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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 21 avril 1863

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)

(page 739) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor, secrétaire, procède à l’appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur Ficheroulle demande que des poursuites soient dirigées par un membre de la Chambre, à propos d'attaques dont il a été l'objet dans la presse. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Bino, ancien combattant de 1830, demande la croix de Fer. »

- Même renvoi.


« Le sieur Defalque, secrétaire de la commune d'Ottignies, demande que le traitement des secrétaires communaux soit régie d'une manière uniforme suivant la population. »

« Même demande des secrétaires communaux de Marbais, Boulez, Beez, Court-Saint-Etienne, Limelette, Ceroux-Mousty, Mont-Saint-Guibert, Corroy-le-Grand, Dion-le-Vel et Dion-le-Mont. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal d'Ortho demandent que la ligne de Huy vers le Luxembourg se raccorde à Hutton aux chemins de fer qui doivent se diriger d’une part vers Vielsalm et d'autre part vers Bastogne et Wiltz. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la concession des chemins de fer.


« Les membres du conseil communal de Hooghlede demandent que cette commune soit dotée d'une voie ferrée. »

- Même décision.


« Des tanneurs à Châtelet présentent des observations sur les dispositions du traité avec la Prusse concernant les cuirs et demandent la réciprocité des droits sur ces articles. »

« Même demande de tanneurs de Stavelot. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le traité avec la Prusse.


« Le sieur Jean-Pierre-Guillaume Pfeiffer, employé à Bruxelles, né à Luxembourg, demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.

« MM. d'Ursel, Magherman et Julliot demandent un congé. »

- Accordé.


« M. de Smedt demande un congé de 15 jours. »

- Accordé.


M. de Renesse (pour une motion d’ordre). - Messieurs, lors de la discussion du budget des travaux publics de l'exercice, courant, mon honorable collègue et ami M. Julliot avait appuyé, à la séance du 26 mars dernier, la pétition que M. le baron de Woelmont d'Oplieu, conseiller provincial du Limbourg, avait adressée à la Chambre pour demander la rectification de la route de Tongres à Hasselt, au lieu-dit Zavelberg, rectification réclamée par le conseil provincial de cette province.

A la fin de son discours, l'honorable M. Julliot avait dit qu'il proposerait, après la discussion de ce budget, le renvoi de cette requête à M. le ministre des travaux publics ; par oubli, ce renvoi n'a pas été ordonné par la Chambre ; je crois donc devoir proposer à la Chambre de vouloir ordonner le renvoi de la pétition de M. le baron de Woelmont à M. le ministre des travaux publics ; elle avait été déposée sur le bureau pendant la discussion de ce budget.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi relatif aux fondations de bourses

MpVµ. - La parole est continuée à M. Van Humbeeck.

M. Van Humbeeckµ. - Messieurs, dans la séance de vendredi dernier, je signalais à l'attention de la Chambre cette circonstance, que le projet de loi dont la discussion nous occupe en ce moment, contient une proclamation nouvelle et solennelle du principe de la liberté de l'enseignement. Mais le but de ce projet n'est pas de se borner à proclamer de nouveau et fort inutilement un principe dont la sauvegarde est déjà assurée par un texte constitutionnel : le projet de loi rend à ce principe un hommage plus efficace ; il consacre une innovation, une institution nouvelle ; il crée en Belgique le patrimoine de la science libre, le patrimoine de la liberté d'enseignement.

J'ai également appelé l'attention de la Chambre sur les motifs qui paraissent légitimer, d'après moi, la création du patrimoine de l'instruction publique, à côté de ce patrimoine de la liberté d'enseignement.

J'ai examiné ensuite quelles étaient les personnes qui devaient pouvoir recevoir des libéralités au profit du patrimoine de l'enseignement public.

Dans ces divers ordres d'idées, je me suis trouvé d'accord avec l'honorable rapporteur de la section centrale, mais le désaccord s'est manifesté entre nous sur une conséquence à déduire de nos principes communs.

D'après l'honorable rapporteur de la section centrale, la commune ne pourrait pas organiser, la commune ne pourrait pas favoriser sur son territoire un enseignement autre que celui qui lui est formellement imposé par les lois.

Par voie de conséquence, l'honorable rapporteur admet que la commune ne pourrait pas recevoir une libéralité pour l'affecter à un semblable enseignement. De mon côté, au contraire, j'ai soutenu que les lois qui imposent aux communes certaines obligations en matière d'enseignement, n'ont pas eu pour but d'anéantir l'initiative des communes, même pour l'enseignement, en dehors de leurs obligations. J'ai soutenu qu'il fallait tenir pour certain, au contraire, que, leurs obligations remplies, les communes rentrent, à l'égard de l'enseignement comme à l'égard de tous les autres objets, dans une complète liberté d'initiative.

J'en étais arrivé à prévoir une objection : On peut me dire : L'enseignement donné par les communes, sans leur être imposé, tient plus du caractère de l'enseignement privé que du caractère de l'enseignement public. Un pareil enseignement ne peut donc pas recevoir ; il n’y a que l’enseignement public qui le puisse.

J'avais dit, messieurs, que, pour moi, cette objection n'en était pas une. Je demande à la Chambre de vouloir bien écouter avec indulgence la réfutation que je crois devoir y consacrer.

Il ne faut pas, messieurs, confondre, dans une libéralité, l'institution elle-même avec les conditions apposées à l'institution. S'il s'agit d'une libéralité dans laquelle l’institut soit un enseignement déterminé, l'institution alors, dans le système de la loi que nous discutons, ne peut porter que sur l'enseignement public, le seul qui ait une personnalité. Mais ce n'est (page 740) pas pour de semblables libéralités que je réclame, en faveur de la commune, une capacité de recevoir.

Je parle des libéralités dans lesquelles les communes seront instituées directement, nominativement et de manière que les intentions ne puissent pas être douteuses.

De semblables libéralités peuvent être faites sons une condition, et c'est là le cas dont je m'occupe. Je m'occupe du cas où une libéralité est faite à la commune, bien dûment et nominativement instituée, mais sous une condition : celle de consacrer la libéralité à un enseignement facultatif pour elle.

D'après moi, de semblables libéralités sont faites sous une condition non prohibée et doivtet par conséquent pouvoir recevoir leur exécution.

Il est d'ailleurs impossible, messieurs, que l'on argumente contre de pareilles libéralités, de ce que l'enseignement facultatif donné par une commune n'a pas nécessairement le caractère d'enseignement public ; c'est là une distinction dont il n'y a évidemment rien à conclure dans le débat actuel.

On ne déduit pas l'incapacité des communes de la loi qui n'existe pas encore et que nous sommes occupés à discuter ; on déduit cette incapacité que de la loi organique des communes, en la combinant avec les lois d'enseignement de 1835, de 1842 et de 1850.

Or, dans aucune de ces lois nous ne trouvons la personnification de l'enseignement public. C'est le projet de loi qui doit créer cette personnification, s'il est adopté par la Chambre.

On ne peut invoquer la loi actuelle que pour résoudre une question d'interprétation des lois anciennes.

Le droit des communes existe ou n'existe pas. S'il existe, le projet de loi actuel ne le modifie en rien. Si le droit des communes n'existe pas, le projet de loi actuel ne peut et ne veut pas le créer.

Voilà la situation de la question que je traite en ce moment.

C'est donc plutôt une question de jurisprudence administrative qu'une question de législation ; et, pour ma part, j'ai longtemps considéré cette question comme étant entièrement indépendante du projet de loi dont nous nous occupons. Mais le rapport de la section centrale est venu la soulever, le rapport nous convie par conséquent à la résoudre.

Elle est difficile, elle est importante, l'occasion est propice : ne reculons donc pas devant la solution.

Permettez-moi, messieurs, de préciser ma manière de voir. La question ne concerne pas seulement les matières d'enseignement, elle est plus large. Il s'agit de savoir si les communes peuvent recevoir des libéralités pour les consacrer à des dépenses purement facultatives pour elles. Voilà le problème.

Si cette question est résolue affirmativement, nous sommes en présence d'un principe, et il s'agit tout simplement d'appliquer ce principe à une question spéciale.

Pour ma part, je crois que les communes peuvent parfaitement recevoir des libéralités destinées à être affectées à des dépenses purement facultatives pour elles.

Cependant, il faut se garder de prendre cette théorie à un point de vue trop absolu.

Qui dit faculté, dit liberté ; qui dit liberté, dit aussi droit inaliénable.

La commune ne peut donc pas, en vertu d'un acte de sa vie privé, en vertu d'un acte à titre onéreux, ou en vertu de l'acceptation d'une libéralité, convertir ce qui est une faculté pour elle, en une obligation indestructible.

L'ordre public exige de la manière la plus impérieuse que les attributions facultatives des communes restent pour elles des attributions facultatives.

L'ordre public s'oppose à ce que les communes puissent rendre ces attributions perpétuellement obligatoires pour elles. S'il en était autrement, nous reconnaîtrions tout simplement aux communes le droit d'aliéner fragment par fragment leur liberté, la liberté communale ; de fragment en fragment, nous leur permettrions, par voie de conséquence, d'aliéner la liberté communale tout entière.

En songeant aux conséquences que pourrait entraîner en cette matière une doctrine trop absolue, je me rappelle cette phrase d'une préface, qui a eu beaucoup de retentissement dans le pays : « La liberté, est-ce le droit de tuer la liberté ?» Cette phrase qui dans l'ordre d'idées pour lequel elle a été écrite ne renfermait pas une pensée juste acquiert une justesse incontestable dans l'ordre d'idées plus restreint dont nous nous occupons en ce moment. La liberté communale en effet ne peut être le droit de tuer la liberté communale.

Cette restriction apportée à la liberté des communes n'a rien qui puisse effrayer, c'est la même dont est frappée la liberté individuelle, la liberté humaine. L'homme ne peut engager ses services à vie, il peut seulement les engager à temps.

De même, la commune ne peut pas s'engager à user à perpétuité d'une faculté qui lui est donnée suivant un mode déterminé. C'est dire qu'elle ne peut la convertir en obligations irrévocables.

Ces observations m'amènent à prévoir deux hypothèses.

L'auteur d'une libéralité, en la faisant, peut avoir voulu qu'on l'appliquât à une dépensa facultative, sachant qu'elle était facultative et voulant qu'elle demeurât telle ; ou bien l'auteur d'une semblable libéralité peut avoir voulu qu'elle fût nécessairement perpétuellement consacrée à la dépense par lui indiquée.

Pour chaque libéralité, il faudra demander dans laquelle des deux hypothèses elle devra être rangée, ce sera une question d'interprétation pour chaque libéralité spéciale ; il faudra moins consulter les termes de la libéralité que les intentions de l'auteur de la libéralité. Quelles seront, dans l'une et l'autre hypothèse, les conséquences des considérations que je viens de présenter ?

Dans le premier cas, dans le cas où le bienfaiteur a donné pour une dépense facultative voulant qu'elle demeure facultative, nous ne nous trouvons pas en présence d'une condition proprement dite dans le sens usuel du droit ; il y a de la part du bienfaiteur un simple vœu ; en pareil cas la disposition sera considérée comme pure et simple en faveur d'une personne qui a capacité pour recevoir ; la commune n'est pas légalement tenue d'exécuter la condition écrite ; ce n'est qu'une obligation morale, elle verra jusqu'à quel point cette obligation s'accorde avec des inspirations plus hautes, avec l'intérêt de la commune.

Elle conciliera, si c'est possible, l'intérêt commun avec les intentions du bienfaiteur.

Mais, je le répète, cette condition n'impose pas une obligation légale ; elle impose seulement une obligation morale. En serait-il autrement dans le second cas, dans celui où le bienfaiteur voudrait que sa libéralité fût perpétuellement consacrée à une dépense purement facultative ? Dans ce cas évidemment, d'après les considérations que je viens de présenter, la commune ne peut pas s'astreindre à faire perpétuellement des dépenses facultatives.

