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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 7 février 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 439) M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. Thienpont, secrétaireµ, fait lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Les sieurs Gauvain et Debroux, membres de l'association libérale du canton de Beauraing, demandent que la loi électorale prescrive le vote par ordre alphabétique ; 2° que le droit de voter soit accordé à tous citoyen belge exerçant une profession qui a nécessité un brevet de capacité et qu'il soit refusé aux citoyens complètement illettrés ; 3° que la Chambre rejette toute espèce d'indemnité pour l'exercice des droits électoraux. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif aux fraudes électorales.


« Le sieur Delbaere propose de substituer au droit d'accise sur la bière un droit de 8 fr. par 100 kilog. de farine employée dans la fabrication de la bière.

« Même demande des sieurs Marchal, Piron, Trigaux, Regnier, Theunissen, Anciaux, Vannesse, Pierard, Dins, Van Maldegem, Spruyt, Vandevelde, Sey. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions relatives au même objet.


« Des habitants d'Hensies demandent la diminution des droits d'accise sur la bière indigène. »

« Même demande d'habitants de Teralphene, Termonde. »

- Même disposition.


« Le sieur Tombeur demande que les tribunaux de première instance aient le droit de fixer la résidence des huissiers, soit dans les chefs-lieux de canton, soit dans les communes les plus importantes de chaque canton. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi sur l'organisation judiciaire.


« Des habitants de Bruxelles et des environs demandent une loi qui abroge toute répression de la coalition comme telle et qui punisse simplement la menace et la violence lorsqu'elles viennent des ouvriers comme lorsqu'elles viennent d'autres citoyens »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur une pétition relative au même objet.


« Des habitants de Jette-Saint-Pierre, Koekelberg et Molenbeek-Saint-Jean réclament l'intervention de la Chambre pour que l'usine servant à la distillation des huiles de résine et de pétrole, qui a été incendiée le 25 janvier 1865, à Molenbeek Saint-Jean, ne puisse être relevée. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Warquignies prient la Chambre d'accorder aux sieurs Hoyois et Coudroy la concession d'un chemin de fer de Frameries à Condé par Quiévrain. »

« Même demande d'habitants de Dour, Frameries. »

- Même renvoi.


« Le sieur Dumonceaux demande que les volontaires qui ont fait partie de l'armée pendant un terme de 8 ans soient dispensés du service de la garde civique à moins que la patrie ne soit en danger. »

- Même renvoi.


« Des négociants ou industriels riverains de l'Escaut dans les environs d'Audenarde et propriétaires de prairies situées à proximité de ce fleuve demandent l'exécution de travaux pour faciliter la navigation et pour rendre régulière l'irrigation de leurs propriétés. »

- Même renvoi.


« Le sieur Verheggen, combattant de septembre, se plaint qu’on ne lui remette pas une décoration qui lui aurait été conférée. »

- Même renvoi.


« Des marchands de chiffons demandent la libre exportation des chiffons de lin et de coton. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, des demandes de naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« M. le ministre de l'intérieur transmet à la Chambre 118 exemplaires du tome XVII du Bulletin du conseil supérieur d’agriculture. »

- Distribution aux membres de la Chambre.


« M. le ministre de la guerre fait parvenir à la Chambre deux exemplaires de l'Annuaire militaire officiel de 1865. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. Hayez, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Projet de portant érection en commune distincte le hameau d’Hoeveren

Dépôt

MiVµ. - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau : 1° un projet de loi qui érige en commune distincte le hameau d'Hoeveren dans la province d'Anvers ;

Projet de loi relatif aux pensions du personnel administratif et enseignant de l’enseignement moyen

Dépôt

2° un projet de loi modifiant la loi du 21 juillet 1844 sur les pensions en faveur du personnel administratif et enseignant de l'enseignement moyen.

- Ces projets de loi seront imprimés et distribués.

La Chambre renvoie le premier à une commission spéciale qui sera nommée par le bureau ; le second, à l'examen des sections.

Projet de loi ouvrant un crédit au budget du département des finances

Dépôt

MfFOµ. - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau un projet de loi ayant pour objet d'ouvrir un crédit de 20,531 fr. 42 c. au département des finances.

- Impression, distribution et renvoi aux sections.

Projet de loi abrogeant la loi du 20 mai 1837 et modifiant les articles 726 et 916 du Code civil

Discussion générale

La discussion générale est ouverte.

(page 447) M. Delcourµ. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour appuyer le projet de loi qui est soumis à vos délibérations.

En abrogeant la loi du 20 mai 1837, en abrogeant les articles 726 et 912 du Code civil, vous réaliserez, dans ma pensée, un progrès certain dans notre législation civile.

Messieurs, vous connaissez la position que le droit civil fait à l'étranger en Belgique.

Il y a deux catégories, deux classes d'étrangers.

La première classe comprend les étrangers auxquels le Roi a accordé l'autorisation de résider dans le pays ; cette première catégorie ne tombe pas sous l'application de la loi que vous discutez.

La seconde classe comprend les étrangers qui n'ont pas été autorisés par le Roi à établir leur domicile en Belgique. Ces étrangers ne jouissent que des droits civils qui sont accordés aux Belges par les traités de la nation à laquelle ces étrangers appartiennent.

C'est donc un système de réciprocité que le Code civil établit, réciprocité qui a été étendue au droit de succession et appliquée par les articles 726 et 912 du Code civil. L'étranger est incapable de succéder en Belgique, si ce n'est dans les cas de réciprocité déterminés par la loi.

Messieurs, la loi qui vous est présentée a pour objet, d'abord, de faire tomber le principe de réciprocité ; en second lieu d'accorder à l'étranger la capacité de succéder en Belgique.

Ce n'est pas là une idée nouvelle qui se produit dans le parlement belge. En 1837, lors de la discussion de la loi du 20 mai, la section centrale a appelé l'attention du gouvernement et du pays sur l'abolition du droit d'aubaine. L'honorable rapporteur de la section centrale, M. Liedts, s'est demandé si le droit d'aubaine était encore en harmonie avec l'état actuel de notre civilisation et l'esprit de nos institutions, si des raisons d'humanité ne nous engageaient pas à revenir à la législation de l'assemblée constituante.

St la section centrale n'a pas fait droit à ces observations, c'est parce que le pays se trouvait dans des circonstances particulières.

Malgré ces circonstances particulières, l'honorable M. Seron fit la proposition formelle de revenir au principe de l'assemblée constituante et demanda la suppression complète du droit d'aubaine. La proposition ne fut pas admise.

Cependant j'ai trouvé dans le rapport de l’honorable M. Liedts un mot qui m'a frappé. M. Liedts n'a pas hésité à déclarer le principe de la réciprocité plus nuisible que profitable au pays.

Ainsi, en abrogeant aujourd'hui les articles 726 et 912 du Code civil, nous revenons à une idée généreuse.

Cependant, je ne crois pas que, dans une matière comme celle-là, nous devions nous laisser entraîner par les sentiments du cœur.

Il nous faut un principe placé plus haut, il nous faut un intérêt politique ; cet intérêt politique a été suffisamment développé dans l'exposé des motifs et dans le rapport de la section centrale.

Messieurs, vous n'ignorez pas que le droit d’aubaine était admis par notre ancienne législation nationale. Mais ce droit a été successivement modifié par les traités internationaux. Le traité de 1529, conclu entre François Ier et l'empereur Charles-Quint, supprima le droit d'aubaine entre la France et la Belgique.

Depuis lors, les souverains du pays se sont fait un devoir d'entrer en négociation avec l'Espagne, avec la Russie, avec la France et les Provinces-Unies.

En venant aujourd'hui appuyer l'abolition totale du droit d'aubaine, je reste fidèle, dans certaine mesure, à nos anciennes traditions nationales.

C'est la loi du 6 août 1790 qui a prononcé l'abolition du droit d'aubaine, mais cette loi laissait subsister l'incapacité de l'étranger de succéder en France à ses parents français. La loi du 6 avril 1791 a levé cette incapacité et complété le système.

Le gouvernement vous propose aujourd'hui de revenir à la première législation de l'assemblée constituant française.

