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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 9 décembre 1863

( Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1863-1864)

(Présidence de M. Lange, doyen d'âgeµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 49) M. Jacobs, secrétaire provisoireµ, fait l’appel nominal à deux heures et un quart.

M. de Conninck, secrétaire provisoireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Bruges

MPLangeµ. - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du rapport sur les élections de Bruges.

La parole est continuée à M. Hymans.

M. Hymans. - Messieurs, j'approche de la fin de la tâche ingrate que je me suis imposée et je n'ai plus à vous demander que quelques moments d'attention.

Les faits que j'ai signalés jusqu'à présent se rapportaient à un système que j'ai eu l'honneur de vous définir hier, et qui se résume en deux mots : des promesses conditionnelles faites à des cabaretiers. J'ai à vous entretenir aujourd'hui de trois faits nouveaux qui sont d'un autre ordre et dont un, le dernier, est d'une gravité tout à fait exceptionnelle.

Ces trois faits je les appellerai : d'abord l’histoire des commissionnaires, en second lieu, l'affaire du boulanger Doorm, et enfin l'affaire de Pécule de Thourout.

Voici, messieurs, en quoi consiste l'incident relatif aux commissionnaires.

Ce fait occupe une place assez considérable dans l'enquête ; elle s'étend de la page 149 à la page 176.

Le sieur de Potter a raconté à deux témoins, le sieur Louwage et sa femme, qu'on est venu quatre ou cinq fois chez lui de la part des catholiques lui offrir de l'argent pour son vote.

De Potter, appelé devant le juge d'instruction, nie le propos. Il déclare qu'un petit garçon lui a offert dans la rue un bulletin en lui disant ceci : « Si vous voulez aller à l’Eléphant, il y a 15 fr. à gagner. » L’Eléphant, c'est le lieu de réunion des catholiques à Bruges en temps de lutte électorale.

Que signifie l'histoire de ce gamin ? Elle paraît au premier abord être une invention puérile, une invention du sieur De Potter pour se tirer d'affaire.

Il a déclaré qu'on est venu lui offrir de l'argent. Appelé devant le juge d'instruction, il se rétracte. Mais pour justifier son premier dire, il imagine l'histoire du gamin qui lui a dit dans la rue qu'il y avait 15 fr. à gagner, s'il voulait aller à l’Eléphant. Seulement il se trouve que par hasard un autre témoin, le sieur Lambin, cabaretier à Bruges, vient déclarer, à la page 154 de l'enquête, que la même chose à peu près lui est arrivée avec un commissionnaire qui lui a offert un bulletin catholique en lui disant : « Si vous vous servez de ce bulletin, il y a 30 fr. à gagner. »

M. de Naeyer. - Il n'est pas dit que c'était un bulletin catholique.

M. Hymans. - Vous avez raison, mais il est prouvé plus loin que le commissionnaire colportait des bulletins catholiques.

Le mot « commissionnaire » comporte, à Bruxelles, un sens vulgaire qu'il n'a pas à Bruges.

Pour expliquer l'intervention d'un commissionnaire à Bruges, il faut s'entendre sur la signification du mot. A Bruges, le commissionnaire n'est pas un individu qui fait des commissions ; c'est généralement un homme intelligent et instruit qui connaît l'histoire de la ville et qui en montre les curiosités aux étrangers ; il n'y a donc rien d'étonnant à ce qu'on ait choisi un homme de cette espèce comme agent électoral.

Le commissionnaire dont il s'agit ici porte, dans la première déposition, le nom de Dumont ; il se trouve plus tard qu'il s'appelle en réalité, De Man ; cité devant le juge d'instruction, il prétend qu'il ne s'agit pas de lui, que l'individu qui a joué le rôle qu'on lui attribue, est un confrère, qui lui ressemble beaucoup, une espèce de Sosie, appelé Vander Voorde. Cependant, un témoin respectable, le juge de paix Hermans, déclare avoir entendu une conversation sérieuse dans laquelle le commissionnaire avouait qu'il aurait placé plus de bulletins le jour des élections, s'il n'avait pas été pris de boisson.

Plus loin, nous trouvons d'autres démarches faites par un chef ouvrier nommé Charles De Mey. Celui-ci n'est pas électeur, il le déclare (page 163 de l'enquête), et cependant il avoue qu'il a fait des démarches pour les candidats catholiques ; il ajoute que son patron, le sieur Van Damme, voulant montrer le bonheur qu'il éprouvait de l'échec de M. Devaux, avait régalé ses ouvriers. Je pense que pour être régalés le jour des élections, ces ouvriers ont dû agir, ils ont dû mériter le régal payé par leur maître.

En présence de ces trois faits, je crois, messieurs, que l'histoire du gamin et des commissionnaires n'est pas d'aussi minime importance qu'on a bien voulu le dire. Ces domestiques qui vont faire des démarches, ces gens qui ne sont pas électeurs, qui ne sont rien dans la société, quelle influence peuvent-ils avoir sur les électeurs s'ils ne peuvent offrir, à côté du bulletin, une récompense, un appât quelconque ?

Comme preuve accessoire à côté des preuves positives que nous possédons, ce fait n'est donc pas, je le répète, dénué d'importance.

Ce n'est pas tout à fait une plaisanterie non plus que l'histoire du boulanger Doorm et de ses 350 francs. Vous connaissez l'histoire. (Interruption.) Si vous ne la connaissez pas, je vais vous la raconter.

Le jour des élections, trois individus, le boulanger Doorm, le brasseur Maes et le sieur Ardou, barbier de l'évêque, font une tournée dans les cabarets, avec un nommé Van Noorbeeck, marchand de porcelaine ; ils vont de cabaret en cabaret et c'est le boulanger Doorm qui paye partout les consommations.

Après l'avoir vu payer plusieurs fois, on s'étonne, on lui demande d'où vient tout cet argent ; aussitôt l'un des commensaux, le sieur Maes tire de sa poche son portefeuille, le consulte et dit ; « Il n'y a rien d'étonnant à cela, Doorm a reçu 315 francs. » C'est une erreur, reprend le boulanger, j'en ai reçu 350.

Appelé devant le juge d'instruction, Doorm déclare qu'il a voulu se moquer du sieur Van Noorbeeck en l'invitant à partager la fête. Mais cette plaisanterie me paraît singulière ; d'autant plus que le sieur Maes la conteste et prétend que le propos n'a pas été tenu. Pourquoi nier que le propos ait été tenu alors qu'il s'agissait d'une simple plaisanterie ?

Chose plus curieuse encore ! un troisième individu, le barbier Ardou, va jusqu'à dire qu'il n'est pas vrai que le sieur Doorm ait payé.

Voilà donc trois dépositions tout à fait contradictoires. L'un dit : « C'est une plaisanterie. » L'autre dit que le propos n'a pas été tenu ; le troisième déclare que le propos n'a pas même eu occasion de se produire, attendu que Doorm n'a pas payé ; que chacun a payé sa consommation.

Je passe les détails suspects d'ailleurs et assez puérils que je pourrais vous signaler encore sur cette affaire. Mais quelques jours après les élections la plaisanterie continue ; les mêmes individus se retrouvent à souper au Café du Théâtre à Bruges, et l'on y mange, d'après l'enquête, des biftecks aux petits pois ; on boit 6 ou 7 bouteilles de vin. Cela est constaté à la page 188. On invite le sieur Van Rolleghem, boulanger, que l'on connaissait à peine, il le déclare lui-même, et il ne sait pourquoi il a été invité.

On parle politique, et la plaisanterie continue ; et cependant le sieur Van Noorbeeck, pour qui l'on a fait la plaisanterie le premier jour, n'est plus présent.

L'honorable M. Nothomb dit qu'on a voulu mystifier le sieur Van Noorbeek ; mais il n'est plus là. Et dans ce souper, que dit-on ? On dit que c'est le reste de l'argent qu'on consomme. Et cette fois le brasseur Maes, qui a d'abord nié que le boulanger Doorm ait tenu le propos du premier jour, avoue que Doorm a dit bien réellement qu'on soupait avec le reste de l'argent. A la page 173, le cabaretier qui assistait au souper, confirme le propos. Toujours une plaisanterie ! Le boulanger Van Rolleghem, invité, sans le savoir, déclare que lorsque Doorm a dit que c'était avec le reste de l'argent, Maes a ajouté : « Cela n'est pas vrai ; j'ai encore dans ma poche un bon de 70 fr. » Un nouveau témoin, le sieur Van den Kernel, confirme ce propos (page 191).

Si c'est une plaisanterie, avouez qu'elle se prolonge bien longtemps, et ce qui m'empêche d'y croire, c'est la présence, au souper, du sieur Van de Putte, dont je vous ai raconté hier les manœuvres dans une foule de lieux.

Ce témoin ne se contente pas d'assister au souper, il annonce qu'il payera encore des biftecks huit jours après, toujours avec le même argent.

La présence de cet homme au souper embarrasse ; pour se tirer d'affaires, on dit qu'il est venu là par hasard, qu'on l'a prié de monter ou qu'il n'a pas mangé.

Mais le cabaretier Ardenois (page 181 de l'enquête) raconte que Van de Putte devait assister au souper.

Il y assistait en effet. J'ai donc le droit de dire que la plaisanterie n'était pas si plaisante ; que la politique n'y était pas aussi étrangère qu'on (page 50) le prétend et que cette prétendue mystification a un caractère très sérieux.

