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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 23 novembre 1864

(Annales parlementaires de Belgique, Chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 47) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Florisone donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. de Moorµ présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Les sieurs Warocqué, Dequanter et autres demandent une réduction immédiate des droits établis sur le canal de Charleroi à Bruxelles et le rachat par le gouvernement des canaux d'embranchement. »

- Renvoi à la commission permanente d'industrie.


« Des habitants de Villers-Perwin demandent la réduction des droits d'accise sur la bière indigène. »

« Même demande des habitants de Mellet. »

- Même renvoi.


« Des habitants d'Anvers prient la Chambre de s'occuper sans retard de la proposition d'augmentation du nombre des représentants et sénateurs. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les sieurs Vandekerckhove et Bortier, président et secrétaire de la société agricole, réclament l'intervention de la Chambre pour que le gouvernement prenne des mesures pour empêcher toute espèce d'enrôlements en Belgique, quelle que soit la forme qu'ils prennent ou la dénomination qu'ils affectent. »

- Même renvoi.


« Des commerçants et industriels de la ville d'Ypres adressent des observations sur l'application du tarif des transports par chemin de fer. »

M. de Florisone. - Messieurs, je demande un prompt rapport sur cette pétition qui a un caractère d'urgence. Je demande en outre que la Chambre ordonne la discussion sur cette pétition en même-temps que sur celle de Roulers qui a trait au même objet.

M. Van Renynghe. - J'appuie la proposition de mon honorable collègue.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Grégoire-Joseph Dauphin, ancien militaire, prie la Chambre de lui faire obtenir une indemnité pour subvenir à ses besoins ou une récompense honorifique. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal et des habitants de Kermpt réclament l'intervention de la Chambre pour qu'une halte sur le chemin de fer d'Anvers à Hasselt soit établie près du clocher de Kermpt à l'intersection du nouveau pavé de Kermpt vers Lummen à Tessenderloo. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Gand demandent que la Chambre fasse de la réforme des articles 414, 415 et 416 du Code pénal, l'objet d'une loi spéciale qui serait mise immédiatement en vigueur, qui abrogerait toute répression de la coalition comme telle et qui punirait simplement la menace et la violence, lorsqu'elles viennent des ouvriers, comme lorsqu'elles viennent d'autres citoyens. »

M. Lelièvre. - J'appuie la pétition et je demande qu'elle soit envoyée à la commission qui sera invitée à faire un prompt rapport sur l'objet de la réclamation en même temps que sur celle relative au même objet, analysée dans la séance d'hier.

M. Debaetsµ. - J'appuie cette proposition.

- Cette proposition est adoptée.


« Des ouvriers de Gand demandent la mise en vigueur des articles du nouveau Code pénal concernant la coalition. »

- Même renvoi.


« M. Alp. Vandenpeereboom, ministre de l’intérieur, adresse à la Chambre 116 exemplaires du rapport de la commission permanente des sociétés de secours mutuels, sur le nombre et sur la situation de ces associations en Belgique au 31 décembre 1860. »

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.


« M. Julliot, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé. »

- Ce congé est accordé.


M. Hymans. - J'ai l'honneur de déposer plusieurs rapports de la commission des naturalisations sur des demandes de naturalisation ordinaire.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite des objets à l'ordre du jour.

Motion d’ordre

M. Lelièvre. - Il y a quelques années, le Sénat, sur la proposition de quelques-uns de ses membres, avait voté une loi relative au cens requis pour l'éligibilité au Sénat. Il s'agissait notamment de savoir si les centimes additionnels dus en vertu de la loi devaient compter pour former le cens d'éligibilité. Une commission avait été nommée par le bureau de la Chambre pour l'examen de ce projet de loi.

Aujourd'hui que, par suite de la dissolution, les pouvoirs de cette commission sont venus à cesser, je propose à la Chambre de charger le bureau de nommer une commission nouvelle pour examiner le projet dont il s'agit.

- La proposition de M. Lelièvre est adoptée.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens pour l’exercice 1865

Discussion du tableau des crédits (I. Impôts)

Contributions directes, douanes et accises

Douanes

MpVµ. - La discussion est ouverte sur l'article « Douanes ».

M. Hymans. - Messieurs, la proposition que l'honorable M. Jacquemyns et moi nous avons eu l'honneur de soumettre à la Chambre implique nécessairement l'addition d'un paragraphe à l'article premier de la loi de budget ; sans cela notre proposition, fût-elle admise, serait inopérante. J'aurai donc l'honneur de proposer à la Chambre d'ajouter au premier paragraphe de l'article premier du projet de loi, la phrase suivante : « A l'exception des droits d'entrée sur les poissons, qui sont supprimés à dater du 1er janvier 1865. »

Il y aura lieu, en outre, de modifier le chiffre de l'article 2.

Il est inutile enfin de désigner d'une manière spéciale les huîtres et les homards, qui sont compris dans le tarif sous la dénomination générale de poissons.

Messieurs, la proposition que nous avons l'honneur de vous faire comporte très peu de développements. Elle est tellement simple, tellement juste, tellement rationnelles que je suis vraiment embarrassé de la défendre et je comprends à peine quels sont les arguments que l'on pourra m'opposer pour la combattre. Les principes sur lesquels elle repose sont ceux que l'honorable M. Dumortier proclamait hier au début de son discours sur le droit de débit des boissons distillées. Ces principes, l'honorable ministre des finances s'y est rallié ; et ce sont ceux de tous les économistes, de tous les hommes d'Etat qui professent des idées libérales et je le répète, je ne comprends pas quel est l'argument sérieux qu'on peut opposer à la proposition que nous avons l'honneur de soumettre à ia Chambre.

L'impôt que vous voulez supprimer pèse sur la généralité des citoyens, sur la généralité des consommateurs et surtout des petits consommateurs. Notre amendement a donc un caractère plus sérieusement démocratique que la proposition dont l'honorable M. Dumortier parlait hier, et dès lors j'ai quelque droit de compter sur son appui, comme je compte sur celui de la majorité des membres de cette Chambre.

Une section a émis un vœu en faveur de la suppression totale des droits d'entrée sur les poissons ; la section centrale s'est ralliée à ce vœu à l'unanimité ; elle a fait plus, elle a joint à son vote l'assurance de sa plus vive sympathie.

C'est d'un bon augure pour la proposition que nous avons l'honneur de vous faire. J'ai trouvé pourtant que la section centrale, après la façon dont elle s'est exprimée, eût été plus logique en faisant une proposition formelle. Je ne m'explique pas quels sont les motifs qui ont pu l'arrêter. Peut-être a-t-elle pensé qu'il n'était pas convenable de modifier par la loi de budget la loi qui établit le tarif douanier ; mais je ne comprendrais pas un pareil argument ; aux termes de la Constitution, les lois d'impôt doivent être renouvelées tous les ans, et assurément la douane est un impôt ; nous avons donc le droit de réviser tous les ans les lois de ce genre, et la section centrale ne pouvait pas s'attendre à une pareille fin de non-recevoir de la part de M. le ministre des finance puisque lui-même, l'année dernière, a proposé de réviser par la voie du budget la loi des octrois.

Si dans la section dont je faisais partie je n'ai pas fait une proposition (page 48) formelle, c'est parce que j'éprouvais un certain scrupule à modifier d'une manière quelconque l'équilibre du budget. Il est toujours dangereux de toucher à une recette, et il est toujours plus convenable qu'une proposition de ce genre partît de l'initiative du ministère qui est mieux à même que nous d'apprécier les besoins du trésor, qui sait les réformes qu'il a l'intention de présenter à la Chambre et par conséquent l'argent dont il aura besoin dans l’avenir : mais la section centrale se trouvait, sous ce rapport, dans une position beaucoup plus facile que les sections lors de leur examen.

En effet, c'est sur l'initiative de la section centrale que le budget des voies et moyens a été augmenté de 500,000 fr. ; elle a ajouté 500,000 fr. au chiffre des recettes du chemin de fer, de sorte qu'en supprimant les 115,000 fr. que rapporte le droit d'entrée sur le poisson, le budget dépasserait encore de 385,000 fr. le projet primitif.

Les intérêts du trésor me semblent donc parfaitement sauvegardés. Et puisque M. le ministre des finances nous disait l'autre jour, à propos des jeux de Spa, que ce n'était pas la perte d'une recette de quelques centaines de mille francs qui l'empêcherait d'interdire la roulette, je suppose que ce n'est pas la perte d'une recette de 115,000 fr. qui l'empêchera de se rallier à la proposition que nous discutons aujourd'hui.

Reste, messieurs, la question d'opportunité. Je m'attends à ce que M. le ministre des finances vienne nous dire qu'il a l'intention de proposer très prochainement une révision du tarif ; qu'à propos de cette révision, il sera plus facile de discuter la question du poisson qu'il ne le serait aujourd'hui ; qu'on pourra discuter en même temps les droits établis à l'entrée d'une foule d'autres articles non moins intéressants. Je connais toutes ces raisons, j’en apprécié, l'importance. Seulement je rappellerai à M. le ministre des finances, qu'il y a plus de deux ans que j'ai fait la même proposition qui vous est soumise aujourd'hui, et que si elle n'a pas été développée et discutée, ce sont des raisons politiques qui ont amené ce résultat.

Je dirai enfin qu'il y a un très grand intérêt à ce que la réforme que nous proposons, si elle doit être adoptée, puisse être mise en vigueur dès le 1er janvier de l'année 1865 ; ce qui sera impossible si nous devons attendre les propositions que le gouvernement a l'intention de nous soumettre et qui, en aucun cas, ne pourraient être discutées et votées avant la fin de l'exercice actuel.

Messieurs, je ne pourrais dire que des choses banales et cent fois ressassées à propos de l'importance du poisson dans l'alimentation publique.

Il est évident pour tout le monde que le poisson est un aliment très démocratique.

- Un membre. - Les huîtres ?

M. Hymans. - Nous viendrons aux huîtres tout à l'heure.

Je maintiens que le poisson est un aliment de première nécessité ; que sa force nutritive, d'après tous les hommes compétents, est à peu près égale à celle de la viande de boucherie ; que par conséquent nous devrions tâcher de le mettre à la portée du peuple dans la plus grande quantité et au meilleur marché possible, et que, sauf quelques poissons fins sur lesquels il serait facile d'établir un droit d'accise, nous ferions chose utile et démocratique, je le dis pour la troisième fois, en abolissant tous les droits d'entrée sur cette matière. (Interruption.)

M. le ministre des finances a parlé d'huîtres ; mais les huîtres sont un détail dans la question, et quand on me dit huîtres, je réponds morue. La morue est évidemment une denrée qui, si elle n'était frappée d'un droit excessif, pourrait être mise à la portée du peuple à un bon marché extrême : c'est le plus nutritif de tous les poissons ; c'est celui qui coûte le moins ; c'est, comme l'a dit un économiste, une manne que la Providence a répandue dans l'Océan, sans imposer à l'homme d'autre charge que la récolte.

Eh bien, ce poisson, qui n'a rien de commun avec l'huître, a payé au trésor en 1863, 97 p. c. de sa valeur ; le poisson frais a payé en 1863, 23 p. c. de sa valeur, et en 1860, 35 p. c. ; et malgré toutes les réformes douanières qu'on a décrétées depuis peu, et dont je suis le premier à féliciter le gouvernement, la morue continuera à payer, c'est la section centrale qui nous l'affirme, 20 à 25 p. c. de sa valeur, et les autres poissons 12 p. c.

