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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 22 décembre 1864

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 271) M. Thienpont procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. de Moorµ donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants d'Hingeen proposent d'introduire dans la loi électorale le vote par ordre alphabétique, d'exonérer l'électeur de tous frais inhérents à l'élection et de décréter le vote obligatoire. »

M. Lelièvre. - Je demande le renvoi de cette pétition à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif aux fraudes électorales.

- Adopté.


« Le sieur Guyaux, ancien commis des accises, demande une pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« M. le ministre des travaux publics adresse à la Chambre un exemplaire du « Recueil des décisions intervenues jusqu'à ce jour, en matière d'associations de wateringues. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces d l’instruction, la demande de naturalisation du sieur Reding, boulanger à Arlon. »

-- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Par message du 21 décembre, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté, dans la séance du même jour, le projet de loi qui institue une caisse générale d'épargne et de retraite. »

- Pris pour notification.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1865

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XVII. Enseignement primaire

Discussion générale

MpVµ. - La discussion continue par le chapitre XVII (enseignement primaire).

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, les questions qui touchent à l'enseignement primaire ont le privilège de faire naître, dans cette enceinte, chaque fois qu'elles s'y présentent, des discussions toujours pleines d'intérêt, souvent fort vives, parfois passionnées. Cette année encore, l'examen du budget de l'intérieur s'était poursuivi avec le plus grand calme pendant six séances ; les débats avaient porté, en général, sur des points purement administratifs ; mais au moment où l'ordre du jour a appelé la discussion du chapitre de l'enseignement primaire, un grand nombre d'orateurs ont demandé la parole, et le débat a pris bientôt de grandes proportions.

Loin de me plaindre, messieurs, de cet état de choses, je m'en félicite ; d'abord, parce que nos débats prouvent au pays et à l'étranger que la législature belge apprécie toute l'importance de la grande question de l'enseignement primaire ; ensuite parce que la sollicitude que lui témoigne la Chambre est un encouragement pour nos instituteurs et pour nos hommes d'école ; enfin parce que nos discussions exercent sur l'opinion publique la plus salutaire influence.

En effet, messieurs, il ne faut pas nous le dissimuler, si dans nos grandes assemblées, dans nos grands centres de population, l'importance de l'enseignement primaire est bien comprise, il n'en est pas encore, malheureusement, ainsi dans une foule de petites communes.

Là, nous voyons souvent les conseils communaux lésiner, si je puis me servir de ce mot, lorsqu'il s'agit de voter des crédits pour l'enseignement primaire. Souvent l'instituteur est un objet d'envie pour les populations rurales ; souvent on ne voit en lui, à la campagne, qu'un bourgeois ou un monsieur qui n'est pas obligé, comme le cultivateur, de se livrer aux rudes travaux des champs et de gagner à la sueur de son front son pain quotidien.

Les discussions qui ont lieu dans cet enceinte donneront à l'opinion publique un autre cours, elles feront comprendre aux autorités communales restées indifférences jusqu'ici, qu'il est de leur devoir de seconder la législature et le gouvernement dans les efforts qu'ils font pour développer l’instruction primaire.

C'est donc avec une satisfaction véritable que je prends la parole en ce moment pour toucher quelques-uns des points qui ont été traités dans nos deux dernières séances, et répondre, autant que possible, aux diverses questions qui m'ont été posées.

Je dis autant que possible, messieurs, parce qu'il arrive fréquemment dans cette Chambre qu'on pose au gouvernement de petites questions de détail, des questions d'administration locale auxquelles le ministre m peut répondre, parce que ces questions ne sont souvent pas même de la compétence du gouvernement et qu'elles rentrent dans les attributions des autorités provinciales ou locales.

Je dis aussi que je répondrai à ces questions autant que possible, parce que les discours prononcés dans la séance d'hier, par divers orateurs, n'ont pas été publiés, sauf celui de l'honorable M. Wasseige, qui était écrit.

Je ne blâme pas ce retard ; je reconnais qu'il était presque inévitable. Mais la Chambre comprendra aussi qu'il m'est fort difficile de répondre à toutes les questions, après avoir pris quelques notes rapides à une simple audition.

L'honorable M. Hymans, dans un discours plein d'intérêt, a cité des chiffres nombreux. L'honorable membre comprendrait la Chambre aussi, qu'il m'est impossible, soit de contester ces chiffres, soit de les confirmer. Je me réserve, comme l'honorable membre l'a fait lui-même, d'examiner ce point lorsqu'il s'agira du million pour les bâtiments d'école. Je suis donc d'accord sur ce point, je pense, avec l'honorable membre.

L'honorable M. Muller m'a demandé si les villes continueraient à être exclues ou seraient exclues de la participation aux subsides donnés par le gouvernement.

Je ferai remarquer à l'honorable membre que les villes, en tant que villes, ne sont pas exclues et ne seront pas exclues.

Les subsides votés par la législature au budget de l’intérieur sont répartis entre les diverses communes d'après les propositions des députations permanentes chargées de constater l'insuffisance des ressources locales. Or, lorsqu'une députation permanente constatera qu'une commune, eût-elle le titre de ville, ne peut pas, au moyen de ses ressources ordinaires, faire face à tous les besoins de l'enseignement primaire, il sera fait pour cette ville ce qu'on fait pour les autres communes. Car il ne doit y avoir, sous ce rapport, aucune distinction entre les villes et les villages.

L'honorable membre m'a demandé aussi si le chiffre de 184,000 fr., demandé sous forme d'amendement, sera suffisant pour faire face à tous les besoins du service ordinaire de l'enseignement primaire en 1865.

Messieurs, je pense que oui. Mais je ne puis cependant le garantir. Je ne puis donner à cet égard des assurances complètement positives.

C'est sur les propositions des députations permanentes que le supplément de crédit est demandé à la Chambre. Désirant pouvoir faire figurer au budget de 1865 et non dans des crédits supplémentaires la somme nécessaire pour faire face à l'insuffisance des ressources communales en matière d'enseignement primaire, j'ai prié MM. les gouverneurs de m'indiquer immédiatement le chiffre global de ces besoins, sauf à préciser plus tard les détails. Les chiffres qui m'ont été fournis forment la somme de 184,000 fr. J'ignore quelles sont les communes qui sont comprise. dans ces propositions et celles qui ne le sont pas. Du reste, comme le dit l'amendement présenté, si le crédit excédait les besoins, il ne serait pas dépensé ; s'il était insuffisant, d'après les propositions définitives qui me seront faites, je n'hésiterais pas un instant à demander à la Chambre un crédit supplémentaire.

L'honorable membre a fait observer encore à la Chambre que, dars son opinion, l'enseignement normal des filles n'est pas assez développé en Belgique. Il demande môme que le gouvernement crée une ou deux écoles normales pour les filles.

Messieurs, que le nombre des élèves institutrices formées dans nos écoles agréées soit insuffisant, je ne le conteste pas ; mais il ne faut pas perdre de vue que le gouvernement a fait ce qu'il était en son pouvoir de faire pour en augmenter le chiffre. J'ai déjà eu l'honneur de vous dire, dans mon premier discours, que le nombre des écoles normales agréées pour les demoiselles, qui n’était que de treize il y a deux ans, est aujourd'hui de seize, et que celui des élèves normalistes, qui était en 1831 de 236, est aujourd’hui de 416.

Il y a donc une augmentation de 140 élèves institutrices.

Quant aux écoles normales à créer par l'Etat, c'est une question qui (page 272) mérite examen. Je ne conteste pas l'utilité de ces établissements, au contraire, je crois qu'un grand établissement normal vaut mieux, en général, qu'un établissement de moindre importance ; une grande fabrique fonctionnera mieux qu'un petit atelier. Mais ici surgit une question de légalité : la loi de 1842 dit qu'il y aura deux écoles normales ; il existe deux écoles normales d'instituteurs, peut-on en créer d'autres ? C'est une question. Si la Chambre était d'avis qu'on le peut, la question serait simplifiée ; et le gouvernement pourrait peut-être organiser des écoles normales.

L'honorable M. Delcour, à la fin de la séance d'hier, a posé aussi quelques questions au gouvernement. Je ne sais si j'ai pu tenir note de toutes mais en voici quelques-unes auxquelles je me fais un plaisir de répondre.

La première question concerne l'enseignement primaire à Bruxelles. L'honorable membre assure qu'un grand nombre d'enfants ne peuvent pas être admis dans les écoles primaires de la capitale, tandis que des enfants payants occupent la place des enfants pauvres qui sont exclus.

L'honorable membre a parlé ensuite d'un établissement spécial qui vient d'être créé à Bruxelles.

Sur le premier fait, je ne suis pas renseigné ; sur le second, mes renseignements sont incomplets, mais un de nos honorables collègues, député de Bruxelles, M. Funck, échevin chargé de l'enseignement, s'est fait inscrire, et je suppose qu'il donnera, beaucoup mieux que je ne pourrais le faire, tous les détails qui peuvent être désirés.

L'honorable M. Delcour a parlé aussi d'un fait qui s'est passé à Tirlemont. Un instituteur communal de cette ville donnait l'instruction dans une école dominicale organisée dans le local de la société de Saint-Vincent de Paul.

M. Delcourµ. - L'instruction gratuite.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - L'inspecteur provincial du 4ème ressort, M. de Brouwer, aurait fait des observations à cet instituteur et il aurait pris des mesures pour que cet instituteur ne pût pas continuer à donner cette instruction. Ce fait, messieurs, m'est complètement inconnu ; comment voulez-vous que je sache qu'un inspecteur à Tirlemont aurait pris la mesure dont parle M. Delcour ?

M. Delcourµ. - Il y a une question de principe.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Oui, elle existe maintenant, puisque vous l'avez soulevée.

Messieurs, je n'affirme rien, car, je le répète, j'ignore les faits ; mais il est possible que l'inspecteur ait pensé que les instituteurs ne pouvaient pas cumuler sans l'autorisation, non pas du gouvernement, mais du gouverneur, à qui le gouvernement a délégué ses pouvoirs sous ce rapport, et qu'il ait rappelé à l'instituteur que cette autorisation était nécessaire pour pouvoir donner ce cours en même temps que ceux de l'école communale. Ce que je sais, messieurs, c'est que l'inspecteur du 4ème ressort de Tirlemont, M. de Brouwer, est un homme prudent et d'expérience.

C'est un homme qui est dans l'enseignement depuis fort longtemps. Il a été nommé par l'honorable comte de Theux, quand il était ministre, et je crois que cet inspecteur, qui a une longue pratique, n'aurait pas, à la légère, posé un acte répréhensible.

Du reste, l'honorable comte de Theux, qui l'a nommé et qui a bien voulu le recommander à l'administration lors du dernier renouvellement du mandat des instituteurs, pourra certifier que mon appréciation, à l'égard de la prudence de l'inspecteur, est exacte.

M. Bouvierµ. - C'est un bon certificat d'origine.

M. Delcourµ. - Je suis loin de nier la prudence de l'inspecteur. Je ne lui adresse aucun reproche.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Soit, mais alors vous pouvez encore moins faire un reproche au ministre.

Enfin, messieurs, l'honorable député de Louvain nous a donné une statistique qui semble avoir fait quelque sensation sur votre esprit

Il vous a donné des détails sur des écoles dominicales organisées dans deux ou trois de nos provinces. Je me suis permis de l'interrompre pour lui demander dans quel recueil cette statistique était puisée ; ma question a paru formaliser l'honorable membre. Il a eu tort, je n'ai pas mis en doute le moins du monde les bonnes intentions ni la véracité de l’honorable M. Delcour.

Mais comme le gouvernement tient aussi une statistique des écoles dominicales et des écoles du soir, des écoles d'adultes en général, j ai demandé dans quels documents l’honorable M. Delcour avait puise ses renseignements, afin de pouvoir les comparer a ceux que nous possédons.

L'honorable M. Delcour, en citant ces 250 écoles d'adultes comprenant, je pense, 10,000 à 11,000 élèves, ne nous a rien appris de nouveau.

S'il avait voulu consulter la statistique du gouvernement, il aurait pu voir qu'en 1860 il y avait non seulement 200 à 300 écoles d'adultes, mais qu'il y en avait 1,145 dont 191 écoles communales, 168 écoles privées soumises à l'inspection et 786 écoles d'adultes libres, et il aurait vu qu'il ne s’agit pas de 11,000 élèves fréquentait ces écoles, mais qu'elles sont fréquentées par 93,411 élèves.

J'ignore si les écoles dont parlait l'honorable M. Delcour sont comprises parmi les établissements privés qu'indiquent nos statistiques.

S'ils n'y étaient pas compris, j'aurais lieu de m'en étonner, car on demande sur ce point des renseignements aux bourgmestres de toutes les communes. Ces écoles, pour ne pas être comprises dans notre statistique, devraient avoir été créées depuis que cette statistique a été dressée ou bien se tenir secrètement, mais cela n'est pas possible, car un bourgmestre ne peut ignorer qu'il existe une école d'adultes dans sa localité.

