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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 10 novembre 1859

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)

page 9) (Présidence de M. Vervoort, second vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 1/2 heures.

M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance du 28 septembre dernier et du procès-verbal de la séance du 9 novembre courant.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse des pièces suivantes.

« Le sieur Auguste Ubaghs. commis aux écritures à Liège, né à Maestricht, demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur Fontigny demande que son fils Léopold-Nicolas, soldat au 9ème régiment de ligne, lui soit renvoyé avec un congé définitif ou temporaire. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Hainaut, ancien militaire congédié pour infirmité contractée au service, demande la révision de sa pension. »

- Même renvoi.


« La veuve du sieur Branckaer, ancien commissaire voyer et secrétaire communal, demande un secours. »

- Même renvoi.


« Le sieur Farvacque, journalier à Dottignies, demande un congé provisoire pour son fils Henri, milicien de la classe de 1857. »

- Même renvoi.


« Les administrations communales et des habitants de Steenhuyse-Wynhuyse, Ophasselt et Lierde-Sainte-Marie prient la Chambre d'adopter le projet de loi portant concession d'un chemin de fer de Braine-le-Comte à Gand.

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Le sieur Destoop, meunier à Zulte, demande la réduction du droit de patente sur les moulins à vent. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Cerfontaine, commissaire de police à Marche, demande qu'il lui soit accordé, ainsi qu'à ses collègues, une indemnité pour les fonctions d'officier du ministère public qu'ils remplissent près le tribunal de simple police de leurs cantons. »

- Même renvoi.


« La dame Lehouque demande que la loi du 18 décembre 1857 soit rendue applicable aux veuves remariées avant cette époque. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants du canton d'Oosterzeele prient la Chambre d'accorder au sieur Roucqueau la concession d'un chemin de fer de Braine-le-Comte sur Melle, pourvu que cette ligne passe par le centre à peu près du canton. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la concession du chemin de fer.


« Le sieur Bruyninckx demande que le gouvernement se prononce sur l'offre qu'il a faite de lui céder ses collections de dessins et gravures. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Masquelin propose de rétablir pour les membres des deux Chambres le serment exigé par l'article 81 de la loi fondamentale du 24 août 1815. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Durant, médecin de régiment pensionné, soumet à la Chambre un projet de loi sur la police, la discipline et l’organisation des associations médicales. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la police et la discipline médicales.


« Le sieur Buyck, porteur de contraintes à Waerschoot, demande que sa position soit améliorée. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur de Greef réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir extrait d'un jugement qui le concerne. »

- Même renvoi.


« Plusieurs industriels, négociants et autres habitants de Melle et de Heusden demandent que le chemin de fer de Braine-le-Comte par Enghien et Grammont aboutisse à Melle et non à Gand. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la concession de ce chemin de fer.


« Plusieurs administrations communales dans la Flandre orientale présentent des observations contre la modification proposée par la section centrale au projet de chemin de fer de Braine-le-Comte à Gand, et prient la Chambre d'adopter le tracé par Oosterzeele pour aboutir à Melle. »

Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi concernant le chemin de fer de Braine-le-Comte à Gand.


« Le sieur F.-J.-Ernest Vidal, chapelier à Anvers, né à Bruxelles, demande la naturalisation. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Des habitants de Bruxelles présentent des observations contre les dispositions du Code pénal relatives aux coalitions. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


Il est fait hommage à la Chambre :

Par l'administration communale de Liège, de 114 brochures concernant les projets de station centrale et des chemins de fer aboutissant à cette ville ;

Par l'administration communale de Gand, de 2 exemplaires du rapport sur l'administration et la situation des affaires de cette ville ;

Par l'Académie royale de Belgique, de 2 exemplaires du tome IX des mémoires couronnés format in-8° et de 5 exemplaires des n°3 et 4 du tome XII (2ème série) des bulletins ;

Par M. J. Malou, de 120 exemplaires d'une brochure relative à la question monétaire, telle qu'elle se présente en Suisse et en Belgique.

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.


M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, 5 demandes de naturalisation ordinaire.

- Renvoi à la commission des naturalisations.


M. le ministre des finances adresse à la Chambre les états sommaires des adjudications, contrats et marchés passés par les divers départements ministériels pendant l'année 1858.

Composition des bureaux de sections

Les sections de novembre se sont constituées comme suit :

Première section

Président : M. Savart

Vice-président : M. Van Iseghem

Secrétaire : M. Nélis

Commission des pétitions : M. Vander Donckt


Deuxième section

Président : M. Sabatier

Vice-président : M. Dechentinnes

Secrétaire : M. Guillery

Commission des pétitions : M. de Rongé


Troisième section

Président : M. Muller

Vice-président : M. de Boe

Secrétaire : M. Carlier

Commission des pétitions : M. Thienpont


Quatrième section

Président : M. de Renesse

Vice-président : M. J. Jouret

Secrétaire : M. Goblet

Commission des pétitions : M. H. Dumortier


Cinquième section

Président : M. de Terbecq

Vice-président : M. Wasseige

Secrétaire : M. Snoy

Commission des pétitions : M. de Smedt


Sixième section

Président : M. le Bailly de Tilleghem

Vice-président : M. Pirmez

Secrétaire : M. Orban

Commission des pétitions : M. de Florisone

Composition des commissions permanentes

Commission permanente de comptabilité

Les sections ont composé la commission de comptabilité ainsi qu'il suit :

MM. d'Ursel, Moreau, de Naeyer, Verwilghen, Tack et Rodenbach.

Projet de loi réduisant les péages sur le canal de Charleroi

Discussion des articles

Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, on passe aux articles.

Article premier

« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé à réduire de 25 p. c. les péages du canal de Charleroi, pour le parcours entier, et à fixer le péage ainsi réduit, pour le Centre vers Bruxelles, à raison de 12 1/2 lieues. »

La section centrale propose de porter la réduction de 25 à 40 p. c.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Le gouvernement ne se rallie pas à cet amendement.

MpVervoortµ. - Un autre amendement a été déposé sur le bureau. Ik est ainsi conçu :

« Le gouvernement est autorisé à réduire de 60 p. c. les péages du canal de Charleroi. pour le parcours entier, et à fixer le péage ainsi réduit, pour le Centre vers Bruxelles, à raison de 12 1/2 lieues. » Cet amendement a été présenté par MM. Dechamps, Ch. Lebeau, De Rongé, De Paul, L. Hymans, Jamar, Louis Goblet, Sabatier, et Jules Van Volxem.

(page 10) M. L. Hymansµ. - Messieurs, la question qui vous est soumise attend une solution depuis dix ans: elle n'a pas changé depuis 1849.

A cette époque, les propriétaires des bateaux naviguant sur le canal de Charleroi réclamaient une réduction de 75 p. c. sur les péages ; le gouvernement et les Chambres, à cette époque, avec une excessive répugnance, forcés en quelque sorte par les manifestations de l'opinion publique, leur ont accordé une réduction de 35 p. c., c'est-à-dire un peu moins de.la moitié de ce qu'ils demandaient comme indispensable.

Il n'est donc pas étonnant que le mécontentement qui se produisait déjà à cette époque, dure encore, qu'il ait persisté, qu'il se soit même accru par suite de l'établissement de nouvelles concurrences au canal de Charleroi.

Nous venons vous demander aujourd'hui de mettre un terme à ce mécontentement en réduisant de 60 p. c. les droits qui frappent les transports sur le canal de Charleroi, persuadés qu'en agissant ainsi vous ferez un acte de bonne politique, un acte d'humanité, de justice et de libéralisme et que vous servirez en même temps les intérêts du trésor que l'on nous oppose et les intérêts des contribuables.

Messieurs, la question qui nous occupe est tout à fait une question de chiffres, c'est pour cela qu'il est indispensable de bien établir notre point de départ.