Le code civil établit le principe de réciprocité, et le considère comme un système commandé par l'intérêt public. Si nous avions à discuter une question générale, si nous devions régler la position légale des étrangers dans le pays, je n'hésiterais pas à maintenir la réciprocité consacrée par le Code civil.

Mais il s'agit d'un cas spécial ; il s'agit de la successibilité de l'étranger, et nous avons tout intérêt à attirer dans le pays des hommes qui par leurs capitaux, leur industrie ou leurs talents, viendraient l'enrichir.

La France nous a précédés dans cette réforme. Dès les premiers temps de la restauration, la question de l'abolition du droit d'aubaine a été soulevée et décidée par la loi du 14 juillet 1819.

C'est cette loi que le gouvernement propose d'appliquer à la Belgique. Je l'ai examinée avec attention, j'ai parcouru les recueils de jurisprudence, j'ai consulté les auteurs, et je tiens à dire que peu de lois ont soulevé moins de difficultés dans leur application.

Cependant, en présence de l'article 4 du projet de loi, je demanderai à l'honorable ministre de la justice un mot d'explication sur un point qui pourrait donner lieu à un débat sérieux devant les tribunaux.

Nous avons tous intérêt à ce que le sens de la loi soit clair et irrévocablement fixé.

L'article 4 du projet accorde aux héritiers belges, en concours avec des héritiers étrangers, le droit de prélever une portion égale à la valeur des biens situés en pays étranger, dont ils seront exclus, à quelque titre que ce soit, eu vertu des lois et coutumes locales. Voici la difficulté que je rencontre.

L'application de la loi se fera sans peine dans les cas ordinaires. On formera une masse de tous les biens de la succession, des biens situés en Belgique et à l'étranger, et l'héritier belge prélèvera sur cette masse la valeur des biens dont il est exclu par la loi étrangère. Mais si le défunt avait disposé, soit par donation entre-vifs, soit par testament, des biens situés à l'étranger, je demande si ces biens seront compris dans la masse à l'effet d'établir la part de l'héritier belge dans la succession, et de fixer la valeur du prélèvement qu'il aura à faire.

Par exemple, le défunt possédait des biens en Angleterre et en Belgique, et laisse un héritier anglais et un héritier belge : s'il avait légué ses immeubles, situés en Angleterre, à son héritier anglais, je demande si les biens légués entreront dans la masse sur laquelle s'opérera le prélèvement ?

Je pense qu'il faut les y comprendre, maïs comme la question me paraît douteuse en présence du texte, je prie l'honorable ministre de vouloir bien nous faire connaître sa pensée sur cette difficulté.

Je crois remarquer dans le signe affirmatif que fait l'honorable ministre qu'il interprète le projet comme moi et que les biens donnés ou légués par le défunt feront partie de la masse et donneront lieu au prélèvement établi par l'article 4.

Maintenant, je désirerais, à cette occasion, appeler l'attention de l'honorable ministre des finances sur un autre point. Vous avez lu, messieurs, le rapport de la section centrale et vous aurez remarqué l'étrange position qui est faite aux héritiers belges, lorsque la succession comprend des biens situés à l'étranger. Aux termes de la loi de 1817, on impose, en Belgique, les immeubles situés à l'étranger ; l'héritier paye, pour le même immeuble, un double droit : le droit de succession en Belgique et le droit de mutation à l'étranger. Ce système est d'une rigueur excessive ; je dirai même qu'il est injuste, comme l'avait fait remarquer l’honorable M. Dubus dans la discussion de la loi de 1817. J'aime à rappeler ce fait, parce que la critique émanait d'un député belge.

Maintenant, messieurs, permettez-moi de vous exposer les raisons de mon interpellation. Je dis que la loi qui nous régit est injuste et inconséquente. Injuste, sans doute le législateur belge peut frapper d'un impôt les biens situés en Belgique, ce n'est là qu'une conséquence de la (page 448) souveraineté nationale. Mais la souveraineté s'arrête aux frontières de l'Etat et n'a aucun empire sur les biens situés à l'étranger.

Une autre raison, c'est que la loi de 1817 a voulu empêcher les Belges de transporter leurs capitaux à l'étranger et d'y faire des acquisitions immobilières. A ce point de vue, la loi de 1817 prononce une peine contre le Belge qui achète des propriétés à l'étranger.

Evidemment, messieurs, nous ne pouvons admettre cette raison sans porter atteinte au principe de la liberté des conventions. Ce principe est cependant fondamental à vos yeux, car il est la base du projet de loi sur le prêt à intérêt que nous discuterons bientôt.

J'insiste, messieurs, sur cette considération qui n'est pas sans importance.

Il y a plus. La législation fiscale présente une singulière anomalie. Je suppose que j'achète un immeuble situé en France, soit par acte authentique passé en Belgique, soit par acte passé en France que je soumets à l'enregistrement en Belgique. Je ne paye en Belgique qu'un droit fixe et presque insignifiant. Mais, si je recueille ce même immeuble dans la succession d'un parent en ligne collatérale, je serai obligé de payer le droit de succession qui pourra s'élever jusqu'à 13 p. c, y compris les centimes additionnels.

Vous le voyez, messieurs, il y a une contradiction manifeste dans le système de la législation.

Si maintenant nous considérons la base du droit perçu en Belgique et en France, nous rencontrons d'autres différences non moins étranges.

En France, le droit de mutation s'établit sur vingt fois le revenu de l'immeuble, en sorte que, si l'immeuble rapporte 1,000 fr., le droit sera perçu sur une valeur de 20,000 fr.

En Belgique, on procède différemment. L'héritier doit déclarer la valeur réelle de l'immeuble, en sorte que si l'immeuble vaut 40,000 fr., on percevra le droit sur cette valeur.

Je vous le demande, messieurs, cette différence dans la base de la perception du droit relativement au même immeuble, n'est-elle pas inique ? La disposition de la loi de 1817 a été critiquée à diverses reprises dans cette enceinte. L'honorable M. Forgeur disait dans la séance du 5 novembre 1851, au sujet de l'évaluation des biens situés à l'étranger : « On peut se rassurer ; le fisc est désarmé ; il n'a aucun moyen de contrôle ; il doit accepter la déclaration telle qu'on la lui présente ; on se préoccupe donc d'inconvénients qui ne sont pas à craindre. »

L'honorable sénateur était dans l'erreur ; le fisc n'est point désarmé. Le gouvernement a conclu des conventions spéciales avec les administrations française, hollandaise et luxembourgeoise, par lesquelles ces administrations s'engagent à se communiquer réciproquement tous les documents qui peuvent aider à la perception complète et régulière des droits dus en vertu des lois qui régissent ces pays.

Le gouvernement est donc suffisamment protégé ; il est à même de connaître tous les biens que des Belges acquièrent en France, en Hollande et dans le grand-duché de Luxembourg, et, de vérifier l'exactitude des déclarations de succession.

Au sujet de ces conventions, j'ai une autre explication à demander à M. le ministre des finances.

Je ne parlerai pas des engagements pris par le gouvernement relativement à l'échange des pièces, ni des moyens d'opérer cet échange : ce sont là des points de détail. Mais je trouve dans ces conventions une stipulation dont je ne puis me rendre compte et sur laquelle j'appelle toute l'attention de M. le ministre des finances.

Il y est dit que les préposés des deux pays sont autorisés à se demander réciproquement des copies et des expéditions d'actes ou titres, et s'il s'agit d'expéditions en forme, que les frais dus aux officiers publics sont avancés par les receveurs.

Eh bien, je me demande si cette stipulation est légale.

La loi du 25 ventôse an XI, article 23, porte que les notaires ne peuvent, sans une autorisation du président du tribunal, délivrer copie des actes qu'aux parties intéressées, à leurs héritiers ou ayants cause ; ce principe n'a-t-il point été violé par la stipulation dont je parle ?

L'administration belge a-t-elle pu prendre cet engagement ? La question est délicate, et je serais heureux que l’honorable ministre des finances voulût bien nous donner une explication sur ce point.

M. Lelièvre. - (page 439) Je dois féliciter le gouvernement de la présentation du projet de loi qui réalise un progrès réclamé depuis longtemps.

Je ne puis me défendre de citer ce que nous dit M. Troplong sur l'article 912 du code civil, en s'occupant de la loi française du 14 juillet 1819 décrétant des dispositions analogues à celles déposées dans le projet.