Le gouvernement, loin de s'opposer à la création d'écoles de ce genre, en favorise le développement en accordant des subsides. Les subsides provenant de la bienfaisance publique et privée, des communes, des provinces et de l'Etat, s'élèvent à plus de 56,000 fr.

Quant à moi, messieurs, j'apprends avec plaisir que le nombre de ces écoles augmente, mais je voudrais l'augmenter encore, car jusqu'ici ces écoles d'adultes n'ont pas produit tous les effets que l'on peut attendre de ces institutions.

En effet, aujourd'hui encore beaucoup de jeunes gens, après avoir fréquenté les écoles primaires, ont, à l'âge de 18 à 20 ans, oublié en partie ce qu'ils y avaient appris.

Je crois qu'on pourrait faire encore mieux qu'on n'a fait jusqu'à présent, et j'espère que la Chambre aidera le gouvernement quand il demandera des crédits destinés à subsidier de nouvelles écoles d'adultes.

M. Wasseige, revenant sur une discussion fort longue et un peu orageuse, qui a eu lieu en 1862, remet encore une fois en question le mode d'exécution de la loi de 1842 admis par le gouvernement.

L'honorable membre répète ce qui a déjà été dit et répété vingt fois, que le gouvernement n'a pas besoin d'un vote législatif pour modifier la loi de 1842, puisqu'il la modifie par voie administrative. J'ai répondu souvent, et notamment en 1862, à cette accusation ; il est inutile, je pense, de recommencer ici cette discussion.

M. Bouvierµ. - Très inutile.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - La loi de 1842 est appliquée dans son texte et dans son esprit, et tous mes prédécesseurs depuis 1850 l'ont interprétée comme je l'interprète aujourd'hui, et je dirai même que, sur plusieurs points, il y a encore désaccord entre M, Wasseige et les opinions émises par plusieurs des ministres qui ont été au pouvoir avant 1850.

Si la loi n'a pas été appliquée, dès les premiers jours, comme elle l'est aujourd'hui, c'est que toutes les difficultés n'avaient pas apparu.

Lorsqu'on a fait la loi, on a pu avoir l'espoir de l'appliquer dans un sens différent ; on a espéré peut-être un instant que ce qu'on appelait alors les libéralistes et qu'on appelle aujourd'hui les libérâtres n'arriveraient jamais au pouvoir, et que l'on pourrait exécuter la loi dans la pratique conformément aux espérances qu'on n'osait avouer. Malheureusement, cet espoir a été déçu, les libérâtres sont arrivés au pouvoir, ils ont examiné la discussion de près et appliqué la loi comme elle doit l'être.

Du reste, messieurs, si le système de M. Wasseige prévalait, je crois ne pas ma tromper en prédisant que la loi de 1842 ne resterait pas debout pendant six mois. Des réclamations surgiraient sur tous les points du pays. J'ajoute qu'en voulant faire appliquer la loi comme il prétend qu'elle doit l'être, M. Wasseige se montre le plus grand ennemi de la loi de 1842.

M. de Brouckereµ. - Parfait !

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Ce système serait la consécration la plus flagrante du système de privilège.

Ce que vous voulez, c'est que les écoles adoptées soient mises sur le même pied que les écoles communales ; vous voulez que des personnes qui n'ont pas de diplôme, qui n'ont presque aucune charge, jouissant des mêmes avantages que les instituteurs communaux diplômés, qui ont des obligations spéciales et des devoirs particuliers à remplir ; enfin, vous voulez que l'école adoptée devienne, par privilège, la règle, et l'école communale l'exception.

Nous voulons le contraire ; nous soutenons que le.législateur a voulu que l'école communale fût la règle et que l'école adoptée ne pût être que l'exception.

Et, messieurs, cette opinion n'a pas été soutenue seulement par des (page 273) ministères libéraux. Un de vos amis, pendant qu'il siégeait au banc ministériel, M. de Decker, a interprété cette question comme un ministre libéral aurait pu le faire. Vous ne répudierez pas cependant M. de Decker, à moins que vous ne disiez que M. de Decker était n ministre catholique in partibus infidelium.

M. Wasseigeµ. - Je puis, sur certains points, différer d'avis avec M. de Decker.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Vous ne l'approuvez pas, je le veux bien, mais M. de Decker a examiné la question avec soin et a reconnu que cette question devait être décides comme nous le demandons nous-mêmes.

M. Bouvierµ. - Il est un peu à l'index.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, je reviens sur mes pas pour rencontrer une autre question qui a été soulevée par l'honorable M. Delcour et que j'avais perdue de vue.

L'honorable membre a dit :

« Vous avez fait une enquête ; je désirerais savoir s'il résulte des réponses générales faites à votre enquête, qui les instituteurs reconnaissent que, dans le cas où le clergé se retirerait, les écoles ne souffriraient pas d'une manière appréciable ; en d'autres termes, s'ils ont déclaré que l'intervention du clergé dans les écoles n'est pas une nécessité, et si, à défaut de cette intervention, l'école ne risquerait pas d'être fermée ou du moins d'être déserte. »

Messieurs, ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire déjà en répondant à l'honorable M. Giroul. les pièces de l'enquête sont très volumineuses ; elles ne sont pas toutes dépouillées ; il s'agira là d'un travail très long, si l'on veut faire un travail sérieux. J'ignore donc quelles sont les réponses qui ont été faites.

Mais je dois dire que si même un grand nombre de ces réponses étalent ce que suppose l'honorable M. Delcour, cela ne prouverait pas grand-chose. Voici pourquoi : la Chambre se rappellera qu'au mois de juin dernier, j'ai eu l'honneur de lui lire une circulaire adressée par un inspecteur ecclésiastique aux curés de son ressort. Dans cette circulaire, l'inspecteur dictait les réponses qu'on devait faire à certaines questions, et ces réponses étaient conçues dans le sens indiqué par l'honorable M. Delcour...

- Des membres. - Lisez la circulaire.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je regrette beaucoup que cette circulaire ait été lancée, parce qu'elle ôte une partie de sa valeur à cette enquête. Des faits particuliers sont venus confirmer ce que j'avais eu l'honneur de faire connaître à la Chambre. Des instituteurs m'ont déclaré qu'ils avaient subi une pression. Et c'est seulement quand on connut les discussions qui avaient eu lieu à la Chambre au mois de juin dernier que les instituteurs ont été avertis.

Il peut résulter de ceci que les réponses antérieures au 10 juin 1864 seront pour la plupart conformes à la circulaire de l'inspecteur ecclésiastique, et que celles qui sont postérieures à cette date ne le soient pas.

On a demandé la lecture de la circulaire. Elle était rédigée en flamand ; en voici une traduction libre :

« Monsieur le curé,

« J'ai l'assurance que le gouvernement fera dans les premiers jours une enquête chez votre instituteur concernant le progrès des écoles depuis l'année 1842.

« Une chose qu'ils devront certainement répondre ou du moins qu'ils doivent exposer dans tous les cas, est la suivante : L'intervention du clergé est nécessaire pour pouvoir maintenir l’école dans une bonne situation ; l'école a fait des progrès, grâce à la protection que le clergé lui a accordée depuis cette époque. »

« La solution donnée à des questions de cette nature pourrait avoir, dans un avenir rapproché, les plus grandes conséquences pour la religion, pour l'enseignement spirituel dans notre pays et pour la juste influence que le curé doit avoir en tout temps sur l'instituteur et sur les enfants des écoles de sa paroisse.

« Veuillez donc, M. le curé, autant qu'il vous est possible, guider votre instituteur dans cette circonstance ; qu'il réponde par exemple... » (Interruption.)

L’honorable M. Beeckman m’interrompt pour me dire : « Vos instituteurs le font aussi. » S’ils le font, c’est spontanément, ils n’ont reçu aucune instruction et ils auraient tort d’exercer une pression ; s’ils l’on fait, je les en blâmerais.

M. Allard. - L'honorable M. Beeckman devrait prouver ce qu'il avance.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je reprendre la lecture. Mais vous voyez que les instituteurs (une dizaine de mots sont illisibles)

On ajoutait :

« 1° En indiquant le nombre des enfants qui sont annuellement envoyés à l'école par le curé ou par le prêtre ;

« 2° En disant que la première communion est l'unique ou au moins la grande cause qui attire les enfants dans les écoles ;

« 3° Que l'expérience prouve facilement que les enfants sont moins assidus, quand le curé ne peut fréquenter l'école pour cause de maladie ou d'absence ;

« 4° Que l'influence de l'instituteur est grande, mais que le curé seul peut convaincre les parents ;

« 5° Que le curé peut toujours ériger avec ses premiers communiants une école qui rendrait l'existence de toute autre école impossible. » (Interruption.)

« Pour que ces vérités et d'autres puissent pénétrer facilement dans l'esprit de votre instituteur et qu'il sache les exposer adroitement dans son rapport, il ne peut pas savoir que l'inspecteur ecclésiastique s'en est mêlé, d'autant moins que, probablement, il sentira aussi, d'un autre côté, les effets d'une influence étrangère.

« Ayez la bonté, M. le curé, de m'honorer d'une réponse, dans laquelle vous voudrez bien me dire : 1° Si votre instituteur a déjà expédié son rapport et dans quel sens à peu près il a répondu ; 2° S'il a reçu une visite ou des instructions quelconques de la part de l'inspection civile.

« Votre très humble et dévoué serviteur. »

Je ne dis pas le nom de la personne qui a signé la circulaire ; cela ne fait rien à la question. (Interruption.)

Je ne veux pas douter de l’exactitude des renseignements qui ont été donnés par l’honorable M. Delcour ; il voudra bien ne pas douter de l’exactitude de ceux que je donne.

Le débat sur cet incident est donc clos.

J'ai dit que l'honorable M. de Decker avait résolu diverses questions sur la portée de la loi de 1842 comme le gouvernement les résout encore aujourd’hui, c'est lui qui a tranché les questions posées par l'honorable M. Elias dans une précédente séance et que je vais rencontrer en ce moment.

L'honorable M. Elias me demande si les communes adoptent les institutions ou les instituteurs nominativement. Les communes adoptent l'école de tel ou tel instituteur, mais non l'école de telle ou telle corporation. En d'autres termes, on n'adopte pas, par exemple, une école de frères de la doctrine chrétienne, ni même l'écoles du père Alexandre, ou du frère Barthélemy, mais on .adopte l'école du sieur A., l'école du sieur B ; c'est l'école d'un particulier qu'on adopte.

Maintenant pour que cette adoption soit possible, il faut que deux espèces de conditions légales soient remplies : conditions quant à l'adoptant, conditions quant à l'adopté, et c'est l’honorable M. de Decker encore qui a déterminé ces règles.

La commune, pour pouvoir adopter, doit être pauvre ; elle doit ne pas avoir de bâtiment où l'on puisse établir une école communale. L'établissement, pour pouvoir être adopté, doit être complet. Il doit avoir un local, un mobilier, un personnel présentant au point de de vue de la moralité et de l'institution, toutes les garanties désirables.

Et comment s'assure-t-on que les conditions légales sont remplies ? Par l'inspection d'abord, et par d'autres moyens au besoin. Ainsi, en ce qui concerne la capacité des instituteurs, on a l'inspection. Un inspecteur, qui se présente dans une école qui la visite plusieurs fois, peut reconnaître si un instituteur est capable ou ne l'est pas. C'est peut-être le meilleur examen pratique que l'on puisse lui faire passer, et si l’inspecteur n’est pas satisfait de cet examen pratique, il exige une épreuve particulière, il soumet l’instituteur à un examen.

Mais, dit l’honorable M. Elias, quand on adopte l’école d’un directeur qui a des instituteurs sont ses ordres, faut-il, chaque fois que ce personnel se modifie, que chacun des instituteurs passe un examen ? En règle générale, du moment que le personnel est changé et que les conditions ne restent plus les mêmes, l’adoption cesse par le fait. Mais en pratique, quand il y a plusieurs instituteurs dans un établissement, on ne fait pas cesser immédiatement l’adoption. Que fait-on ? Le gouverneur de la province doit être informé de la mutation. L’inspecteur visite l’école ; il examine le nouvel instituteur. S’il le croit apte, il l’admet ; si, au contraire, il ne le croit pas capable, il fait son rapport et l’adoption est retirée à moins qu’on ne remplace l’instituteur incapable.

Ces principes, comme je le disais, ont été adoptés d’abord par une (page 274) circulaire de l’honorable M. Decker et ensuite dans une lettre écrite par le même ministre et qui fixent ces points. L’honorable M. Elias pourra se mettre parfaitement au courant de ces questions en lisant le rapport triennal de 1855-1857.

