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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 22 décembre 1863

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1863-1864)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 137) M. Thienpont, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. de Moor, secrétaireµ, lit le procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont, secrétaireµ, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Les sieurs de Beer, Talloen et autres membres d'une société littéraire à Sottegem, demandent une loi dans l'intérêt de la langue flamande. »

« Même demande d'habitants de Blankenberghe et des sieurs Debruyn, Voet et autres membres d'une société littéraire à Vracene. »

- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


« Le sieur Baelen prie la Chambre de l'exempter du droit d'enregistrement auquel se trouve assujettie la naturalisation qu'il a demandée. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Le collège des bourgmestre et échevins de la ville d'Anvers adresse à la Chambre 120 exemplaires d'un Extrait du rapport annuel sur la situation administrative de la ville. »

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.


« M. Alph. Minet fait hommage à la Chambre de 97 exemplaires de sa brochure intitulée : Des pensions militaires. »

- Distribution aux membres de la Chambre.

Nomination d’un membre de la commission de surveillance près de la caisse d’amortissement, des dépôts et consignations

Nombre de votants, 92.

Bulletin blanc, 1.

Bulletins valables, 91.

Majorité absolue, 46

M. de Brouckere a obtenu 51 suffrages.

M. Vermeire, 40 suffrages.

En conséquence, M. de Brouckere est proclamé membre de la commission de surveillance près de la caisse d'amortissement, des dépôts et consignations.

Projet d’adresse en réponse au discours du trône

Discussion générale

M. Delaetµ. - Messieurs, comme membre de la députation d'Anvers, je dois remercier la Chambre, d'abord, de l'attention qu'elle a bien voulu accorder à mon honorable ami M. d'Hane-Steenhuyse. Je sens la difficulté de la tâche que j'ai à remplir en ce moment, je la sens tout entière : J'ai à répondre à deux orateurs de grand talent, d'une autorité reconnue, très écoutés à la Chambre ; et je parle au nom d'une ville contre laquelle, hélas ! depuis deux ans, trop de préjugés ont été répandes dans la pays.

Le mouvement anversois, messieurs, né tout simplement de l'absence de sécurité de notre métropole commerciale, a été dépeint sous de très fausses couleurs.

Pour les uns, c'a été un mouvement orangiste : on nous a accusés de vouloir trahir la Belgique, quoique cette Belgique soit née d'un enfantement qui, certes pour nous a été bien douloureux ; la Belgique est sortie d'un premier bombardement d'Anvers.

Cette nationalité, messieurs, a été pour nous trop douloureuse à sa naissance pour ne pas nous être chère aujourd'hui qu'elle a grandi, qu'elle est devenue forte.

- Voix à gauche. - Très bien !

M. Delaetµ. - Pour d'autres, tout le mouvement anversois n'a été, je dirai le mot qu'on a employé dans la presse, qu'une intrigue cléricale. Cette accusation a été répandue par toute la presse libérale du pays, et comme les organes d'Anvers n'y pénètrent pas, comme malheureusement nous ne sommes, sous le rapport de la presse, qu'une ville de province, notre défense n'a jamais été entendue ; et si je suis heureux de pouvoir parler dans cette enceinte, c'est surtout parce que je sais que la voix d'Anvers aujourd'hui retentira dans tout le pays et que la vérité sera connue.

Messieurs, je viens de vous dire combien ma tâche est difficile et combien j'en sens la difficulté. C'est assez vous dire que j ai besoin de toute (page 137) l'indulgence de la Chambre ; et si un mot pouvait m'échapper qui sortît des formes parlementaires, ce mot je le retire d'avance. Vous tiendrez compte de mon inexpérience et je crois que par cela même que nous défendons une cause contre laquelle il y a des préjugés, on me permettra de dire toute la vérité.

Messieurs, M. le ministre des finances a beaucoup parlé hier, non pas pour traiter la question d'Anvers, mais pour la déplacer.

La question était de savoir : Anvers paye-t-elle oui ou non ses dettes ?

M. le ministre des finances est venu nous lire une longue correspondance entre la régence d'Anvers et le département des finances. Or dans toute cette correspondance, il n'y a pas une ligue, pas un mot qui autorise M. le ministre des finances à dire que nous refusons de payer nos dettes. (Interruption.)

Déjà avant la lecture de cette correspondance, moi honorable ami M. d'Hane avait reconnu que M.le ministre des finances avait victorieusement répondu sur plusieurs points de la lettre de la régence. Mais au fond, messieurs, qu'est-ce que cette correspondance ? Emane-t-elle, dès l'origine, de la régence actuelle d'Anvers, de la régence provisoire ? Pas le moins du monde !

Cette régence certes avait le droit d'essayer de rendre moins lourds les sacrifices auxquels on avait consenti en retour d'une condition qui n'a pas été accomplie, en retour de la sécurité. La question n'était pas une question de vente de terrains ; c'était une question de garantie de sécurité et cette sécurité nous ne l'avons pas. Nul ne pourrait dire que nous l'avons. (Interruption.)

Messieurs, les rires ne signifient rien ; si vous croyez me démonter, vous n'atteindrez pas votre but.

Messieurs, je vous dirai que la régence provisoire, en essayant près du gouvernement d'obtenir des conditions meilleures, n'a fait que suivre la voie qui lui avait été indiquée par un ami politique du cabinet, par l'honorable M. Loos lui-même.

M. Loos avait d'abord essayé, à ce qu'il nous a dit, d'obtenir, vu l'abolition des octrois, des conditions plus favorables pour la ville d'Anvers, et quand il a quitté la régence, il y a eu une réunion dans laquelle il s'est expliqué sur cette question.

Voici ce que l'honorable M. Loos a dit le 26 mars 1863.

« 1° La cession des terrains militaires, au prix de dix millions ;

« M. le bourgmestre déclare qu'il a déjà fait comprendre à plusieurs ministres qu'en supprimant l'octroi qui devait fournir à la ville des ressources pour parfaire la majeure partie des intérêts des 10 millions, le gouvernement avait changé complètement la situation et que la ville ne pourrait plus payer cette somme ; que, du reste, on avait déjà disposé d'une partie des terrains pour le service du chemin de fer et que, dans d'autres localités démantelées, on avait cédé gratuitement aux communes les terrains nécessaires à la voirie, aux promenades et établissements d'utilité, etc. ; qu'il convenait donc, dans l'intérêt de la ville, de traiter cette question avec la plus grande prudence. »

Il y a plus.

L'honorable M. Loos va beaucoup plus loin que la régence actuelle et il conteste l'obligation, pour la ville d'Anvers, de payer ; chose que nous ne contestons pas.

Vous savez tous que le Précurseur a été acquis par une compagnie peu favorable au mouvement anversois et dont l'honorable M. Loos avoue être un des plus forts actionnaires, un des patrons. Ce journal s'est chargé de répondre à l'honorable ministre des finances, quand il s'est permis de dire au Sénat que la ville d'Anvers ne paye pas ses dettes, et si vous me le permettez, je vais vous donner lecture de l'opinion du journal patronné par l'honorable M. Loos :

« La déclaration de M. Frère est d'ailleurs beaucoup trop absolue. Alors même que le gouvernement considérerait la question anversoise comme résolue quant aux citadelles, il est certain qu'il ne peut se prononcer aussi catégoriquement quant aux servitudes militaires et aux indemnités. M, Frère a avoué lui-même, antérieurement, qu'il y avait, à ce point de vue, quelque chose à faire. Il eût donc, au moins, dû reconnaître que cette partie des réclamations anversoises reste à débattre et qu'aucune décision n'a encore été prise. Nous avons déjà établi que, sous ce rapport, nous avons tout lieu d'espérer une solution favorable.

« M. le ministre des finances a été beaucoup trop affirmatif aussi en ce qui concerne les dix millions pour le rachat des terrains militaires. D'après lui, c'est une dette que notre ville a contractée envers l'Etat et dont elle refuse arbitrairement le payement.

Je reprends la citation :

« M, Frère se trompe complètement. Anvers n'est nullement liée vis-à-vis du gouvernement. »

(page 138) Voila l'opinion de l'honorable M. Loos ; ce n'est pas la nôtre ; nous n'allons pas si loin.

« Nous l'avons clairement démontré dans notre numéro du 17 mai dernier. A la vérité, avant la discussion de la grande enceinte, l'administration avait consenti h payer à l'Etat 10 millions pour la reprise des terrains, constructionsett fortifications de la vieille enceinte ; mais elle avait indiqué en même temps comment elle entendait faire face à cette dépense : 1° par l'accroissement du produit de l'octroi, résultat de l'incorporation de milliers d'habitants ; 2° par une augmentation du produit de l'octroi des boissons distillées ; 3° par une taxe établie sur les propriétés bâties.

« Ces conditions, tacitement acceptés par le gouvernement, sont devenues irréalisables, au moins les deux premières, par suite de l'abolition des octrois. Cette réforme mettait, en quelque sorte, la ville dans l'impossibilité de remplir ses engagements.

« D'ailleurs, l'arrangement primitif est venu à tomber par suite d'une modification qui y a été apportée, sans l'assentiment de l'administration communale. Nous lisons, en effet, dans les Annales parlementaires, séance du 30 août 1859 :

« M. le ministre des finances. Voici, messieurs, comment je formule l'amendement que j'ai annoncé tout à l'heure :

« Toutefois, si des tiers faisaient des offres plus avantageuses dans le délai d'un an, à partir de la publication de la présente loi, l'Etat est autorisé à traiter avec eux et à dégager la ville d'Anvers de 1'obligation qui lui est imposée. »

« M. Loos. La ville d'Anvers serait-elle engagée si personne ne faisait des offres plus avantageuses ?

« M. le ministre des finances. Sans doute.

« M. Loos. La ville d'Anvers n'a pas été consultée sur ce point ; quant à moi, je ne prends aucun engagement.

« La discussion est close.

« On le voit (je continue délire), grâce à la réserve expresse que M. Loos a faite avec tant de sagesse, la position de la commune vis à-vis de l'Etat ne peut prêter à aucune équivoque. Il n'y a point d'engagements pris, et parlant, M. Frère a eu tort de parler d'inexécution d'obligations contractées. La question de la reprise des terrains militaires est à négocier et nous espérons que la régence saura sauvegarder les intérêts de la métropole.

« En résumé, la réponse de M. Frère a été très aventurée et nous engageons vivement le cabinet à traiter plus sérieusement des questions aussi sérieuses. »

Voilà, messieurs, l'organe des amis politiques de M. Frère à Anvers qui l'engage à traiter plus sérieusement les questions ; nous n'avons pas poussé la hardiesse jusque-là, nous croyons M. Frère très sérieux.

Il y a plus, si M. le ministre des finances avait bien voulu hier lire toute la correspondance qui s'est échangée entre Anvers et son département il aurait pu dire que sous l'ancienne régence des réclamations lui avaient été adressées et des réclamations tout aussi radicales que celles que nous pouvons faire et auxquelles peut-être il a répondu comme il l'a fait à certaines des réclamations de la régence actuelle. (Interruption.)

MfFOµ. - Si vous avez des lettres, lisez-les !

M. Delaetµ. - Ce sont des lettres adressées par M. Loos au ministre des finances.

Plusieurs voix : Lisez-les !

MfFOµ. - Lisez-les donc !

M. Delaetµ. - Il s'est traité bien des choses en dehors du collège ; on voit l'indication de pièces qui devraient se trouver aux archives et que nous ne trouvons nulle part. (Interruption.)

- Un membre. - La question est de savoir s'il y a des lettres.

M. Dclaetµ. - Voici une note de la main de M. Loos lui-même.

- Un membre. - Quelle date ?

M. Delaetµ. - Du 6 mars 1861.

« M. le ministre des finances, parlant des terrains militaires cédés à la ville d'Anvers, est d'avis qu'on n'a voulu faire payer que les terrains destinés à la vente et non ceux à employer à un usage d'utilité publique, tels que promenades, voirie publique, établissements d'usage public, etc. Si l'on avait traité des terrains avec des particuliers, on aurait stipulé cette réserve. - M. le ministre est d avis que sous ce rapport Anvers doit être traitée sur le même pied que les autres villes démantelées et jouir des mêmes avantages.

MfFOµ. - C'est ce qui a été fait.

M. Delaetµ (lisant la note). - « J'oppose les stipulations de la loi d'après lesquelles Anvers aurait à payer 10 millions pour 154 hectares qui forment la totalité des terrains militaires,

« Il dit qu'il est disposé à reprendre cette conversation chez lui, dans son cabinet, et les pièces sous les yeux. »

Dans la séance du collège le lendemain, M. Loos a donné connaissance de cette disposition de l'honorable ministre des finances.

Maintenant, messieurs, il et éviden tque la régence actuelle d'Anvers, qui trouve toutes les affaires traitées dans le cabinet et de vive voix entre amis politiques, que cette régence, dis-je, est très embarrassée ; mais ce qu'elle sait, c'est que ce même M. Loos, avant de quitter ses fonctions, a déclaré que la ville n'était pas engagée ; ce qu'elle sait, c'est que le journal de M. Loos nie la dette, et dans cette situation, pouvait-elle ne pas faire une seule tentative pour voir si le gouvernement n'aurait pas voulu accorder ce que M. Loos disait qu'il était disposé à accorder ? Mais on lui aurait dit : Vous ne soignez pas les intérêts de la ville ! et certainement l'organe de M. Loos n'aurait rien eu de plus pressé que de jeter la pierre à la régence.

La régence a donc voulu essayer ; mais entre essayer d'obtenir des conditions plus favorables et refuser de payer ses dettes, il y a un abîme.

MfFOµ. - Payez, et que cela finisse.

M. Delaetµ. - Oh ! ne craignez rien, nous payerons. Nous payerons lorsque vous aurez régulièrement demandé le payement. Vous ne l'avez pas fait et aussi longtemps que vous ne l'avez pas fait, vous n'avez pas le droit de dire que nous refusons de payer.

Mais pour quelle date fixe avez-vous dit que vous pourriez livrer les terrains ? Vous dites que ce sera prochainement, mais vous n'avez pas fixé de date. Pour qu'on soit en défaut de payer, il faut qu'une date fixe soit assignée au payement. Vous avez parlé de la Société immobilière ; on ne vous a pas répondu ; mais c'est tout simple ; Anvers n'était guère habituée à la bienveillance de M. le ministre des finances, cette bienveillance inopinée a beaucoup étonné Anvers, et on s'est demandé d'où pouvait venir ce souci inattendu des intérêts d'Anvers.

On s'est dit : Pourquoi M. le ministre des finances veut-il introduire à Anvers la Société immobilière ? Ne serait-ce pas un peu le cheval de Troie et n'y aurait-il pas lieu de se rappeler le Timeo Danaos ? (Interruption.) Je suis franc, messieurs, et certainement M. le ministre des finances ne peut pas prétendre à la confiance de la ville d'Anvers.

Maintenant, messieurs, on n'a pas voulu repousser la société Bischoffsheim, mais on a voulu examiner ; on a dit à M. le ministre : Nous allons faire la convention ; on a voulu suivre la voie de M. Loos, qui doit connaître plus intimement la pensée du cabinet. Eu tout cas, il en résultera qu'on ne pourra pas nous faire le reproche de ne l'avoir pas essayé.

