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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 26 novembre 1864

(Annales parlementaires de Belgique, Chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 77) M. Van Humbeeckµ procède à l'appel nominal à une heure et un quart.

M. de Moorµ donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier. La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Van Humbeeckµ présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Des ouvriers à Gand demandent que les dispositions relatives aux coalitions, qui ont été adoptées lors de la révision du Code pénal, soient rendues obligatoires. »

M. de Kerchoveµ. - Je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission des pétitions, et que celle-ci soit invitée à en faire l'objet d’un prompt rapport, ainsi qu'on l'a décidé pour d'autres pétitions analogues.

- Cette proposition est adoptée.


« Les membres de l'administration communale et des habitants de Wortel prient la Chambre d'accorder aux sieurs Pavoux et Lambert la concession d'un chemin de fer direct d'Anvers à Turnhout avec embranchement sur Herenthals et sur Bréda. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Schilde et d'Oeleghem prient la Chambre d'accorder aux sieurs Lambert et Pavoux la concession d'un chemin de fer direct d'Anvers à Turnhout, sous la condition d'établir une station sur le territoire de la commune de Schilde. »

- Même renvoi.


« Le sieur Haubourdin demande que la garde civique soit organisée en deux bans et que le service du premier ban ne soit obligatoire que jusqu'à trente ans. »

- Même renvoi.


« Le sieur Jean-Baptiste Opper, commerçant à Malines, né dans cette ville, demande la grande naturalisation avec exemption du droit d'enregistrement. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Les administrations communales d'Eclen, Rosthem, Dilsen, Neeroeteren et Opoeteren demandent le rétablissement du commissariat d'arrondissement de Maeseyck. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.


« Des habitants de Wavre demandent la diminution du droit d'accise sur la bière indigène. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Le sieur Beekman s'offre pour construire un appareil destiné à assurer la liberté de l'électeur au moment de son vote. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Il est donné lecture de trois messages par lesquels le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté :

« 1° Le projet de loi relatif aux fondations en faveur de l'enseignement public et au profit de boursiers.

« 2° Le projet de loi contenant le budget des recettes et des dépenses pour ordre, pour l’exercice 1865.

« 3° Le projet de loi contenant le budget des non-valeurs et des remboursements pour le même exercice. »

- Pris pour notification.


« M. Ed. Cève fait hommage à la Chambre d'un exemplaire de son Vade Mecum des membres de l'association internationale pour le progrès des sciences sociales (première et deuxième partie).

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. Giro adresse à la Chambre 120 exemplaires d'une brochure publiée par l’association charbonnière de Charleroi sur la navigation vers Paris. »

- Dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi portant le budget du ministère des affaires étrangères de l’exercice 1865

Discussion générale

MpVµ. - Il n'y a plus de membres inscrits dans la discussion générale ; quelqu'un demande-t-il la parole ?

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Je la demande.

MpVµ. - M. d'Hane-Steenhuyse ayant parlé déjà deux fois dans la discussion générale, je dois consulter la Chambre pour lui accorder une troisième fois la parole.

- L'assemblée consultée autorise M. d'Hane-Steenhuyse à prendre la parole.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Dans la discussion ouverte hier, au sujet du budget des affaires étrangères, l'honorable M. Rogier m'a demandé quels étaient les points du globe où je croirais convenable de placer encore des agents consulaires rétribués. J'avais préparé à ce sujet une note que je n'avais pas près de moi et comme j'aurais pu chercher longtemps ces quelques noms inscrits sur un projet de budget, je n'ai pas voulu abuser des moments de la Chambre.

J'ai retrouvé cette note et voici, messieurs, quelles sont les différentes places du monde où je voudrais que l'on remplaçât les simples consuls par des consuls rétribués ou que l'on en installât.

Je citerai d'abord Beirout, Athènes, Smyrne et Santo-Tomas de Guatemala.

MaeRµ. - Il y en a.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Je vous demande pardon, il n'y en a pas.

MaeRµ. - Nous avons des consuls rétribués à Athènes et à Smyrne.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Non, nous n'avons pas d'agents consulaires dans les villes que je viens de citer ; j'entends parler d'agents ayant un traitement de 15,000 à 20,000 fr.

- Voix à gauche : Rien que cela ?

M. d’Hane-Steenhuyseµ. - Ceux qui résident dans ces villes s'occupent du commerce pour leur propre compte. Eh bien, ce que je demande, c'est que nos agents consulaires soient rétribués de manière à pouvoir se consacrer exclusivement à leurs fonctions.

Je désirerais qu'on nommât également des agents consulaires rétribués à Madagascar ; à Cadix, où se fait un très grand commerce entre la Belgique et l'Espagne, soit par navires du pays soit par navires étrangers ; à Calcutta, où la Belgique a de très grandes relations commerciales, et où nous ne sommes représentés que par un consul anglais. A Callao, l'un des ports du Pérou les plus importants ; au Cap de Bonne-Espérance point de très grande importance pour nous par les traditions de cette colonie, où se trouvent beaucoup de Hollandais, qui ont encore nos mœurs et notre langage ; à Fernembouc, Hong-Kong, Manille, Odessa où se fait un grand commerce de grains, à Panama où le commerce belge pourrait trouver de nombreux débouchés pour répandre ses produits, sur les côtes du Pacifique ; à Québec. Au Sénégal ; nous avons un consul chargé da surveiller toute la côte occidentale d'Afrique et toutes les îles qui dépendent de cette côte. Il est impossible à un seul consul de faire ce travail et d'exercer sa surveillance sur une étendue aussi considérable. En Californie, à Singapore, Tiflis et Zanzibar où, à l'exemple de la France, la Belgique pourra trouver aussi de nombreux débouchés.

Je crois avoir répondu à la demande de l'honorable M. Rogier. Quel que soit le sort de ma proposition, je prie M. le ministre de ne pas perdre de vue ces noms pour décider s'il n'y a pas lieu d'y placer des consuls rétribués.

MaeRµ. - Je remercie l'honorable membre des indications qu'il a bien voulu donner. Je demande si, dans sa pensée, les divers postes qu'il a indiqués en dehors de ceux de Smyrne et d'Athènes déjà occupés devraient avoir des consuls rétribués. La première conséquence de cette proposition, sous la réserve des renseignements à prendre, serait une augmentation de dépense que j'évalue au moins à 200 mille francs, car dans les pays indiqués, pour avoir des consulats occupés par des Belges ne faisant pas le commerce, il faudrait leur donner un traitement moyen de 20 mille francs.

Ainsi nous avons un consul nouveau à nommer à Shanghaï en Chine.

Eh bien, quoique les traitements de ces consuls aient été élevés, (page 78) d'après des renseignements des plus positifs qui me sont parvenus sur les traitements des consuls d'autres puissances, les nôtres jouiront d'un traitement moins élevé que celui de tous les autres.

Il est, messieurs, délicat de discuter ces sottes de questions à la Chambre.

Il faut le dire, nos consuls aussi bien que la plupart de nos agents diplomatiques sont unanimes en ce point que les traitements qui leur sont alloués sont insuffisants.

Si les réclamations de nos agents trouvaient un appui dans cette Chambre, le ministère n'aurait plus rien à opposer aux demandes d'augmentation de traitement.

Je considère cependant la plupart de ces réclamations comme fondées.

Il viendra un temps où la Belgique sera obligée de mieux rétribuer sa diplomatie et ses consuls. Cela me paraît inévitable, à moins de vouloir arriver à la suppression de la diplomatie ou bien de la réserver exclusivement aux classes riches, aux Belges qui peuvent se passer d'un traitement de l'Etat.

Si c'est là, messieurs, qu'on vient aboutir, on fera une économie, mais je ne pense pas qu'on répondra à l'esprit et au texte de la Constitution, qui déclare que tous les Belges sont égaux et tous admissibles aux emplois.

Eh bien, de fait, si l'état de choses actuel continue et si l'on persiste surtout à parler de réduction, je déclare que les postes diplomatiques et consulaires ne seraient plus désormais réservés qu'aux Belges jouissant d'une fortune personnelle considérable.

J'appelle l'attention de la Chambre sur les conséquences de réductions nouvelles.

Puisque j'ai la parole, je fournirai quelques renseignements que j'ai promis hier.

Un honorable député de Turnhout a demandé la suppression de tous frais de chancellerie.

Il y a, messieurs, deux catégories de frais, les frais consulaires perçus par les consuls pour les actes qui sont de leur compétence, légalisations, visas, etc. Ces trais sont réglés par la loi et perçus au profit des consuls. Il y a ensuite les tarifs de chancellerie diplomatique qui sont également réglés par la loi et qui sont perçus au profit du trésor : il y a une multitude de pièces qui sortent chaque jour de nos chancelleries et surtout dans les pays qui ont des rapports fréquents avec la Belgique, tels que la France et les Pays-Bas.

Ces droits de chancellerie n'existent plus, ils sont supprimés pour tous les pays, sauf vis-à-vis des pays qui continuent à percevoir des frais analogues à charge des Belges. Ce sont des représailles dont nous usons dans l'espoir qu'un jour ces pays supprimeront les droits de chancellerie, et dès qu'ils le feront nous nous empresserons de supprimer les nôtres, car ce n'est pas au point de vue du trésor que nous les percevons ; ils nous produisent aujourd'hui quelque chose comme 3,000 à 4,000 fr.

Ces frais, il ne faut pas en exagérer la portée. Pour les individus qui ne semblent pas être en possession d'un certain bien-être, on les réduit de moitié ; s'ils sont indigents, il n'y a pas de droits du tout, on n'exige rien. Les indigents sont exempts de tous droits de chancellerie.

On a demandé aussi, messieurs, quels étaient les pays où l'obligation des passe-ports était maintenue ; ces pays, j'en ai ici la liste ; ce sont, entre autres, l'Autriche et divers Etats d'Allemagne.

Le Moniteur a fait connaître aux étrangers quels étaient les pays pour lesquels le passe-port était encore une obligation. Pour le plus grand nombre des pays, l'obligation des passe-ports a cessé. Mais une formalité a cessé, même vis-à-vis des pays où le passe-port est encore exigé, c'est l'obligation du visa. Autrefois les passe-ports belges pour l'Autriche devaient être visés à la légation autrichienne ; aujourd'hui les passeports sont exempts du visa des légations étrangères.

Il serait à désirer que la nouvelle réforme qui s'est introduite dans un grand nombre de pays s'étendît à tous les autres. Nous ne sommes pas maîtres d'imposer à d'autres gouvernements la suppression des passeports, mais il y a déjà un adoucissement puisque les passe-ports délivrés en Belgique ne sont plus soumis à la formalité du visa.

