eu lieu par la faute de ceux qui en avaient l'usage, ou qui étaient chargés de les conserver.

« F. Les pertes qui pourront résulter de la vente d'objets dont on ne peut plus se servir.

« G. Les pertes que l'on pourra faire sur les prix d'objets achetés. »

L'honorable membre a parlé continuellement des bénéfices qu'on fait sur ces objets, il ne vous a pas dit un mot des pertes faites sur ces mêmes objets.

« H. Les frais d'école et les primes d'encouragement des maîtres.

« I. Les frais occasionnés pour la poursuite et l'arrestation des déserteurs, à payer particulièrement aux sous-officiers, envoyés à cet effet par les officiers commandants.

« K. Les frais de route des hommes qui recevront leur congé et qui n'auront pas assez de bon à leur masse d'habillement et d'entretien, pour se rendre au lieu de leur domicile.

« L. Les frais de route à donner aux veuves et aux orphelins des sous-officiers et soldats décédés, pour autant qu'ils en auront besoin.

« M. Le renouvellement des guidons, des cannes des tambours-majors, des cordons des trompettes d'état-major, des cahiers de musique pour fifres, cornets ou trompettes et d'autres objets d'ornement ou de nécessité du même genre, dont les frais ne pourront être portés sur aucune autre masse, et pourront par conséquent être couverts par celle-ci, avec l'autorisation du département de la guerre.

« N. Les pertes imprévues, qui, en vertu de ce règlement ou par autorisation du département de la guerre, pourraient être reportées à charge de cette masse. »

La masse des receltes et dépenses extraordinaires et imprévues pourvoit à une série de dépenses dont les comptes annuels représentent une somme de 190 mille francs en moyenne. Vous remarquerez, messieurs, qu'en raison des sources où cette masse puise son existence, ces 190 mille francs sont un bénéfice net que l'Etat fait sur la solde, car l'honorable M. Thiéfry verse dans une erreur grave lorsqu'il dit que le département de la guerre reçoit de ce chef des sommes qui ne sont pas portées au budget. Toutes les sommes qui entrent dans la masse des recettes et dépenses imprévues figurent au budget à l'article de la solde des hommes.

Pour prendre un exemple plus facile à comprendre, je choisirai la solde du fantassin. Elle est de 70 centimes par jour, ainsi qu'elle figure au budget. Cette solde de 70 centimes est divisée en deux parties distinctes : la première de 44 centimes est destinée à pourvoir à l'alimentation, au blanchissage, au chauffage, à la préparation des aliments et aux menus plaisirs du soldat. Il n'y a rien à distraire de cette somme, elle est portée au livre d'ordinaire des hommes, et tous les cinq jours, après que les dépenses sont réglées, on partage entre eux le très léger montant de ce qui reste de la mise.

La seconde partie, qui est de 26 centimes, constitue ce qu'on appelle la masse d'habillement. Elle doit pourvoir à tous les autres besoins du soldat, relatifs à l'équipement et aux vêtements, tels que l'habit, la veste, la capote, les pantalons, les chemises, etc.

Il résulte de cet exposé, que toutes les sommes figurent implicitement au budget à l'article « solde ».

Maintenant, quel est le but du règlement de 1819 ? Le gouvernement hollandais, qu'on n'a jamais accusé d'être un mauvais administrateur, a reconnu que quand le soldat était habillé et nourri il pouvait se présenter encore, dans un ménage commun de cent mille hommes, des dépenses qu'on n'a pas pu prévoir et auxquelles il faut cependant satisfaire.

Pour ne pas charger l'Etat d'une dépense supérieure à cette de 70 centimes par homme qui ne peut être dépassée, il a fallu établir entre eux une sorte de caisse à l'alimentation de laquelle on les fait contribuer proportionnellement en prenant pour base la dépense de leur équipement. De là les 2 p.c. prélevés sur les comptes à payer aux fournisseurs et qui sont versés, dans l'intérêt des hommes, à la caisse des recettes et dépenses extraordinaires et imprévues.

Les mises de l'homme sont toujours en rapport avec le temps qu'il reste au service et avec le plus ou moins d'ordre qu'il apporte dans l'économie de ses effets ; je suis loin de nier cependant qu'il y ait eu quelque exagération dans l'évaluation annuelle du prix des effets.

J'ai même donné des ordres pour qu'à l'avenir cette différence ne fût plus que d'environ 5 p. c. Elle était de quelque chose de plus ; soit. Mais au bénéfice de qui ? Toujours au bénéfice de la masse, c'est-à-dire au bénéfice de l'Etat. Elle a contribué à préparer l'avoir des recettes et des dépenses imprévues. Elle n'a donc pas été détournée de son but, et n'est pas plus que la première une source de recettes non prévues dans le budget de la guerre.

Après avoir établi le but et la formation de la masse des recettes et des dépenses extraordinaires et imprévues, j'aborderai la question des abus qui ont été signalés par l'honorable M. Thiéfry.

Quatre fois, en 25 ans, on a porté à charge de la masse des recettes et des dépenses extraordinaires et imprévues des sommes détournées par des officiers comptables.

Je ne me joindrai pas à l'honorable membre pour déclarer que ces abus proviennent de l'impardonnable négligence des chefs qui ont subi les conséquences de leur part de responsabilité ; car j'ai sous les yeux tous les documents qui ont été établis à l'époque où ces malversations se sont produites.

M. Thiéfry. - Je les ai eues aussi sous les yeux.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - L'honorable membre a donc pu voir qu'il y a eu des faux. Or, quelle que soit la surveillance d'un chef, il lui esi impossible d'empêcher de tels faits.