Le gouvernement nous accuse, dans l’exposé des motifs de son projet de loi, comme il l'a fait dans toutes les circonstances où la question s'est produite devant la Chambre, de prendre une base inexacte pour nos calculs. Il a dit que nous exagérions dans des proportions considérables le prix du fret sur le canal de Bruxelles à Charleroi.

Le gouvernement estime ce fret à 4 fr., il l'estime même à 3 fr. 50 ; il part de là pour soutenir que le canal de Charleroi est dans les meilleures conditions possibles pour soutenir la concurrence avec les chemins de fer. Toute la question réside dans ce chiffre, du moins la plus grande partie du débat s'y renferme.

Voyons quel est en réalité le fret sur le canal de Charleroi, le fret véritable.

Ce fret a été estimé par la commission des finances du conseil communal de Bruxelles, le 13 février 1858, à 5 fr. 06. La commission a décomposé ainsi ce chiffre : Elle porte un droit fixe qui, je pense, ne sera pas contesté, de 2 francs par tonne ; pour le halage, 37 fr.50 c par bateau de 69 tonnes, soit 57 centimes par tonne ; elle évalue l'intérêt du capital et l'entretien du bateau, les frais de patente et de réparation à 1 fr. 09 par tonne ; le transport de la fosse au rivage à 50 centimes par tonne.

Elle est arrivée, en calculant ainsi, à établir le fret à 5 fr. 06 c.

Ce chiffre a été contesté dans le sein de la commission de la Chambre et du conseil communal lui-même ; l'honorable bourgmestre de Bruxelles a dit que ce chiffre contenait deux erreurs : qu'on estimait à 66 au lieu de 69 tonnes le tonnage des bateaux ; nous voulons bien accepter ce chiffre de 69, quoique ce soit un chiffre maximum.

L'honorable M. Sabatier, dans son rapport, a estimé le prix du fret à 4 francs 91 centimes ; il a corrigé les calculs de la commission communale, il a eu raison. Toutefois, je n'accepte pour bien exacts ni les calculs des pétitionnaires qui sont ceux de la commission des finances, ni ceux de M. Sabatier ; je les ai refaits ; quoique je ne sois pas un excellent calculateur.je crois être arrivé à un chiffre à peu près exact. Voici comment il se décompose :

Le droit fixe, par tonneau, est toujours de 2 francs, on ne le contestera pas.

Depuis l'époque où il a été question de la réduction du droit sur le canal, le halage a été remis en adjudication, il a été élevé de 37 50 à 51 75 par bateau, de sorte qu'au lieu du chiffre indiqué dans le rapport de la commission communale, au lieu de 57 centimes, il faut porter en compte 74 centimes par tonneau pour un bateau jaugeant 69 tonneaux.

Je prends les chiffres officiels, les chiffres de la commission des finances du conseil communal et ceux du gouvernement.

J'en arrive à la patente. Je ne tiens compte que des dépenses indispensables, des dépenses auxquelles il est impossible de se soustraire.

Je me suis rendu à la maison communale de Molenbeek-Saint-Jean, où sont domiciliés le plus grand nombre de bateliers. Je me suis fait montrer les rôles des patentes, et j'ai vu que la patente des bateliers se monte en moyenne de 28 à 30 fr., y compris les centimes additionnels au profit de la province et de la commune ; j'en arrive donc encore, de ce chef, au chiffre de 3 centimes par tonneau.

La patente des bateliers a été réduite. La réduction n'est pas en vigueur ; mais comme elle est de 50 p.c., cela fait une réduction de 1 1/2 centime par tonneau. Si c'est avec cela que ces malheureux doivent voir leur sort s'améliorer, en vérité ils sont bien à plaindre.

Le transport de la fosse au rivage est toujours le même, de 50 centimes par tonneau.

Le coût du bateau : c'est surtout là-dessus que la discussion est engagée.

Les pétitionnaires estiment le prix du bateau à 4,500 fr., et ils partent de là pour porter à un chiffre trop élevé les frais d'entretien et de réparation. J'ai pris le chiffre de M. Vifquain, indiqué dans le rapport officiel fait en 1839 par le gouvernement, et dans lequel il est dit que « le bateau qui transporte le charbon à Bruxelles et sur toutes les voies navigables de la Belgique coûte 2,500 fr. eu capital et 15 p. c. d'entretien, soit 412 fr. 50 c. »

Messieurs, je n'ai pas cru, tout en faisant justice de la légère exagération qui se trouve dans le calculs des pétitionnaires, devoir prendre exactement le chiffe indiqué par M. Vifquain en 1839. Depuis lors, on le sait, la valeur de l’argent a diminué ; la main d’ouvre a renchéri.

Je crois donc pouvoir, en tenant compte de l'assurance, porter le prix du bateau à 3,000 fr. En comptant 15 p. c. sur 3,000 fr. et en faisant le calcul de ce que cela donne par tonneau, je trouve 54 cent. par tonneau et par voyage pour le coût de l'entretien et de l'amortissement du bateau.

Voilà donc qu'en additionnant les frais qu'on ne peut se dispenser de payer, c'est-à-dire : le droit de canal de 2 fr., les frais de halage de 74 c., le droit de patente de 3 c., le transport de la fosse au rivage de 50 c. et l'entretien et l'amortissement du bateau, 54 c., j'ai un total de dépenses nécessaires de 3 fr. 81 c. par tonneau et par voyage.

Ainsi donc 3 fr. 81 de dépenses nécessaires, indispensables, sans que le batelier, qu'il soit propriétaire ou simple ouvrier, reçoive un centime.

Or il est dit dans l'exposé des motifs du projet de loi que le fret est à 3 fr. 50. Je demande comment, quand on doit payer 3 fr. 81 de frais indispensables, on peut naviguer au fret de 3 fr. 50, à moins que les bateliers ne fassent cadeau de 50 centimes par tonneau à l'Etat.

Nous avons maintenant à tenir compte des gages du batelier.

Les bateliers sont presque tous mariés, et des renseignements que j'ai obtenus dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean, il résulte qu'ils ont généralement beaucoup d'enfants, en moyenne cinq.

Voilà donc une famille de sept personnes dont il faut déterminer le salaire.

Je ne crois rien exagérer en donnant à un ouvrier qui doit nourrir une femme et cinq enfants 2 francs par jour. C'était la moyenne de ce que gagnait autrefois le batelier. Eh bien, en lui accordant 2 francs par jour et en estimant ce que ces 2 francs par jour calculés sur 12 voyages par an, par conséquent 60 francs par mois, font par tonneau, j'arrive à 4 fr. 68 comme chiffre nécessaire, si vous ne voulez, par décision de la Chambre, condamner le batelier à mourir de faim.

Il est d'autres considérations qu'il ne faut pas perdre de vue.

Jadis un batelier faisait en moyenne sur 18 voyages (il n'en fait plus aujourd'hui que 12 au maximum. grâce à l'Etat), 400 francs d'économie. Ces 400 francs d'économie, au bout de 3 ans, lui faisaient un peu plus de 1.000 fr. Il donnait, donc à son patron une somme de 1,000 fr., moyennant laquelle il devenait propriétaire du bateau, sauf à compléter plus tard le prix par des payements successifs. Cela représente 2-2 fr. 50 par bateau ou 32 centimes par tonne.

J'arrive donc, en calculant au prix le plus bas, ce que vous devez nécessairement donner à un homme pour lui permettre de vivre, à un fret de 5 fr. et je dis que quand le fret tombe au-dessous de 5 fr., le batelier ne peut pas vivre,

Or, d'après nos adversaires, le fret est à 4 fr. ; d'après quelques-uns d'entre eux, il est même à 3 fr. 50 c ; d'où il résulte que nos adversaires décernent très bénévolement à ce batelier qui doit entretenir sa famille et qui est obligé de rester honnête homme, 75 centimes par jour pour nourrir sept personnes.