L’honorable membre s’est plaint aussi de certains faits. Il a cité un fait : il a dit que, dans une commune, une partie des fonds destinés à l’enseignement communale aurait été détournée pour être remise à une institution privée.

Messieurs, il y a toujours eu des abs ; on ne peut les empêcher entièrement ; errare humanum est. Mais ce que je puis certifier, c'est que les abus sont, en général, rares ; et je puis ajouter que chaque fois qu'ils sont portés à la connaissance du département de l'intérieur, ce qui, malheureusement, n'arrive pas toujours, ils sont réprimés. Il y a quelque temps, j'ai eu connaissance d'un fait que je considérait comme grave, j'ai fait réparer immédiatement le dommage causé. Une administration communale avait retenu, pendant plusieurs années, à l'instituteur, une partie de son traitement et avait appliqué ces fonds à la réparation de la voirie vicinale, je pense. Le pauvre instituteur n'avait pas osé se plaindre. II craignait un sort pire encore. Mais ayant été déplacé, il a fait connaître le fait au gouvernement. Le gouvernement n'a pas hésité un instant ; il a écrit que restitution devait être faite, et l'instituteur a touché 1,200 à 1,400 f si ma mémoire me sert bien.

Quant au fait particulier dont a parlé l'honorable M. Elias, je ne comprends pas comment il a pu se produire. Si le crédit pour l'enseignement primaire est porté dans les budgets communaux d'une manière globale, à côté de cela il y a un budget spécial, un appendice au budget communal pour l'enseignement primaire proprement dit et qui indique chacun des postes, chacune des dépenses à faire.

M. Eliasµ. - Il y a des transferts.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Il y a des transferts, dit l'honorable M. Elias. Oui, il peut y avoir des transferts, mais avec l'adhésion de la députation permanente ; sans cela, ils seraient parfaitement illégaux. S'il y a des abus, c'est à la députation permanente à les découvrir ; quand elle approuve les comptes, c'est à elle à réprimer ces abus, sauf à les stipuler au ministre qui prend telles mesures qu'il juge convenables.

Une dernière question a été posée par M. Elias. Il s'agit de la question des concours.

Cette question est délicate et n'est pas terminée. Dans l'opinion de l'honorable député de Liége, il faudrait instituer un prix spécial de religion et ne pas faire compter cette matière, quoique obligatoire, aux termes de l’article 6 de la loi, avec les autres matières du concours. Ce système est admis dans quelques provinces. Voici comment la question a été soulevée.

Dans une commune du Hainaut dont le nom ne me revient pas, un élève distingué appartenait à la religion protestante. Le concours eut lieu ; cet élève devait-il être exclu parce qu'il ne pouvait concourir au catéchisme, lui qui était protestant ? Quelle mesure y avait-il à prendre ? Fallait-il appeler le ministre protestant à siéger dans le jury ? Fallait-il prendre d'autres mesures ? La question était fort difficile et fort délicate. On en référa à mon département, et je conseillai d'instituer un prix spécial pour l’enseignement de la religion. J'écrivis dans ce sens aux gouverneurs et je crois que, dans quatre provinces, ce système a été admis.

Une réclamation a surgi de la part du clergé dans la province de Liège. L'affaire n'est pas terminée. On est en correspondance avec Mgr l'évêque de Liège et j'espère qu'en lui donnait de bonnes raisons, on pourra aplanir telle difficulté.

Messieurs, dans cette discussion, il a été beaucoup question des conséquences immédiates de la loi de 1842. J'ai déjà fait connaître très nettement l'opinion du gouvernement en cette matière.

Si je reviens sur ces questions, c’est pour détruire certaines préventions et certains préjugés qui se soit élevés quant à un point important soulevé dans la discussion de la loi de 1842.

On a dit : La loi de 1842 donne au clergé le droit d'exclure certains instituteurs des écoles. Elle lui donne même plus ; elle lui donne le droit absolu, dans certains cas, de fermer les écoles. Pour le prouver, on combine les articles 6 et 26 de la loi ; l'article 6 porte que l'enseignement de la religion sera nécessairement donné sous la direction des ministres du culte, et l’article 15 que toutes les écoles qui ne seront pas soumises au régime légal ne pourront pas conserver leur qualité d'école communale et seront privées de tout subside. Donc, puisque l'enseignement de la religion doit être donné sous la direction des membres du clergé, si le clergé refuse d'admettre l'instituteur, l'instituteur devra être remplacé ou l'école devra être fermée ; tous les subsides, même les subsides communaux, devront être retirés.

Messieurs, cette argumentation ne repose pas sur des faits réels. Pour bien se rendre compte de la portée des articles 6 et 26 de la loi, il faut se reporter à la discussion de la loi elle-même. Or voici ce qui s'est passé.

Le premier projet déposé par l'honorable M. Nothomb avait, en effet, la portée qu'on veut donner à la loi ; il permettait au clergé de ne pas admettre certains instituteurs à l'enseignement de la religion lorsque ces instituteurs n'avaient pas sa confiance et, comme conséquence, le premier projet permettait aussi de fermer l'école alors que le clergé refusait son concours.

Dans la discussion générale de la loi de 1842, la question fut soulevée par l'honorable M. Dolez. L'honorable M. Dolez demanda quelle était la portée et la signification de l'article 21, qui devint plus tard l’article 26. Il fit observer que donner au clergé un pareil pouvoir, c'était lui donner un pouvoir exorbitant.

L'honorable ministre de l'intérieur, M. Nothomb, se leva et chercha à justifier la disposition présentée par lui. Il fit remarquer que la loi étant une transaction entre les différentes opinions, il fallait bien que chacune eût quelque chose à dire, comme sanction de la loi.

Après lui, l'honorable rapporteur, M. Dechamps, prit la parole à son tour et insista beaucoup plus fortement encore pour que la loi eût la portée qu’on veut y donner encore aujourd’hui, mais ces prétentions soulevèrent dans la Chambre un véritable orage. Plusieurs membres de la gauche se levèrent et protestèrent dans les termes les plus énergiques. L’honorable M. Rogier traita la disposition de « monstrueuse. » Un orage s’ensuivit, et la séance fut levée au milieu d’une agitation extrême. Le lendemain, qui était, je pense, le 9 août 1842, l’honorable ministre de l’intérieur, chez qui la nuit avait probablement porté conseil, proposa, dès l’ouverture de la séance, une nouvelle rédaction de l’article 21, et il fut convenu que l’on examinerait cette disposition, lors de la discussion des articles.

Maintenant, messieurs, permettez-moi de vous rappeler ce qui s'est passé dans cette dernière discussson.

M Devaux, avecc cette logique tenace que vous lui avez tous connue, combattit encore la nouvelle disposition présentée par l’honorable M. Nothomb ; il trouvait que les termes n'en étaient pas assez catégoriques et, comme conclusion de son discours, il posa nettement au ministre la question suivante :

« Le refus de concours du ministre du culte, alors que le gouvernement n'en approuve pas les motifs, entraine-t-il le refus du subside ? »

L'honorable M. Nothomb se leva et répondit : « Non ! »

Puis, prenant la parole, il prononça un long discours pour expliquer cette disposition, et la conclusion de ce discours était celle-ci :

« L'honorable membre persiste à croire que cette rédaction est équivoque ; il a posé d'une manière très précise une question à laquelle j'ai répondu d'une manière très précise aussi, quoique très laconique : en cas de retraite ou de refus de concours du clergé, le gouvernement retirerait-il les subsides, s'il reconnaît que les motifs du refus de concours ne sont pas fondés ? J'ai répondu : non. Cela résulte à l'évidence de la rédaction du paragraphe 4.

« Je maintiens donc la réponse très positive que j'ai faite à la question posée par l'honorable membre, et cette réponse, je la considère comme le commentaire du paragraphe de l'article. Je prie l'honorable membre d'en prendre acte. »

Ainsi, messieurs, voilà le vrai commentaire de la loi basé sur la déclaration formelle, catégorique, de l’honorable ministre de l'intérieur de cette époque.

Non content de cette déclaration si affirmative, l'honorable M. Nothomb, interpellé de nouveau, et au dernier moment avant le vote, répondit également « non » à la question posée par M. Lebeau dans les termes suivants :

« Le refus de concours du clergé fait-il nécessairement tomber l'école ?

« M. Nothomb. - Non.

« M. Lebeau. - La cessation de l'enseignement de la morale et de la religion, alors que l'autorité civile est restée, autant qu'il est en son pouvoir, dans les conditions de la loi, fait-elle nécessairement tomber l’école ?

« M. Nothomb.— Non. »

Ainsi, l'honorable ministre répondit deux fois « non » et c'est à la suite de ces déclarations catégoriques que la loi fut votée à une immense majorité. Je n'hésite pas à dire que si la réponse n'avait pas été comprise dans le sens que j'indique, l'opposition tout entière eût voté contre la loi. Ce vote est aussi le commentaire de la loi.

(page 275) Maintenant, messieurs, la loi a-t-elle été appliquée en ce sens ? Ce qui avait été déclaré a-t-il été appliqué en fait ?

Dans le premier rapport triennal, qui concerne la période 1842 à 1845, on lit :

« Est-ce l'instituteur qui doit nécessairement donner renseignement de la morale et de la religion ? (Art. 6, loi de 1842).

« Dans le plus grand nombre de cas, c'est l'instituteur qui enseignera la religion et la morale...

« Mais de ce que le clergé consent à ce que l'instituteur laïque enseigne la religion, s'ensuit-il que tout individu qui n'a pas la capacité nécessaire pour donner cet enseignement soit absolument inapte à occuper une place de maître d'école, même lorsqu'il réunit toutes les autres qualités requises ?

« Le clergé seul est juge de l'aptitude d'un instituteur à enseigner la religion. Si cette aptitude était déclarée indispensable par la loi, n'en résulterait-il pas nécessairement que le clergé serait juge suprême de l'admissibilité aux fonctions d'instituteur primaire ? La question a été soulevée dès l'année 1843.

« Un instituteur nommé régulièrement par le conseil communal devait être agréé par le gouvernement. L'autorité civile, après avoir instruit l'affaire, attestait que le titulaire présentait toutes les garanties désirables d'instruction et de moralité. L'inspecteur diocésain, tout en rendant hommage à la moralité de l'instituteur, avait refusé de lui délivrer un certificat d'aptitude pour l'enseignement de la religion et de la morale.

« On demandait que le gouvernement refusât l'agréation à cause de cette circonstance et que ce fût une règle pour l'avenir.

« Par arrêté du 21 septembre 1843, le ministre de l'intérieur agréa la nomination et dans une lettre de la même date, il a exposé en ces termes au gouverneur de la province les motifs de sa décision :

« Monsieur le gouverneur,

« L'instituteur m'a été représenté comme un homme irréprochable sous le rapport de la conduite ; il est vrai que l'autorité ecclésiastique ne lui a pas délivré un certificat d'aptitude pour l'enseignement de la morale et de la religion, mais ce n'était pas un motif pour ne pas agréer sa nomination. Si M. le desservant de... ne croyait pas pouvoir lui confier cet enseignement, il devrait s'en charger lui-même ou le faire donner par une autre personne. En effet M. le gouverneur, le cours d'instruction morale et religieuse est obligatoire, et il résulte de la loi qu'il appartient au ministre du culte d'y pourvoir, ou par l'instituteur, s'il en juge celui-ci capable, ou par lui-même ou par un délégué. »

Cette dépêche, messieurs, qui renferme une décision importante, est signée par l'honorable M. J.-B. Nothomb, et le commentaire inscrit dans le premier rapport triennal est de l'honorable comte de Theux.

D'après moi, il appert clairement de tout ceci que le clergé ne peut, en vertu des articles 6 et 26, ni forer le gouvernement à destituer un instituteur, ni faire fermer l'école, ni faire retirer le subside. Je déclare du reste, comme j'ai eu l'honneur de le faire dans mon premier discours, que des difficultés de ce genre ne se sont pas présentées.

M. Wasseigeµ. - Tant mieux.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Oui tant mieux, et si elles se présentaient, elles seraient nécessairement résolues dans le sens que veut la loi, à moins que l'honorable M. Wasseige ne vienne soutenir que nous interprétons la loi par mesure administrative.

M. Wasseigeµ. - Dans cette circonstance-là, je suis tout à fait de votre avis, M. le ministre.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je prends acte de vos paroles parce qu'on ne sait pas ce qui peut arriver.

Messieurs, il me reste maintenant à répondre à l'honorable M. Wasseige en ce qui concerne l'arrêté d'administration générale du 10 janvier 1863. D'après l'honorable M. Wasseige, le gouvernement est encore une fois coupable des plus grands crimes. Il a derechef violé la Constitution, la loi communale, la loi de 1842 et une foule d'autres lois du peuple belge. Il a méconnu les prérogatives de la députation permanente, les libertés communales et il a fait de la centralisation à outrance, lui qui vient déclarer dans cette Chambre qu'il désire simplifier les écritures, diminuer l'intervention de l'Etat.