Aussi quel résultat amène un pareil régime fiscal ? La Belgique tout entière consomme moins de 5 millions de kilogrammes de poisson par an !

La consommation du poisson en Belgique, aux termes de toutes les statistiques officielles que le gouvernement nous fait distribuer, n'est pas d'un kilog. par tête et par an. Dans la ville de Paris seule, la consommation est douze fois plus élevée que dans toute la Belgique. Ce sont là des chiffres incontestables. Vous pouvez trouver celui que je donne pour la Belgique dans les statistiques officielles et le chiffre pour la consommation de Paris, vous le trouverez dans l'Annuaire d'économie politique et dans l'ouvrage de M. Armand Husson sur les consommations de Pars.

Je suis le premier à reconnaître que la faute de cet état de choses n'est pas tout entière au gouvernement. Le gouvernement a fait beaucoup pour dégrever le poisson. Ainsi il l'a dégrevé des droits d'octroi. Il a réduit considérablement les droits de douane dans les traités que nous avons votés pendant les deux dernières années.

Il a même cherché à intervenir auprès des communes afin d'obtenir la suppression ou tout au moins la réforme des droits de minque, c'est-à-dire des taxes que certaines communes prélèvent sur l'adjudication publique du poisson. Malheureusement, les efforts du gouvernement dans ce sens n'ont pas été couronnés de succès. Les communes ont prétendu que le droit de minque, dont le gouvernement contestait la légalité à l'époque de la suppression des octrois, était parfaitement légal. Il y a même eu, à ce propos, une correspondance fort intéressante entre le ministre de l'intérieur et le conseil de Bruxelles en 1862.

A cette époque le ministre de l'intérieur écrivait au conseil communal de Bruxelles, qu'à son avis le régime de la minque avait de grands inconvénients et favorisait une sorte de monopole en faveur des poissonniers, attendu que l'achat à la minque était en général inabordable pour tous autre que pour eux. Le ministre priait l'administration communale de Bruxelles de bien vouloir examiner les modifications à introduire à ce régime et faisait ces réserves expresses en ce qui touchait la légalité de ce droit en présence de la loi qui supprimait les octrois.

Qu'a répondu à cette époque le conseil communal de Bruxelles ? Ce qu'aurait répondu probablement tout autre conseil. Il a répondu que le droit de minque était très ancien, qu'il remontait au XVIème siècle, et en effet le droit de minque a été cédé à la ville de Bruxelles moyennant une somme de 14,000 à 15,000 livres par Marguerite de Parme sous le régime espagnol.

Enfin il ajoutait que le droit de minque, fort modéré, n'influait en rien sur le prix du poisson. Il faut attribuer, disait le conseil communal de Bruxelles, le prix assez élevé du poisson, non à l'organisation ni au tarif de la minque. Le mal résulte (ce mal était donc reconnu par tout le monde) des droits qui sont perçus à l'entrée du pays et qui, pour certaines espèces, équivalent presque à la prohibition.

Donc le gouvernement accusait la minque d'être la cause du prix élevé du poisson. Le conseil communal accusait la douane. Le conseil communal de Bruxelles défendait sa caisse, tandis que M. le ministre des finances défendait le trésor et en définitive ce sont les consommateurs qui en pâtissent.

Depuis lors, je dois encore le reconnaître, si des réformes ont été introduites, c'est par le gouvernement. Depuis l'époque où cette correspondance a été échangée entre le ministre et le collège échevinal de Bruxelles, le droit sur le poisson a été réduit dans des proportions assez notables, tandis que les droits de minque ne l'ont pas été. Mais, quoi qu'on ait fait, et malgré la suppression des octrois et malgré la réduction des droits d'entrée, la consommation du poisson n'a pas augmenté en Belgique ; elle est exactement aujourd'hui ce qu'elle était en 1858, à l'époque où un armateur de Nieuport adressait une pétition à la Chambre pour demander la réduction des droits d'entrée, et que la consommation n'était que d'un kilog. par tête et par année.

Cette consommation est la même aujourd'hui ; rien n'est changé. Et cela pourquoi ? Par une raison bien simple, et c'est la raison principale pour laquelle j'ai l'honneur de proposer mon amendement en présence des intentions bien connues et avouées de M. le ministre des finances.

Je crois qu'en matière de poisson, le seul régime douanier utile et efficace, c'est la liberté absolue. Le poisson se trouve sous ce rapport dans des conditions tout à fait particulières et bien faciles à comprendre.

Le poisson est une denrée qui se détériore très facilement.

Le poisson doit être mangé frais, cela va de soi ; pour une denrée comme celle-là, des formalités quelconques n'eussent-elles pour but que de percevoir un centime par tonne, sont illusoires ou vexatoires ; en outre si vous n'accordez pas pour le poisson la liberté absolue, vous rendez impossible la libre concurrence.

Le poisson de la pêche nationale entre librement, tandis que le poisson de la pêche étrangère doit être soumis à une visite, à une pesée qui en retarde la livraison ; dès lors la concurrence n'est plus possible. (Interruption.)

Il n'en résulte pas de retards, dit M. Van Iseghem. Mais il faut bien que le droit soit perçu. La différence d'un train à un autre peut exercer sur le marché du poisson une grande influence. Il suffit de s'être trouvé (page 49) dans une ville maritime pour savoir que le poisson est vendu avant d'être déchargé et doit être livré aussitôt qu'il est arrivé. Or si l'un peut être livré immédiatement sans droit, sans formalités, tandis que l’autre doit subir nne visite et une pesée, il est évident que la concurrence en est entravée. Le cours du marché s'en ressent tout naturellement.

Si ces considérations ne vous paraissent pas suffisantes, constatons la position défavorable et tout à fait injuste dans laquelle le poisson se trouve placé vis-à-vis des autres denrées alimentaires dans notre tarif douanier.

Que payent aujourd'hui ces denrées ? Je ne parle pas des champignons, du thé, du chocolat, que l'on peut appeler des denrées de luxe.

Mais le bétail ne paye qu'un centime par kilogramme de bestiaux sur pied ; le lait, les légumes sont libres à l'entrée ; les grains payent 60 c. par 400 kilog., le houblon est libre comme les minerais, les pierres, les peaux, comme le borax qui peut avoir une utilité en médecine ou en chimie, mais qui n'est assurément pas une substance alimentaire.

La liberté existe même pour le caoutchouc, et c'est l'honorable M. Van Iseghem qui l'a proposée dans l'enquête douanière de 1856 à cause des services que le caoutchouc et la gutta-percha rendaient à l'établissement des télégraphes électriques. Il est évident que si le caoutchouc entre librement à cause des services qu'il rend à la télégraphie électrique, le poisson peut bien entrer librement aussi à cause des services qu'il rend à l'alimentation du pays.

Il y a évidemment là une inégalité choquante, je dirai plus, une injustice flagrante.

Et quel est le motif du maintien de ces droits qui, malgré les dernières conventions internationales, sont encore beaucoup plus élevés que pour les autres dénrées alimentaires ?

M. Coomans. - C'est parce que le poisson est clérical.

M. Hymans. - Si le poisson est clérical, j'invoque sa qualité cléricale pour demander à mes honorables collègues de la droite d'appuyer ma proposition.

Le poisson est certainement une denrée cléricale et la Belgique est bien certainement aussi un pays catholique et à ce propos je rappellerai un mot d'un très grand ministre des finances qui s'appelait Colbert.

Un jour un officier de marine, pendnant pendant le Carême chez Colbert, se plaignait à lui de ce qu'il y eût tant de jours d'abstinence imposés par les règles de l'Eglise ; à quoi Colbert répondait : Ce propos dans votre bouche est fort inconvenant. Je le comprendrais de la part d'un officier de terre, je ne le comprends pas de votre part. Veuillez-vous rappeler que la pêche est le séminaire de nos matelots et par conséquent de notre marine militaire.

C'est précisément parce que nous n'avons pas besoin de ce séminaire, de cette pépinière de matelots que je suis l'adversaire des primes en faveur de la pêche nationale, dont j'allais dire quelques mots au moment où l'honorable M. Coomans m'a interrompu.

Le poisson est une denrée qui dans un pays catholique doit être mise à la portée de tous les consommateurs. C'est un argument que je ne voulais pas introduire dans ce débat, afin de ne pas y mêler de politique ; je remercie l'honorable M. Coomans de me l'avoir fourni.

Je disais, quand on m'a interrompu : Pourquoi ces droits plus élevés sur le poisson que sur les autres denrées ? C'est évidemment pour protéger la pêche nationale.

Eh bien, messieurs, la pêche nationale est protégée d'une autre façon encore, par une prime que beaucoup de membres de cette Chambre trouvent trop considérable et tout à fait inutile. Mais, malgré cette prime, malgré cette protection douanière, là pêche nationale, non pas depuis 10 ans, mais depuis 30 ans et même depuis plus d'un siècle, décline.

Oh ! l'honorable M. Van Iseghem a beau faire des signes de dénégation, il en est ainsi. Elle ne décline pas, il est vrai, dans le système des armateurs d'Ostende.

J'ai lu dans le rapport de la chambre de commerce d'Ostende de 1861 que la pêche a produit d'assez tristes résultats, qu'on importe assez peu de poisson, mais que, comme les prix se sont maintenus à un taux élevé, les résultats ont été excellents pour les armateurs.

M. Coomans. - Voilà l'affaire !

M. Hymans. - Voilà comment raisonnent les armateurs d'Ostende. Mais quand on songe que, sous Charles V, la Belgique avait 700 bateaux de pêche et que l'on importait pour 5'J millions.de poisson et qu'aujourd'hui on n'en importe pas pour 3 millions, j'ai le droit de dire que la pêche décline, ce que d'ailleurs tout le monde sait et chacun déplore. (Interruption.)

Je n'ai pas pu constater si la statistique du temps de Charles V est exacte, j'ai dû m'en rapporter à un livre qui a été couronné par l'Académie.

M. Thonissenµ. - C'est pour la Hollande et la Belgique réunies.

M. Hymans. - Je vous demande pardon ; je l'ai cru aussi, mais le chiffre que j'ai cité se rapporte à la Belgique seule. Seulement il comprend l'importation du hareng, et les chiffres que j'ai cités pour Ostende comprennent aussi la pêche du hareng, pour laquelle un seul bateau a été armé l'année dernière.

M. Coomans. - Ajoutez qu'à cette époque le poisson hollandais entrait librement dans les provinces belges.

M. Gobletµ. - Cela prouve qu'il faut le faire entrer librement pour qu'on en vende davantage.

MpVµ. - Pas d'interruption.

M. Hymans. - Encore une fois, ce que je dis ici, je ne l'invente pas. Je ne le prends pas dans des statistiques défavorables au gouvernement ; je le prends dans les comptes rendus officiels. Si vous consultez le dernier exposé de la situation du royaume qui nous a été distribué il y a deux mois, vous verrez que l'écrivain officiel qui a rédigé ce livre constate la décadence de la pêche, sans rechercher nécessairement à quelle cause cette décadence est due.

Quant à moi, je n'ai besoin dans tout ceci que d'un seul fait que j'affirme ; c'est que, malgré la protection accordée à la pêche, malgré les primes et le tarif douanier, la pêche nationale ne prospère pas.