Messieurs, le discours de l'honorable représentant d'Anvers n'a pas été inséré au Moniteur ; je n'ai donc pas pu vérifier les chiffres qu'il a cités ; je ne lui en fais pas de reproche ; je constate seulement que je n'ai pas été à même de vérifier les chiffres cités par l'honorable membre.

L'honorable représentant d’Anvers est parti de l'idée que le commerce maritime d'Anvers était en décadence depuis 1830.

M. d’Hane-Steenhuyseµ. - Moins avancé que d'autres.

MaeRµ. - L'assertion de l'honorable membre, de quelque manière qu'il l'atténue, restera encore complètement inexacte. Déjà, messieurs, à une autre époque nous avions vu paraître une brochure avec le titre de « Décadence du port d'Anvers ». Mon honorable prédécesseur M. de Vrière dans un discours qui fut, je crois, remarqué de la Chambre et du pays, réduisit à rien les assertions qui avaient pour but de prouver la décadence du port d'Anvers et il faisait cette réflexion qui se présentait tout naturellement : il se demandait quel intérêt pouvait avoir la ville d'Anvers à proclamer devant le pays et devant l'étranger que son port était en décadence ; que c'était un port vers lequel le commerce ne se dirigeait plus et ne devait plus se diriger.

L'assertion était inexacte, et le procédé qu'on employait pour relever Anvers était véritablement des plus étranges. Quand une maison de commerce fait de mauvaises affaires, elle n'affiche pas devant le public sa situation. Mais heureusement que l'assertion de ceux qui proclamaient la décadence du port d'Anvers était tout à fait dénuée d'exactitude.

Depuis lors nous avons eu d'autres faits non moins regrettables. Dans ces derniers temps, non seulement le port d'Anvers serait tombé en décadence ; mais avis serait donné aux étrangers de se garder bien de venir y faire le commerce ; les navires devaient éviter avec le plus grand soin de se présenter devant un port menacé chaque jour d'incendie et de bombardement.

Nous avons vu, à certaine époque, les murs d'Anvers placardés d'affiches magnifiques qui représentaient la ville en feu. Evidemment pour le commerce étranger, qui n'est pas au courant de la réalité des choses, de pareilles assertions, de pareilles manifestations seraient bien capables de provoquer son éloignement...

M. Delaetµ. - Je demande la parole.

MaeRµ. - Ce sont là, en fait d'encouragements au commerce, des procédés auxquels il m'est impossible de me rallier ; je les trouve détectables, et j'espère que dans l'avenir, hors du temps des élections, on voudra bien ne plus y avoir recours.

M. Delaetµ. - Tant que les fortifications subsisteront...

- Des voix à gauche. - Alors vous attendrez longtemps.

M. Bouvierµ. - Même sans indemnité.

MaeRµ. - Le commerce étranger sait depuis longtemps qu'il y a à Anvers des fortifications ; le commerce étranger a même connu le bombardement d'Anvers en 1830 ; mais heureusement le commerce étranger a du bon sens et du sang-froid ; il ne se laisse pas épouvanter par de vains fantômes ; il se rend là où il trouve satisfaction à ses intérêts et où il rencontre liberté et sécurité ; il a continué de venir à Anvers et il continuera d'y venir malgré les mauvaises prédictions, les vaines démonstrations à l'aide desquelles on semble vouloir l'éloigner d'Anvers.

On a dit, dans je ne sais quel intérêt, que le commerce d'Anvers n'était pas en progression, qu'il y avait diminution ! Si l'on avait pu ajouter que c'est par la faute du gouvernement, passe encore, comme thème d'opposition ; mais ou eût été fort embarrassé de mettre ici le gouvernement en cause, à part les fortifications.

Je crois que tout ce que le gouvernement a fait, dans le cercle de ses attributions, a rencontré une adhésion assez unanime dans le commerce d'Anvers.

Nous avons, à cet égard, des certificats de bonne conduite qui nous sont délivrés par des autorités tout à fait compétentes, je veux parler du rapport de la chambre de commerce d'Anvers, qui, ce semble, est une autorité en matière commerciale. (Interruption.)

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - De quelle année ?

MaeRµ. - De l'année 1863 ; vous voyez que ce n'est pas vieux.

Voici, messieurs, les conclusions de ce rapport ; je supprime divers passages qui paraîtraient peut-être trop honorables pour le cabinet. Voici ces conclusions :

« L'ensemble de ces dispositions place donc notre commerce et notre navigation dans des conditions exceptionnellement favorables et nous augurons bien de l'avenir qui leur est réservé.

« Dès que les malheureuses guerres dont nous sommes témoins auront cessé d'exercer leur funeste influence, et que, par l'extension du réseau de nos chemins de fer, par la révision de la réduction des tarifs (révision qui a eu lieu et qui a valu au ministère de nouveaux remerciements), (page 79) nous pourrons obtenir dans nos transports de terre des facilités analogues à celles que le traité du 19 juillet a apportées dans nos transports maritimes. »

Ce traité est celui qui a affranchi la navigation des droits de tonnage, sacrifice d'un million pour le trésor ; qui a réduit le droit de pilotage, nouveau sacrifice da 200,000 fr. pour le trésor ; qui a réduit les taxes locales d'Anvers, sacrifice de 40,000 fr., je crois, pour la ville. Voilà ce qu'a été le traité du 19 juillet, indépendamment de ce qu'il a affranchi l'Escaut de tous péages envers la Hollande.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Il a eu le malheur de venir 14 ans trop tard.

MaeRµ. - Il est venu tard, dit-on, mais au moins faut-il avouer que l'affaire n'était pas facile à conclure.

M. Bouvierµ. - Ils en sont peut-être fâchés.

MaeRµ. - Et sous ce rapport, je n'ai pas vu que les amis de l'honorable membre aient abouti au résultat que nous avons obtenu, pendant les années où ils étaient au pouvoir.

Maintenant, pour l'édification du pays, dans l'intérêt même du port d'Anvers, pour éclairer le commerce étranger et l'encourager à venir de plus en plus dans nos ports, permettez-moi de citer quelques chiffres.

Je vais comparer 1830 à 1863 ou plutôt, pour être aussi favorable que possible à la thèse de l'honorable membre, je comparerai à 1863 l'année 1829, l'année la plus prospère du commerce des Pays-Bas à Anvers, pendant les quinze années de la réunion.

Eh bien, le mouvement des navires a été en 1829 de 1,028 avec un tonnage de 160,658 tonneaux ; en 1863, le nombre des navires a été de 2,553 navires avec un tonnage de 609,353 tonneaux.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - M. le ministre veut-il me permettre une observation ?

- Voix à gauche. - Mais non ; laissez parler.

MaeRµ. - Soit ! Je vous écoute.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Je ferai remarquer seulement qu'en 1829 nous n'avions pas de service de bateaux à vapeur ; service qui existe aujourd'hui et qui constitue une des causes les plus importantes du mouvement du port d'Anvers (Interruption.)

MaeRµ. - Qu'importent les causes de la progression du mouvement du port d'Anvers ? Le fait est là et je le constate.

Il y a donc entre les deux époques la légère différence de 300 p. c, ce qui prouve, comme on le disait hier, que nous sommes en décroissance.

El ce mouvement, messieurs, n'est pas l'effet du hasard ; il a été constamment progressif ; car si je prends une année intermédiaire, de 1829 à 1863, si je prends 1852 par exemple, pour le comparer à 1863, voici le résultat de cette comparaison : En 1829, ce mouvement a été de 1,028 navires et le tonnage de 160,658 tonneaux ; en 1852, le mouvement a été de 1,632 navires et le tonnage de 326,864 tonneaux.

Voilà, messieurs, des chiffres qui à eux seuls contredisent de la manière la plus complète les étranges assertions du représentant de notre métropole commerciale.

Maintenant, messieurs, si nous traduisons en valeur l'importance des objets du commerce maritime, nous trouvons : en 1831, pour la Belgique entière, cent millions ; et en 1863, pour Anvers seule six cents millions.

M. d’Hane-Steenhuyseµ. - Et pour la Belgique entière, en 1863 ?

MaeRµ. - Je vais vous le dire avec le plus grand plaisir, car je ne comprendrais pas comment le port d'Anvers aurait dépéri alors que la Belgique entière prospérait, ni comment la Belgique aurait dépéri alors que le port d'Anvers prospérait.

Eh bien, puisque vous désirez connaître le chiffre, le voici :

En 1831, le mouvement du commerce général de la Belgique a été de 202 millions ; en 1865, il s'est élevé à deux milliards soixante millions ! Je crois que ce rapprochement est de nature à satisfaire tout le monde.

MfFOµ. - Pauvre pays !

MaeRµ. - Est-ce le cas de dire : Pauvre Belgique, pauvre Anvers ? Non, messieurs, disons avec bonheur : Riche Belgique ! Riche Anvers !

Maintenant, messieurs, on a cité d'autres ports qui ont prospéré aussi.

Je ne le nie pas, messieurs ; nous n'avons certainement pas la prétention d'exercer le monopole du commerça et d'être riches à nous seuls. Tant mieux, d'ailleurs, si des ports voisins deviennent prospères, il est de l'intérêt de la Belgique que tous nos voisins s'enrichissent et fassent de bonnes affaires ; on ne gagne rien à traiter avec des gens qui font de mauvaises affaires.

Plus la Hollande, la France et l'Angleterre prospéreront, plus aussi la Belgique prospérera. Il y a là une loi de solidarité contre laquelle nous nous garderons bien de protester.

Mais on s'est trompé, je pense, quand on a comparé le mouvement du port de Boulogne à celui du port d'Anvers. Si prospère que soit le mouvement du port de Boulogne, je ne puis qu'y applaudir en ami du bonheur des peuples en général.

Mais on s'est trompé, je crois, en faisant cette comparaison.

Je n'ai pas pu vérifier les chiffres cités par l'honorable membre, mais je crois qu'il a compris dans le mouvement du port de Boulogne l'or et l'argent, qui font l'objet d'un commerce considérable entre la France et l'Angleterre ; c'est ainsi qu'il se trouve dans les valeurs renseignées à Boulogne une somme de 230 millions de francs d'argent et d'or.

Nous avons d'autres certificats de bonne conduite qui nous ont été délivrés par d'autres chambres de commerce ; j'ai cru devoir citer celui de la chambre de commerce d'Anvers parce qu'il a une valeur spéciale, parce qu'on ne peut pas suspecter ses membres d'être guidés par la seule pensée d'être agréables au gouvernement.

M. Delaetµ. - Elle se compose de gens qui changent d'opinion du jour au lendemain, comme certains membres du Sénat.

M. Bouvierµ. - C'est de la dernière inconvenance.

MpVµ. - Il n'est pas dans les habitudes de la Chambre ou du Sénat d'attaquer dans une assemblée ce qui se passe dans l'autre. Je vous engage, M. Delaet, à retirer les paroles que vous venez de prononcer.