Elle ne peut pas aliéner unr prérogative inhérente à la liberté communale. Quelle est la conclusion de ces principes ? C'est que la condition de la libéralité, comme condition perpétuelle, doit être censée non écrite. En d'autres termes, l'auteur d'une libéralité affectée à des dispositions facultatives pour les communes est censé suivre la foi de cette commune.

Dégageons la question du point de vue spécial de l'enseignement, supposons une commune importante qui subsidie à grands frais un théâtre.

Supposons là une libéralité faite à la commune à la condition de la consacrer au bien-être et au progrès de l'art dramatique. La commune s'est toujours occupée de l'art dramatique ; elle y voyait un intérêt communal ; elle y consacrait des dépenses communales purement facultatives. La condition à ce point de vue n'a donc rien de répréhensible et la libéralité doit pouvoir être acceptée.

Mais si l'on devait déduire de cette libéralité que la commune contracte à perpétuité et pour toujours l'obligation d'entretenir un théâtre, même lorsque l'intérêt communal ne le voudrait plus, évidemment la condition considérée ainsi dans sa perpétuité, serait contraire à l'ordre public et devrait être considérée comme non écrite.

Je pourrais prendre un autre exemple, celui de fêtes publiques.

Les communes peuvent organiser des fêtes publiques, quand cela est d'accord avec l'intérêt communal, mais aucune loi ne leur en impose l'obligation. Ne pourrait-on donner ou léguer à une commune pour augmenter l'éclat des fêtes publiques, pour en créer même ?

Evidemment, c'est encore là une condition qui n'a rien d'illicite.

Mais la commune ne peut être censée, en présence d'une semblable condition, prendre l'engagement de donner des fêtes publiques, même lorsque ces fêtes devraient, sous l'empire d'autres idées, être abandonnées à l'initiative individuelle, et que l'intérêt communal ne nécessiterait plus l'intervention du trésor de la commune.

Voilà le sens, selon moi, qu'il faut attacher à des libéralités faites à des communes ou à des provinces pour les consacrer à des dépenses purement facultatives.

Cette doctrine me paraît applicable à un enseignement que la commune a le droit de favoriser, sans qu'elle y soit obligée.

Voyons maintenant, messieurs, sur quoi se fonde la doctrine qui ne permettrait pas aux communes d'accepter des libéralités du genre de celles que je prévois en ce moment.

On veut d'abord assimiler la commune à un être moral ordinaire ; on (page 741) veut assimiler la commune a un établissement public, à une personne morale qui n'a que des attributions parfaitement déterminées et qui ne peut pas en avoir d'autre.

Messieurs, les attributions de la commune ont certes leurs limites, mais ces limites ne sont pas étroitement précisées comme celles des attributions d'un établissement public.

La commune, j'ai déjà eu occasion de le faire remarquer, a pour attribution ce qui est d'intérét communal. C'est le texte de la Constitution.

Dans la loi communale, on a dit que les conseils communaux délibéraient sur tout celui est d'intérêt communal, et en outre sur les objets qui lui sont soumis par les autorités supérieures. Mais ni dans la Constitution ni dans la loi communale, nous ne trouvons une définition précise, une définition rigoureuse, applicable à toutes les communes, de ce qui constitue l'intérêt communal ; nos lois ne le définissent nulle part d'une manière invariable, d'une manière applicable à tous les temps et applicable à tous le lieux.

Il y a là des questions d'appréciation, des questions qui devront être diversement résolues suivant les cas. L'intérêt des 2,500 communes de la Belgique n'est pas le même ; pour chacune de ces 2,500 communes, les attribuions doivent varier suivant les diversités des intérêts.

Quand. favoriser l'enseignement supérieur est d'un intérêt communal, la commune doit pouvoir recevoir pour favoriser l'enseignement supérieur ; vous ne pouvez invoquer ici l'interprétation restreinte qui doit être donnée aux attributions des autres êtres moraux.

On insiste et on reproduit l'argument sous une autre forme. On dit que la liberté d'enseignement est faite pour les individus et qu'elle n'a pas été faite pour les communes.

Je le veux bien ; je n'entends pas contester cela. Mais si la liberté d'enseignement n'a pas été faite pour la commune comme pour les individus, il y a une liberté qui a été faite pour la commune, c'est la liberté communale ; la liberté communale, c'est le droit de s'occuper de tout ce qui est d'intérêt communal, d'y consacrer des ressources, d'acquérir ces ressources par l'impôt ou par don volontaire.

La liberté d'enseignement donc existe pour les communes, mais dans les limites des exigences de l'intérêt communal.

C'est dans ces termes qu'il faut réfuter l'argument présenté qui, dès lors, ne contrarie plus en rien la thèse que j'ai soutenue.

Cependant on n'abandonne pas encore ce raisonnement. On dit que l'enseignement supérieur doit toujours être un objet d'intérêt général et que les lois l'ont décidé ainsi. Les lois dont on prétend déduire cette conséquence sont les lois de 1835, de 1842 et de 1850.

Il est certain, messieurs, que l'enseignement supérieur présente un intérêt pour le pays tout entier ; à cet intérêt, qui existe pour le pays tout entier, on a satisfait par la création des deux universités de l'Etat ; mais indépendamment des deux localités dotées d'universités, d'autres localités ne peuvent-elles pas avoir un intérêt spécial à voir donner un enseignement supérieur sur leur territoire ? Ces communes seraient-elles, dans ce cas, déshéritées du droit de donner satisfaction à cet intérêt ? La question à résoudre reparaît tout entière.

L'argument n'était donc qu'une véritable pétition de principe.

On attaque cependant, messieurs, notre doctrine par d'autres moyens encore ; ou plutôt la doctrine que l'on attaque n'est pas la nôtre, c'est une doctrine absolue et supposée.

On dit : Il ne faut pas mettre la commune dans la nécessité de créer et de maintenir un enseignement supérieur. Cette objection n'a plus de valeur une fois que l'on se trouve en présence de la théorie que j'ai eu l'honneur de développer.

Les communes ne peuvent pas contracter l'obligation de maintenir un enseignement supérieur à perpétuité et dans toutes les conditions. L'accomplissement du vœu du testateur, pour avoir lieu, doit, avant tout, pouvoir se concilier avec l'intérêt communal. Ce sera au pouvoir communal de juger si les deux intérêts peuvent se concilier ; s'ils ne le peuvent pas, la condition ne liera pas le pouvoir communal.

Je ne vois pas non plus qu'il y ait dans ce système autant de patrimoines de l'enseignement supérieur qu'il y a de communes.

Il y aura seulement autant de patrimoines communaux qu'il y a de communes, et là où l'enseignement supérieur est d'intérêt communal, le patrimoine de la commune pourra être appliqué en partie au profit de cet enseignement.

Mais, dit-on, la commune, dans un pareil système, va servir de couvert à toutes les corporations religieuses enseignantes, vous aurez rendu légale l'interposition des personnes capables au profit des incapables.

Messieurs, je n'aime pas les corporations religieuses, je les respecte comme une émanation de la liberté, mus avec le désir et l'espoir de voir ces manifestations de la liberté devenir plus rares de jour en jour.

Mais je n'ai pas peur que les corporations religieuses se servent de l'intermédiaire de la commune pour obtenir des libéralités ; les corporations religieuses prendront toujours des intermédiaires sûrs ; elles ne recourront pas à des intermédiaires qui resteraient libres de leur remettre les libéralités ou de ne pas les affecter à cette destination. C'est une chance qu'elles ne voudront pas courir.

Si cependant il y avait des cas où les corporations religieuses vinssent profiter de pareilles libéralités, l'autorité supérieure aurait à examiner jusqu'à quel point le profit que ces corporations tirent de ces libéralités est compatible avec l'intérêt communal.

L'autorité administrative supérieure, ne l'oublions pas, exerce un contrôle. Si les exigences de l'intérêt communal se trouvaient dépassées, l'autorité supérieure pourrait intervenir.

Du reste, si les corporations religieuses devaient prendre les communes pour intermédiaires, ce serait une position à laquelle il y aurait tout à gagner. Si elles prenaient pour intermédiaires des corps qui agissent au, grand jour, dont tous les actes sont publics, alors nous saurions ce que font les corporations religieuses, et il vaudrait mieux qu'elles usassent de ce procédé que de recourir à certains subterfuges, qui ne nous sont pas connus la plupart du temps et que nous parvenons à connaître de temps à autre seulement grâce à certaines révélations précieuses, comme celles que nous faisait récemment un honorable vice-président de cette assemblée.

Je ne m'arrête donc pas devant la crainte de voir les corporations religieuses profiter de l'application du principe que je défends.

Messieurs, les adversaires de ces libéralités se trouvent nécessairement gênés par un fait ; des communes, des provinces ont donné depuis longtemps des subsides pour un enseignement dont elles n'étaient pas chargées ; elles ont donc consacré des dépenses à un pareil enseignement, et cette circonstance ne laisse pas d'être embarrassante pour ceux qui soutiennent une thèse contraire à la mienne.

Ainsi, messieurs, les expressions qu'on a successivement choisies pour qualifier ces subsides, pour les expliquer, tout en déniant aux communes le droit que nous revendiquons pour elles, ces expressions, dis-je, trahissent un embarras évident.

Ainsi, on a cru qu'il suffisait, pour expliquer cette distinction, de dire que de pareils subsides constituaient des dépendes de luxe. Dépenses de luxe !... Voilà un mot qui, en matière administrative, n'a pas de signification pouf moi.

Si ce sont là des dépenses de luxe, même d'un luxe bien entendu, il ne s'ensuit pas qu'elles soient permises aux communes ; elles ne peuvent leur être permises que si elles sont d'intérêt communal ; il faut que votre luxe soit d'intérêt communal ; si votre luxe est d'intérêt communal, il faut que la commune puisse recevoir des ressources à y consacrer, alors qu'on les lui présente volontairement, comme elle peut les prendre de force aux contribuables par le moyen de l'impôt.

« Mais, dit-on, les communes agissent ici comme en grand nombre d'autres matières dont elles ne sont pas spécialement chargées. »

C'est vrai, mais je ne vois pas que cela fasse non plus quelque tort à la thèse spéciale que je défends devant la Chambre.

La seule conséquence à tirer de cette considération, c'est que les communes ont des attributions autres que celles qui leur sont spécialement conférées ; c'est-à-dire que les attributions des communes ont plus de largeur que celles des êtres fictifs ordinaires.

On a admis, en effet, que les matières dont les communes ne soit pas spécialement chargées, ne leur sont pas, pour cela, interdites. C'est là une différence essentielle entre les communes et les autres personnes civiles.

On admet aussi que les matières dont les communes ne sont pas spécialement chargées, peuvent avoir un intérêt communal ; et dès lors ma thèse se trouve renforcée plutôt qu'affaiblie.

On a dit encore que les dépenses sont faites par les communes à titre exceptionnel.

Oui, c'est exceptionnellement, c'est dans certains cas seulement, que l'enseignement supérieur présentera pour certaines communes un intérêt communal, mais il suffit que cette exception puisse se présenter pour qu'on doive compter avec elle ; il suffit que cet intérêt communal puisse se produire, pour qu'on soit en mesure d'y pourvoir.

Enfin, on est allé plus loin ; l'expression a trahi sans doute la pensée de l'honorable rapporteur ; on a été jusqu'à dire que, lorsque les communes font de pareilles dépenses, elle n'agissent pas en vertu de leurs attributions, elles agissent non en vertu de leurs attributions, pour employer les termes du rapport.

Messieurs, si les communes ne faisaient pas ces dépenses en vertu de (page 742) leurs attributions, il s'ensuivrait qu'elles ne peuvent pas les faire, et que ces dépenses devraient être empêchée à l'avenir. On aurait donc tort de distinguer entre le droit de conférer des subsides et le droit de recevoir des libéralités pour un enseignement purement facultatif.

Il faut envelopper les deux droits ou dans la même approbation ou dans la même réprobation.