Messieurs, ces reproches ne me touchent guère. Depuis 25 ans bientôt j'ai l'habitude de les entendre et depuis que je suis ministre, j'ai l'habitude de voir décocher contre le gouvernement les traits les plus acérés. Ces traits, comme les foudres de l’honorable M. Wasseige, viennent s'émousser sur la cuirasse d'indifférence dont m'a couvert ma raison. Je ne répondrai donc pas même à ces reproches, si graves pourtant. Il me semble que cela n'en vaut pas la peine.

Je me contenterai de justifier le règlement du 10 janvier 1863, parce que je le considère, au point de vue pratique de l’enseignement, comme un acte des plus utiles. C'est un ensemble de dispositions importantes et rationnelles que j'ai été dans la nécessité de prendre pour prévenir des abus, comme j'aurai l'honneur de le démontrer. Connaît-on bien cet horrible règlement qui, approuvé dans huit provinces, a fait trembler les échos de la Meuse et de la Sambre ? Il a pour but principal :

1° D'améliorer la position des instituteurs ;

2° De mettre de l'ordre dans la comptabilité des écoles ;

3° De déterminer certaines bases de l'intervention de l'Etat ;

4° D'augmenter autant que possible le nombre des élèves qui fréquentent les écoles communales.

Est-il légal, est-il utile, est-il nécessaire ? Telles sont les questions à examiner, puisque l'honorable M. Wasseige s'est placé hier sur ce terrain.

Permettez-moi d'abord, messieurs, de vous faire connaître les dispositions principales de ce règlement.

L'article premier prescrit aux gouverneurs de veiller à ce qu'il soit pourvu à toutes les nécessités du service annuel de l'instruction primaire, et de s'assurer que la rémunération des membres du personnel enseignant des écoles est en rapport avec leurs fonctions et avec les exigences de la vie matérielle.

L'article 2 divise en trois catégories les écoles des communes qui reçoivent des subsides par application de l'article 23 de la loi.

Troisième catégorie : écoles de 60 élèves ou plus.

Deuxième catégorie : écoles de 60 à 100.

Première catégorie : écoles de 100 et au-delà.

Le classement se fait d'après le nombre des enfants à instruire et le nombre des places disponibles.

Les articles 3 et 5 déterminent le maximum du traitement dont peuvent jouir les instituteurs et les sous-instituteurs, indépendamment du logement ou d'une indemnité de logement.

Les traitements sont fixés comme suit :

Pour la troisième catégorie, 600 fr.

Pour la deuxième catégorie, 700 fr.

Pour la première catégorie, 800 fr.

Les sommes que j'indique constituent seulement le traitement fixe ; il y a, en outre, le casuel. Une circulaire porte que le traitement et le casuel réunis doivent s'élever, au minimum, à 850 francs pour l'instituteur de la plus petite école, à 950 francs pour l'instituteur de la catégorie intermédiaire et à 1,050 francs pour l'instituteur de la catégorie la plus importante.

Enfin les sous-instituteurs doivent pouvoir toucher un revenu de 700 fr. au moins.

Une autre disposition du règlement porte que le casuel ne peut être moindre de 6 francs par an et par élève.

L'article 7 prescrit de payer le traitement tous les mois, et le casuel par trimestre, et à raison d'un douzième par mois pour les enfants pauvres qui auraient fréquenté l'école pendant quinze jours au moins.

L'article 13 stipule que toutes les sommes dont les communes disposent pour l'instruction primaire forment un fonds spécial qui ne peut être employé à une autre destination.

Je vous le demande, messieurs, ces dispositions sont-elles draconiennes et n'ont-elles pas, au contraire, un caractère de haute utilité comme je le démontrerai tantôt ?

Je désire prouver d’abord l'entière légalité de l'arrêté que j'ai soumis à la signature du Roi.

Messieurs, vous n'ignorez pas que l'article 67 de la Constitution porte :

« Le Roi fait les règlements et les arrêtés nécessaires pour l'exécution des lois, sans pouvoir jamais suspendre les lois elles-mêmes, ni dispenser de leur exécution. »

C'est en vertu de cette disposition constitutionnelle que l'arrêté a été pris. Toute la question est de savoir s'il suspend la loi ou s'il dispense de son exécution.

Souvent le département de l'intérieur et tous les départements ont usé de ce droit constitutionnel que donne l'article 67. De nombreux règlements existent en Belgique en matière d'enseignement primaire, il en est plusieurs que je pourrais vous citer.

Ainsi, en 1843, un règlement d'administration générale régla l'instruction des enfants pauvres. Le 15 août 1846, un règlement général pour les écoles primaires fut proposé ou imposé par un arrêté royal.

En 1849, le mode de payement des instituteurs fut réglé, comme (page 276) nous le réglons encore aujourd’hui, et le 26 avril 1852 un arrêté royal d'administration général institua le concours entre les écoles primaires.

Messieurs, bien que j’eusse examiné avec le plus grand soin la question de constitutionnalité de l’arrêté qui parut le 10 janvier 1863, lors que j’ai vu surgir cette opposition formidable de la province de Namur et de ses représentants dans cette enceinte, je ms suis demandé si je ne m'étais pas trompé. Je n'ai aucune prétention à l'infaillibilité, et j ai remis la question à l'examen ; dans le cas où j'aurais reconnu que ma manière de voir n'était pas conforme à l'esprit de la Constitution, j'étais décidé à revenir sur mon opinion.

L'entêtement, pour moi, n'est pas la fermeté et lorsque je reconnais qu'une chose est mal faite, je n'hésite pas à la réformer.

J'ai donc cru que je devais m'entourer de toutes les lumières et j'ai soumis la question au jugement d'hommes compétents et spécialement au comité de législation attaché au département de l’intérieur. Je demanderai la permission de lire la réponse qui m'a été faite par le comité, réponse qui est péremptoire.

« Nous n'avons pas, dit le comité, à juger de l'opportunité de la mesure critiquée. L'utilité pratique qu'elle présente résulte, monsieur le ministre, de vos explications devant les Chambres, aussi bien que des instructions que vous avez données aux députations provinciales.

« Nous nous bornerons à nous occuper du point de droit soulevé par les objections de la députation permanente de Namur.

« L'arrêté du 10 janvier a principalement pour but de déterminer le traitement maximum des instituteurs, dans les écoles primaires subsidiées par l'Etat.

« En réglant ce maximum, le gouvernement a-t-il excédé ses attributions, comme on l'en accuse ?

« Nous ne le pensons pas. .

« La loi a fixé le minimum du traitement des instituteurs à 200 francs.

« En principe, ce traitement comme toutes les dépenses ordinaires de l'instruction primaire, a été mis à la charge de la commune. Mais il a été admis en même temps que si la commune, après avoir consacré à ces dépenses la somme déterminée par la loi, ne pourrait pas y faire face, la province et l'Etat seraient obligés de venir à son aide.

« Cette obligation exceptionnelle doit être renfermée dans les limites tracées par la loi, c'est-à dire, en ce qui concerne le traitement de l'instituteur, qu'une fois que l'Etat intervient pour parfaire le traitement de 200 fr., il ne doit plus rien.

« Ce point étant la base de notre raisonnement, il nous a paru essentiel de l'établir rigoureusement. Il résulte des nombreux passages recueillis dans les débats parlementaire que l'Etat ne doit stricto jure que mettre ce communes à même de fournir le traitement de 200 fr. à l'instituteur.

« Depuis l'époque où a été votée la loi de 1842, on a compris que le traitement fixé par cette loi était devenu tout à fait insuffisant, eu égard aux nécessités croissantes de l'existence.

« L'Etat agissant alors, non plus pour satisfaire à ses obligations mais sous l’empire de sentiments bienveillants et généreux, a voulu aller plus loin que la loi ne l'y contraignait pour favoriser l'amélioration du sort des instituteurs.

« Il a consenti à subsidier les communes qui porteraient les traitements de ces agents à un taux supérieur au minimum légal.

« Mais, en même temps, le gouvernement a dû prendra ses précautions pour ne pas être entraîné au-delà des limites raisonnables ; il ne pouvait dépendre des communes d’augmenter indéfiniment les émolument de l’instituteur et d’accroître ainsi la charge du trésor public.

« L'abus était d’autant plus à craindre qu'une fois que la commune et la province ont satisfait aux obligations pécuniaires dont le chiffre est limité par la loi, elles n'ont plus à intervenir, et le surplus de la dépense retombe sur le trésor public. Loin que l'augmentation exagérée du traitement de l'instituteur puisse devenir une charge pour la commune, celle-ci ou du moins ses habitants en tirent avantage, puisqu'elle permet de réduire le taux de la rétribution des élèves formant le casuel de l’instituteur et cela au profit des pères de famille, mais au grand détriment de l’enseignement, car la réduction du casuel, en détruisant un stimulant offert à l'instituteur, peut amener le ralentissement de son zèle.

« En droit, la détermination du maximum se justifie d'autant mieux qu'en définitive, c'est au gouvernement qu'il appartient en dernier ressort de déterminer le traitement des instituteurs communaux.

« Cela résulte de l'article 21 de la loi d'après lequel ce traitement est fixé par les conseils communaux, sous l'approbation de la députation permanente, sauf recours au Roi.

« L'arrêté du 10 janvier n'est qu'une application de cette règle.

« On a essayé, il est vrai, de prétendre que le droit de recours accordé au gouvernement n'est pas absolu, qu'il n'est ouvert qu'en cas de dissentiment entre l'administration provinciale et l'administration communale ; mais les principes comme la pratique condamnent ce soutènement et vous l'avez victorieusement réfuté dans votre dépêche du 30 mars.

« Ce serait une erreur de croire avec la députation permanente, qu'en statuant, comme il l'a fait, le gouvernement a substitué son initiative à celle du conseil communal.

« Il n'en est rien ; en règle générale, toute commune pourra rétribuer son instituteur aussi richement qu'elle le voudra, si elle entend le faire à l'aide de ses propres ressources. L'arrêté ne s'applique qu'aux communes qui demandent l'intervention du trésor. Il est vrai qu'à l'égard de ces communes, comme pour les autres, l'art. 21 est également applicable et qu'on aurait pu, à la rigueur, se contenter de cette disposition de loi et réduire le traitement, par arrêté royal, dans chaque cas où il aurait été porté au-dessus d'un certain maximum, mais cette façon de procéder eût entraîné une foule de conflits particuliers. On aurait été dans la nécessité fâcheuse d'abord de faire naître un antagonisme constant entre la députation et le gouverneur obligé de prendre son recours contre les décisions de ce collège. Puis, on se serait vu contraint de faire intervenir à tout instant l'autorité royale dans des questions d'une importance très secondaire.

« En déterminant d'avance une règle de conduite à la fois aux conseils communaux et aux députations permanentes, ce double écueil se trouve évité. Cet arrêté royal tant critiqué n'est donc autre chose qu'une mesure prise pour assurer l'exécution de l'article 21 de la loi. Rien de plus légal, de plus constitutionnel, car le pacte fondamental dit que le Roi fait les règlements et arrêtés nécessaires pour l'exécution des lois. (Article 67.) Et cela est si vrai, que l'arrêté du 10 janvier ne trouve sa sanction que dans l'article 21 de la loi elle-même,

« Supposons, en effet, qu'une commune subsidiée par l’Etat fixe le traitement de l'instituteur à 850 francs, c'est-à-dire à 50 francs de plus que le chiffre attribué à la catégorie supérieure. Qu'arrivera-t-il ? Cette délibération sera-t-elle nulle de plein droit et par la seule force de l'arrêté du 10 janvier ? Nullement, il faudra que le gouverneur prenne son recours selon le vœu de l'article 21 de la loi et que le Roi statue par une disposition spéciale. Et il est vrai de dire qu'il n'y a d'arrêté illégal que celui qui a pour but de faire ce que la Constitution ou la loi peuvent seules faire.

« Tel n'est pas le cas de la disposition dont il s'agit. Loin de léser aucun droit, elle a pour mérite d'éviter des difficultés graves et nombreuses et nous concevons fort bien, qu'à part la province de Namur, toutes les autres l'aient accueillie avec sympathie et l'appliquent sans qu'on ait signalé aucun inconvénient.

« Nous croyons avoir réfuté l'argumentation de la députation permanente en ce qui touche son principal grief contre l'arrêté du 10 janvier.

« D'autres reproches sont encore articulés contre cette disposition.

« Nous nous contenterons, en ce qui concerne ces objections, de nous en référer à votre dépêche du 31 mars, qui les a très péremptoirement réfutées. »

Voilà quel est l'avis du comité de législation, et ce comité se compose de MM. Liedts, Faider et Tielemans. Je crois pouvoir opposer avec avantage le nom de ces trois jurisconsultes aux jurisconsultes qui ont inspiré le discours de M. Wasseige.

