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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 13 janvier 1857

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 430) M. Crombez, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

Pièces adressées à la chambre

M. Calmeyn, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Des bateliers, qui naviguent sur l'Ourthe, demandent que le gouvernement fasse examiner l'état de cette rivière et qu'il prenne des mesures pour assurer leurs vies et leurs propriétés. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Renson, instituteur communal à Fraiture, demande une augmentation de traitement. »

- Même renvoi.


« Le sieur Cornil, fermier-propriétaire à Gosselies, demande qu'il soit pris des mesures pour que les fabriques de briquettes à brûler n'occasionnent aucun dommage aux produits agricoles. »

« Même demande d'autres habitants de Gosselies. »

- Même renvoi.


« Quelques instituteurs primaires demandent une augmentation de traitement. »

- Même renvoi.


« Le sieur Renaud, décoré de la croix de Fer, demande une pension. »

- Même renvoi.


« La dame Goldsmidt prie la Chambre d'accepter un buste du Roi qu'elle vient de terminer et de déléguer un de ses membres pour juger cette œuvre. »

- Même renvoi.


« Le sieur Bouré, ancien combattant de la révolution, prie la Chambre de lui faire obtenir un emploi d'huissier de salle ou de concierge dans un établissement de l'Etat. »

- Même renvoi.


« Le sieur Laurent demande qu'il soit interdit aux employés inférieurs de l'Etat d'exercer une profession soumise au droit de patente. »

- Même renvoi.


« Le sieur Bombeke, ancien conducteur des ponts et chaussées, demande une augmentation de pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Henry demande un traité de commerce avec le Zollverein. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Jalhay demande que les conseils communaux aient le droit de fixer les traitements de leurs secrétaires. »

- Même renvoi.


« Le sieur Jacques Vandevelde, combattant de la révolution, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir le payement de sa pension. »

- Même renvoi.


« Le sieur Logé demande une enquête sur la manière dont sont traités les détenus à l'établissement de St-Michel, lez-Bruges. »

- Même renvoi.


« Le sieur Beeckman, douanier à Capryck et ancien volontaire, demande qu'on l'admette au bénéfice de la loi qui accorde dix années de services à d'anciens officiers. »

- Même renvoi.


« Le sieur Van Bastelaer, commis greffier au tribunal de Charleroi, présente des observations sur le projet de loi relatif à l'organisation judiciaire. »

- Renvoi à la commission du projet de loi.


« Le sieur Delstanche, agronome à Marbais, demande une récompense nationale. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur de Decker, porteur de contraintes, demande une pension et que son fils soit appelé à le remplacer. »

- Même renvoi.


« Des sabotiers à Momignies et à Beauwelz demandent que le bois de bouleau soit tarifé comme bois de chauffage, ou du moins, qu'il soit soumis à un droit d'entrée qui en permette l'importation. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi concernant le tarif des douanes.


« Le sieur Vivinus, ancien garde forestier, demande une augmentation de pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Matthieu, ancien brigadier forestier, demande une augmentation de pension. »

- Même renvoi.


« Le sieur Pierre Brison, combattant de septembre, demande une récompense nationale. »

- Même renvoi.


« Les membres de l'administration communale de Marche demandent que la société concessionnaire du chemin de fer du Luxembourg crée un embranchement vers l'Ourthe avec station à Marche, ou que le gouvernement impose aux concessionnaires d'un chemin de fer de Liège par la vallée de l'Ourthe l'obligation de suivre le tracé par Marche et d'établir une station dans cette ville. »

- Même renvoi.


« Le sieur Colson transmet des renseignements à l'appui de sa demande de pension. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Zarren demandent que la station du chemin de fer de Lichtervelde, qu'on se propose d'établir à Eessen, soit placé à Zarren. »

- Même renvoi.


« Le sieur Mayeur, ancien militaire, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir une place. »

- Même renvoi.


« Le sieur Devogelaere, porteur de contraintes à Ledeberg, demande que les porteurs de contraintes soient compris parmi les employés inférieurs de l'Etat en faveur desquels un crédit supplémentaire est proposé. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargé d'examiner le projet de loi concernant ce crédit supplémentaire.


« Le sieur Mathieu Derryx, dit Derks, musicien gagiste au 1er régiment de ligne, né à Liège, demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Pierre Brison, combattant de septembre, demande une récompense nationale. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Vanden Dyck, instituteur communal à Saventhem, demande une augmentation de traitement. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Heppen présentent des observations sur la situation que font à l'agriculture les droits qui pèsent sur les houilles et les fontes. »

« Mêmes observations d'habitants de Meux, Baulers, Lavacherre, Herck-la-Ville, Plancenoit, Waterloo, des membres du conseil communal de Champion, Lavacherie, Genval, Orp-le-Grand, Nukerke, Stuyvekenskerke, Binche, Estinnes-au-Mont, Estinnes-au-Val, Tenneville, Forsière, Opheylissem, Neerheylissem, Trognée, Corthys. Kerniel, Flawinne, Péronnes, Battignies, Buvrinnes, Gondreghies, Marbais, Zoersel, Ormeignies, Bure, Tellin, Masbourg, Awenne, Renaix, Anderlues, Havre, Lincent, Luttre, Obaix, Tubize, Bruxelles, Liernu, Jurbise, Dixmude, Ruysselede, Uytkerke et Deynze. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi concernant le tarif des douanes.


« Plusieurs instituteurs primaires à Gand prient la Chambre d'améliorer leur position. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« Les membres du conseil communal de Champion demandent que la société concessionnaire du chemin de fer de Luxembourg établisse une station à Marloye et que le gouvernement fasse construire une roule de raccordement entre le pont de Harsin et le village de Jemeppe. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des employés de l'administration provinciale de Liège présentent des observations sur le projet d'arrêté organique du personnel des bureaux des administrations provinciales. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« Le sieur Frankignoulle, syndic de la chambre des notaires de Liège, déclare que cette assemblée est restée étrangère à l'hommage de diverses publications relatives au notariat qui a été fait à la Chambre par le sieur Gilkinet. »

- Pris pour information.


« M. le ministre de la justice transmet une demande de naturalisation du sieur Fidèle Stendemans. »

Renvoi à la commission des naturalisations.


« Des meuniers dans la province d'Anvers demandent de pouvoir continuer à faire usage de balances romaines. »

« Même demande de meuniers à Campenhout, Warcoing, Saint-Léger, Pecq, Estaimbourg, Bailleul, dans le canton de Sottegem, dans les provinces de Brabant, de Flandre orientale et d'Anvers. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Vyncke, soldat au régiment des grenadiers, demande de pouvoir retirer une somme qui a été versée en sa faveur à la caisse du régiment. »

- Même renvoi.


« Le sieur Van Overstraten, secrétaire de la légation de Belgique à Turin, prie la Chambre d'augmenter le crédit alloué au budget des affaires étrangères en faveur des attachés et des secrétaires de légation de seconde classe, et propose de couvrir cette dépense au moyen des droits de chancellerie dont le tarif serait élevé. »

- Même renvoi.


(page 431) « Le sieur Augustin Braun, professeur d'allemand à l'athénée royal d'Arlon, né à Commern (Prusse), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Les sieurs Falisse et Trapmann, fabricants de cardes, à Liège, demandent que, dans le nouveau tarif des douanes, les tissus en coton et caoutchouc et les fils de fer servant à la fabrication des cardes soient déclarés libres à l'entrée. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi portant révision du tarif des douanes.


« Plusieurs officiers des anciens régiments de réserve réclament l'intervention de h Chambre pour obtenir le remboursement des sommes qui ont été retenues sur leurs appointements depuis le 1er janvier 1840 jusqu'au jour où ils ont quitté la réserve. »

« Même demande d'autres officiers. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Verschueren, décoré de la croix de Fer, prie la Chambre de statuer sur sa demande tendante à obtenir un secours. »

- Même renvoi.


« Le sieur Jules Benard prie la Chambre de lui conférer la naturalisation ordinaire, au lieu de la grande naturalisation qu'il a demandée et de l'exempter du droit d'enregistrement. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Le sieur Camille-Charles-Auguste de Moere prie la Chambre de considérer comme non avenue sa demande de grande naturalisation. »

- Pris pour information.


« La députation permanente du conseil provincial du Luxembourg demande que l'allocation destinée au personnel des bureaux de l'administration de cette province soit portée à 39,000 fr. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« Le sieur Isidore Carie, coiffeur et parfumeur â Bruxelles, né à Henton (Sardaigne), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.

« Des négociants commissionnaires et armateurs à Ostende prient la Chambre de maintenir les dispositions législatives concernant le courtage des navires et les déclarations à faire en douane, ainsi que la jurisprudence qui a sanctionné ces dispositions. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur la pétition du sieur Van Loo.


« Des extracteurs de minerais de fer des communes de Ligny, Saint-Amand, Tongrinne et Boignée demandent la libre sortie des minerais forts. »

M. Lelièvre. - Je recommande la pétition à l'examen spécial de la commission et à l'attention du gouvernement.

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la proposition relative à la sortie du minerai de fer.


« Le sieur Charles-Auguste Merck, musicien gagiste au 8ème régiment de ligne, né à Landau (Bavière) demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Léon Serena, commis de commerce, à Anvers, né à Venise, demande la naturalisation ordinaire. »

- Même renvoi.


« Le sieur Adolphe Kockerols, artiste statuaire à Anvers, né dans cette ville, demande la naturalisation ordinaire, avec exemption du droit d'enregistrement. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« La veuve Lebois réclame l'intervention de la Chambre, pour obtenir le payement d'un arriéré de traitement dû à son mari. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil de discipline de l'ordre des avocats à la cour d'appel de Liége prie la Chambre de s'occuper du projet de loi sur l'organisation judiciaire, ou du moins des dispositions de ce projet concernant le personnel de la cour de Liège, et demande que la cour et le tribunal de Liège soient dotés d'un personnel qui réponde aux exigences du service. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi.


« Des armateurs, négociants et commissionnaires à Bruges présentent des observations en faveur des conclusions du rapport sur la pétition du sieur Van Loo, relative au courtage maritime. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur la pétition du sieur Van Loo.


« Plusieurs greffiers des justices de paix dans l'arrondissement de Louvain prient la Chambre d'améliorer leur position. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur l'organisation judiciaire.