Et remarquez une chose, c'est que précisément d'après la décision de cette commune, dont je vous parlais tout à l'heure, de la commune de Molenbeek-Saint-Jean, qu'habitent un si grand nombre de bateliers, on n'accorde de secours du bureau de bienfaisance qu'au batelier qui envoie ses enfants à l'école. Comment peut-il les y envoyer ?

Lorsque son enfant est capable de se livrer au moindre travail, lorsqu'il peut être de quelque secours, il l'emploie sur son bateau pour économiser un peu de main-d'œuvre. Et le conseil communal, dans un but parfaitement libéral, dans un but que j'apprécie et que j'approuve, refuse de donner des secours au père qui n'envoie pas à l'école l'enfant dont il ne peut se passer ! C'est un argument qu'on pourra faire valoir plus tard lorsqu'il s'agira de l'instruction obligatoire.

Je dirai plus. Ce batelier, comme je le faisais remarquer tout à l'heure, achetait petit à petit son bateau ; il devenait propriétaire ; il obéissait à un instinct particulier à notre race. Vous savez très bien que, dans notre pays, et surtout dans certaines provinces, la petite culture a beaucoup plus d'attrait pour le paysan que la grande. Chacun désire devenir propriétaire de son champ, comme le batelier désire devenir propriétaire de son bateau, comme l'employé désire devenir propriétaire de sa maison. Et c'est ce que les bateliers dans une supplique qu'ils adressaient au Roi en 1849, après s'être adressés en vain au gouvernement et à la Chambre, disaient avec une touchante éloquence :

« Ceux d'entre nous qui avaient acheté et payé déjà en partie le bateau qu’ils conduisaient, ont préféré perdre les sommes versées en acompte, plutôt que de rester sous le coup d’un engagement qu’ils ne pourront pas tenir, trop heureux encore que l’on consentît leur reprendre ce qui désormais n’aura plus guère de valeur.

(page 11) « Le canal de Charleroi avec le canal correspondait de Bruxelles a été notre dernier refuge après la ruine des autres voies navigables. Que deviendrons-nous si sur celle-ci encore la navigation doit cesser ?

« Ruinés ainsi dans le présent, ruinés dans l’avenir, quelques-uns d'entre nous ruinés même dans le passé, parce qu'ils doivent abandonner la propriété qu'ils avaient acquise des fruits d'une stricte et rude économie, nous prenons tous ensemble, Sire, notre recours vers Votre Majesté.

« Nous avons été frappés sans miséricorde dans nos tristes réduits où nous attend la misère auprès de notre femme et de nos enfants.

« La rigueur qu'on a montrée pour des malheureux comme nous, était-elle donc si nécessaire au bien de l'Etat, et n'y a-t-il aucun remède aux maux qui vont nous accabler ?

« Nous avons la confiance, Sire, que votre paternelle sollicitude nous viendra en aide ; nous espérons qu'elle nous rendra le travail qui nous faisait une existence pénible et rude, il est vrai, mais du moins supportable et honnête, et qu'elle nous préservera ainsi de la mendicité et de ses funestes conséquences. »

Voilà donc la situation qu'on a faite aux bateliers. Pour eux il n'y a plus de propriété possible ; il n'y a plus que la misère, toujours, dans le présent et dans l’avenir.

Cependant, messieurs, c'est dans cette classe, vous pourriez vous en convaincre par les statistiques, c'est dans cette classe qu'il y a le plus de probité. Ainsi j'ai entendu dire par des propriétaires de bateaux qui transportent le charbon sur le canal de Charleroi, que lorsqu'ils font des expéditions dans les petites communes riveraines, ils chargent le batelier lui-même d'encaisser le prix de l'envoi ; ils lui remettent leurs factures, ils lui confient leurs intérêts.

Eh bien, messieurs, avec la situation que vous faites à ces gens, vous les placez tout simplement entre la misère et le vol. C'est un acte odieux, c'est presque une violation de la Constitution qui garantit la liberté de toutes les industries. Vous tuez cette industrie par la concurrence que vous lui faites. Vous oubliez le plus sacré de vos devoirs.

Le gouvernement doit encourager le travail avant de songer à l'aumône, il doit encourager le travail honnête. Il n'a pas le droit de sacrifier l'industrie de plus de mille familles à une spéculation, car je démontrerai tout à l'heure que le gouvernement fait sur le canal de Charleroi une spéculation et rien de plus. Pour le moment, je me bornerai à rappeler ce que disait dans la session dernière l'honorable M. Devaux à propos des pêcheurs de Blankenberghe.

« Messieurs, ne devons-nous pas saisir l'occasion d'adoucir les rigueurs d’une profession malheureuse ? S’il s'agissait, par exemple, d’améliorer par quelques centaines de mille francs le sort des malheureux houilleurs, qui leur marchanderait cette allocation ?

« Notre projet de loi fait beaucoup pour la propriété. Il a raison ; mais quand il y a quelque chose à faire pour une classe qui ne possède pas, faut-il passer à côté d'elle et nier ses souffrances ? »

Je sais bien qu'on m'oppose un argument qui peut être fort spirituel, mais qui n’a aucune espèce de fondement ; on dit qu'il y a trop de bateliers et surtout trop de bateaux.

Je n'ai jamais entendu dire qu’il y eût trop de bateau pour la consommation. Mais j'ai entendu dire qu'il y avait trop de bateaux pour la concurrence que le chemin de fer fait au canal. L'honorable ministre des finances dit qu'il y a trop de bateaux sur le canal de Charleroi.

Il y a peu de temps, on se plaignait aussi qu'à Bruxelles et dans d'autres villes il y eût trop de commissionnaires en douane, et nous avons trouvé au Moniteur une note dans laquelle on nous annonce qu'à l'avenir l'administration effectuera les opérations en douane dans les stations frontières de Mouscron.

Le gouvernement exerce ici une industrie aux dépens des contribuables. Je trouve, moi, qu'il n'y a jamais trop d’honnêtes gens qui exercent d'honnêtes industries. Il y a une foule de professions qui sont encombrées. J'entends dire tous les jours qu'il y a trop d’avocats, eh bien je ne crois pas que le gouvernement puisse partir d'une pareille observation pour entraver l'exercice de la profession du barreau.

Vous n'avez pas plus le droit d'entraver l'exercice de l'industrie des bateliers que d'entraver l'exercice de la profession d'avocat.

Quoi qu'il en soit, le fret est donc de 4 fr. 50. Le négociant fait des sacrifices, et le batelier vit de misères ; il a dévoré ses économies ; il emprunte sur son bateau ; bientôt il sera obligé de le vendre, et puis quand il aura dépensé le peu que cette vente lui aura produit, il sera livré à la mendicité ; il tombera à la charge de plusieurs communes rurales, et les communes rurales ne pouvant subvenir à ses besoins, il s'adressera à l'Etat, qui lui devra des secours C'est ainsi que les intérêts du trésor se trouveront satisfaits.

Maintenant voyons ce que fait à côté de cela, la concurrence.

Le canal de Charleroi est en face d'une double concurrence : de la concurrence des chemins de fer de l'Etat et de celle des chemins de fer concédés.

La taxe du chemin de fer de l'Etat pour un parcours tarifé de 11 lieues, du Centre à Bruxelles, est de 4 fr. 50. J'ai montré tout à l'heure que le batelier ne peut transporter, sans perte, au-dessous de 5 francs. Voilà pour les transports du Centre à Bruxelles par le chemin de fer de l'Etat.

Par décision du ministre des travaux publics, en date du 28 juin 1858, la société de Manage à Wavre a été autorisée à transporter de Manage à Bruxelles (Allée-Verte) sans détermination de quantités, le charbon au prix de 4 fr. par tonne, dont 2 fr. 10 c. pour Manage à Wavre et 1 fr. 90 c. pour le Luxembourg.

Ajoutez la taxe uniforme du chemin de fer de Mons à Manage qui, d'après la convention du service mixte du 15 mai 1859, est de 1 fr. 10 c., vous arrivez à 5 fr. 10 c. pour la taxe sur les lignes concédées.