Cela est incontestable ; et, par conséquent, ce n'est pas en supprimant le droit d'entrée sur le poisson que vous la ferez déchoir davantage. Elle ne peut plus beaucoup déchoir, malheureusement. Du reste, plus le poisson aura de facilité à entrer en Belgique, plus la pêche nationale se développera par la libre concurrence. Les pêcheurs belges jouissent depuis des siècles d'une réputation légitime qui est constatée partout. Les pêcheurs belges, de l'aveu de tous ceux qui se sont occupés de la question, ont une valeur plus grande que les pêcheurs des côtes de France, que les pêcheurs même du pays basque, qui sont allés les premiers découvrir la morue sur le banc de Terre-Neuve, et je ne vois pas pourquoi ces pêcheurs ne maintiendraient pas leur ancienne renommée s'ils jouissaient de la liberté d'autrefois, de la liberté qui seule peut les pousser dans de voies nouvelles.

Si j'étais d'accord avec M. le minisire des finances sur le bien qui pourrait résulter d'une réduction plus ou moins grande des tarifs, je ne maintiendrais pas ma proposition en présence de la déclaration que probablement il nous fera tout à l'heure. Mais je ne puis admettre qu'il y ait autre chose à faire, j'en ai dit tout à l'heure la raison, que de proclamer la liberté absolue.

Je crois que le maintien d'un droit quelconque présentera toujours d'assez grands inconvénients, pour que la consommation du poisson en soit entravée.

Cela est si vrai et M. le ministre des finances professe si bien cette opinion, que, dans la lettre que le gouvernement a adressée au conseil communal de Bruxelles en 1860, il réclamait bien moins contre la taxe de la minque que contre les formalités auxquelles le poisson est assujetti.

Je ne veux pas fatiguer la Chambre en lisant cette correspondance. Elle se trouve à la page 208 au « Bulletin communal » de Bruxelles (1862). Vous y verrez que ce qu'on demandait surtout, c'était la suppression des formalités qui gênent la vente et par conséquent la consommation.

Voilà pour ce qui concerne le poisson.

Maintenant disons quelques mots des huîtres. Il le faut bien, quoique ce soit le côté un peu plaisant de ce débat. Je ne sais pas pourquoi, mais on a pris l'habitude de rire quand on parle d'huîtres, quoique l'huître soit un aliment très respectable et que dans beaucoup de pays et dans beaucoup de grandes villes ce soit un élément très important de la consommation publique. (Interruption.)

M. Coomans. - Dans certains pays certainement, à Naples, par exemple.

M. Delaetµ. - En Hollande, tout le monde mange des huîtres.

M. Hymans. - Dans les grandes villes d'Amérique, à Baltimore, à New-York, à Boston, la consommation des huîtres est considérable. Je n'ai pas supposé qu'on contesterait cela.

On s'écrie toujours que l'huître est un aliment de luxe. Je le nie de la façon la plus formelle. L'huître n'est un aliment de luxe que parce qu'elle coûte cher et parce qu'on la rend chère, surtout en Belgique, par des privilèges qui sont, à coup sûr, des abus d'un autre âge.

Je ne répéterai pas ce que j'ai dit sur la question des huîtres, en 1862, à l'époque où nous avons discuté le traité avec l'Angleterre. Je ne veux pas fatiguer la Chambre par des redites de ce genre.

(page 50) D'ailleurs, les honorables adversaires que je rencontrerai en savent sur ce point autant et même beaucoup plus long que moi.

Je dirai seulement qu'il y a à Ostende un certain nombre de parcs qu'on appelle parcs aux huîtres. Le public ignorant croit généralement que ces parcs aux huîtres sont des établissements scientifiques ; que ce sont des établissements pour la création desquels il faut des études approfondies, et dont l'administration exige une préparation, comme les huîtres mêmes que l'on y dépose. C'est une grande erreur.

Les parcs aux huîtres sont tout simplement des réservoirs, des bacs dans lesquels on place les mollusques. Ces parcs sont protégés par la nature elle-même. Ils jouissent d'une protection en ce sens qu'ils ne peuvent être établis que sur le bord de la mer.

Par conséquent la ville d'Ostende est protégée à cet égard par sa position géographique ; elle ne rencontre de concurrence nulle part ; je ne sache que Blankenberghe qui pourrait aussi avoir des parcs d'huîtres. Du reste les lois de douane établissent, pour le transport des huîtres en destination des parcs, des formalités tellement gênantes qu'il est impossible que la concurrence s'établisse quelque part.

En un mot ces parcs d'Ostende n'ont absolument rien de commun avec ce qu'on appelle parcs aux huîtres ailleurs, à Arcachon, par exemple, où l'on cultive les huîtres, où l'on consacre des capitaux considérables à augmenter la production.

Ces parcs d'Ostende ne sont que des bacs que vous arrosez d'une eau de mer que vous ne payez pas, et que vous renouvelez une fois tous les mois ou toutes les six semaines, comme cela vous convient ; et ces parcs emploient cinq ou six ouvriers. Voilà le travail national que l'on veut protéger par le privilège que l'on accorde aux huitrières d'Ostende.

Pour ce seul motif qu'on dépose les huîtres dans ces citernes, car c'est le meilleur mot dont on puisse se servir, elles deviennent des huîtres nationales et jouissent d'un privilège qui se traduit en ceci : elles ne payent qu'un franc par 100 kilog. à l'entrée, tandis que les autres huîtres payent 12 fr., plus les additionnels.

Et bien, encore une fois ici la concurrence est impossible. Il est absolument impossible d'importer des huîtres directement pour la consommation et de faire la concurrence à des industriels qui jouissent d'un privilège tel que celui-là.

Du reste l'histoire de ces parcs est celle de tous les monopoles, et j'ai le droit d'en parlerici puisqu'on en a parlé longtemps avant que j'eusse l'honneur de siéger sur ces bancs.

Jusqu'en 1844 les huîtres destinées aux parcs et les huîtres destinées à la consommation étaient placées sur la même ligne. C'est en 1844, à l'époque néfaste des droits différentiels, que l'on a introduit cette distinction. Il existait alors depuis cinq ou six ans dans le port d'Ostende dis parcs qui n'étaient pas creusés dans le sol, de vieux navires dans lesquels on plaçait des huîtres ; en un mot des parcs flottants.

Les propriétaires des parcs fixes ont si bien fait, qu'ils sont parvenus à faire supprimer les parcs flottants.

Une enquête fut faite à ce sujet. Je dois à l'obligeance d'un ancien membre de la députation permanente de la Flandre occidentale quelques extraits de cette enquête et j'y trouve que la commission fut d’avis, d'une part, que les parcs pouvaient très bien vivre sans privilège,

Le gouverneur de la Flandre occidentale, dans un rapport qu'il adressa au gouvernement le 30 août 1844, disait de son côté que les huîtres étaient parfaitement mangeables à leur arrivée d'Angleterre, et dans un autre rapport du mois de septembre de la même année, il affirmait que les dispositions de l'arrêté de 1844 n'avaient pour tendance et pour effet que de favoriser les grands établissements « associés », c'est-à-dire « coalisés », au détriment des petits.

Une commission mixte, composée de deux membres du conseil communal, de deux membres de la chambre de commerce et de deux membres de la commission de pêche, proposa de supprimer le privilège établi en faveur des parcs. La commission de la pêche, dans son rapport du 17 septembre 1844, disait (et ceci était l'expression de son opinion unanime) :

« Il y a lieu, dans l'intérêt bien entendu de l'industrie, du commerce et des consommateurs, de mettre dans les mêmes conditions tant pour les huîtres que pour les homards, les parcs fixes et les parcs flottants.

« Ceux-ci sont un obstacle permanent au nouvellement du monopole des anciennes huitrières. »

On disait donc dès 1844 (et c'était la commission de la pêche d'Ostende elle-même qui parlait) que le privilège établi pour les huîtres d'Ostende constituait un véritable monopole, et dans la discussion qui eut lieu à la Chambre en 1846, un membre du cabinet actuel, l'honorable M. Rogier, s’exprima dans le même sens.

L'honorable M. Rodenbach qui, à cette époque, défendait, avec un courage digne d'un meilleur sort, les parcs flottants, tenait le même langage.

Les propriétaires de parcs d'Ostende tenaient avant tout à faire supprimer les parcs flottants afin de se débarrasser d'une concurrence gênante. On employa tous les moyens pour les détruire.

On vient dire dans cette Chambre, à propos d'une pétition que les propriétaires des parcs flottants avaient adressée à la législature, que les parcs flottants étaient des cloaques, des foyers impurs, que les huîtres qui en provenaient étaient malsaines ; d'autres soutenaient au contraire que les huîtres des parcs flottants étaient très bonnes, qu'elles arrivaient d'Angleterre en état d'être mangées, que par conséquent les parcs flottants ne devaient plus jouir d'aucun privilège, que ces parcs étaient de véritables boutiques d'huîtres, comme si les parcs fixes n'en étaient pas.

Enfin l'on disait qu'il fallait détruire les parcs flottants parce qu'ils étaient la propriété d'étrangers qui venaient s'établir dans le port d'Ostende pour enlever à des Belges leurs bénéfices et leurs avantages. Et puis l'honorable M. Dumortier s'écriait qu'en accordant un privilège aux seuls parcs fixes, on favoriserait une industrie qui vaudrait des millions la Belgique, et serait une de ses gloires.

Voilà, messieurs, comment les parcs fixes en sont arrivés à jouir du privilège provisoire qu'ils possèdent aujourd'hui.

La commission de pêche, le collège échevinal, la commission mixte demandaient le maintien des parcs flottants. La chambre de commerce d'Ostende seule en demanda la suppression, et pourquoi ?

Un honorable orateur, M. Zoude, l'a dit ici en séance du 22 février 1845.

Parce qu'il y avait dans la chambre de commerce d'Ostende cinq membres qui étaient :

Le premier, un propriétaire de parcs ;

Le deuxième, frère de deux propriétaires ;

Le troisième, frère et beau-père d'un propriétaire ;

Le quatrième, le neveu de ces propriétaires ;

Le cinquième, l'agent de ces messieurs.

Ainsi, messieurs, quand nous défendons l'intérêt des consommateurs, nous nous trouvons constamment en lutte avec l'intérêt privé de 4 ou 5 individus. Et quand nous en viendrons au budget des affaires étrangères, il ne nous sera pas difficile de prouver que cet intérêt privé est également le seul qui milite en faveur de la prime pour la pêche nationale.

Qu'est-il arrivé, messieurs ? C'est que les consommateurs ont été sacrifiés en même temps que les parcs flottants et que de toutes les richesses que l'on promettait à la Belgique, jusqu'à présent nous n'avons rien vu venir.

Seulement les huîtres, qui coûtaient 56 fr. la demi-tonne en 1844, coûtent maintenant 136 fr. la demi-tonne. On va me répondre à cela que le prix des huîtres s'est considérablement élevé en Angleterre. Que le prix des huîtres se soit élevé en Augleterre, je ne le conteste pas, cela est très possible, cela est même probable.

Le prix de l'huître peut avoir augmenté dans des proportions aussi considérables en Belgique ; mais il ne l'a pas été dans ces proportions en Angleterre. Permettez-moi de citer deux chiffres qui me paraissent péremptoires. Je vous en garantis, autant que possible, l'exactitude. Je ne les ai pas puisés dans des pièces officielles, mais ils m'ont été fournis par une personne que j'ai lieu de croire compétente dans la matière, et surtout fort désintéressée.

Au mois de septembre dernier, les huîtres de Burnham se vendaient en Angleterre à 78 livres sterling le score de vingt demi-tonnes (à 25 fr. livre), 1,950 fr., soit : 97 fr. 50 c. la demi-tonne, 8 fr. pour fret, droits, futaille, déchargement, mise en tonnes et autres frais, revient la demi-tonne à 105 fr. 50 c.