M. Delaetµ. - Je n'ai attaqué personne.

MpVµ. - Votre allusion est très transparente, je vous invite à la retirer.

M. Delaetµ. - Je veux faire observer que j'ai constaté un fait sans incriminer les intentions, je puis bien mentionner un fait.

MpVµ. - Vous n'avez pas le droit de faire de ce qui se passe au Sénat l'objet d'un blâme. Ne blâmons pas ce qui se passe dans cette assemblée où l'on ne blâme pas ce qui se passe dans celle-ci.

M. Delaetµ. - Je n'ai pas blâmé, je n'ai fait que citer un fait.

MpVµ. - Ce n'est pas pour le louer, apparemment.

M. Delaetµ. - Ce n'est pas pour le blâmer.

MaeRµ. - M. le président a rempli son devoir en relevant l'interruption de l'honorable membre ; comme représentant, je ne puis que m'associer à ce qu'il a dit.

Je ne veux pas examiner jusqu'à quel point ce reproche de versatilité dans les opinions peut être adressé à n'importe qui par l'honorable représentant d'Anvers ; mais j'ai à cœur de défendre les honorables et respectables citoyens qui composent la chambre de commerce.

J'ignore si la chambre de commerce, telle qu'elle était composée en 1863, renfermait un seul de mes anciens amis ; quoi qu'il en soit, ce qui ne peut être permis à l'honorable membre, c'est de mettre en doute la loyauté et l'indépendance de la chambre de commerce d'Anvers.

Je demande de quel droit il parle ainsi des représentants du commerce d'Anvers, et certes ce que le commerce d'Anvers compte d'hommes sérieux, honorables et respectables ne partage pas son opinion.

Et quand on vient nous apporter des faits, des assertions contraires à la vérité, j'ajoute qu'on est désavoué par la population d'Anvers, au moins par le commerce tout entier de la ville d'Anvers.

Si dans le rapport que j ai cité, la chambre de commerce d'Anvers cédant à l'entraînement factice auquel les habitants ont obéi, avait fait apparaître les vains fantômes évoqués pour effrayer le pays et dont on fatigue la Chambre, il n'y aurait plus que des éloges pour elle, mais parce qu'il lui est arrivé de rendre hommage à la vérité, de dire au gouvernement : Vous avez bien fait, on jette l'outrage à ce corps électif indépendant.

La Chambre trouvera que j'ai eu raison de relever comme je l'ai fait les accusations de l'honorable membre ?

(page 80) M. d’Hane-Steenhuyseµ. - L'honorable ministre qui, quand il s'agit d'Anvers, se trouve toujours dans un état très nerveux provenant sans doute de ce que les Anversois honorables n'ont pas voulu lui donner leurs voix. (Interruption.)… l'honorable ministre n'a pas gardé de mesure dans les paroles qu'il vient de prononcer ; il s'y trouve des passages qui mériteraient mieux qu'une réfutation, non seulement parce qu'ils sont insultants pour la députation d'Anvers, mais parce qu'ils contiennent des faits inexacts. Je ne permettrai ni à un ministre ni à personne de dire que ce que j'avance est faux.

MaeRµ. - Quand vous avancerez des choses comme celles que vous avez avancées, je le répéterai.

M. d’Hane-Steenhuyseµ. - Je ne vous le permettrai pas.

MaeRµ. - Je n'ai pas besoin de votre permission.

MpVµ. - On peut dire que des chiffres ou des appréciations ne sont pas exacts et même qu'ils sont faux, sans pour cela faire injure à la personne qui les énonce.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Je vois que M. le ministre est toujours sous l'impression dont je parlais tantôt ; car il continue de se servir d'un langage que je ne puis qualifier de parlementaire.

Comme son idée ne peut pas être de vouloir m'effrayer, je me permettrai de laisser à M. le président le soin de sauvegarder la dignité de la Chambre dans la séance ; mais au-dehors je saurai sauvegarder la mienne.

S'il y a eu parfois de la passion, parce que nous y étions provoqués, dans les paroles que nous avons prononcées dans cette enceinte, nous avons toujours, je pense, gardé une mesure convenable dans nos paroles et dans nos faits et gestes.

Je fais un appel franc et loyal aux membres assis sur ces bancs, les membres de la députation anversoise sont-ils sortis des bornes de la convenance ? Aujourd'hui le ministre s'animait au lieu de répondre à des chiffres que j'ai avancés après de longues recherches dans des recueils de statistique long à étudier et à feuilleter ; et, lorsque je viens les porter dans cette Chambre, on m'accuse de dénigrer le port d'Anvers ; ce n'est pas mon intention ; si elle avait été telle, au lieu de me laisser aller à ce mouvement qui s'est emparé de notre cité, il y a 4 ans et qui n'a d'autre but que de libérer complètement Anvers et d'obtenir pour elle cette prospérité dont a parlé M. le ministre des affaires étrangères, j'aurais laissé sans opposition le gouvernement continuer de marcher dans la voie où il s'est engagé, je n'aurais pas porté dans cette enceinte les protestations de mes commettants contre les fortifications d'Anvers, au sujet desquelles proteste aussi l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu dont j'ai récemment admiré les paroles. (Interruption.)

L'honorable ministre des affaires étrangères a donc, en me répondant tantôt, usé d'un langage qui m'a paru anti-parlementaire ; c'est aussi, je pense, l'avis de la Chambre.

J'ai d'abord protesté contre le mot de « faux » qu'a prononcé M. le ministre des affaires étrangères. Je n'ai pas d'autre réserve à faire, si ce mot doit être entendu comme vient de l'expliquer M. le président.

MaeRµ. - Tout exilé que je suis d'Anvers, il m'est bien permis, je pense, de m'y intéresser encore, d'avoir pour cette ville beaucoup de reconnaissance à raison des témoignages, de confiance qu'elle m'a donnés plusieurs fois, et beaucoup de sympathie à raison de l'importance qu'elle a dans le pays, et du grand nombre d'amis que j'y compte encore.

Je crois donc que mon animation se justifiât assez d'elle-même, quand j'ai entendu qu'on attaquait d'une manière très peu parlementaire la chambre de commerce d'Anvers qui n'était pas ici pour se défendre ; et quand j'ai vu que les autres représentants d'Anvers se taisaient, ne relevaient pas l'accusation d'un de leurs collègues, j'ai cru devoir relever cette accusation comme elle méritait de l'être.

J'ai dit que les assertions de l'honorable M. d'Hane étaient fausses, inexactes, si l'on veut, et je l'ai prouvé. Je ne sais pas si cette preuve a excité le système nerveux de l'honorable M. d'Hane, mais je n'en puis rien.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - J'ai écouté votre démonstration M. le ministre, mais c'est la manière de dire...

MaeRµ. - Si je pouvais prendre des leçons de modération et de convenances parlementaires de M. d'Hane lui-même, je ne demanderais pas mieux que de profiter de ces leçons.

Mais je ne pense pas avoir dépassé les bornes des convenances.

- Plusieurs membres. - Non ! non !

MaeRµ. - Si je l'avais fait, si je m'étais servi d'expressions antiparlementaires l'honorable président me l'eût fait remarquer et je les aurais, à sa demande, immédiatement retirées. Mais il n'en est rien, et M. le président n'est pas plus indulgent pour les ministres que pour les autres membres de la Chambre. Voilà, messieurs, en ce qui concerne la Chambre, ce que j'avais à dire.

- L'incident est clos.

M. Delaetµ. - Messieurs, je ne suis pas fâché de la chaleur, de l'espèce de violence même que M. le ministre des affaires étrangères a mise dans la dernière partie de son discours. Il a recommencé contre la députation d'Anvers le système par lequel nous avons été accueillis à la Chambre. Nos intentions sont suspectées, nous ne savons pas ce qu'il faut à Anvers, c'est chez les amis de M. le ministre des affaires étrangères qu'il nous faut aller à l’école pour savoir ce qui convient à la métropole commerciale ; .c'est chez eux qu'est la loyauté, qu'est la respectabilité, qu'est le sérieux ; tout ce qu'il y a de loyal, de respectable et de sérieux à Anvers ne partage pas notre opinion.

Maintenant, messieurs, réduisons ces grands mots en simple langage parlementaire et disons la valeur de ces adjectifs. Il y a à tout cela un équivalent, un seul, c'est l'adjectif ministériel.

Que l'on soit n'importe qui et n'importe quoi, du moment qu'on est ministériel, qu'on obéit très bien et très vite aux injonctions du cabinet, on est sérieux, respectable et loyal.

- Un membre à gauche. - C'est une insulte cela.

MpVµ. - M. Delaet, je vous prie de ne pas employer d'expressions blessantes.

MfFOµ. - Quels sont ceux qui reçoivent des injonctions du ministère ? A qui cela s'adresse-t-il ?

M. Delaetµ. - Cela s'adresse à tout ce qui est ministériel à Anvers, à tout ce qui est sérieux, loyal et respectable pour vous.

Quiconque à Anvers est opposé au ministère n'est, aux yeux du ministère, ni sérieux, ni respectable, ni loyal. Voilà nettement ce que je vous ai dit. Si j'ai été compris autrement, ce n'est pas ma faute.

On nous accuse d'injurier la chambre de commerce, tout ce qu'il y a de plus respectable, de plus loyal à Anvers, vous connaissez l'équivalent.

Mais cette chambre n'a-t-elle pas protesté contre votre citadelle du Nord et contre vos bastilles ? N'a-t-elle pas protesté avant nous ? N'a-t-elle pas commencé le mouvement anversois ?

M. Bouvierµ. - Cela prouve son impartialité.

M. Delaetµ. - Elle a changé d'idée.

Je n'attaque pas sa loyauté, mais je crois que je puis mettre en doute sa logique.

Les citadelles existent, les inconvénients qu'elle a signalés existent, et elle ne dit plus rien. Je comprends que ce soit très agréable pour le ministère. Je comprends même que des membres de la chambre de commerce croient bien faire, croient être dans la bonne voie, je n'incrimine les intentions de personne, mais en fait il y a là ce qu'on appelle une palinodie. D'ailleurs, la chambre de commerce est un corps institué par le gouvernement ; le commerce n'intervient pour rien dans sa composition.

Si vous voulez avoir l'opinion véritable du commerce, rendez la chambre de commerce élective et vous verrez quelle sera sa manière de voir.

Vous ne l'oseriez pas en ce moment-ci. Si vous étiez favorables à une pareille mesure, vous attendriez pour la prendre que la chambre de commerce ne pût plus vous contredire et vous combattre sur la question des citadelles.

