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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 5 juin 1860

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859-1860)

(page 1456) (Présidence de M. Dolez, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Le sieur Collette demande la création d'une caisse de retraite pour les veuves des gendarmes. »

- Renvoi à la commission du projet de loi qui apporte une modification à la loi sur les pensions militaires.


« Les membres du conseil communal de Moorslede demandent que le projet de loi relatif aux octrois alloue à chaque commune sans octroi une somme égale à sa cotisation personnelle pour 1859. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Les membres du conseil communal de Ham-sur-Sambre présentent des observations sur le projet de loi relatif aux octrois. »

- Même décision.


« Des habitants de Dinant prient la Chambre d'adopter le projet de loi portant abolition des octrois communaux. »

- Même décision.

« Le sieur Jean Hanck, potier à Hachy, né en Prusse, demande la naturalisation pour lui et pour son fils. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Foucart demande que son fils Modeste, milicien de la classe de 1860, soit réformé pour difformité à la tête. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Braine-le-Comte demandent la libre sortie des chiffons. »

« Même demande d'habitants d'Ogy, Verviers, Renaix, Namur, Tournai, Wasmes, Restre-lez-Baudour, Thulin, Stambruges, Meslin-l'Evêque, Gembloux, La Louvière-Saint-Vaast, Binche et Lessines. »

« Le sieur Van Laer transmet une note à l'appui de cette demande. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« M. le ministre des finances transmet à la Chambre le compte spécial de toutes les opérations relatives à la négociation des bons du trésor pendant l'année 1859, faites en vertu des lois du 16 février 1833, du 28 décembre 1338 et des 3 mars, 21 et 27 mai 1859. »

- Impression et distribution.


« M. le président de la seconde chambre des états généraux des Pays-Bas fait hommage à la Chambre d'un exemplaire du compte rendu de la session de 1846-1847. »

- Dépôt à la bibliothèque.

Composition des bureaux de section

Les bureaux des sections pour le mois de juin ont été constitués ainsi qu'il suit.

Première section

Président : M. de Renesse

Vice-président : M. Goblet

Secrétaire : M. Jamar

Rapporteur de pétitions : M. Van Renynghe


Deuxième section

Président : M. Dechentinnes

Vice-président : M. Julliot

Secrétaire : M. Guillery

Rapporteur de pétitions : M. de Boe


Troisième section

Président : M. Loos

Vice-président : M. Muller

Secrétaire : M. Van Humbeek

Rapporteur de pétitions : M. de Bronckart


Quatrième section

Président : M. Dautrebande

Vice-président : M. Moreau

Secrétaire : M. Tack

Rapporteur de pétitions : M. Notelteirs


Cinquième section

Président : M. Deliége

Vice-président : M. Savart

Secrétaire : M. de Gottal

Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt


Sixième section

Président : M. J. Jouret

Vice-président : M. Grandgagnage

Secrétaire : M. Hymans

Rapporteur de pétitions : M. Frison

Pièces adressées à la chambre

M. H. de Brouckere (pour une motion d’ordre). - Je suis chargé de déposer sur le bureau de la Chambre une adresse des fabricants de sucre, qui est, selon moi, de nature à détruire le fâcheux effet qu'a produit sur la Chambre une pièce dont il a été question dans une séance précédente. Je demanderai à la Chambre de vouloir bien autoriser M. le président à faire donner lecture de cette pièce par un de MM. les secrétaires. Elle est très courte et elle pourra, je pense, exercer une influence favorable sur la suite de nos débats.

M. le président. - Si la Chambre n'y voit pas d'inconvénients...

- Plusieurs membres. - L'impression !

M. H. de Brouckere. - Laissez-la lire.

M. A. Vandenpeereboom. - C'est contraire au règlement. Aux termes du règlement, toute pétition qui est déposée sur le bureau de la Chambre doit être renvoyée soit à une commission spéciale, soit à la commission des pétitions ; et je ne vois pas de motifs pour déroger aux prescriptions du règlement en cette circonstance. Je demande donc l'exécution du règlement, c'est-à-dire le renvoi à la commission des pétitions avec prière d'en faire l'objet d'un prompt rapport. Ce rapport, si on le veut, pourrait être présenté demain.

M. H. de Brouckere. - Vous comprenez, messieurs, que je n'attache aucune importance à ce que la pétition soit communiquée à la Chambre aujourd'hui plutôt que demain, s'il ne doit pas être question, dans cette séance, de la question des sucres. Mais vous ne pouvez pas empêcher un orateur de s'occuper des articles 10 et suivants du projet, et de parler avec un certain sentiment d'aigreur que nous avons (page 1457) tous éprouvé ces jours derniers. Eh bien, je le répète, la pièce que je viens de déposer est de nature à nous donner à tous une véritable satisfaction.

Maintenant, je demande quel intérêt peut être froissé par la lecture d'une pièce dont j'ai pris lecture moi-même, dont je garantis la parfaite convenance et dont la communication ne peut qu'être agréable à la Chambre.

Permettez-moi de dire que ce ne sera pas même un antécédent fâcheux : la Chambre, en effet, est saisie du projet de loi sur les octrois ; par conséquent le renvoi de la pétition à une commission est inutile. Aussi, dans toute autre circonstance, demanderais-je le dépôt pur et simple de la pétition sur le bureau pendant la discussion ; mais, je le répète, il importe que la Chambre connaisse le plus tôt possible les termes de cette pétition, parce qu'elle est de nature à exercer une influence, et permettez-moi d'ajouter une influence bienfaisante, sur la suite de nos discussions.

M. Manilius. - Je crois que nous ne devons pas nous écarter de nos précédents. Laissons à la commission le soin de se prononcer d'abord sur la pétition ; s'il y a urgence, elle pourra nous soumettre encore son rapport aujourd'hui. Je crois, messieurs, que nous avons d'autant plus de raison de ne pas nous départir de nos précédents, que la pétition dont il est maintenant question semble n'avoir d'autre objet que de détruire l'effet produit par une autre pétition qui a été adressée au Roi. Il faut donc laisser à la commission le soin d'examiner cette pétition avec la plus grande attention afin de formuler des conclusions en parfaite connaissance de cause.

M. H. de Brouckere. - Je ne mets jamais d'entêtement dans de pareilles questions, et je désire qu'il n'y ait pas de vote sur une affaire de si peu d'importance, puisque certains membres semblent préférer qu'il ne soit donné connaissance de la pétition que demain. Mais il doit être bien entendu que chacun de nous voudra bien suspendre jusqu'à demain l'impression qu'il a ressentie de l'écrit qui nous a été récemment distribué.

- La Chambre ordonne le renvoi de la pétition à la commission des pétitions, avec demande d'un rapport pour demain.


« M. Neyt, retenu par une indisposition, et M. de Liedekerke, obligé de s'absenter pour affaires urgentes, demandent un congé. »

- Accordé.

Projet de loi accordant des crédits ordinaires et extraordinaires au budget de la dette publique

Rapport de la section centrale

M. Moreau. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi portant demande de crédits ordinaires et extraordinaires au budget de la dette publique, pour l'exercice 1860.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi supprimant les octrois communaux

Discussion générale

M. Crombez. - Messieurs, malgré les vives attaques que le projet de loi a subies, je persiste à penser qu'il est juste dans son ensemble, et je tiens, pour ma part, à le défendre contre le principal reproche qu'on lui a fait de sacrifier les campagnes aux villes.

S'il est des intérêts que ma position dans la société me fait presque un devoir de défendre plus particulièrement, ce sont les intérêts des campagnes. Eh bien, sous ce rapport, et depuis les améliorations introduites par la section centrale, je voterai sans crainte le projet de loi présenté par l'honorable M. Frère ; j'ai la conviction intime que la suppression des octrois sera éminemment avantageuse aux campagnes, et que le projet de loi ne leur demande pas trop, en remplacement de cet impôt inique et vexatoire qui pèse sur tout le pays, producteurs et consommateurs.

Disons d'abord qu'il est bien difficile d'arriver à une répartition exacte des charges entre les villes et les campagnes, entre les différentes classes de citoyens ; un ensemble d'impôts, quelque bien combiné qu'il puisse être, présentera toujours des défectuosités, des inégalités fâcheuses, mais inévitables.

Si on ajoute à la part que les campagnes recevront du fonds communal, l'immense avantage résultant pour celles de l'abolition de 5 à 6 millions d'impôts sur les produits de l'agriculture, le dégrèvement dont les campagnards profiteront aussi sur le prix des choses actuellement soumises à l'octroi, enfin la suppression de toutes les formalités d'entrée et de transit qui occasionnent souvent aux cultivateurs une si grande perte de temps et d'argent, si on tient compte de tous ces avantages, dis-je, il me semble que les campagnes se trouveront au moins allégées en proportion de ce qu'on leur demande en plus par l'augmentation de certains droits d'accises.

Je suis donc loin de partager l'opinion de l'honorable M. de Naeyer. Je conçois qu'on discute les avantages que le projet de loi rapportera aux villes, ceux qu'il rapportera aux campagnes, qu'on diffère sur le point de savoir de quel côté penche la balance ; mais présenter le campagnard comme sacrifié, taillé à merci en quelque sorte en faveur du citadin, c'est bien fortement charger le tableau, me semble-t -il. Il va sans dire que si j'avais seulement le soupçon d'une pareille injustice, je repousserais énergiquement le projet de loi.

Quelques orateurs ont demandé qu'on mît les communes à octroi sur le même pied que les communes rurales, pour la répartition du fonds commun, qu'on supprimât ou qu'on modifiât profondément le paragraphe 2 de l'article 14 qui garantit aux communes à octroi le produit net qu'elles auront obtenu des droits d'octroi pendant l'année 1850. Il me semble que ce serait souverainement injuste. Ouvrons le budget d'une de ces grandes villes dont a parlé l'honorable M. de Naeyer, nous y verrons un chiffre notable de dépenses dans lesquelles sont intéressés les habitants des campagnes ; les dépenses pour l’instruction moyenne, les Académies, les musées ; les dépenses pour certains services publics, même pour certains divertissements publics, ne profitent-elles pas aussi aux campagnards ? Il est donc de toute équité que les campagnes interviennent pour une part dans le remboursement des octrois.

Il faut mettre en regard des plaintes qu'on élève en faveur des campagnes, les craintes des communes à octroi sur l'avenir de leurs finances.

Le conseil communal de Tournai s'est montré inquiet de voir le paragraphe 2 de l'article. 14 inscrit au chapitre des dispositifs transitoires ; il craint que la garantie du minimum fixé par cet article ne lui échappe un jour. C'est une question que l'honorable M. Pirmez a traitée dans la séance de samedi et je crois qu'il a parfaitement interprété le sens du projet. La garantie du minimum fixé par le paragraphe 2 de l'article 14 est une mesure transitoire en ce sens, qu'au bout d'un certain nombre d'années, par suite de l'accroissement du fonds communal, les communes à octroi pourront recevoir, sur la base des trois contributions directes désignées a l'article 3, une quote-part équivalant au moins au revenu net de leur octroi pendant l'année 1859. La répartition sur la base unique des trois contributions directes deviendra alors la seule règle à suivre pour toutes les communes, et le paragraphe 2 de l'article 14 n'aura plus de but.