Maïs en disant que les communes font des choses qui sont en dehors de leurs attributions et en les louant de faire ces choses, on se met en contradiction avec la première raison qu'on a fait valoir, avec cette raison qui assimilait la commune à un être moral ordinaire, à un établissement public n'ayant d'autres attributions que celles qui leur sont spécialement conférées.

On va ainsi plus loin que nous ne voulons aller nous-mêmes. Nous disons : La commune est un être à attributions larges et variables parce qu'elles dépendent de l'intérêt communal et que l'intérêt communal se transforme suivant les temps et les lieux. Mais aussi nous ne voulons pas que la commune sorte de ses attributions ; et, sous ce rapport, l'honorable organe de la section centrale a été un moment plus loin que nous. (Interruption de M. Bara.)

Vous dites que ces dépenses sont faites par elles en dehors de leurs attributions. Du reste, j'ai surtout relevé ces mots de votre rapport pour vous fournir une occasion de vous expliquer ; je comprends parfaitement que vous puissiez n'avoir pas voulu dire ce que vous avez dit réellement.

Mais je constate que, dans l'embarras où vous étiez de trouver des expressions adaptées à la défense de votre thèse, vous avez dû aller jusqu'à en prendre que vous ne pourrez maintenir.

Messieurs, je repousse cette distinction que l'on veut établir entre le droit de conférer des subsides et le droit de recevoir des libéralités. J'ajoute que si vous suiviez cette distinction dans ses conséquences, au lieu de vous borner à examiner le principe, il saute aux yeux qu'elle est tout à fait inadmissible.

Voici, en effet, un résultat auquel nous arrivons : une commune exige aujourd'hui d'un contribuable cinq francs pour les consacrer à l'enseignement supérieur qui, d'après elle, est d'intérêt communal.

Mais si, le lendemain, ce même contribuable vient spontanément offrir à la commune dix francs pour le même objet, la commune, dans le système de l'honorable rapporteur, devrait refuser cette offre ; et cependant la veille elle prenait cinq francs de force pour le même service. Une pareille conséquence cet évidemment inadmissible.

Si la commune a le droit de prendre de force aux contribuables des fonds pour un objet quelconque, il faut aussi qu'elle puisse accepter, pour ce même objet, ce qu'on lui offre volontairement.

Il n'y a donc qu'une solution possible, dans un sens ou dans un autre. C'est la solution absolue. Mais, il faut qu'on le sache, si on pouvait aller jusqu'à nier aux communes et aux provinces le droit de subsidier et le droit de recevoir des libéralités, on irait au-devant d'une conséquence politique excessivement regrettable. Admettre une solution absolue défavorable au droit des provinces et des communes, ce serait faire jeter par le libéralisme belge un démenti au passé d'une de ses fractions les plus importantes, au passé du libéralisme brabançon.

Depuis 25 ans, au conseil provincial du Brabant, tous les votes politiques ont eu lieu sur la question des subsides à conférer à un enseignement supérieur ; depuis 20 ans, il en est de même au conseil communal de Bruxelles.

Et une solution absolue donnée à la question, cette solution qui seule me paraîtrait cependant logique pour ceux qui contestent aux communes le droit de recevoir, cette solution aurait pour conséquence de faire proclamer que depuis 20 et 25 ans ces deux grands corps sont sortis tous les ans de leurs attributions.

Pour moi, messieurs, il n'y a pas de milieu : il faut nier le droit de subsidier du moment que l'on nie le droit de recevoir. Je tâcherai cependant de sauver l'un et l'autre.

J'allais, messieurs, oublier un dernier argument. On a dit : L'Etat ne pourrait donner un fonds provenant des libéralités qui lui sont faites au profit de l'enseignement qu'à des établissements d’enseignement public ; les communes ne peuvent pas avoir plus de droits que l'Etat.

Messieurs, dans cet argument on n'a pas tenu compte des principes qui président aux règlement des dépenses publiques. Le produit des libéralités qui sont faites au profit de l'enseignement sera le produit d'un service public, le produit d'un établissement public. Mais le produit des établissements et des services publics figure comme poste de recette au budget des voies et moyens. L'emploi de ces voies et de ces moyens doit figurer à un budget de dépenses quelconque. L'Etat n'emploiera donc pas de pareilles libéralités à autre chose qu'à l'enseignement public, si les Chambres ne lui ordonnent pas de les employer à autre chose ; et quant aux Chambres, on n'entend certainement pas nier leur omnipotence : elles pourront dans un moment donné, si les intérêts bien entendus du pays l'exigent, consacrer ces fonds à d'autres objets qu’à l'instruction publique.

J'essayerai, messieurs, de faire passer dans la loi le principe, que les libéralités du genre de celles que nous prévoyons doivent être acceptées, sauf à ne considérer la condition que comme un simple vœu exprimé par l'auteur de semblables libéralités. Si je ne parvenais pas à faire admettre ce système, j'essaierais au moins d'éviter une des conséquences de la doctrine contenue dans le rapport. Je tâcherais d'empêcher de semblables libéralités d'aller augmenter les fonds de l'enseignement officiel ; je tâcherais, dans cet ordre d'idées subsidiaires, de les faire consacrer au fonds de la liberté d'enseignement, au fonds des bourses.

Voici, sous ce rapport, quel serait mon système.

Les libéralités faites à une commune au profit d'un enseignement facultatif pour elle intéressent cette commune à un double point de vue. Il y a d'abord l'intérêt de la commune, comme ensemble, comme corps ; ainsi considérée elle peut avoir intérêt à posséder sur son territoire un établissement consacré à un enseignement autre que celui qui lui est imposé ; cet intérêt-là est variable de commune à commune.

Mais les libéralités dont je parle répondent encore à un autre intérêt, à l'intérêt qu'ont les habitants d'une commune à recevoir l'instruction. C'est là, messieurs, un intérêt qui existe partout et toujours.

Si de semblables libéralités peuvent se rapporter à un besoin perpétuel des habitants de la commune, celle-ci se trouve ainsi intéressée, sous ce rapport encore, à ce que ces libéralités soient maintenues.

Si donc la doctrine que je développais il y a un instant n'est pas accueillie ; si la loi ne permet pas aux communes d'accepter des libéralités du genre de celles que nous prévoyons comme des libéralités pures et simples, du moins est-il à désirer que de semblables libéralités n'aillent pas grossir le fonds de l'enseignement de l'Etat, à l'exclusion de tout autre.

La loi au moins devrait décider que ces libéralités seront réparties en bourses au profit des habitants de la commune ou de la province instituée. Et certes ce système subsidiaire n'est pas inconciliable avec les principes du projet de loi que nous discutons.

Les fonds destinés à être répartis en bourses forment, dans le système du projet de loi, une masse, représentée par des commissions qui pourraient recevoir au profit de la commune. Celle-ci alors, comme représentant ses habitants, resterait simplement une personne intéressée à la libéralité, pouvant ester en justice comme tous les autres intéressés, à défaut d'action de la part des commissions provinciales.

Tel est le système que subsidiairement j'admettrais si on ne voulait pas que la disposition fût acceptée en considérant la condition comme un simple vœu.

Je termine ici mes observations sur la première partie du projet.

Je m'occupe maintenant de la constitution du fonds des bourses que j'ai appelé le patrimoine de la liberté d'enseignement et que je crois avoir eu le droit d'appeler ainsi.

La première question à poser est celle-ci : Est-il bon qu'on puisse fonder des bourses ? La réponse à cette question paraît surabondante ; le principe n'est pas contesté.

Cependant la question a son importance ; si, en effet, on est universellement d'accord pour reconnaître qu'il est bon que des bourses soient fondées, le projet de loi est justifié du reproche d'inopportunité ; le droit de fonder des bourses n'existe pas, on ne pouvait en trouver la consécration que dans un arrêté du roi Guillaume datant de 1829. Mais on est généralement d'accord pour considérer cet arrêté comme inconstitutionnel.

La loi a donc sa raison d'être ; elle consacre un droit dont tout le monde reconnaît l'utilité, qui, cependant, n'était pas reconnu dans la législation sous laquelle nous vivons. Mais la loi ne pouvait pas seulement reconnaître le droit, elle devait l'organiser. Aussi contient-elle une complète organisation du droit de fonder des bourses.

On a critiqué les dispositions qui, dans cette organisation, concernent l'administration et la collation.

Je vais examiner si les reproches adressés à ces dispositions sont sérieux. Occupons-nous. d'abord, de l'administration des bourbes d'études.

Les établissements publics n'existent que parce que la loi les permet. Les bourses d'études sont de véritables établissements publics, régis par les principes admis pour les institutions de cette nature.

Elles sont ainsi toujours dans le domaine du législateur, c'est la loi qui donne l'existence, qui peut la leur ôter, qui en règle les conditions, qui (page 743) par conséquent détermine le mode d'administration auquel elles doivent se conformer.

Que fait le projet ? Il refuse à chaque fondation de bourses une administration spéciale ; il y aura par province une administration qui régira tous les établissements de la province.

Pourquoi choisit-on ce mode î ?On suppose qu'il occasionnera moins de frais et qu'il permettra une surveillance meilleure.

Si ces deux motifs sont justes, le mode adopté par la loi est parfaitement justifié.

On a tort de vouloir faire intervenir ici la volonté, le droit, la liberté des fondateurs. Il s'agit d'un droit de la société ; c'est à la société à organiser cette surveillance. Le fondateur ne peut pas être juge des garanties que doit avoir un droit social. Or, il suffit que le droit de surveillance, d'administration soit un droit social, pour que toutes les récriminations tombent comme reposant sur une confusion des droits de la société et de l'individu. Je ne crois pas devoir consacrer une plus longue réfutation aux critiques dont cette partie du projet est l'objet.

A-t-on eu raison de critiquer les modes de collation du projet ? Si la critique a été plus ardente que contre le mode d'administration, elle n'est pas plus fondée. Le droit de collation doit en principe appartenir à la société comme l'administration. C'est la société qui doit être chargée d'appliquer le bienfait dérivant d'une fondation semblable ; le bienfait est perpétuel de sa nature, tandis que le bienfaiteur est mortel.

Au moment où le bienfait se produit, le plus souvent le fondateur n'est plus ; il ne peut pas exécuter ses intentions ; s'il charge d'autres personnes de les exécuter, non seulement dans la période qui suivra immédiatement sa mort, mais à perpétuité, sur quoi repose alors la confiance du fondateur ? Elle repose uniquement sur des présomptions.

Il juge d'après ceux qu'il a connus ceux qu'il ne connaîtra pas ; si le fondateur appartient à une famille où les traditions de probité et d'honneur sont héréditaires, il s'imagine que les mêmes traditions continueront à y régner ; il choisit un parent pour exécuter ses dispositions.

Un autre fondateur a vécu dans une commune dont le bourgmestre était un modèle de justice et de vertus patriarcales, il croit que tous les bourgmestres futurs seront comme celui-là des modèles de vertu et il charge ces bourgmestres à perpétuité, de l'exécution des bienfaits qu'il lègue à ses concitoyens.

Un autre voit à la tête de sa paroisse un prêtre charitable et digne ; il s'imagine que tous les curés futurs égaleront celui qu'il a connu et il confie à ces curés futurs la sauvegarde de ses intentions. Autant de présomptions !

S'il arrive que les descendants de cette famille, où les traditions d'honneur et de probité ont régné si longtemps sont d'affreux coquins, si le bourgmestre qui succède au digne magistrat que le fondateur a connu est un prévaricateur, si au prêtre digne et charitable succède un curé qui déshonore la robe du prêtre, qu'arrivera-t-il de ces mandataires qui seront indigne de le confiance du fondateur ?

Est-ce qu'il aura pu créer des irresponsabilités ?

Cette conséquence est inadmissible.

Mais du moment qu'on ne peut pas admettre d'irresponsabilités dans de pareils cas, il doit y avoir un contrôle quelque part ? Ce contrôle, où peut-il être ?