Messieurs, j'en reviens au refus de payement, car c'est toujours là qu'il en faut revenir. Pour payer, le collège aurait dû être mis en demeure ; il aurait dû saisir le conseil communal ; le conseil communal aurait dû voter ; le vote aurait dû être approuvé par la députation permanente du conseil provincial et puis par le gouvernement. M. le ministre des finances dit à la ville d'Anvers : « Payez. » Mais comment ! et sur quel fonds ?

La ville d'Anvers n'a pas dans sa caisse des fonds dont elle puisse disposer régulièrement pour cet objet. En tout cas, qu'on ne craigne pas que la ville d'Anvers fasse faillite ; grâce à Dieu, la ville d'Anvers payera ses dettes et ne fera pas faillite.

Je dis que rien n'est régulier dans cette affaire ; que M. le ministre des finances puisque, selon lui, la loi est impérative, devait se mettre en règle à l'égard du collège échevinal d'Anvers et le mettre en mesure de payer. (Interruption.) Faites-le, et vous verrez si la ville d'Anvers ne payera pas, quand vous serez prêt à délivrer les terrains ; vous n'êtes pas prêt ; vous n'avez pas indiqué de date (Interruption) ; vous dites : « Dans un prochain avenir. » Voyez votre lettre...

MfFOµ. - J'ai dit que le moment est venu.

M. Delaetµ. - Que le moment approche.

MfFOµ. - Que le moment est venu.

Voici le paragraphe de ma lettre :

« Les travaux d'agrandissement et de défense exécutés en vertu de cette loi sont arrivés à un degré d'avancement tel, qu'on peut, dès à présent, fixer le jour (est-ce clair ?) où l'on pourra commencer la démolition des anciens remparts. Le moment est donc venu de conclure la convention prévue par le 6ème alinéa de l'article 2 de la loi, pour déterminer l’époque de la mise en possession qui rend exigible le prix des terrains, constructions et fortifications cédés à la ville d'Anvers. »

M. Delaetµ. - C'est la lettre par laquelle vous nous recommandiez la société Bischoffheim.

MfFOµ. - C'est la lettre par laquelle on demande à la ville d'Anvers d'exécuter les engagements (page 139) qu'elle a contractés et au sujet desquels le collège échevinal était autorisé à signer une convention.

M. Mullerµ. - Quelle est la date de la lettre ?

MfFOµ. – 13 mai 1863.

M. Delaetµ. - Du reste, messieurs, la question est celle-ci : Si la ville d'Anvers refusait de payer sa dette, elle aurait pour cela deux motifs ; elle ne devrait pas entrer dans tous ces détails ; elle aurait d'abord à invoquer le motif que fait valoir l'honorable M. Loos lui-même, qui dit qu'il n'y a pas de convention. (Interruption.) Je vous ai lu les paroles de l’honorable M. Loos. (Nouvelle interruption.)

Je désire qu'on ni m'interrompe pas si souvent ; du reste, si j'étais dans une mauvaise voie, je n'exciterais pas les murmures et je ne provoquerais pas les interruptions de ces messieurs.

Je dis que la ville d'Anvers devait s'abriter derrière la dénégation de l'honorable M. Loos. Elle pouvait dire aussi :

« Le marché de 10 millions n'a été qu'un marché de sécurité ; voilà ce que j'ai acheté ; or, cette marchandise, la plus chère de toutes, celle qui fait ma vie, mon avenir, vous ne me l'avez pas donnée ! »

Voilà les deux motifs que la ville d'Anvers pourrait invoquer ; elle ne fera valoir ni l'un ni l'autre ; elle veut payer et elle payera.

Vous voyez maintenant, messieurs, qu'hier, l'honorable ministre des finances, avec un talent que tout le monde se plaît à admirer, a cherché à déplacer la question d'Anvers. Ce que nous demandons, ce n'est pas d'être déchargés des 10 millions ; c'est d'être déchargés du danger permanent qui, même en temps de paix, nous fait un tort considérable, puisqu'il met en suspicion la métropole commerciale de la Belgique, et qui, en temps de guerre, nous expose à une ruine certaine.

On a dit que la ville d'Anvers a demandé la grande enceinte ; non, elle ne l'a pas demandée ; elle a subi la grande enceinte, voilà ce qui est vrai. Vous avez dit qu'Anvers doit être le boulevard de la nationalité belge. C'est un périlleux honneur ; ce n'est pas la ville d'Anvers qui le demande, c'est le pays qui le lui destine.

Eh bien, cet honneur, nous l'avons accepté ; cet honneur, nous n'en déclinons ni la gloire, ni le danger ; mais ce que nous avons demandé au pays, et ce que la ville d'Anvers avait toujours cru que le pays lui réservait ; c'est qu'après qu'elle aurait subi, de la part de l'ennemi, toutes les horreurs d'un siège, elle ne fût pas détruite de fond en comble, qu'elle ne fût pas atteinte par les canons belges ou par les canons alliés ; qu'on ne pût pas ruiner même ses ruines. Voilà ce que la ville d'Anvers a demandé au pays. Voilà la question anversoise ; il n'y en a pas d'autre.

Messieurs, l'honorable M. Frère vous a fait comprendre hier, et à mon sens il a raison, que l'administration communale a toujours traité la question d'Anvers par le petit côté, par le côté d'argent. Je suis tout à fait de l'opinion de l'honorable M. Frère ; je crois même que si j'avais eu l'honneur de faire partie de la régence, je n'aurais pas suivi les traces de l'honorable M. Loos ; j'aurais placé la question sur son véritable terrain, sur ce qu'on demande pour la ville d'Anvers. Je parle de la question de sécurité. J'aurais dit : « Nous payerons ; nous payerons même quelque chose de plus, mais nous ne payerons que notre sécurité. »

Nous avons entendu, il y a quelques jours, M. le ministre des travaux publics vanter la sécurité des chemins de fer belges, et il avait grandement raison de la vanter ; mais la sécurité de notre métropole commerciale, la sécurité des marchandises qui y sont déposées, n'est-ce rien que tout cela ? Cet intérêt ne doit-il pas éveiller tout au moins une aussi vive sollicitude que la sécurité d'un chemin de fer ?

Messieurs, je dis que c'est traiter aussi la question par le petit côté que de s'enquérir si la ville d'Anvers a été plus ou moins agréable dans les formes, si elle a été suffisamment humble et soumise dans un pays constitutionnel, dans un pays de liberté ; si Anvers a été à l'égard du ministère courtisan assez adroit ? Voilà les questions à résoudre, et voilà comment on traite aujourd'hui la question d'Anvers !

Que demandons-nous ? Qu'on cherche le moyen de supprimer les citadelles tout en rendant la défense plus efficace par la suppression des inondations préventives.

Eh bien, la réponse peut être très simple et si le gouvernement est animé de dispositions quelque peu conciliantes, il est évident qu'au lieu de chercher à prolonger cette question d’Anvers plus qu'il ne faut, il acceptera la main qu'Anvers lui tend. Anvers sauve tout par là ; elle sauve même l'amour-propre du gouvernement. Anvers vous dit : Je viens à vous, je reconnais que d'autres travaux sont nécessaires ; je vous offre mon concours financier (interruption) ; je viens racheter ma sécurité, que je croyais avoir achetée déjà une première fois.

Voilà ce qu'Anvers vous dit, voilà ce qu'Anvers vous offre.

Maintenant, dans la situation où est l'Europe ; dans la situation ouest le pays, divisés comme nous le sommes en partis très hostiles, en partis ennemis pour ainsi dire, chose qui ne devrait pas pouvoir se dire dans un pays comme la Belgique ; quand nous avons la question flamande à résoudre... (Interruption.) Oui, messieurs, et elle sera résolue.

M. Ch. Lebeauµ. - Sans doute pour mieux unir le pays.

M. Delaetµ. - Quand nous avons toutes ces questions à résoudre, quand l’Europe n'est pas sûre d'un moment de paix, quand on ne sait pas si demain le canon ne grondera pas sur le Rhin et peut-être sur l'Escaut, je demande si notre devise nationale, qui est aussi une constitution, qui est la base de notre nationalité, ne mériterait pas d'être prise quelque peu en considération, surtout de la part de l'homme d'Etat chargé de nous guider vers l'avenir. Et quand il y a moyen, sans humiliation pour personne, sans humiliation suroît pour le gouvernement, d'en finir de cette agitation que fait surgir à Anvers la crainte d'un bombardement, la crainte d'une ruine, la crainte d'une suspicion permanente, quand, dis-je, il y a possibilité de s'entendre, pourquoi ne pas en saisir l'occasion avec empressement au lieu d'entretenir cet élément de discorde dans le pays ?

L'honorable général Chazal a dit hier qu'il n'y a eu aucune communication entre lui et la ville d'Anvers ; cela est parfaitement vrai. L'honorable général Chazal a encore raison quand il dit que les trois forts à construire sur la rive gauche ne me permettraient pas de détruire les citadelles et surtout la citadelle du Nord, réduit défensif du côté de la. place. Mais je crois que les études ont été poussées quelque peu plus loin. Parmi ces cent projets dont l'honorable ministre de la guerre a signalé la présence à son département, je crois qu'il y en a d'autres, un notamment qui comprend un réduit défensif sur la rive gauche, outre ces trois forts à construire pour prévenir les inondations.

Si cela est vrai, je dirai qu'il est certain qu'avec un réduit défensif, sur la rive gauche, on pourrait se passer des réduits sur la rive droite et que, par conséquent, la citadelle du Nord pourrait disparaître sans que la défense du pays en eût à souffrir en aucune façon. (Interruption.)

Permettez, messieurs, j'ai pleine et entière confiance dans la loyauté de l'honorable ministre de la guerre ; je lui adresse cette question en toute confiance parce qu'il a une responsabilité un peu plus étendue que la durée d'une existence ministérielle ; parce qu'il a, lui, à répondre de son opinion devant le pays, devant l'armée, devant l'avenir.

A part donc les garanties que je trouve dans son caractère, c'est cette position spéciale de l'honorable ministre de la guerre m'inspire une pleine et entière confiance dans ce qu'il pourra nous répondre à cet égard.

Mais, me dira M. le ministre des finances quand cela serait, où cela vous mènerait-il ? Je n'ai pas de confiance dans la ville d'Anvers ; elle ne paye pas ses dettes, je n'ai aucune confiance dans son concours financier. Messieurs, je ne ferai pas une nouvelle réponse à ce reproche, je crois qu'à cet égard, le conseil communal d'Anvers a suffisamment répondu en disant :

« Le conseil communal d'Anvers autorise le collège échevinal à négocier avec le gouvernement, sur la base du concours financier de la ville, la réalisation d'un plan ayant pour but de mieux assurer la défense nationale et en même temps de mieux garantir la sécurité d'Anvers, par la suppression des citadelles nord et sud et par la démolition des forts actuels de la Tête-de-Flandres, moyennant la continuation de l'enceinte fortifiée et du camp retranché sur la rive gauche de l'Escaut. »

Voilà donc le collège autorisé, et cette autorisation a été notifiée en son temps au gouvernement, qui n'y a pas donné suite ; ce qui est bien naturel, puisque l'honorable M. Frère n'a pas confiance dans la ville d'Anvers.

Que si cependant le gouvernement se décidait à nous faire une promesse sérieuse dans le sens indiqué par nous, la ville ferait à l'Etat l'avance de tout l'argent dont il a besoin pour assurer à jamais la sécurité d'Anvers.

Et cette promesse, messieurs, je m'en porte moralement garant. (Interruption.) Je m'en porte moralement garant, et voici quelle est ma garantie ; c'est que le jour où Anvers ne satisferait pas à ses engagements, je me retirerais de cette enceinte. (Nouvelle interruption.)

Voilà ma garantie ! Et je vous le jure, je ne resterais pas un seul moment je représentant d'une ville à qui l'on pourrait dire à bon droit : Vous ne payez pas vos dettes !

MpVµ. - La parole est à M. d'Hane-Steenhuyse.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Ne conviendrait-il pas, M. le président, d'accorder la parole à un orateur disposé à parler dans un autre sens que moi ?

MpVµ. - Il a été convenu qu’on viderait d'abord la question d'Anvers ; sur cette question il n'y a que deux orateurs inscrits c'est vous, M. d’Hane, et M. Jacobs.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Après le brillant discours que (page 140) vous venez d'entendre, après les développements dans lesquels est entré mon honorable ami M. Delaet, il me restera fort peu de chose à dire encore sur la question anversoise.

Cette question a été placée aujourd'hui sur son véritable terrain. Ce que la ville d'Anvers demande depuis deux ans, ce qu'elle a demandé il y a un an, ce qu'elle demande aujourd'hui, ce qu'elle demandera toujours, c'est que tout danger disparaisse de ses murs.

C'est que si elle doit un jour servir de victime expiatoire à la Belgique, du moins on ne réunisse pas dans ses murs ces engins qui à un moment donné peuvent détruire jusqu'à la dernière de ses maisons.

La question technique et militaire sera mieux traitée par un de mes honorables collègues, plus compétent que moi. Les assertions que je pourrais présenter sous ce rapport pourraient paraître entachées d'inexactitude ou d'ignorance.

La question posée sur ce terrain, je reprendrai quelques-uns des arguments qu'à présentés hier le ministre des finances, en répondant ou plutôt en ne répondant pas aux questions que je lui avais posées. Lorsque, il y a quelques jours, je priai M. le président de m'inscrire pour la discussion générale de l'adresse, j'annonçai que je désirais demander quelques explications au ministère au sujet de la question anversoise. M. le ministre des finances était prévenu. Il était évident que l'interpellation que j'avais à faire avait pour but de prouver à M. le ministre des finances qu'en accusant la ville d'Anvers de ne pas payer ses dettes, il s'était exprimé avec une certaine légèreté.

Je crois que dans les développements que j'ai donnés dans la séance d'hier, j'ai prouvé que j'avais raison de protester et de demander au ministre de reconnaître qu'il avait eu tort.

Mon honorable collègue et ami M. Delaet vous a parlé des trois longues pièces que M. le ministre a lues à la Chambre.

J'ajouterai que la plupart des membres de la Chambre, à la simple audition de ces pièces, n'y ont rien compris. (Interruption.) Permettez, je parle en connaissance de cause ; je remplis les fonctions d'échevin intérimaire d'Anvers ; j'ai dû m'occuper de ces pièces avec quatre de nos collègues qui font partie du collège échevinal ; après une lecture à tête reposée, il nous a fallu trois ou quatre séances du collège pour éplucher et étudier toutes les pièces.

Je vous le demande, à une seule lecture peut-on se rendre compte de tout ce qu'elles contiennent ?

Mon honorable collègue a rencontré quelques-uns des arguments sur lesquels M. le ministre des finances s'est appuyé pour prétendre que la ville d'Anvers ne voulait pas faire honneur à ses engagements ; il vous a prouvé que l'administration nouvelle n'allait pas aussi loin que l'ancien bourgmestre d'Anvers, M. Loos.

Je ne reviendrai pas sur ce point qui a été entièrement épuisé. Je dirai plus : si par les événements qui ont eu lieu à Anvers l'administration n'avait pas été transformée, la ville d'Anvers aurait peut-être obtenu ce que le ministère lui refuse aujourd'hui. Les questions de parti se mêlent malheureusement à tout ce qui se fait en Belgique. La ville d'Anvers a été sacrifiée à l'existence du cabinet actuel.