Le comité de législation parle d'autres reproches. Bien que les principes exposés répondent à toutes les critiques, je crois devoir dire encore quelques mots pour réfuter ces reproches, tout en me référant aux réponses que j'ai adressées à la députation de la province de Namur.

On nous a dit : L'arrêté fait une distinction encore les écoles subsidiées et les autres, la loi ne la fait pas ; donc vous violez la loi.

Mais de quoi s'agit-il dans l'arrêté ? Il s'agit de limiter les subsides de l'Etat ; il s'agit de savoir jusqu'à quel point le gouvernement doit ou peut intervenir. Pouvait-on ne pas parler des écoles subsidiées, puisqu'il était question de subsides ? La distinction était donc inévitable.

On dit, d'un autre côté, que la loi ne distingue pas entre les écoles subventionnées et les écoles non subsidiées. Directement, non ; mais indirectement, oui.

L'article 23 dit quand et à quelles conditions les écoles pourront recevoir des subsides, il prévoit donc qu'il y aura deux espèces d'écoles, celles qui reçoivent des subsides et celles qui n'en reçoivent pas.

D'autres arrêtés d'administration générale règlent des points plus contestables, et cependant ils n'ont jamais fait l'objet d'un blâme sérieux.

D'honorables contradicteurs nous diront : Pourquoi n'appliquez-vous pas toutes les dispositions de cet arrêté à toutes les écoles ? Mais pourquoi fallait-il s'occuper des écoles des communes non subsidiées ; (page 277) pourquoi fallait-il restreindre la liberté ? Etait-ce pour le plaisir de l'uniformité qu'il fallait enlever à ces communes des prérogatives qu'elles peuvent exercer sans dommage pour les intérêts du trésor ?

On dit aussi, en second lieu, que l'arrêté usurpe les droits des conseils communaux et des députions permanentes, parce que la loi charge les premiers de régler la comptabilité communale sous l'approbation des députations.

Il n'en est rien : l'article 14 de l'arrêté réserve de la manière la plus formelle les prérogatives de la députation, en ce qui concerne la comptabilité. Les conseils communaux et les députations permanentes exerceront leurs droits et leurs prérogatives, comme ils les ont exercés auparavant. La loi a autorisé les conseils communaux à régler, sous l'approbation des députations, tout ce qui concerne les budgets scolaires ; mais elle n'a pas voulu donner aux conseils communaux le droit de régler le budget de l'Etat, c'est-à-dire de puiser à leur gré dans le trésor public, sans aucune condition, sans que l'Etat eût à exercer à cet égard le moindre contrôle. Voilà cependant la prétention manifestée par nos contradicteurs. Selon eux, l'Etat doit intervenir d'une manière illimitée. Il en résulterait que lorsque l'allocation de la commune en faveur de l'instruction primaire égale le produit de 2 centimes additionnels au principe des contributions directes, on pourrait élever encore outre mesure le traitement de l'instituteur, ainsi que les autres dépenses, et le gouvernement ne pourrait point intervenir, même quand ces dépenses doivent être payées par le trésor public ! Cela n'est pas soutenable.

D'ailleurs, si les communes règlent ce qui concerne les dépenses de l'instruction primaire, sous l'approbation des députations, on ne peut ignorer que c'est sauf recours au Roi. C'est là une question de la plus haute importance. Qu'est-ce que ce recours ? C'est ici que nous différons d'opinion avec nos honorables adversaires. D'après eux, le recours doit être exercé par application de l'article 125 de la loi provinciale. Nous n'adoptons pas cette doctrine ; nous soutenons qu'ici le recours au Roi est d'une tout autre nature. En effet, le recours dont il s'agit, dans l'article 125 de la loi provinciale, ne peut avoir lieu que par ceux à qui la loi donne ce droit, et dans le délai que la loi provinciale détermine ; mais les recours dont il est question dans la loi du 23 septembre 1842 peuvent être exercés par tous les intéressés ; la discussion ne laisse pas le moindre doute à cet égard.

Voici quelques extraits de la discussion :

« M. Dechamps. - Pourquoi l'honorable membre, qui a une si fraude confiance dans cette autorité (la députation permanente), ne s'en rapporterait-il pas à elle du soin de décider si, dans une commune, il est pourvu aux besoins de l'enseignement primaire par les écoles privées ?

« Il me semble donc, messieurs, que vous avez là une garantie suffisante, une garantie qui manquait même, jusqu’à un certain point, dans le projet de 1834, puisque ce projet n'admettait pas le recours au Roi, comme fait le projet actuel. Et à cet égard, je répondrai à l'honorable M. Verhaegen que, d'après notre projet, le pouvoir central intervient sous ce rapport jusque dans la commune, puisqu'il y a recours au Roi pour la décision de la question de savoir si, dans une commune, il est suffisamment pourvu, par les écoles privées, aux besoins de l’enseignement primaire. » (Séance du 11 août 1842.)

« M. de Theux. - Non, messieurs, le nouveau projet va plus loin que le projet de 1834, exigeant l'établissement d'une école communale.

« Il est permis à tout individu de la commune qui croirait qu'une école communale y est nécessaire, de prendre son recours auprès du Roi contre la décision contraire au conseil communal. Ainsi le gouvernement central est appelé à contrôler les décisions des autorités communales et provinciales. On a donc toutes les garanties désirables. » (Séance du 11 août 1842.)

« Le même. - Il me paraît que la fixation d'un minimum n'est pas indispensable, alors qu'en vertu de la loi, il peut y avoir recours au Roi quant au traitement.

« En effet, ce recours sera une espèce de garantie. Le conseil communal propose un traitement. La députation trouve que ce traitement est insuffisant, et n'approuve pas la fixation, et, dans ce cas, le conseil communal sera tenu d'augmenter le chiffre, si le Roi trouve que la commune a eu tort de ne pas fixer le traitement à un taux plus élevé.

« Si la députation approuve le chiffre arrêté par le conseil, et que l'inspecteur ne le trouve pas suffisant, le Roi pourra, sur la réclamation de ce fonctionnaire, majorer le traitement, nonobstant la fixation arrêtée par le conseil communal et par la députation. Il y a donc là toute espèce de garantie. » (Séance du 19 août 1842.)

« M. d’Huart. - Mais, dit-on, à défaut du maximum proposé, le conseil communal tâchera de réduire à presque rien le traitement de l’instituteur. Cela est impossible d’après la rédaction proposée, en supposant même qu’on supprime la fixation du minimum, puisque ce sera soumis à la députation permanente et ensuite au Roi.

« Ainsi, les conseils communaux qui ne voudraient pas exécuter la loi, ne réussiraient pas dans leur tentative ; le recours au gouvernement amènerait la contribution qu'ils doivent supporter à raison de leurs ressources. » (Séance du 10 août 1842.)

« M. Nothomb. - Messieurs, la question dont il s'agit est celle de savoir s'il faut fixer un minimum. Pour moi, je le pense.

« Si vous ne le faites pas, le gouvernement sera obligé de le faire par mesure administrative. »

« M. de la Coste. - Quant à l'absence des moyens coercitifs, elle n'existera plus, puisque la loi donne au gouvernement le doit de vaincre les résistances des communes. » (Ibid.)

« M. Nothomb (à propos de l'article 15). - Je demanda qu'on ajoute après ce mot « commune », les mots « sauf recours au Roi. » Il est question, dans cet article, d'objets très importants, notamment du mode de recouvrement. Ce recours au Roi pourra être utile dans certains cas. Il permettra aussi d'établir un peu d'uniformité, au moins par province. » (Séance du 30 août 1842).

Autre objection : l'arrêté empiète sur les droits laissés aux communes et à la députation par l'article 5 de la loi du 23 septembre 1842, qui attribue aux conseils communaux et aux députations permanentes le règlement de tout ce qui concerne l'instruction des enfants pauvres.

Mais l'arrêté royal de 1843 règle déjà ce qui concerne l'instruction des enfants pauvres. A t-on soutenu que ses dispositions empiètent sur les prérogatives communales et provinciales ?

En quoi notre arrêté empiète-t--il sur ces attributions ? En fixant le minimum de la rétribution scolaire ? Mais ce minimum a été fixé en quelque sorte par les orateurs qui ont pris la parole dans la discussion générale de la loi.

J'aurais encore beaucoup à dire sur le règlement pour répondre aux nombreuses critiques dont il a été l'objet ; j'abrège, pour ne pas fatiguer la Chambre de discussions pour ainsi dire administratives. D'ailleurs, j'ai rencontré ces observations de détail dans ma correspondance avec la députation de la province de Namur ; cette correspondance est publiée et je m'y réfère complètement.

Je rappellerai toutefois à la Chambre que l’intention du gouvernement est de proposer la révision de l'article 23 de la loi ; à cette occasion, on pourra discuter plusieurs des questions soulevées, et celles qui paraîtront douteuses pourront être résolues par la loi elle-même.

Un mot encore. On a contesté l'utilité du règlement. Je puis dire cependant qu'il était bien nécessaire.

Dans les rapports transmis au département de l'intérieur, on signalait des abus nombreux ; on accusait des administrateurs, à tort ou à raison, de poser des actes de favoritisme.

Dans certaines provinces, prétendait-on, des instituteurs, grâce à certaines influences, étaient beaucoup mieux rétribués que des collègues plus méritants, et cela au moyen des subsides de l'Etat.

J'ai voulu faire cesser cet état de choses par une mesure générale. Je ne signalerai pas des faits ; je ne veux pas irriter le débat.

Quand on examine une question de principe, on parvient à la résoudre non pas au moyen de récriminations, mas au moyen d'arguments. Je le répète donc, je ne citerai pas de faits, et cependant j'en pourrais citer beaucoup.

Pour démontrer l'utilité de l'arrêté du 10 janvier, je pourrais me borner à dire que cette disposition a amélioré la position financière de près de 3,000 instituteurs sur 4,000.

En 1862, il y avait 210 instituteurs et institutrices dont le revenu était inférieur à 700 francs ; 958 dent le revenu variait de 700 à 800 francs. Cela faisait un total de 1,168 instituteurs et institutrices ne jouissant que d'émoluments assez minimes.

Quant aux sous-instituteurs et aux sous-institutrices, 92 recevaient moins de 500 francs ; 532 recevaient de 500 à 600 francs ; 338 de 600 à 700 francs et 121 de 700 à 800 francs.

Voilà donc encore 803 sous-maîtres et sous maîtresses fort mal rétribués pour la plupart et dont un certain nombre même ne touchaient qu'un revenu tout à fait insignifiant.

Eh bien, l'arrêté du 10 janvier 1863 a eu pour résultat d'améliorer la position de ces 2,031 agents. On a également améliorer la position d’un grand nombre d'instituteurs et d’institutrices qui jouissaient déjà d'un revenu de 800 francs, en sorte que plus de 3,000 membres du personnel enseignant ont, comme je viens, de le dire, profité de la mesure.

(page 278) - M. Bouvierµ. - C'est très bien. (Interruption)

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je pense que personne ne pourra bien que c’est mal.

Je ne crois pas non plus qu'on puisse critique la disposition du règlement qui crée les catégories d'instituteurs.

On a dit que l'instituteur de la catégorie inférieure ne pourra jamais voir améliorer sa position pécuniaire. C'est inexact.

Il est vrai que le traitement ne pourra pas être augmenté ; mais on pourra améliorer sa position, d'abord en fixant un chiffre plus élevé pour le casuel, en second lieu, on pourra l'améliorer en vertu d'une disposition prise sous mon administration, en 1832, c'est-à-dire en donnant à l'instituteur, s'il se distingue, une gratification sur les fonds de l'Etat. L'honorable M. Wasseige lui-même vous a parlé de l'arrêté royal du 21 juin 1862 qui permet d'allouer ces gratifications aux instituteurs qui se distinguent par leur bonne conduite, par leur assiduité, par leur zèle et par leur travail.

Voila donc plusieurs moyens propres à améliorer la position pécuniaire des instituteurs.

Mais au fond, la disposition qu'on a critiquée n'est-elle pas juste ? Un instituteur qui n'a que 35 ou 40 élèves doit-il se donner autant de peine qu'un instituteur qui en a 80 à 100 ? Evidemment non ; la rémunération ne doit-elle pas être en rapport avec les services rendus ?

Dans la circulaire qui accompagne l'envoi de l'arrêté royal aux gouverneurs, on fixe le minimum du revenu dont doit jouir l'instituteur de chacune des trois catégories. Ce revenu est de 850 fr. pour la catégorie inférieure ; de 950 fr. pour la catégorie intermédiaire, et de 1,050 fr. pour la catégorie supérieure.

Je le répète, ce ne sont là que des minimums ; on peut faire plus, on ne le doit pas, mais on ne peut pas faire moins.