Il ne peut être que dans la société. C'est la société qui gardera les intentions du fondateur et les gardera même contre les collateurs de la fondation. Ceux-ci ne sont pas les gardiens suprêmes de la fondation ; le fondateur a dû compter sur l'intervention, au moins éventuelle, du pouvoir social.

Eh bien, si la mission de la société est la sauvegarde par excellence des intentions des fondateurs, n'est-il pas juste que la société puisse régler les conditions auxquelles elle se croit certaine d'exécuter sa mission comme elle doit l'être ?

C'est une conséquence évidente, on doit l'admettre pour l'administration, on doit l'admettre également pour la collation, on doit admettre aussi que la société règle son action propre et limite les cas dans lesquels elle consent à ce que cette action ne soit que subsidiaire. C'est ce que fait le projet de loi, il admet qu'un droit de collation soit donné à des parents de la famille du fondateur.

Il l'admet parce que de pareilles dispositions sont inspirées par l'amour de la famille, par un sentiment que l'on aime à respecter et avec lequel, par conséquent, le législateur aime à compter.

Mais si le projet de loi admet une semblable disposition, il faut cependant reconnaître qu'en l'admettant, il fait une concession ; il crée une dérogation aux principes absolus ; eu effet, ici encore le fondateur part d'une présomption.

Le testateur partant d'nue présomption, étant, d'un autre côté, cependant obligé de s'en remettre éventuellement à la société de la sauvegarde de ses intentions, la présomption devrait être en faveur de la société et celle-ci aurait le droit d'exiger qu'elle fût en sa faveur. Cependant, je la répète, on fait l'exception et on a raison de la faire, le sentiment de la famille est assez respectable pour qu'une concession lui soit faite.

Le projet de loi repousse tout autre droit de nommer des collateurs spéciaux. Sous ce rapport, messieurs, la législation qu'on vous propose d'adopter diffère des législations anciennes sur cette matière. Autrefois, on admettait le droit de collation reposant successivement sur les titulaires d'un même office civil ou d'un même office ecclésiastique.

Fallait-il, clans le projet de loi actuel, reproduire une semblable disposition ? L'auteur du projet de loi ne l'a pas cru, et pour ne l'avoir pas cru il subit des reproches amers. Selon moi, il a eu raison de ne pas reproduire dans la législation nouvelle cette tolérance de la législation ancienne.

Examinons en premier lieu la question quant aux fonctionnaires. D'abord, messieurs, tous les fonctionnaires, à raison de leurs fonctions-mêmes offriront-ils aux fondateurs les mêmes garanties ?

Evidemment non ! Ces garanties varieront du plus au moins suivant la personne des fonctionnaires et indépendamment du caractère qui leur assignent leurs fonctions.

Le fondateur en définitive s'en remet ici encore une fois au hasard ; son sentiment ainsi analysé, ainsi réduit à son expression la plus simple, n'est pas assez sérieux pour qu'en sa faveur la société fasse une concession, une exception aux principes véritables. De plus, c'est l'Etat qui choisit les fonctionnaires. C'est donc en définitive à l'Etat, c'est-à-dire à la société, que le fondateur vient se fier ; s'il se confie en dernière analyse à la société, qu'au moins il laisse celle-ci juge des conditions d'efficacité de son intervention.

Enfin toute fonction peut être supprimée, et certes personne n'a la prétention de vouloir qu'une fonction soit maintenue exclusivement pour un intérêt spécial, exclusivement pour la collation d'une fondation de bourses.

Il faut donc admettre que derrière la fonction et derrière le fonctionnaire, le fondateur a vu la société.

Encore une fois, on peut parfaitement lui demander dans un pareil cas de laisser la société libre d'agir au mieux des intérêts qui lui sont confiés.

Je ne puis donc pas admettre que le droit de collation soit encore donné aux titulaires successifs d'un emploi civil.

Doit-il en être autrement quand il s'agit des titulaires successifs d'offices ecclésiastiques ?

Messieurs, si l'on admettait une solution affirmative à la question que je pose en ce moment, on érigerait les fonctions ecclésiastiques en abstractions ayant une capacité fictive. On érigerait cette espèce de personne civile d'une nature particulière que la législation anglaise appelle corporation composée d'un seul individu (a sole corporation).

Autrefois une semblable conséquence pouvait se comprendre. Elle se comprenait sous le régime dans lequel l'Etat et l'Eglise étaient deux alliés. Là le prêtre tenait par quelques liens à la puissance publique. Mais avec le système de la séparation de l'Eglise et de l'Etat le culte n'est plus au milieu de la société moderne qu'une simple association.

Dans cette association seulement, le prêtre conserve un caractère spécial, mais il ne garde pas ce caractère dans la société civile, dans la société de tous ; et c'est pour la société civile, pour la société de tous, que les lois doivent être rédigées. Il n'y a donc aucune raison de renouveler les privilèges accordés autrefois à des offices ecclésiastiques.

De plus, messieurs, à qui en définitive incomberait le choix des collateurs dans les conditions où l'on veut qu'il puisse avoir lieu.

Ce choix incomberait-il bien au fondateur ? Non, c'est à l'Eglise que le fondateur se serait en définitive fié. Je le répète encore, l'Eglise n'est qu'une association qui n'a droit à aucun privilège, qui n'a droit qu'à la liberté. Et ce que l'on demande pour les prêtres, qui représentent l'Eglise, c'est un véritable privilège.

Pour en finir sur ce point, je me bornerai à faire remarquer que les fonctions ecclésiastiques peuvent être supprimées comme les fonctions civiles et que dès lors les garanties supposées par le fondateur seront comme pour les fonctions civiles, l'effet du hasard seul.

Je pourrais reproduire ici les considérations que je donnais tout à l'heure quand il s'agissait des fonctions civiles. Je me borne à m'en référer à ces développements.

Je crois, messieurs, pouvoir conclure de toutes ces considérations que les critiques dirigées contre le projet de loi à cause de la manière dont il organise la collation et l'administration des bourses sont dénuées de fondement.

Je ne consacrerai qu'un instant d'attention aux dispositions du projet (page 744) de loi qui indiquent quels établissement le boursier pourra fréquenter. Le projet de loi admet que les boursiers auront le droit d'étudier où ils voudront. C'est surtout cette circonstance qui me fait donner au fonds des bourses ce nom de patrimoine de la liberté d'enseignement sur lequel j'insiste peut-être avec trop de complaisance, mais que je crois parfaitement justifié.

Le projet de loi admettait à ce principe deux exceptions L'exception d'abord pour le cas où les établissements publics auraient été désignés par le fondateur, et une seconde exception pour les études à l'étranger.

La première de ces exceptions paraissait à la section centrale assez peu opportune iSi elle ne l'a pas supprimée, elle a au moins fait des réserves à cet égard.

Depuis, un amendement proposé par l'honorable M. Orts est venu porter la question devant la Chambre. Je suis sympathique à cet amendement.

Je crois que la différence entre le fonds des boursiers et le patrimoine de l'enseignement public serait rendue ainsi plus tranchée et que ce serait là une véritable amélioration.

Je n'insiste pas plus longtemps sur ce point et j'arrive à un ordre de considérations qui a sa grande importance, non pas en principe, mais à cause des erreurs qui ont déjà été énoncées à ce propos dans la discussion actuelle.

Je veux parler de la question de rétroactivité.

D'après le projet de loi actuel, messieurs, les anciennes bourses viendront augmenter le patrimoine de la liberté d'enseignement ; elles seront régies comme ce patrimoine.

On part de là pour reprocher au projet de loi d'être entaché de rétroactivité.

Messieurs, en disant que le projet de loi est entaché de rétroactivité, on invoque un mot excessivement sonore plutôt qu'on n'invoque le principe que ce mot a pour objet de désigner.

Permettez-moi de préciser la portée du principe de rétroactivité par quelques citations. J'ouvre le manuel de droit le plus usuel de tous et j'y lis :

« Quel est le fondement du principe de la non-rétroactivité ? - Si nul n'est tenu d'exécuter un commandement qu'il ignore, si les lois, comme nous l'exposons, doivent être publiées pour devenir obligatoires, s'il est évident qu'elles ne peuvent disposer que pour l'avenir. En tout temps ce grand principe a été proclamé comme la garantie de la sécurité générale et du crédit public, de la liberté et de la sûreté individuelle, de la propriété et de l'industrie. » (Dalloz, v° Lois, n°184.)

Voilà certes un hommage assez formel rendu au principe de la non-rétroactivité, et cet hommage ne serait désavoué par aucun des adversaires du projet.

Cependant en analysant le principe, en indiquant sur quelle nécessité il repose, l'auteur de ces lignes admet déjà implicitement que là où semblable nécessité ne se rencontrera pas, le principe devra nécessairement cesser d'avoir son application. Il ne manque pas de le dire :

« La rétroactivité peut dans certains cas être commandée par le motif même qui fait généralement admettre la règle contraire, par l'utilité sociale. En cette matière un problème s'offre toujours à résoudre. Le mal de détruire des espérances formées sous la loi ancienne, est-il moindre que celui de conserver à cette loi reconnue mauvaise son préjudiciable empire ? C'est au législateur à décider de quel côté sont les moins graves inconvénients et à disposer en conséquence. » (Id., n°187.)

Veut-on maintenant des exemples où la rétroactivité est d’intérêt social ? L'auteur en donne :

« Les lois qui interesse.it l'ordre public et les bonnes mœurs, colles dont le but est de garantir la sûreté des citoyens, ne sont pas soumises au principe de la non-rétroactivité ; elles régissent le passé, parce que l'intérêt général exige que la règle nouvellement introduite soit immédiatement appliquée, parce qu'on ne saurait maintenir ce qui trouble l'ordre, ce qui offense les bonnes mœurs, parce que, enfin, il n'y a pas de droit acquis contre la plus grande félicité de l'Etat, et qu'il est à présumer que tous les citoyens ont un intérêt égal à ce que les lois d'ordre public soient immédiatement exécutées, et que, par conséquent, l’exécution de la loi nouvelle est ordonnée au même moment et sans distinction pour tous les citoyens. » (ld. p. 192.)

« Ce qui vient d'être dit des lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs, s'applique aussi aux lois politiques. Ainsi, lorsqu'il s'agit de la constitution de l'Etat, de l'organisation des pouvoirs, de l'attribution et de l'exercice des droits civiques, comme le moindre retard apporté à la réalisation de la loi nouvelle pourrait être fatal, le principe de la non-rétroactivité ne reçoit pas son application ; on présume que le législateur a voulu rétroagir. » (Id., p. 193.)

Vous le voyez donc, le principe de la non-rétroactivité, si salutaire qu'il soit, n'est pas un principe qui n'ait pas à subir d'exceptions.

On peut, messieurs, pour continuer les citations, justifier le projet de loi du reproche de rétroactivité en lui appliquant quelques paroles prononcées, à propos d'un projet d'une autre nature, par M. Pardessus, dans la séance de la chambre des députés du 13 juin 1828.

Il s'agissait d'un projet de loi sur la presse, dans lequel on exigeait de nouvelles conditions d'aptitude de ceux qui voulaient faire usage de la liberté d’écrire. Certes, je n'approuverai pas le fond de ce projet. Mais le reproche de rétroactivité qu'on lui faisait était aussi peu fondé que celui qu'on adresse au projet actuel.