« La réciprocité cessa de répondre aux intérêts français, lorsque le gouvernement pacifique de la Restauration eut opéré une trêve entre la France et l'Europe. Le séjour de notre pays appela de nombreux étrangers charmés d'un climat heureux, d'une civilisation élégante, d’une vie facile.

« Il fut d'une bonne politique de les y retenir, en ajoutant des lois équitables aux séductions naturelles de la France.

« La loi du 14 juillet 1819 opéra cette amélioration. Elle est ainsi conçue :

« Art. 1er. Les articles 720 et 912 du code Napoléon sont abrogés. En conséquence, les étrangers auront le droit de succéder, de disposer, de recevoir de la même manière que les Français dans toute l'étendue du royaume.

« Cette belle loi nous dispense d'examiner plusieurs questions dont le droit civil était embarrassé avant qu'elle élargît la sphère des rapports internationaux. »

J'espère, du reste, que le projet ne sera qu'un pas dans une voie plus libérale à l'égard des étrangers.

Bientôt l'on reconnaîtra la nécessité d'assimiler complètement les étrangers aux régnicoles et de faire disparaître à cet égard les distinctions créées par des lois qui ne sont plus en harmonie avec nos mœurs et nos institutions.

La section centrale a appelé l'attention du gouvernement sur la nécessité de réviser la loi de 1817 en tant qu'elle frappe d'un droit de succession des immeubles possédés par des Belges en pays étranger.

Je m'associe au vœu exprimé par la section centrale et aux observations de l'honorable M. Delcour. Il est évident que l'on ne peut frapper les Belges d'un double droit de succession quant à ces immeubles qui, (page 440) étant situés hors du territoire belge, doivent échapper à tout impôt chez nous.

La disposition dont il s'agit était la conséquence d'un système politique du gouvernement des Pays Bas, qui n'a plus rien de commun avec l'ordre des choses actuel.

La loi de 1817 avait pour but d'empêcher les Belges d'acquérir des propriétés en France, pays dont on voulait nous séparer complétement. Cette politique n'existe plus aujourd'hui, et par conséquent la révision de la loi de 1817 est devenue une nécessité indispensable.

Je dois maintenant m'occuper de la question soulevée par l'honorable M. Delcour. Il demande quel sera le sort des biens situés à l'étranger et dont le défunt aurait disposé.

A mon avis, cette espèce ne tombe pas sous l'application de l'article 4 du projet, parce que bien évidemment on n'entend pas ravir à l'étranger le bénéfice d'un titre irréfragable. Il ne s'agit pas alors d'une exclusion en vertu des lois et coutumes locales, dont s'occupe le projet de loi. Du reste, on ne veut pas enlever au défunt la faculté de tester.

D'un autre côté, si l'un des successibles avait acquis des biens situés à l'étranger par acte entre-vifs contenant donation irrévocable, non sujette à rapport, il serait impossible de soumettre semblable acte, conférant un droit définitivement acquis, à la disposition de l'article 4.

Il est évident que du moment que le titre est irréfragable, il n'est pas possible d'en enlever le bénéfice à l'étranger, par le motif qu'il existerait des biens en Belgique que l'étranger serait appelé à recueillir.

D'un autre côté, il est bien évident que si le défunt a disposé légalement par acte testamentaire des biens situés en pays étranger, il n'est pas possible d'annihiler semblable disposition à l'aide de l'article 4 en discussion.

Du reste, ces questions sont assez sérieuses pour qu'elles soient résolues par le gouvernement. Je prie en conséquence M. le ministre de la justice de nous donner à cet égard des éclaircissements qui préviennent des difficultés sur l'application de la loi.

MjTµ. - L’honorable M. Delcour m’a demandé d'expliquer le sens de l'article 4. Voici de quelle manière je l'interprète. M. Delcour a supposé le cas d'une personne ayant des propriétés en Angleterre et des propriétés en Belgique qui a disposé en faveur de son héritier anglais des propriétés situées en Angleterre et il se demande si les propriétés situées en Angleterre feront partie de la masse.

Je crois qu'il faut faire une distinction. S'agit-il d'un héritier à réserve, il est évident qu'il ne peut être privé de sa réserve et que les propriétés situées en Angleterre et dont il aurait été disposé à son préjudice doivent être comptées pour former la masse. S'agit-il, au contraire, d'un héritier sans réserve, d'un héritier collatéral ordinaire, il n'en est plus de même, parce qu'il n'est plus privé d'une part que lui assure la loi belge, parce que la loi belge ne lui assure pas une réserve.

Voilà l'interprétation qui doit, selon moi, être donnée à l'article 4.

M. Pirmez. - M. le ministre de la justice n'a pas résolu la question soulevée dans le même sens que M. Delcour. Je crois que l'interprétation de M. Delcour est la plus conforme au texte.

Reposons le cas. Une succession s'ouvre qui se compose de biens situés en Angleterre et en Belgique ; un héritier anglais est appelé par une disposition testamentaire à recueillir des biens en Angleterre ; il s'agit de savoir si le partage des biens qui se trouvent en Belgique devra se faire comme s'il n'y avait pas de testament, ou si l'on devra faire le partage en tenant compte du testament ; en d'autres termes, il s'agit de savoir si la Belgique qui aurait un droit de prélèvement sur les biens situés en Belgique serait privée de ce droit parce que, outre l'exclusion qui résulte de la loi anglaise, il y aura une exclusion à raison de la disposition testamentaire. Je crois que le partage des biens situés en Belgique doit toujours se faire comme s'il n'y avait pas de testament. C'est ainsi que M. Delcour résout la question.

M. Baraµ. - Je demande la parole.

M. Pirmez. - En effet, la loi qui règle l'ordre des successions des biens situés dans notre pays doit être indépendante des dispositions testamentaires qui ne s'appliquent pas à ces biens.

Il est évident que les Belges ayant, en vertu de la loi ab intestat, à recueillir une certaine partie des biens, ils conserveront ce droit indépendamment des dispositions testamentaires qui portent sur d'autres biens. Je ne comprends pas pourquoi on exclurait les Belges de la part qu'ils ont dans les biens situés en Belgique, et cela à cause d'une disposition testamentaire qui ne concerne pas les biens situés à l'étranger.

C'est ainsi que l'honorable M. Delcour résout la question, si je l'ai bien compris, M. le ministre de la justice, au contraire, fait une distinction entre le cas où il y a réserve et le cas où il n'y en a pas.

Je crois, messieurs, que cette question de réserve n'a rien à faire dans la solution de la difficulté. Il est évident que s'il y a une réserve, elle s'exercera dans tous les cas, que ce soit au profit d'un régnicole ou au profit d'un étranger. La réserve produit toujours son effet, quelles que soient les dispositions testamentaires et même, malgré des dispositions testamentaires, quels que soient les biens qui en sont l'objet.

Mais il s'agit ici d'apprécier la quotité du droit du Belge. Or, puisque vous déterminez cette quotité par la loi, eu égard à la législation étrangère, cette quotité n'est pas modifiée parce qu'on aura disposé, par testament, des biens situés à l'étranger. En d'autres termes, il est évident que si le Belge est exclu par la loi du droit de recueillir des biens à l'étranger, il ne le sera pas moins parce qu'on aura disposé de ces biens par une disposition testamentaire.

M. Ortsµ. - Il en est exclu par le testateur.

M. Baraµ. - Et par la loi.

M. Pirmez. - Il est exclu par le testateur et par la loi ; c'est évident ; et vous voulez que la succession ab intestat dépende d'une disposition testamentaire qui ne concerne pas ces biens-là.

MjTµ. - J'avoue que je ne vous comprends pas.

M. Pirmez. - Je repose la question de nouveau. Il s'agit d'une succession comprenant des biens situés en Angleterre et en Belgique ; la loi proposée réglant la succession ab intestat donne au Belge un droit de prélèvement sur les biens situés en Belgique, parce que la loi anglaise exclut le Belge des biens situés en Angleterre. Voilà donc la succession réglée quant à la Belgique ; vous ne réglez rien de plus.

MjTµ. - Mais si une personne a donné des biens situés en Angleterre avec dispense de rapport et, qu'il n'y ait pas d'héritier réservataire, prétendrez-vous que ces biens devront être compris dans la masse pour établir la part de l'héritier belge ? Cela n'est pas admissible.