On vient nous dire : « De quoi vous plaignez-vous ? Pourquoi ne dites-vous pas que le port d'Anvers est prospère ? »

Messieurs, entendons-nous ; les bons comptes font les bons amis ; nous ne serons guère amis du ministère, mais cela ne nous empêche pas de régler quelque peu nos comptes de temps en temps.

Nous ne disons pas qu'Anvers n'a pas progressé, mais qu'Anvers est déchu du rang qu'il occupait ; qu'au lieu de venir, comme autrefois, en troisième ou en quatrième rang, il vient aujourd'hui en douzième rang.

- Voix à gauche. - C'est la faute d'Anvers.

M. Delaetµ. - Est-ce la faute du gouvernement ? Est-ce la faute d'Anvers ? Est-ce la faute de l'intérieur ? Est-ce la faute de certains districts industriels belges qui, au lieu d'aller à Anvers, vont à Rotterdam ? (Interruption.) Je ne fais pas comme M. le ministre des affaires étrangères, je ne défends pas tout ce que font mes amis.

Avant-hier j'ai parlé contre la pêche, bien qu'Anvers aussi soit un port de pêche. A Anvers, nous sommes tellement égoïstes, que nous (page 81) croyons que la vérité seule peut nous servir et que nous désirons que la lumière se fasse sur toutes choses. Nous ne craignons pas la lumière, nous ne voulons pas la mettre sous le boisseau, et quand on viendra nous prouver que le commerce d'Anvers ne fait pas tout ce qu'il peut pour attirer les transports, je blâmerai le commerce d'Anvers.

Je ne suis pas venu dans cette enceinte pour flatter qui que ce soit, j'y suis venu pour travailler à faire tomber les citadelles, et le jour où les citadelles tomberont, j'en prends ici l'engagement formel, je sortirai de la Chambre. (Interruption.) S'il y a sur les bancs, en face de moi, des membres qui ne comprennent pas cette abnégation, je ne leur en fais pas un crime.

Le gouvernement dit : « J'ai fait pour Anvers tout ce que j'ai pu ; il n'y a pas de ma faute. » Eh oui, il y a de votre faute. Vous avez même commis une très grosse faute dont vous vous vantez même et à l'occasion de laquelle vous avez fait faire des fêtes par la chambre de commerce d'Anvers où, par parenthèse, il y a très peu d'Anversois. Cet affranchissement de l'Escaut pour lequel on vous a fait des fêtes, pour lequel M. Rogier veut monter au Capitole, qu'est-ce en réalité et quels en sont les rétroactes ? C'est le prix de la perte de notre transit.

La Hollande a aboli les droits de tonnage et diminué les droits de pilotage, dans le but d'attirer le transit d'Anvers à Rotterdam. Comme l'honorable M. Vilain XIIII avait déjà eu, à cette époque, l'idée de faire, au point de vue du trésor public belge, le rachat du péage de l'Escaut, qui est, financièrement parlant, une bonne mesure, on a dit : « Si nous imitons la Hollande, il est vrai que nous conserverons le transit à Anvers, mais par contre nous ne pourrons dégrever le trésor public du péage de l'Escaut ». L'opération du rachat, je le répète, est bonne au point de vue du trésor ; au point de vue national je ne la blâmerai pas ; mais faire considérer comme un bienfait pour Anvers ce qui n'est qu'un bienfait pour le trésor public, bienfait que nous avons payé de notre transit, c'est ce que je trouve ébouriffant.

Nous qui ne sommes ni respectables ni sérieux, nous avons été étonnés de l'audace avec laquelle on a changé de colonne ce poste de notre compte.

Maintenant qu'a-t-on fait à Anvers ? A-t-on blâmé le rachat du péage ? Pas le moins du monde. Oa n'a jamais dit que ce fût là une mauvaise mesure, seulement on a dit : Comme nous avons payé cette mesure d'une partie de notre prospérité, comme c'est une dette qu'on nous paye aujourd'hui lorsque nous avons perdu le commerce de transit, au lieu de la payer il y a huit ans, alors qu'elle devait nous assurer la conservation de ce commerce, il n'y a pas lieu de faire des fêtes, il n'y a pas lieu de décerner les honneurs du triomphe à M. Rogier, qui a eu le bonheur d'hériter et de profiter d’une idée de M. Vilain XIIII.

Que demande Anvers au gouvernement, maintenant que les amis mêmes de M. le ministre des affaires étrangères y sont un peu convertis aux idées de libre échange qu'ils n'ont pas toujours partagées ?

Le commerce d'Anvers, comme du reste toutes les industries du pays, à une certaine époque, a un peu reçu de primes et de secours gouvernementaux. Un tel appui n'aide guère. Ce qu'il faut au commerce, c'est que l'on diminue les impôts le plus possible.

On demande à notre métropole de développer toute son énergie. C'est parfait et nous ne demandons pas mieux. Mais il ne faut pas se permettre alors de la charger d'entraves, de laisser subsister une foule d'obstacles nés de la protection et qu'on a négligé de faire disparaître quand a disparu la protection.

On nous a dit : Construisez des navires, à l'époque même où les matières premières pour la construction demeuraient grevées de droits élevés. On les a fait disparaître en majeure partie, de plus vous avez pris une autre mesure : vous avez laissé entrer en franchise de droits les navires étrangers, et vous avez très bien fait.

Vos amis, M. le ministre, vos amis, si loyaux, si respectables, si sérieux ont dit que je m'y étais opposé ; il n'en est rien, et vous le savez. Seulement je vous ai dit : « Votre mesure n'est pas complète. » Elle ne l'est pas encore aujourd'hui. Il y a là pour les marins belges une évidente injustice. Vous admettez, et vous faites bien, vous admettez les capitaines étrangers avec les diplômes qu'ils reçoivent dans leur pays.

Cela vous suffit désormais pour leur permettre de monter comme chefs et commandants de navires belges. Mais les marins belges, comment les traitez-vous ? Vous les astreignez à des examens difficiles, à des examens tellement chargés, qu'une fois en mer, ce que les capitaines ont à faire de mieux, c'est d'oublier une partie de ce qu'ils ont appris pour remplacer par la pratique vos excès de théorie. Et ceux qui font cela, ce sont les meilleurs ; les autres ne deviennent jamais de vrais marins. Eh bien, il se fait que les capitaines belges sont dans une position d'infériorité énorme et que vous aurez ce singulier phénomène d'avoir eu des capitaines lorsque vous n'aviez pas de navires et de n'avoir plus de capitaines lorsque vous aurez des navires.

Voilà comment vous agissez avec intelligence, et j'espère que vos amis vous disent ce que je vous dis. Comme il n'y a là rien de politique, qu'il n'y a pas de cause ministérielle à sauvegarder, il n'y a pas de raison pour que nous ne soyons pas d'accord.

Je ne comptais pas prendre part à cette discussion. La Chambre comprendra que, peu préparé comme je le suis, je n'apporte pas de chiffres. Si nous pouvions remettre la discussion à mardi, j'aurais le temps de faire pour moi ce que le ministre a pu faire faire pour lui, c'est-à-dire puiser des chiffres dans les statistiques.

MaeRµ. - Vous le ferez au chapitre du commerce, si vous le voulez.

M. Delaetµ. - J'accepte, et j'abrège.

M. le ministre a des principes, mais ce sont des principes très vagues. Je n'aborderai pas de questions de fait ; nous pourrons le faire au chapitre du commerce. Il dit : Il faut une intervention modérée. Mais qu'est-ce qu'une intervention modérée ? Je ne veux pas du tout de l'intervention de l'Etat ; et si vous voulez faire pour Anvers tout ce que nous pouvons espérer de vous, ne vous mêlez pas de nous.

Anvers vous dit ce que Diogène disait à Alexandre : Otez-vous de mon soleil et laissez-moi faire ; votre ombre ministérielle est mortelle à tout ce qui doit vivre de liberté. (Interruption.)

M. Bouvierµ. - L'ombre cléricale est meilleure !

M. Delaetµ. - Je n'ai plus qu'un mot à dire et ceci pour répondre à quelques-unes de ces grandes phrases qu'affectionne, paraît-il, M. le ministre des affaires étrangères, mais qui, malheureusement pour lui, peuvent être mises dans ma bouche comme dans la sienne. M. le ministre, vous nous avez dit qu'Anvers ne doit pas se plaindre de voir le pays prospère, qu'Anvers ne doit pas se plaindre de voir les ports voisins prospères. Eh ! mon Dieu ! Anvers sait, comme quiconque a étudié un peu d'économie politique, que la richesse du voisin augmente la nôtre et ne la diminue en rien. Anvers désire que le pays soit prospère et Anvers fera pour cela sa part de besogne. Que les autres ports soient prospères, Anvers ne s'en plaindra pas ; mais Anvers demande qu'on ne mette pas d'entraves à sa prospérité.

Et ces entraves, quelles sont-elles encore aujourd'hui ? C'est une entrave économique dont nous parlerons au chapitre du commerce ; et puis c'est l'entrave militaire. Selon vous, nous ne devrions pas dire que cela nous gêne, nous ne devrions pas dire qu'il y a là un danger. En le disant, nous faisons tort au port d'Anvers, nous sommes les ennemis de la prospérité d'Anvers.

Vous voudriez bien faire accroire cela, je n'en doute point ; mais si Anvers manque de respectabilité et d'honorabilité à vos yeux, Anvers ne manquera pas d'intelligence et Anvers ne vous croit pas.

MaeRµ. - Il y a deux Anvers.

M. Delaetµ. - Il y a l'Anvers légal, l'Anvers qui vous écrase sous ses votes, et vous insultez à la Constitution quand vous tenez plus de compte de l'Anvers ministériel que de l'Anvers parlementaire.

Maintenant, croyez-vous que les étrangers soient aveugles, qu'ils n'aient ni yeux ni intelligence, et que, dans l'Europe entière et dans le monde entier, l'on ne sache pas à quel rôle est destinée la citadelle d'Anvers ?

Si M. le ministre des affaires étrangères parlait un peu le hollandais (s'il parle français on se montrera probablement plus réservé) ; mais s'il parlait un peu le hollandais et qu'il se rendît à Rotterdam, on lui dirait que l'on y est enchanté de la Belgique, que la Belgique a la bonté de couvrir la Hollande au détriment de son premier port, à la décharge et au profit de Rotterdam. Mais on lui avouerait en même temps ne pas comprendre que la Belgique ait consenti à faire ce sacrifice énorme.

Voici, messieurs, un fait récent relatif à Rotterdam.