MfFOµ. - Nous aurions 16 voix de majorité, si nous avions voulu transiger avec notre conscience et sacrifier à la ville d'Anvers l'intérêt du pays.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Nous avons le droit de défendre Anvers et de parler la tête haute. Nous avons assisté, nouveaux venus, au commencement de la session, à l'une de ces discussions que nous n'avions jamais supposé pouvoir avoir lieu dans cette enceinte ; nous avions vu se servir de deux poids et deux mesures ; nous avions entendu parler de manœuvres et de fraudes dans les élections de. Gand et de Bruges, nous avons vu valider les unes et invalider les autres. (Interruption).

Je dis cela abstraction faite de toute opinion.

Ce que nous avons vu enfin, c'est que la décision prise par la majorité a été désapprouvée par tout le pays.

MpVµ. - On ne peut pas dire dans cette enceinte qu'une disposition prise non seulement par la majorité, mais à l'unanimité, n'a pas été acceptée par le pays.

M. Gobletµ. - On n'a pas le droit de dire à la majorité qu'elle a deux poids et deux mesures.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - J'ai dit que la question anversoise était une question politique.

Lorsque le mouvement anversois a commencé il y a deux ans et demi, il ne s'agissait que de servitudes extérieures et des indemnités demandées pour les propriétés lésées par ces servitudes. Je vous prie de me permettre de faire un historique succinct de cette question, je tâcherai d'être bref.

Lorsque le mouvement anversois a commencé, il se bornait à la demande d'indemnité pour les servitudes extérieures, en novembre 1861 ; des réunions eurent lieu, à ce sujet, au mois de décembre de la même année.

Il arriva à l'administration communale une lettre du colonel commandant du génie à Anvers, qui annonçait que le génie se réservait 585 mètres de servitudes à l'intérieur de la ville. Savez-vous ce que faisaient ces 585 mètres ? Vous croyez peut-être qu'il ne s'agissait que de quelques parcelles de terrain s'arrêtant à une certaine distance de la ville, aux environs du petit ruisseau qu'on appelle le Vorschschyn ? Mais non, cette zone venait prendre une partie de nos établissements maritimes et parmi eux notre grande cale sèche.

La population anversoise s'émut à cette nouvelle. C'est très compréhensible. Si chacun de vous voyait tomber comme une bombe sur la ville, une pareille nouvelle, il en serait stupéfait. La ville d'Anvers s'émut donc et le conseil communal, organe de la population anversoise, alla plus loin dans l'expression de ses craintes que la population elle-même.

Jusqu'à cette époque c'était M. Loos, l'ami du ministère, qui se trouvait à la tête de l'administration d'Anvers, administration qui n'émanait pas du meeting ; le conseil s'émut donc plus fortement que la population, mais il alla plus loin qu'elle ; celle-ci demandait que le gouvernement voulût bien enlever à la citadelle du Nord et à la citadelle du Sud leurs fronts intérieurs, de façon qu'aucun canon ne put être braqué sur la ville dans ces citadelles ; celui-là trouva que les demandes de la population n'étaient pas assez précises, qu'elles n'atteignaient pas le but qu'on se proposait ; et il demanda la démolition des deux citadelles. Ce n'était plus le front des deux citadelles, c'étaient les citadelles elles-mêmes qu'on voulait voir disparaître.

Maintenant croyez-vous que ce vote du conseil communal resta isolé ?

La chambre de commerce, qui n'avait pas encore d'intérêts ministériels à défendre, déclara à l'unanimité par une lettre adressée à M. le ministre des affaires étrangères ici présent qu'elle appuyait la lettre de l'administration communale et qu'elle priait le ministère de faire disparaître ces deux citadelles qui étaient une menace permanente.

Après cela vous me direz : Tout s'est circonscrit dans votre ville d'Anvers. Vous aviez les passions qui s'agitaient et les têtes qui étaient montées. Vous mettez tout sur le compte de l'agitation et de l'excitation.

La députation d'Anvers au conseil provincial dont j'avais l'honneur de faire partie à cette époque est de nouveau saisie de la question qui est envisagée là ainsi qu'à la chambre de commerce, ainsi qu'au conseil communal, ainsi que par tous les corps constitués. Nous avions à faire là aux représentants de toute la province.

Je crois, messieurs, que c'est déjà élargir beaucoup le terrain que de vous faire voir que les demandes des Anversois ne sont pas précisément les demandes de quelques meneurs, mais qu'elles ont été soutenues unanimement, non pas pendant un jour, pendant un mois, pendant deux mois, pendant un an, mais pendant plusieurs années. Ces demandes persisteront, du reste, aussi longtemps qu'Anvers n'aura pas reçu satisfaction. Elles ont été appuyées, je le répète, par tous les corps constitués.

Et ensuite, la proposition faite au conseil provincial, par qui a-t-elle été présentée ? Par un homme que vous connaissez tous, par M. Haghe, avocat d'Anvers, et que connaissent certainement tous les membres du barreau de Bruxelles qui siègent dans cette enceinte.

M. Haghe fit, en 1860, la proposition de faire se réunir à Bruxelles tous les conseillers provinciaux du royaume pour féliciter Sa Majesté et il fit à ce sujet un discours dont je me permettrai, messieurs, de vous donner lecture, à l'effet de vous faire voir que la population anversoise n'a pas, comme on l'a prétendu, complètement perdu les sentiments d'amour qui doivent l'animer envers le Roi.

Messieurs, permettez-moi de vous lire quelques passages de ce discours. Il est magnifique et je crois qu'il donnera satisfaction aux plus difficiles sous le rapport du patriotisme.

Voici comment s'exprimait M. Haghe :

« M. Haghe. L'année dernière, un membre de la députation permanente, l'honorable M. Diert, a pris la parole, dès la première séance du conseil, et immédiatement après la constitution du bureau, pour proposer une adresse au chef de l'Etat, à l'occasion de la naissance d'un prince.

« Je m'autorise de cet exemple pour faire une proposition analogue, préalablement au commencement des travaux ; mais ma proposition se fait à l'occasion d'événements bien autrement graves ; et précisément à cause de cette gravité, j'espère que vous m'excuserez de prendre la parole un des premiers, quoique je sois venu l'un des derniers dans cette enceinte.

« Vous avez dû vous apercevoir, comme moi, messieurs, que tout le pays est agité d'une sombre inquiétude : on comprend que nous sommes (page 141) à la veille da redoutables événements et que, dans ce moment solennel, il faut que tous les corps constitués de l'Etat fassent une manifestation digne d'une nation libre.

« Telle paraît d'être l'opinion générale du pays et depuis longtemps, je la partage vivement. C'est le moment, ou jamais, pour les conseils provinciaux de la Belgique, de proclamer, à la face de l'Europe, leur inébranlable attachement aux institutions libres dont nous jouissons depuis trente ans.

« Je réfute d'avance la double objection qui pourrait nous être faite. On dira peut-être que nos institutions ne sont pas menacées et qu'en tous cas, toute manifestation est dangereuse au point de vue de nos rapports internationaux. Je réponds en premier lieu : Il y a des gens qui sont capables de nier le soleil, au moment même où il brille au-dessus de leur tête, cela s'est vu de tous les temps.

« Mais je crois pouvoir affirmer que tant de mauvaise foi ou tant d'aveuglement ne se rencontre pas au sein du conseil provincial d'Anvers.

« Comment ! tous les jours, on nous insulte, on nous provoque ; on prêche ouvertement et audacieusement la doctrine insolente des frontières naturelles ! Hier encore, un journal de Genève, stipendié (dit-on) par de grands personnages, dont il ne convient pas de prononcer ici les noms, jette l'outrage à pleines mains à la face de la nation belge, à la face du Roi ; ou ose imprimer que l'annexion est dans les vœux du peuple belge ; on invoque comme preuve, la pétition de quelques industriels belges et on couronne le tout par cette bravade : « La France ne se sentira relevée de Waterloo que quand Waterloo sera redevenu français et qu'au lieu du lion de la défaite, l'aigle vainqueur planera sur le mont Saint-Jean. »

« Et après de telles provocations, qui se répètent tous les jours et qui sont inspirées et soldées par des hommes dont les noms sont sur vos lèvres, on viendra nier l'imminence du péril ! Non, c'est impossible. Une pareille dénégation ressemblerait trop à de la complicité.

« Permettez-moi, messieurs, de vous rappeler à ce propos un fait historique, mémorable entre tous.

« Il y a plus de deux mille ans, il existait un peuple célèbre, dont Philippe de Macédoine avait aussi juré l'asservissement. Et comment cet asservissement fut-il préparé ? Souvenez-vous, messieurs, des discours immortels de Démosthènes, reprochant d'une part aux Athéniens leur inaction, leur apathie, leur aveuglement, et stigmatisant d'autre part la conduite de Philippe ; signalant ses ruses, ses artifices, son langage tantôt flatteur, tantôt arrogant, ses provocations incessantes, toujours désavouées le lendemain ; dévoilant enfin tout son système de mensonges, d'intrigues, de pièges et de corruption. Alors aussi il y eut des hommes qui nièrent tout ; mais les événements ne tardèrent pas à prouver que ces hommes étaient les complices du tyran.

« Gardons-nous bien, messieurs, d'imiter des Athéniens la coupable indifférence et cette incrédulité opiniâtre, qui est la plus terrible arme de la tyrannie.

« Je ne veux pas m'étendre davantage sur ce sujet ; je me borne à dire : Que ceux, qui ont des yeux les ouvrent ; et ils ne tarderont pas à voir la main du despotisme se glisser partout, sapant dans l'ombre nos libertés constitutionnelles.

« Eh bien, si le péril que je signale est une effrayante réalité, pourquoi se taire ? Pourquoi rester indifférents ? On a peur de mécontenter quelque puissance voisine ?

« Et l'on trouve bon nombre de gens qui s'imaginent que par le silence et par la lâcheté, une nation peut sauver son indépendance !!

« Or, moi, je dis que dans ces circonstances solennelles, il faut parler ; c'est un devoir sacré, et il faut parler fièrement ; il faut que la nation belge vienne dire, par l'organe de ses mandataires légaux :

« Je veux rester indépendante ; je tiens à mes institutions et à mes libertés ; je proteste contre tout changement de dynastie ; je proteste contre toute idée d'annexion ; car l'annexion, c'est la servitude, avec tout son cortège de malheurs et de ruines ; l'annexion, c'est la guerre européenne ; c'est la mort de tout commerce et de toute industrie en Belgique ; l'annexion, c'est notre beau pays transformé en champ de bataille ; ce sont nos plaines ravagées, nos récoltes étouffées sous des monceaux de cadavres ; l'annexion, c'est la désolation et l'appauvrissement des familles. Là où il y avait liberté, aisance, sécurité, il n'y aura plus que servitude, misère, angoisse et abrutissement. Plutôt que l'annexion, que nos cités soient détruites de fond en comble et que la Belgique devienne un désert ! »

« Quand les grands corps de l'Etat tiendront un pareil langage, alors l'opinion publique, cette souveraine du monde, se réveillera énergiquement ; alors les hommes de cœur se réuniront en un seul groupe ; alors les lâches, les trembleurs se cacheront et n'essayeront plus d'énerver le patriotisme belge.

» On se souviendra alors d'un passé glorieux ; on s'inspirera alors des traditions de l'époque, où nos ancêtres luttèrent si vaillamment et avec succès contre les armées aguerries de la puissante Espagne.

« En outre, en proclamant devant l'Europe notre attachement inébranlable à nos institutions et notre résolution de les défendre au besoin, les armes à la main, la Belgique s'attirera des sympathies, qui deviendront son meilleur bouclier.

« Je suis donc d'avis, et j'en fais la proposition formelle au conseille profiter de l'anniversaire du 21 juillet, pour remettre au Roi une adresse qui reflète les sentiments que je viens d'exprimer.

« Et pour donner à cette manifestation plus de solennité, il convient, ce me semble, que cette adresse soit remise par tous les conseillers de la province, réunis en corps à Bruxelles.

« Une pareille manifestation sera du moins plus digne que la manifestation annoncée par les journaux. Et elle sera d'autant plus imposante qu'elle sera exempte de tout esprit de parti, et que, malgré nos différences d'opinion, nous pourrons tous nous donner la main pour marcher ensemble à la défense de la patrie. »

Messieurs, je m'arrête, puisque cette lecture me paraît ne pas vous plaire.

Je crois avoir prouvé que le conseil provincial en adoptant à l'unanimité la proposition de M. Haghe qui reçut son exécution en 1860, exprimait ainsi le sentiment vrai de la province et de la ville d'Anvers. Quant à moi, l'un des 14 membres de la députation anversoise au conseil provincial, je vous déclare franchement et loyalement que mon opinion n'est pas chargée à cet égard.

Messieurs, je continue l'historique de la question anversoise.

Arrivés au mois de décembre et sous l'impression qu'avait produite la nouvelle d'une zone intérieure de 585 mètres, tous les corps constitués votèrent des adresses au gouvernement et aux Chambres, et ayant trouvé porte close partout, la population anversoise se décida à aller jusqu'à cette force suprême qu'on appelle le Roi, qui, dans un moment donné, pouvait empêcher une scission de se former dans le pays par la consécration d une injustice à l'égard de la seconde ville du royaume.

Je vais traiter ici un moment la question politique et revenir sur ce que j'ai dit tantôt que si la question anversoise a été restreinte à des proportions si petites, que si elle n'est pas terminée depuis longtemps, c'est parce qu'en suivant la voie que quelques hommes, poussés par la population, ont ouverte à Anvers, c'est que, dis-je, il y allait de l'existence du ministère, et la preuve c'est qu'aujourd'hui au lieu de compter cinq amis dans la députaition d'Anvers, le ministère compte cinq opposants.

Lorsque le mouvement anversois prit naissance, toutes les opinions se réunirent sur le terrain neutre du meeting, et je vais vous dire en deux mots ce qu'est la commission des servitudes militaires.

La commission des servitudes militaires est une réunion d'administrateurs, de fonctionnaires publics, de propriétaires. L'honorable M. Loos lui-même, bien qu'il ait dit plus tard qu'il ne voulait pas en faire partie, fut un de ses membres pendant quelque temps. On y trouve les bourgmestres des différentes communes des environs d'Anvers, notamment M. Gustave Van Havre, ancien sénateur.

La commission des servitudes militaires ainsi composée vit bientôt que la question des servitudes militaires à l'intérieur de la ville devenait une question nationale de par le danger que l'établissement de la citadelle du Nord présente pour la ville d'Anvers, et qu'en frappant notre métropole commerciale, elle frappe en définitive le pays en plein cœur.

On voulait donc sur ce terrain réunir toutes les opinions et l'on y parvint.

L'association conservatrice y envoya deux délégués, l'association libérale y délégua deux de ses membres, exemple suivi également par l'association flamande, le Nederduitsche Bond.

Toutes les opinions y étaient donc représentées et toutes les mesures y furent prises à l'unanimité, jusqu'à ce qu'un jour, s'apercevant que l'existence du ministère était en jeu, l'association libérale trouva bon de se séparer de nous.