Voici comment Pardessus répondait alors au reproche de rétroactivité qui était adressé à ce projet :

« L'article du projet n'est point rétroactif parce que, ne s'occupant que des rapports des établissements existants avec l'Etat et le public, il a pour objet de les assujettir aux mesures de garanties que l'intérêt de ce même Etat, de ce même public rendent nécessaires. Ce n'est point là rétroagir. Je croyais que la question des rétroactivités avait été assez éclaircie pour qu'il ne vînt plus à la pensée de personne de renouveler cet éternel et insignifiant reproche. Une loi de police, une loi qui crée des mesures de garantie dans l'intérêt public, est nécessairement rétroactive dans le sens grammatical du mot ; car elle s'adresse à des personnes, à des établissements existants au moment où elle est rendue, à des personnes ou à des établissements nés ou créés sous un ordre de législation qui alors n'exigeait pas ces garanties ; mais ce n'est point là ce qu'on appelle, dans le langage légal, rétroagir, et si le législateur n'avait pas le droit d'imposer de nouvelles obligations, dans l'intérêt public, à des personnes qui jusqu'alors n'y avaient pas été astreintes, le gouvernement, la police générale de la société seraient impossibles. Toutes les lois politiques rétroagissent ; car elles substituent à des institutions existantes des institutions nouvelles, auxquelles sont soumis les hommes nés sous l'empire des anciennes. » (Moniteur du 14 juin 1828 et Dalloz, n° 192.)

Et ce qui est vrai des individus est, à plus forte raison, vrai des êtres moraux.

On a invoqué l'autorité de Portalis pour démontrer l'importance du principe de non-rétroactivité. Eh bien, j'invoque la même autorité pour établir que le principe de la non-rétroactivité n'est pas violé dans le projet de loi qui nous est soumis. Voici ce que disait Portalis au corps législatif le 23 frimaire an X :

« Je ne comprends pas comment on peut ne voir qu'un danger dans cette maxime (la maxime de non-rétroactivité). On a été tenté de la présenter comme un piège dont on pouvait abuser pour faire rétrograder la révolution. Car, nous a-t-on dit, si vous admettez la non-rétroactivité des lois, que répondrez-vous à celui qui viendra vous dire : J'étais noble, j'avais des rentes féodales, j'avais l'espérance d'une substitution, j'avais acheté le droit de vie et de mort en ma qualité d'officier du parlement ; vous n'avez pu détruire tout' cela par des lois rétroactives, vous reconnaissez pourtant que les lois ne peuvent plus avoir d'effet rétroactif : donc en vertu de votre maxime, il faut me rendre ce que vous m'avez ôté.

« J'avoue que si on me proposait pareille objection, je serais moins modeste que l'orateur qui paraît craindre que l'on ne pût pas y répondre.

« Détruire une institution qui existe, ce n'est certainement pas faire une loi rétroactive, car si cela était, il faudrait dire que les lois ne peuvent rien changer. Le présent et l'avenir sont sous leur empire. Elles ne peuvent certainement pas faire qu'une chose qui existe n'ait pas existé ; mais elles peuvent décider qu'elle n'existera plus. Or, voilà tout ce qu'ont fait les lois qui ont détruit les fiefs, la noblesse et les parlements.

» Quant aux substitutions, la loi qui les abroge n'est pas plus rétroactive que ne l'étaient d'anciennes lois qui les avaient réduites à trois degrés. »

Eh bien, ce que Portalis dit des institutions est également vrai des établissements publics. Une loi qui dirait : Il n'existera plus de fondations, serait une loi bonne ou mauvaise ; nous aurions à l'apprécier ; mais à coup sûr ce ne serait pas une loi rétroactive. Une loi qui dirait : Certaines fondations ont existé jusqu'ici dans certaines conditions ; à l'avenir elles existeront dans d'autres conditions, ne serait pas une loi rétroactive ; et précisément notre projet de loi se borne à dire que les fondations qui ont existé jusqu'aujourd'hui dans telles conditions, existeront à l'avenir dans telles autres conditions.

Le reproche de rétroactivité, à ce premier point de vue au moins, n'a donc pas d'importance.

On insiste sur ce reproche de rétroactivité et l'on prétend qu'il y a des droits acquis violés par le projet de loi.

(page 745) Quels seraient les droits acquis qui pourraient être violés ?

Il est évident qu'on respecte les droits, acquis ou non, des institués ; on est obligé de le reconnaître. Cependant l'on manifeste des craintes ; on redoute de voir ces droits violés un jour.

Si une nécessité sociale en exigeait un jour le sacrifice, il faudrait bien les sacrifier. Mais une pareille nécessité sociale n'est pas à prévoir et l'on se préoccupe évidemment ici d'une crainte chimérique et probablement feinte.

Range-t-on au nombre des droits acquis les droits des collateurs et des administrateurs ?

Les collateurs et les administrateurs ont-ils de semblables droits ?

On a bravement dit : Oui. On a admis qu'il y avait des droits acquis, même pour les collateurs et pour les administrateurs futurs. Cela a été dit ; on a proclamé une solution affirmative de notre question, sans songer à y mettre la moindre restriction.

Puisqu'on prétend que cet argument est sérieux, examinons-le.

Prenons d'abord les collateurs ou les administrateurs futurs. Qui sont-ils ? On n'en sait rien. Ce sont des personnes indéterminées. Qu'ont-ils ? Ils ont tout simplement une espérance ; ils ont l'expectative de la collation.

Voilà donc un droit qui a pour sujet des personnes indéterminées, qui a pour objet une simple expectative, c'est-à-dire que c'est en définitive, un droit qui n'a ni sujet ni objet, et par conséquent un droit qui n'existe pas. C'est ce droit que l'on appelle droit acquis.

Préférez-vous placer la question sur le terrain des collateurs ou des administrateurs actuels ? Mais je l'ai démontré tout à l'heure, les collateurs et les administrateurs remplissent un service dont en définitive la société garantit la bonne exécution ; le service qu'ils remplissent est donc un véritable service public. Le droit de remplir ce service n'est pas susceptible d'entrer dans le domaine privé. Il n'y a donc pas encore là de droit acquis possible et par conséquent il n'y a pas de rétroactivité.

D'ailleurs, messieurs, quels sont les administrateurs et les collateurs qui pâtissent de la prétendue rétroactivité que l'on veut voir dans le projet. Ce sont des titulaires de fonctions publiques ou des titulaires d'offices ecclésiastiques ; pour les premiers, l'Etat peut les dépouiller de leur prétendu droit ; pour les seconds, l'Eglise peut les dépouiller, et la loi ne pourrait pas ce que peut l'Etat, ce que peut l'Eglise !

Voila la conséquence à laquelle on aboutit.

Le prétendu droit acquis, s'il existait, ne serait, d'ailleurs pas un droit appartenant à des personnes, ce serait un droit appartenant à des fonctions. Or, ces fonctions n'ont pas reçu de la loi capacité d'acquérir des droits, la loi n'a pas assimilé ces fonctions à des personnalités fictives.

Allons plus loin, supposons que le législateur ait attribué à certaines fonctions cette capacité fictive d'avoir des droits.

Mais ne serait-il pas toujours libre de les dépouiller ? Tout ce qui a trait aux personnes fictives est dans le domaine du législateur. Il peut les supprimer et il peut, par conséquent, en modifier les conditions d'existence sans encourir le reproche de rétroactivité.

C'est en vain qu'on prétend avoir tout dit en invoquant ce grand mot : Vous ne réussirez pas à éviter une discussion plus sérieuse.

C'est une discussion de fond que vous devez entamer, mais vous ne pouvez pas vous retrancher derrière une fin de non-recevoir, derrière un prétendu principe de non-rétroactivité.

On a essayé encore de renforcer l'argument de la rétroactivité en donnant au droit des collateurs la qualification de droit civil. Il importe assez peu que le droit soit civil ou qu'il soit politique, il suffit qu'il ne soit pas acquis pour qu'il n'y ait pas de rétroactivité possible.

Je veux bien admettre que ce soit un droit civil, mais la loi qui organise les fondations n'est pas une loi civile, c'est une loi politique.

Or, l'institution créée par une loi politique ne peut pas prétendre à la perpétuité des mêmes conditions d'existence, en s'abritant derrière le principe de la non-rétroactivité.

Avec l'institution doivent se modifier aussi les droits qui découlent d'elle, même quand ce sont des droits civils.

Les droits des substitués étaient certainement des droits civils ; la loi est venue supprimer les substitutions, et le droit des substitués est tombé avec elle, sans que le principe de non-rétroactivité fût méconnu.

A tous les points de vue donc, messieurs, le reproche de rétroactivité est absurde.

Messieurs, j'ai terminé l'examen de ce projet qu'on nous avait dépeint sous des couleurs si sombres ; je lui ai reproché de ne pas tenir assez compte du droit des communes, mais, ce point excepté, je ne comprends absolument rien aux clameurs qui ont accueilli le projet.

Que fait-il ? Il se borne en définitive à créer le patrimoine de la liberté d'enseignement et à reconstituer à côté de lui le patrimoine de l’enseignement public.

Le premier se composera d'un vaste fonds de ressources pécuniaires, fonds où pourront venir puiser tous les affamés de science pour aller ensuite chercher l'enseignement partout où ils le voudront, sans qu'aucune condition puisse leur être imposée.

Les libéralités faites à l'enseignement d'une autre époque et qui se rapportent à des organisations de l'instruction disparues depuis longtemps, ces libéralités iront augmenter le patrimoine de la liberté d'enseignement.

Mais la liberté d'enseignement n'est personnifiée que dans la synthèse ; les diverses doctrines écloses sous l'influence de la liberté ne pourront pas obtenir chacune une personnification distincte. L'enseignement public sera seul à avoir la sienne parce que des raisons spéciales, des raisons d'utilité sociale justifient cette exception.

Voilà, messieurs, quels sont les principes du projet. Les récapituler, les indiquer avec calme, c'est, d'après moi, détruire toutes les déclamations dont le projet de loi a été l'objet.

On parle beaucoup de liberté, mais ce que l'on revendique au nom de la liberté c'est le privilège ; il y a un privilège pour l'enseignement de l'Etat, on veut le même privilège pour l'enseignement de l'Eglise. Pour donner à ce privilège l'apparence de la liberté, on n'hésite pas à ériger en règle de droit commun ce que tous les législateurs ont toujours considéré comme des principes exceptionnels.

Tout le système de l'opposition repose ainsi sur des abus de mots. A défaut de logique, on apporte dans le débat des passions ardentes.

Mais en comparant l'ardeur des passions à la faiblesse des arguments, au service desquels on les emploie, on arrive à se demander si cette animation extrême ne dérive pas d'impressions qu'on passe sous silence !

Le mot de l'énigme ne serait-pas dans cette phrase stéréotypée depuis trois mois dans les journaux conservateurs : « Le projet de loi spolie l'université de Louvain de ses bourses d'étude ! » Oui, messieurs, les bourses anciennes sont, dans l'esprit de beaucoup de gens sincères les bourses de l'université de Louvain ; celle-ci a exploité habilement des circonstances favorables à ses intérêts de manière à obtenir la jouissance presque exclusive des bourses de fondation.

Je me garderai bien de lui en faire un reproche, mais elle ne peut évidemment pas considérer cet état de fait comme constituant un état de droit. Le projet rendra à l'avenir la même situation moins facile à créer, j'en conviens volontiers. Cela peut causer aux défenseurs de l'université catholique des émotions et même des colères ; mais ce sont des émotions et des colères dont le pays ne veut pas se préoccuper et auxquelles il ne s'associera point.

(page 747) M. Landeloos. - Messieurs, lorsqu'un gouvernement croit devoir saisir la législature d'un projet de loi qui intéresse les grands partis politiques et qui tient à la fois à l'une de nos libertés constitutionnelles et au droit sacré de la non-rétroactivité, il faut que ce projet reflète dans toutes ses dispositions cet esprit de large liberté que consacre notre Constitution ; il faut que ses dispositions soient en tout conformes aux bases fondamentales du droit de propriété ; il faut, enfin, que la présentation de ce projet ait été réclamée par une impérieuse nécessité.

Eh bien, messieurs, je n'hésite point à vous le dire, le gouvernement paraît avoir complètement méconnu ces principes dans le projet qu'il nous a présenté.

Au lieu d'y rencontrer des mesures propres à favoriser l'essor de la liberté en matière d'enseignement, nous voyons le ministère y apporter toutes sortes d'entraves ; nous le voyons, suivant en tout et toujours les principes du doctrinarisme, vouloir faire absorber par l'Etat les libéralités destinées à des établissements libres.