Un amendement proposé par M. le ministre des finances en section centrale prévoit le cas où, par suite de crise, le fonds communal serait considérablement réduit, et alors les communes à octroi devraient supporter leur part dans ce déficit momentané ; mais il est convenu qu'elle leur sera bonifiée ensuite en proportion de chaque accroissement annuel ultérieur.

Une perte sensible qu'auront à subir les communes à octroi, c'est d'être privées, pendant un certain nombre d'années, de l'augmentation régulière de leurs revenus, comme cela avait lieu par le produit de l'octroi. Leurs revenus resteront quelque temps stationnaires, jusqu'à ce que le fonds communal reçoive un accroissement notable. Et si les villes ont à pourvoir à de nouvelles dépenses, à l'exécution de certaines améliorations souvent nécessaires et désirables, elles devront recourir à de nouveaux impôts. Personne ne peut nier que les besoins ne soient bien plus grands, sous ce rapport, dans les grands centres que dans les communes rurales. De plus, la nécessité de sauvegarder la position des employés de l'octroi sera évidemment une charge pour les communes, malgré la somme de 5 p. c. qui leur est allouée en plus à cet effet sur leur part dans la répartition du fonds communal.

Voilà les charges qu'auront à supporter les communes à octroi. Ce sont les sacrifices que le projet de loi leur demande pour les délivrer d'un impôt odieux, sacrifices qui seront largement compensés, du reste, par les nombreux avantages moraux et matériels qu'elles retireront de la suppression des octrois.

Une ville de mon arrondissement, messieurs, se trouve dans une situation fâcheuse et tout exceptionnelle, c'est la ville de Leuze. Elle a un octroi qui lui rapporte net 12,000 fr. environ par an. C'est peu, parce que Leuze, au lieu d'abuser de l'octroi comme ont fait tant d'autres villes, a préféré avoir recours à la capitation. Elle a de ce chef un revenu qui s'élève à 8,000 fr. environ. Leuze ne recevra donc du fonds communal que la somme de 12,000 fr., tandis que la ville de Lessines, par exemple, qui a une population moindre, qui paye beaucoup moins à Etat en contributions foncières sur les propriétés bâties, en contributions personnelles et en patentes, recevra la somme énorme de 25,000 fr., produit net de son octroi pendant l'année 1859. N'y aurait-il pas moyen, messieurs, de comprendre la ville de Leuze dans l'exception prévue au paragraphe 3 de l'article 14 et de lui rembourser sa cotisation personnelle, comme aux dix localités désignées au tableau annexe E ? Je soumets cette question à votre justice. Bien entendu, c'est une exception que je sollicite pour la ville de Leuze, une exception qui me paraît pouvoir aussi bien être justifiée que celles prévues au paragraphe 3, article 14 ; mais si ma demande n'était possible qu'avec l'amendement de l'honorable M. Vermeire, concernant l'abolition des capitations, je devrais y renoncer, à regret.

Je ne crois pas qu'on puisse adopter l'amendement de l'honorable membre. Comme l'a très bien démontré l'honorable ministre des finances, la suppression des octrois est d'intérêt général et peut être prononcée par (page 1458) la loi, sans qu'on porte atteinte à la liberté communale. En serait-il de même de l'abolition des capitations ? L'impôt de capitation n'est pas mauvais en lui-même. Il ne devient souvent arbitraire et inique que dans l'application ; c'est alors un mal local, à l'abolition duquel la généralité du pays n'est pas intéressée. De plus, où vous arrêterez-vous dans la voie de l'abolition et du remplacement des impositions communales ? Neuf cents communes environ n'ont eu recours ni à la capitation ni à l'octroi, parce qu'elles ont préféré augmenter leurs centimes additionnels. Que ferez-vous pour ces communes ? Vous devrez leur rembourser dans certaine mesure leurs centimes additionnels. Vous finirez par avoir toutes les impositions communales remplacées par les subsides de l'Etat, et je me demande alors ce que devient l'indépendance de la commune qu'on dit déjà menacée par le projet en discussion.

Je crois donc que le projet de loi présente par M. le ministre des finances est juste dans ses principales bases ; et encore une fois, s'il est modifié dans quelques parties, je le voterai sans hésitation et avec la conviction de faire une bonne chose.

Je supplie l'honorable ministre d'accepter les modifications qui, sans renverser le système de la loi, l'améliorent, et j'ose lui assurer, dans l'avenir, la reconnaissance du pays pour avoir proposé une réforme répondant si bien à nos aspirations libérales et si digne de notre état avancé de civilisation.

J'espère, messieurs, que la démarche que viennent de faire les fabricants de sucre effarera la fâcheuse impression qu'un écrit condamnable avait laissée dans tous les esprits ; j'espère que la dignité de la Chambre et du gouvernement leur permettra d'accorder ce qui est juste et fondé dans les réclamations de l'industrie des sucres.

M. Mercier. - Messieurs, ainsi qu'on l'a déjà fait observer, ce n'est pas la suppression des octrois qui est contestée par différents orateurs qui ont parlé avant moi sur ou contre le projet de loi. Nous désirons tous cette suppression, mais nous ne la voulons pas à tout prix. Il ne suffit pas qu'une grande mesure d'intérêt public soit utile pour que la Chambre, comprenant toute l'étendue de ses devoirs et de sa responsabilité, lui donne son approbation ; ii faut encore et avant tout que cette mesure soit basée sur les principes d'une impartiale justice ; il faut que nous ne remplacions pas des abus par des abus plus grands.

Il est tout naturel que le débat se soit porté principalement sur les moyens qui sont indiqués par le gouvernement pour parvenir à l'abolition des octrois, et notamment sur la formation et la répartition du fonds communal dont le gouvernement propose la création.

Le fonds communal s'élèverait dans l'origine à 14 millions et serait alimenté par le produit d'impôts de consommation, à l'exception d'une somme de fr. 1,500,000 formant le revenu net du service de la poste.

La composition de ce fonds est assez connue pour que je n'en rappelle pas les détails. Je ferai seulement remarquer que le produit des droits sur le café, les eaux-de-vie indigènes et les bières et vinaigres s'élève ensemble à fr. 10,840,000, c'est-à-dire aux trois quarts de ce fonds.

Je me joins à plusieurs honorables membres qui ont approuvé en principe la création d'un fonds de cette nature, sauf examen et discussion des éléments qui le composent, ainsi que de la somme à laquelle il convient de le porter.

Je n'envisage donc en ce moment cette création que comme un moyen convenable de réunir un capital prélevé sur tout le pays, pour être ensuite réparti équitablement entre toutes les communes de la Belgique.

Mais quelle sera la base de la répartition du fonds commun entre toutes les communes ?

Remarquons d'abord que ce fonds est essentiellement communal, et qu'il n'est général que dans la forme qu'il emprunte pour éviter les difficultés et les abus de l'octroi. Dès lors la règle de réparation doit nécessairement être de restituer autant que possible à chaque commune la part pour laquelle elle aura contribué à la formation du fonds.

Si l'on a pour but préconçu de satisfaire avant tout aux exigences eu aux besoins de quelques grands centres de population, il ne peut y avoir qu'injustice et arbitraire dans la répartition du fonds.

Les grandes communes, c'est-à-dire les villes à octroi seront privilégiées par la seule raison qu'elles ont maintenu ou établi leurs octrois, malgré les décrets qui les abolissent ; les bases de la répartition seront calculées de manière à les favoriser, su grand détriment de toutes les communes du pays.

C'est jeter de la confusion dans la discussion que d'objecter, pour justifier l'inégalité de la répartition, que les droits de consommation atteignent en partie le producteur aussi bien que le consommateur, et que, dans l'état actuel des choses, grand nombre de personnes étrangères aux villes payent indirectement une partie des droits d'octroi.

La section centrale pousse même l'exagération jusqu'à prétendre que l'impôt serait supporté moitié par le producteur et moitié par le consommateur.

Je ne puis que répondre avec nos honorables collègues, MM. Royer de Behr, de Naeyer et Pirmez, que ce fait n'est qu'exceptionnel et que dans les occasions rares où il se produit, ce n'est que dans une infime proportion avec la quotité du droit ; le plus simple bon sens indique qu'en règle générale c'est bien le consommateur qui supporte l'impôt. Si celui-ci appartient à la classe ouvrière, il arrive ordinairement qu'une augmentation de salaire exonère le travailleur pour faire retomber tout ou partie de l'impôt sur le prix de la main-d'œuvre. Je m'abstiens de tout développement pour soutenir cette thèse et démontrer ces faits. Je ne pourrais que reproduire en moins bons termes les arguments que ces honorables membres ont fait valoir.

Je ne puis m'empêcher, messieurs, de citer à cette occasion quelques paroles prononcées par M. le ministre des finances au moment où il présentait à la Chambre le projet qui nous occupe. Voici comment s'est exprimé M. le ministre :

« Si le campagnard pénètre dans la ville, s'il y fait une consommation quelconque, s'il prend un verre de bière ou de genièvre, s'il achète un de ces mille objets qu'il ne peut trouver en ville, il paye un impôt au profit d'une commune, sans qu'il participe aux avantages que cet impôt procure ; c'est peut-être là, a ajouté M. le ministre, un des caractères les plus injustes et les plus odieux de ce genre d'impôts. »

Je suis parfaitement d'accord avec M. le ministre des finances à cet égard et je ne puis que partager le sentiment qu'il a exprimé ; mais ce qui serait à mes yeux mille fois plus injuste et plus odieux, ce serait de généraliser et de perpétuer l'abus au lieu de le faire disparaître avec la suppression des octrois ; ce serait de consacrer par la loi même une iniquité qui n'a été jusqu'ici que tolérée et partielle ; ce serait d'en faire retomber les effets non plus de temps à autre sur quelques campagnards fréquentant les marchés, mais pour toujours et sur tous les habitants des communes rurales. Telle serait, il faut bien le reconnaître, la conséquence directe et inévitable de l'application des bases proposées pour la répartition du produit dus impôts de consommation qui doivent frapper toutes les communes du pays.