« Le sieur Latteur, capitaine adjudant de place pensionné, demande qu'il lui soit alloué sur le fonds dit de Waterloo le supplément du quart de sa pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« M. le ministre de l'intérieur propose une augmentation de crédit en faveur de l'école des arts et manufactures et des mines de Liège. »

- Impression, distribution et renvoi à la section centrale qui a examiné le budget de l'intérieur.


« Par trente-cinq messages en date des 24 et 27 décembre 1856 et 9 janvier 1857, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion :

« 1° A vingt-cinq projets de loi de naturalisation ordinaire ;

« 2° Aux projets de loi :

« Qui ouvre au département des travaux publics des crédits pour les chemins de fer de l'Etat et les lignes télégraphiques ;

« Qui approuve une convention additionnelle au traité de commerce et de navigation entre la Belgique et la Grèce ;

« Qui ouvre au ministère des travaux publics un crédit spécial de 100,000 fr. pour l'établissement de haies de clôture au chemin de fer concédé de Dendre-et-Waes ;

« Contenant le budget des voies et moyens pour l'exercice 1837 ;

« Fixant le contingent de l'armée pour 1857 ;

« Ouvrant au département de l'intérieur un crédit provisoire de 1,200,000 fr. ;

« Contenant des mesures provisoires relatives aux denrées alimentaires ;

« Contenant un crédit supplémentaire de fr. 241,225 67 au budget du département des affaires étrangères pour l'exercice 1857.

« Ouvrant au département de la guerre un crédit provisoire de fr. 900,000.

« Ouvrant au département des travaux publics un crédit provisoire de fr. 4,004,780.

« Contenant le budget du ministère de la justice, pour l'exercice 1837. »

- Pris pour notification.


« Par dépêche du 23 décembre, M. le ministre des finances adresse à la Chambre les états sommaires des adjudications, contrats et marchés passés par les divers départements ministériels, pendant l'année 1855 »


- Dépôt au bureau des renseignements.

« Par dépêche du 10 janvier, M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction cinq demandes de naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Il est fait hommage à la Chambre :

« Par M. le ministre de la guerre, de deux exemplaires de l'Annuaire militaire officiel pour l'année 1857.

« 2° Par le sieur Moens, curé à Tilff, de 108 exemplaires de son ouvrage sur le mariage ;

« 3° Par M. Jules Vilain, chef de bureau au ministère de l’intérieur d'un exemplaire de son traité théorique et pratique de la police des établissements dangereux, insalubres et incommodes ;

« 4° Par le sieur Cousebant d'Alkemade, de 112 exemplaires de son ouvrage intitulé: L'abolition des privilèges d'après la Constitution et le bon marché par le libre échange. »

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.


M. de Rasse, forcé de s'absenter, demande un congé.

- Ce congé est accordé.


Il est procédé au tirage au sort des sections de janvier.


M. Orts (pour une motion d'ordre). - Messieurs, la section centrale qui avait été chargée d'examiner le budget de la guerre avait adressé à M. le ministre une demande de renseignements ; son rapport en fait foi.

Cette demande de renseignements avait été probablement mal comprise. Le- renseignements fournis étaient incomplets.

Pour ne pas retarder le dépôt du rapport, il avait été fait, nonobstant le caractère incomplet des renseignements.

Aujourd'hui M. le ministre de la guerre vient de nous adresser les renseignements qui manquaient.

Je demande la permission de les déposer sur le bureau pendant la discussion du budget. Je ne pense pas qu'ils présentent assez d'importance pour mériter l'impression et surtout pour faire l'objet d'un examen nouveau de la part de la section centrale. C'est un état nominatif. concernant une demande d'augmentation d'indemnités de fourrage pour les médecins militaires.

- La proposition de M. Orts est adoptée. En conséquence, les renseignements seront déposés, sur le bureau pendant la discussion du budget de la guerre.

Projet de loi sur les jurys d’examen universitaire

Discussion générale

M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il au projet de la section centrale ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Non, M. le président ; je maintiens le projet du gouvernement.

M. le président. - En conséquence, la discussion s'établit sur le projet du gouvernement.

La discussion générale est ouverte.

M. Lelièvre. - L'enseignement de l'Etat est l'une des branches les plus importantes du service public. La Constitution qui nous régit a voulu qu'il fût l'objet constant des soins du gouvernement et elle en a confié l'organisation au pouvoir législatif, parce qu'il touche aux intérêts les plus élevés de l'ordre social. La tâche de la législature en cette matière est d'autant plus difficile, qu'il est indispensable de concilier les droits de l'Etat, d'abord avec la liberté de l'enseignement qui est une des plus brillantes conquêtes de la révolution de 1830, et en second lieu avec les besoins de la science, avec le degré de civilisation qu'a atteint notre heureux pays.

(page 432) Partisan sincère d'une instruction publique fortement organisée qui puisse soutenir avec succès la concurrence avec les établissements privés, je pense que nous devons avoir pour but principal d'élever l'enseignement de l'Etat au niveau que réclament les besoins de l'époque, parce que c'est cet ordre de choses qui garantit que l'instruction privée devra répondre elle-même aux nécessités sociales, et assure ainsi des résultats féconds à la liberté de l'enseignement.

Depuis plusieurs années, tous les hommes qui s'occupent des intérêts de la science reconnaisse, ni que l'enseignement supérieur exige des réformes indispensables. On est forcé de convenir que le niveau des études est loin de s'élever et que l'organisation en vigueur, vicieuse à tous égards, donne lieu à de graves abus. On a fait divers essais pour mettre fin à cet état de choses déplorable, mais les différentes dispositions prises dans ce but n'ont pas produit le résultat désiré.

A mon avis, l'une des principales causes qui donnent lieu aux conséquences fâcheuses que personne ne méconnaît, c'est la multiplicité des matières des examens que doivent subir les élèves. Au lieu d'initier la jeunesse à la connaissance parfaite des matières fondamentales de la profession à laquelle elle se destine, on lui impose une tâche d'une difficulté extrême, qui ne peut être remplie que par quelques intelligences d'élite. Les élèves n'ont pas le temps de se livrer à des études profondes ; on néglige l'objet principal pour exiger des jeunes gens qu'ils étudient ; un grand nombre de matières purement accessoires. En définitive ils n'apprennent rien de solide et bientôt ils ont perdu le souvenir de ce qu'ils n'avaient pu connaître qu'imparfaitement et à l'aide d'efforts extraordinaires de mémoire.

Pour ne parler que des études auxquelles je me suis livré plus spécialement dans une carrière déjà longue, je dois confesser que la science du droit est loin d'être en progrès, et que, surtout depuis 1830 le système d'enseignement consacré par nos lois ne paraît pas avoir produit d'heureux fruits, ni formé un grand nombre de sujets capables de lutter en instruction solide avec nos anciens jurisconsultes. Les matières sont trop multipliées. Le droit romain, sans la connaissance duquel l'on ne peut devenir profond légiste, n'est pas étudié d'une manière assez approfondie ; les élèves en général ne connaissent pas suffisamment la partie théorique de cette législation, en tant que, consacrant les principes généraux du droit, elle a mérité le nom de raison écrite, et forme la base de nos lois civiles.

Les jeunes gens sont surchargés de cours accessoires et l'on cherche plutôt à faire des savants qu'à former de profonds jurisconsultes et d'habiles avocats.

Il faut nécessairement revenir à un système d'enseignement qui permette à l'élève de s'attacher à l'objet principal, aux matières qu'il doit connaître parfaitement pour exercer avec honneur la profession difficile à laquelle il se destine. C'est ainsi, qu'à mon avis le premier examen en droit ne devrait porter que sur les institutes du droit romain.

L'élève qui serait initié à cette partie importante, étudiée au point de vue des principes généraux du droit, aurait acquis un fonds de science qui le mettrait à même de comprendre plus tard toute l’économie de notre législation civile.

En ce qui concerne les autres matières qui figurent aujourd'hui dans le programme, on ne devrait exiger qu'un simple certificat, attestant la fréquentation des cours.

La même observation s'applique à l'examen de docteur. Il doit suffire que l'élève subisse une épreuve sur le droit civil, le droit criminel et les pandectes. Voilà les matières fondamentales pour l'exercice de la profession d'avocat, celles que l'élève doit surtout connaître. C'était sur ces matières importantes que portaient exclusivement les examens d'après les règlements qui régissaient l’enseignement universitaire sous le gouvernement du roi Guillaume.

Ce que je viens de dire reçoit son application aux différentes parties de l’enseignement ; et à ce point de vue, je pense qu'en général les choses ont été sainement appréciées par la section centrale.

Du reste, c'est à tort, selon moi, qu'on soumet les élèves à des épreuves trop difficiles. On ne doit pas perdre de vue que les grades académiques ne confèrent d'autre avantage que la faculté d'exercer une profession libérale. Les succès dans l'exercice même de la profession dépendent d'études ultérieures et d'une aptitude spéciale, On conçoit dès lors que l'on ne doive pas se montrer bien sévère pour conférer une simple autorisation d'exercer librement une profession.

Quant à la question relative au grade d'élève universitaire, je suis l'un de ceux qui en 1855 ont voté contre la suppression de cette institution. Je persiste à penser que la création du grade d’élève universitaire est propre à élever le niveau des études, à stimuler les zèle des élèves et à empêcher que ceux-ci ne désertent les humanités pour entrer prématurément à l’université.

Ce qu'il y a du reste de remarquable à cet égard, c'est qu'à l'exception des établissements privés qui ne désirent pas voir leur enseignement contrôlé par les pouvoirs publics, tous les préfets des études, tous les professeurs di rhétorique appartenant aux athénées et collèges de l'Etat ou des communes, sont d'avis que la suppression du grade d’élève universitaire a produit de fâcheux résultats au point de vue de la prospérité des études ; tous regrettent la mesure votée en 1855, avec trop de précipitation, par les Chambres législatives.

Toutefois, je partage l'opinion que l'on doit nécessairement simplifier les matières de l’examen et les réduire dans de justes limites, car il est incontestable que, sous le rapport de la multiplicité des matières et des difficultés de l'examen, l'état de choses créé en 1849 présentait des inconvénients réels. Je regrette qu'au lieu de faire cesser l'abus, on ait préféré supprimer l'institution même.

En ce qui concerne la composition des jurys d'examen, je suis d'avis qu'il faut maintenir le principe libéral de la loi de 1849 qui appelle les professeurs de l'enseignement de l'Etat et ceux des établissements privés à siéger en nombre égal dans le jury.