La meilleure preuve que je puisse vous donner de l'unanimité de tous les citoyens d'Anvers, c'est cette élection ou plutôt cette abstention du 20 mai dont a parlé hier l'honorable ministre des finances. Ou a-t-on jamais vu, dans une ville de 120,000 âmes, tout un corps électoral s'abstenir d'une manière si générale qu'au jour de l'élection, 40 électeurs seulement, dont 6 ou 8 de la ville, vinrent voter ?

Maintenant, messieurs, permettez-moi, puisque l'honorable ministre nous a lu hier une pièce émanant de la commission des servitudes militaires, de vous lire aussi ce que pensaient, le 20mai, les différentes (page 142) associations de la ville d'Anvers. Cela pourra, je pense, beaucoup aider la Chambre à comprendre ce qui s'est passé.

Messieurs, voici ce que disait l'association libérale et comment elle a motivé son abstention, (Interruption.) Je comprends que cela ne vous fasse pas plaisir. (Nouvelles interruptions.)

« L'association libérale et constitutionnelle d'Anvers voulant protester en premier lieu contre les procédés despotiques et contre l'obstination du ministère qui ne veut rien faire pour concilier les intérêts du commerce avec les nécessités de la défense nationale ;

« Voulant protester, en second lieu, contre les accusations malveillantes qui, du haut de la tribune nationale, ont été récemment dirigées contre la population anversoise tout entière, que l'on a dénoncée au pays comme étant une population égoïste et prête à tout sacrifier à la soif de l'or, tandis que, depuis plusieurs siècles, son histoire prouve, à chaque page, que ces accusations ne sont que des calomnies ;

« Voulant protester, en troisième lieu, contre les attaques haineuses des journaux ministériels, qui mettent en suspicion le patriotisme de la population anversoise, tandis qu'il est notoire que cette population est profondément attachée à toutes nos institutions nationales, sans exception, et notamment à la dynastie actuelle ;

« L'association libérale décide qu'elle ne prendra aucune part à l'élection du 20 mai prochain, ayant pour but le remplacement de M. le sénateur Van Havre, et invite tous les électeurs de l'arrondissement d'Anvers, sans distinction d'opinion, à imiter cette abstention. »

Voilà, messieurs, un placard que vous avez pu lire sur les murs de la ville d'Anvers la veille de l'élection, et pareils écrits ont été rédigés par toutes les autres opinions, à l'invitation de l'association libérale.

Cette union a duré jusqu'au mois de décembre 1861. Mais, à cette époque, l'existence du ministère commençait à être mise en jeu ; et, cela est tellement vrai, que jusqu'à cette époque aussi la plupart des membres du conseil communal, qui étaient cependant des amis du cabinet, se montraient complètement favorables au mouvement anversois. J'ai même eu l'honneur de vous dire tantôt que quelques-uns d'entre eux avaient proposé des mesures, je dirai le mot, beaucoup plus révolutionnaires que celle que proposait la population elle-même. C'étaient cependant, je le répète, des amis du ministère.

Mais, lorsqu'on vit que par sa position au parlement, par sa position au conseil communal, l'honorable M. Loos, bourgmestre d'Anvers à cette époque, mettait les intérêts du ministère au-dessus des intérêts généraux, la population anversoise se prit à réfléchir et se dit : Puisque ces messieurs avouent que nous avons raison, puisque eux-mêmes ont demandé plus que nous n'osons demander, et que cependant ils ne font rien pour nous obtenir justice, il est évident que nous devons les remplacer par d'autres.

Voilà la politique bien simple, bien naturelle de la ville d'Anvers.

Arriva l'élection communale du 2 décembre, parce que 21 conseillers communaux avaient donné leur démission après la réception royale à Laeken. Des élections durent donc avoir lieu et elles se firent les 3 et 4 décembre. C'est de ce moment que date la scission entre la population anversoise et la fraction ministérielle de l'a sociation libérale.

Je cherche à m'exprimer aussi clairement que possible, afin qu'on ne se méprenne pas sur le sens de mes paroles.

A. la veille de ces élections, un meeting eut lieu. C'est une habitude que nous avons prise à Anvers. Dans toutes les grandes circonstances, nous mettons en usage largement, grandement les libertés que nous accorde la Constitution. Nous ne nous enfermons pas dans une salle avec 300 ou 400 personnes appartenant à l'un ou à l'autre parti.

A Anvers, nous faisons autre chose ; nous avons le droit de nous réunir, nous exposons à 5,000 à 10,000 personnes la situation des affaires, et le public jugera. C'est ce qui se fait à Anvers.

Au moment de cette élection, un meeting eut lieu. L'association libérale avait reporté les anciens conseillers sur sa liste ; mais il y en avait 4 ou 5 qui ne voulaient plus accepter. L'association libérale prit, pour les remplacer, le nom du lieutenant-colonel à cette époque de la garde civique d'Anvers et un ou deux autres noms connus comme appartenant au parti ministériel.

Deux noms aussi à cette époque étaient signalés à l'attention publique comme s'étant occupés spécialement de la question anversoise. Ces deux noms étaient celui de M. Haghe, dont j'ai lu tantôt le discours au conseil provincial en 1860, et le mien.

L'association libérale joignit ces deux noms à ceux que portait la liste, mais lors du poll ils ne réunirent pas même la majorité. Ni M. Haghe ni moi n'avions posé un seul acte dans la question anversoise, qui pût nous faire soupçonner de préparer une scission dans le libéralisme ; mais il fallait sauver le ministère, il fallait donc maintenir ses amis et leur adjoindre des personnes partageant complètement la manière de voir du gouvernement.

Que fîmes-nous, à la commission des servitudes ? Après avoir demandé trois ou quatre fois à l’association libérale si elle voulait s'entendre avec nous pour sauvegarder les intérêts d'Anvers, nous reçûmes cette réponse : que la population anversoise ne nous suivrait pas.

Le meeting eut lieu, et que fit la commission des servitudes ? Vous pensz peut-être qu'elle avait formulé une liste à elle, que cette liste, composée des hommes qui siègent actuellement au conseil communal, avait été préparée ? Eh bien non ; nous avions pris la liste de l'association libérale elle-même et lorsque nous avons procédé au vote, 7 de ces noms sont tombés immédiatement ; une quinzaine sont restés et les autres ont' été remplacés par des noms nouveaux.

Immédiatement après, savez-vous, messieurs, ce qui arriva ? C'est que l'association libérale, qui fut vaincue dans cette lutte électorale, se prit à défendre d'une manière exclusive le ministère et abandonna le terrain de la question anversoise, et l'honorable M. Loos, l'ancien bourgmestre d'Anvers se mit à la tête des opposants et fit à la question anversoise une guerre que je devrais presque qualifier de déloyale. (Interruption.)

- Plusieurs membres. - C'est une injure !

MpVµ. - Je ne puis pas permettre que vous attaquiez un ancien membre de la Chambre qui n'est pas ici pour répondre.

M. d’Hane-Steenhuyseµ. - M. le président, je parle d'abondance ; je rétracte mon expression.

MpVµ. - L'expression est retirée. La parole est continuée à M. d'Hane.

M. d’Hane-Steenhuyseµ. - L'association libérale nous fit à Anvers une guerre incessante, elle exclut de son sein des personnes qui étaient dévouées à la question anversoise, abstraction faite de tout esprit de parti, et que vit-on ? On vit la minorité du corps électoral anversois soutenir le ministère contre une immense majorité, et je vais immédiatement le prouver : dans les luttes électorales ordinaires à Anvers, lorsque les partis se mesuraient avec force, avec violence, avec énergie, lorsque le ban et l'arrière-ban de chacun d'eux venaient au scrutin, la différence entre le membre libéral qui avait le moins de voix et le membre conservateur qui en avait le plus était de 28, 29 ou 30 voix ; depuis le mouvement anversois, cette différence n'est plus de 28, 29 ou 30 voix, elle est de 1,200 voix. Or, à moins de supposer que 1,200 nouveaux électeurs conservateurs soient nés instantanément à Anvers, il est évident qu'on ne peut pas nous accuser de ne pas avoir des libéraux dans nos rangs.

La majorité qui nous a portés sur ces bancs est bien, en définitive, une majorité libérale qui a compris les véritables intérêts d'Anvers et qui n'a pas voulu se séparer de leurs véritables défenseurs.

Maintenant, messieurs, je reviendrai sur quelques points qui ont été traités hier par M. le ministre des finances et à l'égard desquels je ne puis pas accepter sa manière de voir.

L'honorable M. Frère disait hier, en commençant son discours, qu'il s'attendait, de ma part, à une charge à fond touchant, la question anversoise, qu'il s'étonnait que ce que je venais de dire se réduisait simplement à lui reprocher d'avoir accusé la ville d'Anvers de ne pas payer ses dettes. Évidemment, c'était là le but qui m'avait poussé à demander la parole, c'est parce que, en ma qualité de membre du collège échevinal de la ville d'Anvers, de conseiller communal, de mandataire anversois, j'étais obligé de protester contre les paroles de l'honorable ministre, et je suis persuadé qu'avec le talent qui le caractérise, et s'il s'était trouvé à ma place, il aurait fait entendre un de ces discours comme il en sait faire, et qu'il aurait demandé logiquement que justice fût rendue à Anvers.

L'honorable ministre a déclaré qu'il n'avait rien à rétracter de ce qu'il avait dit au Sénat. Je le regrette pour lui ; et je tiens à constater ici que ma protestation reste debout. La ville d'Anvers n'a pas refusé de payer. Mon honorable ami M. Delaet a expliqué tantôt ce qui s'est passé : permettez-moi de signaler encore quelques faits qui prouvent que la ville d'Anvers a eu parfaitement raison de ne pas immédiatement conclure la convention qui doit consacrer ses obligations vis-à-vis de l'Etat.

Permettez-moi d'abord, messieurs, de lire quelques parole de M. Loos prononcées à l'occasion de la discussion de la loi d'abolition des octrois. Vous verrez qu'il reproduit des arguments qu'il avait déjà fait valoir.

Ces paroles ont été prononcées dans la séance du 12 juin 1860, c'est-à-dire ptrs d'un an après le vote de la loi sur les fortifications d'Anvers.

L'honorable M. Loos s'est exprimé en ces termes : « M. Loos. Messieurs, de toutes les communes du pays, celle où l'abolition des octrois produira les plus grands embarras financiers est, sans (page 143) contredit, la ville d'Anvers. C’est sous l'influence des graves appréhensions qu'inspire cette situation pour le présent et pour l'avenir, que la ville d'Anvers, qui n'a pas moins que les autres localités du pays applaudi au principe de la grande réforme qui nous est proposée, en rendant hommage à la courageuse initiative de M. le ministre des finances, s'est abstenue de toute démonstration publique.

« Pour les intérêts de la ville d'Anvers, l'abolition des octrois arrive d'une manière inopportune, quel que soit le mode de répartition qu'on adopte.

« La perception toujours progressive des taxes de l'octroi forme, en effet, une partie essentielle des voies et moyens affectés à une opération financière très importante que la ville vient à peine de réaliser. Cette ressource venant à lui manquer, avant même que les augmentations de taxes votées par le conseil communal aient pu se percevoir, il lui faudra créer des ressources nouvelles, sans qu'il lui soit tenu compte de celles qu'elle doit abandonner. Voilà pour le présent.

« Pour l'avenir, et pour un avenir très prochain, sa position sera plus difficile encore. Quand il s'est agi de l'agrandissement de son enceinte, la ville n'a pas craint de s'engager à reprendre pour 10 millions les terrains militaires actuels.

« Pour remplir cet engagement, l'administration a dû compter naturellement sur l'augmentation notable qu'éprouveraient les recettes de l'octroi, par la participation des nombreuses populations de ses faubourgs destinées à entrer dans la nouvelle enceinte. Cette augmentation de ressources n'était pas évaluée à moins de 300,000 fr.

« La suppression des octrois renversera ces prévisions qui paraissaient certaines et créera pour la ville des difficultés immenses, inextricables même, si le gouvernement ne lui vient en aide.

« Voilà certes, messieurs, une situation des plus critiques et qui explique et qui justifie la réserve dans laquelle a dû se renfermer la ville d'Anvers. »

Voilà certes une situation des plus pénibles et qui justifie la réserve dans laquelle a dû se renfermer la ville d'Anvers ; voilà les paroles que l'honorable M. Loos a prononcées dans cette enceinte le 12 juin 1860.

Voici une autre pièce ; je vous demande la permission de vous en donner également connaissance ; je ne pense pas être indiscret en vous la demandant, puisque hier l'honorable ministre des finances est venu vous lire des pièces extrêmement longues, et qu'il a considérées comme utiles pour la défense de la cause.

Il s'agit d'une lettre qui a été adressée à M. le ministre des finances par le collège échevinal et dans laquelle notamment il présente des observations relativement à l'abolition des octrois.

« Le conseil communal, auquel nous avons communiqué la missive que vous nous avez fait l'honneur de nous adresser, le 23 mai dernier, 2e div., n°13472, a cru devoir insister de nouveau sur les griefs de la ville d'Anvers, quant à l'indemnité que le projet de loi en discussion lui réserve, pour la dédommager de la perte des octrois.

« Nous avons déjà eu l'honneur de vous le dire, M. le ministre : nous applaudissons volontiers au principe de la suppression de l'octroi, mais, nous ne saurions passer condamnation sur le droit qui résulte incontestablement, pour nous, de la situation qui nous a été faite par la loi du 8 septembre 1859, décrétant l'agrandissement d'Anvers.

« Si, pour faire passer cette loi, nous avons pris des engagements considérables vis-à-vis de l'Etat, si nous nous sommes chargés des dépenses énormes auxquelles l'incorporation de la partie extra muros va donner lieu, c'était évidemment parce que, sous l'empire de la législation existante au sujet des octrois, cette incorporation allait nous procurer immanquablement des ressources très importantes, que le projet de loi dont il s'agit nous enlève sans compensation. Si nous avions pu prévoir ce qui arrive à un si court intervalle, nous aurions hésité à souscrire à tant de sacrifices et le gouvernement lui-même ne les eût probablement pas exigés de nous.

« Vous nous faites observer, M. le ministre, que les contribuables payent à Anvers, au profit de la ville, beaucoup moins de centimes additionnels que partout ailleurs. Notre tarif d'octroi est également très modéré. Mais, veuillez remarquer que les habitants d'Anvers payent au profit de l’Etat un tiers de plus que ceux des autres grandes villes, et que nous ne pourrions donc guère augmenter le chiffre des additionnels. Comme nous le disions dans une lettre antérieure, nos administrés regretteraient bientôt le régime des octrois qui se perçoivent, après tout, d'une manière beaucoup moins sensible que les impôts directs.

« Il n'est pas non plus exact de dire que les voies et moyens de l’emprunt de 7 millions sont assurés : le 1/4 p. c. sur les ventes commerciales est déjà supprimé ; les 45,000 fr., dont nous voulions augmenter la taxe des genièvres nous échappent ; enfin l'extension de la nouvelle enceinte qui s'étendra sur le territoire d'autres communes, jointe à la suppression de l'octroi, compromet note abattoir en projet.

« Il s'en faut donc de beaucoup que le succès de tel emprunt soit garanti et nous sommes presque à la veille de devoir en contracter un nouveau.

« Oui, messieurs, nous ne saurions ne pas nous effrayer des difficultés financières très sérieuses que nous entrevoyons à la suite de l'agrandissement d'Anvers, d'un côté, de la suppression des octrois, de l'autre, et, dans cette fâcheuse perspective, il nous sera permis de faire toutes nos réserves vis-à-vis de l'Etat.