A l'arrivée des premières huîtres qui eut lieu au mois de septembre dernier, les parcs ont fixé les prix pour la Belgique à 124 francs la demi-tonne, ce qui laissait un bénéfice honnête de 18 fr. 50 c. la demi-tonne, et ce pour avoir déposé les huîtres quelques heures ou quelques jours dans les parcs ; mais non contents de ce gain exorbitant, les propriétaires des parcs, sans raison aucune, ont haussé leurs prix à 136 fr., tandis que les prix alors n'avaient pas changé en Angleterre. Ils ont donc prélevé sur les consommateurs un bénéfice de 30 fr. 50 c. par demi-tonne.

Ce qu'il y a de curieux, c'est que ces mêmes huîtres s'expédient en Allemagne, souvent à 16 fr. de moins par demi-tonne qu'elles ne se vendent en Belgique ; et pourquoi ? Parce qu'en Allemagne on introduit (page 51) des huîtres par Hambourg ; que ces huîtres viennent faire concurrence à celles d'Ostende, et qu'en Belgique on fait le marché comme on veut, parce qu'il n'y a pas de concurrence possible. (Interruption.)

L'honorable M. Goblet me fait observer que la consommation des huîtres est très considérable à Paris.

En effet le régime des parcs amène nécessairement une diminution dans la consommation en Belgique, et la ville de Paris mange plus d'huîtres en un seul jour que la Belgique entière en une année.

De toutes manières, il est plus que temps qu'un pareil privilège disparaisse, privilège tellement exorbitant, que j'ai presque honte d'en parler dans cette enceinte.

Maintenant, comme on semble me reprocher d'insister sur cette question des huîtres, je dirai très franchement qu'il m'importe très peu que les huîtres d'Ostende coûtent cher ou ne coûtent pas cher ; que ceux qui veulent manger des huîtres d'Ostende les payent ; mais ce que je veux, c'est que pour un aliment de luxe, que les gourmets peuvent payer à tel prix qu'ils veulent, on n'entrave pas la consommation générale, que tout le monde ne souffre plus du privilège qu'on accorde à quelques fabricants d'huîtres nationales dans une seule ville.

La section centrale, du reste a posé dans son rapport un dilemme irréfutable ; elle dit : de deux choses l'une : ou bien les parcs améliorent les huîtres, et alors la protection est inutile ; ou bien les parcs n'améliorent pas les huîtres, et alors ils sont inutiles eux-mêmes.

Messieurs, je ne vois pas qu'on puisse objecter à notre proposition des raisons autres que celles que l'on a fait valoir pour le maintien des jeux de Spa.

L'honorable M. Van Iseghem viendra nécessairement, comme c'est son droit et même son devoir, défendre les intérêts de ses commettants, de même que l'honorable M. Moreau, dans la question des jeux, a défendu les intérêts de la ville de Spa, qui fait partie de l'arrondissement de Verviers. Mais il ne nous appartient pas à nous, représentants de la nation, de nous arrêter devant une pareille argumentation. La question me paraît résolue ; nous n'avons pas à nous préoccuper d'un intérêt privé ; nous avons à défendre ici l'intérêt de la grande masse des consommateurs.

Je termine, en ce qui concerne le poisson en général. Je crois avoir démontré que le maintien des droits d'entrée sur le poisson est un acte inique, injustifiable dans un pays démocratique, et dans un pays catholique, comme l'a fort bien dit l'honorable M. Coomans, et j'attends avec confiance le vote de la Chambre sur la proposition que nous avons eu l'honneur de lui soumettre.

- L'amendement est appuyé. Il fera partie de la discussion.

M. Rodenbachµ. - Messieurs, je ne combattrai pas l'amendement que l'honorable représentant vient de développer. Il est vrai, comme vient de le dire M. Hymans, qu'il y a déjà 20 ans que je me suis élevé contre le monopole des parcs d'Ostende.

En appuyant l'amendement de l'honorable membre, je dois dire que je suis grand partisan de la suppression absolue du droit d'entrée sur la morue, ainsi que sur toutes espèces d'autres poissons qui entrent dans la consommation de la classe ouvrière et de la classe bourgeoise.

Puisqu'il est question, d'après ce que j'ai entendu tout à l'heure, de modifier les tarifs de douane pour certains articles, je voudrais que le gouvernement changeât la tarification du poisson.

Il serait bon de maintenir un droit sur le poisson de luxe, par exemple sur les huîtres, les homards et les turbots, dont le prix élevé n'est pas à la portée de la classe ouvrière, et qui ne sont pas, comme l'honorable M. Hymans l'a prétendu, des aliments démocratiques, mais sont au contraire des comestibles essentiellement aristocratiques.

L'honorable membre viens de parler des parcs flottants ; je me rappelle très bien qu'en 1844, un nommé Musin avait acheté un vieux bâtiment dont il avait fait un parc flottant, dans lequel il pouvait renouveler l'eau une ou deux fois par jour ; dans ces conditions il pouvait vendre ses huîtres un franc ou deux meilleur marché que les huîtres des parcs. Mais, ainsi que l'a dit l'honorable préopinant, on a tant travaillé contre le parc flottant qu'on est parvenu à le faire disparaître.

Je me rappelle aussi qu'un tonnelier d'Ostende avait chez lui une grande cave ; il la faisait remplir d'eau de mer, qu'il renouvelait tous les jours pour épurer et engraisser les huîtres, il les vendait à meilleur compte que celles des parcs.

Les deux faits que je viens de citer prouvent qu'il ne faut pas accorder de privilèges aux parcs d'huîtres en leur donnant une réduction de 11 p. c. à la valeur. Par leur bonne qualité, ces mollusques sont suffisamment protégés et n'ont besoin d'aucune faveur.

Messieurs, j'ai reçu aujourd'hui une lettre qui m'annonce qu'une pétition datée de la Panne, près de Furnes, nous sera adressée demain.

Les pêcheurs de cette localité ne demandent ni prime ni faveur. Ils se bornent à demander la réglementation de la pêche côtière pour empêcher la destruction du frai et du fretin, la célérité et le bon marché du transport de leur marchandise. Je me borne à ces diverses observations.

M. Van Iseghem. - Messieurs, l'honorable M. Hymans a dit, en terminant son discours, que c'était mon devoir de combattre sa proposition. Ce n'est pas par devoir seulement, c'est aussi par conviction que je viens prêter mon appui à de malheureux pêcheurs qu'on veut jeter dans la misère.

L'honorable membre a traité deux questions : ia première, celle du poisson ; la seconde, celle des huîtres. Je suivrai l'honorable membre et je commencerai par le poisson.

Quand, en 1863, on a signé avec la Hollande un traité qui réduisait considérablement les droits d'entrée sur les poissons, c'est-à-dire la morue de 30 fr. par tonne à 4 fr. par 100 kil., et le poisson frais de 14 fr. 40 c. aussi à 4 fr. par 100 kil., nos pêcheurs ont cru qu'il y aurait de la stabilité pendant toute la durée du traité, fixé à dix ans, qu'il n'y aurait plus de changement au régime qu'on venait d'adopter.

Les pêcheurs, bien que les droits fussent considérablement réduits et portés à un taux très faible, n'ont envoyé aucune protestation. Malgré le tort qui leur était fait, ils se sont tus, parce qu'ils ont cru qu'il y avait intérêt pour le pays à négocier un traité avec un pays voisin.

A entendre certaines personnes, on croirait que le poisson étranger est prohibé à l'entrée et on est très étonné d'apprendre que le poisson ne paye qu'un minime droit de 4 centimes par kilog., ce qui est tout à fait insignifiant.

M. Hymans. - C'est énorme.

M. Van Iseghem. - Cela fait pour un turbot un droit d'environ 20 centimes.

M. Gobletµ. - Et la morue ?

M. Van Iseghem. - La morue se vend en moyenne au prix de 30 francs par tonne. Le droit représente 15 p. c. de la valeur.

M. Sabatier. - Je demande la parole.

M. Van Iseghem. - Ce droit est donc peu de chose, mais quoiqu'il soit très faible, il présente un certain avantage pour les pêcheurs, notamment quand le poisson frais est très abondant et à vil prix ; et quand le poisson est cher, les étrangers qui l'importent peuvent bien supporter un léger droit de 4 centimes par kilog.

On demande souvent comment nos pêcheurs ne peuvent pas pêcher comme les pêcheurs hollandais et les pêcheurs français. Le motif en est bien simple. La côte hollandaise est beaucoup plus poissonneuse que la côte belge. Aussi nos pêcheurs se rendent principalement sur les côtes de Hollande entre les îles de Walcheren et de Texel. Quand le temps devient mauvais, les pêcheurs hollandais peuvent rentrer immédiatement chez eux, tandis que nos pêcheurs sont obligés de rester en mer très longtemps avant d'atteindre leur port de destination ; souvent il leur faut trois ou quatre jours pour s'y rendre. Quelle a été la conséquence de cette situation ? C'est que l'année dernière, nous avons eu le malheur de perdre sept bateaux pêcheurs qui ont péri corps et biens et qui ont laissé un grand nombre de veuves et d'orphelins dans la misère.

Le pays s'est ému de cette catastrophe, et je saisis cette occasion pour remercier toutes les personnes charitables qui sont venues en aide à mes malheureux compatriotes.

M. Hymans. - Qu'est-ce que cela prouve ?

M. Van Iseghem. - Cela prouve que la position n'est pas égale ; que les pêcheurs hollandais ne courent pas autant de dangers et ont plus d'avantages que les nôtres. Ils sont donc moins exposés et ne restent jamais aussi longtemps en mer que les pêcheurs belges.

Si les bateaux français ne peuvent pas atteindre le port de destination, ils entrent à Ostende, oit ils vendent leur poisson en payant un droit excessivement faible, tandis que, si nos navires ont le malheur d'aller à Dunkerque, on ne leur permet pas même de vendre du poisson pour avoir du pain. Si le gouvernement français voulait admettre le poisson belge et principalement la morue à raison de 4 fr. par 100 kil., nos pêcheurs ne feraient aucune opposition à l'amendement des honorables MM. Hymans et Jacquemyns.

En France, la morue paye des droits d'entrée s'élevant à 100 p. c. de la valeur, aussi nos pêcheurs quittent notre port pour s'embarquer à Dunkerque.

En supprimant le faible droit de 4 c, vous portez un coup mortel à la pêche, par suite de la concurrence que la pêche étrangère viendra lui faire.

(page 52) Personne ne voudra plus mettre de capitaux dans cette industrie ; on ne remplacera pas les chaloupes qui se perdent. Nos pêcheurs ne gagneront plus assez pour vivre et ils seront obligés d'aller en France pour gagner un salaire plus élevé.

Nous n'aurons plus de pêche nationale et nous deviendrons tributaires de l'étranger ; par conséquent les pécheurs hollandais ne trouveront plus, pour concurrents sur le marché belge, nos pêcheurs, et la conséquence sera une augmentation dans le prix ; on sera réduit alors, pour avoir du poisson à bon compte, et satisfaire le vœu des consommateurs, d'accorder des primes à l'importation du poisson.

La pêche représente trois millions qu'on retire de la mer ; si la pêche est supprimée chez nous, comme on a le droit de le craindre, nous devons exporter cet argent à l'étranger, ce sera une bonne affaire pour le pays.