Toutefois, l'on pourrait, selon moi, sans inconvénient laisser aux différentes universités le droit de conférer les grades préparatoires et préliminaires à l'examen définitif. Ces grades sont purement scientifiques, ils ne confèrent aucun droit. Il suffirait dès lors que les délégués des pouvoirs publics intervinssent lors de la dernière épreuve pour reconnaître l'aptitude spéciale du récipiendaire à l'exercice de la profession à laquelle il se destine.

Si cette idée ne prévalait pas, je serais d'avis qu'on revînt au jury central dont le président serait nommé par le gouvernement. Un président choisi de cette manière a une position plus élevé e et plus impartiale qu'un membre du jury élevé par ses collègues à la présidence. Il aura plus d'autorité pour pouvoir, au besoin, dominer les éléments divers qui composent le jury.

Du reste, il faut convenir qu'un président choisi, comme il l'a été jusqu'à présent, parmi les membres les plus éminents de la magistrature, présente toutes les garanties désirables. L'homme qui est appelé chaque jour à décider avec impartialité les questions les plus délicates touchant à la fortune, a l'honneur et à la liberté des citoyens, réunit certainement les qualités nécessaires pour prononcer sur le mérite des récipiendaires.

Dans le système que nous venons d'exposer, il devrait y avoir, comme aujourd'hui, un jury spécial pour les études privées.

Il me reste à discuter une question de principe que fait naître le projet de loi. Je suis d'avis que nous devons maintenir les bourses, parce que, d'après nos institutions démocratiques, il faut stimuler les élèves appartenant aux classes peu fortunées à suivre les cours de l'enseignement supérieur. C’est, du reste, dans ces classes que l'on rencontre souvent les étudiants d'élite, parce qu'ils comprennent mieux que les autres la nécessité de l'étude qui, réunie à la bonne conduite, peut seule leur procurer un rang honorable dans la société. Nous ne devons d'ailleurs rien négliger pour la diffusion des lumières, et, sous ce rapport, il est utile de rendre l'enseignement supérieur accessible aux jeunes gens qui, peu favorisés de la fortune, ont donné des preuves d'une aptitude spéciale.

Mais ces bourses seront-elles affectées exclusivement aux universités de l'Etat ?

J'ai maintenu l'affirmative en 1849, et je persiste dans cette opinion que je crois conforme aux vrais principes constitutionnels. L'Etat ne doit rien aux établissements privés, si ce n'est la liberté absolue qui leur est garantie par la charte.

Quant à des subsides, ou ne peut les accorder à des établissements qui ne sont pas soumis au contrôle des pouvoirs publics et dont l'enseignement échappe à notre examen.

Que les établissements privés prospèrent sous l'égide de nos institutions libérales, c'est le seul droit qu'ils peuvent revendiquer ; mais les Chambres, qui n'ont pas le droit de s'immiscer dans le système d'enseignement donné dans les institutions libres, n'ont pas à disposer des deniers des contribuables pour favoriser des établissements dont elles ne peuvent apprécier le mérite et les principes.

Je conçois que l'on continue à allouer au budget de l'intérieur des subsides, à titre d'encouragement, en faveur de certains jeunes gens qui font preuve d'une aptitude extraordinaire, mais je ne puis admettre qu'une loi formelle affecte des bourses en faveur d’établissements privés qui ne sont pas reconnus dans l’Etat et dont les pouvoirs publics n'ont pas à s'occuper.

Je me bornerai à proposer ces observations dans la discussion générale, et je termine en émettant le vœu sincère de voir sortir de nos délibérations une loi qui, en respectant les principes de la liberté de l'enseignement, ouvre aux études universitaires une ère de prospérité si essentielle au bien-être moral du pays.

M. Thibaut. - Messieurs, le gouvernement, dans son exposé des motifs, assigne pour principe et raison d'être au projet de loi sur les jurys d'examen et la collation des grades académiques, « le devoir qui incombe au gouvernement et aux Chambres, de régler en dehors de toute prédilection pour les établissements libres ou les établissements de l'Etat, tout ce qui se rapporte comme conséquence de la liberté, à l'organisation de l'enseignement supérieur en général. »

La section centrale adopte ce point de départ, et définit en conséquence le but de la loi.

« Le projet de loi sur les jurys d'examen et la collation des grades académiques, dit-elle dans son rapport, a pour but, en premier lieu, de soutenir et d'élever le niveau de l’enseignement et des études, etc., etc., tout en sauvegardant les droits de la liberté d’enseignement et des établissements crées aux frais du trésor. » Je pense que cette opinion est tout au moins trop absolue. Je ne crois pas qu'au pouvoir législatif incombe le devoir de régler tout ce qui se rapporte, comme conséquence de la liberté, à l'organisation de l’enseignement supérieur en général, dans le sens que le (page 433) gouvernement attache à ces paroles. Je ne crois pas non plus que l'intervention de la loi, dans l'organisation telle qu'on la propose, des conséquences de la liberté d'enseignement, puisse avoir pour effet de soutenir et d'élever le niveau de l'enseignement et des études.

Nous sommes tellement habitués, messieurs, à l'intervention du gouvernement en toutes choses, que les idées qui ont prévalu en matière d'enseignement depuis 1835, dans les conseils du gouvernement et dans les délibérations des Chambres, ne paraissent, au premier abord, présenter rien d'exorbitant : cependant les résultats de l'application de ce système, quelles que soient les formes diverses qu'on lui ait successivement données, sont bien de nature à faire naître des doutes dans nos esprits. Tout le monde sait que l'histoire des lois sur les jurys d'examen est une longue suite d'essais stériles et de déceptions.

Mais l'expérience, paraît-il, n'est pas encore suffisante et M. le ministre de l'intérieur propose une nouvelle loi dont la durée serait limitée à trois ans.

Cette nouvelle loi fera- t-elle cesser les griefs que l'on reproche aux lois précédentes ?

Ecoutons, messieurs, le rapport de la section centrale. Je lis dans ce rapport : « Le nombre des examens à subir, le nombre et l'étendue des matières, la composition des jurys d'examen, constituent les griefs principaux contre les lois successivement adoptées. »

La section centrale ajoute : « Quant au nombre et aux matières d'examen, le projet du gouvernement n'y apporte point de remède. »

A défaut de remèdes qu'elle a vainement cherchés dans le projet de loi, la section centrale propose des palliatifs ; c'est-à-dire qu'elle propose de remplacer l'examen sur certaines matières par des certificats de fréquentation des cours.

Mon intention, messieurs, n'est pas de m'occuper des dispositions du projet de loi qui concernent la formation des jurys, et le retour au principe d'une liberté généreuse et vraie, comme s'exprime l'exposé des motifs, pour la distribution des bourses. Sur ces deux points le projet de loi ralliera sans doute les suffrages d'une imposante majorité. Je dirai cependant que je considère l'unité du jury comme la condition de la vérité, de la justice, de l'impartialité dans ses décisions. A mes yeux, un jury central prend place à côté de toutes nos grandes institutions. Un jury central est en harmonie avec l'enseignement le plus élevé des sciences, qui toutes découlent de l'unité et y ramènent l'intelligence de l'homme.

Quant à la distribution des bourses, sans condition de suivre les cours d'un établissement de l'Etat, elle fera cesser ce système étroit, égoïste, injuste dont l'honorable M. Orts se déclarait honteux pour l'opinion libérale.

Maintenant, si la Chambre le permet, je ne m'occuperai plus que du principe même du projet de loi, tel qu'il résulte dei passages que j'ai cités de l'exposé des motifs et du rapport de la section centrale.

Je crois qu'il me sera facile de démontrer que de ce principe découlent précisément les deux premiers griefs articulés par la section centrale contre les lois précédentes. J'examinerai ensuite ce principe au point de vue de la liberté d'enseignement et de l'intérêt de l'enseignement et des études.

Il est, dit-on, du devoir de la législature et du gouvernement, de régler tout ce qui se rapporte, comme conséquence de la liberté, à l'organisation de l'enseignement supérieur en général, en vue de soutenir et d'élever le niveau de l'enseignement et des études.

De ce devoir de l'Etat, la section centrale et M. le ministre de l'intérieur font dériver le droit, pour l'Etat, d'exercer une action prépondérante sur la composition du programme, non seulement des établissements de l'Etat, mais aussi des établissements libres, et en second lieu, un contrôle incessant sur la solidité de l'enseignement dans tous les établissements et sur les fruits que les élèves retirent de leurs études.

Cette double action de l'Etat se manifestera par un arrangement méthodique des manières d'examen ; et par une échelle d'examens dont l'étudiant devra gravir tous les échelons.

Ainsi dans ce système que j'expose, l'Etat remplira d'autant mieux son devoir, la loi atteindra d'autant plus sûrement son but, que les matières d'examen seront plus multipliées et que les examens seront plus nombreux.

On est alors logiquement conduit à faire figurer au nombre des matières d'examen, le latin, le grec, les antiquités grecques, les principes de littérature et de rhétorique, l'histoire romaine, l’histoire grecque, l'arithmétique, l'algèbre, la géométrie élémentaire et une foule d'autres matières dont l'étude prépare à l'acquisition de connaissances plus élevées et plus spéciales pour les diverses professions libérales et carrières scientifiques.

Alors aussi, on peut considérer comme indispensables, et l'épreuve préparatoire ou l'examen d'élève universitaire, et les quatre examens de candidature en philosophie, en sciences naturelles, en droit, en médecine, et les huit examens de doctorat, en philosophie, en sciences, en droit, en médecine, sans compter les examens pour le notariat et la pharmacie.

Une seule chose est à craindre, c'est l'oubli de l'une des branches des connaissances humaines, dans ce grand partage entre les divers examens.

Telles sont les conséquences du principe posé, et je dois dire qu'elles se trouvent toutes dans le projet de loi, comme elles se rencontrent dans les lois antérieures.

Mais si on les admet, que deviennent les griefs sérieux dont la section centrale a constaté le fondement ? Je l'ignore, ou si on me permettait l'expression, je dirais que la section centrale leur fait une légère application d'une espèce de chloroforme ; elle cherche à les endormir pour trois ans, à l'aide de certificats de fréquentation de certains cours.

Pour moi, messieurs, j'admets avec la section centrale que les griefs existent, et je les invoque comme expression légitime de l'opinion publique contre le principe dont ces griefs ne sont que l'application.

Je repousse d'ailleurs ce principe pour deux autres motifs :

Parce qu'il porte atteinte à la liberté d'enseignement et parce qu'il nuit au progrès de l'enseignement et des études, au lieu de lui être utile.