« Le gouvernement qui, dans l'intérêt du pays, a promulgué la loi de l'agrandissement et proposé celle de l'abolition des octrois, doit, en toute justice, nous tenir compte des ressources qui viendront à nous manquer et que, cependant, nous avons eu le droit de mettre en regard des engagements pris envers l'Etat.

« Quoiqu'il soit incontestable que notre ville se trouve dans une position tout à fait unique et que nulle autre ne saurait invoquer les mêmes titres à un traitement exceptionnel, nous ne disconvenons pas qu'il serait difficile de faire admettre par la législature un amendement en notre faveur.

« Aussi n'insisterons-nous pas à cet égard. Mais nous croirions faillir à nos devoirs, messieurs, si nous n'appelions pas, dès aujourd'hui, la sérieuse attention du gouvernement sur cette situation exceptionnelle d'Anvers, pour l'époque où il s agira pour elle de subir les conséquences financières de la loi du 8 septembre.

« Le gouvernement appréciera, nous nous en flattons, avec toute la bienveillance qu'elle mérite, cette nouvelle preuve de notre dévouement. »

Ainsi, l'ancien conseil communal, à la tête duquel se trouvait l'honorable M. Loos, après avoir exposé toutes ses raisons au ministre, lui dit qu'il est nécessaire que le gouvernement prenne en sérieuse considération la situation exceptionnelle de la ville, et que, dans son impartialité, il fasse droit sinon à toutes les demandes de la ville d'Anvers, mais du moins à quelques-unes de ces demandes, qu'il ne doit pas aggraver la situation financière d'Anvers.

Voilà ce que j'ai voulu prouver dans mon premier discours ; j'ai voulu démontrer à la Chambre que s'il y avait dans une pièce émanant du collège échevinal une demande de concession gratuite ou de rétrocession des terrains, ce n'était pas pour déclarer que nous niions la dette ; seulement, comme un négociant cherche à avoir au moindre prix possible une marchandise qu'il achète, la ville d'Anvers a cherché à ne payer que peu ou point des 10 millions. Peut-on lui en faire un crime ? Voilà la véritable situation au sujet de cette grave question, entre le gouvernement et la ville d'Anvers.

Je dirai plus : si, en fin de compte, il est prouvé que la ville d'Anvers n'a pas de recours du chef des dix millions, et qu'elle ne consente pas à s'exécuter, je prends, comme mon honorable ami M. Delaet, l'engagement de déposer mon mandat, ne voulant pas qu'on puisse supposer un seul instant que je prête les mains à une manœuvre.

M. le ministre des finances a dit hier que j'avais déclaré que le conseil communal ne s'était pas occupé de tout ce qui regarde la question anversoise quant aux dix millions.

Messieurs, ce n'est pas du tout là ma déclaration ; je tiens à constater, - et vous allez comprendre l'importance de cette constatation, - que le conseil communal d'Anvers, un peu avant le vote de la loi de 1859, s'est occupé des propositions à lui faites par le ministère au sujet de la somme qu'elle aurait éventuellement à payer.

Anvers offrait neuf millions ; M. le ministre des finances ne se déclara pas satisfait de cette somme ; Anvers alors alla jusqu'à dix millions, somme qui fut enfin acceptée. Il fallait nécessairement que cette offre fût sanctionnée par le conseil communal, et c'est à ce sujet que M. Loos réunit son conseil le 9 juillet 1859.

Mais qu'est-il arrivé après que le conseil eut ratifié l'offre de dix millions ? Plus rien de la part du conseil communal : depuis le 9 juillet 1859 le conseil communal d'Anvers ne s'est plus occupé de la question des dix millions. (Interruption.)

Il entrait si peu dans la pensée de M. Loos, même après avoir voté les dix millions avec le conseil de cette époque, de considérer ce contrat comme un contrat complet, formel que, de retour à la Chambre le 30 août 1859, M. Loos prit la parole pour faire des réserves en réponse à M. le ministre des finances.

L'honorable ministre avait eu une discussion avec l’honorable M. Laubry au sujet des fortifications d'Anvers.

MfFOµ. - J'ai discuté non seulement avec M. Laubry, mais| encore avec plusieurs autres (page 144) membres de cette assemblée, notamment avec MM. Snoy et de Theux, B. Dumortier et Thibaut et d'autres qui considéraient comme un avantage trop considérable ce que je proposais pour Anvers.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Oui, mais vous avez eu une discussion spéciale avec l'honorable M. Laubry à propos d'un amendement qu'il avait proposé tendant à ce que la ville d'Anvers fût mise en demeure de payer les 10 millions par anticipation. M. le ministre des finances répondit que cela n'état pas nécessaire et qu'il croyait son système préférable à son premier projet amendé par M. Laubry. A cette occasion même, M. le ministre des finances prononça un discours que je vous demanderai encore l'autorisation de vous lire. (Interruption.)

MfFOµ. - Indiquez-nous les dates, cela suffira.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Dans ce discours, M. le ministre des finances prouvait qu'Anvers faisait une très mauvaise affaire à la reprise des terrains et il disait même qu'il se félicitait, comme membre du gouvernement, de ne pas la faire, parce que, au lieu d'une valeur immédiatement à retirer de la vente des terrains, la ville d'Anvers n'était pas même certaine de réaliser, en 40 ans peut-être, cette valeur.

MfFOµ. - Vous ne reproduisez pas exactement ce que j'ai dit.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Et vous ajoutiez que, dans ce cas, le capital au bout de 20 ans pouvait se trouver doublé.

Et voilà cependant la charge qu'on impose à la ville d'Anvers, ; voilà l'éventualité devant laquelle se trouve cette ville importante ; cela a été déclaré par M. le ministre des finances au sein même de cette Chambre. Et après tous ces précédents il ne serait pas permis à Anvers de s'expliquer et de dire à M. le ministre des finances : Voyons, n'y a-t-il donc pas moyen de s'entendre ? je viens à vous, vous connaissez ma situation financière : pouvez-vous faire quelque chose ? Mais non, M. le ministre des finances n'a pas confiance dans la ville d'Anvers ; il l'accuse de ne vouloir pas payer les dix millions qu'elle a promis. (Interruption.) Alors qu'il sait fort bien cependant qu'Anvers n'a pas été mise en demeure de s'exécuter. (Nouvelle interruption.) Evidemment, il faut qu'elle soit mise en demeure pour qu'elle soit tenue de s'exécuter.

M. le ministre des finances a dit qu'Anvers ne voulait pas payer sa dette et c'est contre cette allégation que je me suis élevé, c'est contre cette accusation que j'ai tenu à protester, et j'espère qu'après les explications que mon honorable ami M. Delaet et moi nous avons eu l'honneur de donner, la Chambre sera parfaitement convaincue que, de la part d'Anvers, il n'y a pas refus de payer ; il y a négociation, et permettez-moi, pour terminer, de dire encore un mot.

Si Anvers n'a pas encore répondu à la dernière dépêche de M. le ministre des finances, c'est parce que son administration n'est pas encore définitivement constituée, c'est parce qu'Anvers reste dirigée provisoirement par les hommes qui, depuis six mois, veillent sur ses destinées ; c'est parce que le gouvernement a trouvé bon jusqu'ici de ne pas changer cet état de choses ; c'est enfin parce qu'une administration provisoire ne se croit pas le droit d'engager les finances de la ville, ni son avenir dans des circonstances aussi graves,

M. Jacobsµ. - Je sais, messieurs, les égards qu'a la Chambre pour ses membres les plus inexpérimentés. J'en réclame le bénéfice ; je lui demande cette indulgente attention dont, plus qu'aucun autre, j'ai besoin.

M. le ministre des finances, dans la séance d'hier, s'étonnait de la modération de l'un de mes collègues d'Anvers, l'honorable M. d'Hane-Steenhuyse ; il s'attendait, nous disait-il, à voir, à l'occasion de la discussion de l'adresse, accumuler tous les griefs, tous les reproches, il allait presque jusqu'à dire toutes les injures, auxquelles il avait été en butte à Anvers depuis deux ans que dure le mouvement anversois.

Je ne conçois pas, je l’avoue, messieurs, l'étonnement de M. le ministre des finances : il me semble qu'au lieu de s'étonner de notre attitude il aurait dû trouver que nous faisions acte de bons citoyens en ne venant pas tenir dans cette enceinte un langage qui peut être à sa place ailleurs, mais qui ne le serait certainement pas ici.

Si nous n'avions aucun espoir de terminer la question anversoise d'une manière conciliante, assurément alors nous aurions dû venir ici avec tous nos griefs, avec tous nos reproches.

Mais à quoi bon froisser peut-être l'amour-propre d'une partie de la Chambre ; à quoi bon froisser l'amour-propre bien naturel, les convictions d'une partie de cette assemblée, alors qu'il n'y a aucune utilité à le faire, alors que ces satisfactions vulgaires ne peuvent avoir d'influence sur la solution de la question ? Je m'explique :

Il est un débat irritant entre tous, c'est celui de la légalité de la citadelle du Nord. Eh bien, s'il est possible d'arriver à une solution qui permette la disparition de cette citadelle ; s'il est possible d'arriver à l'adoption d'un plan qui écarte ce danger d'Anvers, il est possible, sans affaiblir la défense nationale, de sauvegarder les intérêts de la métropole artistique et commerciale, chacun peut s'y rallier, quelle que soit son opinion au sujet de la légalité de ce réduit.

La ville d'Anvers croit qu'il existe une solution de nature à satisfaire l'amour-propre légitime du gouvernement et son amour-propre à elle ; en plaçant la question sur ce terrain, nous n'avons fait que suivre la voie qu'elle nous a tracée.

Si nous nous sommes écartés un instant de cette recherche, c'est à regret, c'est malgré nous ; si nous vous avons entretenus des paroles prononcées par M. le ministre des finances au Sénat, si nous avons relevé cet incident, auquel pour ma part je n'attache pas une importance exagérée, c'est que nous y voyions un premier obstacle à la conciliation.

C’est pour lever cet obstacle, pour ramener le gouvernement dans la voie conciliatrice, que nous avons pris la parole.

Nous sommes déjà arrivés à ce résultat que plusieurs points sont remis en lumière.

Il est acquis au débat que le conseil communal n'a pas encore examiné les demandes de M. le ministre relativement aux dix millions.

MfFOµ. - Le conseil s'est prononcé en 1859, il a autorisé le collège ; il ne reste plus qu'à payer.

M. Jacobsµ. - Le conseil actuel n'a pas encore eu à s'exprimer sur la question. Il est un point certain, c'est que la ville d'Anvers, le conseil communal qui seul la représente, ne s'est pas prononcé. Vous n'avez jusqu'ici que l'opinion du collège, et le conseil peut se prononcer différemment.

Il est encore certain que ce ne sont pas les 10 millions que vous avez demandés à la ville d'Anvers, mais la signature de la convention préliminaire.

Il est certain enfin, que vous n'aviez pas dès aujourd'hui droit à 10 millions, même en supposant la convention signée, mais tout au plus à la première moitié, au premier payement de cinq millions.

- Un membre. - Il n'y a pas de terme.

M. Jacobsµ. - Si, il y a un terme, et c'est pour cela que vous ne pouvez pas exiger dès aujourd'hui même la première moitié.

L'article 2 de la loi du 8 septembre 1859 porte que la démolition des anciens remparts commencera, c'est-à-dire que les terrains seront mis à la disposition de la ville d'Anvers, au plus tard cinq ans après la promulgation de la loi, au plus tôt lorsque l'enceinte sera achevée. Il suffit de se rendre à Anvers pour se convaincre que l'enceinte est loin d'être terminée.

L'achèvement de l'enceinte était l'époque la plus rapprochée, les cinq ans révolus la plus éloignée.

La première date n'est pas arrivée encore, la seconde n'arrivera qu'au mois de septembre prochain.

Dans une des missives qu'il nous lisait hier, M. le ministre émettait l'avis que la ville d'Anvers était intéressée à ce qu'il fût procédé au plus tôt à la démolition des anciens remparts. Elle en est le meilleur juge. Il se peut qu'il lui convienne d'avancer la date de la reprise des terrains, non pas peut-être jusqu'à l'entrée de cet hiver, époque à laquelle elle n'en peut rien faire, mais par exemple au retour du printemps.

Toutefois il voudra bien reconnaître qu'en attendant qu'une dérogation ait été apportée de commun accord à la loi de 1859, ce sont les termes qu'elle fixe qu'il faut suivre ; or, ces termes sont le 8 septembre prochain ou le jour antérieur où la dernière main sera mise à l'enceinte.

Quant à l'obligation en elle-même, est-elle, comme le soutenait M. le ministre des finances, imposée à la ville d'Anvers, sans égard à son consentement ou à son refus ? Mais c'est là chose contraire aux lois, à la Constitution, à tous les principes de droit.

Je ne pense pas que ce soit sérieusement que M. le ministre des finances l'ait soutenu. Le gouvernement ne peut procéder ainsi à une expropriation ou à une contre-expropriation sans l'intervention de l'autorité judiciaire ou le consentement des parties intéressées ; il ne peut forcer un propriétaire à céder sa propriété à un prix arbitraire ; il ne peut le forcer à accepter un terrain en échange d'une somme d'argent qu'il n'a pas été appelé à débattre.

Il y aurait là une contribution spéciale contraire à l'égalité d'impôts ; aussi je pense que M. le ministre des finances n'insistera pas.

La ville d'Anvers n'est tenue de prendre et de payer les terrains que pour autant qu'il y ait engagement conventionnel, y a-t-il convention ?

Il y a eu des offres, antérieurement à la présentation de la loi de 1859 ; à la suite de ces offres, M. le ministre des finances s'exprimait en ces termes dans cette enceinte : « Nous n'avons pas signé d'arrangement avec (page 145) la ville, nous avons seulement reçu ses offres, et nous vous demandons l'autorisation de traiter sur ces bases.

MfFOµ. – Il y a bien autre chose !

M. Jacobsµ. - Il y a en effet beaucoup d'autres choses.

MfFOµ. - Voici ce que j'ai dit et ce qui condamne ce que vous venez d'énoncer :

« La loi imposera des conditions à la ville d'Anvers ; ce n'est pas une faveur que l'on entend lui faire, c'est une obligation que l’on fait peser sur elle ; nous n'avons pas signé d'arrangement avec elle, nous avons seulement reçu ses offres et nous vous demandons l'autorisation de traiter sur les bases, qui seront arrêtées par la loi. »

M. Jacobsµ. - Je viens de détruire la première hypothèse d'après laquelle la ville serait engagée sans convention.

MfFOµ. - Vous n'avez rien détruit, et d'ailleurs l'engagement est formel !

M. Jacobsµ. - J'aborde maintenant la seconde, celle à laquelle ne se rapportent pas les premiers mots que vient de citer M. le ministre, et voilà pourquoi je ne les ai pas invoqués, me bornant à constater que d'après lui il y avait offre et non contrat.

Maintenant ces offres ont-elles été acceptées telles qu'elles avaient été faites ? Il y a d'abord cette modification à la suite de laquelle l'honorable M. Loos a fait une réserve qui vous a été lue. II y a ensuite l'inacceptation des conditions secondaires qu'énumère la régence d'Anvers dans sa lettre du 12 juillet 1859 et dont l'honorable ministre des finances vous a donné lecture dans la séance d'hier.