Messieurs, en fixant un maximum de traitement qui ne peut être dépassé, le gouvernement a eu un double but : il a d'abord voulu sauvegarder les intérêts du trésor, mais il a eu en vue surtout l'intérêt même de l'enseignement. Dans un grand nombre d'écoles l'instituteur recevait autrefois le traitement et le casuel qui lui était attribuée par le budget, soit qu'il eût des élèves, soit qu'il n'en eût pas. L'instituteur n'avait ainsi aucun intérêt à avoir des élèves.

Ce que nous avons voulu, c'est que l'instituteur eût un traitement fixe qui lui fût payé régulièrement par mois, et un casuel proportionné aux services qu'il rend.

En d'autres termes, ce que nous voulons, c'est que l’instituteur gagne une partie de son revenu ; et nous le voulons, pour qu'il ait un intérêt et un stimulant à voir l'école fréquentée par te plus grand nombre d'élèves possible.

Jusqu'ici l’instituteur pouvait avoir un intérêt tout contraire ; s'il avait peu d'élèves, en effet, il avait moins de travail. Aujourd'hui, quand il aura peu d'élèves, il aura peu de casuel. Je crois que ceci se justifie à tous les points de vue.

M. Bouvierµ. - Je dis encore une fois très bien.

M. Wasseigeµ. - C'est la moins mauvaise des dispositions de votre règlement.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - L'honorable M. Wasseige me fait une concession, il me dit que c'est la moins mauvaise des dispositions du règlement. C'cet déjà quelque chose.

D'ailleurs, cette mesure est salutaire et les honorables députés de la province de Namur doivent le reconnaître, car la députation permanente, qui conteste au Roi le droit de prendre des règlements d'administration générale, en a pris un, elle a admis, à la demande du gouvernement le principe de la disposition formulée depuis dans l'arrêté du 10 janvier, et le résultat a prouvé l'efficacité de cette mesure. Au bout d'une année d'application de ce règlement dans la province de Namur, le nombre des élèves fréquentant les écoles s'est accru de 4 mille.

Voilà un résultat considérable ; et je m'étonne qu'après avoir eu de pareilles preuves de l'efficacité des dispositions que nous prenons, on vienne les contester ici.

Je dis qu'il était urgent de prendre une mesure dans cet ordre d'idées. On avait constaté dans une province, en 1861, que même pendant l'hiver, c'est-à-dire à l'époque où les écoles sont le plus fréquentées, la moitié seulement des élèves inscrits étaient présents ; on avait constaté en outre que les écoles, qui devaient être fréquentées pendant 245 jours de l'année, ne l’ont été en moyenne, pour toutes nos provinces, que pendant 182 jours ; et dans trois ou quatre de no provinces, cette moyenne est inférieure à ce chiffre.

Du reste, les inspecteurs ont reconnu que la non fréquentation des écoles était une véritable lèpre, et le gouverneur de la province de Namur l'a lui-même déclaré dans un discours prononcé à l'ouverture de la session du conseil provincial. Voici comment s'exprimait ce fonctionnaire :

« Le grand intérêt social en jeu, l’éducation des masses et la nécessité de répandre l'instruction dans toutes les classes de la société, ont pu faire naître des divergences d'opinions, quant aux moyens à employer. Mais tous les efforts doivent tendre vers un but commun qui est de parer, dans toutes les provinces, au grave inconvénient qui le gouvernement signale : la fréquentation insuffisante des écoles.

« Car il est douloureux de le constater : dans beaucoup de localités les enfants ne s'y rendent guère que pendant l'hiver, les quittent en été pour le travail des champs et abandonnent leurs études à l'époque de leur première communion, s'exposant ainsi à oublier jusqu'aux premiers éléments de l'éducation qu'ils ont reçue.

« C'est donc à juste titre que le gouvernement et la législature se sont préoccupés de cette situation et des moyens d'y porter un remède

Vous le voyez, messieurs, il était encore indispensable de prendre des mesures pour assurer la fréquentation des écoles. Les concours permettaient aussi de reconnaître que beaucoup d'élèves désertaient les classes avant d'avoir complété leur instruction.

Dans une province, sur 120 écoles, 20 n'ont pu prendre part au concours de 1861, faute d'élèves dans la division supérieure ; 43 avaient, dans le cours supérieur, de 4 à 8 élèves ; 43 en avaient de 1 à 3, et 12 seulement plus de.8. En moyenne les écoles primaires du pays ne comptaient guère que 06élèves dans les cours supérieurs.

Je n'insiste pas davantage sur ce point, je désire finir.

Les autres dispositions du règlement ne peuvent, je crois, donner sujet à critique. Personne ne contestera qu'il est utile de faire payer les instituteurs tous les mois. Souvent des plaintes se sont élevées à ce sujet dans cette Chambre. On a dit que les instituteurs n'étaient pas payés ou n'étaient payés qu'à la fin de l'année. Le règlement prescrit de payer leur traitement tous les mois et le minerval tous les trimestres. Ces dispositions méritent, je pense, l'approbation de tous.

Quant au fonds spécial que le règlement constitue, il me semble que c'est là une mesure administrative, bonne et justifiée. Il ne faut pas que les fonds donnés par l'Etat, par la province ou par la commune pour l'instruction primaire, soient détournés pour un autre usage. C'est donc là une mesure salutaire qui mérite encore l'approbation de la Chambre.

Voilà, messieurs, dars son ensemble, ce règlement qui a été si critiqué. Je crois qu'au point de vue de la légalité, entouré comme je le suis d'hommes compétents en cette matière, je ne dois avoir aucun scrupule. Au point de vue de l'utilité, la Chambre aura aussi, j'en suis convaincu, tous ses apaisements et je crois avoir fait une excellente chose en soumettant ces dispositions à l'approbation du Roi.

Messieurs, on a accusé le chef du département de l'intérieur de vouloir, par ses règlements, organiser une centralisation à outrance, de vouloir tout réglementer, tandis qu'à la Chambre il tient un langage tout contraire.

Messieurs, je ne veux pas tout décentraliser ; je veux décentraliser ce qu'il est possible de décentraliser, mais pour moi, décentraliser un service public, n'est pas le désorganiser ; je ne veux pas tout réglementer, mais je veux, autant que possible, tout régulariser. Voilà la différence, et je crois que, sous le rapport de l'enseignement primaire, il y avait beaucoup à régulariser.

Depuis longtemps tous mes prédécesseurs ont fait comme moi. Ils ont cherché à réprimer les abus et à réprimer le favoritisme là où il existait et à le rendre impossible en prescrivant des règles et des principes.

D'ailleurs, je l'ai déclaré et je le répète, en matière d'enseignement primaire, je ne suis pas décentralisateur. Je crois que, sur ce terrain, le gouvernement doit user de tous les droits que la loi lui donne, parce que la loi lui confie un devoir sacré au point de vue de la société .

Je pourrais développer ces idées, mais l'heure est trop avancée. Je pourrais vous dire pourquoi je crois que le gouvernement ne peut donner sa démission ni renoncer à ses prérogatives quand il s'agit de l’enseignement public.

(page 279) Je me réserve de faire cette démonstration dans une autre occasion et de vous dire les motifs sur lesquels je base mon opinion. Mais en attendant je crois pouvoir dire que, d'après moi, le papier sur lequel la démission ou la destitution du gouvernement en matière d'instruction publique, pourrait un jour être inscrite, n'est pas près d'être fabriqué.

M. Thibaut. - Je commencerai par présenter à la Chambre quelques observations sur le règlement du 10 janvier 1863, qui a été, dans la séance d'hier, l'objet de justes critiques de la part de mon honorable ami M. Wasseige.

Je trouve dans ce règlement beaucoup plus à reprendre qu'à louer. Il m'apparaît aujourd'hui comme hier, et nonobstant le discours parfois un peu ironique de M. le ministre de l'intérieur, comme une nouvelle phase de la réforme de la loi de 1842, commencée en 1849 et poursuivie depuis lors par voie administrative.

Les auteurs de cette loi, c'est-à-dire les deux partis qui luttent en Belgique, donnant l'exemple d'une modération et d'une sagesse dont nous ne serions peut-être plus capables aujourd'hui, parvinrent, après de long débats, à se mettre d'accord et à arrêter ensemble les meilleurs moyens d'obtenir un grand résultat social, l'instruction du peuple, l'éducation morale et religieuse des enfants du peuple.

Mais, messieurs, le parti libéral n'a pas tardé à reprendre ses habitudes d'hostilité contre l'influence religieuse et à donner tous ses soins au développement de l'action de l'Etat en délaissant la liberté.

Sous prétexte d'introduire des améliorations dans le régime de l'instruction primaire, le long ministère sous lequel nous vivons a fait prévaloir, après plusieurs années de travail, une interprétation nouvelle des articles 1, 2, 3, 5, 6 et 26 de la loi de 1842. Grâce à cette interprétation et aux moyens de coaction qu'elle met entre les mains du gouvernement, il n'y aura bientôt plus une seule commune en Belgique qui ne soit chargée d'une école communale ou, pour parler plus exactement, d'une école de l'Etat, dirigée par un fonctionnaire de l'Etat.

Les questions que tranche cette nouvelle jurisprudence administrative ont été longuement traitées en 1862 ; je n'ai pas plus que l'honorable ministre de l'intérieur l'intention de recommencer cette discussion.

Nos adversaires n'ont pas changé d'opinion ; nous conservons la nôtre. Nous croyons avoir le droit pour nous. Nous sommes obligés de reconnaître chez vous la force du nombre et de nous incliner devant sa prépondérance.

Je constate seulement que, par le système solennellement proclamé à cette tribune, en 1862, le gouvernement a servi l'hostilité ou, si vous l'aimez mieux, les défiances de son parti contre l'influence religieuse, en excluant, en principe et progressivement en fait, les membres des congrégations religieuses du régime légal.

En deuxième lieu, le gouvernement a servi les tendances de son parti vers la centralisation en déniant aux communes le droit d'adopter ou de subsidier une école libre ou privée ; en annulant ou en entourant de sévères restrictions le droit de nommer l'instituteur, et en posant en principe l'obligation, pour toutes les communes, de créer sous la direction de l'Etat ou de conserver, en toutes circonstances, une école communale.

Il est vrai, messieurs, que les mesures prises par le gouvernement contre l'influence religieuse et qui nous blessent, ne satisfont pas encore tous ses amis. Il en est qui demandent la suppression de l'enseignement religieux dans les écoles ; il en est qui veulent établir autour des écoles publiques une barrière infranchissable pour les ministres des cultes.

Je sais gré à l'honorable ministre de l'intérieur de la résistance ferme, et que je crois sincère, qu'il oppose à ces prétentions funestes et antisociales.

Mais si M. le ministre s'arrête dans cette voie, il est d'une étonnante fécondité pour produire des mesures qui étendent l'action du gouvernement sur l’enseignement primaire.

Cependant M. le ministre de l'intérieur semble ambitionner le titre de décentralisateur ; oui, M. le ministre est décentralisateur dans les petites choses, dans les bagatelles qui gênent et embarrassent inutilement l'action du pouvoir, mais il aime à mettre la main sur tout ce qui est grave, sur tout ce qui est sérieux, sur tout ce qui est important. La discussion de 1862 1'avait déjà démontré, et je viens de le rappeler ; mais la centralisation telle qu'elle apparut en 1862, n'était pas complète.

Les conseils communaux conservaient le droit de déterminer le traitement fixe de l'instituteur, sous l'approbation de la députation permanente ; les conseils communaux conservaient le droit de fixer le taux des rétributions dues par les élèves solvables ou pour les élèves pauvres, sous l'approbation de la députation permanente ; les conseils communaux et les députations permanentes conservaient le droit de faire, entre les différents objets énumérés dans la loi, la répartition des fonds votés par les communes et par les provinces pour l'enseignement primaire. Le recours au Roi n'était ouvert que pour aplanir les conflits et pour modifier les décisions qui blessaient l'intérêt général.

M. le ministre de l'intérieur a singulièrement modifié cet état de choses : il prescrit par le règlement du 10 janvier aux administrations des communes qui ont besoin du concours financier de l'Etat, et c'est la règle pour toutes les communes rurales, il prescrit à ces administrations les décisions qu'elles doivent prendre dans tout ce qui concerne les dépense» du service ordinaire de l'enseignement primaire ; il leur épargne la peine d'examiner et de se diriger d'après les circonstances et d'établir elles-mêmes avec intelligence le budget de l'école ; il leur impose un cadre étroit dont elles ne peuvent sortir parce que la sanction des commandements de M. le ministre de l'intérieur, c'est le refus des subsides.