Je crois que ceux que l'on mystifie ici c'est le juge d'instruction et le public Lorsqu'on a vu que les menées étaient dévoilées, lorsqu'on a vu qu'on s'occupait dans la ville de Bruges de ces 350 francs qui étaient dans la poche du boulanger Doorm et inscrits sur le portefeuille de Maes, on a jugé convenable d'imaginer une plaisanterie, tandis qu'on n'avait fait que commettre de dangereuses indiscrétions.

Terminons, messieurs, par l'affaire du collège de Thourout. J'ai laissé cette affaire pour la fin ; elle est, du reste, la dernière de l'enquête et elle s'écarte du système général que je vous ai signalé. L'affaire est, en elle-même, d'une appréciation assez difficile parce qu'on n'a pour ainsi dire que les déclarations des inculpés pour se rendre compte de ce qui s'est passé : et, à ce propos, je crois devoir faire une observation que j'aurais dû présenter dès hier : c'est que les témoignages que nous vous apportons sont des dépositions de témoins ; tandis que ceux sur lesquels on se fonde de l'autre côté sont des interrogatoires de prévenus qui n'ont pas prêté serment et qui usent de leur droit de mentir dans leur propre cause.

Voyons, messieurs, ce que dit le réquisitoire de M. le procureur du roi au sujet de cette affaire de l'école de Thourout.

Le vicaire Gillebaert d'Aertrycke et Léon Meersseman sont prévenus d'avoir conjointement, et de complicité, employé des manœuvres, à l'effet d'obtenir, en faveur des candidats qu'ils patronnaient pour les élections du 9 juin dernier, le vote et l'influence de l’électeur Charles Van den Bussche, cabaretier à Aertrycke, en lui laissant entrevoir, avant les élections, qu'il lui serait fait, à ce prix, restitution d'une certaine somme payée anticipativement pour la pension de son fils à l'Institut Saint- Joseph à Thourout, restitution à laquelle ledit Vanden Bussche n'avait aucun droit, et qui lui avait été refusée antérieurement ; et ledit Meersseman, d'avoir, en réalité, opéré cette restitution, après les élections, dans la persuasion où il était que Vanden Bussche avait satisfait à ses désirs ainsi qu'à ceux de son coprévenu Gillebaert.

M. le procureur du roi est d'avis qu'il n'y a pas lieu de poursuivre à propos de ce chef d'accusation, et voici ses motifs.

Attendu que s'il paraît évitent, d'après l'ensemble des circonstances révélées par l'instruction, que les prévenus Gillebaert et Meersseman, par leurs démarches et leurs manœuvres, ont eu en vue de gagner la voix et l'influence de Vanden Bussche, en lui faisant entrevoir, avant les élections, l'espérance de la remise d'une certaine somme, retenue jusque-là et à laquelle celui-ci n'avait aucun droit ; que de plus Meersseman, en effe tuant cette remise, après les élections, a cru récompenser un service électoral rendu par Vanden Bussche, il est avéré, par contre, que ce dernier, en paraissant se prêter à ces manœuvres dans le but de récupérer une somme qu'il croyait lui être due, n'a jamais eu l'intention d'aliéner son suffrage ; qu'au surplus, il ne conste d'aucune convention arrêtée entre parties.

Donc, il n'y a pas eu lieu à poursuivre ; mais M le procureur du roi après avoir lu les pièces, considère les faits comme évidents. Or, quels sont ces faits ? Je dois d'abord vous signaler une circonstance importante ; la scène se passe dans cette même commune d'Aertrycke, où nous avons vu le sieur Jean De Mey promettre cinq francs au cabaretier Vermersch ; fait prouvé et incontestable.

Or, chez ce De Mey, boutiquier à Aertryke, demeurait en garni le vicaire Gillebaert (page 105). Un autre cabaretier de la même commune, Ch. Vanden Bussche, a reçu la visite de ce vicaire, qui lui a demandé si l'on pouvait compter sur son concours.

Vanden Bussche avait retiré, quelque temps auparavant, son fils de l'institut de Saint-Joseph à Thourout, il avait payé un trimestre d'avance et l'on se refusait à lui restituer la somme qu'il avait versée. On lui avait bien restitué 37 francs, mais il trouvait cette somme insuffisante ; il réclamait encore 43 francs, ne prétendant payer que ce que son fils avait consommé d'instruction et de nourriture dans l'établissement. Il avait laissé là cette affaire, lorsque quelques jours avant les élections du 9 juin le vicaire Gillebaert d'Aertrycke est venu chez lui, et lui demanda si l'on pouvait compter sur son vote ; il répondit : (page 346).

« Je ne suis pas content de la manière de faire de M. De Meersseman parce que je n'ai pas reçu l'argent que j'estimais avoir le droit d'exiger en retour. Là-dessus M. Gillebaert répondit, sans cependant me donner ou me promettre de bulletin de voter, j'en parlerai au directeur De Meersseman. Il ne m'en demanda pas plus.

« Peu de jours après, le même Gillebaert est revenu dans ma maison, en disant : Charles, vous devez aller parler au directeur De Meerssman, à Thourout, allez-y avant les élections. Trois ou quatre jours avant les élections, ayant reçu une lettre relative aux élections et contenant deux bulletins de vote pour les candidats du parti libéral, j'allai avec cette lettre et ces deux bulletins à Thourout, chez M. De Meersseman. Je lui montrai cette lettre et les deux billets. Il l'examina et me fit remarquer que jusqu'à ce moment il n'avait pas vu pareille lettre. Je lui demandai sans faire mention de mon argent, ni lui non plus, s'il voudrait changer les deux bulletins de vote et m'en donner deux autres pour les candidats catholiques pour autant que ces bulletins fussent écrits sur du papier semblable et de même grandeur. Ce monsieur écrivit, à ma demande, deux bulletins pareils qui ressemblaient bien à ceux que j'avais apportés, et lui laissai en mains. Je pris ensuite les deux bulletins catholiques, en disant à M. De Meersseman : Ils ne le verront jamais. Au moment où je me disposais à sortir et que j'avais déjà mis mes bulletins de vote en poche, M. De Meersseman me dit tout d'un coup : Vous pouvez venir pour votre argent, dans la quinzaine après les élections. Je dis que c'était bien et je partis sans autre entretien ou conversation relativement aux élections, et sans que M. De Meersseman m'ait dit quelque chose pour m'exhorter ou me pousser à voter en faveur des candidats catholiques. »

Comme tout cela est vraisemblable ! après avoir donné les bulletins à Vanden Bussche, après lui avoir dit de revenir dans quinze jours pour son argent ; et alors qu'il y est retourné sans avoir d'autre raison d'y aller, ou prétend qu'il n'a pas été question de la somme !

On avait dit à Vanden Bussche de revenir dans la quinzaine après les élections. Il retourne à Thourout : « Quinze jours après les élections du 9 juin, dit-il, je suis allé à Thourout pour mon argent chez M. De Meersseman qui m'a remis de 40 à 50 francs, évaluant que cela faisait la somme qui d'après mon idée me revenait de la pension de mon fils. M. De Meersseman ne m'a pas parlé alors d'élections. »

La première fois on n'a pas parlé d'argent, mais on a remis des bulletins de vote ; la seconde fois on a remis de l'argent mais on n'a pas parlé d'élections. L'inculpé ajoute :

« Je dois vous déclarer comme un fait vrai que je suis allé avec la lettre et les deux bulletins ci-dessus mentionnés, chez M. De Meersseman, uniquement par finesse pour jouer à ce monsieur un tour et le décider par ce semblant à me restituer ce qu'une première fois je lui avais demandé en vain. Du moment que j'ai cru pouvoir compter sur mon argent, j'ai ri librement du bon résultat de mon tour. M. Tallier le sait très bien, vu que je suis allé le trouver immédiatement à mon retour de Thourout et lui ai dit comment l'affaire avait eu lieu. »

Remarquez, messieurs, qu'il s'agit du second retour de Thourout ; l'argent a déjà été reçu.

M. Tallier déclare que le fait ne lui a été raconté qu'après la réception de l'argent.

« Vanden Bussche, avant les élections, ne m'a pas parlé d'autre chose, nommément til ne m'a pas fait connaître sa visite à M. De Meersseman, à Thourout ; je ne l'ai su qu'après les élections ; je lui ai uniquement remis un bulletin de vote pour les candidats libéraux, avant les élections, ainsi que je le lui avais promis. En effet, Vanden Bussche m'a donné, sans que je puisse dire si c'était avant ou après les élections, deux bulletins de vote qui portaient les noms des candidats cléricaux, sans me dire cependant par qui ces bulletins lui avaient d'abord été remis et comment il les avait obtenus. »

Le témoin ajoute à la page 356 et vous remarquerez l'importance de sa déposition :

« Ce n'est que quelque temps après lesdites élections que lui ayant demandé où en était l'affaire de son argent, Vanden Bussche me fit entendre qu'il avait reçu son argent, sans explication. - Il y a trois ou quatre semaines, le sieur Moulaert, employé des accises à Thourout, se trouvant avec moi à une vente publique, vint me parler de Charles Vanden Bussche, et de ses paroles je compris qui savait aussi que ce dernier avait reçu de l'argent, relativement à la pension de son fils, de la part du directeur du pensionnat de Thourout.