M. le ministre des finances, il est vrai, dit dans la note explicative de l'article 3 du projet de loi, que la consommation des objets sur lesquels pèsent les impôts qui alimenteront le fonds communal est en proportion du degré d'aisance des communes ; mais c'est là une très grande erreur. Quoi ! la consommation de la bière, du genièvre et du café, objets qui concourent pour les trois quarts à la formation de ce fonds, se ferait dans la proportion du degré d'aisance des communes ! L'expression employée par M. le ministre est certainement plus subtile que juste ; il se peut, je ne voudrais cependant pas l'assurer, que dans les grandes villes où règne l'aisance, la consommation par tête de ces trois boissons soit plus considérable que dans la généralité des communes rurales ; mais en supposant le fait exact, il n'en résulte certainement pas que la consommation se fasse en proportion du degré d'aisance de villes ou communes, ce qui est tout autre chose ; ces boissons se consomment en grande partie par les classes ouvrières, et les 1,500,000 fr. qui seraient prélevés sur les vins et les sucres sont loin d'établir une compensation.

Le degré d'aisance d'une localité se constate d'une manière plus ou moins approximative par le montant de la contribution personnelle, du droit de patente et de la contribution foncière sur les propriétés bâties. Mais comme ce n'en pas le degré d'aisance que nous avons à constater, mais bien la somme d'impôts pour 1aquelle chaque commune doit, en raison de sa consommation, contribuer à la formation du fonds communal, je ne puis comprends comment on a pu choisir comme bases uniques celles qui ont été établies pour déterminer la mesure de cette consommation. Aussi, l'application de ces bases donne-t-elle lieu aux plus étranges anomalies, aux disproportions, le plus extrêmes ; ce n'était pas assez : elles ont été augmentées encore par l'application du minimum fixé par la disposition transitoire du paragraphe 2 de l'article 14 ; cette disposition est établie en faveur des villes à octroi, et stipule que leur quote-part ne peut être inférieure au revenu qu'elles ont obtenu des droits d'octroi pendant l'année 1859.

Peut-on concevoir qu'un fonds alimenté pour les trois quarts par le produit d'impôts frappant la consommation des boissons dont les classes ouvrières font usage au moins dans la même proportion que les classes aisées, puisse être réparti de telle sorte que des villes à octroi vont recevoir à l'origine, les unes 18 francs par habitant, d'autres 13 à 14 francs ; c'est-à-dire respectivement vingt-cinq fois, vingt fois ou dix-sept fois la moyenne par habitant des communes sans octroi ?

Je demande, messieurs, s'il est possible que la Chambre accepte une loi qui consacre d'aussi énormes erreurs d'appréciation, et s'écarte à ce point des règles de la justice distributive ? On objectera que ces observations ne s'appliquent qu'au régime transitoire et que les vices de la répartition s'atténueront lorsque les bases normales recevront leur application. Cela pourrait être vrai, s'il n'était question que de différences relativement peu considérables ; mais elles sont telles, qu'on ne peut espérer de se rapprocher jamais de l'égalité proportionnelle.

L’abus n'en serait pas moins hors de toute tolérance si au lieu de 25, 20 ou 17 fois, l'allocation par tête en faveur de quelques grandes villes n'était que de moitié de ce qu'elle ferait sous le régime des dispositions transitoires. Ces viles recevraient encore par habitant, 12,10 ou 9 fois plus que la moyenne des communes rurales : et d'ailleurs, messieurs, peut-on prévoir à quelle époque finira ce régime transitoire ? (page 1459) Quant à moi, je crois qu'il se prolongera assez de temps, pour que peu d'entre nous puissent espérer le voir cesser de fonctionner.

D'un autre côté, les disproportions sont telles, qu'il serait impossible de les atténuer jamais d'une manière sérieuse, à moins d'une modification radicale dans les bases de répartition du fonds communal. C'est le seul moyen d'éviter dans le présent et dans l'avenir la spoliation des communes rurales en faveur des communes qui auront profité des bénéfices de l'octroi.

Une fois l'engagement contracté et les octrois abolis, l'Etat se trouve lié vis-à-vis des communes et quelles que soient les circonstances, il ne dépendra plus de lui de se soustraire à la charge d'une rente perpétuelle de 14 millions, susceptible de s'accroître. C'est l'équivalent d'une dette dont le capital au taux de 4 1/2 p. c. s'élèverait à 311,000,000 de fr. ; 233,250,000 fr. formeraient le capital de la dotation des 78 villes à octroi, et 77,000,000 celles de toutes les autres communes du royaume.

Un tel état de choses ne me paraît pas pouvoir être accepté par la Chambre ; ce serait un fardeau qui pèserait de tout son poids sur les habitants des campagnes, et j'espère que le privilège et l'oppression ne se feront jamais jour dans notre libre Belgique.

Je ne me propose pas de présenter un amendement ; je dirai cependant que je ne vois d'autre moyen de remédier au vice radical du projet que d’introduire la population dans les bases de la répartition du fonds communal. J'en avais fait la proposition dans la section dont je faisais partie. Cette proposition était parfaitement justifiée par les éléments mêmes du fonds communal, les impôts qui le forment portant pour les trois quarts sur des objets de consommation générale. J'ai calculé que si la moitié des 14 millions était répartie en raison de la population, et l'autre moitié d'après les bases mêmes du projet, les communes à octroi recevraient encore une moyenne par tête de fr. 4 37, tandis que les communes sans octroi n'obtiendraient que fr. 2 47.

Du reste, je partage entièrement l'opinion émise par plusieurs honorables membres que le fonds communal à créer ne doit couvrir qu'une partie des taxes de l'octroi, et que le même principe est à observer à l'égard des communes sans octroi.

J'attendrai la discussion des articles pour présenter mes observations sur la composition du fonds communal ; cependant je ne puis m'empêcher de déclarer dès à présent que je ne pourrai consentir à élever au double de ce qu'elle est aujourd'hui l'accise sur la bière, cette boisson si nécessaire au travailleur ; en outre, que je ne pourrai donner mon concours à une mesure qui aurait pour effet de compromettre l'existence d'une industrie qui s'est développée dans notre pays et rend de grands services à 1 agriculture. Quant à la base du produit de la poste, je l'admets telle qu'elle est proposée par M. le ministre des finances. Sans partager l'opinion que cette taxe soit supportée presque exclusivement par les grandes villes, je ne puis accepter sur ce point l'amendement de la section centrale qui a pour objet de prélever une tantième sur le produit brut de la recette des postes, lorsqu'il s'agit d'un servies public ; le produit net étant absorbé, il ne reste plus rien à prélever.

M. Coomans. - Messieurs, pour ne pas trop nous fatiguer, vous et moi, je me garderai autant que possible de répéter les observations critiques qui vous ont déjà été soumises par d'honorables préopinants, quelque fondées que la plupart puissent me paraître.

Je m'abstiendrai aussi de citations scientifiques. Je pourrais peut-être, comme d'autres, déployer une certaine tradition à cet égard. Car j'ai lu et annoté depuis trente ans des centaines de livres d'économie politique. Mais à quoi bon insister sur les principes ? Ils n'ont jamais obtenu qu'un petit succès d'estime auprès du gouvernement et de la Chambre.

Les principes, hélas !, sont une sorte d'habit de luxe, un uniforme de parade qu'on se plaît à étaler aux yeux des badauds dans les circonstances solennelles, mais dont on se débarrasse comme d'un fardeau gênant dans la vie de tous les jours. C'est ce que j'ai vu souvent pour mon instruction dans le cours de ma carrière parlementaire, bien qu'elle ne date que d'une douzaine d'années.

N'avons-nous pas entendu soutenir avec éloquence, avec beaucoup d'éloquence, que l'égalité devant la loi est obligatoire, que la liberté commerciale est un bienfait, que les droits prohibitifs sont un mal, que la protection même n'est que le masque de la prohibition, que l'impôt indirect pèse sur la consommation, que tout impôt de consommation est une diminution de salaire, etc. ?

Voilà ce que l'on a proclamé, en théorie ; mais en pratique on méprise audacieusement tout cela ; on maintient une profonde division entre les Belges, dont les uns, le plus grand nombre, ne jouissent d'aucune protection douanière, tandis que les autres en conservent une de 50 à 100 p. c. On ne touche pas aux droits prohibitifs qui protègent certaines industries urbaines.

On ne diminue pas les impôts de consommation, au contraire, et l'on se rit du fameux principe que les impôts de consommation sont une diminution de salaire. J'ai même été étonné, quoique en cette matière il n'y ait plus grand-chose qui puisse me surprendre, j'ai même été étonné d'entendre dire depuis peu que les impôts de consommation ne pèsent pas sur le consommateur, mais qu'ils pèsent sur le producteur.

Quand il s'est agi de supprimer les impôts de consommation sur la viande et sur les céréales venant de l'étranger, on ne disait pas qu'il s'agissait de favoriser l'étranger ; on disait que la suppression de ces impôts profitait aux consommateurs belges. Il paraît aujourd'hui que nous avons travaillé pour les Français, pour les Anglais et pour le roi de Prusse.

L'Etat s'est privé ainsi d'un très gros revenu. J'espère bien qu'on ne tirera pas de ces paroles la conséquence que je regrette ces impôts ni que je me berce de la sotte illusion de les voir jamais rétablir, j'en ai fait mon deuil depuis longtemps.

J'en ai exprimé mon repentir, qu'on a même trouvé beaucoup trop complet puisque personne, parmi les libre-échangistes ne s'y est pratiquement associé.

Messieurs, arrière donc les principes, je suis las de les invoquer en vain. Examinons le projet de loi en lui-même, au point de vue du bon sens élémentaire qui court les rues et les champs.

J'aurai beaucoup fait si je démontre que les arguments les plus forts produits contre le projet de loi, sont sortis de la bouche des honorables MM. Frère et Rogier. Ce sera le commencement de mon discours.

D'après l'honorable M. Frère, et en quoi je suis bien près d'être de son avis, l'octroi est payé dans une proportion considérable par les campagnes. Je regrette que l'honorable ministre n'ait pas fixé cette proportion même approximativement ; je sais qu'il est impossible de le chiffrer exactement, mais je serais curieux de savoir pour combien, dans la pensée de l'honorable ministre, les campagnes contribuent à l'impôt des octrois.

Je fixerai, au nom de l'honorable ministre, qui me rectifiera s'il le juge bon, à un cinquième environ la part contributive des campagnes. Si c'est trop que l'honorable ministre le dise ; si c'est trop peu, l'argument ne valait guère la peine d'être produit.

Je crois qu'on peut fixer à un cinquième la part des campagnards dans l'octroi. Va donc pour un cinquième. Prenons un exemple.

La ville de Bruxelles reçoit de son octroi près de trois millions. Si j'en défalque les 600,000 fr. fournis par les campagnes, et au moins 365,000 fr. fournis par les étrangers ( les étrangers à la Belgique), j'arrive à ce résultat que la ville proprement dite, que les Bruxellois ne figurent plus dans le chiffre de l'octroi que pour 2 millions de francs (chiffre rond).

Je ne pense pas qu'il y ait de la part de MM. les ministres une objection sérieuse contre les 600,000 fr. que j'attribue aux campagnes.