Je n'examinerai pas, messieurs, si le règlement est favorable ou non aux instituteurs et à l'instruction des enfants. Je dirai seulement, en réponse à la partie du discours de M. le ministre de l'intérieur qui a trait à cette question, que, dans la province de Namur tout au moins, ce règlement ne sera pas favorable à un grand nombre d'instituteurs. Cela vient sans doute de ce que les communes de la province de Namur. entre toutes les autres, se sont depuis longtemps signalées par les sacrifices qu'elles s'imposent en faveur de l'enseignement primaire. Je ne crois pas qu'il y ait une commune, dans la province de Namur, où les émoluments de toute espèce de l'instituteur ne soient supérieurs au taux maximum fixé par le règlement du 10 janvier.

M. Bouvierµ. - Tant mieux.

M. Thibaut. - Je le répète, je n'examine pas la question à ce point de vue, je ne l'examine qu'au point de vue de la liberté communale et de la liberté provinciale en opposition avec la centralisation.

Je dénie à M. le ministre le droit de réglementer là où la loi a respecté la liberté. Je dénie à M. le ministre le droit de substituer à la loi un règlement général qui est contraire à la loi.

Vous connaissez, messieurs, les articles 5, 15 et 21 de la loi de 1842. C'est sur ces articles que M. le ministre s'appuie pour justifier le règlement du 10 janvier ; eh bien, messieurs, ces articles ne donnent au gouvernement qu'un seul droit, c'est de décider, en dernier ressort et par des arrêtés spéciaux, quand il y a recours au Roi ; donc il ne peut décider à priori et par voie de réglementation générale.

C'est le raisonnement fondamental que la députation permanente de la province de Namur a opposé à M. le ministre de l'intérieur dans les deux mémoires qu'elle lui a adressés et qui sont aujourd'hui entre vos mains. C'est le raisonnement que l'honorable M. Wasseige a développé hier avec une grande force de logique.

Que répond M. le ministre de l'intérieur, qu'a-t-il répondu dans la dépêche qu'il a adressée à la députation permanente ?

Ce n'est, dit-il, que par une interprétation judaïque des termes « sauf recours au Roi » qu'on arrive à dénier au gouvernement le droit de réglementer les trois articles dont il s'agit. Soit qu'il s'agisse du traitement de l'instituteur, soit qu'il s'agisse de la rétribution à payer par l'élève pauvre ou solvable, M. le ministre prétend que tout le monde peut toujours exercer le recours au Roi contre les décisions des administrations communales et provinciales. Par conséquent, dit-il, le gouvernement peut toujours les modifier, et dès lors il lui est bien permis d'indiquer à priori et par voie de réglementation générale comment ces articles doivent être exécutés.

Messieurs, le vices de ce raisonnement sautent aux yeux.

Je comprendrais qu'une instruction ministérielle adressée au gouverneur lui indiquât quand, en règle générale, il convient qu'il exerce le secours au Roi dans les matières prévues aux articles 5, 15 et 21.

Mais dans le règlement du 10 janvier, il n'y a ni instructions ni conseils, il n'y a que des ordres à suivre.

C'est une simplification sans doute. C'est là un des arguments que j'ai cru saisir dans la note que l'honorable ministre a lue et qui lui a été remise par le comité de législation à l'appui de la thèse.

C'est une simplification, j'en conviens, et si tout le monde peut exercer un recours au Roi contre les décisions de la députation, si, en outre, M. le ministre est résolu à réformer toutes les décisions qui ne seront pas calquées sur le type qu'il a imaginé, autant vaut un règlement général qu'une foule d'arrêtés spéciaux ; car M. le ministre a partout des agents sous ses ordres, commissaires d'arrondissement, inspecteurs, instituteurs, etc., et il saura toujours évoquer des résolutions qui ne lui conviendront pas.

Mais, je le demande, est-ce là de la liberté et n'est-ce pas plutôt de la centralisation ?

Est-il vrai cependant que tout le monde puisse exercer le recours au (page 280) Roi prévu par la loi de 1842 ? Je le nie complètement. L'intérêt lésé seul peut être la base d'un recours et le représentant légal de l'intérêt lésé est seul apte à l'exercer.

Le recours administratif prévu par la loi de 1842 ne peut être basé que sur l'intérêt communal ou sur l'intérêt des pauvres d'une commune ou sur l'intérêt général.

Or l'intérêt communal est représenté par le conseil communal, l'intérêt des pauvres est représenté par le bureau de bienfaisance dont les propositions sont soumises aux députations permanentes.

Au sein des députations permanentes chargées d'établir l'équilibre ou de concilier les deux intérêts dont je viens de parler avec l'intérêt public, c'est-à-dire l'intérêt du trésor, siègent les gouverneurs qui, dans les cas qui nous occupent, représentent ce dernier intérêt.

Par conséquent le recours est ouvert, tantôt au conseil communal, tantôt au bureau de bienfaisance, tantôt au gouverneur contre les décisions des députations pour en demander la réformation. Et ici, je m'écarte un peu de l'opinion exprimée par mon honorable ami M. Wasseige et par la députation de Namur.

L'honorable M. Wasseige et la députation de Namur n'accordent de recours au gouverneur que par application de l'article 125 de la loi provinciale dans les limites de cet article.

J'admets le droit du gouverneur à exercer le recours en vertu de la loi de 1842, parce que dans la députation statuant sur les dépenses de l'enseignement primaire et les moyens d'y faire face, le gouverneur doit veiller à ce que le concours financier de l'Etat ne soit pas abusivement réclamé. Il est là le représentant légal d'un intérêt qui peut être lésé par les décisions de la députation. Par conséquent on ne peut lui refuser le droit de recours.

Ainsi, pour faire l'application de ces principes, s'agit-il du cas prévu par le paragraphe 3 de l'article 5 qui concerne les listes des enfants pauvres et la subvention ou la rétribution à fixer par élève, ou bien des cas prévus par l’article 15 qui concerne la rétribution à payer par l'élève solvable ? Le recours est ouvert à la commune contre la décision de la députation qui lui inflige grief.

Mais si la commune et la députation sont d'accord, le recours au Roi ne peut être exercé que par le gouverneur et dans le cas seulement où la décision de la députation lui paraîtrait engager trop fortement les finances de l'Etat.

Dans le cas prévu par le paragraphe 4 de cet article qui concerne la part contributive du bureau de bienfaisance dans les frais de l'instruction des enfants pauvres, c'est le bureau de bienfaisance seul qui peut exercer le recours contre la décision de la députation.

S'agit-il du cas prévu par l'article 21 qui concerne le traitement de l'instituteur ? Le recours peut être exercé par le conseil communal dans l'intérêt communal et par le gouverneur dans l'intérêt public, c'est-à-dire, dans l'intérêt du trésor public, s'il trouve que le traitement de l'instituteur est fixé à un taux trop élevé.

Mais l'instituteur qui trouve insuffisant le traitement fixé par le conseil communal et approuvé par la députation, a-t-il un droit de recours ?

Nullement. Il n'a qu'un intérêt personnel, un intérêt privé dans la question. Il ne peut agir que par voie de pétition.

Dans un seul cas, un seul, le recours est ouvert à l'instituteur. C'est lorsqu'il n'est pas d'accord avec le conseil communal sur le taux de l'indemnité de logement. Et il ne peut s'adresser qu'à la députation.

Quant à l'inspecteur, il ne peut être admis dans aucun cas à exercer le recours. Il n'a aucune mission pour cela.

Le recours au Roi ne peut donc être exercé par tout le monde.

M. le ministre, dans la réponse qu'il a adressée à la députation de Namur, a cité les opinions émises pendant la discussion de la loi.

J'ai relu les passages des discours auxquels l'honorable ministre a fait allusion. Je reconnais que des orateurs éminents, et que je respecte, semblent donner au recours un sens très large. Mais les opinions individuelles incidemment produites ne peuvent pas changer le sens de termes juridiques.

Le recours suppose une partie en cause dont les propositions ont été rejetées ou dont l'intérêt est lésé et qui appelle devant une autorité supérieure. Or, dans le cas prévu par les articles 5, 15 et 21 il n'y a de parties en cause que le conseil communal, en certains cas, les bureaux de bienfaisance et les gouverneurs qui représentent l'intérêt général.

Remarquez d'ailleurs qu'en 1842 on n'a pas discuté sur le sens du mot « recours ». Le recours a été admis comme une garantie pour les intérêts dont je viens de parler. C’est à ce titre seul qu'il a été admis. On n'a pas discuté la question de savoir par qui il pourrait être exercé. L'honorable ministre retourne la garantie insérée dans la loi, contre son but, lorsqu'il argumente du grand nombre de personnes auxquelles il attribue le droit de recours, pour le supprimer, ou le rendre illusoire.

M. le ministre de l'intérieur a cité des paroles prononcées par l'honorable comte de Theux. Sans doute ce nom respecté peut faire impression sur vos esprits. Mais permettez-moi de présenter à ce sujet une observation sérieuse. Les paroles les plus significatives du comte de Theux se rapportent à l'article 21.

M. de Theux demandait que l'on s'abstînt de fixer dans la loi le minimum du traitement de l'instituteur, et parmi les considérations qu'il faisait valoir, il disait que le recours offrait une garantie contre les décisions des conseils communaux et des députations qui réduiraient ces traitements à un chiffre trop modique. Il disait que le Roi pouvait majorer le traitement sur la réclamation de l'inspecteur. Mais la Chambre n'a pas admis la proposition de M. de Theux. Ainsi, loin d'approuver les motifs sur lesquels il la basait, et entre autres le recours de l’inspecteur, elle les a plutôt rejetés.

L'honorable ministre a dit aussi que le recours pouvait être exercé toujours. Mais si cela était vrai, il n'y aurait plus de régularité, plus de stabilité dans la comptabilité des communes ; à chaque instant il faudrait remanier les budgets, ce serait un véritable chaos.

Le conseil communal, le bureau de bienfaisance ne peuvent plus exercer leur recours lorsqu'ils ont exécuté la décision de la députation, et le gouverneur exerce ordinairement le recours dans les cas où il lui est permis, en soumettant an gouvernement les propositions de subsides arrêtées par la députation permanente, il peut même, à mon sens, exercer ce recours jusqu’au moment où le ministre alloue les subsides.

Mais, messieurs, que le recours soit ouvert à tout le monde ou qu'il ne soit accordé qu'aux administrations publiques et aux gouverneurs, qu'il puisse être exercé toujours ou qu'il soit limité à certains délais ,en résulte-t-il que le gouvernement peut le supprimer en réglant d'avance ce que doivent faire les conseils communaux et les députations ?

Ce raisonnement a lieu d'étonner. Prenons pour exemple l'article 21 de la loi.

« Le traitement de l'instituteur, dit cet article, est fixé par le conseil sous l'approbation de la députation permanente et sauf recours au Roi.

« Ce traitement ne peut être moindre de 200 fr. »

La loi ne fixe qu'un minimum de traitement, donc le conseil communal peut élever le traitement de l'instituteur à tout chiffre supérieur à ce minimum.

Voilà ce qui résulte du texte de la loi.

Je demande si aujourd'hui le droit du conseil communal est encore le même. Evidemment non.

Je suppose que le conseil alloue à l'instituteur un traitement supérieur au maximum fixé par le règlement du 10 janvier, et que la députation réduise ce traitement au maximum. Qu'arrivera-t-il ? Le ministre a dit tout à l'heure, et le comité de législation dit également dans sa note que le conseil communal a néanmoins le droit de recourir. Oui, mais il est certain que son recours sera rejeté, il est donc complètement illusoire, et en effet, si, comme le dit à côté de moi l'honorable M. Wasseige, le droit des communes restait le même, à quoi servirait le règlement ?

Je ne vois d'ailleurs, en principe, aucune différence entre le droit de fixer un maximum que le gouvernement s'attribue et le droit de fixer le taux même des traitements d'une manière uniforme. Or c'est ce que la loi n'a pas voulu permettre.

Il en est de même pour le casuel.

En vertu de la loi, le conseil communal est seul appelé à fixer la rétribution à payer par ou pour l'élève, c'est-à-dire le casuel, sauf recours au Roi.

L'honorable M. Nothomb, ministre de l'intérieur en 1842, disait expressément dans la discussion : « Nous ne fixons ni la rétribution à payer par le père de famille, ni celle à payer pour les pauvres ; tout cela est abandonné aux circonstances et au conseil communal, sauf le recours aux autorités supérieure. » Il n'appartenait donc pas à M. le ministre de fixer un minimum.

Le règlement du 10 janvier statue sur plusieurs points que, pour abréger, je n'examinerai pas ; je me borne à faire des réserves. Il en est un cependant sur lequel je désire appeler votre attention.

L'article 10 du règlement fait peser sur les administrations communales une responsabilité qui n'existe pas en vertu de la loi.

Voici dans quel cas :

Le règlement décide, et je l'approuve en cela, que la rétribution pour l'élève pauvre ne sera due à l'instituteur que pour les mois pendant lesquels l'élève aura fréquenté l'école au moins quinze jours. L’article 10 rend les administrateurs communaux responsables des sommes indûment payées.