« Je parlais de nouveau de l'affaire à Vanden Bussche qui me donna alors des explications sur la manière dont il avait reçu l'argent de M. De Meersseman, directeur de l'école normale de Thourout, argent que lui, Vanden Bussche, croyait en droit lui revenir à cause de la pension de son fils, actuellement élève de l'école normale de Bruges. Vanden Bussche me fit savoir que le directeur dudit établissement avait imité deux bulletins de vote catholiques, exactement semblables à ceux des libéraux, et qu'à la fin de la conversation M. De Meerssman avait dit à lui, Vanden Bussche, que quatorze jours plus tard (c'est-à-dire après les élections), il pouvait venir chercher son argent. Vanden Bussche m'a encore certifié une fois alors qu'il est allé chercher cet argent, sans me déclarer la somme, et l’avait obtenu. En même temps il me déclara encore qu'il avait dû se servir à cet effet d'une ruse, car sans cela il n'aurait jamais eu l'argent, sans me donner d'autres explications. »

(page 51) Il est fort difficile ici, je l'avoue, messieurs, de se former une opinion tout à fait exacte.

Nous n'avons pas assisté à cet entretien. Vanden Bussche est un individu qui ne mérite pas une confiance absolue.

Il faut cependant constater qu'il affirme itérativement, à la page 559 de l'enquête, que le vicaire lui a dit d'aller trouver M. De Meersseman avant les élections.

Il est certain qu'il y est allé ; il est certain qu'il a reçu l'argent qu'on lui avait refusé d'abord. Il est certain qu'il n'a parlé qu'après les élections de cette histoire qu'il n'avait aucune raison de cacher si elle était honnête. Le vicaire Gillebaert lui-même ne nie pas d'une manière positive qu'il ait conseillé à Vanden Bussche d'aller trouver M. De Meersseman avant les élections.

Voyez à la page 302 dans l'interrogatoire de l'inculpé Gillebaert, au bas de la page.

« Demande. Après cette visite n'êtes-vous pas allé dire à Vanden Bussche qu'il devait aller parler audit directeur, en y ajoutant : Allez-y avant l'élection !

« Réponse Je suis allé en effet, mais je ne crois pas avoir dit alors à Vanden Bussche : Allez-y avant les élections, ou que je lui aie fait entendre qu'il devait y aller avant les élections qui alors étaient proclamées. Quant à ce qui regarde ceci, j'en suis incertain. »

Nous n'avons donc pas même, de la part du vicaire, une dénégation formelle.

Le sieur De Meersseman interrogé nie qu'il y ait eu arrangement entre Vanden Bussche et lui. Il reconnaît que Vanden Bussche est venu le voir le samedi avant les élections ; il reconnaît qu'il lui a donné, sur sa demande, deux bulletins catholiques et qu'il lui a dit de revenir, non pas une quinzaine de jours après les élections, comme l'a dit Vanden Bussche, mais bien quand il reviendrait à Thourout.

D'après M. De Meersseman, encore une fois, il n'a pas été question de la restitution qui a eu lieu et qui était réclamée. Ainsi cette restitution aurait été faite sans débat préalable, sans qu'il en ait été question dans aucun moment ; l'argent n'a été restitué, dit M. De Meersseman, que par simple considération pour la malheureuse position de la famille de Vanden Bussche.

Messieurs, tout cela est fort extraordinaire, comment pouvez-vous supposer qu'il n'ait pas été question de la restitution puisque, de l'aveu du vicaire lui-même Vanden Bussche devait aller à Thourout expressément pour l'obtenir, et si l'élection n'a été pour rien dans la restitution, pour quel motif a-t-elle été faite ?

Le sieur De Meersseman dit formellement, à la page 365, que Van den Bussche n'avait le droit de rien exiger ; pourquoi donc a-t-il fait cette restitution ? C'est, dit-on, à cause de la position malheureuse du sieur Van den Bussche. Je ne connais pas cette position malheureuse ; je n'ai sur ce point aucun renseignement. Mais il me semble qu'un homme qui retire son fils d'un établissement d'instruction situé dans une petite ville comme Thourout pour l'envoyer à l'école moyenne de Bruges où l'instruction est plus coûteuse, ne doit pas se trouver dans une position si misérable.

Ce qui me frappe en outre, c'est que, d'après DeMeersseman.il n'a pas même été question entre lui et Van den Bussche, ni avant ni après l'élection, de la restitution. Celle-ci s'est faite sans débat, sans offre de transaction ni d'arrangement.

Tout cela est très invraisemblable et doit s'être passé tout autrement, nous avons un témoin qui va nous le dire ; c'est le sieur Moulaert, employé des accises, dont la déposition se trouve à la page 369 de l'enquête.

« Vanden Bussche, dit-il, d'après ce qu'il m'a raconté (et notez que ce que Vanden Bussche lui a raconté remonte au mois de juin, tandis que son interrogatoire a eu lieu au mois d'octobre).

« Vanden Bussche, d'après ce qu'il m'a raconté, reçut l'avis (sans qu'il nous ait dit de la part de qui) qu'il devait aller parler au directeur. - Il a fait cela encore avant les élections, et étant arrivé à Thourout chez le directeur, il a été d'abord parlé d'une et d'autre chose relatives à son fils Constant Vanden Buss lie, jusqu'à ce qu'enfin Charles Vanden Bussche ayant mis la main dans sa poche en a retiré une circulaire du parti libéral ; à cette pièce étaient joints deux bulletins de vote en faveur des candidats libéraux. - En remettant ces deux bulletins de vote à M. De Meersseman, Vanden Bussche avait dit à ce monsieur : Voici deux bulletins de vote libéraux, vous pouvez certes les imiter et m'en donner deux pour les candidats catholiques, de façon que ceci ne puisse pas être vu. M. De Meersseman aurait satisfait à ce désir et fait deux bulletins de même grandeur et écrits dur même papier, qu'il aurait remis aux mains de Vanden Bussche qui s'en serait montré content et aurait répondu : Ils ne peuvent pas le voir maintenant. Lorsqu'il se disposait à quitter le directeur De Meersseman, ce dernier lui aurait dit : Eh bien M. Vanden Bussche, vous pouvez venir chercher votre argent dans une quinzaine. Vanden Bussche à son retour de Thourout, aurait remis les deux bulletins donnés en faveur des candidats catholiques au secrétaire de la commune d'Aertrycke, et quatorze jours après les élections il serait allé pour son argent chez M. De Meersseman, qui lui a payé ce que Vanden Bussche croyait lui revenir. »

Enfin, le témoin ajoute, page 370 :

« La conversation que je viens de rapporter est la seule chose que Vanden Bussche m'a dite ; même je me souviens qu'il m'a dit qu'il avait dû faire l'hypocrite auprès du directeur pour obtenir son argent. C'est aussi le récit que j'ai fait à M. Tallier, secrétaire d'Aerlrycke, quelque temps après. »

Je le répète, personne n'a assisté à l'entretien de Vanden Bussche et de Meersseman, nous ne savons donc pas ce qui s'est passé. Meersseman mérite évidemment plus de confiance que Vanden Bussche, qui n'en mérite aucune.

Mais il est inadmissible que le vicaire soit allé sans arrière-pensée demander le vote de Vanden Bussche qui avait retiré son fils d'une école catholique pour le mettre dans une école libérale, ce sur quoi il lui avait fait des observations.

Il est inadmissible que Vanden Bussche, après avoir accepté deux bulletins catholiques, ait reçu sans compensation l'argent qu'il réclamait et auquel il n'avait pas droit, ainsi que le dit Meersseman. L'honorable M. Nothomb a oublie de mentionner cette circonstance importante dans son rapport. Il dit même à la page 27 qu'on ne sait pas si la réclamation était fondée. Or le directeur dit formellement qu'elle ne l'était pas.

En un mot, il est tellement inadmissible que cette restitution ait été faite sans débat et sans transaction ; tellement extraordinaire surtout que Van den Bussche n'ait parlé de tout cela qu'après avoir reçu l'argent, qu'il me paraît impossible de ne pas me rallier à la conviction du ministère public qui considère les faits non seulemenl comme établis, mais même comme évidents dans le réquisitoire que je vous ai cité.

Messieurs, me voici arrivé à la fin de ce que j'appellerai, comme l'honorable M. Nothomb, ces fastidieux documents, La Chambre me pardonnera d'avoir tenu aussi longtemps son attention fixée sur ce dossier de police correctionnelle. Il ne dépendait pas de moi de lui épargner cet ennui. Il fallait rétablir l'enquête sous son vrai jour, et si j'y ai réussi, ma tâche est terminée.

Vous vous trouvez actuellement en présence de deux analyses de l'enquête. Vous jugerez laquelle est fidèle. Vous avez les pièces pour faire vos convictions, et votre conscience choisira entre mon appréciation et celle de l’honorable M. Nothomb.

Vous verrez, messieurs, s'il est possible d'admettre, en présence des faits révélés par le dossier de l'enquête, que de ce dossier résulte, comme l'a dit l'honorable M. Nothomb dans ses conclusions, la preuve que l'élection n'a pas été entachée et qu'elle est restée sincère et loyale.

D'après l'honorable M. Nothomb, la sincérité et la loyauté se prouvent par deux raisons péremptoires.

La première, c'est que le tribunal de Bruges a rendu une ordonnance de non-lieu.

La seconde, c'est que s'il y a eu des tentatives répréhensibles, ce que l'honorable rapporteur paraît admettre, il n'y a pas eu de voix déplacées.

Le réquisitoire du procureur du roi, l'ordonnance de la chambre du conseil répondent d'une manière péremptoire à la première raison qu'invoque l'honorable M. Nothomb.