Je veux bien admettre que ces conditions secondaires ne dussent pas être mentionnées dans la convention relative à la reprise des terrains, mais il n'en est pas moins vrai que le collège échevinal d'Anvers se disait chargé par le conseil de stipuler ces conditions secondaires et qu'en l'absence de réponse de la part du gouvernement, il n'y avait pas accord complet sur les propositions d'Anvers.

Maintenant je le dirai franchement, messieurs, ces arguments de pur droit qui seraient à leur place dans la bouche de particuliers réglant leurs intérêts, j'aurais peine à les admettre de la part d'une ville. Si Anvers n'en avait pas d'autres, je lui donnerais le conseil de payer ce que même en strict droit elle ne doit pas ; un gouvernement, une ville doivent toujours pouvoir invoquer l'équité.

Mais il y a des raisons bien autrement sérieuses. Lorsque notre ville a pris un engagement, elle a conclu une convention synallagmatique, il y avait obligation de part et d'autre.

Le gouvernement ne pouvait pas se restreindre au texte de la loi du 8 septembre 1859, texte identiquement semblable à celui du projet de 1858 quoique la première eût pour but d'arriver à l'agrandissement général, et la seconde à l'agrandissement nord seulement, il ne pouvait se borner à dépenser, n'importe comment, 48 millions en travaux de défense militaire aux environs d'Anvers.

Le gouvernement devait exécuter le projet tel qu'il avait été présenté a la Chambre, il devait exécuter la grande enceinte, dont les divers éléments sont énumérées dans l'annexe n°1 de l'exposé des motifs, qui est ainsi conçu :

« Le projet soumis à la législature comporte :

« 1° La construction d'une enceinte fortifiée partant de l'Escaut, entre le fort du Nord et l'ancien fort Piémontel, passant entre Dam et Merxem et entre Borgerhout et Deurne, puis longeant la gorge des forts n°1, 3, 5, 6 et 7, et se reliant à la citadelle actuelle ;

« 2° L'établissement d'un système de forts détachés, dont le plus rapproché se trouve à 2,500 mètres environ de la nouvelle enceinte ;

« 3° La construction d'un ouvrage destiné à servir de réduit à un fort en terre que l'on construira, en cas de siège, devant Merxem, pour empêcher le bombardement de la ville de ce côté ;

« 4° La construction d'un fort en terrassement sur la rive gauche de l'Escaut, en regard d'Austruweel, fort destiné à compléter le système de défense du fleuve. »

La ville d'Anvers devait d'autant plus tenir à l’exécution fidèle de ces travaux, que le réduit du fort à construire aux environs de Merxem avait été indiqué à différentes reprises antérieurement à la loi de 1859, comme ayant pour but de mettre les établissements maritimes d'Anvers à l'abri d'un bombardement. Elle devait tenir également à l'exécution du fort sur la rive gauche dont le but est de compléter la défense du fleuve, de commander les passes de l'Escaut et d'empêcher une flotte de s'embosser devant la ville ou à distance suffisante peur la détruire.

Or, messieurs, le gouvernement, aujourd'hui, modifie les travaux énumérés dans l'annexe, d'une part, en y ajoutant cette grande citadelle du Nord à Austruwee et, d'autre part, en supprimant les forts mentionnés sous les n°3 et 4 de cette annexe.

Vous vous rappelez tous, messieurs, qu'en 1859 la ville d'Anvers achetait en quelque sorte par son concours l'espace et surtout la sécurité qui lui manquaient.

Presque tous les orateurs qui se sont fait entendre dans cette discussion ont insisté sur la nécessité de mettre Anvers à l'abri d'un bombardement. C'est dans ce but qu'on élevait un fort sur la rive gauche, c'est dans ce but qu'on construisait le réduit d'un fort à Merxem.

La suppression de ces forts, l'adjonction de la citadelle du Nord ont amené la ville d'Anvers à se demander si, lorsque l'époque de la mise en possession sera arrivée, le gouvernement, même en présence d'un engagement signé, ne se trouverait pas devant un engagement caduc faute d'exécution des conditions, des obligations corrélatives par l'autre partie contractante.

C'est là une question très sérieuse, bien plus sérieuse, me semble-t-il, que la réserve de l'honorable M. Loos et que l'inacceptation des conditions accessoires.

Aussi suis-je convaincu que lorsque cette question sera soumise au conseil communal d'Anvers, ce sera la seule qui pourra l'arrêter et qu'il ne s'occupera que peu ou point des questions accessoires.

J'ajouterai cependant qu'en équité plusieurs des considérations développées par le collège dans sa lettre du 7 août dernier me semblent mériter un mûr examen.

On vous a lu le discours de l'honorable M. Loos déclarant que la ville d'Anvers était, de toutes les communes, celle que la suppression des octrois devait mettre dans la position la plus difficile. M. le ministre de l'intérieur de cette époque, aujourd'hui ministre des affaires étrangères, avait déclaré, à cette occasion, que les intérêts d'Anvers ne souffriraient pas. C'est un rappel à ces paroles que l'on devait voir dans la lettre du collège échevinal d'Anvers.

Une autre question fort grave également, c'est l'application à Anvers des lois du 14 juillet 1860 et du 8 mai 1861, relatives à la cession faite aux villes démantelées des terrains nécessaires à la voirie.

L'honorable ministre des finances nous disait qu'en 1839 on avait tenu compte de cette défalcation en fixant le prix. C'est là une erreur évidente. En 1859 il n'existait qu'une loi d'exception de 1854 en faveur de quelques villes comme Ath, Mariembourg, Philippeville, pour lesquelles le démantèlement était une perte véritable. On leur accordait une compensation.

En 1860, le gouvernement présenta un projet de loi ayant pour but de généraliser ces dispositions. Ce projet fut amendé à la Chambre et restreint à la ville d'Audenarde ; ce n'est que plus tard, à l'occasion du crédit de 15 millions pour l'artillerie, que la disposition générale, écartée en 1860, fut réintroduite sans que la Chambre y fit grande attention en 1861.

Ce n'est donc qu'incidemment et contrairement à une première décision de la Chambre, en 1861, c'est-à-dire deux années après la loi du 8 septembre 1859, que la cession aux villes des terrains occupés par les fortifications et nécessaires pour le complément de la voirie, fut adoptée d'une manière générale. Jusque-là, cette cession n'avait été qu'une compensation accordée exceptionnellement.

Il est encore un objet que M. le ministre des finances n'a pas apprécié à sa juste valeur ; c'est la reprise par le gouvernement d'une partie des terrains militaires d'Anvers pour les différentes administrations de l'Etat. Il dit : Je livrerai le bloc de 154 hectares, et j'en reprendrai ensuite une partie. N'est-il pas plus logique, plus simple et plus équitable de faire une ventilation, de faire la réduction de ce qu'on livrera fictivement en le reprenant fictivement aussitôt après ? Il n'est du reste pas possible de mettre le tout à la disposition de la ville. Car il y a des communications par chemin de fer qui passent à travers l'enceinte, et qui resteront dans cet état sauf que les ponts seront remplacés par des remblais.

Enfin, dernière question fort grave en droit et surtout en équité, la propriété des anciens remparts élevés aux frais de la ville ne lui appartient-elle pas ?

Cette question soulevée à Anvers, l'est aussi à Tournai ; j'ai lu un rapport remarquable fait à ce sujet au conseil communal de cette ville.

Je crois, messieurs, que toutes ces raisons de justice devraient (page 146° conduire à améliorer les conditions faites à la ville d'Anvers ; mais il est injuste de dire qu'Anvers méconnaît ses obligations ; elle ne s'est pas prononcée ; son collège, sans méconnaître aucune obligation, s'est borné à présenter des considérations d’équité, et le moment où la ville d'Anvers pourra être forcée de payer la première moitié dos 10 millions contre remise des terrains, en admettant qu'elle puisse jamais y être forcée, ce moment n'est pas venu.

Messieurs, en réponse à ce reproche que nous faisions au gouvernement, très incidemment, je veux l'admettre, de n'avoir pas conclu une convention avec l'administration ancienne, fort au courant de cette affaire, et d'avoir attendu l'entrée en fonctions de l'administration provisoire, M. le ministre des finances disait : Nous ne pouvions conclure cette convention ; nous devions attendre le moment où les terrains pourraient être mis à la disposition de la ville, pour intercaler cette date dans la convention.

Je ne crois pas qu'il dût en être ainsi ; M. le ministre des finances devait conclure la convention dès le lendemain de loi, sauf à y insérer le délai qui doit séparer la mise en demeure de l'échange des terrains contre payement de la moitié du prix pour le cas seulement où l'enceinte nouvelle serait achevée avant le 8 septembre 1864. Et ce qui montre que telle était l'opinion de son cocontractant, de l'administration communale d'Anvers, c'est que dans la lettre du 12 juillet 1859 qu'on vous a lue, elle dit : « Nous sommes prêts à signer la convention sur ces bases. »

Messieurs, je me suis peut-être trop étendu sur cet incident qui n'a, au fond, d'autre portée à mon avis que celle d'être un obstacle à la conciliation, voie dans laquelle le conseil communal d'Anvers est entré par le vote que vous connaissez.

A propos de ce vote, M. le ministre des finances vous a déclaré qu'il se contentait de faire connaître la résolution, mais qu'il se garderait de lire les discours prononcés à cette occasion, parce qu'il y avait là de quoi froisser les sentiments de la Chambre.

MfFOµ. - Vous m'avez mal compris ; je n'ai pas dit cela.

M. Jacobsµ. - Vous l'avez dit et vous avez fait même allusion à un discours dont vous avez cité quelques passages dans votre réponse à l'honorable M. Osy au Sénat.

MfFOµ. - Ce n'est pas dans ce sens que je me suis abstenu de lire cette discussion ; c'était uniquement parce que j'aurais pu la citer comme une preuve qu'il n'y avait pas d'offre sérieuse.

M. Jacobsµ. - Dans ce cas, M. le ministre des finances s'est servi de ce discours pour prouver ici autre chose que ce qu'il a prouvé au Sénat.

MfFOµ. - C'est possible. J'ai montré au Sénat en quels termes on était conciliant.

M. Jacobsµ. - En tout cas ceci servira de réponse et permettra à la Chambre d'apprécier d'une manière plus saine et plus réelle les véritables intentions de la population anversoise, telles qu'elles sont exprimées par ses représentants légaux.

Je vais vous lire, messieurs, le discours d'un des hommes les plus considérables d'Anvers, d'un ancien président du conseil provincial, ancien bâtonnier de l'ordre des avocats, M. de Blon :

« M. Blandel. J'appuie sans réserve les développements, que donne à la proposition le rapport de M. Haghe.

« Cette proposition me semble opportune, digne et sage. Elle est opportune parce qu'elle fait bonne justice des bruits calomnieux dirigés contre nous, des accusations injustes qui nous représentent comme animés de sentiments anti-nationtaux et anti-dynastiques. Je ne ferai pas l'injure au conseil de répéter ces bruits ; la proposition atteindra ce but ; en chargeant le collège de négocier avec le gouvernement, il devient évident que ces bruits n'étaient que le résultat de la calomnie.

« La proposition est digne et sage. Et d'abord j'y vois un acte de convenance, de déférence envers le pouvoir. Le gouvernement saura l'apprécier ; il comprendra qu'il peut l'admettre, l'accueillir sans défiance. Il comprendra que nous qui savons si bien défendre notre dignité, nous savons aussi respecter celle des autres.

« Cela fait, pourquoi ne réussirions-nous pas ? Nous ne demandons rien qui ne soit juste, loyal et équitable. Nous le faisons avec conviction, mais aussi avec délicatesse et convenance.

« Que demandons-nous ? Est-ce d'être relevés du poste périlleux qui nous est dévolu ; voulons-nous ébranler la défense nationale ? Au contraire, nous voulons la développer et la rendre plus efficace.

« Tout ce que nous demandons, en définitive, est dans les limites du juste et du possible. Nous voulons qu'on nous donne un peu de cette sécurité que nous sommes appelés à garantir à d'autres.

« Ainsi entendue, notre démarche doit imposer silence aux bruits calomnieux dirigés contre nous ; ainsi entendue, nous pourrons faire cette démarche avec le ferme espoir qu'elle sera couronnée d'un plein succès.

« J'appuie donc de toutes mes forces la proposition qui nous est soumise. »

Voilà, messieurs, des paroles que l'on peut donner, je pense, comme un modèle de convenance et de tact.

Le gouvernement appréciera mieux désormais, je l'espère, la portée de la mesure prise par le conseil communal d'Anvers.

M. le ministre des finances a déclaré qu'il n'y accordait pas grande confiance. « Quelle valeur, nous a-t-il dit, peuvent avoir les offres d'une grande ville, lorsqu'elle dénie ses engagements ? »

S'il n'y avait ici qu'une question financière, il y aurait un moyen bien simple de dissiper les soupçons de M. le ministre des finances : que l’on négocie les deux points à la fois, la cession des terrains des anciennes fortifications et l'intervention de la ville d'Anvers dans les nouveaux moyens de défense, vous verrez alors si la proposition est sérieuse ; vous verrez si l'on refuse les 10 millions, si l'on fait une offre raisonnable pour l'exécution d'un changement aux travaux.

Messieurs, plusieurs de mes honorables collègues d'Anvers, l’honorable M. Delaet en dernier lieu, ont interpellé M. le ministre de la guerre au sujet d'une modification possible au plan en cours d'exécution.

L'honorable ministre de la guerre, répondant à M. d'Hane-Steenhuyse à la séance d'hier, nous disait que l'on pourrait remplacer les inondations préventives, qui seraient la ruine du pays de Waes par des forts à établir sur la rive gauche de l'Escaut. Il nous disait encore qu'à son avis il y avait deux moyens d'assurer à la place d'Anvers un réduit convenable ; ou bien maintenir les citadelles et surtout celle du Nord ; ou bien conserver l'enceinte espagnole.

Je me suis demandé jusqu'à quel point il ne serait pas possible d'accepter la proposition du conseil communal d'Anvers qui, j'ai lieu de le croire, a été étudiée par des hommes compétents, jusqu'à quel point il ne serait pas possible de transporter le réduit sur la rive gauche, d'avoir en quelque sorte la petite enceinte sur la rive gauche.

L'honorable général Chazal nous expliquera, s'il le juge convenable, les raisons qui s'opposent à ce que les citadelles soient démolies et remplacées par un autre réduit. Il voudra bien nous dire également si, à son avis, cette idée est tellement excentrique qu'elle ne vaille pas un examen, s'il ne consentirait pas à prendre au moins l'engagement de faire examiner mûrement la question de savoir si les intérêts d'Anvers peuvent se concilier avec les nécessités de la défense nationale, soit de la manière indiquée par le conseil communal, soit d'une autre. J'espère que l'honorable général Chazal ne repoussera pas cet examen ; en l'accordant il se conformera aux intentions exprimées à diverses reprises par la Chambre, lorsqu'elle s'est occupée de la question d'Anvers, notamment en 1858 et en 1859. Je me permettrai de lui lire deux courts extraits des rapports des sections centrales chargées d'examiner les projets d'agrandissement nord et d'agrandissement général.