La ville de Rotterdam avait quelques soldats ; fort peu, une centaine, je pense, et ce peu la gênait encore, et lorsque le ministre de la guerre l'a invitée à construire une caserne pour cette petite garnison, elle a refusé. Le ministère l'a menacée de retirer la garnison. La ville a répondu qu'elle ne demandait pas mieux ; qu'elle se verrait avec reconnaissance enlever le dernier soldat, attendu que, comme le disait déjà Hooft dans son histoire de la Néerlande publiée en 1842, rien n'est antipathique comme le marin et le militaire ; que le commerce et la guerre ne vont pas ensemble et ne peuvent vivre sous le même toit.

Et où Hooft avait puisé cette maxime ? Dans une pétition du magistrat d'Anvers, adressée, en 1566, à Marguerite de Parme, gouvernante des Pays-Bas.

Messieurs, l'esprit d'Anvers n'a pas changé, Anvers sent encore la (page 82) vérité de ces paroles et soyez-en heureux. Car cela prouve que nos traditions nationales ne sont pas encore minées par des traditions étrangères et centralisatrices, comme tout ce que le gouvernement a fait depuis 1830, et ici je n'excepte personne, pourrait vous le faire redouter.

M. Vermeireµ. - Messieurs, je n'ai que quelques observations à présenter.

Je regrette, pour ma part, la discussion à laquelle on vient de se livrer. Je ne pourrais applaudir aux assertions qui ont été émises en ce qui concerne la décadence du port d'Anvers. Je dois à la vérité de dire que j'ai constaté avec bonheur que, loin de décroître, le mouvement commercial à Anvers a augmenté dans les limites du possible. Toutes les comparaisons auxquelles on s'est livré n'ont, d'après moi, aucune raison d'être, en ce sens que si l'on compare le mouvement ascendant du port d'Anvers au mouvement ascendant du port de Boulogne, par exemple, on doit faire entrer en ligne de compte, pour établir la comparaison, l'examen des éléments qui constituent l'accroissement réciproque.

Ainsi, l'on vient de comparer le mouvement ascendant du port d'Anvers en 1829 et en 1831 comparativement à 1848.

Si l'on prend l'année 1829, il est certain que l'accroissement ne peut pas être considérable, parce que l'année 1829 est considérée comme l'une des plus prospères du gouvernement des Pays-Bas en ce qui concerne le port d'Anvers. Effectivement, en 1829, il y avait un mouvement considérable du chef des importations directes des Indes.

1831, au contraire, était une année très mauvaise. C'était l'année qui suivait immédiatement la révolution et évidemment le mouvement commercial de 1831 ne pouvait être celui de 1829.

Il faut donc voir si, dans la comparaison qu'on veut établir, les éléments sont les mêmes pour les deux époques.

Ce qui est certain, c'est que le mouvement maritime d'Anvers a considérablement augmenté, et ce qui est certain aussi, c'est que les constructions militaires qu'on y a faites ne peuvent pas affecter ce mouvement.

Et en effet, quelles raisons y aurait-il de ne pas faire des consignations ou des expéditions sur Anvers, alors qu'on en fait sur les ports étrangers qui ne sont pas moins armés que le port d'Anvers ?

M. Delaetµ. - Pas du tout.

MfFOµ. - Les principaux ports de commerce sont fortifiés.

M. Coomans. - Non.

MfFOµ. - J'en ai donné une longue liste.

M. Vermeireµ. - Je crois ne pas me tromper en disant que beaucoup de ports de commerce sont fortifiés. Si je me trompe, on le dira.

Je maintiens donc que ce serait, d'après moi, discréditer le commerce belge que d'aller chanter constamment partout que les expéditions que l'on fait sur Anvers ne sont pas dans une sécurité assez grande pour y être admis.

En ce qui concerne le statu quo du mouvement maritime d'Anvers, nous pouvons encore faire entrer en ligne de compte un élément qui est essentiel ; c'est que, depuis la guerre d'Amérique, nous n'avons plus en aussi grand nombre les importations de coton qui constituent une partie essentielle des exportations à Anvers.

Nous ne voyons plus ces beaux trois-mâts américains... (Interruption.) Vous en avez encore, nais vous n'en avez plus en aussi grand nombre que vous en aviez avant la guerre. C'est un fait incontestable. Si vous voyez les chiffres statistiques à cet égard, vous reconnaîtrez qu'ils confirment mon assertion.

C'est donc encore un motif pour lequel le mouvement maritime à Anvers est moins considérable.

M. Rodenbachµ. - C'est partout comme cela.

M. Vermeireµ. - Sans doute. Je veux seulement constater que ces circonstances ont arrêté le mouvement ascendant des importations.

Je crois qu'à Anvers aussi bien que dans toutes les autres villes de commerce, l'on tâche d'avoir le plus grand nombre d'importations possible, et pour obtenir ces importations, nous aurions tort de croire à un danger, alors que ce danger n'est pas imminent, qu'il est éloigné de nous et qu'il ne se présentera même pas, si nous pouvons conserver la paix.

M. Coomans. - Messieurs, il résulte des explications fournies par l'honorable ministre des affaires étrangères, que les agents du gouvernement belge continuent à percevoir des droits de chancellerie et de visa, au détriment des voyageurs étrangers et même des voyageurs belges.

M. le ministre des affaires étrangères me fait un signe de dénégation ; je croyais cependant lui avoir entendu dire que les droits de chancellerie sont encore perçus dans certains pays, en attendant le régime de réciprocité, et que nos consuls continuent à percevoir à leur profit des droits de visa.

MaeRµ. - Me permettez-vous de dire un mot ?

M. Coomans. - Volontiers.

MaeRµ. - Il y a deux genres de droits perçus ; les uns le sont par nos consuls, à raison de certains services qu'ils rendent ; ils légalisent, par exemple, une multitude d'actes ; de ce chef, ils perçoivent des droits comme prix de leur peine. Ces droits ne rentrent pas au trésor. Il y a en second lieu les droits de chancellerie ; ces droits étaient perçus autrefois par nos agents diplomatiques pour le visa des passe-ports ; le passe-port n'étant plus requis, ils ne reçoivent plus rien de ce chef. Quant au visa pour légalisation, il est encore passible de droits, mais seulement vis-à-vis des sujets ressortissants au gouvernement français, qui continue à percevoir encore des frais de chancellerie.

M. Coomans. - Je remercie M. le ministre des affaires étrangères de ses explications qui, du reste, confirment ma pensée. Je voulais en arriver à cette conclusion-ci : qu'il y a lieu de supprimer tous les droits de chancellerie et tous les droits de visa, hormis dans certains cas particuliers où des services réels sont rendus aux personnes qui réclament l'intervention de nos agents diplomatiques ou consulaires.

Ainsi, pour certaines légalisations je concevrais la taxe. Mais ce que je ne conçois pas, ce que personne ne peut concevoir ni approuver, c'est que nos consuls continuent à percevoir un droit de visa sur les passeports, au détriment des voyageurs belges.

Voilà le fait. Il m'est affirmé. L'honorable ministre des affaires étrangères doit le connaître mieux que moi. Un Belge se présente chez un consul belge pour viser son passe-port ; le consul lui prend 6 à 8 francs. M. le ministre des affaires étrangères me fait un signe d'assentiment. Eh bien, il me paraît que c'est là un abus ; c'est dans tous les cas un acte illogique.

Nos consuls sont institués dans l'intérêt de nos concitoyens ; ils sont institués afin de faciliter les voyages et les opérations commerciales de nos compatriotes, et je trouve fâcheux que lorsqu'un Belge surtout désire le visa d'un consul belge, celui-ci lui fasse payer la somme de 6 à 8 fr. ; et qui se fait tous les jours.

Je voudrais que nos consuls rendissent des services absolument gratuits ; je voudrais surtout qu'ils rendissent gratuitement ces services aux pauvres et non seulement aux riches. Or, c'est l'inverse qui a lieu.

Ici, je pourrais citer plusieurs anecdotes très authentiques ; une seule suffira. Me trouvant un jour dans la triste nécessité d'avoir trois visas au moins sur mon passe-port pour sortir d'une ville d'Italie, je me soumis à cette formalité ridicule et je fus, une heure après, fort surpris d'apprendre qu'un quatrième visa m'était nécessaire, le visa du consul belge ; le commandant du bateau sur lequel j'avais déjà retenu et payé ma place me disait que si je ne me munissais pas de ce visa, je ne pourrais pas sortir de la ville.

Je ne comprenais pas quel intérêt le gouvernement dans les domaines duquel je me trouvais pouvait avoir à m'empêcher de sortir de cette ville sans la permission de mon consul. Mais enfin je dus me résigner ; je me rendis donc chez le consul belge, non moins honorable que tous les autres, mais très scrupuleux sur la recette. Le premier mot qu'il me dit, même sans ouvrir mon passe-port, est celui-ci : « Mettez à six francs... » Je lui réponds : « Je suis Belge, vous êtes mon tuteur ici, votre devoir est de me tirer d'embarras sans me rançonner. Dans deux heures, je dois sortir de la ville ; ma place est payée ; veuillez viser mon passe-port. » Il réplique : « Je viserai votre passe-port si vous me payez, sinon non. » Je reprends : « C'est forcément que j'ai l'honneur de faire votre connaissance. Je ne vous payerai pas ces 6 francs ; vous ne viserez pas mon passe-port, si vous voulez ; mais je vous rends responsable de ce qui peut résulter de votre refus. » Je mets mon chapeau une minute après qu'il s'est couvert du sien, et je veux reprendre alors mon passe-port ; il l'ouvre et il me dit en se découvrant : « Mais vous êtes membre de la Chambre des représentants ! que ne me le disiez-vous plus tôt ? vous n'auriez rien payé. » « Comment ! répliquai-je ; ma protestation devient plus sérieuse que jamais. Si vous aviez à faire payer ces 6 fr. par qui que ce soit, c'était plutôt par moi que par les ouvriers belges qui se tiennent dans cette ville. » Il a assez bien reçu cette leçon.

A mon retour, je me suis expliqué avec M, le ministre des affaires étrangères d'alors, M. le comte Vilain XIIII ; il m'a exprimé son regret que (page 83) nos consuls perçussent des droits de passeport et de visa au détriment des Be'ges, et a bien voulu me déclarer qu'il prendrait des mesures en conséquence. Je crois me souvenir que M. le ministre des affaires étrangères s'est expliqué dans ce sens à l'égard des consuls belges.

M. Vilain XIIII. - Il y a un tarif.

M. Coomans. - C'est parce qu'il y a un tarif, que je réclame.

A quoi bon toutes ces entraves, surtout appliquées dans le sens aristocratique que je viens d'indiquer ? Mon expérience me persuade que les voyageurs plus ou moins officiels, surtout les grands et les riches, n'acquittent guère ce droit-là. C'est toujours l'histoire des grosses mouches, qui ne passent que irop souvent par les toiles, en les déchirant, tandis que les petites mouches y sont prises.