Le procureur du roi a déclaré, le tribunal a jugé qu'il n'y avait pas lieu à suivre, parce que les faits ne tombaient sous l'application d'aucune loi. Pour le reste, voici ce que dit le réquisitoire à la page 395 :

« Attendu que la législation qui régit notre pays ne punit point la simple fraude électorale et qu'elle ne prévoit et ne punit la corruption électorale elle-même que dans les limites de l'article 113 du Code pénal, c'est-à-dire en cas seulement d'achat et de vente simultanés du suffrage ;

« Que les farts prévus par l'article 113 susvisé n'étant punissables que de peines correctionnelles, leur tentative, à la différence de celle qui s'exerce à l'égard des fonctionnaires publics, échappe à toute répression pénale ; que c'est en parlant de ces principes que les faits de la prévention doivent être appréciés ; »

Le tribunal, après avoir entendu le rapport du juge d'instruction, se rallie aux conclusions du ministère publie et déclare qu'il n'y a pas lieu à suivre. Donc il se rallie de tous points à l'opinion du ministère public qui considère les faits comme étant établis, il le dit formellement, le tribunal adopte le réquisitoire du ministère public.

(page 52) Or, pouvez-vous prétendre un seul instant, vous qui, lors des élections de Louvain, souteniez la nécessité d'une enquête judiciaire, pouvez-vous prétendre qu'il n'y a eu ici ni manœuvre ni fraude ; que cette élection a été sincère et loyale, quand le pays tout entier demande une loi qui réprime les fraudes électorales et précisément les fraudes du genre de celles qui ont été commis s à Bruges ? On nous répondra, je le sais : « Vous voulez une loi, faites-la ; mais tant que cette loi n'existe pas, nous ne pouvons pas sévir. Faites la loi, dit-on. »

Mais, messieurs, la loi est présentée, et si elle n'est pas votée, si elle n'est pas en vigueur, devons-nous jusqu'au jour de sa promulgation tolérer toutes les licences et laisser vicier toutes les élections ? Je crois, au contraire, que nous devons nous montrer d'autant plus sévères que la peine n'existe pas.

Mais, dit l'honorable M. Nothomb, et c'est son deuxième argument, il n'y a pas eu de voix déplacées.

D'après lui, « pour qu'une élection qui a conduit un élu sur les bancs de la Chambre puisse être considérée comme viciée, il faut, en toute justice, qu'il soit catégoriquement démontré que des actes, coupables en droit pénal, ou coupables du côté moral seulement, ont amené un déplacement de voix au profit du candidat proclamé. »

Voilà une singulière théorie. Mais d'abord qui vous autorise à dire qu'il n'y a pas eu de déplacement de voix ? Comment ! on vous dénonce un large système de corruption, un système de corruption habilement et soigneusement organisé et combiné, mûrement délibéré d'avance. On vous montre que les manœuvres que l'on condamne ont eu lieu sur tous les points de l'arrondissement. Les scrutateurs de différents bureaux viennent vous déclarer qu'il y a eu des bulletins marqués, qu'il y en a eu un grand nombre qui étaient reconnaissables à l'extérieur.

Vous avez devant vous l'élection d'un candidat qui a obtenu 21 voix de plus que la majorité absolue. Et vous viendrez prétendre que ces manœuvres n'ont pas exercé d'influence sur le résultat du vote !

« Il faut des faits, dit M. Nothomb, page 33 de son rapport, des faits précis, des actes et des actes incontestables annihilant des votes déterminés. Hors de là, la Chambre frapperait en aveugle. »

Mais, messieurs, un pareil système n'est pas soutenable, un pareil système me paraît tout à fait incompréhensible de la part d'un jurisconsulte. Si vous l'adoptez, toute discussion est inutile. Voyez où cette théorie vous mène ! M. Soenens a obtenu 21 voix de plus que la majorité absolue, et quand on aura prouvé que sur ces 21 voix, 20 ont été achetées, dans le système de M. Nothomb, il faudra encore valider l'élection de Bruges, puisqu'il restera à M. Soenens une majorité d'une voix.

Voilà la conséquence du système de l'honorable M. Nothomb. Au point de vue de la logique et de la moralité, cette thèse ne peut être celle de la Chambre.

Notre thèse, je l'ai déjà dit hier, c'est celle qui a été formulée à la tribune française par M. Jules Favre : « Il faut que l'argent ne joue aucun rôle dans les élections ; dès que l'argent a joué un rôle quelconque dans l'élection, il faut l'annuler. »

Et ici, messieurs, ne jouons pas sur les mots, je me hâte de déclarer que je suis extrêmement large et tolérant en cette matière ; comme je l'ai dit à propos de l'enquête de Louvain, j'admets que l'on considère les élections comme des jours de fête et de réjouissance et en parlant ainsi je me trouve d'accord avec l'honorable M. Devaux, aujourd'hui victime des manœuvres que nous condamnons et qui a été jusqu'à déclarer qu'il admettait, lui, ce qu'on appelait des « kermesses électorales », c'est-à-dire des fêtes et des réjouissances données à l'occasion de l'élection d'un candidat ; et lorsqu'on a voulu faire de ces réjouissances dans l'arrondissement de Dinant à propos de l'élection de M. Rogier à Tournai, j'ai trouvé fort extraordinaire qu'un bourgmestre se soit permis de les empêcher par la force des armes.

Mais il ne s'agit pas ici de réjouissances, il s'agit de tout autre chose ; on ne régale pas les électeurs, on donne de l'argent aux cabaretiers pour en disposer à leur guise, à l'un pour établir un jeu de boule, à l'autre pour le boire au besoin lui-même et l'on a vu qu'il ne s'en faisait pas faute.

Qu'y a-t-il de commun d'ailleurs entre un régal donné aux électeurs et l'affaire de l'école de Thourout ? Et l'affaire de Léon Bougne qui a reçu 5 francs pour aller voter au lieu et place de son père ? Et les deux francs donnés en espèces à Boerboom, soi disant pour l'indemniser de la perte de sa journée ? Qu'a de commun le régal avec les démarches faites par les sieurs Valcke et Van de Putte dans plusieurs cabarets de Bruges au nom du propriétaire, qui ne les y avait pas autorisés, pour engager les électeurs à aller voter « dans leur intérêt » et sous promesse d'une somme d'argent ?

Non, messieurs, ce n'est point ici de régal qu'il s'agit, c'est bel et bien de corruption à prix d'argent, et quand on s'écrie comme M. Dumortier : « De l'argent donné aptes l'élection ! » je réponds, oui après l'élection, mais pour l'élection, post hoc, proper hoc De l'argent promis avant l'élection et payé après le scrutin,

Enfin, messieurs, il ne s'agit pas, dans cette affaire de faits isolés. Nous nous trouvons en présence de tout un système mûrement délibéré et dont nous suivons parfaitement la filière.

Lorsque la Chambre a annulé les élections de Louvain, elle a déclaré qu'elle n'admettait pas qu'on donnât de l'argent à l'électeur avec son bulletin ; elle a flétri le moyen employé à Louvain, en 1859 ; mettant la leçon à profit, à Bruges, on a imaginé un autre moyen bien plus dangereux, bien plus terrible, et qu'un membre éminent de cette Chambre appelait hier avec raison infernal.

Le moyen quel est-il ? On intéresse les cabaretiers au résultat de la lutte ; on leur promet de l'argent en cas de succès.

Comme on a compris qu'après l'annulation des élections de Louvain on ne pouvait plus donner de l'argent avec le bulletin, on le donne après.

Si l'on ne réussit pas, on ne donne rien, moyen très adroit et très économique, si l'on réussit, on paye ; si l'on ne réussit pas, on ne paye rien. C'est tout bénéfice.

Ce système a été mis en pratique sur tous les points de l'arrondissement ; on a ses agents, et chose curieuse, bien qu'il soit certain que l'enquête n'a pas révélé tous les faits qui se sont passés, il se trouve que ces agents sont toujours les mêmes ; ils tiennent le même langage, ils agissent de la même façon, ils se défendent de la même manière.

Ces agents sont les sieurs De Cock, Vande Putte, c'est le vicaire Van Steenlandt, c'est le vicaire Bekaert, le vicaire Gillebaert, le curé Deman, et toutes ces agences viennent aboutir à une agence centrale dont le chef est M. Boeteman, qui est en même temps le trésorier. Tout l'argent sort de la caisse de ce M. Boeteman ; et quand on lui demande d'où est venu l'argent dans la caisse, il refuse de le dire.

N'est-ce pas ici le cas de répéter le mot de Béranger : D'où il venait, je pourrais vous le dire, mais je me tais par respect, non pas pour les mœurs, mais pour la religion.

Oui, messieurs, par respect pour la religion qu'on s'afflige de voir mêler à de pareils scandales ; pour la religion qui, toujours austère et sérieuse, devrait se tenir à l'écart des luttes politiques ; pour la religion que dans un mandement plus digne des époques sanglantes de la Ligue et de la Fronde que de notre époque de lumière et de tolérance, on avait appelée à la rescousse, dès le mois de mai dernier, pour assurer la prépondérance de l'épiscopal dans les affaires temporelles ! (Interruption.)

Messieurs, après avoir mûrement examiné cette affaire, il me semble impossible que la Chambre valide l'élection. Vous vous montrerez cette fois, comme vous vous êtes montrés toujours, les gardiens vigilants de la pureté du régime représentatif ; vous flétrirez les manœuvres qui ont été pratiquées à Bruges, comme vous les avez flétries dans d'autres circonstances, comme vous les avez flétries, il y a quatre ans, alors qu'elles étaient réellement moins graves, moins déplorables, moins coupables qu'elles ne le sont aujourd'hui.