Qu'est-ce que l'enseignement libre ? C'est celui sur lequel les pouvoirs publics, le gouvernement, les Chambres, n'ont le droit d'exercer aucune pression, aucune juridiction, aucun contrôle. Libre, il doit pouvoir choisir sa méthode, composer son programme, assigner à chaque matière le rang qu'il trouve convenable, accorder une importance particulière à certaines branches, en négliger d'autres.

Il n'appartient à personne de lui imposer violemment une règle, de s'immiscer dans la direction qu'il donne aux études. La liberté d'enseignement n'a pour limites que les lois d'ordre public.

Que faisons-nous cependant, messieurs, en assujettissant les élèves des établissements libres, aux nombreux examens qui sont énumérés dans le projet de loi ? Nous imposons évidemment aux établissements libres le programme d'études sur lequel ces examens sont calqués, c'est-à-dire le programme d'études des établissements de l'Etat. En sorte que, par le fait, la loi sur l'enseignement donné aux frais de l'Etat est aussi la loi sur l'enseignement libre.

Cela est si vrai que jusqu'aujourd'hui la même loi organise l'enseignement supérieur donné aux frais de l'Etat, et le système d'examen, applicable aux élèves de tout établissement.

Nous nous immisçons dans la direction des études libres, nous contrôlons jusqu'aux moyens employés pour parvenir à l'acquisition des connaissances dont le pouvoir a seulement le droit de constater la possession et d'autoriser l'application.

En vain dira-t-on que le projet de loi respecte la liberté du père de famille et la liberté du professeur. Ce n'est pas dans ce sons restreint et purement théorique que la liberté constitutionnelle de l'enseignement a été proclamée. Ce que le Congrès a voulu, c'est affranchir l'enseignement de toute contrainte morale, de tout contrôle de la part de l'autorité ; c'est donner à chacun et à tous le choix des moyens pour s'instruire et pour instruire les autres ; c'est repousser cette division des jeunes Belges en parias et en privilégiés qui résultait du régime hollandais ; c'est ne plus permettre qu'au nom du pouvoir on demande autre chose aux jeunes gens qui se destinent aux professions libérales que la preuve de leur capacité, et c'est interdire toute recherche sur les moyens employés pour l'acquérir.

Permettez-moi, messieurs, de vous rappeler ici des paroles très significatives prononcées, en 1849, par l'un des honorables membres de cette Chambre, dont l'autorité est des plus respectées On parle beaucoup de liberté d'enseignement en Belgique, disait-il, mais il n'est peut-être pas de pays où les professeurs de l'enseignement supérieur soient réellement moins libres. Ils sont sous le joug des examens ; il faut qu'ils enseignent, non comme ils les veulent, mais comme le veulent examinateurs.

J'ai dit, messieurs, que le système qui prévaut, est non seulement contraire à la liberté d'enseignement, mais que loin d'élever le niveau de l'enseignement et des études, il en comprime l'essor et le progrès.

Le fait en lui-même, dégagé de sa cause, est constaté chaque fois que les Chambres discutent une loi sur les jurys d'examen. L'honorable M. Rogier, dans l'exposé des motifs de la loi de 1849, déclare, que « le régime des lois antérieures tendait à abaisser et à rétrécir les études, nuisait au développement de l'esprit scientifique, encourageait trop exclusivement, chez les élèves, les efforts de la mémoire. »

Pendant la discussion de cette loi, plusieurs orateurs ont déploré la situation de notre pays sous ce rapport ; l'honorable M. Van Hoorebeke,. entre autres, disait ; « Un fait pour moi est incontestable, c'est l'affaissement scientifique, la décadence des études supérieures en Belgique. »

Cette fois encore, M. le ministre de l'intérieur reconnaît que le « système en vigueur depuis 1849, bien qu'introduit dans la pensée de développer l’esprit scientifique, n'a eu nullement pour résultat de relever les études.»

Le fait existe, mais la cause de ce fait où est-elle ? Je crains qu'on ne s'obstine à la chercher où elle n'est pas.

Le mérite ne fait pas défaut aux professeurs, non plus que le zèle, et je ne puis admettre que les actes des jurys combinés fournissent la preuve, soit d'un fatal esprit d'antagonisme entre les établissements rivaux, soit de la réciprocité d'une indulgence coupable. La nature n'est pas plus avare de ses dons qu'autrefois, envers les jeunes gens. Rien me manque, semble-t-il, ni du côté des professeurs, ni du côté des élèves et cependant le niveau de l'enseignement et des études descend. Pourquoi ? Nest-ce pas, messieurs, parce que la loi tient le niveau et que c'est un rôle qu'elle remplit mal, qu'elle ne peut bien remplir ?

L'examen et le grade d'élève universitaire ont été accueillis en 1849, avec la plus grande confiance. Nous nous imaginions que le gouvernement (page 434) de cette époque avait découvert un moyen efficace de relever l'enseignement moyen. Six ans après, l'honorable M. Dedecker exprimait l'opinion de la majorité lorsqu'il disait : « Je crois que l'expérience est telle, que quelles que soient les réformes qu'on se propose d'introduire dans l'organisation de l'examen pour l'obtention du grade d'élève universitaire, vous arriverez non pas à relever l'enseignement moyen, mais à le rendre moins littéraire, plus incomplet, plus mécanique, plus énervant pour les jeunes intelligences. »

Ce que l'honorable M. Dedecker a dit de l'examen pour l'obtention du grade d'élève universitaire, je le dis sincèrement et de bonne foi de tous les examens scientifiques réglés par la loi.

La science, on le répète bien souvent, la science a besoin de liberté et d'indépendance, et elle ne se trouve dans de bonnes conditions de progrès que lorsqu'elle ne relève que d'elle-même.

Le pouvoir doit la protection et des honneurs à la science, mais s'il la traite comme une institution politique ou comme un intérêt matériel, il court le risque de l'avilir et de se rendre lui-même ridicule. On n'est pas savant parce qu'on est représentant ou ministre, quoiqu'un savant, mais le cas est rare, puisse être l'un et l'autre.

Non seulement le pouvoir politique n'est pas une autorité scientifique et ne peut sincèrement se trouver compétent pour tracer le programme de l'enseignement supérieur en général, mais il est dans les plus mauvaises conditions pour être éclairé par les autorités compétentes.

Il y a pour cela deux motifs.

D'abord, dans un gouvernement comme le nôtre, toute question importante dégénère facilement en question de parti.

A propos d'enseignement et de programme, l'Etat est donc exposé à lare de la politique de parti.

En second lieu, les hommes politiques, plus mêlés aux intérêts matériels qu'aux intérêts scientifiques, sont presque invinciblement entraînés, lorsqu'ils s'occupent des études, à favoriser la direction utilitaire qui est dans le goût du siècle. Sous cette direction, la science se réduit à une accumulation de faits et à certains procédés dans l'observation et la discussion de ces faits. Les études deviennent surtout un exercice de mémoire. L'enseignement ne s'élève pas jusqu'aux vérités supérieures, jusqu'aux principes qui servent de lien commun à tous les faits, et qui constituent proprement la science ; il n'arrive pas à la mise en équation de la dépendance réciproque du phénomène, suivant une expression heureuse d'un professeur distingué. Aussi plus je réfléchis, moins je comprends que le pouvoir législatif soit appelé à composer un programme scientifique d'après lequel seront mesurés et jugés tous les jeunes étudiants de notre pays.

Messieurs, je ne méconnais point cependant la haute utilité des examens et des grades académiques. Mais je voudrais qu'à toute université on reconnût le droit qui lui est en quelque sorte naturel, de procéder à des examens et de délivrer des grades académiques.

Je pourrais ici, messieurs, rappeler des paroles prononcées en 1849 par l'honorable M. Rogier : Sous le royaume des Pays-Bas, disait-il, nous avions six universités faisant chacune chez elle des examens et délivrant des diplômes. « Je ne crois pas que ce système ait été si préjudiciable aux intérêts de la science ».

Vous comparerez ce jugement, messieurs, à celui que le même M. Rogier portait sur les effets de la loi de 1835, et que je vous ai cité tantôt.

Aux diplômes du gouvernement belge, je préfère les diplômes de l'université de Liège ou de Louvain, de Gand ou de Bruxelles. Une université, qu'elle soit libre ou subsidiée par l'Etat, est une corporation compétente pour conférer des grades académiques, et pour en porter la responsabilité devant tout le monde savant.

Sa réputation, sa prospérité, son avenir, l'honneur de ses professeurs sont intéressés à ce que jamais un diplôme qui porte son nom ne serve de masque à l'ignorance ou à l'incapacité.

L'amour désintéressé de la science et tous les nobles sentiments qu'on rencontre dans le corps professoral sont une autre garantie contre une trop grande indulgence dans la collation des grades. Enfin les grades confères par les universités ne pourraient avoir, à mon sens, qu'une valeur scientifique, valeur d'autant plus grande qu'il ne s'y mêlerait plus rien de politique.

Dans mon opinion, le jury, émanation du pouvoir, n'aurait plus un caractère scientifique, mais sa mission resterait importante.

Personne ne conteste en effet que l'Etat, c'est-à-dire la société, n'ait le droit de soumettre l'exercice de certaines professions aux conditions d'âge et de capacité que l'intérêt public exige.

Ainsi la loi peut statuer que nul n'exercera la profession d'avocat ou de notaire, de médecin ou de pharmacien, qu'après avoir atteint une certaine limite d’âge et fait preuve, devant un jury national, de la capacité spéciale que ces professions exigent. L'honneur, la vie, la santé, la fortune des citoyens réclament ces sages précautions et ces garanties.

Le jury accomplirait donc une mission sociale.

Pour organiser ce jury, il faudrait sans doute refondre toute la loi, et c'est la conclusion immédiate à laquelle je devrais aboutir. Mais un avant-projet a été présenté par un membre de la section centrale. Si la Chambre est d’avis que la question mérite d'être approfondie, elle pourrait renvoyer cet avant-projet à M. le ministre de l'intérieur et à la section centrale qui ne l'a pas examiné, pour faire l'objet de nouvelles études et d'un rapport spécial.