Je désirerais donc que la Chambre émît au moins un vœu en faveur de l'abrogation des droits de visa perçus par nos consuls sur nos compatriotes. Je voudrais même que ces droits fussent abolis à l'égard des voyageurs étrangers, A quoi bon enlever quelques francs à des étrangers qui se disposent à venir visiter la Belgique ? Je serais plutôt disposé à leur offrir une prime.

Je m'étends un peu sur ce point parce que je reconnais que M. le ministre des affaires étrangères s'en est occupé avec sympathie. Je crois avoir compris qu'il désirait lui-même la suppression de tous ces droits.

Ceci me ramène à l'argument, au seul argument que M. le ministre m'a opposé : c'est l'absence de réciprocité.

Nous maintiendrons, semble-t-il dire, nos droits de chancellerie et de visa jusqu'à ce que l'étranger les ait abolis. Mais, messieurs, si l'étranger a tort, est-ceune raison pour que nous ayons tort aussi. A mon avis, c'est surtout dans une circonstance comme celle-ci que la réciprocité des représailles est une très mauvaise chose. Et puis, cela ne rapporte guère. 3,000 à 4,000 francs de droits de chancellerie ne valent vraiment pas la peine que nous fassions une exception aussi fâcheuse.

Je désire donc que le gouvernement belge donne l'exemple et qu'il renonce à la perception des droits de chancellerie, et quand il y aura renoncé, comme il aura causé par là une perte au trésor, il aura un excellent argument à opposer aux consuls belges, lorsqu'il les invitera, et, au besoin lorsqu'il les forcera à renoncer aux droits de visa.

Messieurs ces droits de visa sont encore très considérables ; il ne s'agit pas ici de 3,000 à 4,000 fr. ; je suis persuadé que les droits de visa perçus par et pour nos consuls à l'étranger s'élèvent à des sommes très considérables.

Le droit n'est que de quatre, six à huit francs, je le sais ; mais il se reproduit souvent. Les fonctions des consuls sont quasi des fonctions judiciaires ; eh bien, la justice devrait être rendue gratuitement à l'étranger : nulle part le Belge n'a autant besoin de protection que lorsqu'il est à l'étranger et cependant c'est ce moment-la précisément que nos propres consuls choisissent pour le soumettre à un impôt qui sent le moyen-âge de dix siècles.

Je suis persuadé que M. le ministre, en examinant la question de plus près, pourra me donner satisfaction à la double demande que voici :

1° De renoncer à tous droits de chancellerie, même envers les pays qui en perçoivent encore ;

2° D'interdire formellement à nos consuls à l'étranger de continuer à exploiter les voyageurs belges.

M. Vilain XIIII. - Alors il faudra les payer.

M. Coomans. - L'honorable comte Vilain XIIII me met dans une sorte d'impasse. Je ne désire pas payer les consuls et je ne veux surtout pas les payer moi-même. ; par conséquent, si je devais absolument choisir, je n'aurais pas grande difficulté à faire connaître ma préférence ; mais j'aime autant : ou qu'on supprime l'intervention des consuls, ce qui n'est pas absolument nécessaire, ou qu'on supprime la rétribution de la besogne qu'on leur fait faire. Car enfin, messieurs, tous les voyageurs ont à se plaindre, j'en suis persuadé, du fait que je signale. Aujourd'hui je le reconnais, les choses se sont un peu améliorées, mais il y a cinq ans à peine que les frais de chancellerie et de visa emportaient à peu près 5 ou 6 p. c. de la somme totale que les voyageurs dépensaient en deux mois à l'étranger.

C'est un impôt beaucoup trop élevé, et encore une fois, eu égard au très petit chiffre qu'il rapporte au trésor, et à l'inutilité des formalité consulaires, je voudrais qu'on le supprimât immédiatement.

MaeRµ. - L'honorable préopinant vient d'entretenir la Chambre un peu longuement de questions qui n'ont pas, au fond, une grande importance. Cependant, je lui sais gré d'avoir bien voulu, par l'agrément de ses récits, rafraîchir un peu notre discussion.

L'honorable membre nous a raconté encore aujourd'hui une de ses pérégrinations, et vraiment il a du malheur dans ses voyages ; il lui arrive toujours quelque accident.

L'année dernière, il nous a raconté une autre histoire encore plus émouvante que celle-ci.

C'est en Hollande, je crois, que l'histoire lui était arrivée. Cette fois, c'est à Rome.

M. Coomans. - Je n'ai pas cité Rome ; j'ai dit : Une grande ville d'Italie ; et si je ne l'ai pas nommée, c'est par un sentiment de discrétion facile à comprendre.

MaeRµ. - Je pensais que c'était à Rome. Mais il paraît que l'aventure lui est arrivée dans une grande ville d'Italie.

M. Coomans. - Et ce n'était pas une ville cléricale. (Interruption.)

MaeRµ. - Tant mieux pour elle.

C'était donc dans une grande ville d'Italie non cléricale. L'honorable membre, sentant le besoin de faire viser son passe-port... (Interruption.)

M. Coomans. - Pas le moins du monde.

MaeRµ. - Eh bien, je rectifie : L'honorable membre ayant appris que l'autorité de cette grande ville d'Italie, non cléricale, exigeait que le visa des passeports belges fût délivré par le consul, se présente chez cet agent. Je ne serai peut-être pas aussi pittoresque que l'honorable membre en rappelant son récit, mais du moins je serai plus court.

Le consul lui dit : « Voilà mon visa, payez-moi. »

M. Coomans. - Non ! non ! Ce n'est pas ainsi ; il exigeait le payement anticipé.

MaeRµ. - Ah !

Le consul vous a donc dit : Commencez par payer et vous aurez mon visa.

M. Coomans. - C'est cela !

MaeRµ. - L'honorable membre répond : Je ne vous donnerai rien et vous me donnerez votre visa. Le consul réplique : Je ne vous le donnerai pas. Et là-dessus l'honorable député de Turnhout revêt sa robe prétorienne, sa toge de représentant.

M. Coomans. - Un simple paletot. (Bruyante interruption.)

MaeRµ. - L'honorable membre se drape en représentant et dit : Je suis représentant du peuple !

M. Coomans. - Du tout ! Vous racontez très mal.

MaeRµ. - Vous n'avez pas invoqué votre qualité de représentant ?

M. Coomans. - Mais non !

MfFOµ. - C'est le consul qui l'a découverte.

MaeRµ. - Soit !

L'honorable membre n'a donc pas invoqué sa qualité de représentant ; mais le consul, en découvrant sur son passe-port que M. Coomans est représentant, s'étonne tout à coup et lui exprime son étonnement.

M. Coomans. - Non !

MaeRµ. - Ses regrets ?

M. Coomans. - Soit. (Interruption.)

MaeRµ. - Je concevrais, messieurs, l'étonnement du consul, parce que le consul connaît la loi. Voyant un législateur belge refuser de lui donner ce que la loi lui alloue, il a dû être surpris qu'une loi à laquelle un législateur avait concouru... (Interruption.)

Elle porte la date du 16 mars 1854, l'honorable M. Coomans était représentant à cette époque.

M. Coomans. - Je ne vote pas toutes les lois.

MaeRµ. - Vous devez connaître et accepter les lois faites par vos collègues. Le consul, voyant un législateur refuser d'exécuter la loi, a dû être très surpris.

Cela explique ce qui s'est passé entre le représentant qui avait oublié la loi et le consul qui la connaissait.

Maintenant le consul a-t-il eu tort d'exiger la somme que la loi lui alloue ? Je ne le crois pas ; le représentant a-t-il eu raison de refuser une somme qui lui était demandée ? Je ne le crois pas.

(page 84) Le premier exécutait la loi comme un soldat exécute sa consigne quand il dit : Vous ne pouvez pas entrer.

L'honorable membre nous a dit qu'un jour il avait dit à un factionnaire qui lui opposait sa consigne : « J'entrerai. »

M. Allard. - Si j'avais été le factionnaire, vous ne seriez pas entré.

MaeRµ. - Si l’on me signalait des droits trop élevés perçus par les consuls et qu'on voulût modifier la loi, je n'y serais pas contraire ; mais quant à supprimer toute indemnité en faveur des consuls qui rendent des services importants et nombreux, je crois que c'est impossible.

Quant à supprimer les consuls ou les formalités qui dépendent de leur ministère, on ne peut pas y songer ; ce serait une mesure désastreuse pour nos concitoyens : un grand nombre sont répandus partout qui ont besoin d'actes de naissance, de mariage, de décès, etc. ; ces actes doivent être visés, légalisés ; nos agents consulaires pour les familles résidant à l'étranger font toutes les démarches nécessaires et se contentent d'une rétribution modérée ; elles devraient sans cela passer par des agents d'affaires, ce qui leur coûterait beaucoup plus de temps et d'argent.

Impossible donc de supprimer, en cette matière, l'intervention de nos agents diplomatiques et consulaires, ce serait désastreux. Quant au tarif, s'il y avait lieu de le ramener à un chiffre plus bas ; ce serait une loi à faire, ou plutôt à réviser, mais nous avons pour le moment des choses plus importantes, plus urgentes à faire que celle-là.

- La discussion générale est close.

Discussion du tableau des crédits

Chapitre premier. Administration centrale

Articles 1 à 3

« Art. 1er. Traitement du Ministre : fr. 21,000. »

- Adopté.


« Art. 2. Traitement du personnel des bureaux : fr. 145,700. »

- Adopté.


« Art. 3. Matériel : fr. 37,000. »

- Adopté.

Article 4

« Art. 4. Achat de décorations de l'ordre de Léopold, sans qu'on puisse augmenter ce chiffre par des imputations sur d’autres articles : fr. 10,000. »

M. Coomans. - A la page 2 du rapport de la section centrale, je lis qu'un assez grand nombre de décorations ont été délivrées cette année à des étrangers sans être insérées au Moniteur belge. Je demande, pour la deuxième ou troisième fois, pourquoi ces arrêtés font exception à la règle légale et ne figurent pas au Moniteur. Je crois que de tels arrêtés doivent figurer au Moniteur ; alors que tant d'autres d'un médiocre intérêt y sont publiés, je ni vois pas pourquoi on ne fait pas connaître les distinctions honorifiques que le gouvernement accorde à l'étranger.

Cela ne peut être qu'honorable pour ceux qui en sont l'objet, tandis qu’il me semble qu'il l'est peu d'être décoré in petto. La publicité prémunit contre la fraude ; nous pouvons nous trouver en présence de personnes portant la décoration belge indûment ; dans ce cas, nous pourrions leur dire, Moniteur en main, qu'elles n’ont pas été décorées, qu’il faut pour cela un arrêté royal, qu’il n’y en a pas dans le Moniteur, etc..