Et s'il est vrai que des manœuvres semblables à celles qui se sont produites à Bruges, tendent à se propager partout, comme cela est dit dans le rapport de l'honorable M. Nothomb, ce que, pour mon compte, je conteste et ce qu'on n'a pas le droit d'affirmer ici sans preuve, la Chambre, en repoussant les conclusions du rapport de M. Nothomb, donnera au pays un grand, nécessaire et salutaire exemple.

M. Thonissenµ. - Messieurs, je n'aborderai pas l'examen de tous les faits rapportés dans la volumineuse enquête judiciaire faite à Bruges ; un autre membre s'acquittera de cette tâche et s'en acquittera mieux que moi. Je me bornerai, pour ma part, à appeler votre attention sur un fait dont l'honorable M. Hymans n'a pas dit un mot, auquel même il n'a pas fait allusion et qui, d'après moi, dans le cas actuel, présente cependant une importance de premier ordre. Il me semble que, dans cette discussion, il importe à tous, au plus haut degré, de se bien fixer sur le caractère, sur la nature et surtout sur la force probante d'une enquête judiciaire, d'une enquête préliminaire faite à huis clos par un seul magistrat. Or, il me sera facile de prouver, à la dernière évidence, qu'une telle enquête ne peut jamais fournir à un tribunal, à une assemblée quelconque, et surtout à une assemblée politique un moyen, quel qu'il soit, de se prononcer en parfaite connaissance de cause. Puisqu'on appelle la Chambre à fonder sa décision sur des actes rédigés par la magistrature, il faut bien qu'elle me permette de parler devant elle le langage du droit. Du reste, je n'abuserai pas de sa patience.

Qu'est-ce qu'une enquête préliminaire ? C'est un ensemble de mesures purement provisoires qui, aux yeux du législateur, ne peut jamais fournir la preuve réelle de l'existence des faits. C'est un acheminement, rien (page 53) qu'un acheminement vers une autre enquête, c'est-à-dire vers l'enquête définitive, qui seule peut et doit créer la conviction du juge. L'enquête préliminaire peut amener une prévention, une mise en jugement, mais rien de plus. L'instruction définitive, faite à l'audience, en présence du prévenu et contradictoirement avec lui, peut seule conduire à un jugement.

Et pourquoi ? Parce que l'instruction préliminaire, faite à huis clos, par un seul magistrat, ne présente en réalité aucune garantie sérieuse pour celui contre qui elle est dirigée. Cela est tellement vrai que tous les jurisconsultes qui, depuis dix ans, ont commenté le Code d'instruction criminelle, sont unanimes à protester contre le pouvoir exorbitant attribué au juge d'instruction ; ces jurisconsultes, et parmi eux il y en a d'illustres, sont unanimes pour réclamer des garanties contre ce pouvoir en quelque sorte arbitraire, d'autant plus dangereux qu'il s'agite dans l'ombre et hors de la présence de celui contre qui il s'exerce. Est-ce que ces jurisconsultes suspectent la délicatesse, la loyauté, l'honneur du juge d'instruction ? En aucune manière, pas plus que moi ! Mais ils disent, et avec eux je dis, que le juge d'instruction est un homme, et que, comme tel, il participe à tous les préjugés, à toutes les faiblesses, à toutes les passions des autres hommes.

Je répète ce qu'un jour l'honorable M. de Brouckere a dit dans cette enceinte, en parlant de l'organisation des jurys d'examen : « N'est pas impartial qui veut ! »

Le danger est donc réel. Et combien ce danger ne devient-il pas beaucoup plus sérieux, beaucoup plus grave, lorsque le juge d'instruction est l'adversaire politique de l'homme contre qui ses investigations sont dirigées ! Il faudrait bien peu connaître le cœur humain pour ignorer ce qui se passe alors.

Le juge d'instruction appelle qui il veut ; il pose les questions qui lui plaisent, il est maître de la procédure, et tous ceux qui ont traversé le parquet ou le barreau savent, comme moi, que nécessairement, inévitablement, ses convictions personnelles se manifestent dans la direction des poursuites.

En matière politique, que fait-il ? Il appelle les témoins qui lui sont indiqués par ses amis politiques. Il écoute avec faveur, avec complaisance ceux qui parlent dans le sens de la cause qu'il désire faire prévaloir, qu'il désire voir triompher. Mais il n'en est pas de même quand ce même juge se trouve en présence d'un antagoniste politique : celui-ci lui est suspect ; il le soupçonne à chaque mot ; il l'interrompt à chaque phrase, et souvent même il le menace dans le cours de chaque déposition.

Aussi, messieurs, ce n'est pas d'aujourd'hui que ces abus sont connus, que ces vérités sont constatées. Lisez les écrivains du dernier siècle, ceux qui vivaient à l'époque où. les juges faisaient ce qu'on veut vous faire faire aujourd'hui, où les juges puisaient leur conviction dans une enquête faite à huis clos par un seul magistrat, et vous verrez avec quelle amertume, avec quelle indignation ils se prononcent contre un système qu'on voudrait aujourd'hui indirectement rétablir en Belgique. Savez-vous ce que Montesquieu en disait ? Il disait que des hommes jugeant sur une enquête écrite, faite à huis clos par un seul juge, étaient la honte de la raison humaine ! Voilà l'expression dont s'est servi Montesquieu. Méditez-la !

Non, messieurs, l'enquête préliminaire faite à huis clos par un seul magistrat ne peut, en réalité, fournir que des présomptions et encore des présomptions nécessairement très faibles.

Permettez-moi de vous citer une phrase écrite, il n'y a pas longtemps, par un jurisconsulte illustre, par un professeur de la faculté de droit de Paris, par M. Ortolan. Voici comment il s'exprime au sujet de l'enquête faite par un juge d'instruction :

« La procédure d'instruction préparatoire n'est qu'un moyen de préparer la mission de la juridiction de jugement. Les actes n'en peuvent être investis d'aucune autorité probante. »

Aussi, messieurs, voyez ce qui se passe tous les jours devant tous les tribunaux du pays ; il y a dans cette assemblée beaucoup de membres qui, dans le cours de leur carrière judiciaire, ont pu le constater comme moi. Il existe une instruction préalable qui renferme des dépositions nombreuses, des dépositions graves, des dépositions accablantes. Des présomptions précises, concordantes, s'élèvent contre un prévenu.

Celui-ci arrive à l'audience ; il parle, il s'explique, il produit ses propres témoins ; il répond aux témoins amenés par la partie adverse, par le ministère public, et bien souvent, à l'instant même, l'échafaudage de récusation s'écroule, et de tous les témoignages recueillis par le juge d'instruction, groupés avec art, reçus avec complaisance peut-être, il ne reste rien, absolument rien que des phrases sans valeur et des allégations sans preuves.

Et cependant que vous demande-t-on aujourd'hui ? - l'honorable M. Hymans n'a pas même eu l'air de s'en douter, - on vous demande de rendre un verdict politique, un jugement solennel uniquement basé sur une enquête préliminaire faite à huis clos par un seul magistrat ; c’est-à-dire qu'on veut vous faire faire ce que Montesquieu, il y a un siècle, appelait déjà la honte de la raison humaine !

Permettez-moi, messieurs, de vous citer un autre fait, emprunté, non au droit pénal mais au droit civil. Bien souvent, une enquête civile faite, non pas à huis clos, mais en présence de la partie adverse, en présence de son défenseur, semble établir, à la dernière évidence, toutes les allégations, toutes les prétentions de l'un des plaideurs. Si le jugement devait être rendu immédiatement sur cette enquête, le demandeur obtiendrait inévitablement gain de cause. Mais la loi, plus prudente, plus expérimentée, ne veut pas que l'on procède de la sorte ; elle veut que, dès l'instant que le juge ordonne une enquête, il autorise, par le même jugement, la contre-enquête.

Ici encore une fois j'en appelle à l'expérience d'une foule de membres de l'assemblée. N'est-il pas vrai que très souvent la contre-enquête suffit pour renverser de fond en comble un système laborieusement édifié à l'aile d'une centaine de témoignages ?

Et ici qu'est-ce qu'on vous demande ? De juger sur une enquête qui n'a pas été suivie d'une contre-enquête ! On vous demande de faire ce qui est interdit au juge, depuis les premières années du règne de François Ier.

Je crois avoir assez prouvé que l'enquête préliminaire ne peut fournir par elle-même que des présomptions et rien que des présomptions.

Cela est vrai toujours ; mais cela est vrai surtout lorsque, comme à Bruges, tous ceux qui, directement ou indirectement, ont participé à l'enquête, y ont procédé avec une complaisance manifeste. (Interruption.) Je comprends, messieurs, la gravité de l'accusation, mais je vais vous la prouver ; je ne l'apporte pas à la légère. Je dis que tous ceux qui, à Bruges, se sont mêlés à cette enquête, juge d'instruction, procureur du roi et chambre du conseil, ont procédé avec une complaisance manifeste, et vais vous le prouver.

- Voix à gauche. - C'est trop fort !

- Voix à droite. - Attendez au moins la preuve.