Ici, messieurs, nous avons un avantage apparent pour le canal de Charleroi ; mais si l'on tient compte de la rapidité des transports par le chemin de fer et surtout de la préférence du public pour les charbons du Centre, l'avantage est, en réalité, pour le chemin de fer.

Du reste, s'il y a un avantage apparent d'un côté, il y a une compensation de l'autre.

Le prix des transports du bassin de Charleroi à Louvain, varie de 3 fr. 60 c. à 4 fr. 4 c, selon les points d'expédition et pour la destination de Bruxelles (Quartier-Léopold), et de 4 fr. 20 c. à 4 fr. 64 c, également selon les points d'expédition et pour la destination de Bruxelles (Allée-Verte).

Pour jouir des dispositions de ce tarif, il faut, à la vérité, transporter des quantités déterminées de charbon ; mais les prix que j'ai cités subissent une nouvelle réduction sur les quantités au-dessus de 10 millions de kilogrammes.

Le tarif normal du transport des charbons de Charleroi à Bruxelles est de 4 fr. 60 c, non compris la taxe des embranchements industriels, qui porte le prix à 4 fr. 82 c, comme l'a dit M. Ch. de Brouckere au conseil communal.

Voilà pour le centre et Charleroi ; voyons maintenant ce qui se passe pour le bassin de Liège qui est distant de Bruxelles de 105 kilomètres, par le chemin de fer de l'Etat et de 116 kilomètres par le Luxembourg.

Le tarif mixte pour le transport des charbons du bassin de Liège vers Bruxelles est à peu près exclusif de ces transports ; il varie de fr. 6-65 à 7-10, ma s des contrats particuliers sont intervenus.

Par un de ces contrais, en date du 12 avril 1858, l'établissement houiller de Gosson Lagasse à Tilleur, s'est engagé à transporter pendant une période de 9 mois, une quantité minima de 500 waggons de 5 tonnes en destination de Bruxelles (quartier Léopold), à raison de 5 fr. 75, à ajouter, le cas échéant, à ce prix de 5 fr. 75 par tonne une taxe supplémentaire de 10 c. par tonne si l'expédition est en destination de l'Allée-Verte.

Par un autre contrat en date du 27 septembre 1857, la société de l'Espérance, à Seraing, a obtenu un prix spécial de 5 fr. 25 dont 2 fr. 45 pour la compagnie du Nord et 2 fr. 80 pour le Luxembourg. Voilà donc un prix de 5 fr.75 et 5 fr. 25 pour 116 kilomètres, tandis que nous payons 5 fr. pour 75 kil. sur le canal.

Aussi malgré la différence qu'il y a entre le prix du transport des charbons de Liège et des charbons de Charleroi par le canal, malgré les apparences qui font croire que le prix du charbon de Liège est plus élevé, il est à la connaissance de tout le monde que ce charbon de Liège vient faire la concurrence au charbon de Charleroi et du Centre sur le marché de Bruxelles, par suite des remises qui sont faites par les exploitants de charbonnages. (Interruption.)

Quoique le charbon de Liège ne jouisse pas sur le marché de Bruxelles de la même réputation que le charbon du Centre ; quoiqu'il n'ait pas les mêmes qualités que le charbon de Charleroi ; eh bien, malgré cela, et quoi qu'en dise l'honorable M. Muller, je répète que les remises faites par les producteurs sont assez fortes pour que le charbon de Liège fasse concurrence sur le marché de Bruxelles au charbon de Charleroi et à celui du Centre, malgré l'énorme différence de la distance.

Du reste, je n’indique ceci que pour montrer la différence qui existe entre les prix des transports, d'un côté par le canal de Charleroi, de l’autre par les chemins de fer, relativement aux distances ; car je ne me plaindrai jamais qu’on fasse venir à bon compte, de n’importe où, du charbon sur le marché de Bruxelles. Je veux seulement établir ce qu’il y a de singulier dans des prix qui n’ont aucune espèce de rapport raisonnable.

Messieurs, je résume cette question de chiffres qui peut vous paraître fastidieuse ; mais il faut bien que nous réglions ce compte-là avant de nous engager dans le débat des principes.

Le fret normal, sur le canal, est donc d'après le conseil communal de Bruxelles, à 5 06, auxquels il faut ajouter 18 centimes pour le halage ; soit 5 fr. 24. D'après la commission d’industrie, il deviendra ainsi de 4 91 plus 0 18, soit 5 09, et j'ai dit tout à l'heure que par transaction je me bornais à prendre une moyenne de 5 francs. Or, de Manage à Bruxelles on ne paye que 5 fr. 10, de Charleroi à Bruxelles (Etat) 4 fr. 10, de Charleroi à Bruxelles (Luxembourg) 4 fr. 60.

Et si je prends le marché de Louvain, je trouve un tarif spécial qui (page 12) varie de 3 fr. 20 c. à 3 fr. 56 c. Par le canal en prenant le fret, même à 4 francs et en y ajoutant ce qu’on paye de droits supplémentaires sur le canal du Ruppel et celui de Louvain, j’arrive à 6 fr., soit une différence de 2 fr. 80 c., au préjudice de la navigation.

Vers Gand c'est exactement la même chose. Par eau, on paye de Charleroi à Gand, 7 fr. 16, par le chemin de fer et le canal de Louvain on ne paye que 5 fr. 32, différence de 1 fr. 84 au préjudice de la navigation.

Il est donc bien établi que le canal de Charleroi est sacrifié à la concurrence du chemin de fer. Ce ne sont pas là des faits à discuter. Ce sont des faits incontestables et, j'ose le dire, incontestés.

Voyons où cela nous mène.

Le gouvernement nous oppose l'intérêt du trésor. Je prétends qu'en favorisant le chemin de fer aux dépens du canal, le gouvernement compromet les intérêts d» trésor ; je prétends en outre qu'il s'est mis en opposition avec tous les principes libéraux en matière d'économie politique et par conséquent avec ses propres principes... (Interruption.) Je le pose en fait, et j'essayerai de le démontrer.

Quelle est la base du tarif du chemin de fer de l'Etat pour les grosses marchandises ?

J'ai lu, dans un rapport sur les chemins de fer de Belgique, qu'il est impossible de transporter les grosses marchandises au-dessous de 6 centimes par tonneau et par kilomètre, ce qui fait 30 centimes par tonne-lieue. (Interruption )

Au-dessous de ce prix, on transporte les grosses marchandises à perte, même sans tenir compte de l'intérêt et de l'amortissement du capital déboursé. Dans tous les cas on ne peut pas contester que ce soit la base du chemin de fer de l’Etat, qui perçoit 30 c. par tonne-lieue, plus 1 francs de droit fixe. Mais quand on prend un abonnement par waggon de 5,000 tonnes, le gouvernement fait la remise du droit fixe.

En prenant pour base le tarif de 30 centimes par tonne-lieue pour le transport des grosses marchandises, j’arriverai à prouver qu'il n'y a pas un seul chemin de fer concédé qui ne transporte à perte ; la preuve en est facile à donner, je ne veux pas faire de calculs sur tous les chemins de fer concédés, je ne prendrai que ceux qui ont un rapport direct avec la question qui nous occupe.

De Charleroi à Louvain il y a 66 kilomètres. On transporte 1.000 kil. à 3 fr. 60 c., ce qui fait 5 1/2 centimes par tonne et par kilomètre De Manage à Bruxelles pour Wavre, il y a 70 kilomètres. On paye 4 fr. par tonne ; à peu près le même prix.

Voilà donc des chemins de fer qui transportent les grosses marchandises à 5 centimes et demi et à 5 centimes trois quarts, sans compter l'intérêt et l'amortissement des capitaux engagés.