M. Pirmez. - M. le ministre comprend mal ma question : il dit que je fais résulter le préciput du testament. Pas du tout, messieurs, si, par exemple, les biens sont situés en France et en Belgique, le Belge n'étant pas exclu des biens situés en France n'est pas exclu par la loi ; là il n'y a pas de difficulté, et la question de l'honorable M. Delcour ne se présente pas. Mais je suppose que derrière un testament il y ait pour le Belge exclusion de succéder à l'étranger. Dans ce cas, il s'agit de savoir si, la qualité ab intestat telle qu'elle est fixée par la loi précisément à raison de cette circonstance, est modifiée parce qu'il y a un testament s'appliquant à d'autres biens.

Je n'examine pas s'il faut maintenir ou modifier le projet de loi ; mais je dis que la détermination que vous faites s'applique dans tous les cas en Belgique, quel que soit le sort des biens situés à l'étranger ; je dis qu'il en est ainsi, parce que, ayant une fois déterminé la part de chacun en Belgique, tout ce que le testateur fera de ses biens à l'étranger ne changera pas la quotité que vous aurez déterminée.

L'interprétation de M. Delcour ne paraît conforme au sens de la loi. Veut-on modifier le texte ? Pour ma part je ne m'y oppose pas ; je demande seulement que l'on évite les difficultés d'interprétation.

M. Baraµ. - Messieurs, la disposition de l'article 4 est empruntée à la loi française de 1819. Pour moi, je ne pense pas qu'elle soit d'une très grande utilité, sauf vis-à-vis des peuples qui admettent le droit d'aînesse.

Il faut faire attention, messieurs, que la succession, en ce qui concerne l'étranger, est une matière très difficile... Il s'agit de savoir si c'est un statut personnel ou bien si c'est un statut territorial. Voilà la grande question.

Or, l'article 4 tranche cette controverse et se prononce pour le statut réel ; il décide que la succession d'un étranger qui meurt en Belgique ou à l'étranger, et dont les biens sont situés en Belgique, est un statut territorial belge.

Ainsi la succession d'un individu qui laisse pour héritiers des étrangers ou des Belges est régie par la loi belge. Voilà ce que décide implicitement l'article 4 du projet de loi.

M. Delcour a parlé d'une difficulté qui peut se présenter. Une personne, un Anglais, je suppose, a-t-il dit, meurt, laissant des héritiers belges et des héritiers anglais ; elle fait un testament par lequel elle donne à ses héritiers anglais les immeubles qu'elle a en Angleterre, les Belges ne peuvent pas hériter d'immeubles en Angleterre.

L'honorable M. Delcour et l'honorable M. Pirmez se demandent quelle va être l'influence de cette disposition testamentaire sur la liquidation de la succession de cet Anglais.

Voici, je crois, comment il faut résoudre cette question. Ou bien, comme l'a dit M. le ministre de la justice, nous nous trouvons en présence d'un héritier belge réservataire ; cet héritier belge ne subira pas de dommage par suite du testament de son auteur.

(page 441) Mais si c'est un héritier non réservataire, le testament dont il s'agit n'est alors rien autre chose que l'application d'une disposition du Code civil qui permet au citoyen de disposer de ses biens. Le testament de l'étranger sortira ses effets. (Interruption.)

Pourquoi vouloir restreindre le droit de tester, si c'est un étranger, alors que vous l'accordez au national ?

Maintenant que voudrait l'honorable M. Pirmez ? Il voudrait que la loi belge défendît à l'étranger de tester, lorsque la loi étrangère exclut les litiges.

M. Pirmez. - Messieurs, cet Anglais a parfaitement le droit de disposer par testament de tous ceux de ses biens qui sont en Belgique ; mais il s'agit de savoir comment on fera, en Belgique, le partage de ses biens, lorsqu'il n'a disposé que des biens situés en Angleterre.

M. Baraµ. - Messieurs, la distinction que fait l'honorable M. Pirmez entre les biens situés en Angleterre et les biens situés en Belgique est complètement sans portée dans le débat qui nous occupe. Il importe peu que les biens soient situés à l'étranger ou en Belgique. Voulez-vous, parce que ces biens sont situés à l'étranger, en Angleterre par exemple, et parce que les lois anglaises ne permettent pas aux Belges de recueillir certains biens déterminés ; voulez-vous priver l'étranger du droit de disposer de ses biens, par testament, en dehors du cas de réserve, comme cela est permis au Belge ? Evidemment non. Vous voulez tous, je pense, que l'étranger puisse disposer librement de ses biens situés à l'étranger et en Belgique, sauf à respecter la loi belge sur la quotité disponible. C'est dans ce sens que la disposition de l'article 4 doit être interprétée, et c'est ainsi que la loi de 1819 est interprétée, je pense, par les tribunaux français.

. M. Delcourµ. - Messieurs, ce sont précisément les mots invoqués tout à l'heure par l'honorable M. Bara qui donnent lieu à une difficulté.

Veuillez remarquer que le texte est conçu d'une manière générale ; il ne fait aucune distinction, il établit un principe de prélèvement au profit des Belges. Voilà le principe. C'est ce principe qui a donné lieu à des difficultés.

J'ai consulté l'exposé des motifs du ministre de la justice de France qui a présenté le projet ; il y met sur la même ligne et le testament et les coutumes et les lois locales.

Ainsi, nous voyons que l'explication donnée par le ministre de la justice de France est en opposition avec ce que vient de dire l'honorable M. Bara et avec ce qu'a dit avant lui M. le ministre de la justice.

Il ne faut pas se méprendre sur le sens de la loi. Voici comment je comprends la chose :

Evidemment la loi belge réglera la dévolution des biens situés en Belgique ; par conséquent, l'étranger ne pourra hériter des biens situés en Belgique que conformément à la loi belge.

Or si, comme l'honorable ministre nous l'a dit dans l'exposé des motifs, on reproduit la loi française, il est clair qu'on la reproduit avec les explications qui ont été fournies alors, ou au moins avec l'esprit qui y a présidé. Si, en Belgique, elle a un autre sens qu'en France, je le veux bien ; mais je dirai avec l'honorable M. Pirmez : Qu'on veuille le déclarer. Mais le texte de la loi étant le même que le texte de la loi française, je prétends que la portée de la loi est la même.

M. Baraµ. - Je n'ai pas sous les yeux le texte des paroles du ministre de la justice de France, mais ce que dit l'honorable M. Delcour peut être parfaitement exact et rentrer dans les explications que j'ai données tout à l'heure. Si, par exemple, en Angleterre, vous pouvez, ce que j'ignore, faire un testament qui prive de leurs droits des héritiers réservataires, alors évidemment ces dispositions testamentaires ne devraient pas être exécutées, comme l'a dit le ministre de la justice de France. Pourquoi ? Parce que ce testament s'appuiera sur des coutumes locales ; mais ce ne sera pas en vertu de disposions testamentaires seules, mais en vertu de cette disposition combinée avec la loi.

Est-il dit, dans le discours du ministre de la justice de France, qu'il s'agit de testaments conformes à la loi belge ? Non, il s'occupe probablement des testaments faits à l'étranger, et dès lors en opposition avec la loi belge, reposant sur des lois et des coutumes contraires au code civil.

M. Delcourµ. - Il s'énonce d'une manière générale.

M. Baraµ. - Oui, mais il faut voir si M. le garde des sceaux n'a pas parlé dans le sens que je vous indique.

Au surplus, quand bien même les explications du ministre de France seraient telles que le suppose l'honorable M. Delcour, je protesterais contre ces explications, qui sont démenties par le texte même de la loi. La loi déclare, et cela est conforme à tout l'esprit de notre Code civil, que le Belge aura la part qui lui est assurée par la loi belge. Or, quelle est la part qui lui est assurée par la loi belge ? Cctte part est déterminée, lorsqu'il s'agit des héritiers réservataires ; elle ne l'est pas, lorsqu’il n'y a pas d’héritiers réservataires, et dans ce cas l'étranger peut disposer de ses biens, situés tant à l'étranger qu'en Belgique. Or, vous ne pouvez faire aux Belges, dans une loi, une position plus favorable que celle que leur assure le droit commun. Il faut que l'étranger ait le droit de tester comme il l'entend et dans les limites de la loi belge.