M. Thonissenµ. - Voici, messieurs, la preuve de ce que j'avance. A la page 231 de l'enquête se trouve une déposition du secrétaire communal du village de Zerkeghem ; elle est ainsi conçue :

« Je suis secrétaire de la commune de Zerkeghem. Je sais, uniquement par ouï dire, que, quelque temps après les élections du neuf juin dernier, les électeurs de Zerkeghem, avec leurs femmes, ont été régalés chaque fois à tour de rôle, cinq dimanches consécutifs, dans cinq cabarets de Zerkeghem, cabarets qui sont également tenus par des électeurs. - A ce qu'il paraît, c'est le curé Deman qui a payé tous les frais. Je ne crois pas qu'avant les élection, il y ait eu des promesses de pareilles petites fêtes aux électeurs par ledit curé ; s il en avait été ainsi, assurément j'en aurais eu connaissance et je certifie n'avoir rien entendu ni appris à cet égard. Dans lesdits cabarets il aurait été donné en régal du café, de la bière, du pain de gâteau et du jambon. Les cinq cabaretiers en question sont : Charles Verbrogghe, Lievens, Van Poucke, Knockaert et Charles Vermaut. »

Voilà donc une déposition qui n'articule absolument rien à charge du curé de Zerkeghem. Le témoin dit positivement qu'avant l'élection le ciré n'a rien donné et qu'il n'a rien promis. Voilà ce que dit le témoin de la manière la plus formelle. Le témoin n'articule aucun fait répréhensible qui se soit passé avant l'élection ; et, même pour les faits postérieurs, il ne parle que par ouï-dire. Eh bien, cette déposition, par ouï-dire, cette déposition insignifiante, qui ne renferme aucun grief à charge du curé de Zerkeghem, a suffi au juge d'instruction pour mettre en doute la délicatesse, la loyauté, l'honneur d'un prêtre vénérable que l'honorable M. Hymans appelle un orateur de cabaret.

M. Hymans. - Il a été au cabaret. !

M. Thonissenµ. - D'un prêtre que je proclame, moi, le modèle de toutes les vertus sacerdotales et de toutes les vertus civiques. (Interruption.)

Je prie M. Hymans de ne pas m'interrompre, je ne l'ai pas interrompu ; je parle pour la première fois dans cette enceinte, et je n'ai pas de discours écrit.

Je dis que cette déposition par ouï-dire est insignifiante et que cependant, dès ce jour-là, ce prêtre a été un prévenu de corruption électorale aux yeux du juge d'instruction !

C'était son droit, je l’avoue ; mais ce droit il devait l'exercer de la même manière à l'égard de tout le monde, et c'est ce qu'il n'a pas fait. Il a eu deux poids et deux mesures.

(page 54) Voici la preuve ;

Prenons à la page 56 de l'enquête la déposition du témoin Jean Vandeputte. Je ne lirai pas toute cette déposition, mais je vous citerai un passaçagsur lequel j'appelle votre attention :

« Il est vrai que le matin j'avais parlé à Moens, qui est électeur, je crois, sur le Marché au bétail, mais je ne l'ai pas engagé à voter avec les catholiques, parce que je savais que pour chaque élection Moens recevait de l'argent de M. le juge de paix Hermans et de l'ancien directeur de l'abattoir, pour voter pour les libéraux, ainsi que Moens l'a raconté, il y a huit jours, dans un estaminet du Marché du Vendredi, où j'étais. »

Comparez la déposition insignifiante, par ouï-dire, faite à la charge du curé de Zerkeghem, avec la déposition positive faite à la charge du juge de paix Hermans. Ici le témoin articule positivement un fait grave, un fait incriminé par le code pénal. Que fait le juge d'instruction ?

A-t-il agi contre le juge de paix de Bruges comme contre le curé de Zerkeghem? En aucune manière. Il a si peu traité le juge de paix en prévenu que quand il l'a interrogé plus tard, il ne lui a pas même adressé de question sur les faits articulés à sa charge.

Ne vous trompez pas, messieurs, sur mes intentions. Je ne dis pas que le fait imputé au juge de paix soit vrai ; je crois M. le juge Hermans incapable d'une telle infamie. Mais ce que je dis pour le juge de paix, je le dis également pour le curé de Zerkeghem, et si une déposition vague suffisait pour faire un prévenu du curé de Zerkeghern, une déposition positive devait suffire pour faire un prévenu du juge de paix Hermans !

On représente aujourd'hui la Justice, une balance à la main et un bandeau sur les yeux ; je ne veux pas que, dans la libre Belgique, on puisse la représenter un jour, les yeux largement ouverts, l'air menaçant et la main appuyée sur l'urne électorale !

Je le répète :

Ce que le juge d'instruction a fait à l'égard du curé de Zerkeghern était dans son droit, mais je répète aussi qu'il devait, en usant de ce droit, agir de même pour le juge de paix Hermans, d'autant plus que ce juge a joué dans l'élection et dans l'enquête un rôle peu digne de la robe qu'il a l'honneur de porter. Voyez : il veut connaître les secrets, les prétendus secrets d'un commissionnaire. Il se rend dans un cabaret, il fait interroger le commissionnaire par le cabaretier, par la femme du cabaretier, et pendant ce temps, lui, le juge de paix de Bruges, le juge de paix du chef-lieu de la Flandre occidentale, il se blottit derrière une porte pour écouter ce qu'on dit !

Comment appelle-t-on cela dans le dictionnaire des gens d'honneur ?

J'ai donc le droit de dire que le juge d'instruction a eu des procédés bien différents à l'égard du juge de paix Hermans et à l'égard du curé de Zerkeghem.

Mais ce fait, messieurs, n'est pas un acte isolé ; je pourrais en citer plusieurs, mais je me bornerai à un incident qui se rapporte à la partie de l'enquête concernant le nombre des bulletins marqués.

Pour le premier bureau, il appelle deux scrutateurs, conseillers communaux à Bruges ; pour le deuxième bureau, il appelle un seul scrutateur, échevin de la ville de Bruges ; pour le troisième bureau, il appelle un seul scrutateur, M. le bourgmestre de Bruges ; pour le quatrième bureau, il appelle un juge, président, et un notaire, scrutateur ; pour le cinquième bureau il appelle non plus un président, non plus un scrutateur, mais simplement le secrétaire du bureau, employé subalterne à l'administration communale de Bruges. Pourquoi appeler ici deux scrutateurs, là un président de bureau, là un seul scrutateur, là uniquement le secrétaire du bureau ? Pourquoi cette différence ? Si le juge d’instruction avait bien compris sa mission, il aurait appelé tous els scrutateurs, et il les aurait interrogé tous sous la foi du serment. Il y avait nécessité absolue de le faire, et j’en trouve la preuve dans l’enquête.

Je pren-ls la déposition de M. Goupy de Beauvolers :

« Demande. Vous avez, comme scrutateur, participé au dépouillement des votes au premier bureau électoral de Bruges, le neuf juin dernier ; n'avez-vous pas souvenir qu'il soit sorti du scrutin des bulletins portant des désignations ou des marques de nature à faire reconnaître les votants ?

« Réponse. En effet, lors du dépouillement du scrutin, comme scrutateur à ce bureau, j'étais assis à la droite du président qui, au fur et à mesure qu'il avait donné lecture des bulletins retirés de la boîte, me les remettait ; de façon que j'ai bien pu examiner chacun de ces bulletins. Je n'en ai pas remarqué un seu1 qui portât une marque ou une désignation quelconque de nature à faire reconnaître le votant. »

Voilà donc un scrutateur qui a vu tous les bulletins, qui les a pris dans la main un a un, et qui cependant n'a rien vu qui fût de nature à faire reconnaître le votant. »

Croyez-vous que le juge d'instruction s'arrête devant cette déclaration ? Non, il continue ; il appelle un deuxième témoin qui a vu une foule de choses. C'est M. Désiré Maertens.

Voici sa déposition :

« Demande. N'avez-vous pas remarqué qu'il soit sorti de l'urne des bulletins portant des désignations ou des marques de nature à faire reconnaître les votants ?

« Réponse. La seule remarque que j'aie faite, en ouvrant les bulletins et en les examinant, c'est qu'un grand nombre de ces bulletins étaient écrits sur du papier provenant de vieux registres lignés au crayon. - Tous ces bulletins étaient des bulletins catholiques. - Je n'ai pas remarqué qu'il y ait eu des bulletins portant des désignations ou des indices de nature à faire croire à l'électeur auquel pareil bulletin aurait été remis, que s'il ne sortait pas de l'urne, cela pourrait être constaté, en d'autres termes je n'ai pas remarqué qu'il soit sorti de l'urne des bulletins de nature à faire connaître le votant, bien entendu des bulletins autres que ceux dont j'ai parlé en premier lieu. »

Ainsi le juge appelle un premier scrutateur qui dit n'avoir rien vu ; il en appelle un second. C'était son droit, c'était son devoir, mais il devait continuer de la même manière. Or, dans le cinquième bureau, il appelle seulement le secrétaire, qui ne peut rien voir de ce qui se passe autour de lui, puisqu'il a continuellement à écrire. Quant aux scrutateurs, il ne daigne pas les appeler. Et cependant l'expérience du deuxième bureau était là.

Ici encore le juge n'a pas procédé de la même manière, pour tous les bureaux ; ici encore on trouve deux poids et deux mesures.

Voilà donc, messieurs, l'enquête préliminaire faite à Bruges, l'enquête faite à huis clos par un seul magistrat. Voilà la base que l'on assigne à vos délibérations, à votre vote ; c'est une base bien fragile dont la complaisance des uns et la passion des autres ont fourni toute la matière.