Ce n'est donc pas le moment de discuter ce système d'une manière complète et détaillée. Je répondrai cependant à une objection qui peut-être se sera déjà présentée à l'esprit de quelques honorables membres. On pourrait en effet me demander si je fais des diplômes scientifiques une des conditions d'admission à l'examen pratique, et en cas d'affirmation on me dira qu'on ne peut confier aux établissements libres la collation de diplômes dont dériverait un droit quelconque et qui produiraient des effets civils. Je répondrai qu'aux yeux du jury professionnel ces diplômes auraient la même valeur que les certificats de fréquentation des cours que la section centrale admet sans difficulté, quelle que soit la personne qui les délivre, fût-ce même le père de famille. Je répondrai encore que l'objection est résolue depuis longtemps. Elle l'a été par toutes les lois antérieures et elle l'est par le projet actuel. Il suffit de lire l'article 37 pour s'en convaincre.

Cet article n'est que l'application du système que je préconise pour des cas particuliers.

En terminant, je me permettrai, messieurs, d'appeler la sérieuse attention de la Chambre et du gouvernement sur une condition nouvelle que je crois utile d'exiger des récipiendaires avant qu'ils se présentent aux examens qui ouvrent leur carrière professionnelle.

C'est la condition d'âge.

Cette condition me paraît le moyen le plus simple, le plus sûr, le plus efficace de combattre la direction exclusivement utilitaire de l'enseignement et des études.

Cette condition fait disparaître l'objection la plus grave que l'on oppose au jury professionnel.

Quand les jeunes gens qui se destinent au barreau sauront qu'ils ne peuvent obtenir de licence pour la profession d'avocat avant un certain âge, ils ne s'empresseront pas d'abandonner les études littéraires pour la philosophie, et les études philosophiques pour le droit.

Ceux qui se destinent à la médecine, contenus par le même frein, donneront aussi aux humanités et aux sciences le temps que ces études réclament.

On voit donc que ce système, que M. le ministre de l'intérieur qualifie de simple et logique au point de vue de la liberté d'enseignement, loin d'offrir, comme il le craint, des dangers sérieux au point de vue de la science, est le seul qui, s'harmonisant avec la liberté d'enseignement, réalise les conditions du progrès dans l'enseignement et les études.

M. Devaux. - Messieurs, avant d'entrer dans la discussion générale, j'aurais à entretenir la Chambre de l'objet de deux notes qui se trouvent à la suite du rapport. Mais ces notes, qui sont relatives au droit des membres de la section centrale, se rapportent à des dispositions particulières de la loi, et pour ne pas compliquer la discussion générale, je fais mes réserves et nous présenterons nos observations à cet égard quand nous en viendrons aux articles.

Messieurs, pour entrer dans la discussion générale, j'aurais besoin de connaître d'une manière plus claire les intentions du gouvernement. J'ai fait partie de la section centrale. Le gouvernement a été tenu au courant par moi-même de tout ce qui s'y passait, la section centrale m'ayant chargé de l'en informer.

Le gouvernement n'a pas fait une seule objection aux décisions prises.

Je verrais avec une surprise que partageraient, je crois, tous les membres de la section centrale, que le gouvernement s'opposât à toutes les modifications proposées.

Je ne puis croire que le gouvernement, après que les sections ont été unanimes à vouloir la simplification des examens et ont toutes donné mission à leurs rapporteurs d'opérer cette simplification, je ne puis croire que le gouvernement persiste à maintenir la partie de son projet qui conserve dans toute leur extension les examens actuels.

Je désire donc savoir si M. le ministre de l'intérieur a seulement maintenu son projet pour que la discussion ait lieu sur cette base, ou s'il a dès à présent un parti pris d'en maintenir toutes les dispositions et surtout la partie qui a le plus de garantie pour l'intérêt scientifique, celle qui détermine les matières de l'examen.

Je désirerais que M. le ministre de l'intérieur, pour que la discussion puisse se préciser, voulût bien nous dire à cet égard quelle est son intention.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Messieurs, si tout à l'heure,, à la demande de l'honorable président de cette assemblée, j'ai dit que le gouvernement maintient le projet que j'ai eu l'honneur de présenter à la Chambre, j'ai entendu parler de l'ensemble des dispositions présentées par lui. Il n'en résulte pas que le gouvernement maintiendra, relativement à toutes les questions spéciales qui sont soulevées par le projet de loi, le système qu'il a mis en avant.

Et pour parler de la question spéciale que vient de soulever l'honorable préopinant, le gouvernement compte se rallier aux observations de la section centrale.

Le gouvernement ne méconnaît cependant pas, messieurs, l'importance d'une pareille nouveauté ; car c'est une nouveauté ; en ce sens que jusqu'à présent on avait toujours, sous tous les régimes depuis 1835, cherché à éviter le système des matières à certificats.

Vous connaissez tous, messieurs, quels sont les inconvénients que présente la division des matières en matières essentielles faisant partie obligatoire de l'examen et en matières à certificat.

(page 435) Tous les corps scientifiques qui ont été consultés se sont, en général, prononcés contre l'admission de cette division dans la loi sur les jurys d'examen, parce qu'il leur a semblé que l'une des conséquences immédiates de cette division était d'amener aussi une distinction, quant à l'importance des cours donnés dans les universités, distinction qui aurait pour conséquence de désorganiser l'enseignement en amenant la désertion des cours à certificats. Au point de vue des professeurs mêmes on a généralement considéré cette distinction comme devant établir entre eux une inégalité froissante pour les professeurs chargés des matières réputées accessoires.

Donc, au point de vue de la science comme au point de vue de la dignité du professeur, il a toujours paru regrettable de laisser s'introduire une distinction quelconque entre les divers cours et entre les divers professeurs.

D'ailleurs, messieurs, distinguer entre des matières d'examen et des matières à certificats, c'est, au fond, attaquer l'enseignement lui-même ; car, si le nombre des matières d'examen est trop considérable, c'est que le nombre des matières d'enseignement est également trop considérable.

Avant d'introduire cette distinction dans la loi, il faudrait, en quelque sorte, réorganiser l'enseignement. En effet, c'est le grand nombre de professeurs, tel qu'il résulte de l'organisation actuelle, qui nécessite le maintien de ce qui a existé jusqu'à présent, c'est-à-dire l'égalité de toutes les matières devant l'examen.

Autrefois, avant 1830, on pouvait introduire les matières à certificats, parce que nous avions dans les universités beaucoup moins de professeurs, et chaque professeur, par suite de l'organisation donnée à l'enseignement, donnait à la fois un cours important et plusieurs cours accessoires.

De cette manière on ne s'exposait pas à faire une position en quelque sorte subalterne à un professeur chargé d'un cours à certificat, parce que ce même professeur était, en même temps, chargé d'un cours important faisant partie de l'examen obligatoire. Aujourd'hui il n'en est plus de même ; aujourd'hui nous avons beaucoup plus de professeurs, et plusieurs ne sont chargés d'enseigner que des matières accessoires. Avec la délivrance de certificats pour la fréquentation des cours moins importants, que devient l'autorité de ces derniers professeurs ? que deviennent ces cours accessoires ?

Il y a donc toujours eu des motifs très sérieux de s'opposer à l'introduction de matières à certificats dans les examens.

Cependant, d'autre part, il y a une expérience à faire. Un grief qu'on a reproché à tous les systèmes qui ont été jusqu'ici appliqués, c'est le côté encyclopédique des examens, c'est que réellement l'intelligence des jeunes gens ne pouvait pas suffire pour approfondir les nombreuses matières des examens.

Il y a donc une expérience à faire ; et quels que soient les inconvénients que présente la division des matières des examens en matières obligatoires et en matières à certificats, le gouvernement se ralliera à cette expérimentation ; je dis expérimentation, car il est impossible à qui que ce soit de prévoir et de calculer les conséquences de la modification que nous introduisons dans le système actuel.

M. Devaux. - Je remercie M. le ministre de l'intérieur des explications qu'il vient de donner à la Chambre.

Messieurs, il est une chose avérée, c'est que les études universitaires sont en décadence. Ce n'est pas moi qui le dis : c'est l'opinion unanimement émise par les présidents des jurys chargés d'examiner les élèves. Vous pouvez consulter l'enquête qui a été faite par le gouvernement : elle constate que les présidents des jurys ont été unanimes pour reconnaître cette décadence. Ils ne lui assignent pas pour cause spéciale la législation qui est en vigueur depuis 1849, mais le système général des examens introduit depuis 1855.

Cet état de choses provient de ce que les élèves n'ont pas le temps d'étudier les matières sur lesquelles ils doivent être examinés ; que pour satisfaire à l'examen, ils en sont réduits à apprendre par cœur des cahiers, des manuels ; toute la science des élèves universitaires aujourd'hui est là : se mettre en état de répondre à l'examen avec la mémoire seule, pour ainsi dire, acquérir une science qui survivra à peine trois mois à l'examen.

Les élèves travaillent plus qu'autrefois ; mais c'est un travail stérile ; ils ne lisent plus, ils n'approfondissent rien, leurs études sont sans charme, sans chaleur, ils se dégoûtent de la science, ne puisent dans leurs études aucun enthousiasme scientifique. Il faut à un jeune homme une vocation scientifique bien décidée pour qu'elle résiste à l’influence d'un pareil régime.

Cet état de choses est déplorable et son amélioration soulève les questions les plus difficiles.

En 1849, on avait pensé remédier au mal ; on avait dit: Les élèves sont examinés par des professeurs qui, la plupart du temps, ne sont pas ceux qui leur ont donné l'enseignement.

Il s'ensuit qu'ils doivent connaître et la doctrine enseignée par leurs professeurs et la doctrine enseignée dans les autres universités. De là grand travail pour les élèves, de là recherche des cahiers, de là efforts de mémoire considérables.

On a cru qu'il suffisait que l'élève fût examiné par son professeur pour obvier au mal ; on a amélioré ; mais le remède était insuffisant. Sans doute, c'est une chose indispensable que l'élève soit interrogé par le professeur qui l'a instruit, mais cela ne suffit pas. Tant que l'élève devra dans son examen répondre sur autant de matières qu'il le doit aujourd'hui, il n'aura pas le temps d'approfondir, de faire de véritables études, il ne pourra qu'apprendre par cœur.

Le mal gît dans le trop grand nombre de matières d'examen. Pour les diminuer est-il nécessaire de recourir à de grandes innovations ? à des systèmes complètement nouveaux, comme le disait M. le ministre de l'intérieur. En cette matière, les systèmes nouveaux peuvent amener des conséquences entièrement imprévues ; ou n'est pas sûr de leur effet.

Pourquoi nous lancer aventureusement dans l'inconnu, quand il y a un système que l'expérience a éprouvé en Belgique môme et qui a produit d'excellents effets ? Un très grand nombre d'entre nous l'ont pratiqué, c'est celui des universités du régime des Pays-Bas.