On met toujours en avant le consommateur ; pourquoi le gouvernement ne réduit-il pas le prix du transport par le chemin de fer ? Je conviens que l'honorable ministre des, travaux publics nous a donné quelques avantages, les poissons sont maintenant transportés plus rapidement, mais pourquoi ne pas admettre, au prix des fortes quantités, les quantités de 100 kil. ?

L'honorable M. Hymans a dit qu'en 1863 la morue payait 97 p. c. de la valeur et le poisson frais 25 p. c., mais ce droit n'existe plus, il est seulement de 4 fr. les 100 kilog., qui correspond, je le répète, pour la morue à 15 p. c, et, pour le poisson frais, à 12 p. c. de la valeur.

II nous a dit qu'on ne consommait qu'un kilog. de poisson par tête, je n'ai pas pu vérifier ces calculs, mais je crois qu'il s'en consomme un peu plus. Au reste on n'en consomme pas autant qu'on veut, parce que tout dépend des importations.

Quand on se rend en mer, on n'est jamais certain de revenir avec une bonne pêche ; souvent le temps est tellement mauvais, qu'il y a impossibilité de jeter les filets.

Aussi le poisson est voyageur et émigré, le Doggersbank nous fournit quelquefois à Ostende 18,000 tonnes de morue ; cette année on n'en a pêché que 12 mille, cela ne dépend ni du zèle ni de l'activité des pêcheurs ; les pêcheurs d'Ostende sont aussi habiles et aussi courageux que n'importe lesquels.

En Hollande et en France, on a eu le même déficit. La réduction du droit de douane de 14 fr. 40 c. à 4 fr. ; pour le poisson frais et de 30 fr. à 4 fr. pour la morue, et la suppression du droit d'octroi qu'on peut bien évaluer à 15 p. c. n'ont rien fait pour la consommation, et n'ont pas fait diminuer le prix, d'après ce que j'entends ; comment voulez-vous alors qu'il y aura une diminution avec la suppression du droit de 4 fr. qui reste ? Cela est impossible.

L'honorable M. Hymans a parlé des formalités de douane, ces formalités ne sont rien ; quand un bateau entre avec une cargaison de poisson, on pèse un panier, le poisson est débarqué, le droit est payé et le poisson vendu et immédiatement expédié.

L'honorable membre nous a dit aussi que malgré la prime et les droits protecteurs la pêche déclinait, c'est une grave erreur. Il y avait à Ostende en 1830, environ 50 bateaux, aujourd'hui nous en avons 170, et s'il y avait eu plus de marins, on en aurait construit davantage.

Les armateurs d'Ostende ont toujours tâché de soutenir la pêche, l'honorable membre a cité un rapport de la chambre de commerce de la ville que je représente ici disant qu'un seul bateau avait été armé pour la pêche au hareng.

Je ne donnerai qu'un seul mot de réponse à cette question, c'est que le droit d'entrée sur le hareng est réduit à 1 fr. par 100 kil. depuis quelque temps, voilà donc la cause.

J'arrive maintenant à la question des huîtres.

Avant d'entrer dans la discussion, je déclarerai que je ne m'oppose pas à la suppression du droit différentiel, et je ne doute pas que mes concitoyens ne partagent mes idées à cet égard. Comme on les a attaqués à tort, je trouve de mon devoir d'entrer dans quelques détails. On a fait grand bruit du droit différentiel, et on a fait accroire qu'il était prohibitif.

Les huîtres pour les parcs payent 1 p. c, celles qui ne sont pas destinées aux parcs payent 12 p. c. Cette légère différence de 11 p. c. de la valeur.... (Interruption.)

Il y a 11 p. c. de différence, cette légère différence, dis-je, ne fait, si les huîtres se vendent réellement, comme certains journaux l'ont indiqué, à 1 sh. ou 1,25 par 100 huîtres, à Londres, ne fait que 13 c. par 100, et voyez quel bruit on a fait de ces 15, centimes.

Les huîtres pareilles à celles d'Ostende qu'on appelle natives, ne se vendent pas à 1 fr. par 100 en Angleterre, mais à 90 shillings par bushel, ce qui doit faire environ fr. 7,50 par 100. Je me demande si les marchands de Bruxelles croient réellement que les huîtres se vendent à meilleur compte à Londres, pourquoi ils n'importent directement les mollusques de l'Angleterre ; ce n'est pas assurément la différence de 10 par 100 ou 75 c. par cent qui doit les arrêter.

Ostende a des débouchés pour ses huîtres en France, en Allemagne et dans d'autres pays étrangers. Pour les huîtres en transit, il n'y a aucun droit à payer, je me demande en conséquence pourquoi les marchands de Cologne, par exemple, ne font pas venir leurs huîtres directement de l'Angleterre en libre transit par la Belgique, pourquoi ne tâchent-ils pas de s'affranchir ainsi du soi-disant monopole ostendais ?

Paris et Berlin consomment beaucoup de nos huîtres, pourquoi les marchands de ces deux villes n'introduisent-ils pas les huîtres les uns par les ports français, les autres par Hambourg. Pourquoi ? Parce que les huîtres sont à meilleur compte à Ostende qu'à Londres même.

Cette assertion je puis la prouver, je tiens ici en mains une lettre d'une personne habitant Londres et qui voulant faire un cadeau à un de ses amis de la Belgique de quelques huîtres et homards, écrivait à son correspondant d'Ostende de vouloir les acheter dans cette dernière ville parce qu'ils étaient à meilleur compte qu'à Londres.

La suppression du droit différentiel ne fera nullement diminuer le prix des huîtres, car le prix élevé ne provient pas de cet odieux privilège. Il y a deux causes qui produisent la cherté des huîtres. La première c'est le manque de reproduction ; la seconde, l'augmentation dans la consommation.

Il y a plusieurs qualités d'huîtres, il y a de ces grosses huîtres qu'on trouve sur toutes les côtes en mer, et connues sous le nom de pied de cheval. On en trouve même sur nos côtes et souvent j'en ai vu arriver à Ostende par nos pêcheurs. Personne ne veut de ces huîtres.

C'est l'Angleterre qui fournit aux parcs d'Ostende les huîtres et elles sont classées en deux catégories bien distinctes.

Les commons ou huîtres communes.

Les natives.

Les premières se trouvent sur la côte ouest de l'Angleterre, elles se vendaient, il y a 20 ans, de 5 à 8 shill., 6 fr. 25 c. à 10 fr. le bushel. L'année passée, le prix en était à 22 sh., 27 fr. 50 c. et aujourd'hui elles coûtent 40 sh. ou 50 fr., ce qui fait entre 5 et 6 fr. les 100 pièces.

Les propriéiaires des parcs n'ont pas attendu certaines causeries pour chercher à introduire dans la consommation des huîtres à bon compte ; depuis la cherté de ces mollusques, ils ont cherché parmi les qualités d'huîtres des côtes anglaises, des qualités à importer à des conditions avantageuses ; les essais ont tous abouti à des résultats négatifs ; ces huîtres d'une qualité inférieure étaient rebutées par les consommateurs et mouraient en grande partie par les fatigues du voyage de mer et par le changement d'eau. Ces huîtres ne supportent pas non plus la moindre gelée : l'année passée, on a importé, je crois, deux cargaisons de ces huîtres, une a été entièrement perdue par les gelées, etc.

On en offrait les saines à 3 fr. et personne n'en voulait.

Les natives se vendaient en Angleterre, il y a 20 ans, à 22 sh. ou fr. 27-50 le bushel, et aujourd'hui, le prix est monté à 90 sh. ou 112-50 ; il est donc quadruplé ; cette hausse est-elle aussi l'effet de l'odieux privilège des droits différentiels ?

A Londres, elles se vendent en ce moment à 1 sh. la douzaine ou 8 h. 4 d. par 100 soit fr. 10-50.

Ces natives se produisent dans quatre endroits seulement, à Whitestable, à Colchester, à Buroham et à Paylisham, dans les comtés de Kent et d'Essex. Hors de là point de natives.

C'est donc aux propriétaires de ces bancs que les parcs d'Ostende doivent s'adresser pour en obtenir.

Les Ostendais seraient très heureux si quelqu'un voulait leur procurer de ces natives à raison de 7 fr. les 100 en gros.

A Ostende, on vend les huîtres aux marchands du pays à raison de 124 sh. par bushel de 1,800 pièces, ces chiffres sont incontestables.

Par nombre les huîtres se vendent d'après leur grandeur de 7 à 10 fr.

Le renchérissement des huîtres est plus défavorable qu'on ne le pense aux propriétaires des parcs ; la cherté fait diminuer considérablement la vente.

La hausse est loin, d'après ce qu'on m'a assuré, de s'arrêter. Ordinairement les propriétaires des bancs en Angleterre prenaient des engagements pour toute une saison à prix fixe, et aujourd'hui ils refusent même d’accepter des contrats par semaine.

On parle toujours de coalition. On dit que les propriétaires des parcs d'Ostende sont d'accord. C'est une grave erreur. Il y a aujourd'hui 10 parcs à Ostende et si les poissonniers de Bruxelles ou n'importe quelle personne trouve qu'il y a tant d'argent à gagner à Ostende, pourquoi ne demandent-ils pas une concession ?

(page 53) Je crois que le gouvernement en a accordé, et il y a encore de la place pour 7 ou 8. C'est bien la preuve que cette affaire n'est pas si brillante qu'on a bien voulu le dire.

Pour construire au complet un parc, il faut environ une centaine de mille francs, et j'engage mes honorables collègues qui pensent qu'il y a de l'argent à gagner avec les huîtres à demander une concession au gouvernement. Ils l'obtiendront immédiatement. Ils verront alors quel bénéfice les parcs aux huîtres peuvent donner.

M. Hymans. - C'est un monopole.

M. Van Iseghem. - Vous vous trompez. Il n'y a pas d'accord entre tous les propriétaires de parcs aux huîtres.

En 1861 les huîtres à Ostende se vendaient 2-50 à 3 francs le 100. Partout on a à cette époque diminué les prix, excepté à Bruxelles où les marchands ont continué à les vendre 5 fr.

L'honorable M. Hymans a dit qu'en 1844 on vendait les huîtres à Ostende à 56 fr. la demi-tonne, cela est vrai ; mais ce qui est aussi exact, c'est que longtemps après les mêmes prix ont été maintenus et les propriétaires des parcs n'ont haussé leurs prix que quand ils devaient acheter plus cher en Angleterre. '

Maintenant si l'on supprime toute protection, vous comprenez qu'il faut supprimer également d'autres droits protecteurs. Je ne vois pas pourquoi, quand on ne veut pas accorder une modeste protection pour la pêche, nous qui habitons le littoral et qui avons à notre porte le charbon, le fer et d'autres produits, nous n'aurions pas la libre entrée de ces produits.

La fonte a une valeur, d'après la statistique de la douane, de 81 fr. les 1(0 kilogrammes. Le nouveau droit est de 1 fr. les 100 kilogrammes ou d'environ 15 p. c. de la valeur.

Je propose en conséquence à la Chambre, si la proposition de l'honorable M. Hymans est admise....

M. Vermeireµ. - Pas conditionnellement.

M. Van Iseghem. - Je demande que l'on vote d'abord sur l'amendement de l'honorable M. Hymans et je proposerai le chiffre de fr. 13,065,000 à fr. 12,765,000, donc une réduction de 300,000 fr., l'équivalent des droits d'entrée sur les charbons de terre, coke, fontes, rails, toute espèce de fil, de coton, de lin et de laine.

J'ai fait le calcul ; la perte du trésor sera à peu près de 300,000 fr., et comme, d'après l'honorable M. Hymans, il y a une différence d'environ 360,000 à 380,000 fr. entre les recettes et les dépenses, j'espère que la section centrale appuiera ma proposition.