Vous ne pouvez en toute justice, si vous annulez l'élection de Bruges faire autrement que d'ordonner une enquête parlementaire.

Sans cela que feriez-vous ? Vous vous rendriez juges, sur une simple enquête non suivie d'une contre-enquête. Le droit, l'équité, la raison, l'expérience de tous les peuples vous défendent d'agir de la sorte. Mais, messieurs, à mon avis, l'enquête parlementaire elle-même ne doit pas se faire ici.

Je suis d'accord avec vous, je l'espère du moins, en disant qu'une enquête parlementaire est un fait excessivement grave et surtout un précédent très dangereux. Vous avez eu une demande d'enquête pour Bastogne, pour Gand, pour Bruges, pour Dinant, et désormais, soyez-en bien persuadés, les demandes d'enquête vous viendront pour la moitié ou les trois quarts de tous les arrondissements qui seront le théâtre d'une lutte électorale.

Eh bien, messieurs, je vous le dis avec sincérité, je vous le dis avec douleur, de tels procédés, dans un petit pays comme la Belgique, c'est la mort du régime parlementaire.

Chaque fois qu'il y aura ici une majorité faible, cette majorité pourra faire de l'enquête parlementaire un moyen d'écarter provisoirement, pendant plusieurs mois, quatre ou cinq membres dont le vote la gênerait.

MfFOµ. - Il y a, dans les élus de Bruges, deux de nos amis.

M. Thonissenµ. - Sans doute ; messieurs, comprenez-moi bien, je vous prie, je ne dis pas que telles soient vos intentions, je parle en théorie. Je n'accuserai jamais sans preuve. Je parle au point de vue des principes, au point de vue de nos institutions, et je dis que, chaque fois qu'il y aura une majorité faible, quelle que soit sa couleur, elle pourra trouver dans l'enquête parlementaire un moyen commode, efficace, infaillible d'éloigner de nos débats pendant plusieurs mois 4, 5 et 6 élus qui la gêneraient. Et plus tard l’enquête faite, cette même majorité viendra se prononcer sans responsabilité et sans appel sur le sort de ses adversaires politiques ! Je le répète, messieurs, dans un petit pays comme la Belgique, de tels procédés sont la mort du régime parlementaire.

J'ajoute avec un regret profond que de tels procédés sont aussi un acheminement, certain, inévitable, vers l'affaiblissement des forces nationales en jetant la désaffection et un découragement irrémédiables dans l'âme de la moitié de la nation ! (Interruption.)

Je suis, messieurs, un des derniers venus dans cette enceinte ; mais permettez-moi de le dire avec cette franchise qui sied au citoyen d'un pays libre ; la voie dans laquelle vous entrez est éminemment dangereuse. La politique des coups de majorité est précisément celle qui convient le (page 55) moins à un pays de peu d'étendue comme la Belgique, qu'entourent et que convoitent peut-être de puissants voisins. (Interruption.)

Cette politique des coups de majorité ne pourra jamais se concilier avec notre caractère national, avec nos traditions, avec le jeu libre et régulier de nos institutions.

Cette politique, toujours dangereuse, l'est surtout à une époque où l'Europe est ébranlée jusque dans ses fondements et où le gouvernement peut avoir besoin chaque jour, à l'heure du péril, du concours des vaincus, aussi bien que du concours des vainqueurs dans les dernières luttes électorales.

- Plusieurs membres. - Aux voix.

M. Nothomb, rapporteurµ. - Je ne m'attendais pas, messieurs, à devoir parler dans la séance d'aujourd'hui. Cependant je trouve à ce contre-temps une compensation, c'est d'intervenir le premier après le discours que vous venez d'entendre, parce que j'y rencontre l'occasion de présenter à notre honorable collègue, en mon nom et au nom de mes amis politiques, nos sincères et cordiales félicitations.

Plein de raison, empreint d'un esprit de calme et d'impartialité, s'inspirant d'un vif sentiment de patriotisme, ce discours, d'un style simple, net et viril, a dû vous émouvoir comme nous, car il a montré les périls que vous allez affronter.

J'en rends grâce à l’honorable M. Thonissen. Il a fait un bon discours et une bonne action. Le pays lui en tiendra compte.

Je le répète, messieurs, je ne comptais pas parler aujourd'hui. Mes notes sont éparses. J'ai à justifier le rapport des nombreuses accusations portées contre lui pendant presque deux séances.

La Chambre comprendra qu'il m'est impossible de suivre en ce moment, comme je le désire, comme je veux le faire et comme je le ferai, l'honorable M. Hymans dans ses déductions.

Je suis donc obligé de demander d'abord l'indulgence de la Chambre, ensuite qu'on veuille bien ne pas trop m'interrompre et je demanderai, après être entré dans quelques considérations générales, la permission de pouvoir terminer demain.

La manière de discuter de l'honorable M. Hymans peut se résumer en deux mots : affirmations sans preuves et suppositions sans fondement.

L'honorable membre considère comme établi ce qui est controuvé, comme prouvé ce qui n'est qu'une hypothèse, et comme coupable ce qui ne l'est pas le moins du monde. Comme je vais le démontrer, il est obligé de méconnaître jusqu'à la valeur des mots, de s'insurger contre la puissance du dictionnaire pour trouver quelque chose à reprendre dans le rapport et dans les élections qui ont eu lieu à Bruges.

Si dire : je n'ai pas reçu de promesses, veut dire : j'en ai reçu ; si dire : on n'a pas agi sur moi par voie de menace et de séduction, veut dire : j'ai été séduit, j'ai été menacé ; si dire : on ne m'a pas sollicité, on ne m'a pas corrompu, veut dire : j'ai été corrompu, j'ai été illégitimement pressé ; oh ! alors à quoi bon cette enquête ? A quoi bon cette discussion ? Dites tout simplement que l'élection doit être annulée, parce qu'ainsi on l'exige, parce qu'ainsi on le veut. Ce sera plus franc.

Mais s'il faut tenir compte de tout ce qui a été dit, de tout ce qui a été recueilli dans l'enquête, de tout ce qui a été démontré, de tout ce qui a été établi clair comme l'évidence, votre raisonnement est erroné et vos conclusions sont fausses autant que dangereuses.

Messieurs, l'honorable préopinant vient de vous dire mieux que je n'aurais pu le faire, combien est grand le danger de se baser, pour prendre une aussi grave décision, sur quoi ? Sur une chose qui n'existe même plus. Car au fond votre enquête n'existe plus, l'ordonnance de non-lieu l'a frappée de néant ; elle n'est plus qu'une ombre. Elle n'est ni contradictoire ni publique. Elle manque de toutes les conditions qui devraient en faire la force.

Son caractère probant a disparu avec la décision même des juges.

Eh bien, ce qu'a été considéré par les magistrats comme dépourvu d'élément juridique suffisant, c'est sur cela que vous devez vous appuyer pour faire ce qu'il y a de plus redoutable dans un pays libre, pour casser le verdict électoral, ainsi que vous l'a dit l'honorable M. Thonissen, dont les paroles resteront comme l'expression de la vérité et du respect de nos institutions.

Je vous défie de les réfuter.

Comment a procédé l'honorable M. Hymans ? Il a pris des phrases isolées, des passages épars. Ah ! il y a mis de l'adresse, lui qui me reprochait d'y avoir mis de la naïveté et d'avoir commencé par où l'on commence généralement, par le commencement. Oui, j'ai commencé par le commencement ; j'ai tenu compte de toute l'enquête ; je n'ai pas cherché à donner à mon travail une forme de fantaisie.

Je n'ai pas été rechercher au milieu de l'enquête quelques faits pour les faire apparaître comme dans un roman. Non, j'ai procédé autrement ; j'ai analysé toute l'enquête ; j'ai commencé par le n°1 et j'ai fini par le n°287.

Que faites-vous, au contraire, mon honorable collègue ? Vous vous emparez de quelques passages isolés, de quelques vétilles. Vous invoquez des erreurs, des contradictions sur des points sans importance. Comment n'y en aurait-il pas dans une enquête de 240 témoins ? Et, après cela, vous vous écriez triomphalement : Voilà la corruption !

Le système est vieux, je le connais de longue date ; et il y a bien longtemps qu'un fameux, trop fameux juge d'instruction de son temps disait : « Donnez-moi quatre lignes de l'écriture d'un homme, et je le fais pendre. » C'est du XVIIIème siècle.

Voilà, messieurs, comment apparaît dans son ensemble la manière d'argumenter de l'honorable M. Hymans.

Il y a un autre point de vue d'ensemble sur lequel je dois encore appeler votre attention.

Il y a, messieurs, dans cette enquête une foule de cabaretiers ; il n'y a presque que des cabaretiers.

Eh bien, que remarque-t-on chez mon honorable contradicteur ? Quand les cabaretiers doivent servir à incriminer les conservateurs de Bruges, quand leurs dépositions peuvent être invoquées contre nos amis politiques, contre ceux qui sont accusés, oh alors les cabaretiers sont d'honnêtes gens, ils sont sincères, il faut les croire.

Mais au contraire quand les déclarations de ces cabaretiers doivent servir à disculper les conservateurs, arrière les cabaretiers ! pas de sincérité chez eux, pas de loyauté ; ce sont des menteurs ; ce sont des gens corrompus l

Il y a donc pour l'honorable M. Hymans les bons et les mauvais cabaretiers. Les bons sont ceux qui servent sa cause et les mauvais sont ceux que nous invoquons.