Dans ce système les études avaient le caractère qu'elles doivent avoir, les esprits s'y formaient au travail, y prenaient goût et ne s'y éteignaient jamais.

Qu'avait fait le gouvernement des Pays-Bas ? Il avait pris un milieu entre ce que nous avons fait en 1835 et ce qu'avait fait le gouvernement français à l'école de droit de Bruxelles. A l'école de droit de Bruxelles, on n'enseignait que le droit romain, le droit civil, le droit criminel, rien que des matières spéciales.

Depuis la révolution nous avons fait porter l'enseignement et l'examen sur un beaucoup plus grand nombre de matières ; ainsi, dans la faculté de droit nous avons fait porter l'enseignement et l'examen, non seulement sur le droit romain, le droit civil et le droit criminel, mais sur le droit public, le droit commercial, la philosophie du droit, l'économie politique, l'histoire politique et d'autres matières encore. Le gouvernement des Pays-Bas avait trouvé que l'enseignement du régime français était trop pauvre, il l'avait enrichi, mais il n'avait pas exigé que l'examen proprement dit portât sur toutes les matières enseignées.

Les branches d'enseignement ne sont guère plus nombreuses dans nos universités aujourd'hui qu'elles ne l'étaient en 1830, mais ce qui fait la différence et le mal, c'est que toutes aujourd'hui font partie de l'examen.

Eh bien, messieurs, la section centrale, et je crois qu'elle a eu raison, revient au régime des universités des Pays-Bas, c'est-à-dire ne pas appauvrir l'enseignement, laisser enseigner tout ce qui s'enseignait ; mais réduire le programme des examens.

Je vais prendre un exemple. Sous le gouvernement des Pays-Bas, sur quoi portait l'examen pour la candidature en droit ? Sur une seule science, sur l'histoire et les institutes du droit romain.

Dans le système actuel sur quoi porte l'examen pour la candidature en droit ? Sur l'histoire et les institutes du droit romain, sur l'encyclopédie du droit, l'introduction historique au cours de droit civil, l'exposé des principes généraux du Code civil, le droit naturel ou la philosophie du droit, et l'histoire politique moderne. Evidemment l'élève, en une année, n'a d'autre moyen de subir l'examen que d'apprendre par cœur ce que dit le professeur. Quand, sous le gouvernement des Pays-Bas, l'examen ne portait que sur les institutes, il pouvait les approfondir, et avait le temps de se pénétrer assez des principes pour ne pas être obligé de fatiguer sa mémoire par de vains détails.

L'examen avait cet autre avantage que l'élève pouvait être examiné longtemps sur une même matière, car il ne faut pas croire qu'il y ait avantage pour l'élève à n'être interrogé que pendant quelques minutes ; alors c'est le hasard qui fait qu'il est examiné sur telle question ou sur telle autre. Mais quand l'examen sur une branche dure pendant une demi-heure, si l'élève est intimidé pour une question, si une question lui échappe, il se retrouve ensuite el il peut faire preuve de ce qu'il sait. Tout élève qui a réellement étudié se tire d'un pareil examen et peut impunément être en défaut sur quelques questions de peu d'importance. Mais dans un examen qui n'a duré que quelques minutes, sa mémoire ne peut lui faire défaut sur quelque question que ce soit, car il ne peut prévoir celles sur lesquelles le hasard fera porter l'examen.

C'est donc un avantage pour l'élève qui étudie que d'être examiné plus longtemps.

On en était arrivé à ce résultat, sous les anciennes universités, que l'élève qui avait bien étudié était sûr de passer ; aujourd'hui l'élève qui a consciencieusement étudié n'est sûr de rien, tout dépend de la mémoire.

Quand vous réduisez ainsi les matières d'examen, quand pour la candidature en philosophie, par exemple, au lieu d'avoir neuf branches comme aujourd'hui (d'après la loi de 1835 il y en avait une quinzaine), vous n'en avez plus, comme sous le régime des anciennes universités, que trois ou quatre, tout dans le jury deviendra plus facile à organiser.

Vous n'avez plus besoin de ce grand nombre de professeurs. Vous pouvez prendre indifféremment le jury des universités combinées deux à deux ou toutes quatre ensemble, peu importe.

Toutes les universités, sur les matières importantes, peuvent être représentées. La question de la composition du jury devient en quelque sorte beaucoup plus indifférente.

M. le ministre de l'intérieur, tout à l'heure, sans les adopter, je pense, reproduisait quelques objections contre les certificats. Mais ce qui a dû vous frapper dans ses objections, c'est qu'elles sont toutes inspirées non par l'intérêt de l'enseignement ou des élèves, mais par un (page 436) intérêt d'amour-propre des professeurs. Ainsi on dit : diviser les matières en principales ou accessoires, c'est diviser les cours en accessoires et en principaux et par conséquent aussi les professeurs. Mais est-ce là une véritable raison contre l'utilité de la mesure ? Les professeurs auraient grand tort d'être humiliés de ce que leur cours ne fait pas partie de l'examen. Cela ne prouve pas qu'il est scientifiquement accessoire, le contraire peut avoir lieu. Mais cela prouve qu'il n'a pas la même utilité spéciale pour la carrière à laquelle l'élève se destine.

Si un professeur ne prend pas part à l'examen, il acquiert d'un autre côté l'avantage de pouvoir faire son cours selon ses goûts et sa manière de voir, de pouvoir s'appesantir sur telle partie qu'il juge intéressante pour ses élèves et négliger telles autres parties moins importantes.

Quand le cours, au contraire, fait partie d'un examen surchargé, comme ceux d'aujourd'hui, il faut que le professeur parle de tout et ne s'arrête particulièrement sur aucune partie.

D'ailleurs il en était ainsi autrefois et je ne sache pas que, dans l'ancien régime, les professeurs fussent humiliés.

On dit que les professeurs à cette époque faisaient tous un cours principal et un cours accessoire et qu'ainsi il n'y avait d'humiliation pour personne ; cela n'était pas aussi général qu'on le dit, mais si cela était, et s'il en résultait quelque inconvénient aujourd'hui pour les professeurs, il faudrait reconnaître que cet inconvénient a sa compensation, car il résulte de cette objection même que la besogne des professeurs est aujourd'hui beaucoup moindre qu'autrefois.

Maintenant ces certificats qu'on exige, pourra-t-on s'y fier ?

D'abord la section centrale n'a pas exigé de certificats du succès de l'élève, mais de la fréquentation du cours. Evidemment du moment qu'on demandait des certificats à l'instruction libre, on ne pouvait vouloir que les professeurs reconnussent que les élèves ont suivi leurs cours sans en recueillir de fruit. Tout ce que vous pouvez exiger, c'est un certificat de fréquentation, c'est un certificat constatant que les élèves ont assisté au cours. Or je crois que dans les établissements considérables, la notoriété publique sera suffisante pour dire si les certificats sont sincères ou ne le sont pas. On sait parfaitement si dans les grands établissements universitaires tel cours est donné ou ne l'est pas.

Quant aux études en dehors des universités, du moment qu'il s'agit d'enseignement supérieur, les professeurs qui peuvent donner des leçons sur ces matières ne sont pas si nombreux en Belgique, que le jury ne puisse apprécier si réellement il y a eu un véritable enseignement.

Je crois donc que le jury, appelé à apprécier la valeur du certificat sera tout à fait compétent pour décider si l'enseignement a réellement été donné.

Et remarquez-le bien, quand il se présentera un élève qui ne sera pas sorti des universités, cet élève sera examiné sur les matières principales, et le jury sera d'autant moins porté à être indulgent, qu'il aura moins de confiance dans les certificats apportés sur les matières accessoires.

Par conséquent il sera toujours possible de s'assurer que le récipiendaire est un élève sérieux.

La section centrale a d'ailleurs pris des précautions de détails pour la sincérité des certificats. Si l'on trouvait que l'on en abuse, si des abus étaient constatés, on prendrait d'autres mesures, fût-ce même des pénalités pour les empêcher.

Messieurs, je ne veux m'occuper aujourd'hui que de l'intérêt scientifique et de ce qui pour moi est la réforme principale à introduire, la simplification des examens. Quant à la composition du jury, tout ce que je lui demande, c'est qu'elle soit impartiale, c'est-à-dire que le principe que nous avons posé dans la loi de 1849 pour l'impartialité du jury, principe qui a fait que la loi de l'enseignement supérieur a cessé d'être l'objet d'un dissentiment politique, soit conservé ; c'est-à-dire qu'il faut que les professeurs de l'enseignement privé et les professeurs de l'enseignement du gouvernement soient en même nombre, que l'un de ces éléments ne puisse dominer l'autre. C'est un principe qui a été inscrit dans la loi de 1849 à la demande de la droite et j'espère, qu'elle l'y maintiendra aujourd'hui.

Sans cela, si l'un des éléments dominait l'autre, évidemment la loi deviendrait encore une loi politique ; ce serait un nouveau grief politique pour un côté de la Chambre contre l'autre.

Aussi, je ne puis admettre la disposition du gouvernement d'après laquelle le jury se composerait de deux membres des universités de l’Etat, de deux membres des universités libres, plus d’un cinquième membre appartenant aussi à l’enseignement privé. Ce serait le contraire de ce que nous avons fait en 1849. Ce serait rompre l'équilibre au profit de l'enseignement privé. Evidemment il ne faut pas dans le jury plus de membres de l'enseignement privé que de membres de l’enseignement de l'Etat. C'est là de la justice, et si vous n'admettez pas ce principe, vous relevez le grief politique qu'en 1849 on avait eu la sagesse de faire disparaître.

Il faut que le président soit étranger à l'enseignement et il faut que les autres membres en nombre pair appartiennent pour moitié à l’enseignement privé et pour moitié à l'enseignement de l’Etat.

Donner la majorité à l'enseignement au gouvernement ou la donner à l'enseignement privé, c'est rompre l'équilibre, et évidemment vous verriez en très peu de temps des griefs très énergiques s'élever contre une pareille loi.

Qu'on adopte, du reste, le jury central ou qu'on adopte le jury combiné, pour moi je n'y attache aucune importance.

Tout ce que je demande, c'est l'impartialité. Tout ce que je demande, c'est que l'élève puisse être principalement interrogé par ses professeurs. Mais si l'on adopte le système de la section centrale, qui réduit les matières d'examen, il est très facile de représenter toutes les universités dans le jury de manière que l'élève soit interrogé par son professeur dans tous les cas.