Il ne peut y avoir d'objection non plus contre les 365,000 francs provenant des étrangers, parce' que ce chiffre est loin d'être exagéré.

Il me souvient, entre autres conversations que j'ai eues avec un économiste distingué dont nous sommes unanimes à regretter la perte, qu'il me dit un jour que si l'octroi était plein de vices et d'inconvénients, il avait ceci de bon qu'il prélevait une contribution très forte sur les étrangers, surtout dans une grande ville comme la capitale. Il évaluait cette contribution à un chiffre plus élevé que je ne le fais. Mais je pense qu'en supposant qu'un étranger riche, puisqu'il est voyageur, paye un franc par jour à l'octroi, je n'exagère nullement.

Faisons maintenant une addition : 600,000 francs, fournis par les campagnes, 365,000 francs, fournis par les étrangers non belges, font bien un million ou à peu près. Or, que faites-vous ? Vous assurez à perpétuée un revenu de près de 3 millions à la ville de Bruxelles, c'est-à-dire que vous lui donner une somme supérieure d'un million à celle qu'elle a dépensée et que, sous prétexte d'indemnité, vous faites en sa faveur une opération par trop usuraire, trois millions au lieu de deux, et cette prime d'un million est payée par les campagnes.

Je désire que cet argument qui n'est pas de moi, qui court les rues, soit rencontré par l'honorable ministre des finances ; et qu'il me prouve comment il est juste de faire payer aux campagnes, sous prétexte de suppression de l'octroi, les 600,000 francs qu'elles avaient à payer et qu'elles continueront à payer, plus 365,000 francs pour les étrangers qui ne payeront plus d'octroi du tout ; c'est-à-dire que, conformément au proverbe flamand, « den boer zal het al betaelen. »

Mais voici qui est bien fort encore ; il a été affirmé par les honorables ministres que les villes ne désirent pas la suppression de l'octroi ; qu'elles ne la demandent pas ; qu'elles souhaitent le maintien de l'état actuel des choses, mais que les campagnes sont ardemment désireuses de voir supprimer.

Je demanderai, si cela est vrai, comment on explique les adresses de félicitations envoyées par les villes et les adresses opposées des campagnes ? Voici un étrange spectacle : Les villes ne veulent pas l'abolition des octrois, mais elles applaudissent très fort à l'honorable M. Frère. Les campagnes sont très intéressées à voir abolir les octrois, ce dont je suis convaincu, avec M. Rogier, mais elles se montrent très mécontentes.

C'est qu'il y a dans votre projet de loi autre chose que l'abolition de l'octroi, car s'il n'y avait que ces seuls mots : « L'octroi est aboli », vous verriez, d'après le cours naturel des choses, les villes se plaindre, j'en suis sûr, et les campagnes se féliciter. Il y a autre chose que la suppression de la douane municipale dans votre projet de loi, et cette chose c'est la fameuse prime dont on gratifie les villes.

Bruxelles, par exemple, serait très mécontent de l’abolition des octrois (page 1460 n'était la prime d'un million que vous lui assurez à perpétuité, prime payée par les campagnes.

Mais, dit-on, il est juste d'accorder la part du lion aux villes parce qu'après tout elles la payent. Les villes acquittent beaucoup plus d'impôts que les campagnes, donc il faudra leur rembourser davantage quand on aura fait un fonds commun.

Cette assertion est déplorable dans la bouche d'un ministre du Roi, car elle est complètement inconstitutionnelle. La Constitution veut, le bon sens aussi, en quoi l'un et l'autre s'accordent heureusement, la Constitution veut que tous les Belges soient également frappés par l’impôt d'après leur revenu sans distinction de classe, ni de privilèges. Elle ne veut pas de privilège, pas plus en matière d'impôt qu'en toute autre ; la vérité est, puisque vous me forcez à la dire, que s'il n'y a pas d'égalité parfaite, ce ne sont pas les villes opulentes qui ont à se plaindre, ni les classes riches. Notre système d'impôts est tel, que les petits payent plus que les grands... (interruption), que les petits, dis-je, les pauvres, et à coup sûr, les classes moyennes payent plus que les grandes.

Il n'est pas vrai que les villes payent plus que les campagnes. Si vous disiez qu'elles consomment davantage, je pourrais l'accorder, mais tous les impôts ne sont pas des impôts de consommation. Il est beaucoup de charges qui pèsent particulièrement sur les populations rurales.

La propriété foncière, toutes les branches de l'enregistrement, l'impôt sur le sel, la conscription, la protection douanière, voilà toutes des charges bien lourdes qui pèsent plus fortement sur les campagnes que sur les villes.

Nous sommes arrivés à un système qui, dans son ensemble, peut paraître assez juste parce qu'il frappe diversement, mais également à peu près, toutes les classes de la population.

Dès lors, il est injuste, absurde de dire que les villes payent plus que les campagnes. Je crois le contraire, et je le démontrerais au besoin.

Votre système d'impôts doit tendre, comme il tend, à l'idéal de tous les impôts, c'est-à-dire l'impôt sur le revenu. Vous n'avez pas, ce que je regrette, pu arriver jusqu'à présent à établir l'impôt sur le revenu qui serait le plus juste, le plus simple, le plus logique, le plus raisonnable des impôts ; mais vous avez essayé, avec un certain succès, d'atteindre cet idéal par les diverses sources d'impôt que vous avez ouvertes.

Ainsi, il faut reconnaître avec la Constitution et d'après l'évidence des faits que tous les Belges payent une part égale de l'impôt. En conséquence, quand vous distrayez de l'impôt une certaine somme pour la répartir entre les communes, vous devez distribuer par tête.

Je vois bien ce qui a pu induire en erreur sur ce point l'honorable M. Frère ; en définitive, il faut toujours des raisons assez spécieuses pour qu'un homme d'esprit se trompe.

L'honorable M. Frère nous a cité l'exemple du Zollverein où un Francfortois compte pour 5, dans la répartition du revenu douanier ; d'où la conclusion, selon M. le ministre, qu'un Bruxellois peut compter pour 10. Mais l'honorable M. Frère n'a pas fait attention qu'il confondait deux choses parfaitement distinctes : le revenu du Zollverein ne provient que de la douane, et. sous ce rapport, je reconnais qu'un Francfortois peut compter pour 5, parce que l'habitant des villes consomme, en réalité, plus d'objets soumis aux droits de douanes, que ne le fait l’habitant de la campagne. Mais ici la chose est toute différente : vous puisez dans une caisse qui n'est pas alimentée seulement par la douane ; mais qui est alimentée par tous les impôts directs et indirects imaginables perçus dans notre pays.

Il est bien certain que s'il s'était agi en Allemagne de partager une caisse qui aurait été formée par tous les revenus de la Germanie, par l’accise, par le foncier, l'enregistrement et le reste, un Francfortois n'eût plus compté pour 5 ; les paysans auraient dit : Nous payons autant que vous, MM. de Francfort, dans l'ensemble des impôts ; donc, s’il vous plaît, nous partagerons par tête ! Il est donc évident qu'elle est fausse l'assimilation faite par M. le ministre des finances entre le Zollverein qui n'a que des ressources douanières à sa disposition et la caisse de l’honorable M. Frère, qui est remplie d'écus provenant de diverses sources. Cette différence, qui a échappé à l'attention de M. le ministre, est fondamentale, elle détruit toute son argumentation.

Après cela, on a beau venir complimenter les campagnes sur leur patriotisme, leur intelligence même (encore une nouveauté), les campagnes seront plus malignes que le corbeau de la fable et elles garderont leur fromage ; du moins le garderaient-elles, si elles étaient assez fortes, ce qui malheureusement n'est pas, à cause de l'infériorité politique où les maintient la loi électorale.

On dit encore que les villes ont de plus grands besoins que les campagnes et qu'il faut bien y satisfaire. Messieurs, n'est-ce pas là encore une hérésie constitutionnelle ? S'il faut, je le redis avec l'honorable M. Pirmez, renier tous les gens d'après leurs besoins, vous arriverez à des résultats étranges et tout opposés à ceux de votre projet. Nous comptons en Belgique un million de pauvres répartis non seulement dans les 78 villes a octroi, mais, en grande majorité, dans tout le reste de la Belgique, et si vous alléguez les besoins des communes pour fixer leur part contributive et les remboursements, vous irez très loin, je ne veux pas dire où ; vous le devinez aisément.

Messieurs, il y a 20 ans, la ville de Bruxelles alléguait aussi ses besoins pour obtenir exceptionnellement une part du revenu public ; elle avait, en effet, de grands besoins, mais c'était un peu de sa faute ; elle mendia de gros subsides ; mais elle comprit la nécessité et le gouvernement le comprit ainsi, de trouver au moins des prétextes. Elle ne se borna donc pas à dire, comme aujourd'hui : J'ai besoin d'un million supplémentaire. Elle nous offrit du bric-à-brac presque sans valeur vénale dont nous n'avions que faire ; elle nous donna une foule de choses, ses musées, par exemple, qui sont devenus une charge pour nous et qui, vendues sur le grand marché, ne nous rapporteraient pas la vingtième partie du prix d'achat.

Messieurs, vous aurez lu Molière, j'aime à n'en pas douter ; vous devez donc vous souvenir d'un certain financier comique, d'un spéculateur rapace, qui, au lieu d'écus, forçait les gens à accepier en payement de vieux meubles, un luth de Bologne sans cordes, une peau de lézard remplie de foin.

M. Gobletµ. - Il ne doit pas être permis ici d'insulter la capitale. Je demande la parole pour une motion d'ordre.

M. Coomans. - Je suis aussi Bruxellois que mon honorable interrupteur et je sais aussi bien que lui ce que je dois à la capitale.

M. Gobletµ. - Vous parlez comme si vous n'étiez pas Bruxellois.

M. Coomans. - Dans tous les cas, je n'accepte d'observation que de M. le président. (Interruption). On me dit que je suis accusé de m'être moqué de la capitale. Non, messieurs, je me moque des peaux de lézard qu'elle a vendues à l'Etat ; voilà tout (Interruption.)

Je dis que Bruxelles nous offrit ces prétextes-là ; on les accepta et on lui vota une rente perpétuelle de 300,000 francs, ce qui équivaut à un capital de 6 à 7 millions.

Aujourd'hui, on est en progrès : non seulement la ville de Bruxelles, mais toutes les autres grandes vides allèguent de nouveau leurs besoins ; mais elles ne nous offrent plus rien du tout en retour de nos millions, pas même les peaux de lézard dont je parlais tout à l'heure (interruption) ; tant il vrai que l'influence politique des cités a énormément grandi.