Je prie M. le ministre de vouloir bien m'expliquer pourquoi ces arrêtés royaux décorant des étrangers ne figurent pas au Moniteur, contrairement à la loi. Je demanderai aussi que la liste des décorations décernées dans le courant de cette année, qui est déposée sur le bureau, soit imprimée au Moniteur, au moins dans les documents de 1a Chambre ou aux Annales parlementaires. Je me borne à demander l'indication sommaire des décorés, mais je pourrais exiger l'insertion littérale des arrêtés royaux.

J'ai jeté un coup d'œil sur cette énorme farde et j'ai vu que dans le courant de cette année le gouvernement a déjà donné sept grands cordons, cinq croix de grand officier, onze croix de commandeur, etc., etc. Ne serait-il pas convenable que nous eussions à peu près quel est l'emploi qu'on dit des fonds que nous a votons au budget, pour ce déploiement de luxe honorifique, fonds qui de temps en temps exigeait des suppléments. Je sais gré à l’honorable ministre de ne nous en avoir pas demandé cette année-ci, ce qui me fait croire qu'il y a eu un moment de relâche dans la distribution des décorations. (Interruption.)

Oh ! messieurs, vous connaissez là-dessus mon opinion, Je n'ai jamais blâmé aucun gouvernement d'avoir trop décoré. Je trouve qu'on ne décore pas assez. (Interruption.)

Oui, je trouve qu'on devrait décorer beaucoup plus, faire beaucoup plus d'heureux, parce que cela offre toutes sortes d'avantages, mais à la condition que le trésor public n'en pâtisse pas. J'ai expliqué comme quoi nous pourrions satisfaire bien de braves gens sans bourse délier, en nous bornant à leur adresser des parchemins avec beaucoup de timbres et de sceaux, mais pas autre chose, et chacune de ces personnes se pourvoirait des accessoires nécessaires, rubans, rosette, bijou, etc.

M. Vilain XIIII. - Comme en Grèce.

M. Coomans. - Je trouve qu'en ce point les Grecs ont parfaitement raison.

Je me borne, pour le moment, à demander l'exécution très modérée de cette loi qui porte que tous les arrêtés royaux doivent figurer au Moniteur.

Remarquons que cette insertion au Moniteur est pleinement conforme à la pensée du législateur, qui veut que l'octroi des décorations soit motivé.

Le législateur de 1832 n'a pas permis au gouvernement de décorer sans dire pourquoi. Je sais bien que les motifs ne sont guère développés, qu'ils sont assez monotones, mais enfin c'est quelque chose.

Eh bien, meneurs, la raison qui a dicté au législateur l'obligation de motiver l'octroi des décorations, existe pour les publications des arrêtés royaux. Sous un gouvernement de publicité, de responsabilité, de liberté, de loyauté tel que nous le rêvons, la publicité de tous les actes est obligatoire, rationnelle, utile.

MaeRµ. - Messieurs, en ne publiant pas au Moniteur les décorations accordées à des étrangers, je n'ai fait que me conformer à la tradition invariablement suivie depuis un très grand nombre d'années sous tous mes prédécesseurs.

La section centrale m'a demandé, ii y a deux ans, et je lui ai fournis la liste des personnes qui avaient obtenu des décorations dans le courant de l'année. Par des motifs que vous pouvez apprécier, elle n'a pas cru devoir donner de la publicité à cette liste, en ce qui concerne les étrangers, mais la liste a été déposée sur le bureau, à l'usage des représentants qui peuvent être curieux d'en prendre connaissance.

Il faut le dire, messieurs, il y a, pour les étrangers, deux catégories de distinctions, il y a des distinctions accordées par le gouvernement, à raison d'actes spéciaux et déterminés, il y en a d'autres que j'appellerai de pures gracieusetés.

Ainsi, messieurs, vous n'ignorez pas que la couronne a de nombreuses relations au-dehors. Le Roi est en rapport avec beaucoup de personnages importants en Europe. Les princes sont également en rapport avec de hauts personnages. Eh bien, il arrive au Roi d'accorder la décoration de son ordre à ces personnes. Il faudrait des motifs très graves pour qu'un ministre se refusât à contresigner des distinctions accordées dans de telles circonstances. Ces distinctions appartiennent généralement à des grades élevés parce qu'elles s'adressent à des personnages occupant une haute position.

Y a-t-il grand intérêt pour le public à ce que ces distinctions soient insérées au Moniteur ? Je ne le crois pas. (Interruption.)

Certaines raisons même nous disent qu'il vaut mieux qu'il n'en soit pas ainsi. Les décorations excitent généralement de grands, de nombreux appétits, je ne dirai pas en Belgique, mais à l'étranger. Il serait à craindre que la publication au Moniteur ne poussât encore beaucoup plus loin ces appétits à l'étranger et ne soulevât quelquefois dans le pays des jalousies, des rivalités.

Voilà, messieurs, des raisons pratiques qui s'opposent à ce que l'on donne de la publicité à ces sortes de distinction qui sont d'ailleurs publiées dans un recueil spécial.

Il y a aussi les distinctions qui se donnent à raison des relations entre les cabinets. Ainsi à l'occasion d'un traité, l'usage est qu'il y ait un échange de décorations entre les personnages qui ont pris part au traité.

C'est un usage consacré dans tous les temps et dans tous les pays, et auquel il serait impossible de se soustraire. Il est des circonstances où ces échanges se sont multipliés ; par exemple à l'occasion de l'acte du rachat du péage de l'Escaut. Il y a eu des traités avec toutes les puissances et des échanges de décorations.

On a bien voulu dire qu'à l'intérieur on n'abusait pas des décorations, qu'on n'en donnait pas assez. Je ne suis pas, sur ce dernier point, de l'avis (page 85) de l'honorable M. Coomans, je trouve qu'on en donne assez à l'intérieur, en se renfermant autant que possible dans les limites du budget, qui sont assez restreintes. Je crois cependant qu'il convient que le chiffre reste tel qu'il est, car il est quelquefois une arme défensive dans les mains du ministre contre les attaques qu'il doit subir de la part de nombre de Belges et d'étrangers qui tirent à boulets rouges sur le budget des affaires étrangères et disent : Qu'est-ce que la dépense d'un ruban ? Quand je puis dire que nos crédits sont épuisés et que je n'oserais pas demander un crédit supplémentaire à la Chambre, on m'écoute et l'on prend patience.

On a suggéré un moyen d'économiser et de donner plus de distinctions sans bourse délier, ce serait de donner des décorations en carton. Eh bien, ce serait un très mauvais système, car alors vous n'auriez plus l'objection de la dépense, l'objection de la limite du budget, et l'on viendrait vous dire : Puisque cela ne vous coûte rien, donnez-nous une décoration en carton et nous nous chargerons d'en faire faire une autre. On pourrait vous citer des gens qui s'offrent à payer les décorations et à les payer même beaucoup plus cher qu'elles ne valent. Vous auriez un beaucoup plus grand nombre de prétentions, et le gouvernement serait plus désarmé qu'il ne l'est.

Maintenant est-il convenable de distribuer des décorations en carton aux gouvernements qui nous en accordent en métal ? Cela ne serait pas convenable. Il faut les payer de la même monnaie. Tout au plus pourriez-vous prendre une telle mesure envers les gouvernements qui délivrent des décorations en carton. Mais l'honorable M. Coomans n'est pas pour les représailles, il vient de nous conseiller de ne pas en user pour les droits de visa.

Messieurs, je crois devoir m'arrêter. La question ne vaut pas de plus longs développements.

- L'article 4 est adopté.

Chapitre II. Légations. Traitements des chefs de mission, des conseillers ou secrétaires et frais de chancellerie

Article 5 à 9

« Art. 5. Autriche : fr. 51,500. »

- Adopté.


« Art. 6. Confédération germanique : fr. 38,500. »

- Adopté.


« Art. 7. France : fr. 58,000. »

- Adopté.


« Art. 8. Grande-Bretagne : fr. 71,000. »

- Adopté.


« Art. 9. Italie : fr. 58,500. »

- Adopté.

Article 10

« Art. 10. Mexique : fr. 42,000. »

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Messieurs, s'il s'agissait de voter un premier budget des affaires étrangères et d'organiser notre corps diplomatique, je comprendrais parfaitement que, dans une pensée d'économie et sans méconnaître ce qui est dû à la dignité du pays, on recherchât avec soin quelles limites l'on peut poser au développement de nos missions politiques et quelle extension il faut donner à des consulats fondés dans un but exclusivement commercial.

Aujourd'hui, nous nous trouvons devant une situation qui remonte à un grand nombre d'années, et pour ma part je juge qu'en tenant compte de cette situation, la mission qu'il y a lieu d'établir au Mexique est aussi importante, plus importante peut-être que plusieurs de celles que l'on rencontre soit en Amérique, soit même en Europe.

Lorsqu'il y a un peu plus de deux mois, la Chambre a discuté un ordre du jour proposé par l'honorable M. Coomans, qui blâmait la création quasi officielle d'une légion mexicaine, il m'a paru qu'un principe essentiel de notre droit public avait été sérieusement méconnu et que, d'autre part, il en résulterait des charges nouvelles, des charges regrettables pour ceux de nos miliciens qui pouvaient avoir droit à un congé. J'ai donc voté sans hésitation l'ordre du jour proposé par M. Coomans, tout en formant le vœu que bientôt, grâce à l'initiative parlementaire, partît de nos bancs une proposition tendante à modifier l'article 21 du Code civil de manière à dégager la responsabilité du gouvernement et à assurer la liberté des individus.

MfFOµ. - Cette initiative viendra de nous.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Je remercie M. le ministre de cette déclaration.

Mais j'étais loin de partager l'opinion de quelques honorables membres qui, en appréciant la cause qu'allait défendre la légion mexicaine, l'appelaient une cause antipopulaire, antinationale. Je m'étonne que cess honorables orateurs, qui savent aussi bien que moi que la Belgique, elle aussi, eut à subir la domination espagnole, aient voulu voir le peuple mexicain dans les descendants des envahisseurs.

Quant à moi, je me sens fier et honoré pour mon pays, quand j'entends une princesse, descendue des marches de notre trône, mêler sa voix à celle de l'empereur du Mexique pour saluer, après trois siècles de malheurs et de désastres pour la race indienne, le réveil de la vraie, de l'antique nationalité mexicaine ; et si demain, l'article 21 du Code civil étant modifié, des jeunes gens agissant spontanément et en dehors des rangs de notre armée, se décident à traverser les mers, pour donner une nouvelle preuve de notre aptitude militaire, je les féliciterai de servir en même temps une cause de civilisation et de progrès.