Le rapport de 1858 porte :

« La section centrale n'admet pas, qu'en désignant un seul point comme devant être le champ de bataille où doit se décider le sort du pays, on puisse mettre quelques millions en regard des désastres de toute nature dont serait menacée notre métropole commerciale. Elle ne conçoit pas, qu'après avoir à l'avance appelé les coups de l'ennemi sur une ville aussi importante, on ne voulût pas, en perfectionnant les moyens de défense, la sauver des plus grandes calamités.

« Et la section centrale de 1859 exprime le regret unanime de voir imposer à notre capitale commerciale une destinée si peu conforme à sa mission pacifique ; sa majorité la subit comme une fatalité devant laquelle elle s'incline... L'enceinte fortifiée, d'après elle, doit être agrandie si l'on veut qu'Anvers se défende et défende le pays sans recourir à des procédés sauvages qui feraient maudire la Belgique par des milliers de Belges. »

Voilà, messieurs, comment s'exprimait l'organe de la Chambre, la section centrale, à ces deux époques. Eh bien, nous demandons aujourd'hui, alors qu'il n'est pas possible, à propos de la discussion de l'adresse, de traiter à fond de tous les griefs d'Anvers, des servitudes intérieures, des servitudes extérieures, de la légalité de la citadelle du Nord, etc... nous demandons que l'on veuille bien accorder à cette grande ville qui, (page 147) d'après vous, est égarée, qui d'après nous, est sacrifiée, que l'on veuille bien lui accorder l'examen de la question de savoir s'il est possible, oui ou non, d'arriver à une solution conciliatrice, à une solution qui ménage les intérêts d'Anvers aussi bien que ceux de la défense du pays.

Un dernier mot, messieurs, et je termine.

Le ministère actuel a déjà parcouru une longue carrière ; quel que soit le sort que l'avenir lui réserve, Anvers lui survivra ; l'existence des cabinets se compte par années, celle des villes se mesure par siècles. La ville d'Anvers a tendu la main au gouvernement, elle a proposé une mesure de pacification, elle a fait le premier pas ; c'était son devoir, je le veux bien, un devoir de convenance.

Aujourd'hui que ce devoir est rempli, si les hommes qui nous gouvernent n'acceptent pas la main qui leur est tendue, s'ils ne veulent pas même essayer de mettre un terme aux dissentiments qui règnent entre eux et la cité qui, à l'heure du danger, doit leur servir d'asile, à eux, à nous, à la dynastie, à tout ce que nous avons de cher ; alors il y aura une question de dignité pour nous à notre tour ; nous ne pourrons faire de nouvelles avances à ceux qui auront refusé celles-ci avec un dédain systématique, nous n'aurons plus qu'une chose à faire : nous avons le temps d'attendre le jour de leur chute, nous l'attendrons.

M. De Fré. - Messieurs, au point de vue de l'unité nationale, le mouvement anversois est un mouvement déplorable. Il a produit dans le pays l'impression la plus pénible.

Les réclamations d'Anvers, celles qui se produisent encore aujourd'hui, ont été repoussées à différentes reprises par cette assemblée, après de longs débats et par des votes solennels ; elles ont été repoussées par tous les conseils communaux du pays !

Il y a dans la ville d'Anvers un grand nombre de citoyens qui déplorent les ravages que ce mouvement anversois a faits, mais qui se sont tus devant le tapage, devant le bruit que ce mouvement produisait. A ceux-là nous devons donner du courage, à ceux-là nous devons tendre une main amie.

A côté de ces citoyens prudents qui ont manqué de courage, il y a eu un groupe d'hommes qui ont exploité deux mauvais instincts : l'égoïsme et la peur.

Ceux qui ont exploité ce mouvement, ceux-là, dans l'intérêt du pays, dans l'intérêt de la dignité et de l'unité nationale, il faut les réduire à néant. (Interruption.)

M. Coomans. - C'est un peu fort.

MpVµ. - Pas d'interruption. La parole est continuée à M. De Fré.

M. De Fré. - Je continuerai quand M. Coomans aura fini de rire.

M. Coomans. - Je dis que c'est un peu fort.

M. Wasseigeµ. - Et moi aussi !

MpVµ. - Pas d'interruption. Continuez, M. De Fré.

M. De Fré. - Je dis que ceux-là qui ont produit par ce mouvement les ravages qui se sont faits dans le pays, que ceux-là qui ont fait naître cette tendance à rompre l'unité nationale, que ceux-là doivent être réduits à l'impuissance.

Messieurs, personne n'a mieux qualifié le mouvement anversois que l'honorable M. d'Hane-Steenhuyse. Voici quelle signification il lui a donnée ; dans le meeting du 3 juillet, il a dit :

« Le gouvernement ne veut rien faire pour nous ; nous ne ferons rien pour le gouvernement. Le reste du pays, trompé par des mensonges officiels, nous condamne sans nous entendre ; nous refusons notre concours du reste du pays. » (Précurseur du 4 juillet 1862).

- Des membres. - Voilà !

M. De Fré. - Et l’honorable M. d'Hane-Steenhuyse a été élu représentant ; il est le produit de ce mouvement qui veut séparer le pays en deux, qui dit au reste du pays : « Je me sépare de vous ; vous ne devez pas compter sur nous. »

MpVµ. - M. De Fré, toute imputation de mauvaise intention est interdite ; vous ne pouvez pas suspecter les intentions d'un membre de la Chambre.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Je demande la parole pour un fait personnel.

MpVµ. - Vous êtes inscrit ; mais je viens de dire à M. De Fré qu'il ne pouvait pas suspecter les intentions des membres de la Chambre.

La parole est continuée à M. De Fré.

M. De Fré. - Je dis que l'honorable M. d'Hane-Steenhuyse a caractérisé le mouvement anversois lorsqu'il a dit : Nous refusons notre concours au reste du pays ; je dis que l'honorable M. d'Hane est le produit de ce mouvement qu'il a qualifié ainsi.

- Des membres. - C'est clair.

MfFOµ. - C'est évident.

M. De Fré. - Eh bien, lorsqu'une ville aussi importante que la ville d'Anvers, lorsqu'une ville qui est destinée à devenir, au jour du danger, le boulevard de notre nationalité, s'exprime ainsi par l'organe d'un de ses représentants, lorsqu'un de ses représentants vient dire au reste du pays : « Je me sépare de vous ; vous ne pouvez pas compter sur nous » alors mon cœur de patriote saigne et.... (Interruption.)

- Des membres. - Oh ! oh !

- D'autres membres. - Très bien !

M. de Theuxµ. - Il ne faudrait pas signaler une partie du pays comme voulant se séparer du reste du pays.

M. De Fré. - C'est l'honorable M. d'Hane qui a dit cela.

MaeRµ. - Je demande la parole.

MpVµ. - Pas d'interruption. La parole est à M. De Fré.

M. De Fré. - L'œuvre de 1830, cette grande centre fécondée par le dévouement du peuple, par les travaux de nos hommes d'Etat, par les œuvres de nos artistes et par la sagesse de notre Roi, ne peut vivre et se conserver qu'autant que tous les enfants de la Belgique admettent le dogme sacré de l'unité nationale. (Interruption à droite.)

Il ne s'agit pas de vous ; il ne s'agit pas de la droite ; je ne vous attaque pas.

Messieurs, je suis vraiment étonné de l'émotion qui se produit sur les bancs de la droite ; je n'attaque nullement les principes politiques de la droite ; je n'attaque pas son patriotisme, j'attaque le mouvement anversois, et je crois que la droite a intérêt à ne pas l'appuyer.

Dans le projet d'adresse que nous devons discuter, il y a des principes que la droite attaquera, que la gauche défendra ; car il faut que chacun défende son drapeau. Oui, il y a des principes sur lesquels nous sommes divisés ; mais il y a des choses communes, il y a des affections communes, il y a un patrimoine commun, et la droite, aussi bien que la gauche, a intérêt à conserver le prestige qui naît de l'unité nationale et qui a été attaqué à Anvers par M. d'Hane-Steenhuyse. Pourquoi donc le défendez-vous ?

Je dis que le mouvement anversois, dont vous avez intérêt à vous séparer, a été déplorable. Je viens de faire voir combien le dogme de l'unité nationale a été méconnu dans ces meetings où tout ce que nous respectons, où tout ce que nous vénérons a été l'objet des plus grossières insultes.

- Des membres. - Bravo ! Bravo ! (Des cris de « Vive le Roi » se font entendre.)

M. De Fré. - Messieurs, l'année dernière, il y avait comme un deuil étendu sur là patrie. Un homme qui a été depuis 33 ans notre bouclier, un homme que nous respectons tous, que la droite respecte comme la gauche, était souffrant : cette souffrance, cette maladie du Roi produisit dans le pays l'impression la plus douloureuse, la plus pénible, non seulement en raison du sentiment de la reconnaissance qui nous attache à lui pour les services qu'il a rendus au pays ; mais en raison encore de la haute influence qu'il peut exercer sur les destinées futures de la patrie.

En bien, dans ce meeting d'Anvers, un homme a eu le triste courage, sous la présidence de l'honorable M. d'Hane-Steenhuyse, de s'exprimer dans les termes suivants :

« M. Jean Van Ryswyck. - Je regrette de voir que des personnes étrangères doivent venir défendre Anvers, que nos concitoyens paraissent ne pas savoir cela ou n'en avoir pas le courage. Ceci me rappelle quelqu'un, à Bruxelles, qui a la pierre et qui doit faire venir des médecins étrangers pour se faire guérir. (Rires.) » (Grondwet, 4 juillet 1862).

Et ces paroles, messieurs, furent accueillies par les rires de l'assemblée, sans que l'honorable président ait réclamé le silence, ni protesté contre cette indécence. (Applaudissements sur les bancs de la gauche.)

M. H. de Brouckereµ. - Et la droite appuie cela !

M. De Fré. - Vous le voyez, messieurs, il ne s'agit pas ici de politique, mais d'humanité. Il s'agit du sentiment de la justice, du sentiment de la reconnaissance, qui ont été foulés aux pieds. Et l'honorable M. d'Hane n'a pas trouvé une parole pour flétrir ces outrages. (Bravos à gauche.)

Les nouveaux élus d'Anvers, messieurs, pour justifier ce mouvement, ont vanté leurs sentiments de patriotisme, ils sont venus nous parler de (page 148) leur respect pour la dynastie et de leur amour pour l'indépendance du pays.

Eh bien, j'ai le droit de dire, en présence des pièces que je tiens ici, que toutes ces belles protestations ne sont qu'un masque, un beau masque. Quel a été le héros de ce mouvement, le héros des meetings dirigés par M. d'Hane, président effectif et M. Dubois d'Aische, président d'honneur, et à l'aide desquels on égare depuis deux ans la population anversoise ?

C'est M. Van Ryswyck dont le mouvement anversois a fait un conseiller communal. Et voulez-vous savoir pourquoi M. Van Ryswyck a été élu ? Pour avoir écrit ce que vous allez entendre :

« Ainsi, nous devons souffrir la misère pour une nationalité qui n'existe que dans l'imagination des Wallons ? (Interruption.) Ainsi nous devrions crever pour la défense d'une dynastie... » Quel superbe langage, n'est-ce pas, messieurs ? quelle élégance, quelle douceur ! «... pour défendre une dynastie qui passera en Angleterre au premier danger et nous laissera devant les balles !’ (Grontwet, 9 mai 1862).

Ecoutez encore le nouveau conseiller d'Anvers :

« Maintenant, Anversois, ayant les mêmes droits, nous devons être assez osés pour déclarer que la prospérité de notre ville, de notre commerce, de notre navigation nous tiennent plus à cœur que tout ce qu'il plaît à messieurs de Bruxelles d'appeler nationalité, dynastie !... » (Interruption.)

- Voix à gauche. - Riez donc, messieurs de la droite.

M. de Moorµ. - Voilà vos amis, voilà vos patrons !

M. De Fré. - Ecoutez encore :

« Allons, Anversois, criez donc : Vive la dynastie bruxelloise ! Criez donc ! Vous aurez plus tard assez d'occasions de souhaiter qu'elles soient en enfer avec leurs lieux de refuge, fortifications et tout le reste. » (Grondwet, 16 mai 1862).

Eh bien, je vous le demande, messieurs, ai-je le droit, en présence d'un pareil langage, de dire, en me fondant sur l'honnêteté du pays, sur le patriotisme du pays, sur le bon sens du pays, que ce mouvement est déplorable ? Ai-je le droit de dire aux honnêtes chefs de la droite qu'il faut qu'ils le repoussent comme une manifestation dont ils auraient à rougir plutôt que de les couvrir d'une complaisante approbation ? (Interruption.)

Il y a, messieurs, à Anvers, dans cette ville où il y a tant de bon sens et du patriotisme, bien des cœurs honnêtes à qui un pareil spectacle répugne et qui, comme je le disais tout à l'heure, regardent avec tristesse, avec désespoir, cette agitation déplorable.

Messieurs, je ne veux pas attaquer les nouveaux élus d'Anvers. (Interruption.) Je leur fais un souhait ; je leur souhaite qu'ils apportent ici à la défense des intérêts qui leur sont confiés l'autorité, le dévouement, l'éloquence de ceux qu'ils ont remplacés.

Les intérêts d'Anvers étaient défendus ici par un homme qui a consacré toute sa vie à la gloire et à la prospérité de la métropole commerciale, par un homme qui a été longtemps son chef, et qui était une image de la probité politique.

- Voix à gauche. - Très bien !

M. De Fré. - Les intérêts d'Anvers étaient défendus par un autre représentant qui a été trois fois votre président, qui a dirigé vos débats et qui est souvent descendu de son fauteuil pour venir soutenir, ici, à côté de nous, les réclamations de sa ville natale.

Ces intérêts avaient encore pour défenseur un jeune représentant qui, à la grâce de la personne, joignait un talent inné. (Interruption.)

Les intérêts d'Anvers étaient défendus par un autre jeune représentant plein de talent aussi, plein de courage et qui a fait au colonel Hayez une célébrité si rapide. Et comme il doit toujours y avoir, dans les choses de ce monde, un côté plaisant même à la plus grande douleur, nous avons vu l'honorable M. Hayez prendre la place de l'honorable M. de Gottal.

Enfin, messieurs, les intérêts d'Anvers étaient défendus, dans cette assemblée et dans les conseils de la couronne, par un homme de 1830, par une illustration parlementaire qui a attaché son nom à l'affranchissement de l'Escaut. Oh1, ingratitude populaire !... (Interruption.)

- Voix à gauche. - Oui ! oui !

M. De Fré. - Amer breuvage que dans ses jours d'égarement le peuple réserve surtout à ceux qui ont le mieux défendu ses intérêts !

Mais, messieurs ces moments d'égarement de la part du peuple ne sont pas de longue durée ; l'histoire nous apprend que bientôt le sentiment de la justice, le sentiment de la reconnaissance endormi un moment s'éveille dans son âme avec un élan irrésistible, et alors ces idoles d'un jour, ces dieux d'argile et de plâtre sont brisés avec une facilité qui les déconcerte eux-mêmes.

Messieurs, depuis 1830 la Belgique indépendante a ajouté de belles pages aux annales de son histoire, mais la page du mouvement anversois est une triste page, et ceux-là mêmes qui l'ont écrite, quand ils arriveront à une appréciation plus saine des hommes et des choses. la déchireront de leur propres mains.