On se déclare donc partisans de l'abolition des octrois, au nom de la justice, qui est le meilleur de tous les arguments et qui est le point de vue auquel doivent se placer toutes les législatures, spécialement la législature d'un pays libre et éclairé. Il n'y a que la justice qui soit digne de dominer toutes les considérations dans une assemblée délibérante. Or que faites-vous ? Vous supprimez une injustice mais en y substituant une injustice plus grande encore ; c'est une criante injustice, en effet, que de faire payer plusieurs millions, ne fût-ce que pour 20 à 30 ans, à certaines communes par d'autres communes. Vous aurez beau dire que ce ne sera que transitoirement. Je dis que vous ne pouvez pas être transitoirement injustes ; vous devez être toujours justes, jamais injustes sous aucun prétexte quelconque.

L'octroi est un reste de la féodalité, a fort bien dit l'honorable M. Rogier ; soit. On lui a répondu : « Supprimez-le sans indemnité, ou n'a pas indemnisé les propriétaires des autres droits féodaux. » Il y a un droit féodal beaucoup plus ancien que l'octroi, dont M. le ministre des finances m'a refusé il y a une dizaine d'années la suppression } ; je crois qu'il me la refusera encore et je prévois que M. le ministre de l'intérieur sera de son avis ; je veux parler du droit de barrière.

Rien n'est plus féodal, plus barbare que le droit de barrière ; c'est le droit élémentaire qui a été exercé par tous les brigands du monde ; la première chose qu'ont faite les brigands, maîtres des routes et des fleuves, a été de percevoir un droit de barrière, énorme atteinte au droit naturel d'aller et de venir, t inscrit dans les constitutions libérales.

Il y a dans les oasis de l'Afrique et de l'Asie des brigands enrégimentés qui perçoivent aussi une sorte de droit d'octroi et de barrière avec l'assentiment forcé des voyageurs et des gouvernants trop faibles ; mais ces gouvernants ne songent pas à les indemniser, au contraire, quand on parvient à mettre la main sur ces Arabes, on les pend et tout est dit.

Je voudrais que nous imitassions au moins le libéralisme de ces barbares... (interruption), jusqu'à la pendaison exclusivement, bien entendu.

L'honorable ministre des finances a choisi très habilement les bases de son fonds communal. Je dis très habilement, parce qu'il a pu se ménager ainsi certains prétextes pour faire illusion aux gens qui n'y regardent pas de très près et qui sont dans les siècles des siècles toujours en majorité.

Il a choisi pour bases de son fonds communal l'impôt sur la poste, l'impôt sur le café, sur les vins, le genièvre, etc. Je demande pourquoi il a précisément choisi ces impôts, pourquoi il n'en a pas pris d'autres ; il n'y a rien de plus arbitraire que le choix du ministre, car, si au lieu de prendre la poste, la bière, le genièvre, le café, le vin, il avait pris l'impôt foncier, le sel (ce qui aurait donné le même résultat financier) il n'eût plus pu dire que les villes ont droit à une plus forte part, comme payant plus dans le fonds communal ; tout cela n'est qu'un sophisme ; s'il est vrai que la part contributive des Belges dans l'impôt est égale, vous ne pouvez plus dire aux uns : « C'est vous qui donnez la plus forte part dans tels impôts, je vais vous la restituer. » A moins de dire aux campagnes : « C'est vous qui payez la plus forte part de l'impôt du sel et de l'impôt foncier, je vous en rendrai une bonne partie. »

(page 1461) L'impôt versé dans les caisses de l'Etat appartient à tout le monde, les impôts forment un ensemble plus ou moins juste, plus ou moins harmonieux, ayant pour but de réaliser autant que possible l'idéal de l'impôt sur le revenu.

Quand M. le ministre des finances reçoit des pièces de 5 fr. provenant de la poste, il n'y met pas un signe spécial, elles sont jetées pêle-mêle dans la grande caisse ; de même il ne marque pas les autres pièces provenant des impôts payés par les campagnards.

De quel droit vient-il marquer après coup toutes les pièces de cinq francs que peuvent fournir tels ou tels impôts ? C'est arbitraire ; ce n'est pas logique, de plus cela n'est pas juste, car je vous accorderais (ce qui serait une concession ridicule) que les produits de la poste et du café sont payés en totalité par les villes, que vous n'auriez rien démontré encore, puisque je citerais d'autres impôts payés presque en totalité par les campagnes. Vous ne pouvez pas faire un fonds communal au moyen d'impôts payés par tous, si vous ne restituez pas à chaque commune la part certaine qu'elle a fournie au trésor, si vous faites un fonds communal réparti arbitrairement, vous donnerez toujours trop ou trop peu aux uns et aux autres, de là des plaintes perpétuelles, des luttes sans fin qui diviseront malheureusement la Belgique, déjà trop désunie.

Tout le monde doit applaudir aux considérations généreuses présentées à cet égard par M. Rogier ; il est très certain que nous devons nous appliquer à faire disparaître les causes, les prétextes même de divisions dans le pays ; nous en avons assez comme cela ; quand votre projet ne serait pas aussi injuste qu'il l'est, vous fourniriez déjà des prétextes à l'esprit de division ; les campagnes se plaindront continuellement de n'avoir pas la part qui leur est due ; elles se plaindront d'être encore plus maltraitées dans l'avenir. Voilà un grand danger au point de vue politique.

Je crois avoir justifié indirectement la proposition de loi que j'ai pris la liberté de vous soumettre.

Elle est, à coup sûr, d'une grande simplicité : 1° abolition des octrois et des capitations, 2° abandon aux communes d'une somme égale à certains impôts, impôts directs, bien entendu, ce sont les seuls dont vous puissiez déterminer la source.

J'ai choisi l'impôt personnel et l'impôt des patentes, parce qu'on s'est longtemps préoccupé de ce système qui a été accueilli par beaucoup de bons esprits. Il ne peut en résulter aucune obscurité, aucune confusion ni jalousie dans l'esprit des contribuables.

De ce chef il résultera un déficit de 13 millions dans les caisses de l'Etat. Comment le couvrir ?

Par le concours de tout le monde, par les dix centimes additionnels sur tous les impôts généraux. Puisque l'honorable ministre maintient un système d'impôts bien combiné, harmonieux et équitable, comme disent nos financiers satisfaits de leur œuvre, en prenant 10 p. c. sur la totalité des contributions, nous conserverons ce système d'impôts et nous ferons contribuer tout le monde à l'abolition d'une charge inique absurde, celle des octrois, et nous ne fournirons à personne le moindre prétexte d'opposition, et par conséquent plus de difficultés avec les sucriers, avec les brasseurs, avec les distillateurs, plus de difficulté avec personne. Tout le monde payera 10 p. c. Ainsi, je laisse toutes les questions entières. L'honorable ministre voudra réformer la loi des sucres. Nous examinerons cela. Il voudra élever les droits sur les vins, sur les bières, sur les eaux-de-vie, chose que je trouve raisonnable après l'abolition des octrois. Soit, vous aurez toute liberté de réformer vos lois financières.

Mais en attendant que cette réforme se fasse, non plus improvisée comme aujourd'hui, mats lentement, à loisir, après une enquête convenable, eh bien, vous prélevez 10 p. c. sur tous les impôts. Ces 10 p. c. vous donneront une douzaine de millions ; vous serez en déficit d'un million ; ce à quoi, je crois, vous ne verrez pas grand inconvénient, puisque vous acceptez sans crainte, sans inquiétude, un déficit de 3 millions. Du reste, voulez-vous 11 p. c, 12 p. c„ je n'y mets pas d'obstacle. Peu à peu, à mesure que vos prévisions se réaliseront, que les impôts produiront davantage, que vous parviendrez, ce que j'espère, un jour à réaliser quelques économies dans les dépenses, vous descendrez de 10 à 9, de 9 à 8, de 8 à 7, et Dieu veille que vos prévisions se réalisent entièrement et que les 10 p. c. disparaissent.

Voilà, messieurs, les idées que j'ai l'honneur de vous soumettre, qui ne sont pas improvisées, quoi qu'on en dise, car je pourrais démontrer qu’il y a un quart de siècle que je m'en occupe. Je vous les recommande, il ne peut, me semble-t-il, entrer dans l'esprit de personne de faire de ceci une question de parti, il n'y en a pas, il ne peut y en avoir, à moins qu'on ne s'obstine à prélever, sur les trois quarts du pays une dîme considérable au profit de l'autre quart ; mais ce serait là la loi la plus malencontreuse, la plus dangereuse, la plus inique qui ait jamais été votée dans notre pays.

M. Jamar. - Je proteste énergiquement d'abord contre les plaisanteries de mauvais aloi de l'honorable M. Coomans à propos de la cession au gouvernement des collections que possédait la ville, de Bruxelles et contre cette téméraire assertion que la capitale avait l'habitude de mendier.

Je ne sais si l'honorable M. Coomans est Bruxellois, mais à coup sûr il l'a oublié aujourd'hui. Qu'il plaisante, s'il en a le triste courage, sur les dures nécessités qui ont obligé Bruxelles à céder ses collections, mais qu'il n'oublie pas que la Chambre est intervenue dans cette cession et qu'il ne critique pas dans des termes peu dignes un acte voté par le parlement.

Les collections cédées par la ville de Bruxelles avaient été expertisées et avaient une valeur au moins égale à celle payée par le gouvernement. Je plains l'honorable M. Coomans d'être incapable d'apprécier le mérite scientifique et artistique de ces collections, et sans plus m'occuper de cet incident, je passe à l'objet à l'ordre du jour.

Je me garderai bien, messieurs, de vous parler des sentiments que m’inspire l'octroi. J'ai remarqué, en effet, que depuis le début de cette discussion, les orateurs qui ont témoigné la plus grande aversion pour ce système d'impôt, qui ont manifesté le plus énergiquement le désir de voir abolir ce triste reste des institutions d'un autre âge, ont presque tous terminé leur discours par des objections, des propositions ou des amendements qui rendraient impossible la réalisation de leurs vœux.

Je craindrais donc qu'on ne se méprît sur mes sentiments, et je me hâte de déclarer que j'approuve, non seulement le principe de l'abolition des octrois, mais encore les moyens que le gouvernement nous propose pour y parvenir.

Jusqu'à ce moment, je l'avoue, j'ai entendu tous les orateurs de la droite susciter des obstacles, mettre en relief les inconvénients du projet du gouvernement, sans indiquer une solution meilleure que celle qui nous est indiquée, et que je suis disposé à voter.

Je désire examiner la valeur de quelques objections qui ont été présentées dans le cours de la discussion, avant d'indiquer à la Chambre les considérations qui me déterminent à admettre dans son ensemble le projet du gouvernement.

Et tout d'abord, messieurs, je dois déclarer que j'ai entendu avec un profond regret l'honorable M. Thibaut apprécier d'une manière blessante pour leurs auteurs, les témoignages de reconnaissance, les adresses de félicitations adressées à M. le ministre des finances par plus de 600 communes rurales ou à octroi.