Je m'applaudirai aussi, dans l'intérêt de notre commerce et de notre industrie, de voir s'ouvrir aux produits de notre travail un immense territoire qui lui offrira en échange ces richesses agricoles et métallurgiques dont la nature a doté ce pays à un degré si merveilleux.

J'ajoute un dernier mot, messieurs. Le gouvernement du Mexique est appelé à un rôle de neutralité pacifique comme le nôtre. Comme le nôtre, il a adopté pour base des institutions constitutionnelles, et j'espère que dans un avenir peu éloigné, de même que les deux dynasties sont unies par des liens étroits, nous verrons aussi se cimenter entre la Belgique et le Mexique des relations fondées sur des sympathies mutuelles et des intérêts communs.

Je voterai le crédit sollicité par le gouvernement, en me réservant d'entendre les explications de M. le ministre des affaires étrangères quant au chiffre de ce crédit.

M. Gobletµ. - Je ne croyais pas qu'un débat politique serait soulevé à propos du chiffre de 42,000 fr. demandé pour la mission du Mexique. Mais permettez-moi de répondre quelques' mots aux paroles que vous venez d'entendre et que l'honorable M. Kervyn de Lettenhove aurait bien mieux fait de prononcer dans la discussion d'un incident qui se rapportait tout à fait au Mexique. Cet incident avait été soulevé à propos de la participation de notre gouvernement à l'envoi d'une expédition.

Je veux bien croire la conviction de l'honorable M. Ketvyn parfaitement sincère. S'il pense que les Mexicains sont sous le meilleur des gouvernements possible, s'il prétend qu'ils ont fait seuls une révolution, je puis admettre cette conviction. Cependant il me semble incontestable que les Mexicains ont été considérablement aidés par les étrangers.

M. de Mérode. - Comme nous.

M. Gobletµ. - Non pas comme nous, et je conserve de mon côté mon opinion. Je ne crois pas qu'on ait implanté au Mexique beaucoup de libertés.

Les baïonnettes qui se trouvent encore à Mexico n'ont jamais été des plus constitutionnelles. Du reste, je trouve que cela ne nous regarde guère.

Pour le moment, contentons-nous de voter les 42,000 fr. demandés, si tel est notre avis, mais n'amenons pas un débat qui n'est nullement en son lieu et place.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Dans la séance d'hier, j'ai eu occasion de m'expliquer au sujet du Mexique, et je crois m'être rencontré parfaitement avec l'honorable M. Rogier en déclarant que, quant à moi, je ne voyais pas qu'il fût précisément nécessaire de réduire nos postes diplomatiques, et que je reconnaissais également que quelques-uns de ces postes sont trop peu payés.

Ainsi j'ai établi un parallèle entre le poste du Mexique et celui de Rio. M. le ministre des affaires étrangères voudra bien reconnaître avec moi que ce dernier poste est aussi important que le premier ; la forme gouvernementale est la même : un empereur règne au Brésil, où sa famille se trouve déjà depuis 36 ans ; c'est un gouvernement parfaitement assis : je pense que le ministre de Belgique à Rio doit avoir le même traitement que le ministre de Belgique à Mexico.

L'année prochaine, messieurs, le budget des affaires étrangères doit être modifié ; et, comme beaucoup de nos ministres ont des droits à peu près semblables, nous pourrions prendre alors une mesure générale qui ne froisserait personne. C'est pour cela que j'ai annoncé hier que je m'opposais au vote des 42,000 fr. demandés. Mais rien ne s'opposerait à ce qu'on les votât pour le ministre de Mexico si l'on votait le même chiffre pour le ministre de Rio.

MaeRµ. - Je prends note du vœu exprimé par l'honorable député d'Anvers. Il s'agit de savoir jusqu'à quel point sa manière de voir est partagée par les autres (page 86) membres de la Chambre. Je voudrais que l'on s'en expliquât ; il en résulterait pour moi une direction plus complète.

Maintenant le chiffre de 42,000 fr. pour Mexico n'est pas contesté ; je fais observer au surplus que notre ministre à Mexico n'est pas, comme on l'a dit, un ministre résidant ; c'est un ministre plénipotentiaire, parce que le gouvernement impérial du Mexique a envoyé, en Belgique, comme ailleurs, un ministre plénipotentiaire.

L'usage est d'accréditer auprès de chaque gouvernement un ministre d'un grade égal à celui du ministre que ce gouvernement nous envoie. Il1 est de règle aussi qu'un ministre plénipotentiaire soit mieux rétribué qu'un ministre résident.

M. Coomans. - En présence du silence de la Chambre, je crois devoir demander la parole pour dire que je n'admets pas l'induction que l'honorable ministre pourrait tirer de ce silence.

Je ne suis pas de ceux, il s'en faut, qui engageront l'honorable ministre à augmenter encore les sommes qui figurent au budget des affaires étrangères pour notre diplomatie politique. Je crois même que je n'y consentirais pas pour le corps consulaire.

Comme la Chambre a été presque entièrement renouvelée depuis dix-sept ans, je dois rappeler que nous avons combattu ici, pendant des journées entières, pour obtenir quelques réductions sur les traitements diplomatiques.

Nous n'y sommes parvenus qu'à grand-peine, et depuis lors on s'est rétracté, on a changé de langage et de conduite, on a incessamment introduit des argumentations. Je n'ai pas commis cette inconséquence. Je considère comme un devoir de loyauté d'avertir le gouvernement que je me croirai obligé de combattre toute augmentation des budgets en général et du budget des affaires étrangères en particulier.

Je ne sais pas si le chiffre de 42,000 fr. sera mis aux voix par appel nominal, je n'y tiens pas, mais je déclare que je n'admets pas ce chiffre ; je persiste à croire que le rôle de notre diplomatie n'est pas tel qu'on se le figure, que cette diplomatie, composée de gens très honorables, très savants, très patriotes, je n'en doute point, n'a pas rendu des services proportionnés au coût de ces services. Je ne leur en veux pas, je sais qu'ils étaient dans l'impuissance de faire plus qu'ils n'ont fait. Je conçois une diplomatie politique pour les grands Etats qui ont un rôle militaire à jouer dans le monde, mais la Belgique n'a qu'un rôle pacifique, et elle n'a pas besoin de tout ce personnel diplomatique dont l'influence est nécessairement nulle.

Si je ne propose pas de réduction, c'est que j'ai malheureusement la certitude que je n'obtiendrai d'autre résultat que de fatiguer la Chambre ; mais si l'on voulait convertir les trois quarts du budget diplomatique en dépenses pour les consulats, j'y consentirais peut-être, tout en préférant qu'une grande partie de ce budget fût purement et simplement supprimée.

Il y a au fond de tout cela beaucoup plus d'amour-propre national que de services à rendre au pays. C'est du luxe, c'est de la mise en scène ; notre diplomatie a coûté énormément cher et je ne crois pas qu'elle ait rapporté la centième partie de ce qu'elle coûte. Le rôle véritable de la Belgique consiste à s'effacer.

Dès qu'il surgit des troubles en Europe, nos diplomates n'ont qu'une chose à faire, c'est de rester chez eux, de demeurer cois et de dire aux autres diplomates : « Ne vous mêlez pas de nos affaires. » C'est-à-dire qu'en temps de troubles nos diplomates n'ont rien de mieux à faire que de s'effacer et qu'en temps de paix ils sont absolument inutiles.

MaeRµ. - Je ne répondrai que quelques mots à l'honorable membre, il ne peut s'agir de remettre en question l'utilité de la diplomatie belge ; cette discussion a eu lieu d'une manière complète à d'autres époques et la question a été définitivement résolue.

On dit que les diplomates ne font rien et qu'ils seraient utilement remplacés par des consuls généraux. Je ne sais pas quelle différence on trouverait, au point de vue de la dépense, entre ces deux catégories de fonctionnaires.

Un consul général établi dans un grand pays, dans une grande ville, devrait être payé à l'égal des ministres. Et les ministres aujourd'hui ne s'occupent-ils pas des intérêts commerciaux du pays ? Mais par qui ont été conclus les traités qui ont été successivement soumis aux Chambres ? Par qui la question du péage de l'Escaut a-t-elle été portée et discutée auprès des gouvernements étrangers ?

On dit qu'en cas de complications européennes, ce que la Belgique aurait de mieux à faire, ce serait de dire aux autres gouvernements : « Ne vous mêlez pas de nous. »

Mais s'ils se mêlaient de nous, où seraient nos organes et nos défenseurs ? Ce seraient les consuls généraux. Mais les consuls généraux sont loin d'avoir auprès des gouvernements la même position que les agents diplomatiques. Il en est même, comme la Turquie, qui n'admettent les consuls que des Etats qui accréditent auprès d'eux un agent diplomatique.

Au point de vue de l'économie, il n'y a rien à gagner ; au point de vue des convenances et de l'utilité, il y a tout à perdre.

Je demande à l'honorable M. Coomans de ne pas insister sur les observations qu'il a faites, de ne pas traiter désormais avec tant de rigueur des agents qui rendent chaque jour des services au pays et qui peuvent avoir l'occasion de lui en rendre de plus signalés encore ; je demande à l'honorable membre de ne pas les décourager en leur adressant des critiques tout à fait imméritées.

Dans tous les cas, je ne pense pas que la Chambre ait le moins du monde l'intention de revenir sur l'institution du corps diplomatique. Je n'en dirai pas davantage.

- La discussion est close.

Le chiffre de 42,000 francs est mis aux voix et adopté.

Articles 11 à 20

« Art. 11. Pays-Bas : fr. 46,500. »

- Adopté.


« Art. 12. Prusse : fr. 46,500. »

- Adopté.


« Art. 13. Russie : fr. 71,000. »

- Adopté.


“Art. 14. Brésil: fr. 22,.000. »

- Adopté.


« Art. 15. Danemark, Suède et Norvège : fr. 20,000. »

- Adopté.


« Art. 16. Espagne : fr. fr. 22,000. »

- Adopté.


« Art. 17. Etats-Unis : fr. 22,000. »

- Adopté.


« Art. 18. Portugal : fr. 20,000. »

- Adopté.


« Art. 19. Turquie : fr. 45,970. »

- Adopté.


« Art. 20. Indemnités à quelques secrétaires et attachés de légation : fr. 20,000. »

- Adopté.


MpVµ. - La Chambre passe au chapitre III (consulats).

- Des membres. - A mardi !

- La Chambre remet à mardi la suite de la discussion des articles du budget du ministère des affaires étrangères.

La séance est levée à 4 heures.