M. Eliasµ. - Je me réfère tout à fait aux explications que vient de donner l'honorable M. Bara. Je crois que l'étranger ne doit pas être privé plus que le Belge du droit de disposer de ses biens, de faire un testament. Seulement ce testament s’appréciera, quant à sa valeur, d'après la loi belge et non d'après la loi étrangère.

Ainsi si, dans un pays étranger, la réserve n'était pas la même qu'en Belgique, si, par exemple, un étranger, possédant des biens en Belgique et en Angleterre, disposait de ces biens en dépassant la quotité disponible, ce testament serait nul pour tout ce qui dépasserait la quotité d'après la loi belge.

Evidemment les testaments doivent s'apprécier d'après les lois du pays.

M. Pirmez. - Je ne demande qu'une chose, c'est que la loi ne présente pas de doute. Je dois dire tout d'abord que mes adversaires m'ont prêté une opinion que je n’ai pas professée, à savoir que je voudrais empêcher l'étranger de disposer de ses biens comme il l'entend. Je n'ai nullement eu cette intention ; je me borne à interpréter la loi pour le cas où il s'agit, quant aux biens situés en Belgique, de succession ab intestat. J'examine la question de savoir comment, en l'absence de testament relativement aux biens situés en Belgique, il faudra faire le partage de la succession.

Voilà la seule question qui ait été soulevée. Il y a, me serable-t-il, un moyen facile de la résoudre, c'est à l'article 4, au lieu des mots : « dont ils seraient exclus, à quelque titre que ce soit, en vertu des lois et coutumes locales, » de dire : « dont ils ne seraient exclus qu'en vertu des lois et coutumes locales à quelque titre que ce soit. »

M. Baraµ. - Vous supposez l'hypothèse d'un testament qui enlève une partie de la réserve ?

M. Pirmez. - Non.

M. Baraµ. - Voici le cas qui peut se présenter : Une loi étrangère détermine une réserve d'autant ; la loi belge stipule une réserve d'autant. La loi étrangère peut permettre de diminuer la réserve fixée par la loi belge, or l'amendement de M. Pirmez aurait pour résultat de permettre cette diminution, alors que la loi belge ne le permet pas. On voit que, dans ce cas, l'exclusion du Belge ne proviendrait pas de la loi seule, mais de la loi et d'un testament.

Je crois, quant à moi, qu'il est prudent de ne pas toucher à la loi française et de laisser subsister l'article 4 tel qu'il est.

M. Pirmez. - La réponse est extrêmement simple. L'article 4 règle les successions ab intestat seulement ; il ne s'occupe donc pas des cas de réserve. Les lois sur la réserve restent entières en présence de ce projet.

L'addition que je propose n'a donc qu'un but, c'est de trancher une difficulté qui se présente sur l'attribution des parts dans les cas de succession ab intestat ; pas autre chose. Cette difficulté, je la crois très sérieuse ; et la preuve, c'est qu'elle divise les membres de cette Chambre, Or, il est impossible de voter une loi alors qu'on n'est pas d'accord sur le sens qu'elle doit avoir. Je propose de trancher la difficulté, en disant ceci : C'est que la succession se partagera entre l'étranger et le Belge exactement sur le même pied, excepté dans un seul cas ; c'est lorsque l'exclusion du Belge des biens situés à l'étranger n'aurait lieu qu'en vertu de lois ou coutumes locales.

M. Van Humbeeckµ. - Messieurs, une démonstration est souvent plus ou moins difficile, d'après la voie que l'on prend pour y arriver ; la discussion actuelle en offre une nouvelle preuve ; si elle présente quelques incertitudes et un peu de confusion, c'est qu'on essaye, partant d'un cas spécial, de remonter à un principe. Je crois que l'on obtiendrait un meilleur résultat si l'on établissait d'abord le principe et si l'on descendait du principe aux cas spéciaux.

Il suffit, me paraît-il, de se rendre compte de l'esprit de l'article en discussion pour poser un principe qui peut résoudre toutes les hypothèses possibles.

Que veut-on dans l'article 4 ?

Le but général de la loi est de supprimer les conditions de réciprocité, c'est de faire que l'étranger puisse succéder aux biens de ses parents situés en Belgique, lors même que le Belge est exclu de la succession des biens de ses parents, situés dans le pays de cet étranger.

Mais en supprimant la réciprocité, on veut cependant que les cohéritiers belges, lorsqu'il y aura des biens situés à l'étranger et d'autres biens (page 442) situés en Belgique, trouvent dans le partage de la masse la même égalité sur laquelle ils auraient le droit de compter si tous les biens étaient situés en Belgique.

C'est bien là, me semble-t-il, le but de la loi. Dès lors, il est certain que l'article s'applique uniquement aux successions ab intestat et ne prévoit pas le cas de successions testamentaires.

Maintenant se présente le cas où des dispositions testamentaires viennent affecter l'égalité, essentielle au partage des successions ab intestat ; que faut-il se demander alors ? D'abord il me paraît évident que l'on ne doit plus se préoccuper de la différence de situation des biens. On peut même supposer que tous les biens sont situés en Belgique ; on doit seulement se demander si, dans cette hypothèse, les dispositions testamentaires dont il s'agit pourraient sortir leurs effets sans affecter un principe établi par les lois belges ?

Voilà, ce me semble, la question qui est à poser. Si aucun principe établi par la loi belge sur les dépositions testamentaires n'est entamé, par exemple, si nous ne nous trouvons pas en présence d'une réserve non respectée, la disposition recevra son application entière ; sinon, elle devra se restreindre aux effets admis par les lois belges.

Je crois que toutes les difficultés peuvent se résoudre parfaitement au moyen de cette règle, celles qui ont été proposées par l'honorable M. Delcour comme les autres qui peuvent se présenter.

M. Jacobsµ. - Nous sommes à peu près d'accord pour ne pas remplacer une incapacité par une autre, l'incapacité de succéder par l'incapacité de tester ; l'étranger doit être mis sur la même ligne que le Belge et, de même que lui, avoir le droit de disposer de ses biens situés à l'étranger comme de ceux qui sont situés dans l'intérieur du pays. Mais plusieurs d'entre nous ne trouvent pas le texte de l'article 4 d'une clarté excessive et expriment le désir de le rendre plus clair.

L'honorable M. Pirmez propose une rédaction nouvelle dont je ne suis point partisan parce qu'elle me semble permettre toute espèce de testaments faits à l'étranger. J'en proposerai une autre consistant à dire : « En vertu des lois et des coutumes locales contraires aux lois belges, » de cette manière on n'exclurait pas les dispositions testamentaires conformes aux lois belges.

MjTµ. - C'est le texte français et il n'a jamais donné lieu à la moindre difficulté.

M. Jacobsµ. - Oui, mais on peut en inférer qu'aucun testament n'est un titre légitime, comme on pourrait déduire de la rédaction de M. Pirmez que tout testament en est un ; la loi doit déclarer qu'alors, et alors seulement que des héritiers belges se trouveront exclus en vertu de testaments anglais que n'auraient pas permis les lois belges sur la réserve, il y a lieu d'opérer le prélèvement ; je suis à cet égard de l'avis de M. le ministre de la justice ; mais c'est pour éviter toute espèce de difficulté que je propose l'addition des mots : « contraires aux lois belges ».

M. Ortsµ. - Je crois, messieurs, que le sens de la loi est parfaitement clair, et qu'il n'est pas nécessaire de modifier le texte. Voici un exemple, c'est celui qui a déjà été donné : une personne a des biens en Belgique et en Angleterre ; cette personne fait un testament et n'a pas d'héritier à réserve ; tout le monde convient que pour le cas où il y a des héritiers à réserve il n'existe aucune difficulté ; cette personne fait un testament par lequel elle donne tous ses biens situés en Angleterre à un Anglais (interruption) avec dispense de rapport.

Eh bien, je dis que dans ce cas il n'y a pas la moindre difficulté ; l'héritier anglais prendra les biens situés en Angleterre, en vertu du testament, et les héritiers belges n'auront rien à réclamer, attendu que l'héritier belge qui n'a pas de réserve n'a pas le moindre droit dans le pays. Le testateur a usé de son droit de propriété dans toute sa plénitude et les biens dont il a disposé par testament sont autant en dehors de la succession que s'il les avait vendus de son vivant. Voilà la situation.