Il est fâcheux, dit l’honorable M. Thibaut, il est fâcheux « que les questions d'honneur et de dignité n'aient plus aujourd'hui la même importance que les questions d'argent. Entre l'honneur et l'argent personne ne doit hésiter, et je remarque avec douleur que beaucoup de villes ont donné la préférence à l'argent. »

C'est qui est fâcheux, selon moi, c'est cette accusation dirigée par un membre du parlement, dans une discussion solennelle, contre des hommes honorables qui consacrent avec le plus louable désintéressement leur temps et leur intelligence à l'administration de leurs communes.

Que s'est-il donc passé, dans cette assemblée lorsqu’au début de la séance du 10 mars, M. le ministre des finances vint déposer le projet de loi que nous discutons ? Une émotion puissante s'emparât de nous, et tous, groupés autour de la tribune, prêtant à la parole de l’honorable ministre une religieuse attention, nous l'entendîmes nous exposer les bases de ce projet.

Quand l'honorable ministre eût cessé de parler, d'unanimes applaudissements n'accueillirent-ils pas cette communication ?

A quelle pensée obéissions-nous, messieurs ? Faisions-nous bon marché, comme l'a dit l'honorable M. Thibaut, des questions de dignité et d'honneur et nos applaudissements étaient-ils serviles ?

Non, nous obéissions à un grand et généreux sentiment, à une pensée bien plus patriotique qu'économique. L'abolition des octrois était pour nous la consolidation de l'unité nationale ; ces 78 lignes de douanes intérieures, en disparaissant, resserraient les liens de la grande famille belge.

Voilà ce qui provoquait nos applaudissements et quand, sous l'inspiration de ces mêmes sentiments, des hommes honorables, des administrations communales importantes viennent à leur tour exprimer leur gratitude, n'est-ce point les outrager sans nécessité et sans droit que de tenir le langage de l'honorable M. Thibaut ?

Ah ! nous avons vu à l'œuvre ceux qui placent l'argent bien au-dessus de leur dignité et de leur honneur !

Il faut reconnaître, au reste, que ces accusations sont d'autant moins fondées que si, sous beaucoup de rapports, les habitants des villes à octroi auront à s'applaudir de l'abolition de l'octroi, la tâche de l'administration de ces villes sera loin d'être simplifiée par cette mesure.

Je rencontre ici la proposition de l'honorable M. de Naeyer et l'amendement de l'honorable M. Pirmez.

D'après l'honorable M. de Naeyer, ce difficile problème de l'abolition des octrois, que n'ont pu résoudre jusqu'ici tant d'économistes distingués, tant d'hommes d'Etat habiles, tant d'administrateurs éclairés, ce problème peut être résolu d'une manière presque élémentaire.

Il suffit, d'après lui, de proclamer lo principe de l’abolition des octrois et d'imposer aux administrations communales l'obligation d'aviser aux moyens de remplacer par d'autres impôts les ressources qu'elles trouvaient dans les octrois. En manière de transaction, l'honorable M. de Naeyer consentirait à leur accorder 4 millions au lieu de 12. L'honorable M. Pirmez est plus généreux, je le reconnais, et son amendement n'enlève que progressivement aux communes à octroi la part que leur attribue le projet du gouvernement.

(page 1462) Eh bien, je n'hésite pas à le dire, la proposition de M. de Naeyer et l'amendement de M. Pirmez rendent impossible l'exécution de la grande mesure que le gouvernement nous propose.

Je suis convaincu qu'aucun homme intelligent ne consentirait à accepter les fonctions d'administrateur communal, si le gouvernement voulait faire peser sur les administrations des communes à octroi une aussi lourde tâche que celle de transformer en un impôt direct pesant exclusivement sur les habitants des villes, l'impôt indirect que les populations urbaines acquittent aujourd'hui d'une manière insensible et en en laissant une partie à charge des populations rurales qui les environnent.

Rien ne semble plus simple pourtant à l'honorable M. de Naeyer, et pour donner du cœur à ces administrations timides, l'honorable membre cite l'exemple de ce qui se passe aux portes de Bruxelles. Six communes, dit-il, comptant ensemble 80,000 habitants, trouvent dans l'impôt direct une somme de 200,000 fr.

Mais qu'il me permette de lui faire observer que si le projet du gouvernement était adopté, l'administration communale de Bruxelles devrait demander immédiatement 500,000 ou 600,000 francs à l’impôt direct. Il suffît pour se convaincre de cette nécessité, de jeter un coup d'œil sur le budget de cette commune pour 1860.

Ce budget s'élève à 7,147,174 francs. Dans ce chiffre les recettes ordinaires figurent pour 5,250,795 francs.

Dans cette somme le produit de l'octroi figure pour 3,100,000 francs, c'est-à-dire pour 150,000 francs de plus que le projet du gouvernement attribue à la ville de Bruxelles ; les centimes additionnels pour 366,966 francs, un impôt d'un p. c. sur la valeur locative pour 75,469, un impôt sur les voitures 12,000. Enfin des droits de toutes natures, des produis de toute espèce, dont l'examen m'entraînerait trop loin, sans utilité pour la discussion, complètent cette somme.

Mais quelques-uns de ces produits pourront être affectés sérieusement par la disparition des bureaux d'octroi. Ainsi le produit de l'abattoir, qui s'élève à 158,000 francs, pourra sensiblement être atteint, car il existe aux portes de Bruxelles plusieurs communes dans lesquelles il n'existe pas d'abattoir communal.

Rien ne s'opposera donc à ce que des bouchers s'entendent pour faire construire en abattoir particulier, ou ne fassent abattre leur bétail aux abattoirs communaux d'Ixelles ou de St-Josse-ten-Noode, si les conditions d'abattage sont plus favorables. Je dis donc qu'il est impossible d'apprécier quel sera le résultat définitif de cette mesure au point de vue financier, mais dès maintenant on peut établir un déficit considérable que l'impôt direct devra combler.

Ce déficit sera bien supérieur aux 10 p. c. que l'honorable M. Pirmez voulait laisser la première année à la charge des communes. A partir de la quatrième année surtout, cette charge s'aggravera par les frais d'entretien du personnel des taxes communales dans lequel se trouvent d'anciens employés qu'il faudra pensionner.

Quel sera l'impôt auquel l'administration communale de Bruxelles donnera la préférence ?

Sera-ce à un système de capitation analogue à celui adopté dans les communes dont parlait M. de Naeyer ? C’est ce que j'ignore et c'est ce que l'administration communale elle-même ignore probablement ; mais ces nécessités financières indiquent suffisamment qu'il est impossible que le gouvernement abolisse, en même temps que les octrois, les capitations établies dans les communes et en empêche le rétablissement.

Il existe entre ces deux impôts une différence essentielle. L'octroi frappe indistinctement les riches et les pauvres, tandis que l'impôt de capitation épargne ces derniers, puisque la base admise généralement est le revenu présumé.

Au reste le gouvernement ne peut pas abolir les capitations établies ou en interdire le rétablissement. Le texte de la Constitution est précis.

Si l'on dit avec raison que la capitation personnelle est souvent arbitraire dans son principe, arbitraire dans sa répartition, personne ne songera à soutenir qu'elle blesse l'intérêt général et cette condition, expressément réclamée par la Constitution pour justifier l'intervention de l'Etat dans ls attributions des administrations communales, manque complètement ici.

Je n'ai pas entendu sans étonnement deux orateurs chercher à prouver que le revenu de la poste était le produit d'un impôt de consommation acquitté par les communes rurales, tout autant que par les villes. J'avoue que leur argumentation ne m'a pas convaincu. I me semblait qu'il était facile de se rendre bien compte de la part que prenaient les villes et les communes à la formation de ce revenu en établissant le compte de ce que coûtait et de ce que rapportait le service des postes dans les villes et dans 1es communes, et ce calcul ne me semblait devoir laisser aucun doute dans l'esprit de ceux qui l'avaient établi. Mais en admettant même le système de l'honorable M, Royer de Behr, on trouverait aisément que la somme de 1,500,000 fr., produit net du service ces postes, est formée par les correspondances échangées sur place, de place en place on avec l'étranger entre des industriels dont les produits sont exclusivement consommés par les populations urbaines. Puis à côté des correspondances purement commerciales, il y a la correspondance amenée par les rapports de famille, d'affection, etc., correspondance si active dans les villes, si peu importante dans les campagnes.

Je crois donc qu'il est impossible de contester sérieusement le caractère de ce produit.

Comme l'honorable M. de Naeyer, je regrette l'augmentation de l'accise sur la bière. Tous au reste dans cette enceinte nous serions disposés à substituer un autre impôt à celui-là, mais jusque maintenant la discussion ne nous a pas révélé une autre matière qui fût pratiquement imposable, préférablement à la bière. La nécessité de cet impôt admise, est-il exact de dire qu'il frappera exclusivement sur les classes ouvrières ? Je crois que c'est là une erreur. Dans les villes à octroi, la bière ne sera pas augmentée, ou l'augmentation qu'elle subira sera largement compensée par les réductions de prix sur toutes les denrées consommées par l'ouvrier et sa famille.

Dans les communes rurales la plus grande partie de cet impôt retombera sur les fermiers, car personne n'ignore que la bière est fournie aux ouvriers agricoles par le fermier qui les emploie. (Interruption.) Presque toujours cette bière est brassée par le fermier lui-même, ou par un brasseur à qui le fermier remet une quantité de grains en échange de laquelle il reçoit une quantité déterminée d'hectolitres de bière. Dans les deux cas, l'augmentation des droits retombera sur le fermier, qui récupérera sur la vente de ces produits le montant de ce nouvel impôt, si, comme l'a dit l'honorable M. Pirmez, tout se paye par le consommateur, même le temps perdu à la porte des villes à octroi.

Les populations ouvrières, employées par les grandes industries établies à la campagne, seront les plus fâcheusement atteintes. ; mais il est impossible de méconnaître que l'abaissement de prix, par l'abolition des octrois, d'un grand nombre des produits de nos grands centres industriels et notamment de la houille, amènera une augmentation correspondante de la consommation de ces produits, par suite une offre plus considérable de travail et, comme conséquence, une légère augmentation de salaire.

Je faisais partie, messieurs, de la cinquième section, avec l'honorable M. Henri de Brouckere, et comme tous les membres de cette section j'étais d'avis qu'il ne fallait pas compliquer la discussion de cette grande réforme économique de l'abolition des octrois, en discutant incidemment une modification aussi importante que celle que l'on nous propose d'apporter à la législation sur les sucres.

Je m'abstiens d'apprécier la pétition des fabricants de sucre, puisqu'il semble, d'après les paroles de l'honorable M. H. de Brouckere, si bon juge des questions d'honneur et de dignité, que la pièce déposée par lui est de nature à donner toute satisfaction aux justes susceptibilités de la Chambre. Je déclare cependant que cette pétition avait exercé la plus fâcheuse impression sur mon esprit et j'étais bien résolu à insister de toutes mes forces pour que cette question des sucres fût résolue en même temps que celle de l'abolition de l'octroi.