(page 281) C'est là de l'arbitraire ; je ne connais an moins aucune disposition légale en vertu de laquelle cette responsabilité puisse être appliquée aux administrateurs communaux.

Comment pourraient-ils se mettre à couvert ? II faudrait que chaque jour un membre de l'administration se rendît dans l'école pour faire l’appel nominal des élèves.

J'engage M. le ministre à chercher un autre moyen de contrôler les déclarations des instituteurs.

Messieurs, je n'en dirai pas davantage sur le règlement.

Un mot encore sur une dépêche du 7 juillet 1863, adressée à M, le gouverneur de la province de Namur. M. le ministre de l'intérieur invite ce haut fonctionnaire à joindre aux propositions de subsides arrêtées par la députation l'avis de l'inspecteur provincial. Je ne sais si une semblable dépêche a été adressée aux autres gouverneurs ; s'il n'en était pas ainsi, j'aurais un double motif de la considérer comme offensante pour la députation permanente de Namur, pour le conseil provincial dont elle est une émanation et pour le corps électoral lui-même.

Messieurs, la mission de l'inspecteur provincial est définie par la loi ; il n'a pas le droit de se mêler de la comptabilité des communes, ni d'exercer une surveillance sur les décisions de la députation.

J'appelle sur ce point l'attention sérieuse de la Chambre. La prétention du gouvernement ne tend à rien moins qu'à fausser le caractère de nos corps électifs, en faisant de l'inspecteur provincial une espèce de commissaire extraordinaire chargé de contrôler les conseils communaux et les députations. C'est là un abus contre lequel je proteste.

Messieurs, je demande à la Chambre la permission de lui présenter en terminant quelques observations sur l'article 23 de la loi.

Plusieurs fois on a discuté sur le sens que comportait cet article. Des conseils communaux et des députations permanentes ont agité la question. Deux interprétations sont en présence, l'une favorable aux communes, l'autre favorable au trésor.

Je ne parle pas d'une troisième interprétation toute nouvelle, à laquelle l’honorable M. Muller a donné le jour dans la séance d'hier..

L'honorable membre pense, si je l'ai compris, que l'article 23 de la loi impose à l'Etat l'obligation d'intervenir dans les frais de l'instruction primaire en faveur de toutes les communes qui s'imposent des dépenses notoires et importantes. Ce sont les termes que j'ai notés.

Je n'ai pas très bien saisi, je le répète, le système de l'honorable M. Muller ; mais je crois qu'il a pour but d'arriver à demander au gouvernement des subsides en faveur de la ville de Liège.

M. Mullerµ. - Elle y a droit.

M. Thibaut. - Il est possible qu'elle y ait droit ; mais jusqu'à présent la ville de Liège n'a pas réclamé, pour subvenir aux dépenses de l'enseignement primaire tel qu'elle l'a organisé, des subsides de l'Etat. (Interruption.)

M. le ministre de l'intérieur a déclaré, et je suis parfaitement de son avis, qu'il y avait lieu de placer toutes les communes sur la même ligne ; il ne s'agit que de savoir quelle interprétation il faut donner à l'article 25 de la loi.

M. Mullerµ. - Je suis d'accord avec M. le ministre.

M. Thibaut. - Je ne sais si l'honorable M. Muller est d'accord avec M. le ministre de l'intérieur ; nous le verrons lorsqu'il développera la proposition qu'il a semblé annoncer.

Je disais, messieurs, qu'il y a deux interprétations de l'article 23 de la loi, l'une favorable aux communes, l’autre favorable au trésor public. Dès 1843, en qualité de bourgmestre de la petite commune que j'habite, j'ai soutenu, dans une correspondance avec la députation provinciale de Namur, l'opinion favorable aux communes ; je disais que la commune avait rempli toutes ses obligations lorsqu'elle avait alloué à son budget, pour l'enseignement primaire, une somme égale au produit de deux centimes additionnels aux contributions directes.

La députation n'a pas admis cette interprétation. Je signale le fait, pour démontrer que dans la province de Namur la jurisprudence administrative sur cette question était fixée dès la première année de la mise en vigueur de la loi de 1842.

Je ne veux pas entrer plus avant dans l'examen de cette question, elle n'a plus d'importance pour les communes de la province de Namur. Ces communes ne réclament pas ; elles ont consenti depuis longtemps à faire tout ce que leurs revenus leur permettent en faveur de l'enseignement primaire ; elles y ont consenti, persuadées qu'il en est de même dans les autres provinces. La Chambre doit le croire également, car plusieurs fois elle a décidé la question, du moins implicitement.

Quant au gouvernement, il a souvent exposé et défendu le système adopté par la députation permanente de Namur. Il consiste à considérer le produit des deux centimes additionnels comme le minimum de ce que doivent s'imposer les communes pauvres, et à faire supporter par les communes qui ont des ressources suffisantes tous les frais de l'enseignement primaire ou du moins une part proportionnée à leurs ressources. Ce système, le gouvernement le croit fondé sur la loi ; la Chambre, je le répète, l'a admis ; c'est donc le système légal, c'est la loi.

Il est par conséquent du devoir du gouvernement de veiller à ce que système soit appliqué à toutes les communes de la même manière et de n'avoir de préférence ni de partialité pour aucune.

J'avoue que je ne soupçonnais pas qu'il en fût autrement ; et si je demandais à M. le ministre de l'intérieur si partout les mêmes principes sont appliqués, il est probable qu'il me répondrait affirmativement. Néanmoins il n'en est pas ainsi. Permettez-moi, messieurs, pour le démontrer, de vous lire quelques extraits de discours qui ont été prononcées au conseil provincial du Brabant pendant le mois de juillet de l'année dernière. Ils se trouvent insérés au Moniteur du 25, du 26 et du 29 de ce mois : Voici ce que dit M. Fizenne, membre, je pense, de la députation permanente :

« M. Fizenne. - Depuis la mise en vigueur de cette loi, la députation permanente a constamment maintenu que les communes, lorsqu'elles avaient porté à leur budget pour l'instruction primaire une allocation égale au produit de deux centimes additionnels aux contributions directes... avaient satisfait aux obligations que leur imposent les articles 20 et 23 de la loi.

« Les 9 provinces payaient en 1842, 213,550 fr., tandis que si on leur avait appliqué la loi de 1842 elles auraient dû payer 506,553 fr. 58 c. Il y avait donc un bénéfice de 293,000 fr. et ce bénéfice devait augmenter d'année en année, en même temps que les contributions.

« On a donc appliqué la loi et on a dit : Nous faisons de très beaux bénéfices... Au bout de 4 ou 5 ans, on s'est aperçu qu'au lieu de faire des bénéfices on avait un déficit.

« Alors on a interprété judaïquement l'article 23 et l'on a dit : Ce qui était un maximum doit devenir un minimum, parce qu'ainsi le veut l'intérêt du trésor... Alors on a changé de système : on a poussé les communes à payer davantage. Mais je le déclare, dans le Brabant, la députation permanente n'a jamais fléchi ; elle a tenu bon et les communes s'en sont bien trouvées. »

« M. Leclercq. Jusqu'ici cet article (20) avait été interprété dans le sens que dès qu'une commune votait, pour le service de l'instruction primaire, une allocation égale au produit de 2 centimes additionnels, le surplus de la dépense était à la charge de la province et de l'Etat.

« C'était là, à mon avis, une interprétation sage et favorable au développement de l'instruction primaire.

« Mais l'on voudrait, semble-t-il, ne plus accorder de subsides aux communes qu'après l'entier épuisement des ressources communales ordinaires.

« Je n'hésite pas à dire que la mise en pratique d'une théorie semblable serait le signal de la ruine des écoles primaires. »

Un troisième membre, M. Pangaert, se rallia à l'opinion exprimée par les deux orateurs que je viens de citer.

Dans la discussion on avait reproché à M. le gouverneur du Brabant d'avoir usé de son influence sur certaines administrations communales, pour les engager à augmenter les sommes qu'elles avaient votées pour l'instruction primaire et qui avaient été approuvées par la députation permanente.

M. le gouverneur a voulu expliquer sa conduite, et voici un extrait de son discours :

« M. le gouverneur. - Quand je me suis trouvé en présence de communes qui n'avaient pas des ressources tout à fait suffisantes, de communes qui s'exécutaient quelque peu raisonnablement, je n'ai rien demandé ; mais quand je me suis trouvé en présence d'autres communes qui avaient dee ressources suffisantes pour couvrir les dépenses relatives à l'instruction primaire, j'ai insisté parce que c'était mon devoir. Je leur ai demandé non pas « de faire tous les frais » quoique la loi leur impose cette obligation, mais d'élever quelque peu le chiffre de l'allocation portée au budget. » C'est dans ce sens que j'ai écrit aux communes.

« Quarante communes ont cédé... d'autres en nombre plus grand ont refusé de se rendre à mon invitation. J'en ai référé au gouvernement pour savoir si je devais me pourvoir... Le gouvernement m'a répondu négativement, en ajoutant qu'une nouvelle rédaction de l'article 23 était à l'étude. »

Voici maintenant les paroles prononcées par M. Fizenne après le discours de M. le gouverneur :

« M. Fizenne. - La députation exécute la loi telle qu'elle a été interprétée pendant les 5 ou 6 années qui en ont suivi la mise en vigueur. La (page 282) loi n'a pas changé ; ce sont les hommes qui ont changé. L'on a sacrifié au veau d’or, on s'est mis à genoux devant une pile de gros sous.

« On a dit : La loi est toujours la même, mais notre caisse est vide ; et pour la remplir on a employé de mauvais moyens ; mais tous les membres de la députation ont tenu bon ; ils ont voulu empêcher les communes d'être ruinées parce que l'Etat les trompe. »

M. Peemans, président du conseil provincial, a aussi pris part à cette discussion. Voici un extrait de son discours :

« M. Peemans. Pour M. Fizenne et pour moi, les articles 20 et 23 sont clairs... Notre interprétation de la loi de 1842 a toujours été la même ; dans la pratique, on l'a constamment admise, à de bien rares exceptions près.

« ... Un grand nombre de communes se sont adressées à moi, et j’ai été assez heureux de réussir près du gouvernement, parce que M. le gouverneur avait été plus loin qu'il ne pouvait aller. A la suite de réclamations sérieuses, pressantes, plusieurs budgets de nos communes ont été sauvés.

« C'est à la suite de la circulaire de M. le gouverneur que je me suis permis de m'adresser et à M. le ministre de l'intérieur et à M. le ministre des finances pour demander leur haute intervention. Des communes ont cédé ; elles ont fait une brèche dans leurs finances. Le plus grand nombre ont eu le courage de résister parce qu'elles ont trouvé de l'appui dans les membres de cette assemblée et elles ont réussi. J'espère qu'on ne reviendra plus à la charge. »

Messieurs, je pourrais multiplier ces citations. Celles que je viens de faire suffiront, je pense, pour démontrer que, dans le Brabant, la loi n'est pas appliquée comme elle l'est dans les autres provinces. Et cela se passe au vu et au su du gouvernement ; je pourrais presque dire par ordre du gouvernement. Non seulement M. le ministre de l'intérieur tolère cette injustice ; mail il l'approuve ; il s'oppose à ce qu'elle soit réparée. Et son honorable collègue M. le ministre des finances semble même avoir pris part à cette espèce de conjuration coutre le trésor publie au profit des communes protégées par M. Peemans. C'est un abus excessivement grave, et j'espère qu'il me suffira de l'avoir signalé pour le voir disparaître.

Projet de loi accordant un crédit provisoire au budget du ministère de la guerre

Dépôt

MfFOµ. - Messieurs, il est très probable que le budget de l'intérieur tiendra encore une séance. Il deviendra ainsi impossible de voter le budget de la guerre, si la Chambre juge à propos de ne plus se réunir après samedi.

Dans cette prévision, je viens, d'après les ordres du Roi, déposer un projet de loi qui ouvre au département de la guerre des crédits provisoires à concurrence de 8 millions de francs à valoir sur le budget de l'exercice 1865.

Projet de loi ouvrant un crédit extraordinaire au budget du ministère des finances

Dépôt

MfFOµ. - J'ai également l'honneur de déposer un projet de loi ouvrant un crédit extraordinaire de 49,000 fr. au budget du ministère des finances pour l'exercice 1865. Ce crédit est destiné à l'acquisition et à l'appropriation d'un hôtel pour le logement du directeur de l'enregistrement et des domaines i Mons.

- Il est donné acte à M. le ministre des finances de la présentation de ces projets de loi. La Chambre en ordonne l'impression et la distribution et renvoie le premier à la section centrale qui a examiné le budget de la guerre et le second à la section centrale qui a examiné le budget des finances.

- La séance est levée à cinq heures.