Nous le voyons ensuite, ne tenant aucun compte des droits acquis, s'arroger le pouvoir d'annuler tls clauses et les conditions des testaments et des conventions passées sous l'empire d'une législation qui les permettait.

Un tel projet est jugé. Il revêt tous les caractères de l'injustice et de l'iniquité.

L'honorable M. Kervyn de Lettenhove et après lui l'honorable comte de Liedekerke en ont fait la démonstration la plus évidente.

L'honorable orateur qui vient de se rasseoir a essayé d'énerver les considérations pleines de justesse que ces honorables membres avaient fait valoir.

Y est-il parvenu ?

Je ne le pense pas.

En prenant h parole, messieurs, je n'ai pas l'intention de le suivre dans tous ses développements.

Je crois devoir me borner à examiner une seule question, question qui, d'après moi, domine tout le débat, à savoir celle relative au principe de la rétroactivité qui se trouve posé dans le projet que nous discutons.

Par les dispositions transitoires contenues dans le chapitre IV du projet de loi, on dépouille les administrateurs et les collateurs des bourses anciennes du droit de gestion et de collation que les fondateurs leur ont donné. Le législateur en a-t-il le droit ? Telle e t la question que nous avons à élucider.

Il est un principe d'éternelle justice, que la loi ne dispose que pour l'avenir, qu'elle n'a pas d'effet rétroactif.

L'honorable M. Van Humbeeck admet le principe avec la majorité de la section centrale ; mais avec elle il croit devoir y apporter un tempérament ; il soutient qu'il y a des cas où des lois nouvelles peuvent étendre leur empire sur le passé ; il prétend que lorsqu'il s'agit de lois politiques, le principe de la non-rétroactivité des lois ne peut être invoqué ; il prétend que les lois relatives aux fondations de bourses d'études doivent être rangées parmi les lois politiques ; que les fondations, étant créées en vue de l'intérêt général, en vue de l'intérêt public, ne peuvent être maintenues qu'autant que l'exigent ces intérêts, que dès lors on ne peut contester que le législateur n'ait le droit d'introduire des changements dont l'utilité serait démontrée, quand bien même on violerait en partie la volonté des fondateurs.

Vous le voyez, messieurs, d'après l’honorable M. Van Humbeeck et d’après la majorité de la section centrale, c'est l'intérêt général qui doit seul guider le législateur dans les mesures qu'il croirait devoir prendre en ce qui concerne les fondations de bourses.

Mais l'honorable membre et la majorité de la section centrale ont-ils bien songé aux conséquences terribles que peut amener l'application d'une telle doctrine ?

A-t-on oublié que c'est en s'appuyant sur ce prétendu intérêt général que la Convention nationale a porté comme lois politiques ses décrets de spoliation et de confiscation ?

A-t-on oublié que c'est en faisant passer avant la justice ce qu'elle osait appeler l'intérêt général qu'elle confisquait les biens des émigrés, qu'elle confisquait le patrimoine des familles, qu'elle confisquait les biens des pauvres ? Ne craint-on pas que dans la suite le socialisme ne s'empare également de cette même doctrine pour faire passer son détectable système, pour faire décréter, que l'intérêt général, l'intérêt public exige le sacrifice des biens des citoyens ?

J'aime à croire que l'honorable M. Van Humbeeck, pas plus que la majorité de la section centrale, n'a songé à ces funestes conséquences.

Il l'aurait fait d'autant moins s'il s'était ressouvenu que la Convention nationale elle-même a eu honte dans la suite des mesures spoliatrices que les passions surexcitées lui avaient fait voter pendant la tourmente révolutionnnaire.

En effet, ne l'a-t-on pas vue, lorsqu'elle était rendue à des moments plus calmes, s'empresser de suspendre et ensuite de rapporter ses décrets relatifs à la spoliation des biens des pauvres et des fondations de bourses ?

Messieurs, l'honorable M. Kervyn de Lettenhove a fait l'historique des décrets spoliateurs qui ont été portés pendant la première période révolutionnaire ; il nous a également rappelé les mesures réparatrices dont ils ont été suivis.

De cette revue rétrospective, faite par l'honorable membre, il est résulté qu'à mesure qu'on s'éloignait de cette époque néfaste de la révolution française où l'on foulait aux pieds les règles inviolables de la propriété, qu'à mesure que l'ordre se rétablissait, et que la justice reprenait son empire, le gouvernement français a toujours manifesté l'intention de faire exécuter scrupuleusement la volonté des fondateurs, qu'il n'a jamais permis qu'on portât atteinte aux droits acquis, et qu'il a ainsi rendu hommage au grand principe de la non rétroactivité des lois.

Après la chute de l'empire, nous voyons le roi Guillaume suivre les mêmes errements.

D'abord, par l'article 158 du règlement organique du 25 septembre 1856 sur l'enseignement supérieur, il ordonne que les bourses provenant de quelque contrat ou disposition testamentaire de particuliers, soient administrées conformément aux vontrats et aux dispositions des fondateurs. Il complète ensuite cette pensée par les arrêtés de 1818, de 1823 et de 1829.

On y consacre le principe qu'en matière de fondations de bourses l'autorité administrative doit toujours se conformer à la volonté des fondateurs, non seulement en ce qui concerne le droit des institués, mais encore en ce qui regarde le droit d'administration et de collation. Il va même plus loin : il veut que pour le cas où des tiers se croiraient lésés par une décision administrative, ils aient le droit de recourir aux tribunaux. En présence des dispositions par lesquelles le roi Guillaume voulait que les contestations relatives au droit des institués et au droit d'administration et de collation des bourses fussent du ressort des tribunaux, il est impossible de contester qu'il ne les ait rangées parmi les droits civils, et qu'il n'ait dès lors reconnu que les fondations de bourses constituent de véritables propriétés, qui, comme telles, doivent jouir de tous les avantages qui sont attachés au droit de propriété.

Par le projet de loi qui nous est soumis, que fait le gouvernement ? Il veut bien reconnaître le droit des institués à la jouissance des bourses ; il veut bien encore reconnaître le droit de collateur aux parents des fondateurs, mais il enlève nonobstant les clauses et conditions contenues dans les actes de fondation : 1° Le droit d'administration aux parents des fondateurs ; Et 2° le droit d'administration et de collation aux collateurs et administrateurs étrangers désignés par le fondateur.

Le gouvernement peut-il s'arroger un droit ainsi exorbitant ; peut-il changer à sa guise la volonté des fondateurs ? Je n'hésite pas à répondre négativement.

La fondation d'une bourse constitue une personne civile ; elle tient tout à la fois aux droits politiques et aux droits civils ; comme tenant aux droits civils, les lois sous l'empire desquelles elle a pris naissance doivent la régir.

Pour lui dénier ce droit, on est obligé en quelque sorte de confondre deux espèces de fondation : les fondations en faveur de l'enseignement et les fondations en faveur des boursiers.

Il est essentiel, messieurs, de bien distinguer.

Je puis comprendre qu'à l'égard des fondations en faveur de l'enseignement le gouvernement ait un droit beaucoup plus étendu que celui qui lui compète en ce qui concerne les fondations en faveur des boursiers.

Je puis concevoir que les premières ne constituaient pour ainsi dire qu'un droit purement politique parce que le législateur ou le gouvernement lorsqu'il en a autorisé l'acceptation a voulu que ces fondations fissent en quelque sorte partie intégrante de l'institution à laquelle il les a rattachées. Je comprends, dès lors, que ces fondations doivent subir le sort de l'institution même dont elles ne forment que l'accessoire. Et l'on peut d'autant plus concéder à la législature le droit de les réglementer que les fondateurs n'ont été mus que par un seul mobile, savoir l'intérêt de la science. Ils n'ont eu en vue que son progrès ; ils n'ont voulu que coopérer à la diffusion des lumières.

Mais d'autres motifs déterminants font agir le fondateur de bourses, celui-ci est d'abord et avant tout mû par l’intérêt des institués. L'affection qu'il leur porte l’engage à mettre à leur disposition certaines (page 748) ressources, au moyen desquelles il veut les mettre à même de pouvoir aspirer aux plus hautes positions sociales.

Un autre motif détermine souvent aussi le fondateur. C'est la prédilection qu'il a pour les habitants de la localité où il érige sa fondation. Il veut qu'eux aussi profitent de son bienfait. Ou bien encore c'est la confiance que lui inspirent les doctrines professées dans certains établissements d'instruction, qui l'engage à favoriser ces établissements. En conséquence, il appose pour condition à sa libéralité, que l'institué ne pourra en jouir que pour autant qu'il fasse ses études dans telle localité, ou qu'il suive les cours de tels établissements.

Si la fondation a été érigée dans de telles conditions, il en résulte que le fondateur a eu en vue de constituer en quelque sorte un patrimoine en faveur des institués.

Pour déterminer la nature des droits qui y sont inhérents, il faut se reporter à l'époque où l'institution a été érigée ; on doit examiner les clauses et conditions sous lesquelles le gouvernement en a permis l'érection.

Si ces clauses et conditions te sont pas contraires aux lois qui étaient en vigueur au moment de leur érection, les fondateurs ou leurs représentants ont un droit acquis à leur exécution.

En effet, une espèce de contrat synallagmatique est intervenu entre le gouvernement et le fondateur, qui leur donne réciproquement le droit d'exiger que leurs conventions soient exécutées de bonne foi.

Je reconnais, messieurs, qu’aucune fondation de bourse ne peut exister sans l’agrément du gouvernement ; que c'est l'autorisation du gouvernement seule qui y donne le caractère de personne civile.

Je reconnais également que le gouvernement est juge suprême de son utilité et de sa convenance ; que le gouvernement doit apprécier les conditions auxquelles on veut que la fondation soit érigée.

Si le gouvernement croit que l'intérêt public, que l'ordre social s'oppose à ce qu'une fondation de bourse soit érigée d'après les conditions stipulées dans l'acte de fondation même, le gouvernement est en droit de refuser l'autorisation nécessaire pour lui donner l'existence légale.

Mais si le gouvernement croit que les stipulations contenues dans l'acte de fondation ne sont pas contraires à l'intérêt général et si, d'autre part, la loi permet la convention sous laquelle la fondation est érigée, ii est évident que le gouvernement n'a pas le droit de ne point respecter la volonté du fondateur.

La législation sous laquelle les anciennes bourses ont été érigées, accordait le pouvoir aux fondateurs de désigner des administrateurs et collateurs spéciaux et de désigner aussi l'endroit où les institués devaient jouir des bourses.

Il est impossible messieurs, sans porter atteinte au principe de la non-rétroactivité des lois, de déclarer comme non avenues les conditions sans lesquelles les fondateurs n'auraient jamais consenti à poser leur acte de libéralité.

Vous le pouvez d'autant moins, messieurs, que, d'après les conditions contenues dans les actes de fondation, plusieurs jugements, plusieurs transactions sont intervenus qui ont reconnu le droit de collation, le droit d'administration à ceux qui en sont actuellement chargés. En modifiant ces clauses et conditions, vous portez donc atteinte non seulement aux clauses contenues dans les actes de fondation mêmes, mais encore aux droits résultant de la chose jugée, et à ceux résultant des transactions.

Mais qu'est-il besoin de recourir aux arrêtés du roi Guillaume pour vous démontrer que d'après lui les droits résultant des fondations, en tant qu'ils concernent l'administration et la collation, doivent être rangés parmi les droits civils ?

Mais qu'est-il besoin d’entrer dans de plus longs développements, quand vous-mêmes vous avez rendu hommage à ce principe en 1859, quand vous avez reconnu vous-mêmes qu’on ne pouvait pas porter atteinte aux clauses des actes qui avaient été faits sous une législation qui permettait de nommer des administrateurs et des collateurs ? Qu'avez-vous fait en 1859 quand il s'est agi d'apporter une modification par voie interprétative à l'article 84 de la loi communale ?