J'attendrai le rapport de la commission des pétitions sur cette pièce et les explications de l'honorable ministre des finances pour me décider sur ce point.

En attendant, je m'applaudis du dépôt qu'a fait tout à l'heure M. H. de Brouckere et je serais heureux de pouvoir rendre le nom de frères à des hommes qui n'ont pas compris sans doute en publiant cette malheureuse pièce qu'ils reniaient notre mère commune, la patrie.

D'ailleurs, messieurs, ce qui doit nous rendre l'indulgence facile, c'est que ce triste document, après avoir fait naître dans nos cœurs les plus douloureux sentiments, a été l'occasion indirecte de sentiments d'une tout autre nature.

N'avez-vous pas constaté avec une noble fierté, avec un légitime orgueil ce cri de réprobation patriotique qui s'est élevé à la fois de tous les points du pays.

Aux doutes honteux des pétitionnaires, le pays a répondu en proclamant son inébranlable amour pour la patrie et son inaltérable attachement pour la dynastie, dont les destinées sont liées pour jamais à celles de notre chère Belgique.

Une fois de plus le pays a prouvé que si, ce dont Dieu nous préserve, quelque péril menaçait notre indépendance, la nation tout entière se lèverait pour résister avec gloire ou mourir avec honneur,

M. Coomans (pour un fait personnel). - Messieurs, deux honorables députés de Bruxelles me semblent singulièrement susceptibles. Quoi, j'aurais attaqué, outragé la capitale, pourquoi ? Parce que j'ai rappelé un fait connu de tout le monde, un fait indubitable qui a donné lieu à des manifestations très diverses. La ville de Bruxelles s'est trouvée un beau jour dans l’embarras ; elle a mendié (interruption), demandez selon vous, cela revient au même.

M. Jamar. - Elle a vendu.

M. Coomans. - Elle a demandé, elle a mendié, c'est synonyme, elle a demandé, avec menace de banqueroute, une bonne rente à l’Etat.

Le gouvernement s'est décidé à proposer à la législature de lui donner satisfaction. Elle fournissait en échange de 300,000 francs de rente, certaines propriétés sans valeur vénale, dont la jouissance lui était laissée à perpétuité et dont elle n'avait plus à se préoccuper au point de vue des frais d'entretien et de surveillance ; le gouvernement a eu à payer non seulement les 300,000 francs par an, mais, en outre les dépenses d'entretien et de surveillance des musées, etc.

(page 1465) J'ai dit qu’à cette époque on avait agi envers nous avec une certaine convenance, on avait sauvé en quelque sorte les principes ; on nous vendait quelque chose, on nous donnait quelque chose pour notre argent, aujourd'hui on ne nous donne rien. Voilà la différence que j'ai signalée et qui constitue mou argument. Quant à comparer Bruxelles à Harpagon je n’y ai pas songé. Bruxelles n'a jamais harpagonisé, au contraire. Bruxelles ne s'est montrée que trop libérale.

Maintenant ou m'accuse d'avoir manqué d'égards envers le parlement qui a ratifié cette affaire. Ainsi, messieurs, d'après l'honorable M. Jamar, dès que le parlement aura prononcé, on ne pourrait plus critiquer son œuvre ; tout ce qui est conforme aux lois, tout ce qui existe en vertu des lois doit être respecté !

Mais que faites-vous depuis quinze jours ? Les octrois sont perçus en vertu d'une loi, ils ont été approuvés et maintenus par les Chambres, pourquoi les déclarez-vous abominables, exécrables ? Respectez donc les octrois !

Du reste la loi des 300,000 fr. de rente n'a été votée qu'à une seule voix de majorité et elle a été combattue avec plus de force que je n'en montre par des libéraux influents ici et au-dehors.

Je crois que l'objection qu'on me fait n'est pas sérieuse ; j'ajoute que je n'insulte personne, encore moins ma ville natale que toute autre.

On trouve mauvais que je ne parle pas en bon Bruxellois. Tel n'est ni mon souci ni mon devoir.

Certes ici je ne suis ni Bruxellois ni Campinois ; je suis simplement Belge et législateur représentant la Belgique tout entière, et je ne me soucie nullement de plaire, aux dépens de ma conscience, à qui que ce soit ; peu m'importe de savoir ce qu'on pense de moi dans la Campine ou à Bruxelles. Cela m'est assez indifférent ; dès que je suis content de moi-même, c'est tout ce qu'il me faut.

M. Gobletµ. - Je demande la parole pour un fait personnel.

- Plusieurs membres. - Non ! non !

M. le président. - La parole est à M. Notelteirs.

M. Notelteirs. - L'abolition des octrois sera un bienfait, mais à la condition que le système d'impôts qui doit les remplacer soit conforme à la justice distributive et compatible avec nos libertés communales.

Le projet qui nous est présenté réunît-il ces deux conditions essentielles ? C'est de la solution de cette double question que dépendra mon vote.

Il est juste que chaque ville, chaque commune demande à ses administrés les ressources dont elle a besoin dans son intérêt communal. Nos institutions ont soigneusement distingué le trésor de l'Etat d'avec celui de la province, d'avec celui de la commune. Aucune commune, aucune partie du territoire belge ne peut être ni vassale, ni tributaire d'une autre commune.

Comme tous les Belges sont égaux devant la loi, toutes les communes, qu'elles soient villes, bourgs ou villages, doivent l'être également. En bonne justice, les ressources, les institutions, les possessions d'une commune lui appartiennent aussi légitimement que les fortunes particulières appartiennent aux familles et aux individus.

Quelque riche que soit une commune, il ne serait pas juste de lui imposer les charges d'une autre. La justice ne saurait fléchir que devant la nécessité, commandant l'assistance ; mais imposer aux communes relativement pauvres les charges des villes opulentes, serait le comble de l'injustice.

Anciennement, les octrois de nos villes avaient deux caractères différents : l'un purement fiscal imposait ses propres habitants ; ceux-ci seuls existent encore légitimement aujourd'hui ; l'autre tenait de la souveraineté, imposait des charges à ceux que la cité considérait comme ses vassaux ou protégeant sa propre industrie contre celle de ses voisins Les octrois de ce dernier caractère n'existent plus légalement aujourd'hui. S'ils existent encore de fait, c'est abusivement ; ces abus doivent disparaître devant nos lois modernes. J'insiste sur ce point, parce qu'on prétend aujourd'hui imposer aux campagnes le prix du rachat de ces abus et convertir ce prix en tribut permanent à charge des campagnes, au profit des villes, et surtout au profit des villes les plus grandes, les plus riches et les plus avantagées sous tous les rapports.

Des propositions que je viens d'énoncer et qui me paraissent incontestables, je conclus que, pour parvenir à l’abolition des octrois, chaque ville, chaque commune doit trouver en elle-même les ressources pour les remplacer ; que si cela n'est pas possible pour le tout et que l'on doive recourir à la formation d'un fonds général communal, celui-ci doit être composé et réparti de façon que chaque commune en retire ce qu'elle y verse. En dehors de cela, l'on tombe dans l'injuste et dans l'arbitraire.

Voyons, messieurs, si le fonds communal proposé par le projet est équitable dans sa composition et dans sa répartition.

Il y a d'abord 4,200,000 francs abandonnés par le trésor public. Cet abandon ne change en rien, dit-on, la condition des communes, comme si les campagnes qui forment les trois quarts de la population n'avaient plus aucune copropriété dans le trésor public, comme si celui-ci était de droit le partage naturel des villes.

Ces 1,200,000 francs sont presque exclusivement fournis par les villes, doit-on encore ; comme si les campagnes ne consommaient plus de café et ne contribuaient plus ni directement ni indirectement aux recettes des postes ! Fût-il vrai que le produit de la poste est presque exclusivement fourni par les villes, cela même ne serait pas une raison pour en accorder le préciput aux villes, car alors à ce même titre les campagnes pourraient réclamer le préciput des contributions foncières non bâties qui certainement sont fournies exclusivement par elles.

Messieurs, permettez-moi d'examiner la composition du fonds communal proposé. Je me base sur les données de l'exposé des motifs ; là où ces données manquent, je serai très large en faveur des ville».

Le premier élément du fonds communal 4,200,000 francs est pris sur le trésor public, j'accorde au citadin une valeur double de celle du campagnard, donc 2/3 appartiennent aux villes, soit 1,080,000 fr. pour les villes à octroi ;

Trois cinquièmes aux campagnes, soit 2,520,000 francs pour les campagnes

Le second élément, les 9,800,000 francs de charges nouvelles, dont il faut, avant tout, dit l'exposé, restituer leur quotité aux communes et fourni comme suit, selon l'exposé des motifs lui-même :

Les vins et eaux-de-vie étrangères donnent 860,000 francs dont :

60 p. c., soit 516,000 francs pour les villes à octroi :

40 p. c., soit 344,000 francs pour les campagnes ;

Les eaux-de-vie indigènes donnent 2,840,000 francs dont :

60 p. c., soit 1,704,000 francs pour les villes à octroi ;

40 p. c., soit 1,136,000 francs pour les campagnes ;

Les bières indigènes donnent 6,100,000 francs dont

45 p. c., soit 2,745,000 francs pour les villes à octroi ;

55 p. c., soit 3,355,000 francs pour les campagnes.

Le fonds communal serait donc fourni par les campagnes jusqu'à concurrence de 7,355,000 francs et par les villes à octroi, jusqu'à concurrence de 6,645,000 francs.

Les 14,000,000 de francs distribués d'après les bases de l'article 3, donnent aux villes à octroi 7,700,000 francs et aux campagnes 6,300,000 francs.

Voilà donc un premier tribut d'un million imposé aux campagnes au profit des villes, en prenant pour base les données mêmes de l’exposé des motifs que, du reste, je ne crois pas exactes, car je ne saurais admettre que la population des villes, formant le quart de la population entière, consomme à elle seule autant d’eau-de-vie et de bière que les 3/4 qui habitent les campagnes ; mais cela n’est rien en comparaison du reste, c’est-à-dire en comparaison des conséquences de l’article 14.

En effet, messieurs, le peu d'équité renfermé dans la répartition de l'article 3 se détruit de fond en comble par l'article 14, qui recule jusqu'aux calendes grecques l'application complète de l'article 3.

Les villes à octroi prennent pendant tas 3 premières années la somme de 12,058,619 francs, et à perpétuité celle de 11,500,000 au moins ; le reste, s'il y en a, sera pour les communes.

Le résultat le plus clair du projet est celui-ci.

Décharge de 12,000,000 d'impositions locales payées par les habitants des villes, et surtout des grandes villes.

Création de charges nouvelles pour la plus grande partie, ces charges sont fournies par les villes jusqu'à concurrence de 6,800,000 fr.