L'avantage du jury combiné, c'est que deux jurys peuvent fonctionner en même temps, et que par conséquent les examens durent moins de temps. L'avantage du jury central, c'est qu'au lieu d'avoir deux universités en présence, vous en avez quatre et que le conflit est moins direct. L'expérience nous a montré qu'il y a plus de désaccords, plus de querelles dans le jury combiné que dans le jury central. Mais on ne peut pas disconvenir non plus que lorsqu'un jury a deux sections qui siègent en même temps, ses opérations vont plus vite que les opérations du jury central, ce qui est un assez grand avantage.

Messieurs, je m'expliquerai sur les autres dispositions de la loi à mesure que la discussion se prolongera ; mais, pour que la discussion aboutisse, pour qu'il y ait de l'ordre, je pense qu'avant d'aborder l'examen des articles, nous ferions bien de discuter le système général du jury, c'est-à-dire la question de savoir si on admettra les certificats et la question de la composition du jury ainsi que les divers systèmes qui se produiront. Si nous passions immédiatement à la discussion des articles, il y aurait beaucoup de confusions, tandis que si nous nous prononçons avant tout sur le système, la discussion des détails sera beaucoup simplifiée.

Dans la section centrale il y a eu peu de discussion ; il n'y a eu de dissentiment un peu vif que sur 5 ou 6 dispositions particulières. Je crois donc, messieurs, que cette marche serait la meilleure à suivre, c'est-à-dire de discuter et de voter d'abord sur les questions principales, celle des certificats et celle de la composition du jury.

M. Orts. - Messieurs, je crois que l'ordre de discussion proposé par l'honorable préopinant est préférable à tout autre et qu'il conviendrait d'attirer successivement et spécialement l'attention de la Chambre sur les deux questions les plus graves qui dominent l'ensemble de la loi : la question de savoir si toutes les matières devront faire l'objet d'un examen devant le jury ou si l'on admettra pour certaines matières la déclaration des personnes qui les ont enseignées, c'est-à-dire les certificats ; en second lieu, ou plutôt en premier lieu, la question de la composition du jury, de la commission chargée d'examiner, de l'autorité qui, en définitive, donnera les grades.

Mais, je ne puis, messieurs, laisser clore la discussion générale sous l'influence exclusive des paroles que vient de prononcer l'honorable préopinant, paroles auxquelles M. le ministre de l'intérieur a donné une adhésion plus ou moins complète, plus ou moins convaincue.

Je suis, moi, l'adversaire absolu des certificats et je tiens à vous dire pourquoi.

Je crois que ce système est détestable au point de vue des études et qu'il offre très peu de garanties aux élèves, pour lesquels on le présente comme une facilité. Ce système n'est pas une innovation, c'est la restauration d'une vieillerie que nous avons tous été condamnés à subir ; car, c'est sous ce système que la majorité des membres de cette Chambre, qui ont fait des études universitaires, ont vécu. Il leur suffira de rappeler leurs souvenirs pour donner une adhésion, puisée dans leur expérience personnelle, à l'opinion que je viens d'exprimer.

Ce système, messieurs, ne produira pas le bien qu'on s'en promet ; ce n'est point là le mode de simplification des examens qu'il faut adopter si l'on veut venir au secours des jeunes intelligences qu'on surcharge aujourd'hui sans aucune espèce de nécessité, sans aucune espèce d'utilité pratique. Le système qui consiste à diviser les matières enseignées dans les universités en matières à certificats et eu matières d'examen, amènera nécessairement ceci : c'est que les matières à certificats ne seront plus sérieusement enseignées. Je me préoccupe très peu, quoique professeur, de la question d'amour-propre professoral qui pourrait se trouver engagée dans ce débat et que l'honorable ministre de l'intérieur a rappelée tout à l'heure ; je crois que l'intérêt de la jeunesse, de l'avenir intellectuel du pays doit être placé beaucoup plus haut que de pareilles considérations.

Mais où je vois l'intérêt de la jeunesse, l'intérêt de l'avenir engagé, c'est dans la distinction entre les matières d'examen et les matières à certificats.

Les matières à certificats ne seront plus étudiées, et il en était déjà ainsi, qu’on veuille bien s'en souvenir, pour la majeure partie des matières a certificats sous le gouvernement néerlandais.

Je me souviens parfaitement que j'ai passé par ce système, et voici un exemple de la manière dont il fonctionnait.

Il y avait pour les étudiants en droit, parmi les matières à certificats, la médecine légale, qui ne s'enseigne plus aujourd'hui, et les certificats s'obtenaient de la façon que voici.

Le cours était donné par un médecin très célèbre, très savant comme professeur et qui jouissait en même temps d'une clientèle très nombreuse. Les élevés qui voulaient obtenir un certificat se rendaient chez lui aux heures de consultation. Ils avaient soin de mettre en poche la quittance de leur droit d'inscription ; ils trouvaient là une personne chargée de les recevoir et qui leur demandait s'ils étaient un client ou (page 437) un élève ; ils remettaient leur quittance d'inscription et pour ne pas faire perdre de temps aux clients, on leur envoyait immédiatement par une bonne ou un groom le certificat qu'ils étaient venus demander.

Voilà comment, et je pourrais citer bien d'autres exemples ; voilà comment, moi, j'ai appris la médecine légale par certificat.

Il en était de même de beaucoup d'autres matières et si je m'abstiens d'entrer dans de plus amples détails, c'est que je pourrais arriver à des questions de personnes, ce que je désire éviter.

Il y avait cependant, sous ce régime de certificats, une garantie qui n'existerait plus aujourd'hui. Lorsque le certificat était consciencieusement délivré par Je professeur, il n'était accordé qu'après un examen particulier dans le cabinet du professeur, sans publicité, sans témoins ; mais le professeur avait alors une mission qu'il n'aura plus aujourd'hui ; l'examen final, l'examen véritable, l'examen qui précédait la collation du grade, se faisait par toute la faculté, dans laquelle se trouvait le professeur, ce qui amenait sur le certificat et l'élève un contrôle de la faculté entière de l'autorité qui conférait le grade.

Aujourd'hui qu'arrivera-t-il ? Le grade sera conféré par une autre autorité que le professeur qui a délivré le certificat et les professeurs auront intérêt à donner des certificats pour faciliter à leurs élèves l'admission aux examens, de même que les professeurs chargés d'enseigner les matières d'examen désireront, dans l'intérêt de la réputation de l'établissement, que les élèves puissent consacrer leur temps exclusivement à l'étude de ces matières plutôt qu'à l'élude des matières à certificats.

Enfin vous n'aurez plus la garantie du jugement de la faculté dont le professeur faisait partie et à laquelle il rendait compte de la capacité de l'élève auquel il avait délivré le certificat, tandis qu'il contrôlait lui-même l'examen qu'il avait fait subir une première fois à cet élève.

D'autre part, la collation des certificats me paraît présenter très peu de garanties d'impartialité au point de vue de l'élève ; le professeur d'une matière accessoire dans une université n'aura d'autre juge du droit de l'élève au certificat que lui-même ; l'épreuve à laquelle le professeur soumettra cet élève se passera dans son cabinet sans contrôle et sans publicité. C'est un pouvoir exorbitant que vous ne conférez à aucune autorité quelconque ; car le jury fonctionne avec la garantie de la publicité ; s'il refuse un grade, c'est après un examen public, examen auquel ont assisté des étudiants autres que le récipiendaire refusé, examen qui a été contrôlé par le président, homme impartial et investi de la confiance du gouvernement.

Messieurs, la simplification dans les études me paraît fort désirable ; elle doit être faite par la législature. Il faut que les examens soient déchargés, mais non pas au moyen de certificats ; car si les certificats ne sont pas sérieux, s'ils se bornent à constater une simple fréquentation, c'est-à-dire s'ils ne sont qu'une simple attestation qu'on est venu au cours et qu'on y a travaillé à toute autre chose qu'à écouler le professeur, autant vaut supprimer immédiatement l'enseignement de cette matière-là.

Si, au contraire, le certificat est sérieux, s'il est entouré d'un véritable contrôle, l'inconvénient reste alors le même : il faudra, pour l'obtenir, étudier la matière, comme si elle devait être l'objet d'un examen.

Que faut-il faire ? Il faut supprimer celles des matières de l'enseignement que vous ne jugez pas dignes de l'examen. (Interruption.) Ce n'est pas appauvrir l'instruction supérieure. Demandez les avis des universités dans cet ordre d'idées-là, et les hommes pratiques vous éclaireront, ils vous indiqueront les matières qu'on peut supprimer sans le moindre inconvénient, sans abaisser le niveau scientifique.

Messieurs, l'honorable M. Devaux citait tout à l'heure l'examen de candidat en droit, comme étant très surchargé. L'honorable membre citait avec raison cet exemple: c'est en effet l'examen le plus chargé.

Le premier et le deuxième examen de docteur en droit ne sont pas de nature à surcharger de beaucoup la mémoire des élèves ; les examens en médecine m'ont paru aussi échapper à la critique. S'ils sont un peu compliqués, c'est qu'ils doivent l'être, c'est pour cela qu'ils sont difficiles et très nombreux.

Pour en revenir à l'examen de la candidature en droit, cet examen comprend les matières suivantes :

« L'histoire et les institutes du droit romain ; l'encyclopédie du droit, l'introduction historique au cours de droit civil ; l'exposé des principes généraux du Code civil ; le droit naturel ; l'histoire politique moderne. »

C'est beaucoup trop, j'en conviens. Mais pourquoi donc attribuez-vous l'histoire politique moderne à la candidature en droit ?

Est-ce que l'histoire moderne depuis le XVIème siècle jusqu'aujourd'hui n'est pas une de ces connaissances d'homme du monde dont vous deviez exiger la justification, ailleurs qu'après une année d'études de droit...

M. Devaux. - Où ?

M. Orts. - Partout. Dans votre enseignement moyen d'abord que vous avez organisé. Ne nous payons pas de mots ; examinons les faits. Or, comme membre du jury sous tous les systèmes, j'ai pu constater un fait : c'est qu'il n'y a pas un professeur d'histoire politique moderne qui, dans la faculté de droit, enseigne, en fait d'histoire, au-delà de ce qu'on enseigne, de ce qu'on doit enseigner dans vos établissements d'instruction moyenne solidement organisés.