MpVµ. - L'amendement de l'honorable M. Van Iseghem a été développé. Est-il appuyé ?

- L'amendement est appuyé ; il fait partie de la discussion.

M. Jacquemyns. - Messieurs, quelle que soit la portée de la menace de l'honorable M. Van Iseghem, je crois ne pas devoir reculer et devoir persister à défendre l'amendement que j'ai proposé de commun accord avec l'honorable M. Hymans à l'effet d'obtenir la libre entrée des poissons et des huîtres.

Le premier principe à poser en fait de douane c'est qu'elle ne doit point peser sur l'alimentation du peuple. Or, si l'on étudie quelles sont les substances alimentaires mises à la disposition du peuple, je n'hésite pas à dire que parmi ces substances le poisson se trouve au premier rang.

Nous avons en quelque sorte affranchi à l'entrée en Belgique presque toutes les denrées alimentaires, et notamment on a réduit à un centime par kilog. le droit à l'entrée du bétail qui fournit la viande de boucherie. Mais par sa composition chimique, par sa valeur nutritive, la chair du poisson ne diffère pas sensiblement de la viande de boucherie. Or, je pose cette question à la Chambre : Pourquoi, lorsque la viande de boucherie ne paye à l'entrée en Belgique qu'un centime le kilog., la morue et d'autres poissons payent-ils 4 centimes, payent-ils 12 centimes ?

Est-ce parce que la morue coûte moins cher ? En effet, la morue est à si bon compte, si l'on en compare le prix à celui de la viande de boucherie que, même frappée d'un droit d'entrée de 20 à 25 p. c., elle demeure encore dans des conditions de prix convenables pour faire partie de l'alimentation du peuple.

Mais je trouve, au contraire, qu'il faudrait complètement dégrever la morue, par la raison que, par suite des conditions de prix dans lesquelles elle se présente, elle est bien plus propre que la viande de boucherie à entrer dans l'alimentation du peuple.

Quant aux huîtres, elles sont frappées d'un droit de 12 fr. par 100 kil. à moins qu'elles ne passent par ces espèces d'entrepôts qu'on appelle parcs aux huîtres. Et l'on affirme que les droits sont aussi élevés, parce que les huîtres sont chères et qu'elles forment par conséquent un aliment de luxe.

Ainsi pour la morue, on prélève un droit élevé, un droit de 4 fr. par 100 kil., parce qu'elle est abondante, et pour les huîtres on a un droit de 12 fr. par 100 kil., parce que, comme elles sont chères, elles constituent un aliment de luxe.

Mais, messieurs, pour les huîtres mêmes cela n'est pas exact. Les huîtres diffèrent de prix comme toutes les substances alimentaires, selon que la production en est plus ou moins abondante.

Il n'y a pas bien longtemps que j'ai acheté en Hollande les huîtres à 1 fr. 40 c. le cent, et l'on m'affirmait que le prix en avait été de 1 fr. 10 c. à 1 fr. 20 c. le cent.

En Hollande, on pratique depuis quelques années et sur une grande échelle l'ostréiculture. On achète les huîtres d'un an sur les côtes de Hollande, par conséquent tout à fait à proximité de la Belgique, à un prix très bas ; ce prix, lors d'un voyage que je fis dans ce pays, était de 3 florins le mille.

On les dépose sur le bord de la mer pendant deux ans et puis on les livre à la consommation. Je demandai pourquoi on ne les vendait pas à meilleur marché afin de les répandre davantage dans la consommation. On m'objecta qu'on avait tenté l'essai, que la vente était demeurée trop limitée et qu'on trouvait plus de bénéfice en vendant une moindre quantité à un prix élevé, qu'en augmentant le débit par une réduction de prix.

On pouvait difficilement en envoyer en Belgique. Notre législation douanière, en maintenant le prix des huîtres à un taux élevé, en a restreint l'usage, elle nous a habitués à nous en passer, mais rien ne s'oppose à ce qu'on produise les huîtres en assez grande abondance pour en faire un aliment populaire. Et c'est le cas en Angleterre, tout au moins à certains moments. Il y a, d'ailleurs, un choix d'huîtres ; il y a des huîtres de luxe, et il y a des huîtres à bas prix. Les droits de douane sont prohibitifs pour les huîtres communes, et ils portent les huîtres de qualité meilleure à un prix si élevé qu'elles deviennent un aliment tout à fait aristocratique.

Mais, messieurs, allons au fond des choses, le droit d'entrée sur la viande de boucherie est d'un centime par kilog. Le droit d'entrée sur la morue qui forme un aliment essentiellement populaire, qui forme réellement la viande à bon marché, est de 4 fr. les 100 kilog. Le droit sur les huîtres est de 12 fr. par 100 kilog. Mais il est à remarquer que la plus grande partie du poids de l'huître est un véritable emballage ; c'est l'écaille.

M. Van Iseghem. - C'est 12 p, c. à la valeur, et non 12 fr. par 100 kil.

M. Jacquemyns. - Je donnerai à la Chambre la preuve que c'est bien 12 p. c. au poids que l'on paye.

M. Van Iseghem. - Pour l'Angleterre, c'est 12 p. c. à la valeur.

M. Jacquemyns. - Et sur les huîtres hollandaises ?

M. Van Iseghem. - C'est 10 fr. par 100 kilog.

M. Jacquemyns. - D'accord. Savez-vous quelle est la quantité de matière nutritive contenue dans ces 100 kilog. ? Je ne sais quelle est la proportion pour l’huître hollandaise, mais pour l'huître anglaise, la matière alibile forme le cinquième et l'écaillé les 4/5.

Dans l'huître hollandaise, la proportion de l'écaille à la matière nutritive est beaucoup plus forte. De sorte que voilà une matière alibile qui est importée au taux de 50 à 60 fr. les 100 kilog.

Comparez cela avec le droit d'entrée sur les autres denrées alimentaires. Voilà une denrée alimentaire que l'on peut obtenir, dans certains moments, en très grande quantité, à peu de frais, et l'on s'en sert exceptionnellement, parce que la législation en fait un aliment de luxe. En ce moment, les huîtres coûtent cher, indépendamment du droit, mais si le prix des huîtres venait à baisser, les droits d'entrée établis au poids ne baisseraient pas ; ils seraient toujours de 10 fr. les 100 kilog., c'est-à-dire de 50 à 60 fr. sur les 100 kil. de matière alibile ; le droit est différent pour les huîtres hollandaises et pour les huîtres anglaises.

Pour les huîtres anglaises, il est établi à la valeur ; il baissera donc avec le prix des huîtres. Mais pour les huîtres hollandaises, il est au poids. Ce droit au poids sur les huîtres les plus lourdes est un droit prohibitif ; c'est un droit de 60 cent. au kil. sur la matière alibile, sur une matière qu'on produit à peu de frais, sur une matière alibile qu'on vendait il y a peu d'années et qu'on vendra probablement encore, dans des circonstances données, à un prix égal aux droits d'entrée en Belgique.

Nous en sommes, messieurs à demander aujourd'hui l'abolition des droits d'entrée sur les huîtres dans les mêmes conditions dans lesquelles nous nous serions trouvés il y a quelques années si nous avions eu à demander à la Chambre l'abolition d'un droit d'entrée sur les pommes de terre ; en effet, lorsque les pommes de terre coûtaient 20 fr. les 100 kil., (page 54) elles formaient véritablement un aliment de luxe ; il serait très aisé de démontrer qu'à cette époque on se nourrissait à meilleur compte de légumes, de viande de boucherie que de pommes de terre.

La Chambre eût-elle trouvé qu'il y eût là un motif pour établir un droit d'entrée sur les pommes de terre ? Aujourd'hui parce que les huîtres sont chères, on vient dire ; « Mais c'est un aliment de luxe qui doit payer l'impôt. » Et si les huîtres étaient à bon marché on dirait : « L'impôt ne pèse pas sur le consommateur puisque les huîtres sont à bas prix. »

Si d'ailleurs les huîtres sont en ce moment un aliment de luxe, il n'en est évidemment pas de même de la morue, et pourtant elle est frappée d'un droit d'entrée qui s'élève à 20 ou 25 p. c. de la valeur.

Je demande que la Chambre se conforme le plus possible à ce principe fondamental qu'il faut admette au droit le plus bas ou mieux encore en complète franchise de droits les denrées alimentaires.

M. de Vrièreµ. - Messieurs, quoique je sois envoyé ici par un arrondissement maritime, je ne me crois pas obligé, comme semblait le croire l’honorable M. Hymans, à défendre les droits qui pèsent sur le poisson. Je suis, messieurs, tout autant que les honorables auteurs de l'amendement, hostile à toute espèce de droit qui pèse sur les denrées alimentaires, mais je suis aussi hostile à toute mesure radicale et plus encore à toute loi improvisée. Je crois surtout que lorsqu'il s'agit de prendre une mesure qui, dans une limite quelconque, peut avoir une influence sur les conditions dans lesquelles s'est exercée une industrie du pays si humble qu'elle puisse être, nous devons agir avec prudence et avec maturité.

Voilà, messieurs, pourquoi je viens combattre l'opportunité de la proposition. Je crois que des mesures de cette nature ne doivent pas être présentées sous forme d'amendement au budget ; je crois qu'elles ont besoin d'être précédées d'une enquête, et qu'elles doivent nous être proposées par le gouvernement qui, seul, a à sa disposition les sources d'informations nécessaires pour nous mettre à même d'émettre un vote en connaissance de cause.

L'honorable M. Hymans nous a dit, messieurs, que la section centrale s'était ralliée à l'unanimité à son amendement et il a paru s'étonner qu'elle n'eût point fait une proposition formelle ; mais tout aussitôt il en a indiqué lui-même la raison, il a dit que c'était de sa part un scrupule de convenance.

Eh bien, messieurs, je crois que de la part de la section centrale c'était plus qu'un scrupule de convenance, c'était un scrupule de prudence, un scrupule qui nous est imposé à tous en pareille circonstance. (Interruption.)

L'honorable M. Hymans dit : Oh. Il semble croire que je blâme l'initiative qu'il a prise. Je respecte l'initiative des membres du parlement, mais je crois que pour être utile elle doit se renfermer dans des bornes très restreintes.

Messisurs, si l'on entrait dans cette voie dangereuse de changer les tarifs douaniers par de simples amendements au budget, on arriverait aux conséquences les plus fâcheuses : tout à l'heure vous avez entendu l'honorable député d'Ostende vous dire que si l'amendement était adopté il proposerait immédiatement un changement au tarif pour les fers, pour la houille et pour d'autres matières encore. Je ne sais si l'honorable député d'Ostende a parlé sérieusement.

M. Van Iseghem. - Certainement.

M. de Vrièreµ. - Eh bien, messieurs, c'était là la critique la plus sévère que l'on pût faire de la motion qui nous est soumise. Il est évident que s'il est convenable de proposer, par un amendement au budget, de changer le tarif des poissons, il est tout aussi rationnel de proposer de changer le tarif des charbons, le tarif du fer, etc. ; il n'y a absolument aucune raison pour que nous ayons plus d'égards pour une industrie que pour une autre.

L'honorable M. Jacquemyns vous a dit, messieurs, qu'il s'agissait ici d'un grand principe économique, que nous ne devons pas perdre de vue, à savoir que les impôts ne doivent point peser sur les denrées alimentaires.