L'attribution à ces villes est de 11,500,000 fr.

Profit net pour les villes, 5,200,000 fr.

Par les campagnes jusqu'à concurrence de 7,700,000 fr.

L'attribution aux campagnes, s'il y a reste, est de 2,500,000 fr.

Tribut annuel à charge des campagnes au profit des villes, 5,200,000 fr.

Messieurs, je le dis avec la conviction la plus intime, un tribut si énorme ne saurait se justifier. On a beau tout mêler et tout confondre, l'on ne réussira pas à masquer sous des chiffres et sous des hypothèses la charge que le projet impose aux communes rurales.

On accable les octrois des reproches les plus amers, je ne veux pas les défendre, je les déteste autant que personne, mais je n'aime pas les exagérations ; on exagère surtout les dommages et les embarras que les octrois actuels des villes causent aux campagnes. J'ai peu de pitié du campagnard qui paye l'octroi sur la pinte de bière qu'il boit en ville lorsqu'il y vient pour son amusement ou pour ses intérêts, mais je le plains sincèrement lorsqu'on lui impose deux francs d'augmentation par hectolitre cuve-matière sur la bière dont il a besoin pour se désaltérer (page 1464) chez lui et pour soutenir les forces de ses ouvriers qui sèment et qui récoltent les grains, matière première de cette boisson si utile et même indispensable.

Il est évident, messieurs, que les villes à octroi ont un intérêt incomparablement plus grand à l'abolition des octrois que les campagnes. Les campagnes entourant la ville jusqu'à une distance d'une ou deux lieues ou moindre en proportion de l'importance de la ville voisine y sont presque seules intéressées d'une manière appréciable. L'on ne peut donc équitablement imposer à toutes les campagnes le prix du rachat. L'on agite la question de savoir qui supporte l'impôt de consommation ? Le producteur ou le consommateur. Je ne discuterai pas cette question si supérieurement traitée par l'honorable M. Royer de Behr, je dirai seulement qu'il me paraît évident, qu'en fait d'impôts de consommation locales, imposés au quart d'un pays, c'est le consommateur qui supporte l'impôt, puisque le producteur trouve à côté de celui-ci trois autres quarts pour acheter et consommer libres d'impôt.

La question de savoir si c'est le consommateur ou le producteur qui supporte l'impôt ne me paraît très sérieuse que lorsque l'impôt est général, imposé à tous les consommateurs. Si donc, il est vrai, comme l'a soutenu l'honorable ministre des finances, que le producteur supporte comme tel une large part de l'impôt, il est évident que son projet frappe doublement l'agriculteur, puisqu'il le frappe en sa double qualité de consommateur et de producteur ; il demande en effet les trois quarts de son fonds communal à nos industries agricoles par excellence, à la fabrique du sucre de betterave, à la distillerie et à la brasserie.

Les octrois actuels frappent un grand nombre d'objets non agricoles et d'objets de luxe. Nous trouvons l'impôt sur les fourrages des chevaux de luxe, l'impôt sur les volailles, Sur les matériaux de construction, sur les meubles de prix, sur les glaces, l'octroi sur la houille ; tout cela disparaît pour ne plus revivre, c'étaient là cependant des impôts payés en grande partie par la richesse, et qui dans leur ensemble sont peut-être de nature à être distribués équitablement sur les bases de l’article 3 qui, de l’avis de l’honorable ministre des finances, peuvent être considérés comme la mesure de la richesse. Je le répète, rien de tout cela ne revit, mais ce qui revit doublement, c’est l’impôt sur l’agriculture, sur l’industrie agricole. Vous demandez à la brasserie seule une augmentation de 1 fr. 94 c. par hectolitre cuve-matière, ce qui donnera la somme de 7,200,000 environ au lieu de 6,100,000 fr., qui sera versée dans le fonds communal. La bière se consomme surtout par les classes moyennes, par le peuple et par le campagnard, et vous distribuez le produit de son impôt en proportion de la richesse présumée !

Vous dites au campagnard : Voilà de l'argent ! de quoi vous plaignez-vous ? Mais vous ne lui dites pas que vous prenez le double ou le triple sur sa boisson indispensable, sur la bière seule.

Vous déchargez la viande de boucherie, c'est un bienfait, je le reconnais, mais vous reprenez immédiatement cet avantage avec usure par les nouvelles charges que vous imposez sur les industries agricoles, entre autres les distilleries.

Vous portez la main sur l'industrie des sucres de betterave, qui ne refuse pas sa part dans l'augmentation d'impôt réclamé, mais qui demande de ne pas déranger incidemment le régime sous lequel elle vit et prospère, en bon accord avec sa sœur la canne, qui ne songeait pas à se plaindre.

Messieurs, puisqu'on a mis la parabole à la mode, permettez-moi d'en présenter une ; je serai court.

Je connais deux propriétaires, l'un et l'autre ont 100 mille francs de rente.

Le premier vit grandement, il dépense ses revenus et contracte des dettes ; l'autre vit simplement, il ne thésaurise pourtant pas, Il ne dépense que 40 mille francs pour vivre ; les 60 mille francs restants il les emploie au défrichement de terres incultes, à l'amélioration du sol de son pays. Lequel de ces deux citoyens est le plus solidement utile à son pays ? C'est sans doute le second. Personne cependant n'a rien à reprocher à l’un ni à l'autre, ils disposent tous deux de ce qui leur appartient. Un jour le premier s'avisa de dire au second : Mon cher concitoyen, vous êtes dans l'aisance parce que vous vivez simplement, moi au contraire je suis gêné ; je veux pourtant continuer à suivre les habitudes que je me suis faites ; continuez, vous, les vôtres, mais améliorez un peu moins vos terres et ne vous occupez plus de défrichements, vous pourrez ainsi me céder annuellement 40 mille francs sans vous gêner.

Je vous laisse à penser, messieurs, l'accueil qu'une pareille proposition dut recevoir. Le second cependant resta calme ; il fit à son interlocuteur cette réponse : Mon ami, à chacun ses goûts ; vous faites fleurir les arts et l'industrie, c'est bien, seulement je vous recommande un peu de prudence. Pour moi, je préfère le solide au brillant, je sais que l'agriculture est la mère nourricière des peuples. Quant à votre proposition n'en parlons plus ; mais sachez-le : la justice est la pierre fondamentale du salut des familles comme des nations.

Voilà, messieurs, la loi qui nous est présentée. N'oublions pas que tout ce que nous demandons en trop aux campagnes, nous le soustrayons à l'amélioration de notre sol. Si le campagnard est dans l'aisance, c'est qu'il vit simplement, et qu'il se lève avec le soleil pour travailler avec toute sa famille. Il en coûte plus au campagnard pour gagner 5 francs qu'il n'en coûte en ville pour en réaliser 50. Je parle surtout des grandes villes centres de mouvement et d'affaires. Les trois quarts du budget sont dépensés dans les grandes villes et augmentent constamment leurs richesses, et je dois le rappeler ici, c'est en proportion de la richesse même que vous voulez distribuer un impôt levé sur des objets de consommation de l'usage le plus commun, d'un nouvel octroi général.

A mon avis, les conséquences injustes de la loi n'ont pas été assez remarquées à cause de l'enthousiasme provoqué par l’intitulé de la loi : Abolition des octrois. Ce titre, messieurs, est séduisant, mais il n'exprime pas la vérité. La loi n'abolit pas les octrois, elle les généralise.

J'aurais encore à parler de l'effet déplorable que doit exercer le système centralisateur de la loi sur l'autonomie communale, mais les discours si solides de mes honorables amis et collègues, MM. Thibaut et de Naeyer, m'en dispensent ; je ne dirai plus que quelques mots.

Anciennement, nos cités, presque souveraines, levaient la plupart des impôts ; elles donnaient des subsides au prince, ou, si vous voulez, à l'Etat.

Si alors le prince eût eu la hardiesse de dire à une ville quelconque de la Belgique : Mes bons bourgeois, je remarque que vous avez bien du mal à me payer vos subsides, à suffire à vos dépenses, à faire rentrer vos contributions. Voyons : je vais vous décharger d'un grand fardeau, cédez-moi vos impositions et vos taxes, je vais moi-même gérer vos finances et je vous remettrai annuellement pour vos besoins une somme convenue. Vous n'aurez plus ni soucis, ni tracasseries, vous n'aurez à dépenser utilement et agréablement la pension que je vous garantis.

Quelle eût été la réponse à une telle proposition ? Messieurs, je n'ai pas besoin de la dire ; elle est écrite à chaque page de notre histoire. Celle-ci nous dit que c'est à cet attachement inébranlable à nos franchises communales que nous devons le bonheur d'être restés Belges à travers tant et de si longues vicissitudes.

Je crois, messieurs, qu'il y a un danger réel dans ce système centralisateur qui donne tout à l'Etat pour attendre tout de lui. Je m'étonne que pour quelques millions prélevés sur le campagnard, nos grandes, nos riches et fières cités consentiraient à reconnaître l’Etat pour fermier obligé de leurs revenus et pour leur caissier nécessaire. Qui paye commande, dit un ancien proverbe ; cela est vrai dans toute la force du terme, lorsque celui qui paye est le plus fort.

Je le répète, messieurs, je crois que l'on n'a pas assez réfléchi à la modification profonde que le système de la loi doit apporter à notre organisation communale.

Maintenant faut-il conclure de mes paroles que nous devons nous résigner à subir éternellement les octrois ? Non, messieurs, cela n'est pas ma conclusion. La présentation de la loi et ces débats font faire un grand pas vers leur abolition ; je félicite M. le ministre d'avoir proposé ce projet et provoqué ces débats.

Je crois que le projet va trop loin. Le fonds communal, s'il en faut un, ne devrait être destiné qu'à fournir aux villes et aux communes leurs dépenses obligatoires dans l'intérêt général ; le reste, tout ce qui est réclamé pour le luxe, la spéculation ou l'entreprise, devrait être laissé à la commune. Cela sauvegarderait son autonomie, et serait plus conforme à la justice.

Le fonds communal ne devrait pas être fourni presque exclusivement par l'agriculture ou les industries agricoles par excellence. Les produits minéraux devraient, à mon avis, y apporter leur part.

A ces conditions et dans ces limites, je consentirais volontiers à la formation d'un fonds communal, je consentirais même à un avantage modéré pour les villes. Certaines villes d'un rang plus ou moins inférieur en ont en effet besoin. Plusieurs prospèrent peu, car depuis longtemps, surtout depuis l'établissement des chemins de fer, tous les avantages, mouvement et richesses se centralisent et s'accumulent dans les grands centres.

Malgré mon désir devoir les octrois disparaître, je ne saurais voter la loi telle qu'elle est proposée.

- La suite de la discussion est remise à demain à 2 heures.

La séance est levée à 4 heures et demie.