Vous aviez d'abord cru devoir purement et simplement modifier la disposition dans les termes proposés par le gouvernement. Vous n'aviez pas pensé qu'il fût nécessaire d'y introduire un amendement quelconque ; mais au sénat un honorable membre de cette assemblée pour enlever à la disposition nouvelle le principe de rétroactivité dont elle aurait pu être entachée, crut de son devoir de proposer l'article additionnel suivant :

« Les fondations autorisées en vertu de l'article 84, paragraphe 2 de la loi communale, antérieurement à la promulgation de la présente loi, continueront à être administrées conformément aux actes d'autorisation, sauf au gouvernement à prescrire, s'il y a lieu, par arrêté royal, les mesures propres à assurer le contrôle de la gestion des biens donnés ou légués, et leur conservation. »

Cet article fut voté à l'unanimité par le Sénat et n'a rencontré également aucune opposition au sein de la Chambre.

Eh bien, messieurs, en présence d'un tel principe que la Chambre a voté, comment est-il possible de soutenir que la loi actuelle, qui porte formellement qu'on n'aura égard à aucune stipulation des actes nés sous une législation qui permettait la nomination d'administrateurs et de collateurs spéciaux, ne viole pas ce principe sacré que la loi n'a pas d'effet rétroactif, et qu'elle ne dispose que pour l'avenir. Si malheureusement ce principe devait prévaloir, ce serait une contradiction manifeste avec celui que vous avez consacré dans la loi du 3 juin 1859.

Je vais plus loin, je suppose pour un instant, supposition que je ne puis cependant pas admettre, je suppose que le législateur ait le droit de changer, de modifier le régime des lois ou des arrêtés qui concernent les fondations de bourses, qu'il entre dans son domaine d'apporter des modifications au régime d'administration et de collation, encore faudrait-il qu'il y eût impérieuse nécessité.

Il ne suffit pas, pour avoir le droit de modifier une législation antérieure, d'alléguer en termes vagues que cette loi est contraire à l'esprit qui anime aujourd'hui une partie de notre société.

Pour pouvoir changer le mode d'administration et de collation tel qu'il a été établi par les fondateurs sous une législation qui l'autorisait, il faut qu'on fasse voir les abus que ce régime a produits, il faut qu'on démontre la nécessité d'y apporter un prompt remède. Est-on parvenu à faire voir ces abus ? est-on parvenu à démontrer cette nécessité !

M. Van Humbeeck n'a pas tenté de le faire. C'est donc dans le rapport de la section centrale que nous devons rechercher si réellement on en a administré la preuve.

A la page 14, la majorité de la section centrale dit : (L'orateur donne lecture de ce passage.)

Pour tenir un tel langage, il faudrait faire connaître les abus que le régime actuel a produits.

M. Baraµ. - Nous les ferons connaître.

M. Landeloos. - Pour le démontrer il faudra naturellement faire connaître qu'il y a eu détournement, dilapidation des deniers des fondations, qu'il y a eu mauvaise administration. Comment l'établit-on ? Où sont les preuves de ce qu'on avance ? Lorsque j'examine les pièces qui ont été produites, lorsque je scrute les rapports des députations permanentes, je trouve que pas un reproche n'a été adressé à l'administration des fondations de bourses ; toutes les députations permanentes, depuis 1850 jusqu'à ce jour, n'ont trouvé aucun vestige de mauvaise administration, de mauvais emploi, de détournement, de vol quelconque qui aurait été commis au détriment des fondations. Loin de là, toutes les députations permanentes qui, en vertu des arrêtés de 1818 et de 1823, sont tenues de contrôler la gestion des administrations spéciales, ont rendu hommage à ces administrations ; toutes reconnaissent que les stipulations des fondations ont été scrupuleusement exécutées, que les règles de comptabilité ont été strictement observées.

Et c'est en présence de tels documents que l'on vient prétendre qu'il y a des abus, que leur gestion laisse à désirer !

Mais, messieurs, est-ce qu'on est bien en droit de soutenir un tel système lorsque dans les administrations officielles, dans les administrations légales on trouve les abus les plus graves, les abus les plus révoltants que l'on ne rencontre point dans les administrations spéciales ?

Ainsi, messieurs, si je n'examine que ce qui s'est passé dans mon arrondissement, j'y vois que la commission des hospices de la ville de Louvain n'a reçu depuis 1807 à 1829 inclusivement aucun compte de son receveur, que ce n'est qu'après son décès que l'on a forcé ses héritiers à présenter les comptes.

Savez-vous ce qui est résulté de l'examen de ces comptes ? C'est qu'il était reliquataire d'une somme de fr. 100,156-15. Ce n'est qu'en 1859 que le reliquat a été liquidé et finalement soldé aux hospices, après que ceux-ci ont dû faire un sacrifice de 20,000 fr.

Voilà probablement, messieurs, le régime que vous voudriez voir suivre dans l'administration des bourses !

Le second exemple est celui qui vient encore de se présenter dans la ville de Diest. Là encore nous voyons les receveurs de la commission des hospices rester en défaut de présenter les comptes pendant 8 années.

De 1847 à 1854 aucun compte n'a été produit, et quand les comptes ont enfin été arrêtés par le conseil communal de la ville de Diest, il y avait un reliquat au profit des hospices de fr. 86,173-65.

Voilà, messieurs, les abus dont on ne parle pas, tandis qu'au contraire (page 749) dans l'administration des bourses je vous défie de pouvoir en citer un seul qui se rapprocherait de ceux que je vous ai fait connaître. (Interruption.)

Vous prétendez, messieurs, que vos administrations sont, en quelque sorte, incapables de commettre un abus quelconque, que là les détournements, les vols sont impossibles ?

Avez-vous oublié qu'il n'y a pas longtemps, le directeur du mont-de-piété de Louvain est parti en emportant avec lui une somme de plus de 300,000 francs !

M. Hymans. -• Qu'est-ce que cola prouve ?

M. Van Overloop. - Cela prouve que les administrations civiles ne valent pas mieux que les autres.

M. Landeloos. - Si c'est d'un pareil régime que vous voulez nous doter, ah ! messieurs ,nous ne vous l'envions guère, gardez-le pour vous.

En présence d'abus aussi criants, on aurait bien dû se garder de dire qu'il était nécessaire de modifier le système actuel du pays, que le contrôle était impossible.

Chacun sait que d'après les arrêtés de 1823 les comptes doivent être soumis aux députations permanentes, que ces comptes doivent être produits avec pièces justificatives et qu'ils ne sont approuvés que pour autant que toutes les dépenses aient été démontrées justes et nécessaires.

Et l'on prétendra que le contrôle n'existe pas ! Mais, messicurs, si réellement un abus quelconque existe, proposez-nous des mesures de nature à l’empêcher.

Dans l'intérêt de la fondation nous vous suivrons dans cette voie et nous nous empresserons d'accueillir toutes les dispositions tendantes à l'extirper.

Mais non ! un autre mobile vous fait agir, mobile que nous démasquerons tout à l'heure.

Mais, dit-on, un second grief existe. Ce second grief consiste, d'après la majorité de la section centrale, en ceci.

Depuis trop longtemps, dit-elle, grâce à une législation vicieuse, la liberté des élèves et des familles n'est pas entière. Les collèges de collation, poussés, si l'on veut, malgré eux, par leurs idées et leurs sympathies, n'accordent leurs faveurs qu'aux jeunes gens qui fréquentent certains établissements privés ; on exerce ainsi sur le pays une pression fâcheuse.

Autant de mots, messieurs, autant de contre-vérités.

Je reconnais que l'université de Louvain a plus d'élèves que les trois autres universités, et de ce que cette université a plus d'élèves que les trois autres on en déduit la conséquence que cette université s'empare de toutes les bourses anciennes qui ont été fondées antérieurement et qu'en fait les collateurs ne font que subir, malgré eux, une influence qui les pousse à accorder la préférence aux jeunes gens qui fréquentent l'université de Louvain.

Eh bien, il n'en est rien. Les collateurs, lorsqu'ils sont chargés de conférer une bourse quelconque, ont soin d'appeler tous les intéressés, tous ceux qui croient avoir droit à la bourse, à présenter leurs titres, à faire voir s'ils ont un droit de préférence sur les autres postulants.

Jamais, au grand jamais les collateurs, dans l'appréciation des titrès, n'ont eu égard plutôt à tel établissement qu'à tel autre. (Interruption.)

Ils y ont eu égard, messieurs, lorsque la volonté du fondateur leur en imposait l'obligation. Alors ils ont agi en acquit de leur conscience, en vertu de leur droit. Ceci est tellement vrai, que lorsqu'il s'est agi de la collation d'une bourse d'études à laquelle prétendait droit un étudiant de la ville de Gand, on lui a fait connaître que d'après l'acte de fondation, d'après une transaction qui était intervenue entre la ville de Louvain et l'héritier du fondateur, il fallait que l'étudiant suivît les cours donnés à l'université de Louvain.

Le postulant croyait au contraire pouvoir suivre les cours de l'université qui lui paraissait la plus convenable à ses intérêts.

Croyez-vous, messieurs, que les collateurs ont immédiatement confié cette bourse à l'étudiant qui déclarait vouloir suivre les cours de l'université de Louvain ? Aucunement.

Avant de prendre une résolution, ils ont voulu s'éclairer de toutes les lumières et ils se sont adressés à des hommes dont vous ne récuserez pas l'autorité, à l'honorable M. Mascart, ci-devant président du conseil provincial du Brabant, qui certes, messieurs, avait toutes vos sympathies. Celui-là a trouvé que, d'après la volonté du fondateur, d'après les termes de la transaction, h bourse ne pouvait être conférée que pour autant que l'étudiant voulût se soumettre à l'obligation de suivre les cours de l'université de Louvain.

Non contents de cet avis, ils ont encore voulu s'adresser à un autre jurisconsulte dont vous ne contesterez pas non plus l'autorité, c'est l'honorable M. Forgeur, qu'ils ont consulté, et celui-ci a aussi été d'avis que l'on pouvait et que l'on devait imposer cette condition à l'étudiant.

Et c'est en présence de telles preuves que vous prétendez que les collateurs ne suivent que l'impulsion qu'ils reçoivent de certaines personnes, qu'ils ne sont mus que par l'intérêt qu'ils portent à tel établissement plutôt qu'à tel autre ? Ce fait donne un démenti formel à tout ce qu'on a dit à cet égard.

L'honorable rapporteur de la section centrale continue : « Qu'on ne dise pas que c'est une accusation sans preuve, car quelle preuve plus péremptoire et plus accablante que cette absorption de presque tout le domaine des bourses par les élèves de l’université de Louvain ? »

Eh bien, cette preuve si accablante que l'honorable membre croit trouver dans cette prétendue absorption du revenu de toutes les bourses par les étudiants qui suivent les cours de l'université de Louvain, cette preuve n'existe aucunement. S'il résulte du nombre des étudiants qui suivent les cours de quatre universités que ce n'est que proportionnellement au nombre de ses élèves que des bourses ont été conférées, alors votre argument tombe ; il n'a plus de base.

Eh bien, lorsqu'on examine le relevé des élèves des quatre universités et lorsqu'on en déduit nommément les élèves du génie civil de Gand et de l'école des mines de Liège qui ne peuvent pas être rangés parmi les élèves qui ont droit aux fondations de bourses, parce qu'à l'époque où ces fondations de bourses ont été créées, elles ne l'ont pas été en faveur de ce genre d'études, je dis qu'alors il en résulte que c'est proportionnellement au nombre des étudiants qui suivent les cours des quatre universités que les bourses ont été conférées aux élèves de l'université de Louvain et aux élèves des autres universités.