L'État peut bien faire abstraction de l'intérêt et de l'amortissement des capitaux dépensés, parce qu'il remplit un service public, mais les compagnies ne le peuvent pas, car elles doivent rembourser leurs actionnaires ; et la preuve qu'elles transportent à perte, c'est qu'il n'y en a pas une seule dont les actions soient au pair, une seule qui parvienne à joindre les deux bouts à la fin de l’année.

Alors l'Etat est obligé d'intervenir ; en 1857, quatre compagnies, la compagnie de Lierre à Turnhout, celle de Manage, celle de la Flandre occidentale et celle d’Entre Sambre et Meuse ont reçu de l’Etat, à titre de garantie de minimum d’intérêt, une somme de 795,511 fr., ce qui est bien autre chose que les 300 mille francs que nous vous demandons de sacrifier sur le canal de Charleroi, car le sacrifice n'ira pas au-delà.

Voilà pour les intérêts du trésor. Mais je n'ai pas tout dit.

La compagnie du chemin de fer de Dendre et Waes transportait en 1857, et transporte peut-être encore, mille kilogrammes de houille du bassin du Centre, de Gosselies, Châtelineau, Roux, Marchiennes, Farciennes, Tamines, Jemmapes, St-Ghislain, Boussu, Thulin à Zele et Lokeren pour 3 fr. 90 et 4 fr. 50.

Elle percevait bien ce qu'elle devait percevoir d'après le tarif de l'Etat qui est le sien, mais elle annonçait à ses clients que dans le délai de trois semaines elle restituerait à ses pratiques 3 fr. sur 7 fr. 50 et 3 fr. 30 sur 7 fr. 80 c.

Voilà donc encore une compagnie qui transporte à perte, car le prix qu’elle perçoit ne correspond pas à trois centimes et demi par tonne et par kilomètre, tandis que le chiffre normal est de 6 centimes.

Maintenant je vais citer un autre fait sur lequel j'appelle toute l'attention de la Chambre, parce qu'il est intéressant et peu connu.

Je tiens en main l'extrait d'un contrat conclu en 1857 pour dix ans, entre le chemin de fer de l'Etat et le chemin de fer d'Anvers à Rotterdam d'une part, et d'autre part MM. Smeets et Cie à Rotterdam ; aux termes de l’article 13 de ce contrat, les deux premiers s'engagent à admettre les grosses marchandises à un franc par lieue par waggon de 5,000 kil. pendant toute la durée de ce contrat.

Or je l’ai dit, ce contrat est fait pour 10 ans ; il en résulte de la manière la plus claire que le waggon de 5,000 kil. dont le transport de Mariemont au Moerdyk devrait coûter 60 fr. 50, est transporté moyennant 35 francs. C’est un préjudice de 25 francs pour l’Etat par waggon de 5,000 kil.

Je ne sais pas de quel droit on a usé pour faire un pareil contrat. Je sais qu'il faut des lois pour autoriser le gouvernement à réduire les péages sur les canaux, et je ne connais pas de disposition qui autorise le gouvernement à faire avec des compagnies des convensions qui leur permettent de lui faire concurrence à des conditions aussi désastreuses.

J’ai vu il y a quelque temps dans le Moniteur du 25 septembre 1859 que le gouvernement se réservait la faculté de faire cesser les contrats existants à intervenir, en prévenant un mois à l’avance. Je suis curieux de savoir si M. le ministre fera cesser les effets de ce contrat qui est conclu pour dix ans.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - S'il trouve quelque chose d'analogue à mettre à la place. Sinon, non.

M. Hymans. - Dans ce cas, vous ne faites pas les affaires du trésor ; vous n'avez pas le droit de parler des intérêts du trésor à propos du canal de Charleroi, alors qu'à un chemin de fer concédé qui ne vous appartient pas, vous accordez des avantages qui vous constituent évidemment en perte. (Interruption.)

Quand vous m'aurez démontré que cela rapporte un bénéfice au trésor, je me déclarerai satisfait.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - C’est la question d’avoir des transports ou de ne pas en avoir.

M. Hymans. - S'ils ne rapportent rien, il vaut tout autant de ne pas en avoir.

J’en arrive aux canaux : on a contesté tout à l'heure mon chiffre de 30 centimes par tonne-lieue. Mais il y a un autre chiffre qu'on ne me contestera pas: c'est celui du prix effectif des transports par les chemins de fer comparé aux prix effectifs des transports par les canaux.

Il est reconnu par tout le monde et il n'est, je crois, contesté par personne qu'il y a, dans le coût effectif de la traction, une économie de 75 p. c. au profit des canaux. Cela est incontestable et quand même M. l’ingénieur Jullien que je citais tout à l’heure serait Français, je crois que son raisonnement est aussi vrai pour la Belgique que pour la France. Or, que résulte-t-il de là ?

Il en résulte que le gouvernement devrait tout naturellement employer le plus possible les voies navigables, qu’il devrait les utiliser surtout lorsque ces voies lui appartiennent, et ont été depuis longtemps remboursée, à peu près deux fois, comme l’a été le canal de Charleroi.

Ici je n’exprime pas mon opinion personnelle.

Un honorable membre que je regrette de ne pas voir à son banc, parce que dans cette question il est notre adversaire, et qu’on est heureux d’avoir un adversaire tel que lui, M. H. de Brouckere, dans une discussion antérieure, au mois de décembre 1848, disait à la Chambre que l’intérêt du trésor était de faire affluer les marchandises pondéreuses vers les voies navigables plutôt que vers le chemin de fer, attendu que sur les voies navigables on réalisait un bénéfice net, tandis que sur les chemins de fer on était loin d’arriver à ce résultat. Et un fait qui prouve que sur tous les bancs on était d’accord, c’est que l’honorable M. de Man d’Attenrode, qui siégeait à droite, interrompait l’honorable M. de Brouckere en disant : « C’est évident ; » et l’honorable M. de Brouckere ajoutait : « Cela est tellement évident qu’il faut qu’on ait oublié qu’on était admirateur de toutes les voies navigables et que l’on ait cru que l’on n’avait qu’à soigner les intérêts du chemin de fer.

La chambre de commerce de Bruxelles, en 1848, à propos de cette même question des péages soutenait le même système que l’honorable M. de Brouckere et disait que si par un abaissement des tarifs, on remettait les transports des matières pondéreuses au canal, le trésor y gagnerait ; car ce qu’il produit est un bénéfice net, tandis qu’il est loin d’en être ainsi pour le chemin de fer.

Or, le gouvernement suit un système directement opposé. Ecoutez les ingénieurs du chemin de fer. A les en croire, il fait combler les canaux.

Or, c’est le plus détestable, le plus désastreux de tous les systèmes. Les canaux rendent des services que les chemins de fer ne peuvent pas rendre. Le rail n’est pas un progrès relativement au canal.

Vous ne pouvez pas lancer sur le chemin de fer un nombre indéfini de trains, ni accepter tous les transports, quelle qu’en soit la masse. Un transport de trop peu peut suffire à priver une ville de combustible. Vous nous accusez d’avoir trop de bateaux. Nous pouvons vous renvoyer l’argument et vos reproches d’avoir trop peu de waggons.

Pour tout dire, en un mot, le chemin de fer serait bien embarrassé s’il triomphait assez pour devoir faire lui-même le service de la navigation.

Je parais pousser ici les choses à l’extrême. Mais je ne puis m’empêcher de le dire, les canaux ont l’avantage de transporter facilement et sans limite les matières pondéreuses.

Ils desservent les petites localités, épargnent les transbordements, rendent d'immenses services à l'agriculture. Ils offrent en coût effectif une économie de 75 p. c. sur les chemins de fer. Il ne faut pas oublier que les chemins de fer étaient impossibles, sans la houille et le fer qui sont le résultat de l'activité des canaux, et ils sont négligés exactement comme si leur mérite était inférieur, comme s'ils devaient disparaître avec le temps. Je vois bien que l’on creuse des canaux, que l'on répare (page 13) des écluses, que l'on entretient nos voies navigables comme des curiosités publiques, mais quels progrès y a-t-on introduits ? Aucun.