Sans doute, messieurs, c'est là un grand principe, mais si, sans tenir compte d'autres considérations, nous devons pousser l'application de ce principe jusqu'à ses dernières conséquences, et s'il devait nous autoriser à introduire de sérieuses modifications à nos lois d'impôts par de simples amendements au budget des voies et moyens, nous devrions supprimer immédiatement et à l'heure même l'impôt foncier, car il n'y a pas d'impôt qui pèse plus directement sur la consommation. (Interruption).

Ce ne sont pas les propriétaires qui acquittent l'impôt foncier, ce sont les cultivateurs, et en définitive c'est le consommateur qui le paye, car toute denrée est chargée de ses frais de production. Il est évident que celui qui fabrique quoi que ce soit doit avoir un prix rémunérateur, or quand il établit son prix de revient, il porte en compte aussi bien les impôts qu'il paye que ses autres frais de production.

Messieurs, je regrette de ne point pouvoir traiter la question qui vous est soumise, d'une manière aussi spirituelle que l'a fait l'honorable M. Hymans. Il a su fixer l'attention de la Chambre par le charme de sa parole, mais je conjure l'assemblée de ne pas se laisser entraîner par cette séduction.

Je suis obligé, moi, qui ai vu les choses des plus près que lui, de toucher à un côté très sérieux de la question, et qui mérite toutes vos sympathies. Il ne s'agit pas ici seulement des consommateurs ; la mesure que l'on propose intéresse aussi plusieurs centaines de familles qui se livrent à l'industrie de la pêche. L'honorable M. Hymans croit que la pêche n'est pas dans une situation prospère ; je vous avoue que tout en croyant comme lui que la pêche est dans une situation assez mauvaise, je n'en avais pas la certitude ; je me suis rendu à la bibliothèque dans l'espoir de trouver dans les documents officiels des données exactes sur la situation de cette industrie.

J'y ai découvert un seul document, c'est le rapport du commissaire de l'arrondissement de Bruges pour 1863, annexé au rapport de la députation permanente.

Eh bien, que dit M. le commissaire de l'arrondissement de Bruges ? Que le déclin de la pêche est visible ; qu'en 1849 on comptait encore à Blankenberghe 55 embarcations ; qu'à la même époque il s'en trouvait 20 à Heyst ; qu'en 1863 il n'y avait plus à Blankenberghe que 24 chaloupes ; qu'à Heyst le nombre des barques s'élevait à 42, mais que plusieurs étaient dans un tel état de vétusté qu'il faudrait nécessairement les démolir.

Ainsi loin de prospérer, cotte industrie décline ; mais quelle est la cause de ce déclin ? Je l'ignore et l'honorable M. Hymans ne nous a rien appris à ce sujet. (Interruption.)

Mon honorable contradicteur nous a dit que malgré le droit protecteur la pêche déclinait, et dans une autre partie de son discours il dit que c'était la protection même qui était cause de la décadence de la pêche...

M. Hymans. - En partie.

M. de Vrièreµ. - Mais si c'est la protection qui a une influence funeste sur la situation de cette industrie, comment se fait-il que ce soit seulement en Belgique que la pêche décline ?

Presque tous les pays qui nous entourent ont un droit protecteur sur le poisson et presque tous exportent de cette denrée pour une valeur considérable : la France, l'Angleterre, la Suède, la Norwége, le Danemark, la Hollande, exportent des quantités très fortes de poisson, à l'état naturel, ou conservé par la salaison, le saurage, le soufrage ou par d'autres procédés de conservation.

Comment se fait-il que la Belgique soit à peu près le seul pays qui soit tributaire de l'étranger pour une partie notable de sa consommation. Le poisson, comme on vous l'a dit avec justesse, est très cher en Belgique ; presque toujours il n'est pas à la portée du ménage de l'ouvrier.

Et pourtant c'est un fait notoire que le pêcheur ne retire pas toujours de son industrie un salaire rémunérateur. Tous ceux qui ont visité nos petites villes et nos villages du littoral ont pu s'assurer que les pêcheurs constituent la partie la plus misérable de nos populations.

M. Hymans. - En est-il de même pour les armateurs ?

M. de Vrièreµ. - Je ne conteste rien, comme je n'affirme rien, si ce n'est des faits notoires ; or, je dis que la situation de cette industrie mérite de faire l'objet d'un examen sérieux avant que nous prenions une mesure qui peut la frapper plus ou moins dans ses conditions d'existence ; il est très possible que certaines classes de personnes trouvent à réaliser des profits plus ou moins importants par les opérations afférentes au commerce du poisson, maïs je crois que personne n'a jamais fait fortune dans l'état d'armateur à la pêche dans notre pays.

Je déclare encore une fois, messieurs, que je ne viens pas plaider le maintien des droits sur le poisson. Mais je demande que la question soit réservée ; je demande que la chambre abandonne au gouvernement le soin d'examiner toutes les questions qui se rattachent à la pêche et de faire ultérieurement telle proposition qu'il jugera convenable.

Toutes les lois de douanes nous ont été proposées par le gouvernement, nous pouvons avoir une entière confiance dans ses principes économiques. Nous savons qu'il est partisan autant que nous de tout ce qui peut développer l'alimentation publique.

Je dois ajouter que ce que je viens de dire se s'applique ni aux huîtres, ni aux homards, parce que ce ne sont pas là des produis de notre pêche ; et l'on assure, mais encore une fois je ne l'affirme point, que l'industrie des huîtrières laisse à ceux qui l'exploitent assez de bénéfice pour qu'ils n'aient nul besoin d'être protégés. Je n'aperçois donc aucun motif (page 55) pour que les droits de douane quelconque subsistent quant à ces denrées ; mais je demande que même à l'égard de cette industrie il ne soit point pris de résolution par un simple amendement au budget ; tout changement de tarif aa une importance grave, et mérite, selon moi, de passer par toutes les épreuves que subissent les projets de loi avant d'être soumis au vote de la Chambre.

M. Sabatier, rapporteur. - Messieurs, l'honorable M. de Vrière a parfaitement rencontré la pensée qui a dicté la résolution prise par la section centrale, en ce qui concerne la demande d'abolition des droits d'entrée sur le poisson. Le gouvernement avait déclaré dans la note préliminaire du budget qu'il prévoyait une diminution de recettes de 150,000 fr. environ, par suite des suppressions et réductions de droits qu'il doit proposer sous peu à la législature. La section centrale a applaudi à cette idée et en présence des intentions manifestées par le gouvernement, elle n'a pas cru devoir empiéter sur les résolutions de celui-ci et s'est bornée à demander qu'il soit fait une première application de ces intentions en faveur du poisson ; elle a déclaré en outre qu'elle se rallierait à toute proposition qui tendrait à supprimer les droits sur les matières premières, et à simplifier les tarifs.

Je serais tenté de ne pas persister dans cette réserve et de ne pas me renfermer strictement dans ce que la section centrale a résolu, depuis que j'ai entendu l'honorable député d'Ostende venir avec une certaine habileté et à coup sûr avec malice présenter un amendement qui a manifestement pour but de mettre divers membres de la Chambre, ceux qui représentent certains districts industriels, dans une position difficile, croit-il.

La pensée de l’honorable membre est évidemment que l'on devrait voter pour son amendement tout aussi bien que pour celui présenté par MM. Hymans et Jacquemyns. Je dirai tout à l'heure quelles raisons m'engagent toutefois à ne pas me prononcer nettement en faveur du vote immédiat de la mesure proposée par MM. Hymans et Jacquemyns.

Vous avez dû remarquez, messieurs, que si le discours de l'honorable M. Van Iseghem, dans son ensemble, ne manquait pas d'intérêt, ce même discours avait particulièrement éveillé l'attention de la Chambre lorsque, répondant à l'amendement de MM. Hymans et Jaquemyns, l'honorable député d'Ostende était venu proposer d'admettre en franchise de droit le charbon, le fer, la fonte, les fils de coton, etc. Il a bien voulu s'adresser directement à moi et m'a demandé ce que je pensais de son amendement et comment je l'accueillerais.

Messieurs, j'ai déjà eu occasion dans cette enceinte de faire, à propos de la libre entrée des matières premières, une déclaration bien nette et bien formelle et je la renouvellerai à l'occasion de la proposition de l'honorable M. Van Iseghem. Je déclare donc qu'à mon sens on devra nécessairement arriver à la libre entrée des matières premières, du charbon, du fer, des rails, des machines, que je considère comme matière première.

M. Coomans. - Tout est matière première.

M. Sabatier. - Je ne cherche à introduire aucune restriction, et suis d'accord avec l'honorable M. Coomans, pour considérer les machines comme matière première.

Je demanderai également la libre entrée des fils de coton et de laine. Seulement je ferai une observation : c'est que presque toutes les matières qui ont été indiquées par l'honorable M. Van Iseghem comme devant entrer sans droits, renferment comme valeur une quantité de travail national incomparablement supérieure à celle que produit la pêche. L'honorable M. Hymans a traité à fond la question de la pêche. Il vous a parlé du très petit nombre d'individus qui se livrent à cette industrie, il a très bien fait remarquer que la protection nuit plus aux pêcheurs que la liberté.

Je n'ajouterai rien à ce sujet, mais je reviendrai un instant à l'argumentation que j'ai effleurée quant à la quotité de travail national que renferment les produits que l'on veut dégrever de tous droits. Ce serait sans doute un travail très intéressant que déclasser ces produits dans cet ordre d'idées.

On arriverait à prouver qu'après les machines, c'est le fer qui donne le plus de travail national, puis viendrait la fonte, les fils de laine, les fils de coton, le charbon ; ainsi, par exemple, pour ce qui concerne le fer il faut pour le produire remonter à l'extraction du minerai, du charbon, puis procéder à une manipulation.

Tout cela se fait dans le pays et donne une main-d'œuvre considérable. Si l'on ajoute les transports de la matière première, proprement dite, et de la matière fabriquée, le fer, on arrive à une quotité de travail national considérable.

Même raisonnement peut être appliqué à tous les fabricats, à toutes les industries et le classement qui s'ensuivrait, démontrerait que, au dernier degré de l'échelle, se trouve l'industrie de la pêche. Je crois que l'honorable M. Van Iseghem aurait de la peine à prouver que ma thèse n'est pas vraie.

M. Van Iseghem. - C'est tout le contraire.

M. Sabatier. - Quoi qu'il en soit, l'amendement de l'honorable membre ne m'effraye pas, je ne le combats en aucune façon si tant est que l'on doive confondre dans une même mesure des denrées alimentaires et des fabricats.

Messieurs, nous nous sommes mis d'accord avec l'honorable M. Van Iseghem sur la question des huîtres. Il a renoncé, je ne dirai pas spontanément, je crois qu'il ne pouvait guère faire autrement, aux droits différentiels qui protègent les parcs d'huîtres ; par conséquent il n'y a plus à y revenir, pas plus que n'a cru devoir le faire l'honorable M. de Vrière. Nous sommes maintenant tous d'accord sur ce point.

Mais nous ne sommes pas d'accord, à ce qu'il paraît, sur les conséquences de l'abolition du droit sur la morue et sur les poissons en général, frais, secs ou fumés.

L'honorable M. Van Iseghem, pour prouver que le droit n'est pas très élevé sur la morue et que par conséquent nous n'aurions pas tout à fait raison de demander la suppression de ce droit, a établi son calcul par lequel il semble vouloir prouver que ce droit sur la morue n'est que de 15 p. c. environ. Ici l'on met en doute l'exactitude des chiffres indiqués dans le rapport de la section centrale, je dois par conséquent établir que si la Chambre vote l'amendement |des honorables MM. Hymans et Jacquemyns, elle saura que ce n'est pas un droit de 15 p. c. qu'elle abolit, mais un droit de 20 à 25 p. c.