Maintenant trouve-ton que cet esprit de la loi n'est pas suffisamment manifesté par son texte ? Je ne le pense pas, car l'hypothèse du testament est exclue par le texte même, qui ne parle que de lois et coutumes locales.

Maintenant, messieurs, si l'on veut absolument ajouter quelque chose, je crois que le meilleur moyen de donner satisfaction à ce désir, est peut-être celui-ci ; je le propose uniquement pour satisfaire à certains scrupules que, du reste, je ne comprends pas, car je trouve le texte très clair. Je proposerais donc la rédaction suivante :

« Dans le cas de partage d'une même succession entre des cohéritiers étrangers et belges, ceux-ci prélèvent, sur les biens situés en Belgique, une portion égale à la valeur des biens situés en pays étranger que leur assure la loi belge et dont ils seraient exclus, à quelque titre que ce soit, en vertu des lois et coutumes locales. »

De cette façon, messieurs, vous maintiendriez d'une manière manifeste le principe qui est la base de la loi, c'est que les successions comprenant des biens situés à l'étranger sont régies conformément à la loi belge.

MjTµ. - Je ne pense pas, messieurs, qu'il y ait lieu d'ajouter quoi que ce soit à l'article 4. Cet article me semble trop clair et l'expérience a prouvé qu'il ne présente aucune difficulté d'application ; bien qu'il existe dans la législation française depuis 1819, il n'a jamais donné lieu à des interprétations diverses.

L'honorable M. Delcour nous a dit que le garde des sceaux de France a donné à cette disposition, dans l'exposé des motifs un sens tout autre que celui que j'y attache, je ne pense pas que cela soit exact ; j'ai lu les paroles de M. le garde des seaux de France et il m'en est resté un tout autre souvenir.

Au surplus la question que présente l'article 4 se réduit à des termes très simples ; ou l'on se trouvera en présence d'héritiers réservataires ou l'on ne se trouvera pas en présence d'héritiers réservataires ; s'il y a des héritiers réservataires, eh bien, c'est la loi belge que vous appliquerez et le testament fait contrairement à cette loi sera tout à fait inopérant. S'agit-il, au contraire, d'héritiers qui ne sont pas réservataires, alors le testament sortira son effet comme s'il était fait en Belgique.

J'avoue, messieurs, qu'en dehors des deux cas que je viens d'exposer, il ne m'est pas possible d'apercevoir une difficulté. Eh bien, c'est ainsi que la disposition a toujours été entendue en France, et elle n'a jamais donné lieu à aucune difficulté, je le répète.

Nous ne risquons donc absolument rien d'admettre la disposition de l'article 4 telle qu'elle existe ; elle me semble rendre parfaitement l'idée que nous voulons exprimer.

M. Ortsµ. - Messieurs, puisqu'on s'occupe des difficultés d'application que la loi peut rencontrer, il ne sera peut-être pas sans intérêt de faire observer que ces difficultés ne peuvent surgir qu'à l'égard d'un seul pays européen.

C'est l'Angleterre, où les étrangers sont assez mal traités en matière de successibilité.

Je voudrais non pas la réciprocité, mais je voudrais que l'étranger fût admis à succéder en Belgique et à se gérer, en quelque circonstance que ce soit, exactement sur le même pied qu'en Belgique ; mais je demanderai à M. le ministre des affaires étrangères si en réalité il n'a pas d'espoir d'arriver par voie de négociations à simplifier cette situation exceptionnelle dans laquelle se trouvent aujourd'hui les étrangers en Angleterre et s'il n'est pas parvenu à se mettre d'accord avec d'autres puissances pour atteindre ce but.

MaeRµ. - Messieurs, le département des affaires étrangères a ouvert des négociations avec le cabinet anglais, au sujet du principe qui est déposé dans la loi qui nous occupe.

Nous avons eu, je dois le dire, messieurs, des difficultés à vaincre. Nous avons désespéré d'arriver à un résultat, mais en dernier lieu il s'est d'abord manifesté, dans l'esprit du gouvernement anglais, des dispositions qui me font espérer et me donnent le droit de dire que d'ici à peu de temps un changement notable sera introduit dans la législation anglaise.

Vous savez, messieurs, avec quelle persistance l'on insiste en Angleterre pour le maintien des anciennes coutumes, des anciennes institutions.

Ce n'est donc pas sans peine que les membres du cabinet anglais, partisans des doctrines libérales, parviennent à faire partager leur opinion par ceux dont le concours leur est nécessaire.

Je ne viens pas annoncer à la Chambre que l'Angleterre va nous offrir, au point de vue de la législation sur le droit d'acquérir et de posséder une réciprocité complète.

Mais ce que je puis faire espérer, c'est que, dans le cours de la session qui va s'ouvrir à Londres, des propositions seront faites qui auront pour résultat d'assurer aux Belges, non pas peut-être le droit absolu d'hériter et de posséder, mais au moins le droit de disposer des immeubles dont ils hériteraient en Angleterre.

Voilà, messieurs, la déclaration que je suis en position de faire à la Chambre. J'espère ne l'avoir pas faite en vain.

Je ne dis pas à la Chambre que la nouvelle législation anglaise renfermera le même principe que la législation belge. Je ne promets pas une réciprocité complète, mais une amélioration sensible dans la législation anglaise.

MfFOµ. - Messieurs, j'ai attendu la fin de cette discussion pour répondre à l'honorable M. Delcour, qui a soulevé une question relative à la loi de 1817 sur les successions.

(page 443) Cette question n'est pas nouvelle ; elle a été déjà bien souvent agitée ; elle date de 50 ans. Plusieurs pétitions ont été adressées à la Chambre et au Sénat, des interpellations ont été faites au gouvernement, et chaque fois l'on a démontré l'inanité des motifs allégués pour combattre la législation en vigueur sur cette matière. Néanmoins, nous sommes obligés d'y revenir encore.

Selon l'honorable M. Delcour, la loi de 1817 porte atteinte à la souveraineté des nations étrangères, parce qu'elle permet à l'Etat belge de percevoir des impôts sur des biens situés hors du pays. En outre, dit-il, cette loi est injuste, parce que ces mêmes biens que l'on soumet ici au droit de succession, sont frappés encore d'un impôt par le gouvernement du pays où ils sont situés.

Messieurs, la loi de 1817 ne mérite ni l'un ni l'autre de ces reproches. C'est ce que je crois pouvoir démontrer très facilement.

L'honorable membre, en terminant son discours, nous a parlé des conventions qui existent entre plusieurs gouvernements pour assurer la perception réciproque des impôts qui leur sont dus.

Les Etats se communiquent mutuellement les renseignements qui sont de nature à les éclairer sur les droits qu'ils peuvent, dans certains cas, avoir à réclamer des particuliers qui résident sur leur territoire respectif.

Or, cela seul doit démontrer clairement à l'honorable membre que les gouvernements ont reconnu que la loi de 1817 ne porte aucune atteinte au principe de leur souveraineté. Et, en effet, messieurs, la loi dont il s'agit ne porte ni directement, ni indirectement aucune atteinte à ce principe.

Que décide la loi ? Décide-t-elle que le gouvernement belge et le gouvernement hollandais, car la même législation existe dans les deux pays, ont le droit de percevoir un impôt, la Hollande sur des biens situés en Belgique, la Belgique sur des biens situés en Hollande, ou bien que l'un et l'autre Etat peuvent en percevoir à charge de propriétés sises dans d'autres pays, en France par exemple ? En aucune façon ! La loi de 1817 ne décide rien de semblable. Une pareille disposition serait d'ailleurs parfaitement inopérante, car on ne saurait en assurer l'exécution.

C'est de tout autre chose qu'il s'agit. Il s'agit de l'impôt sur la succession d'un régnicole, sur la succession d'un Belge, et du moment qu'il s'agit de la succession d'un Belge, il n'y a pas à se préoccuper de savoir où sont situés ses immeubles, où sont les gages de ses créances, en un mot, où est son actif. La loi s'occupe exclusivement de savoir si la succession est ouverte, et de rechercher de quels éléments elle se compose. Les déclarations à faire, aussi bien quant aux immeubles que quant aux meubles, ne sont que des indications de la fortune de l'individu, et l'on perçoit l'impôt sur l'actif net de la succession, n'importe où se trouvent les biens.