Je vous montrerai, quand j'entrerai dans les détails, que cela est ainsi, et je prouverai à mon honorable contradicteur qu'il fait parfois deux parts du même cabaretier : tantôt c'est un excellent témoin auquel il faut croire, et un peu plus loin, c'est un homme sans conscience ; il est véreux, il ne faut pas croire un mot de ce qu'il dit.

Enfin, si par malheur un cabaretier vient à incriminer un agent de l'opinion libérale, alors pas de rémission, haro sur ce cabaretier ! Pourquoi ? Parce que aux yeux de notre honorable adversaire les agents libéraux, dans l'affaire de Bruges, ont été purs et impeccables. Nous verrons cela.

C'est la seconde tactique que j'ai l'honneur de signaler à la Chambre ; cela étant, je dis que tout l'échafaudage de l'honorable M. Hymans croule par la base.

L'honorable membre nous disait hier sous forme de considération générale : Sans doute il n'y a pas dans ce dossier, tel qu'il se présente devant vous, de ces preuves matérielles qui crèvent la vue, qui sont incontestables. Mais il y a des présomptions graves, concordantes, pertinentes qui, certes, devant un jury, suffiraient pour faire condamner.

Messieurs, je n'ai pas cette opinion d'un jury et surtout d'un jury belge. L'honorable M. Hymans a bien voulu faire hier, dans des termes pour la bienveillance desquels je le remercie, allusion à ma première carrière qui m'a mis souvent en face du jury.

Je n'hésite pas à déclarer en toute sincérité que, devant une enquête telle que celle-ci, pas un jury belge ne s'arrêterait un instant et ne baserait une condamnation sur de semblables futilités.

Non, personne n'oserait le soutenir. Et ce que ne ferait pas un jury, on convie la majorité de cette Chambre à le faire !

Si, messieurs, parmi des jurés se trouvaient des hommes ayant à se reprocher les mêmes faits que ceux dont l'accusé est rendu responsable, savez-vous ce que feraient ces jurés ? Ils ne condamneraient certainement pas ; ils se récuseraient. Eh bien, pouvez-vous en conscience dire que les pratiques que nous avons signalées à Bruges, que nous regrettons avec vous, ne sont pas au fond de la plupart des élections, même de celles qui vous ont amenés ici comme plus d'un parmi nous ? Vous êtes donc juges et parties. Faites donc comme agirait un juré imbu de ses devoirs ; ne jugez pas, ne frappez pas, mais récusez-vous. (Interruption.)

Comment ! on vous demande ici de prononcer la plus grave des condamnations politiques ; on vous le demande en vous assimilant à un jury et vous vous récriez quand je vous retrace les impérieux devoirs du jury.

Vous acceptez l'honneur et déclinez les charges. Vous n'êtes pas conséquents.

Et cela surtout alors que nous avons vu ici des juges correctionnels reculer eux-mêmes, reculer en disant : Il n'y a pas lieu de passer outre. (page 58) Après une enquête qui a duré des mois entiers, ces magistrats sont venus proclamer qu'il n'y avait pas l'ombre d'une culpabilité. (Interruption.)

Permettez, je répète que les juges, appuyés sur le Code d'instruction criminelle, ont statué qu'il n'y avait nul indice raisonnable de culpabilité, et partant qu'il n'y avait pas lieu de faire des recherches ultérieures. (Interruption.)

Est-il vrai, oui ou non, que la déclaration du juge signifie qu'il n'y a pas dans l'enquête des motifs plausibles suffisants pour que l'on poursuive ultérieurement ?

Et c'est en vertu d'une pareille ordonnance que, voulant vous assimiler à un jury, vous demander une condamnation !

Mais l'honorable M. Hymans trouve encore cet autre argument. Il dit : Pas de fumée sans feu, et parce qu'il n'y a pas de feu il veut fonder une condamnation sur quoi ? sur de la fumée ! En vérité l'argument est nouveau et j'en laisse volontiers l’invention à l'honorable membre. Condamner les gens sur de la fumée, autant dire sur l'ombre, sur ce qui n'existe pas.

En terminant tout à l'heure son discours, l'honorable M. Hymans a beaucoup insisté sur le réquisitoire du ministère public.

Il y a, messieurs, deux choses dans cette pièce : d'abord la conclusion formelle tendante au non-lieu, adoptée par les juges.

Il y a, ensuite, l'appréciation du magistrat ; celle-là désormais vous appartient.

En produisant devant nous une enquête judiciaire, vous appelez sur elle toutes nos investigations et nous nous avons signalé, dès l'origine comme un danger sérieux cette discussion inévitable des actes du pouvoir judiciaire par le pouvoir parlementaire ; vous ne nous avez pas écoutés, vous avez voulu la production de l'enquête ; elle est à nous et l'appréciation du ministère public, celle des juges, la conduite même des magistrats, nous avons par votre fait le droit de les discuter et nous les discuterons ; tout cela est entré dans le domaine politique. Vous l'avez voulu.

L'honorable M. Hymans me reproche d'avoir énoncé que l'enquête n'a pas constaté un déplacement de voix en faveur du candidat dont l'élection est attaquée et il me demande maintenant de le prouver. Je réponds simplement : L'enquête elle-même le prouve à toute évidence. Elle constate que les tentatives, vraies ou prétendues faites, n'ont pas abouti et que la plupart des électeurs qui auraient été l'objet de ces prétendues tentatives, ont voté en faveur des candidats dont l'élection n'est pas incriminée.

Le déplacement de voix reste donc étranger au candidat conservateur ; cela ressort à toute évidence de l'enquête.

Mais, ajoute l'honorable membre, avec ce système vous iriez fort loin, vous arriveriez à cette conséquence que lors même qu'il serait constaté qu'il y a eu trafic de 20 voix par exemple sur 21, il faudrait encore valider l'élection parce qu'il resterait une voix de majorité, non contestée.

A cela, messieurs, je réponds par l'argument contraire ; si le système que je combats était admis, vous arriveriez à une conséquence bien plus bizarre encore, c'est que dans toute élection il suffirait, pour l'annuler éventuellement, de trouver un compère qui dirait : Il y a eu tentative de corruption sur moi.

Si ce système prévalait, on aurait des moyens d'annulation en réserve, pour le besoin du moment, en d'autres termes, il n'y aurait plus d'élections.

En cela, messieurs, comme en toute chose il faut suivre de justes limites. Je suppose qu'un candidat ait obtenu 19 voix de majorité et que 5 électeurs aient été amenés par des moyens illégitimes à voter pour lui à son insu, malgré lui. Il resterait encore une majorité de 14 voix, régulière et morale et l'élection devrait être validée.

L'honorable M. Hymans s'est étendu à plaisir sur la prétendue pression exercée contre les électeurs, il a parlé longuement de menaces, de séduction, de corruption, de démoralisation, c'est à merveille, il n'a eu ces sévérités de langage que pour une seule opinion politique. Pourtant il eût été juste et équitable d'appliquer les mêmes rigueurs à l'autre opinion, et le dossier lui en fournissait une ample matière. Pourquoi ne l'a-t-il pas dit ? Pourquoi n'a-t-il point parlé de l’influence officielle qui a joué un si grand rôle.

Pourquoi n'a t-il rien dit du chef de l'administration communale de Bruges, faisant venir dans son cabinet des électeurs et leur remettant des bulletins ? et des électeurs probablement cabaretiers placés comme tels incessamment sont la main de la police ? Pourquoi n'a t-il pas eu un mot pour ce commissaire de police distribuant des bulletins libéraux ? (Interruption.)

C'est au n°49 de l'enquête. Le témoin Louis Baujé déclare : « J'ai reçu des bulletins pour le vote, de la part de M. Chantrelle, directeur du chemin de fer de la Flandre occidentale, ainsi que de M. Van de Water, commissaire de police, pour les candidats libéraux. »

- Plusieurs membres. - Ce n'est pas de l'argent.

M. Nothomb, rapporteurµ. - Il ne s'agit pas ici d'argent, il s'agit de la pression illégitime sur des électeurs, de l'abus d'influence. C'est tout aussi grave ; je relève votre silence complaisant pour votre opinion, pour couvrir des manœuvres pratiquées par des hommes de votre parti, voire silence pour eux, vos colères contre nous. Voilà l'injustice que je signale au pays.

Ai-je besoin, après cela, de revenir encore au rôle qu'a joué le juge de paix de Bruges ? L'honorable M. Thonissen l'a signalé en termes qui resteront, mais qui ne resteront pas à l'honneur de ce magistrat. Il vous l'a montré se transportant chez un cabaretier et y invoquant abusivement le nom et l'autorité du propriétaire du cabaret. N'est-ce pas là un fait étrange ? Et cette autre particularité, reprochée au même personnage, d'avoir espionné une conversation, caché derrière une porte ! comme c'est digne d'un magistrat, d'un juge de paix !

Voilà des faits graves qui donnent à tout ce qui s'est passé à Bruges son véritable caractère. L'honorable M. Hymans y a prudemment glissé et je lui en fais le reproche. Il fallait être juste. Ce n'est qu'en étant équitable que vous pouvez justifier la décision que vous prendrez ; ce n'est qu'en étant juste et impartial que vous mériteriez ce titre d'honneur que vous revendiquez d'être un jury national.

Je prierai maintenant la Chambre de me permettre de m'occuper des détails de l'enquête dans la séance de demain.

- La Chambre remet à demain à 2 heures la suite de la discussion.

La séance est levée à 4 heures et demie.