A-t-on perfectionné les écluses ? a-t-on cherché sérieusement à appliquer la vapeur, à remplacer cette coutume barbare de halage fait par les hommes par des moyens mécaniques ? Oh non ! on méprise les canaux par amour pour le chemin de fer. On les prend pour des engins usés, et c'est grâce à la ténacité, à la persévérance de ces malheureux qui tiennent à leur industrie comme l'huître tient au roc, qui meurent sur leur bateau comme les pêcheurs de Blankenberghe dans leur grande redingote ; c’est grâce à cette résignation on sublime et au désir qu'a le trésor, de faire de bonnes recettes, que les canaux se maintiennent.

Maintenant, remarquez que nous sommes ici en présence d'un canal dont le capital est depuis longtemps et deux fois remboursé.

Le canal de Charleroi rapport 1,300,000 fr. par an à l’Etat, et c'est à ce propos que je disais que le gouvernement va à l’encontre de tous les principes libéraux en matière d'économie politique.

Dans la séance du 20 décembre 1848. M. Charles de Brouckere disait : « Si un particul.er était propriétaire du canal, d'un canal qui ne coûte rien et dont le capital est emboursé, il abaisserait immédiatement les péages ! »

Je vais beaucoup plus loin ; je dis que, d'après les principes rigoureux, l'Etat n'a pas le droit de faire des bénéfices sur un service public.

Quel que soit le rôle que l'on assigne à l’Etat dans la civilisation moderne, qu'on soit partisan de son intervention en toutes choses, ou de son abstention complète en matière de travaux d'utilité publique, il est impossible qu'on lui reconnaisse le droit de se faire entrepreneur et de prélever de gros dividendes sur l'activité sociale. Ceci n'est pas une question de parti ni d’école. Tous les économistes, tous les hommes d'Etat sont d'accord sur ce point, en France comme en Angleterre, comme en Amérique ; c'est à un principe généralement reconnu, et si je voulais vous citer des autorités, je les chercherais dans les Annales parlementaires, dans les discours des trois quarts des orateurs de cette Chambre, à commencer par l'honorable ministre des finances.

Sous ce rapport l'honorable ministre a dû se trouver d'accord avec l'ingénieur français (M. Colignon), qui dans un travail publié en 1845, sur la concurrence des canaux et d-s chemins de fer, disait (page 31) :

« On ne fait pas des canaux pour créer des revenus à ceux qui les exécutent, mais pour multiplier les relations, la production, les échanges, développer le commerce et activer l'industrie. Ces idées sont si élémentaires qu'il y aurait une sorte de naïveté à les rappeler si chaque jour elles n'étaient singulièrement méconnues. Il y a tels canaux anglais qui out payé dix fois leur capital, il en est dont les actions ont été vendues à 30 fois leur prix d'émission, et pour le dire en passant, il n'y a pas de chemin de fer ni en Angleterre ni ailleurs qui ait encore présenté une pareille prospérité, de tels résultats. Or, pour ces canaux si productifs pour leurs actionnaires, que représentent donc leurs r venus actuels ?

« Ce n’est pas le remboursement du capital d'exécution, puisqu'il y a longtemps que ce capital est amorti, puisque les exploitants ont retrouvé dix capitaux pour un. Qu'est-ce donc, encore une fois ? Aussitôt que ce n'est plus la rémunération d’un service depuis longtemps soldé et à gros intérêt, c'est un impôt. C'est un véritable impôt prélevé sur le commerce et l'industrie au profit d'un individu ou d'une association d'individus. C'est au milieu e notre société, si exclusive du privilège, le retour, sous une autre forme et sous une dénomination nouvelle, de véritables droits féodaux ; car il est impossible d'attribuer un autre caractère à des perceptions qui frappent la circulation sur la voie publique et qui n'ont plus pour justification la création même de cette voie. »

Voilà, je pense, une théorie incontestable. Quand vous avez regagné sur un service public les frais d'établissement, l'intérêt du capital déboursé et les frais d’entretien, je ne sais pas jusqu’à quel point vous avez le droit d’exiger des contribuables une dépenses supplémentaire. Je ne sais pas si vous avez jamais considéré ce qu’on paye à la poste, ce qu’on paye au chemin de fer comme un impôt. Ce serait là une suprême injustice, une thèse anti-démocratique, anti-libérale. Vous ne l’avez pas fait.

Vous avez admis vous-mêmes, pour la réforme postale, que la réduction devrait être faite quand la recette aurait atteint un certain chiffre.

Vous vous êtes posés cent fois en admirateurs de ces grands hommes d’Etat de l'Angleterre qui dans les temps de crise ne reculaient pas devant une perte de 30 à 40 millions infligée au trésor, et vous viendriez prétendre, dans cette enceinte, qu'il vous est impossible de renoncer à un bénéfice d'un million 300,000 fr. sur le canal de Charleroi ! Ce serait là, je le répète, la négation la plus absolue de tous les principes libéraux en matière d'économie politique.

Cela est si vrai que dans le magnifique travail publié en 1842 par le ministre des travaux publics et dont l’auteur était M. Vifquain (Des voies navigables en Belgique) il était dit :

« Les heureux résultats obtenus par l'application de l'excédant du produit des barrières aux travaux d'extension et d'amélioration des routes de I Etat, ne peuvent laisser aucun doute sur ceux que l'on obtiendrait en suivant le même système pour les voies navigables.

« Rien de plus rationne, en effet, que l'application de ces revenus au développement même de ces voies de communication qui les produisent, rien qui le soit moins que leur versement au trésor, car il ne peut se justifier que par leur assimilation aux impôts ; or, les canaux, les routes, les chemins de fer ne sont point imposables comme les objets qui se consomment ou contribuent aux jouissances de la vie ; ce sont de véritables outils de production et l'outil ne paye point l'impôt.

« Suivant nous, les canaux ne doivent donc pas servir à augmenter les ressources du trésor ; du moment que leur revenu dépasse les dépenses, il faut réduire les péages et en appliquer l'excédant au développement de la navigation, comme cela se pratique aujourd'hui pour les routes et comme cela se pratiquera plus tard pour le chemin de fer. »

Telle est la théorie que patronnait le cabinet rétrograde dont faisait partie M. Dechamps et que repousse l'administration libérale d'aujourd'hui.

En 1834, M. de Ridder, commissaire du Roi dans la discussion de la loi relative à l’établissement des chemins de fer, disait : « Un péage, pour être juste, doit, ce nous semble, suffire simplement aux frais d'entretien et aux intérêts des capitaux employés à l'établissement de la route. »

Vous voyez donc que le gouvernement en 1834, lorsqu'il décrétait l’établissement du chemin de fer, et en 1842, lorsqu'il présentait son rapport sur les voies navigables considérait, dans ce qui concernait les services publics, l’intérêt du trésor comme venant en seconde ligne.

Je ferai remarquer qu'en prenant pour point de départ cette proposition de M. Vifquain et de M. de Ridder, nous nous trouvons quant au canal de Charleroi, eu présence d'une nouvelle injustice.

Ce canal qui rapporte annuellement 1,300,000 fr. de bénéfice au trésor, c’est-à-dire l’intérêt d'un capital de 26 millions, ce canal sur lequel on paye 57 fois plus que sur le canal de Terneuzen à Gand et 22 fois plus que sur d'autres canaux de Belgique, ne parvient pas même à obtenir les améliorations indispensables pour que la navigation puisse s'y faire d'une manière convenable.

Le système établi par M. Vifquain pou le canal de Charleroi (j'en appelle à son rapport) était un véritable chef-d'œuvre. C'était une des choses les plus difficiles en matière de construction que de faire de Bruxelles à Charleroi un canal qui pût être alimenté pendant 9 ou 10 mois de l'année.