Si ensuite on examine le chiffre des bourses, ou, pour mieux dire, les sommes qui ont été allouées aux élèves de l'université de Louvain, alors encore on reconnaîtra que ces élèves ont proportionnellement même moins que les élèves des autres universités. Ainsi, par exemple, en ce qui concerne les bourses dont le siège se trouve placé à Louvain, et qui pour la plupart sont administrées par M. Staes, sauf quatre ou cinq, nous voyons qu'en 1856, le revenu s'est élevé à 124,192 fr. 47 c. Or, voulez-vous connaître quelle est la somme qui a été allouée en bourses aux élèves fréquentant l'université de Louvain ?

Je ne parle certes pas des élèves qui suivent les cours de théologie ; je ne crois pas que les bourses qui concernent la théologie doivent entrer en ligne de compte ; vous voudrez certainement être assez généreux pour ne pas prétendre que ces bourses puissent être conférées aux élèves des trois autres universités. Eh bien, sur ces 124,192 fr. 47, la somme allouée en bourses aux élèves fréiu.ntant l'université de Louvain a été de 22,973 fr. 67 c.

En 1857, nous voyons que sur un revenu de 127,037 fr. 81, les élèves fréquentant l'université de Louvain n'ont obtenu que 23,686 fr. 56.

M. Hymans. - Qu'a-t-on fait du reste ?

M. Landeloos. - En 1858, les revenus s'élevaient à 129,568 fr. 62 c. On n'a conféré des bourses que pour une somme de 25,234 fr. 3 c. aux élèves de l'université de Louvain.

En 1859, le revenu a été de 133,497 fr. 7 c. Les élèves de Louvain ont obtenu, en bourses, 25,215 fr. 75 c.

Enfin, en 1860, les revenus se sont élevés à 146,911 fr. 45 c. et les élèves de l'université de Louvain n'ont obtenu que 24,914 fr. 8 c. (Interruption.)

- Plusieurs membres. - Qu'a-t-on fait du reste ?

M. Landeloos. - Voilà donc comment l'université de Louvain absorbe à elle seule tout le revenu des fondations ! L'université de Louvain est parvenue à se faire remettre probablement les 125,000 fr. ? Je viens de vous démontrer que le chiffre qu'elle reçoit ne s'élève en réalité annuellement qu'à 23 ou 25 mille francs.

M. Muller. - Mais qu'a-t-on fait du reste ?

M. Landeloos. - C'est donc à peu près le cinquième que les élèves fréquentant l'université de Louvain ont obtenu ?

- Plusieurs membres : Et le reste, qu'en a-t-on fait ?

M. Muller. - Nous demandons loyalement une explication.

- Plusieurs membres. - On vous la donnera.

M. Landeloos. - On a conféré le reste à des séminaires qui y avaient droit...

- Plusieurs membres. - Ah ! ah !

M. Landeloos. - Il aurait fallu probablement fouler aux pieds la volonté des fondateurs. Voilà ce que vous auriez voulu. Oh ! si au lieu d'employer les fonds qui étaient destinés aux séminaires, selon la volonté des fondateurs, on les avait donnés à l'université libre de Bruxelles, aux universités de Gand et de Liège, vous n'auriez pas blâmé ce système ; vous auriez appmaudi ; mais c'est parce qu'on suit simplement la volonté des fondateurs que vous vous récusiez ; vous prétendez fouler aux pieds ces (page 750) volontés Eh bien, je dis que cela n'est pas digne de personnes qui se respectent.

M. Muller. - Votre effet est manqué.

M. Landeloos. - Ces bourses ont été données aux élèves des séminaires ; mais des sommes ont également été données à des élèves d'autres universités. Elles ont été données en partie à des écoles moyennes ; elles ont été données en partie aux élèves qui fréquentaient le cours de théologie à l'université de Louvain. Je reconnais tous ces faits. Mais de quel droit venez-vous vous plaindre, lorsqu'on ne fait que suivre les volontés des testateurs, lorsque, avant de conférer les bourses, on a soin de s'en référer aux lumières de personnes dont vous ne récuserez pas l'autorité ?

MJTµ. - Il y aurait un calcul beaucoup pins simple, si vous voulez faire de la statistique ; c'est de comparer les bourses pour le droit et pour la médecine qui ont été réparties entre les quatre universités et laisser de côté la théologie.

M. Landeloos. - Vous le ferez si vous le jugez convenable, mais si nous examinons ce qui existe pour les antres universités, nous trouvons que dans certaines provinces les fondations de bourses s'élèvent également à un chiffre très élevé.

Ainsi, par exemple, les fondations de bourses qui existent dans la province de Liége donnent un revenu annuel de 32,777 fr. 58 c.

Les fondations de bourses qui existent dans la province de Limbourg s'élèvent à une somme de 26,398 fr. 90 c. en tout 58,676 fr. 48 c.

Eh bien, messieurs, presque toutes ces bourses ont été conférées à des étudiants qui fréquentent l'université de Liége.

MTJµ. - Du tout ! du tout !

M. Landeloos. - Dans les provinces de Flandre occidentale et orientale nous voyons qu'il existe des bourses dont le revenu s'élève à 18,341 fr. 54 c. ; si l'on ajoute ensuite à cette somme celle de 20,000 fr., qui, si je ne me trompe, est accordée par la province et par la ville de Gand, pour être convertie en bourses, il s'ensuit que les faveurs accordées aux élèves qui suivent les cours de l'université de Gand sont beaucoup plus élevées que celles qu'on se plaint de voir accorder à l'université de Louvain.

D'ailleurs, messieurs, ce qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est que la plupart des fondations portent cette clause qu'à défaut de parents, les jeunes gens de Louvain seront appelés du deuxième au troisième rang ; or, il n'est pas étonnant que ces jeunes gens suivent plutôt les cours de l'université de Louvain que les cours d'un autre université.

Poursuivons :

L'honorable rapporteur continue encore :

« Et les faits, n'en a-t-on pas à citer ? N'a-t-on pas dit à la tribune parlementaire, sans être contredit, qu'un jeune homme ayant demandé une bourse établie dans le Hainaut et ayant manifesté l'intention d'étudier à l'université de Bruxelles, il lui a été répondu : Pour Bruxelles, non ! »

C'est donc l'unique preuve que l'on est parvenu à découvrir pour étayer son système. Oh ! cette preuve est accablante, il est évident qu'en présence d'une telle lettre, lettre qui émanait, si je ne me trompe, de M. Ectors et dont l'honorable ministre des finances a donné lecture à la tribune en 1857, il est évident que nous devons passer condamnation. Mais, messieurs, si réellement le fait qui est invoqué n'a pas rapport à la catégorie des bourses dont vous vous occupez, de quel droit invoquerez-vous cette pièce ? D'après le projet de loi, on n'enlève le droit de collation qu'aux collateurs étrangers à la famille ; quand les collateurs sont parents des fondateurs, on leur reconnaît le droit de collation ; on ne le leur enlève pas ; on dit qu'il est nécessaire de faire une exception en faveur de ces collateurs et qu'on ne vient en rien modifier le régime qui existe à leur égard.

Si cette lettre émanait réellement d'une personne qui aurait écrit au nom d'un collateur parent du fondateur, vous ne seriez pas autorisés à prétendre que cette lettre suffit pour démontrer que l'on exerce une pression illégitime pour forcer les étudiants à suivre les cours de l'université de Louvain plutôt que ceux d'une autre université.

Et bien, messieurs, la supposition que je viens de faire existe en réalité ; la lettre qu'on invoque émane d'une personne qui répond au nom d'un parent qui avait le droit de collation, dès lors toute votre argumentation tombe à faux ; vous n'êtes plus en droit de dire qu'il existe une preuve quelconque pour appuyer votre système.

Mais, messieurs, fût-il même vrai que cette lettre eût été écrite au nom d'un collateur étranger au fondateur, qui vous dit qu'en tenant ce langage on n'a pas suivi les intentions du fondateur ?

Qui vous dit que les actes de fondation ne contiennent pas une clause formelle portant que le gratifié doit suivre les cours de l'université de Louvain ? Et si cette clause s'y trouvait, si l'on rencontrait les mêmes stipulations que celles qui ont fait l'objet de la consultation des honorables MM. Mascart et Forgeur, ne devriez-vous pas dire que le collateur n'a fait que remplir un devoir de conscience en exigeant l'accomplissement de cette condition ?

Par conséquent vous auriez alors encore mauvaise grâce d'invoquer ce fait.

Continuons encore.

Plus loin l'honorable rapporteur ajoute :

« Les commissions de collation sont composées et organisées de manière qu'on ne puisse suspecter leur bonne foi, leur impartialité, et, dirons-nous, leur neutralité entre les divers enseignements. »

Ainsi, d'après l'honorable rapporteur, ces commissions sont seules capables d'agir de bonne foi. Elles seules offrent toutes les garanties d'impartialité et de neutralité,

La bonne foi, l'impartialité et la neutralité des collateurs qui tiennent leur mandat de la volonté des fondateurs ne méritent, au contraire, aucune confiance aux yeux de la loi.

Mais, messieurs, est-ce sérieusement qu'on tient ce langage ? Peut-on le tenir en présence des faits que l'enquête de Louvain a établis ? Nous avons vu alors comment ces commissions officielles agissaient. Nous avons pu voir comment elles entendaient exercer leur impartialité, leur neutralité en matière d'élection. Elles nous ont édifiés sur l'impartialité, sur la neutralité que nous sommes en droit d'attendre d'elles en matière de collation de bourses. A-t-on oublié que l'enquête a démontré que les commissions des hospices n'ont pas rougi d'employer leur influence pour forcer les électeurs à voter plutôt dans tel sens que dans tel autre ? A-t-on oublié que l'inspecteur des biens des hospices de Bruxelles a fait une tournée, et a fait comprendre aux fermiers des biens des hospices à quoi ils s'exposaient s'ils ne votaient pas plutôt pour tel candidat que pour tel autre ? A-t-on oublié qu'un membre de la commission des hospices civils de Diest n'a pas craint de faire emploi des deniers des pauvres pour déterminer les électeurs à voter en faveur des candidats qu'il patronnait ?

Est-ce peut-être cette impartialité, cette neutralité que vous voulez nous donner ? Ah ! messieurs, si c'est ce résultat que vous voulez atteindre, dites-le franchement. Quant à nous, nous le dirons sans détour, l'impartialité, la neutralité des commissions officielles qui émanent du parti exclusif qui est actuellement au pouvoir ne nous inspire aucune confiance.

Depuis longtemps, messieurs, la prospérité de l'université catholique vous porte ombrage ; vous espérez la détruire en la spoliant des bourses dont elle jouit actuellement, et en les confisquant au profit des universités de l'Etat et de l'université de Bruxelles. Eh bien, détrompez-vous : vous pourrez bien lui nuire, vous pourrez peut-être l'entraver dans sa marche ascendante ; mais l'abattre, vous n'y parviendrez jamais !

Et savez-vous, messieurs, pourquoi vous ne pourrez pas l'abattre. C'est parce que la Belgique tient, avant tout, à sa religion...

M. De Fré. - Et à la maçonnerie.

M. Landeloos. - Et tient à ses institutions nationales ; c'est parce que les pères de famille sont persuadés qu'à l'université catholique on ne permettrait pas que des professeurs vinssent dans leurs chaires et dans leurs écrits attaquer les dogmes de leur religion ; c'est parce qu'ils sont persuadés que les professeurs ne s'y permettront jamais de mettre en question les grands principes de liberté consacrés par notre pacte fondamental.

Messieurs, je crois que la discussion a suffisamment établi en droit que, sans fouler aux pieds le principe sacré de la non-rétroactivité des lois, vous ne pouvez voter le projet de loi qui vous est soumis.

Je pense qu'elle a également démontré en fait qu'aucun intérêt publie ne saurait même colorer cette violation flagrante du droit de propriété

Pour l'honneur du parlement belge, je ne puis croire que, dans d'étroites combinaisons de parti, vous consacriez cette loi de spoliation.

Vous ne voudrez pas, messieurs, qu'on puisse vous appliquer ces paroles devenues célèbres : Vous voulez être libres, et vous ne savez pas être justes.

- La suite de la discussion est remise à demain.

La séance est levée à 5 heures.