Quant à la publicité des comptes qui a été réclamée, je ferai observer qu'elle existe, depuis que la cour des comptes est nantie de l'ensemble des opérations de la masse des recettes et des dépenses extraordinaires et imprévues.

Je passe à la question de l'hôtel qui sert de pension à MM. les officiers du régiment de grenadiers. Il y a eu là un abus, j'en conviens d'autant plus volontiers, que je l'ai supprimé, dès mon arrivée aux affaires. Il a cependant son origine dans une cause qui peut se justifier. Il s'agissait d'établir un système nouveau dont on voulait faire l'expérience. Qui devait en supporter les frais ? Etaient-ce les officiers d'un corps déterminé ? Evidemment non. Etait-ce l'Etat ? Evidemment oui. On aurait mieux fait sans doute de demander un crédit à la Chambre pour faire cette expérience.

Mais on a cru qu'étant possesseur d'un fonds de près d'un million, il n'y avait aucun inconvénient à en employer une partie à cet usage, et l'on pouvait d'autant mieux le croire que, jusqu'à un certain point, les officiers ont une part à réclamer dans la masse, puisqu'ils y interviennent en vertu du paragraphe B de l'article que j'ai eu l'honneur de lire, aux termes duquel le traitement des officiers non réclamé passe à la masse qui nous occupe.

Je sais que c'est plutôt une question de principe, qu'une question d'application, et que rarement des sommes considérables se produisent de cette manière.

(page 122) Toujours est-il que le reproche que l'honorable M. Thiefry a adressé au ministère de la guerre, de ce qu'il n'a pas été pris d'arrêté royal, porte à faux, puisque cette dépense est antérieure à l'engagement du département de la guerre de justifier toutes les dépenses, au moyen d'un arrêté royal. Il y avait un bail, qui avait été passé sous un régime différent.

Le bail est expiré, la dépense a cessé, et de pareilles circonstances ne peuvent plus se reproduire.

Maintenant, où nous conduirait l'adoption de l'amendement ? A la suppression de la masse des dépenses imprévues, donc à la suppression de la recette de 2 p. c. et les fournisseurs seraient payés sans aucune retenue. Je ne sais si les soldats y gagneraient grand-chose ; mais admettons qu'ils y gagnent 2 p. c. Lorsqu'un soldat éprouve une perte quelconque, qui est à la charge de cette masse, il devrait donc la subir à lui seul, tandis qu'aujourd'hui cette masse constitue une véritable association qui a pour but de prendre à sa charge les désastres auxquels des individus isolés ne pourraient pourvoir.

Un autre inconvénient se produira : le chef de corps se trouvant en présence de la nécessité absolue de faire une minime dépense pour l'achat d'un objet quelconque, tel qu'une cible, un tableau à écrire, un balai si vous voulez, devra en passer écriture, faire une demande régulière qui, pour arriver au département de la guerre, suivra la filière de l'intendant provincial, celui-ci fera une instruction et la transmettra à l'intendant de la division, lequel à son tour examinera, fera une enquête et la transmettra au ministre de la guerre. Le ministre la renverra à la 6ème division, qui fera un rapport motivé.

Finalement la dépensée sera autorisé ; le retour de la pièce se fera par la même voie, c'est-à-dire qu'elle nécessitera une correspondance successive avec toutes les autorités que je viens de désigner. C'est alors seulement que le colonel sera légalement autorisé à faire l'emplette dont j'ai parlé.

Ce n'est pas tout ; viendra la vérification trimestrielle ; cette vérification, après avoir suivi toutes les phases précédentes, arrivera au déparlement de la guerre, qui devra la soumettre à la cour des comptes avec l'ensemble des documents. La cour donnera un quitus qui ne sera que provisoire, puisque la Chambre aura à vérifier les comptes de l'année où la dépense aura eu lieu. Messieurs, est-ce là un moyen de simplifier l'administration, de diminuer l'énorme paperasserie dont tout le monde se plaint avec raison et dont il est urgent de se débarrasser ?

En somme, la masse des recettes et dépenses temporaires et imprévues fonctionne depuis 35 ans ; elle a été administrée avec la plus grande probité. Car malgré les griefs qu'on a reprochés à cette masse, il n'est venu à l'idée de personne de signaler l'ombre d'une malversation. Et ce serait pour quatre ou cinq abus, que dis-je ! des abus ? pour quatre ou cinq emplois erronés d'une partie de ce fonds, qu'on voudrait supprimer un rouage qui marche admirablement bien, dont personne n'a en à se plaindre et qui en définitive a produit à l'Etat un bénéfice de 6 millions depuis 1830.

Oui, messieurs, la masse des recettes et dépenses extraordinaires et imprévues paye, année commune. 190,000 francs depuis 25 ans et elle est maintenant à la tête d'un solde créditeur de 1,054,000 francs, ce qui ensemble constitue 6 millions.qui ne sont pas sortis des caisses de l'Etat, tandis que le trésor les aurait payés au contraire, si l'amendement de l'honorable M. Thiéfry avait été adopté il y a 25 ans.

Voilà le résultat que nous avons à espérer ; complication de l'administration, forte dépense en plus et suppression de quatre ou cinq abus, qui d'ailleurs, ne peuvent plus se reproduire en présence des mesures qui ont été prises et qui, en tout état de cause, ne se reproduiraient plus après l'explication qui a été donnée aujourd'hui.

Celte explication aura mis tout le monde à même de comprendre que cette masse formée par le soldat, et alimentée par lui, ne peut servir qu'à ce qui concerne directement le soldat. Personne ne pourra plus être induit en erreur à cet égard ; les abus ne sont donc plus à craindre.

Si, après cela, la Chambre jugeait à propos d'adopter l'amendement, je serais obligé de demander une somme nouvelle de 190,000 fr. à ajouter à l'article 33 du budget.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.