Je me sers des documents statistiques pour arriver à cette démonstration, et je trouve dans les renseignements qui nous ont été fournis récemment sur le mouvement commercial du pays en 1863, je trouve, dis-je, que la morue est portée à 30 francs, non pas par 100 kil., mais par tonne.

Or, la tonne pèse 150 à 160 kil. Il faut donc diviser le prix de 30 fr. par le poids de la tonne pour avoir la valeur de 100 kil. et diviser ensuite le droit, qui est de 4 fr. par 100 kil., par cette valeur.

Le résultat de cette double opération donne 22 1/2 p. c. Nous étions donc autorisés à dire dans le rapport de la section centrale que le droit relativement à la valeur est de 20 à 25 p. c.

Messieurs, nous sommes d'accord avec l'honorable M. Van Iseghem sur la quotité du droit dont est frappé le poisson frais, soit 12 p. c. Sur ce point donc il n'y a pas de rectification à faire et je passe à un autre ordre d'idées.

J'ai remarqué toutà l'heure un argument très solide présenté par l'honorable M. Jacquemyns et qui consistait à demander à quel propos on maintenait des droits élevés sur le poisson qui est une denrée alimentaire pour ainsi dire de première nécessité, tandis qu'on se contente avec infiniment de raison, de droits infiniment moindres sur d'autres denrées alimentaires, la viande, le froment, les pois, les lentilles, la farine, le pain, le biscuit, le macaroni, le vermicelle, sans oublier même le pain d'épice qui ne paye presque rien.

La viande est portée à 1 fr. 30 c. par kil. et elle ne supporte qu'un droit de 1 fr. 20 c. ; cela ne fait pas 1 p. c.

Sur le froment, le droit est de 3 p. c.

Sur les pois et les lentilles, il est de 3 p. c.

Sur la farine, le droit représente 3 p. c.

Sur le pain, le biscuit, il est de 2 1/2 p. c.

Sur le macaroni et le vermicelle, de 3 1/2 p. c.

On se demande en vain pourquoi le poisson doit rester frappé de droits plus élevés que toutes ces denrées et si un argument nouveau pouvait être donné en faveur de l'amendement de MM. Hymans et Jacquemyns, il suffirait de citer ces chiffres pour montrer toute l'injustice du système actuel.

Messieurs, j'ai dit tout à l'heure qu'en ce qui me concernait, je n'étais pas encore tout à fait décidé à voter l'amendement des honorables MM. Hymans et Jacquemyns, nonobstant les bonnes raisons qu'on a émises avant moi et quelques-unes que je puis avoir émises moi-même et la tactique de l'honorable M. Van Iseghem. En voici la raison.

J'ai un doute sur l'opportunité de la mesure.

II s'agit de la suppression immédiate de tout droit sur le poisson. Eh bien, je me suis demandé jusqu'à quel point le gouvernement ne pourrait pas négocier en quelque sorte avec les administrations communales, ne pourrait pas faire ressortir auprès d'elles l'intention du gouvernement d'abolir les droits sur le poisson, pour les amener à abolir en partie le droit de minque qui pèse si fortement sur le poisson.

Je me suis demandé également si l'observation faite par l'honorable M. Van Iseghem à l'honorable ministre des travaux publics, à savoir que (page 56) le prix de transport du poisson était encore élevé, ne pourrait pas recevoir une application pratique ; si le département des travaux publics ne pourrait pas faire encore un avantage en faveur du transport des petites quantités de poisson.

Quant au droit de minque, j'ai d'autant plus de raison de demander au gouvernement d'intervenir dans la mesure du possible (je sais parfaitement bien que la chose ne peut être amenée qu'amiablement), que la ville d'Ostende, si désireuse d'obtenir l'abaissement ou l'abolition des droits sur le charbon, le fer, les machines, les fils de coton et autres objets, perçoit non seulement un droit de minque sur le poisson destiné à la ville d'Ostende, mais même sur le poisson qu'on exporte. Un honorable membre assis à côté de moi, dit que l'on porte annuellement au budget de la ville d'Ostende une somme de 8,000 francs pour le droit de minque.

Vous trouverez sans doute comme moi, messieurs, que la ville d'Ostende serait assez mal venue à résister à la demande que je prie le gouvernement de faire aux administrations communales. La chambre de commerce d'Ostende avait demandé une réduction des droits sur les bois de construction, elle a obtenu satisfaction dans le traité conclu avec la Suède ; je ne comprends pas pourquoi elle n'a pas du même coup demandé la réduction du droit sur le poisson ; c'est là un oubli que je signale à l'attention de la Chambre.

Sans engager la section centrale dans son ensemble, je dirai en terminant que j'attendrai que M. le ministre des finances ait répondu : 1° à la proposition de MM. Ilymans et Jacquemyns, et en second lieu à la contre-proposition de M. Van Iseghem, pour me décider à voter ou non la suppression, par voie d'amendement au budget, de tout droit sur les poissons.

Je suppose que le gouvernement nous dira vers quelle époque il compte soumettre à la Chambre le nouveau projet de révision des droits de douane et dans quelle mesure il touchera aux droits sur les poissons.

MfFOµ. - Messieurs, si cette discussion doit continuer, je pense qu'il y a lieu de la remettre à demain. Mais peut-être, après avoir entendu les observations que je vais lui soumettre, la Chambre jugera-t-elle à propos de clore ce débat.

Qu'il soit d'abord bien compris que je ne conteste en aucune manière le droit des membres de la Chambre de proposer, à l'occasion du budget des voies et moyens, toute espèce de modification aux impôts établis. A propos de ce budget, l'on peut tout mettre en question, l'impôt foncier, la contribution personnelle, les patentes, les droits d'accise et de douane ; cela est incontestable. Mais je pense aussi qu'il ne faut proposer que des modifications raisonnables et suffisamment réfléchies.

Une proposition tendante à faire admettre la libre entrée du poisson, en a provoqué une seconde, qui comprend d'autres articles du tarif, et rien ne fait obstacle à ce que plusieurs propositions du même genre surgissent encore. Vous voyez, messieurs, qu'un pareil système pourrait nous entraîner bien loin.

Quoi qu'il en soit, en ce qui concerne la question des poissons, je vais faire une déclaration que je crois de nature à satisfaire les auteurs de la proposition. Dans un délai très rapproché, le gouvernement présentera à la législature un projet de loi tendant à généraliser l'application des réformes introduites par nos récents traités avec plusieurs puissances étrangères. Ce projet comprendra en outre de nouvelles modifications à introduire dans notre tarif douanier, et, entre autres, une tarification très libérale quant aux poissons.

- Un membre. - Pas du tout.

MfFOµ. - Vous pourrez, lors de la discussion de ce projet, faire telle proposition que vous voudrez, et cela beaucoup plus utilement, plus pratiquement qu'aujourd'hui. Vous formulez en ce moment une proposition isolée concernant un article spécial du tarif, et vous voulez en quelque sorte la faire admettre sans examen, en l'appuyant de simples affirmations que l'on n'est pas en mesure de réfuter faute de temps pour les vérifier. Quand il s'agit d'un intérêt considérable pour une partie de la population du pays, je pense qu'il faut au moins laisser à la Chambre le temps d'examiner les faits, de s'entourer de tous les éléments qui peuvent éclairer la question, et non pas la presser de se prononcer incontinent sur une proposition dont elle ne peut encore apprécier toutes les conséquences.

Je demande donc que l'on ajourne cette proposition ; elle se reproduira tout naturellement à l'occasion du projet de loi qui, je le répète, sera présenté à la Chambre dans un délai très rapproché. Ce projet est déjà rédigé. Aussitôt que j'aurai pu l'examiner complètement, je m'empresserai d'en effectuer le dépôt et je déclare qu'il comprendra un article spécial quant aux poissons.

Je dirai cependant, dès à présent, que je ne puis mettre au rang des denrées de première nécessité, les huîtres, les homards, les saumons, etc. Ce sont là de véritables poissons de luxe, et je ne comprendrais pas que l'on eût un droit d'entrée sur le bétail et sur les grains, tandis que l'on en exempterait complètement les huîtres, les homards et les autres poissons fins.

M. Hymans. - Vous me rendrez cette justice de reconnaître que j'ai prévu l'objection qu'on me fait. J'ai commencé par dire que si je pouvais admettre une tarification quelconque pour le poisson, je n'aurais pas présenté ma proposition, sachant que le gouvernement voulait proposer une nouvelle réduction de droits. C'est parce que je crois qu'il n'y a pas d'autre régime douanier possible pour le poisson que la liberté absolue, que j'ai présenté mon amendement.

Déjà je l'ai présenté il y a deux ans ; qu'on ne vienne donc pas dire qu'il est improvisé, qu'il faut une enquête préalable pour être en mesure de se prononcer.

Je ne puis pas prendre au sérieux l'argument tiré de la contre-proposition de M. Van Iseghem, qui n'est autre chose qu'une petite malice, comme l'a fort bien dit M. Sabatier.

Avec un pareil système, on mettrait tous les membres de la Chambre dans l'impossibilité de proposer quoi que ce soit. Quand un membre proposerait, après mûr examen, une modification à un budget, d'autres viendraient faire vingt propositions improvisées, pour amener un ajournement. Cela n'est pas sérieux.

J'ai présenté ma proposition à la Chambre il y a deux ans ; à cause des incidents politiques, elle n'a pas pu être discutée ; mais si elle avait pu l'être, elle aurait été adoptée malgré M. Van Iseghem, qui est libre échangiste en toute matière, le poisson seul excepté.

C'est pour cela qu'il veut nous jeter dans les jambes les droits sur la houille et le fer, croyant être par-là désagréable à M. Sabatier, qui appartient à un arrondissement qui produit le fer et la houille.

La proposition du reste ne s'appuie sur rien. (Interruption.)

Ce n'est plus de la discussion sérieuse. Je sais qu'on peut proposer la suppression de l'impôt foncier, comme le dit M. de Vrière, et de tous les autres impôts ; mais ce sont là des fins de non-recevoir et non des arguments. Ma proposition serait reproduite dans tous les cas lors de la discussion du projet de loi annoncé par M. le ministre des finances, la Chambre n'y gagnera rien si ce n'est d'avoir une nouvelle discussion outre celle-ci, qui serait perdue.

Du reste la proposition que compte faire M. le ministre ne pourra pas être adoptée dans cet exercice, tandis que si la Chambre est de mon avis, la réforme pourra être mise en vigueur à dater du 1er janvier. Je crois donc devoir maintenir ma proposition.

- Plusieurs voix. - A demain !

MpVµ. - Il y a une proposition de remise à demain.

MfFOµ. - Il importe d'être fixé sur la question de savoir si la discussion présente continuera, ou si l'on adopte ma proposition d'ajournement. Si la Chambre n'admet pas ma proposition, c'est qu'elle entend continuer la discussion.

MpVµ. - Il y a plusieurs orateurs inscrits, on ne peut pas prononcer la clôture si elle n'est pas demandée régulièrement. Vous pouvez la demander ; je la mettrai aux voix. Sans cela, je dois donner la parole à ceux qui sont inscrits.

En vertu de l'article 24, si dix membres demandent la clôture, je dois la mettre aux voix.

- Plusieurs membres. - A demain !

- La séance est levée à 4 3/4 heures.