Permettez-moi de rappeler à la Chambre les péripéties diverses de ce mouvement d'Anvers et de démontrer combien il y a, au fond de ses plaintes, peu de conscience et de moralité.

Vous le savez, en 1858, le gouvernement présenta le projet de la petite enceinte, il s'agissait d'une dépense de 20 millions. Alors comme aujourd'hui la ville d'Anvers disait au gouvernement : Faites donc de plus grands sacrifices ; alors on demandait la grande enceinte, non pas dans l'intérêt de la défense nationale, mais dans l'intérêt d'Anvers, afin qu'Anvers ne continuât pas à étouffer dans l'enceinte espagnole, afin qu'Anvers fut dégrevée des servitudes intérieures ;.il y avait à Berchem et Borgerhout plus de cinq mille maisons bâties par tolérance sur des terrains frappés de servitudes militaires.

Anvers disait : Fixez la rançon d'Anvers, dites la somme qu'il vous faut pour faire la grande enceinte ; pour qu'Anvers puisse s'étendre, prospérer et devenir la ville la plus importante de l'Europe.

La ville d'Anvers a reçu la grande enceinte sans indemnité pour les servitudes militaires et avec la citadelle du Nord.

Quand elle eut conquis le bienfait de la grande enceinte, c'était dans tout Anvers une jubilation extraordinaire.

Quand elle eut les avantages de la grande enceinte, quand elle fut assurée de ne plus étouffer dans l'enceinte espagnole, quand le dégrèvement des servitudes intérieures fut consenti et voté, alors, non pas la population tout entière, elle n'y avait pas intérêt, mais quelques négociants d'Anvers se sont dit : Si nous pouvions avoir de l'argent pour nos servitudes nouvelles !

Et comme l'argent ne venait pas, on a imaginé, quoi ? La démolition des citadelles.

On est venu soutenir que la ville avait été trompée, qu'elle n'avait pas eu connaissance de la citadelle du Nord, dans le but coupable de détruire la ville ; que la Chambre avait été trompée, la ville trompée, et que, par la création de cette citadelle du Nord, que le gouvernement avait cachée, la ville était menacée d'une destruction complète.

Parce qu'ils ne recevaient pas l'indemnité réclamée, quelques agitateurs ont demandé la démolition des citadelles.

Chose remarquable ! il s'est écoulé dix-huit mois entre la demande d'indemnité du chef des servitudes et la demande de démolition des citadelles.

Ce n'est que le 1er mai 1862 qu'il a été question des dangers que faisait courir à la ville la citadelle du Nord, et qu'on est venu demander à la Chambre la démolition de cette citadelle.

Si, en 1859, lorsque Anvers obtenait la grande citadelle, elle avait cru qu'elle avait le droit, pour les servitudes nouvelles, à une lieue de la ville, de réclamer une indemnité, elle ne se serait pas engagée à payer dix millions ; elle aurait fait entrer dans le payement de la somme qu'elle s'engageait à payer ce qui lui revenait du chef des servitudes.

Or, j'en appelle à tous les membres de cette assemblée, jamais il n'a été question d'indemnités du chef de servitudes avant la loi de 1859.

Anvers a dit : Nous vous donnons 10 millions, nous obtenons le dégrèvement des servitudes intérieures, ainsi que la grande enceinte, et nous sommes quittes.

Lorsque à Anvers on a vu que ces réclamations d'argent au profit de quelques propriétaires ne remuaient pas la population, qu'on ne parvenait pas à agiter les esprits à l'aide de la question d'indemnités, on a soulevé à Anvers la question des citadelles.

La peur est un sentiment qui peut être partagé par tout le monde, on s'est adressé à la peur ; on a dit que la citadelle était destinée à détruire la ville, comme si le gouvernement pouvait avoir un intérêt quelconque à détruire une ville importante, une richesse nationale, on a répété sur tous les tons, dans les meetings et les journaux, que le gouvernement préméditait la ruine d'Anvers, et des masses crédules ont eu peur ; on a exploité cette peur, c'est là ce qui a produit le mouvement anversois. La moralité ou plutôt l'immoralité de ce moyen est évidente. On a trompé la population d'Anvers.

La question de la citadelle du Nord a été l'objet d'une discussion en section centrale en 1859. Voici ce que je lis dans le rapport de M. Orts :

« La question de la marine militaire est tout à fait indépendante de 1« question de la fortification d'Anvers. Qu'on agrandisse Anvers ou qu'on le laisse tel qu'il est, cela n'aura aucune influence sur la question de la marine.

(page 149) « Une marine militaire serait très utile pour la défense de l'Escaut ; mais elle serait bien plus utile et même indispensable pour atteindre ce but, si on laissait les rives de ce fleuve dans l'état où elles sont aujourd’hui.

« On peut donc dire que si l'on adopte le système que nous proposons, la défense de l'Escaut sera beaucoup plus efficace sans marine qu'elle ne l'est aujourd'hui. Cela se conçoit facilement puisque, dans notre système, sont compris des ports, des batteries et les fronts de la citadelle du Nord qui battent toutes les passes du fleuve. »

C'est l'extrait d'une lettre de l'honorable ministre de la guerre qui est reproduite dans ce document officiel.

Messieurs, l'honorable M. Loos lui-même a déclaré, dans la séance du 1er mai 1862, qu'avant la discussion de la loi du 8 septembre 1859, un plan sur lequel figurait la citadelle du Nord lui avait été envoyé par le ministre de la guerre.

M. Loos dit :

« Tous les documents du reste établissent qu'il n'y a jamais eu le moindre mystère dans toute cette affaire. Le plan qui a été remis au conseil, lui a été apporté par un officier du génie, délégué du ministre. Avant de le communiquer, il en a demandé l'autorisation au ministre de la guerre et celui-ci la lui a transmise par le télégraphe ; tous les membres du conseil ont eu ce plan et tous savent parfaitement que-la citadelle du Nord y est marquée. » (Bulletin communal>, 1862, p. 203)

Maintenant, messieurs, voici, à la date du 5 juillet 1863, une lettre signée par tous les membres de l'ancien conseil communal d'Anvers :

« Les soussignés, membres du conseil communal de 1859, déclarent que dans la séance du 9 juillet de cette année, le plan (de la citadelle du » Nord) dont il a été fait mention dans la lettre de M. Loos à M. Haghe a été réellement communiqué. » (Suivent plusieurs signatures : Van Bellinghe, Delvaux, Joostens, Catteaux-Wattel, etc., etc.)

Quand la loi eut été votée par l'assemblée, il y a eu une enquête au gouvernement provincial d'Anvers, et qui constate quelle était l'étendue de la citadelle du Nord.

Voici ce que je lis dans le Journal d'Anvers du 18 octobre 1859, le journal qui a patronné les nouveaux élus d'Anvers :

« J'ai assisté à l'enquête qui se faisait samedi dernier à l'hôtel du gouvernement provincial pour les travaux de l'enceinte fortifiée et l'établissement de la citadelle du Nord.

« Les plans ayant été déposés dans la salle de réunion, nous avons pu examiner de quoi la ville et les environs sont menacés. Dans la commune d'Austruweel les emprises se monteront à plus de 100 hectares. L'ancien fort du Nord sera détruit et les terrains qu'il occupe seront réunis à la nouvelle citadelle, qui aura, dit-on, à peu près 130 hectares. »

Nous sommes au mois d'octobre 1859.

Pendant toute l'année 1860 on ne fait aucune réclamation contre cette citadelle menaçante pour le commerce d'Anvers, pour les arts d'Anvers, pour la sécurité des habitants d'Anvers.

L'année 1861 s'écoule également et pas la moindre réclamation. Et en attendant les forts sortent de terre et ce n'est qu'en 1862, le 1er mai, que la Chambte est saisie d'une protestation contre cette citadelle du Nord.

Messieurs, le plan qui a été soumis à la Chambre, le plan qui a été communiqué à la section centrale, le plan qui a été communiqué au conseil communal, le plan qui a été déposé à l'hôtel provincial à Anvers, ce plan avait été envoyé, avant la discussion dans cette assemblée, à la commission de la cinquième section et la cinquième section a vu la citadelle du Nord figurant sur ce plan.

Elle a considéré qu'il y avait peut-être quelque inconvénient à cette grande citadelle du Nord, mais l'avantage, pour Anvers, d'avoir la grande enceinte et la démolition de l'enceinte espagnole, était pour elle d'un si grand prix, que la commission recommandait aux membres d'Anvers de ne point parler de la citadelle, de crainte que cette grande enceinte, qu'Anvers n'a pas réclamée, nous disait tout à l'heure un de ces messieurs, ne fût point votée.

Voici, messieurs, la lettre qu'écrivait l'honorable M. Cogels-Osy à l'honorable M. Vervoort, le 31 juillet 1859 :

« Monsieur,

« Après vous avoir exprimé mon sincère regret d'avoir été privé aujourd'hui de l'honneur de vous recevoir, je viens, en réponse à votre demande, vous faire connaître qu'après une discussion assez longue et un peu confuse, la commission a adopté la résolution suivante à l'unanimité : qu'il convient de prier nos représentants de demander l'insertion dans le projet de loi de garanties positives pour la démolition dé l'enceinte actuelle.

« Ce qui effrayait quelques membres de la commission était la construction d'une grande citadelle au nord. »

MfFOµ. - Qu'on ne connaissait pas.

M. De Fré (continuant la citation). - « Nous avons donc soumis à son vote la question suivante en deux parties :

« 1° Convient-il de faire auprès du gouvernement,

« 2° Convient-il de faire auprès des Chambres, avant le vote de la Chambre, des démarches officielles dans le but de faire apporter des modifications au projet quant à la citadelle du Nord ?

« Résolue négativement à une grande majorité

« Je pense que nous avons agi sagement, car toute intervention même contre une petite partie du projet, pourrait fournir des armes à ceux qui désirent le rejet. »

Ainsi, M. Cogels-Osy recommandait aux députés d'Anvers de ne point parler de la citadelle du Nord, de peur que le projet n'échouât, tellement était grand alors l'avantage de la grande enceinte que les nouveaux élus soutiennent avoir été imposée à Anvers !

Le 23 octobre 1860, le Roi se rend à Anvers et il fait une visite à la citadelle du Nord. Voici comment deux journaux, le Moniteur et un journal d'Anvers l'Avenir, parlent de ce voyage. Il résulte de la description qui nous en est faite, que tout Anvers voyait à cette époque l'étendue du périmètre de la grande enceinte, les constructions sortaient du sol.

Avenir du 28 octobre 1860. Visite à Austruweel. « Rentrée au palais, la Famille royale y a pris quelques instants de repos. Le Roi, le Comte de Flandre, le ministre de la guerre et d'autres personnages officiels se sont rendus alors à la citadelle du Nord en construction et y ont visité les travaux.

« Sa Majesté a visité à pied tous les ouvrages et a pu constater qu'ils sont déjà fort avancés ; le chemin couvert et l'avant-fossé sont pour ainsi dire terminés. Le rempart capital est entamé ; en bas force pilotis et l'on construit de nombreux grillages pour l'établissement des maçonneries qui ne tarderont pas à être entamées avec vigueur. »

Le Moniteur, de son côté, rend compte en ces termes : « La visite du Roi a eu pour objet la citadelle du Nord, premier lot des fortifications. Cette citadelle est un vaste polygone, dont le rempart principal s'étend sur un développement de plus de 2,000 mètres. Un fossé de plus de 100 mètres de largeur et précédé d'un chemin couvert avec avant-fossé de près de 40 mètres de large, défend ce rempart. En outre, la défense est augmentée par le secours d'une grande inondation. Les travaux des terrassements sont fort avancés, il reste peu de chose à faire pour terminer le chemin couvert et l'avant-fossé. On a commencé le rempart principal et établi les pilotis d'une des caponnières casematées. La construction des écluses se fera au printemps prochain ; les contre-digues sont terminées depuis quelque temps.

« La construction de la citadelle du Nord est confiée à M. le capitaine du génie de Keuwer. » (Moniteur du 26 octobre 1860).

Et voulez-vous une preuve de plus pour condamner les accusations du mouvement anversois, qui dénonce au pays la création de la grande enceinte comme une mesure funeste imposée à la ville et destinée à ruiner cette importante cité ? Ecoutez le rapport du conseil communal d'Anvers lu en séance publique du 1er octobre 1860.

On y proclame cette grande enceinte comme un acte mémorable, digne des plus grands éloges et qui doit assurer à la fois la conservation et la prospérité de cette grande métropole. En voici un passage :

« Déjà dans notre exposé de l'année passée anticipant sur celui-ci, nous n'avons pu résister au plaisir de mentionner le vote mémorable décrétant l'agrandissement d'Anvers.

« Le 30 août 1859, la Chambre des représentants vota la grande enceinte par 49 voix contre 29 et 5 abstentions, et le 7 septembre, le Sénat la vota par 51 voix contre 15 et 5 abstentions.

« Le Roi promulgua la loi dès le 8 septembre ; le Moniteur la publia le 10.

c Reconnaissance à Sa Majesté, à la législature, au gouvernement, et honneur à M. le ministre de la guerre, qui sut défendre le projet de loi (page 150) arec autant de fermeté que de talent. Désormais, quoique place de guerre de premier ordre, dernier refuge de la nationalité. Anvers, la métropole du commerce, n'aura plus à redouter les terribles catastrophes qui, plus d'une fois, ont mis son existence en péril et compromis l'essor de sa prospérité commerciale.

« Depuis la promulgation de la loi, le gouvernement ne perdit pas de temps de la mettre à exécution. Avant la fin du mois de septembre, il procéda à l'expropriation des terrains sur lesquels doit s'établir la nouvelle enceinte. Les acquisitions furent poussées avec toute l'activité possible.

« On annonça en même temps la prochaine entreprise des travaux.

« Malgré les grandes et nombreuses difficultés qu'on doit inévitablement rencontrer dans l'organisation d'un service aussi colossal, les mesures ont été si bien prises que, même durant cette première campagne, et malgré les chances défavorables de la température, on a déjà exécuté une bonne partie des ouvrages, tant à l’enceinte QU'A LA CITADELLE DU NORD et aux forts du camp retranchée

MfFOµ. - Toujours inconnu.

M. De Fré. - Ceci se passait en 1860, et ce n'est qu’en 1862, au mois de mai, que vous apercevez que cette grande citadelle, que tout le monde connaissait, est un péril pour Anvers.

Messieurs, ce qui est une iniquité, c'est qu'on s'est servi de cette citadelle du Nord comme d'un fantôme pour effrayer le population, et dans quel but ? Quand on a va qu'on n'obtenait aucune indemnité ; que le gouvernement ne faisait aucune proposition de loi pour donner à Anvers, qui avait déjà recueilli de si grands avantages de la grande enceinte, une indemnité du chef des servitudes, on a excité la peur, on a imaginé ce fantôme de la citadelle du Nord. Car ce n'est qu’un fantôme. La citadelle du Nord, pas plus en 1863 qu'en 1859, n'est un danger, n'est un péril pour Anvers.

A l'aide de ce fantôme, on a cru qu'on aurait eu raison de la Chambre et que la Chambre aurait voté un crédit de plusieurs millions. Voila la moralité du mouvement anversois.

Je demande à continuer demain.

- La séance est levée à cinq heures.