Et ici, si l'on veut bien y faire attention, je réponds au reproche d'injustice que formulait l'honorable M. Delcour. La loi est, au contraire, fort juste et elle est parfaitement conforme à ce principe de droit : « Non sunt bona, nisi deducto œro alieno. » C’est là ce qu'il y a assurément de plus juste en matière d'impôt. C'est une disposition plus équitable que celle qui se trouve dans la loi de frimaire an VII, qui est encore en vigueur en France, et qui impose des droits de mutation sur les immeubles, sans prendre aucunement en considération les charges dont ils peuvent être grevés.

Ainsi, messieurs, la loi ne porte aucune atteinte à la souveraineté nationale et elle ne renferme nullement le principe injuste que l'on a cru y découvrir ; elle consacre, au contraire, un principe éminemment équitable.

Il est vrai qu'il est quelquefois désagréable d'avoir à acquitter en Belgique un droit de succession, et d'avoir encore à payer ailleurs, en France par exemple, un droit de mutation, d'avoir à acquitter un droit du même genre en Hollande.

Mais, s'il n'en était pas ainsi, la succession la plus opulente d'un régnicole dont les biens seraient principalement situés à l'étranger, pourrait ne pas contribuer aux charges publiques. Evidemment, cela n'est pas admissible. Il n'y a pas plus de raison de dispenser les immeubles...

M. Crombezµ. - S'il n'y a pas de dettes.

MfFOµ. - Quand il n'y a pas de dettes, on perçoit sur l'actif. (Interruption.)

M. Crombezµ. - C'est là qu'est le vice de la loi.

MfFOµ. - Il faut alors faire disparaître le principe d'un droit de succession ; s'il s'agit d'un droit de succession...

M. de Mérode. - En ligne directe.

MfFOµ. - En ligne directe, il n'y a pas de droit de succession ; il n'y a qu'un droit de mutation, et la mutation ne peut s'appliquer à des biens situés à l'étranger. L'observation de l'honorable M. de Mérode m'amène à faire remarquer qu'il s'agit ici de successions en ligne collatérale, qui procurent un accroissement de richesses. C’est uniquement des successions collatérales que nous nous occupons ici, de celles que règle la loi de 1817. Et, veuillez-le remarquer, le principe de cette loi que l'on critique est également appliqué par les législations étrangères.

Que fait la loi française du 15 mai 1850 ? Elle impose un droit de mutation sur les fonds publics étrangers et sur les actions de sociétés ayant leur siège hors de France, lorsque ces valeurs dépendent de la succession d'un Français. Eh bien, en principe, cette loi n'est certes pas critiquable. (Interruption.) C'est là ce qui va vous condamner. En nous plaçant au point de vue d'une question de principe, vous admettrez sans doute que nous avons le droit de faire une loi semblable à celle de 1850 qui existe en France ? Nous pourrions donc soumettre à un droit de mutation les fonds belges et les actions des sociétés belges. Ce serait légitime. Eh bien, dans ce cas, on payerait également deux fois ; on payerait en France en vertu de la loi de 1830, et on payerait en Belgique en vertu de la loi fondée sur les mêmes principes.

C'est donc à tort que la loi de 1817 a été critiquée, au double point de vue indiqué par l’honorable M. Delcour.

- La discussion générale est close.

Discussion des articles

Articles 1 à 3

« Art. 1er. La loi du 20 mai 1837, relative à la réciprocité internationale, en matière de successions et de donations, est abrogée. »

- Adopté.


« Art. 2. Les articles 726 et 912 du Code civil sont remplacés par les dispositions suivantes. »

- Adopté.


« Art. 3. Les étrangers ont le droit de succéder, de disposer et de recevoir de la même manière que les Belges dans toute l'étendue du royaume. »

- Adopté.

Article 4

« Art. 4. Dans le cas de partage d'une même succession entre des cohéritiers étrangers et belges, ceux-ci prélèvent, sur les biens situés en Belgique, une portion égale à la valeur des biens situés en pays étranger dont ils seraient exclus, à quelque titre que ce soit, en vertu des lois et coutumes locales. »

MpVµ. - C'est à cet article que se rattache l'amendement de M. Orts. M. Orts le maintient-il ?

M. Ortsµ. - Non, M. le président.

MjTµ. - L'article sera voté alors avec l'interprétation que je lui ai donnée.

M. Lelièvre. - Il est entendu que nous votons l'article 4 avec les explications données par M. le ministre de la justice qui déterminent clairement le sens attaché à cette disposition.

M. Pirmez. - La question soulevée n'a pas assez d'importance pour que j'insiste. Mais je dois dire à la Chambre que je fais toutes mes réserves sur ce mode de résoudre les difficultés par une déclaration dans le débat. La déclaration qu'on votera la loi avec telle interprétation est tout ce qu'il y a de plus dangereux ; c'est le plus mauvais des systèmes législatifs ; on vote une loi telle qu'elle est et non avec telle ou telle interprétation. Il n'y a que les tribunaux qui puissent interpréter les lois.

Nous devons nous borner à les faire.

MjTµ. - J'admets parfaitement les observations que vient de faire M. Pirmez ; et si tantôt j'ai dit qu'on s'en référerait à l'interprétation que j'ai donnée, c'est à raison des doutes qu'on avait exprimés.

Les tribunaux resteront libres, d'ailleurs, d'interpréter la loi, et je ne crains pas que leur interprétation ne soit pas conforme à celle que j'ai donnée.

MpVµ. - Nous votons donc l'article tel que j'en ai donné lecture, pas autre chose.

- Adopté.

Article 5

« Art. 5. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

(page 444) Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble ; le projet est adopté par les 72 membres présents.

Ce sont : MM. Bouvier-Evenepoel, Couvreur, Crombez, de Bast, de Brouckere, de Conninck, de Florisone, De Fré, de Haerne, de Kerchove, Delcour, de Mérode, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Rongé, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, de Vrière, Dewandre, Dolez, Dumortier, d'Ursel, Elias, Frère-Orban, Funck, Goblet, Grosfils, Hymans, Jacobs, Jacquemyns, Jamar, M. Jouret, Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nothomb, Orban, Orts, Pirmez, Reynaert, Rodenbach, Rogier, Sabatier, Schollaert, Tesch, Thibaut, Thienpont, Thonissen, T’Serstevens, Valckenaere, Vanden Branden de Reeth, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Ovcrloop, Van Renynghe, Vleminckx, Warocqué, Wasseige, Allard, Ansiau, Bara et Ernest Vandenpeereboom.

Il sera transmis au Sénat.

Rapport sur une demande en naturalisation

M. Hymans. - J'ai l'honneur de déposer un rapport sur la demande en obtention de la grande naturalisation faite par le sieur Van Aken.

- Ce rapport sera imprimé et distribué ; la demande sera portée à la suite de l'ordre du jour.

Rapport sur des pétitions

MpVµ. - La commission conclut au renvoi des pétitions, réclamant la révision du tarif des petites marchandises transportées par le chemin de fer, à M. le ministre des travaux publics.

Quelqu'un demande-t-il la parole ?

M. de Naeyer. - Messieurs, cette question de la tarification des petites marchandises, quoique très modeste en elle-même, est cependant digne de notre attention la plus sérieuse. Il s'agit d'un objet qui intéresse vivement le commerce et surtout le petit commerce qui a tant de droits à notre sollicitude.

D'un autre côté, il est incontestable que la situation actuelle est vicieuse et qu'elle appelle de grandes et larges réformes.

Sous ce rapport, je dirai que je crois remplir un devoir en payant publiquement un témoignage de reconnaissance à l'auteur d'une brochure qui nous a été distribuée il y a quelques mois, et qui porte le titre de : « Nouveau système de tarification des marchandises transportées par chemin de fer. » Ce travail accuse incontestablement des études consciencieuses et approfondies, et il nous fournit des observations et des renseignements précieux pour élucider la question qui nous occupe.