Vous avez, d'ailleurs, la candidature en philosophie et lettres qui doit être bonne à quelque chose Si vous voulez absolument faire enseigner l'histoire à l'université, mettez-la à sa place naturelle, c'est-à-dire, dans la faculté de philosophie et lettres, et j'en indiquerai tout à l'heure le moyen sans surcharger l'examen.

Je ne vois pas pourquoi les classes de la société, autres que les avocats et les magistrats, pourraient être dispensées de connaître l'histoire, je ne vois pas non plus pourquoi les avocats, les notaires,.les juges doivent savoir plus d'histoire que les docteurs des autres facultés.

Ce sont là, je le répète, des connaissances d'homme du monde, sans lesquelles personne n'a le droit de se dire un homme éclaire. Je supprimerais donc dans la candidature en droit l'histoire politique moderne, d'abord ; sauf à la renvoyer ailleurs.

Maintenant, qu'est-ce que l'encyclopédie du droit, cours auquel je faisais allusion tout à l'heure ? L'encyclopédie du droit, résumé des principes généraux qui dominent toutes les spécialités du droit, expose ce qui sera encore enseigné trois ou quatre fois ailleurs dans la faculté de droit. Voulez-vous un exemple ? Tous les professeurs d'encyclopédie du droit discutent la question théorique de savoir ce que c'est que le droit de propriété, ce que c'est cette la propriété littéraire et intellectuelle, ce que c'est que la propriété industrielle.

Or, le professeur de droit naturel expose ce que c'est, au point de vue philosophique, que le droit de propriété et l'expose à sa manière ; le professeur d'économie politique explique à son tour, et pareillement à sa manière, la propriété littéraire ou industrielle ; enfin, le professeur de droit civil, quand il arrive au titre de la propriété, soit dans le cours élémentaire de droit civil, soit dans le cours approfondi, soit en droit romain, examine aussi ce que c'est que la propriété. Je pourrais multiplier ces exemples, mais j'abrège.

Le cours d'encyclopédie consiste donc à exposer tous les éléments des autres cours de droit, à enseigner ces éléments une première fois aux élèves. Je ne vois pas pourquoi l'on doit étudier, dans la faculté de droit, donc deux, trois ou quatre fois la même chose.

L'encyclopédie du droit peut être supprimée.

Vous avez encore cité, dans la faculté de droit, le droit naturel ; eh bien, qu'on me permette de le dire, je voterai très facilement pour la suppression du droit naturel ; non pas qu'on ne doive enseigner le droit naturel, mais il ne faut pas qu'on en fasse un cours spécial.

Lorsqu'un professeur d'institutes, par exemple, ou de droit civil, expose les dispositions du droit positif sur la propriété, les obligations, les successions, les prescriptions, le mariage, qu'est-ce qui l'empêche de mettre en tête de son exposition des principes positifs du droit romain ou du droit français quelques explications sur les principes philosophiques ? Cela suffirait parfaitement, si cela était bien fait.

On pourrait donc encore supprimer le cours spécial de droit naturel.

Si j'avais été mieux préparé à la discussion que j'aborde à l'improviste, j'aurais pu indiquer d'autres cours susceptibles de suppressions. Je ne m'attendais pas à voir surgir cette question au début même de la discussion. La Chambre me pardonnera le découssu d'idées que j'émets avec quelque hésitation. Il est encore un cours de la faculté de droit qui prend trop de temps aux élèves ; je veux parler du cours de pandectes. Aujourd'hui le droit romain est parfaitement enseigné historiquement et théoriquement dans le cours d'histoire et d'institutes du droit romain ; un cours d'institutes bien fait, complet, comme il l'est aujourd'hui dans chacune des universités (il n'était pas complet dans les universités du royaume des Pays-Bas), vous donne certainement une connaissance suffisante du droit romain, pour les applications que vous devez en faire comme raison écrite ou comme interprétation historique des principes qui ont prévalu plus tard dans le droit moderne.

Vous vous effrayez grandement aujourd'hui quand vous voyez deux cours de droit romain inscrits au programme de la candidature en droit, l'histoire et les institutes, de même pour le droit français.

Mais ce fantôme n'existe que dans le programme ; on a corrigé le programme par la pratique. On a réuni le cours d'histoire du droit romain et d'instituts ; chaque professeur, quand il aborde aujourd'hui une partie du droit romain, enseigne à titre d'introduction historique ce qu'il croit nécessaire que les élèves sachent.

De cette façon, au lieu d'avoir deux professeurs et deux cours, on n'en a plus qu'un seul et on est arrivé à élaguer de l'enseignement historique du droit romain tout ce qui pouvait être considéré comme étude d'antiquaire et on a conservé tout ce que doit savoir un jurisconsulte. Cette réforme est utile et pratique.

Pour l'introduction historique au code civil, la chose est la même. Une étude historique est encore ici nécessaire ; je ne veux pas la supprimer, loin de là. Elle ne surcharge personne : séparée du cours de droit civil élémentaire, elle faisait l'objet d'un cours de 15 à 20 leçons au plus.

Aujourd'hui on a fait mieux pourtant, et que fait-on ? Pour conserver l'importance qu'elle mérite à l'histoire du droit civil français, le professeur de droit élémentaire l'expose en tête de chacun des titres qu'il aborde ; on a évité ainsi toute espèce d'exagération et on a maintenu l'enseignement historique du droit français, sans lequel on ne peut devenir jurisconsulte.

Les simplifications de ce genre amèneraient la réalisation de la pensée de l'honorable M. Devaux ; elles permettraient d'avoir un examen d'une plus longue durée et présentant plus de garantie et vous n'auriez (page 438) pas introduit le système des certificats qu'on ne peut considérer comme sérieux, qui n'est pas même un palliatif. J'ai renvoyé une matière de droit à l'examen de philosophie et lettres.

J'arrive à cette épreuve.

Il y a dans l'examen de philosophie et lettres beaucoup de choses qui ne sont pas nécessaires quand vous considérez cet examen comme menant à d'autres études que l'étude de la philosophie et des lettres.

Qu'on le conserve tel qu'il est, qu'il soit conservé pour ceux qui veulent devenir docteurs en philosophie et lettres, rien de mieux. Aussi ne sont-ce pas ces élèves qui se plaignent de cet examen, ce sont les élèves en droit. Pour ces derniers, est-il nécessaire d'enseigner aux jeunes gens qui se destinent au droit, ce qu'on ne leur enseignait pas sous le gouvernement des Pays-Bas, que citait comme exemple M. Devaux ? Or, alors on n'enseignait pas la philosophie ; je comprends jusqu'à un certain point qu'on enseigne la logique, cependant je pose en fait que celui qui aura suivi un bon cours de mathématique, de géométrie, surtout dans un établissement d'enseignement moyen, aura mieux appris à raisonner que celui qui aura suivi un cours de logique, Mais à quoi bon la philosophie pour l'étude du droit ? Cette opinion, chez moi, vient peut-être de ce que je n'ai pas suivi de cours de philosophie ; on ne l'enseignait pas de mon temps. J'avoue sans peine que je suis un assez pauvre philosophe. Mais, philosophe ou non, je ne suis pas plus mauvais avocat qu'un autre, car je suis parvenu dans cette profession à gagner ma vie bon an, mal an, avec mes dix doigts, et je souhaite que le diplôme en assure autant à tout le monde.

- Un membre. - On enseignait cependant la métaphysique, la morale !

M. Orts. - Je n'en ai nul souvenir. Toujours est-il qu'on n'examinait que sur la logique. L'examen de philosophie et lettres préparatoire à d'autres carrières ne doit être qu'une justification que l'on sait ou que l'on n'a pas oublié, en entrant à l'université, ce qu'on devait savoir d'histoire, de littérature ancienne et moderne en sortant d'un bon établissement d'enseignement moyen. Je veux, sur ce terrain, des examens sérieux, je veux que l'élève justifie de sa capacité.

Je veux de plus qu'aujourd'hui, par exemple, on subisse une épreuve limitée dans de justes bornes sur la connaissance de la langue grecque, l'histoire ancienne, l'histoire grecque, l'histoire romaine et l'histoire moderne ; mais le programme de l’enseignement moyen en est farci ; on l'enseigne pendant six ans ! est-on censé, d'après vous, ne plus savoir, le jour où l'on est sorti de rhétorique, tout ce qu'on avait appris depuis la sixième ? Votre manière d'organiser les études et l'examen de candidature en philosophie et lettres, le ferait supposer.

Aujourd'hui l'enseignement moyen est organisé ; quand il ne l’était pas, vous pouviez vous défier de cet enseignement ; il était à l'état d'anarchie ; mais maintenant que vous l'avez organisé, il faut admettre qu'on y enseigne quelque chose et qu'on n'a pas tout oublié le jour où l'on entre à l'université.

Un homme plus à même que moi de vous parler de la médecine ou des sciences exactes et naturelles vous indiquera des mesures de simplification analogues à celles que je vous recommande pour le droit et les lettres, afin de donner plus de place aux connaissances pratiques sans lesquelles il est impossible qu'un jeune homme muni d'un diplôme de docteur en droit puisse arriver, sortant de l'université, à tirer parti de son diplôme.

Si vous conservez les certificats, vous retombez dans l'inconvénient dont vous avait tirés la loi de 1849, et d'où il résultait qu'un élève devenu docteur en droit était incapable de faire quelque chose le jour où il se présentait devant la cour pour prêter serment comme avocat. Sortant de l'université avec le pouvoir d'exercer une profession, il faut que le docteur sache du droit commercial, par exemple, ce qui est indispensable dans la pratique. Cela suffit, on ne peut pas aller au-delà, et, en fait, ces limites ne sont pas dépassées.

Il faut l'étude du droit criminel sans la connaissance duquel il est impossible de faire quelque chose au barreau ou dans la magistrature. Il faut connaître les principes généraux de la plaidoirie et de l'organisation judiciaire ; enfin l'étude du droit civil en entier, ce qu'on ne faisait pas, par parenthèse, sous le gouvernement des Pays-Bas ; quelques titres seulement formaient l'objet de l'enseignement.

Ainsi pendant mon séjour à l'université, j'étais devenu, grâce à cet enseignement incomplet, de première force sur les servitudes et les successions, et j'aurais été parfaitement incapable d'expliquer le moindre contrat de mariage.

En résumé, messieurs, j'engage.la Chambre à simplifier les études, mais à ne pas revenir aux vieilleries qui tueraient la science et ta considération des professeurs. Mieux vaut ne pas savoir, que mal savoir. Ne rétablissons pas le système des certificats.

- La discussion est continuée à demain.

La séance est levée à 4 1/2 heures.