Ce n'est que par des prodiges de science qu'on est arrivé à ce résultat. Et qu'a fait le gouvernement ? Je n'en accuse pas le ministre actuel ni même un de ses prédécesseurs, car je ne saurais pas dire à quelle époque précise cet acte a été posé, mais on a complètement troublé l'économie de ce canal ; on a élargi le canal sur le versant de la Sambre, mais l'eau que l'on donnait au versant de la Sambre, on l'a enlevée au versant de Bruxelles, et c'est par suite de cette perturbation que l'adjudication du tirage ne s'est plus faite aux anciennes conditions et qu'il a été augmenté de 14 ou 15 francs par bateau et par voyage.

Donc, messieurs, de tous les canaux de la Belgique, c'est précisément ce in qui rapporte le plus qui est le plus mal traité, le plus mal entretenu. Aussi je n'hésite pas à dire qu'en appuyant aujourd'hui la réduction de 60 p. c. je ne renonce pas pour cela à réclamer encore le vote d'un crédit considérable au budget des travaux publics pour rétablir l'économie du canal de Charleroi, pour rendre la navigation plus facile et pour l'augmenter s'il se peut.

Le canal à petite section, d’après M. Vifquain, était évalué à 9 millions ; le canal à grande section était estimé 17 millions et le revenu net est aujourd'hui, après deux réductions de péages, de 1,300,000 fr., ce qui représente l'intérêt d'un capital de 26 millions.

Eh bien, si vous consacrez quelques millions à de grandes améliorations, les voyages sur le canal ne dureront pas six semaines et nous n’aurons plus des bateaux de 60 à 70 tonneaux, mais de 150 ou 200 tonneaux. Les voyages seront assez productifs pour que nous n'ayons plus à répondre à toutes les réclamations qui nous assiègent depuis quelque chose comme dix années. Cette question viendra en temps et lieu ; je me borne, pour le moment, à signaler les contradictions du gouvernement.

Le principe du dégrèvement des tarifs, en proportion de l'augmentation des recettes, n'est pas le seul principe libéral et démocratique qui se trouve violé dans cette grave question ; il y a un autre principe que les partisans du projet de loi présenté par le gouvernement ont défendu en mainte circonstance et qu'ils voudraient aujourd'hui mettre en oubli, c'est qu'une réduction de tarifs est toujours et nécessairement une cause déterminante d'une augmentation de recettes.

Un ancien collègue de I honorable M. Frère, l'honorable M, Rolin, ministre des travaux publics en 1848, soutenait ce principe à propos de cette même question du canal de Charleroi et l'honorable, M. H. de Brouckere, qui à cette époque était partisan de la réduction, tandis qu'il en est aujourd’hui l’adversaire, abondait complètement dans le sens de l'honorable M. Rolin.

M. Rolin disait : « La diminution des péages, loin d'être une cause de diminution et de ruine pour les recettes, les augmente et les féconde. Chaque fois qu'on a diminué les tarifs on a augmenté la recette et chaque fois qu'on a augmenté les tarifs ou a diminué la recette. »

Et l'honorable M. H. de Brouckere s'exprimait ainsi :

« M. le ministre a dit qu'en réduisant les péages, dans une juste proportion, on augmentait les revenus. Mais s'il en est ainsi pour le chemin de fer, je voudrais bien savoir pourquoi il n'en serait point de même pour les canaux ?

(page 14) « Comment ! en diminuant les péages du chemin de fer, vous augmentez les produits, et en réduisant le péage sur le canal vous diminueriez les produits !

« Il y a là contradiction, contradiction évidente. Si une réduction convenable du tarif du chemin de fer est favorable aux produits du chemin de fer, j'en tire la conséquence qu’une réduction faite dans une juste proportion sur le péage du canal de Charleroi, sera également favorable aux produits de ce canal. »

A cette époque donc, le gouvernement, qui aujourd'hui combat la réduction et l'honorable M. de Brouckere qui aujourd'hui combat la réduction, étaient parfaitement d'accord pour soutenir qu'une diminution des péages devait nécessairement amener une augmentation de recette. Il est vrai qu'à cette époque l'honorable M. de Brouckere n'était pas député de Mons.

Il y a donc messieurs, dans cette question un tissu de contradictions, et si vous voulez vous reporter à ce qui s'est passé en 1849, vous verrez que nous ne devons pas désespérer d'obtenir quelque chose de plus que ce que le gouvernement vous promet.

Prenez les Annales parlementaires et vous verrez qu'en décembre 1848, l'honorable M. Rolin prononçait un discours où il démontrait, de la manière la plus catégorique, que la réduction des péages serait la ruine du trésor. Prenez les Annales parlementaires du 14 mars 1849, vous y trouverez un discours du même ministre, du même honorable M. Rolin, démontrant d'une manière non moins catégorique, que la réduction des péages devrait nécessairement amener une augmentation de recettes. Il est vrai que dans les Annales parlementaires vous ne voyez pas de traces d'un événement qui s'est passé en dehors de cette enceinte.

Les bateliers se sont adressés à la Chambre et n'ayant pas obtenu justice d la Chambre, ils se sont adressés au Roi. Or, c’est le Roi qui leur a fait accorder ce que la Chambre et le gouvernement leur avaient refusé. (Interruption.)

- Un membre. - C'est inconstitutionnel.

M. Hymans. - Je vous remercie de l’interruption. Vous comprenez que je ne puis pas, moi, qui siège depuis deux mois dans cette enceinte, connaître le langage parlementaire comme ceux qui y siègent depuis 20 ans. Il faudrait au moins que les interruptions fussent bienveillantes, ce n'est pas aux vétérans d’empêcher les conseils de marcher au feu.

Je n'ai rien voulu dire d'inconstitutionnel ; j'ai dit simplement et je répète que la Chambre refusait au mois de décembre 1848, sur la proposition du gouvernement, ce que, sur la proposition du gouvernement, elle accordait au mois de mars 1859. Je veux bien attribuer à une révélation mystérieuse dont je puis puiser sans être inconstitutionnel, le revirement qui s'est opère à cette époque dans l'esprit des ministres et dans l'esprit de la Chambre. En tous cas ce que faisait M Rolin était un acte loyal et l'honorable M. Charles de Brouckere lui disait, dans la séance même : « Vous réparez une erreur, le pays vous en saura gré. » C’est ce qu'on a fait et c'est, je l'espère, ce qu'on fera encore aujourd’hui.

Du reste, messieurs, il va un fait et j'irai le chercher dans un mémoire officiel émané du département des travaux publics, sur la réforme des péages.

Il résulte de ce travail, qu'en 1855 les recettes sur le canal de Charleroi se sont élevées à 1,334,6668 fr., c'est-à-dire à 20,000 fr. de moins seulement qu'en 1848, avant la réduction. Ainsi de 1849 à 1855, c'est-à-dire en six ans, nous avons déjà presque atteint le chiffre des recettes que produisait le canal en 1848.

Je constate, comme un détail significatif, qu'un seul membre de la Chambre combattait la réduction. C’était l’honorable M. Dumortier. L'honorable membre disait que si l’on réduisait le péage des deux tiers, la recette serait diminuée également des deux tiers, c’est-à-dire de 500,000 fr. Et qu’est-il arrivé ? C’est que la recette a atteint aujourd’hui le chiffre que le trésor percevait en 1848. Je suis donc surpris de voir aujourd’hui le gouvernement soutenir, en cette matière, le système que l’honorable M. Dumortier soutenait seul dans la chambre en 1848.

L'honorable M. Deliège, à cette époque, se joignait timidement à l'honorable M. Dumortier. D'après lui, la réduction de la taxe ne constituerait un avantage que pour les marchands de houille et le consommateur n'y gagnerait rien. Je reviendrai à l’instant sur ce point.

Pour le moment je crois pouvoir me dire fondé à réclamer une réduction de péages au nom des principes et au nom de l’intérêt du trésor ; car, j’en ai la conviction intime, la diminution de la taxe doit faire augmenter, quoi qu’on fasse, le chiffre de la recette.

Le système actuel consacre ce que l’honorable M. Dechamps prévoyait dès 1849, consacre le monopole des chemins de fer concédés, et ce monopole conduit directement à une ruine pour le trésor. Voici de quelle façon :

Il n’y a pas un seul chemin de fer dont les actions soient au pair ; tous les chemins de fer concèdes font des affaires détestables ; l'Etat est obligé de leur payer des garanties d'intérêt qui en une seule année se sont élevées pour quatre compagnies à plus de 700,000 fr.

Qu’arrive-t-il ? C'est que ces compagnies, faisant de détestables affaires, finissent par se fusionner entre elles ; et vous verrez quelque jour une puissante compagnie, comme celle du Nord, qui a déjà commencé de semblables opérations, absorber les autres compagnies.

Et quand une compagnie puissante se sera emparée de tous les chemins de fer concédés, quand elle aura conquis le monopole, et quand, après avoir détruit vos voies navigables, en transportant à perte pour leur faire concurrence, elle viendra se placer en face du railway de l’Etat, alors il ne sera plus question de transporter à prix réduit, il ne sera plus question de tous ces prétendus intérêts du consommateur, de l’ouvrier, il ne s'agira plus d'amener la houille à Bruxelles et à Louvain à bon marché, pour le foyer du pauvre ; vous verrez monter les tarifs, quand la compagnie sera maîtresse, et vous ne l'empêcherez pas de réaliser de gros bénéfices aux dépens des contribuables, comme on essaye d'en réaliser aujourd'hui au détriment du trésor.

En demandant une réduction de 60 p. c, je défends, en outre, la cause de 6,000 infortunés ; je défends une classe honorable, importante, d'industriels et de négociants de Bruxelles.

Je défends enfin les intérêts du consommateur.

Le gouvernement nous dit, dans son exposé des motifs, que la réduction ne profitera ni aux bateliers, ni aux consommateurs ; qu'il y a trop de bateaux ; que la cause de la misère des bateliers, c'est la concurrence.

Il est vrai, parfaitement vrai, que ces malheureux se disputent les transports à prix réduits ; mais c'est précisément de cela que nous nous plaignons ; c'est précisément à ce mal que nous demandons qu'il soit porté remède. Pourquoi ces malheureux transportent-ils à perte ? Parce qu'ils n'ont pas perdu tout espoir, parce qu'ils s'attendent à voir la Chambre faire droit à leurs pressantes réclamations. C’est pour cela qu'ils conservent 1eurs bateaux, qu'ils naviguent encore ; c'est pour cela que le fret diminue ; et tandis que le fret diminue, le chiffre de la recette du canal de Charleroi augmente constamment.

Et je dirai de plus que si le péage n'est pas réduit, la recette augmentera encore, et le gouvernement continuera à dire : « la prospérité règne sur le canal de Charleroi, » en vertu du système d'après lequel les souverains de l'Orient, l'empereur de la Chine et l'empereur du Japon, lorsqu'ils ont leur trésor bien garni de nos pièces de 5 fr. qu'ils nous enlèvent et qu'ils ne nous rendront pas, prétendent que la situation florissante du trésor est en raison exacte de la situation florissante des contribuables chinois et japonais.

Pour moi, la situation florissante du trésor ne représente pas le moins du monde la situation florissante du contribuable : pour moi, les bateliers transposent à perte, par suite de la concurrence que leur fait le chemin de fer, tandis que si le chemin de fer ne leur enlevait pas une partie de leurs transports, tous les bateaux du canal seraient employés et la recette s'accroîtrait en proportion.

On a dit que tout le bruit qui se fait autour de cette question a pour but de défendre les prétentions d'une association de marchands de Bruxelles, qui profiteront seuls de la réduction des péages.

On n'a pas le droit de présumer un tel fait, de prétendre que le prix de la houille ne baissera, soit à la fosse, soit sur les marchés de consommation, qu'à la condition de prétendre qu’il y aura coalition des producteurs ou coalition des marchands de charbons. S'il n'y a pas coalition, il y aura concurrence, et s'il y a concurrence, il y aura réduction.

Je sais que parfois il y a coalition, mais c'est un délit prévu ; il y a quelque part dans le Code pénal un article 419, qui prévoit la coalition entre patrons aussi bien qu'entre ouvriers ; et je suis certain que si pareil fait venait à se produire, il se trouverait en Belgique des magistrats indépendants pour agir et réprimer ces actes coupables comme l'exige la loi.

Il ne me reste plus qu'un mot à dire relativement à l'intérêt des consommateurs. On prétend qu'ils ne gagneront rien à la réduction qu'on sollicite. Je demande de quel droit on avance une pareille allégation. Je demande, si quand on établit un impôt, ce n'est pas toujours le consommateur qui le paye. Par la même raison, si vous supprimez un impôt existant, c'est lui qui doit y gagner. Si ce n'est pas le consommateur qui doit profiter d'une réduction de péages, au profit de qui le gouvernement a-t-il autorisé des réductions sur les chemins de fer concèdes ? Ce n'est pas au profit du trésor, car moins ils feront de recettes plus l’Etat devra payer de garantie d'intérêt.

Si c'est le consommateur qui profite des réductions de péages sur les chemins de fer, pourquoi ne profiterait-il pas aussi des réductions sur les canaux, à moins toujours de supposer une coalition des charbonniers ou des marchands ? Je suis convaincu que la réduction profitera aux consommateurs, surtout aux petits consommateurs.

Vous favoriserez par la réduction des péages le petit consommateur qui ne peut pas aller chercher sa houille à la fosse ; plus vous favorisez le marchand, plus vous favorisez le petit consommateur ; c’est élémentaire. S'il n'en était pas ainsi, je ne verrais pas pourquoi on demanderait la suppression de l’octroi. Si le consommateur n’en doit retirer aucun profit, je ne vois pas, pour les villes, de raison d'y renoncer.

Je crois avoir démontré, messieurs, que la réduction sera utile au consommateur, à l'industrie, au trésor, et juste au point de vue des principes.

Maintenant si j'étais logique, je proposerais la suppression totale du droit. Mais je ne veux pas faire de propositions sans résultat.

Je ne puis cependant me contenter des propositions de la section centrale. Les 40 p. c. qu'elle nous accorde ne permettent pas au canal de (page 15) soutenir plus aisément qu'aujourd'hui la concurrence contre le chemin de fer.

Pour que cette concurrence soit possible, il faut que le fret réel soit au maximum de 4 francs.

Pour en arriver là il faut un dégrèvement de 60 p. c. C'est la proposition que nous avons déposée sur le bureau et je crois qu’en la faisant, nous sommes très modérés dans nos exigences.

Messieurs, je termine. Un mot encore. Dans la dernière session, le gouvernement a fait appel à notre patriotisme en réclamant des sommes considérables pour la défense du pays. Nous faisons appel, à notre tour, à vos sentiments de justice et d'humanité.

La situation du trésor est excellente. La réduction des péages ne fera que l'améliorer dans l'avenir ; mais dût-il ne pas en être ainsi, vous ferez chose utile et profitable en montrant au pays que le soin de sa défense ne vous arrête pas dans la voie des réformes utiles et libérales.

De cette façon vous le consolerez de ses sacrifices, et votre œuvre n'en sera que plus grande, plus belle, et votre dévouement plus apprécié.

- M. Orts remplace M. Vervoort au fauteuil.

M. le président. - Avant de consulter la Chambre sur la fixation de l’heure de la séance de demain, je lui demanderai d'autoriser le bureau à compléter les sections centrales chargées d'examiner les budgets , plusieurs des membres qui les composaient ayant cessé de faire partie de la Chambre.

- Adhésion.

La séance est levée à 4 heures et 1/2 et renvoyée à demain à 2 heures.