Messieurs, je demande un peu d'indulgence parce qu'il s'agit d'une question hérissée de chiffres et dont l'étude est aride et très ingrate ; mais je pense que l'objet en vaut bien la peine.

Aujourd'hui le transport des petites marchandises est réglé par deux tarifs essentiellement distincts, savoir : le tarif n°1 qui est appelé aussi tarif de la grande vitesse ou des petits paquets ; et le tarif n°2 appelé tarif du service accéléré ou des articles de messagerie.

Le premier est appelé tarif de la grande vitesse parce que les objets auxquels il s'applique doivent être expédiés par le premier convoi partant une demi-heure après leur inscription et remis à domicile dans les trois heures après leur arrivée à la station de destination. Quant aux objets tombant sous l'application du tarif du service accéléré, ils ne doivent être expédiés que dans la journée et remis à domicile dans les six heures après leur arrivée à la station de destination.

Ces deux tarifs, quoique réglant la même catégorie de marchandises, reposent cependant sur des bases essentiellement différentes.

Le premier établit des taxes uniformes, des taxes qui sont les mêmes pour toutes les distances et se divisent en quatre catégories, savoir : 50 centimes pour les petits colis de deux kilos et au-dessous ;

75 centimes pour les colis de 2 à 5 kilos ; un franc pour les colis de 5 à 10 kilos ; au-dessus de 10 kilos, dix centimes en plus par kilo.

Voilà, messieurs, les taxes établies par le premier tarif, taxes uniformes pour toutes les distances.

Quant à l'autre tarif, il repose sur des bases essentiellement différentes. Il admet des taxes fixes et des taxes variables : taxe fixe de cinq centimes par 10 kilos, taxe variable d'un centime par 10 kilos et par lieue.

Vous voyez, messieurs, que cette tarification est passablement compliquée. Il y a jusqu'à six variétés, et certes on aurait pu dérouter le public et le commerce à moins de frais.

Mais cette complication n'eu pas le seul défaut ; il y eu a un autre plus grave encore, c'est l'exagération que j'appellerai usuraire de la taxation actuelle, exagération telle, que les prix de transport exigés du commerce dépassent absolument toute idée d'une rémunération juste et raisonnable du service rendu. Il est facile de le démontrer.

Suivant le compte rendu de 1863, dernière année dont les résultats sont officiellement connus, les petites marchandises ont donné lieu à un mouvement d'environ 94,000 tonnes ou 940,000 quintaux ; et ce mouvement a procuré au trésor une recette de plus de 2,400,000 fr.

D'un autre côté, le mouvement des grosses marchandises s'est élevé à 4,478,000 tonnes qui ont donné au trésor une recette de 15,963,625 fr.

En résumé le mouvement des petites marchandises n'a formé que la 48ème ou la 49ème partie du mouvement total, tandis que la recette s'est élevée à plus du huitième de la recette totale.

En d'autres termes, pour le mouvement il y a eu 2 p. c. et pour la recette 12 p. c. En d'autres termes encore, l'Etat a perçu sur la tonne de petites marchandises (erratum, page 448) 26 à 27 fr. et sur la tonne de grosses marchandises que 3 1/2 ; et aujourd'hui même si cette taxe devait être réglée d'après le tarif actuel, elle serait au-dessous de 3 fr. par tonne.

Messieurs, il y a là évidemment, à l'égard des petites marchandises, une exagération énorme et qui n'est aucunement en rapport avec les dépenses que le gouvernement a dû faire.

Il est à remarquer, en effet, que les dépenses d'exploitation se divisent principalement en trois catégories. Il y a les dépenses de l'entretien des voies et du matériel fixe ; il y a les dépenses de traction et de matériel roulant ; et enfin il y a ce que j'appellerai les dépenses de trafic ; celles qui ont pour objet la partie commerciale et qui consiste dans la réception des marchandises, dans le dépôt provisoire en magasins dans le chargement, le déchargement et, dans certains cas, la remise à domicile. Eh bien, c'est la seconde catégorie, celle relative à la traction et au matériel roulant qui comprend les dépenses les plus considérables ; elles s'élèvent à plus des deux cinquièmes de la dépense totale et il est évident qu'elles sont proportionnées pour ainsi dire entièrement an poids des marchandises à transporter.

Par conséquent, il résulte déjà de ce que nous venons de dire du tonnage relativement faible des petites marchandises, qu’en ce qui concerne les frais de traction et de matériel roulant, elles n'ont pu occasionner qu'une dépense insignifiante. Il y a plus, quoiqu'elles aient fourni environ la 49ème partie du mouvement total, on tomberait dans une grande exagération en les comprenant pour un 4ème dans la dépense de traction. Voici pourquoi : c'est qu'en général ces marchandises s'expédient par les convois de voyageurs ; or, vous savez que les convois de voyageurs, par cela même qu'ils doivent partir à heures fixes, ont presque toujours une charge incomplète ; par conséquent, en y ajoutant les petites marchandises, on ne fait qu'utiliser une force de traction qui, sans cela, serait dépensée en pure perte.

S'il en est ainsi de la catégorie dont je viens de parler, il en est encore à peu près de même pour la dépense concernant l'entretien des voies et du matériel fixe ; car, au point de vue qui nous occupe ici, il y a une corrélation intime entre les dépenses des deux premières catégories ; quand l'une s'efface il en est généralement de même de l'autre. Je crois inutile d'entrer à cet égard dans des explications détaillées.

Donc rigoureusement parlant, on ne peut porter au compte des petites marchandises, comme dépense d'exploitation, que la troisième catégorie, celle qui concerne le trafic ou la partie commerciale proprement dite, et qui ne forme pas même le tiers de la dépense totale.

Eh bien, exagérons et disons que pour cette partie-là les petites marchandises occasionnent, proportionnellement à leur poids, une dépense six à sept fois plus forte que les autres. Dans ce cas, il serait encore prouvé à la dernière évidence qu'il y a dans la taxation une exagération pour les deux tiers. Eh bien, cette somme exagérée que le trésor a perçue sur les petites marchandises est loin de représenter toutes les charges que le commerce a dû s'imposer pour le transport de ces marchandises. Il faut y ajouter la part très large qui est perçue par les commissionnaires, c'est-à-dire qu'aux deux millions et demi entrés dans les caisses du trésor, il faut ajouter encore un million payé aux commissionnaires ; en effet, le rapport démontre clair comme le jour que les tarifs actuels permettent aux commissionnaires de réaliser d'énormes bénéfices, et ces bénéfices sortent évidemment de la poche des expéditeurs. Il est d'ailleurs de notoriété publique, que l'industrie des commissionnaires ou l'industrie du groupement s'exerce sur une très large échelle et elle trouve moyen de s'exercer de différentes manières, d'abord en groupant les petits colis de manière à les faire transporter au poids suivant le tarif de la grande vitesse ; elle s'exerce encore et surtout en transférant au service accéléré, avec une réduction considérable de taxe, les colis qui, sans le groupement, tomberaient sous l'application du tarif n°1.

(page 445) Enfin elle s'exerce (erratum, page 448) aussi lorsque en groupant on fait transporter à la petite vitesse des marchandises qui, expédiées isolément, ne pourraient l'être dans ces conditions. Il est pour ainsi dire impossible de faire une évaluation exacte de l'importance de l'industrie du groupement.

Toutefois, la statistique du chemin de fer suffit pour nous convaincre que plus de la moitié des petites marchandises passe probablement par les mains des commissionnaires en leur laissant naturellement des bénéfices considérables payés par le commerce.

Permettez-moi de vous citer à cet égard quelques chiffres que je puise dans le compte rendu de 1863.

Ainsi que j'ai eu l'honneur de vous le dire, le mouvement total des petites marchandises s'est élevé à environ 940,000 quintaux.

Eh bien, sur ces 940,000 quintaux, il y en a au-delà de 800,000 qui ont été taxés au poids suivant le tarif n°2 ; et si nous consultons le nombre d'expéditions auxquelles ces 800,000 quintaux ont donné lieu, on trouve que chaque expédition en moyenne a dépassé 300 kilogrammes.

Or, je demande à tous les hommes compétents de cette Chambre, et particulièrement à l'honorable rapporteur de la commission, qui est plus à même que tout autre de nous éclairer à cet égard, je demande si ce sont là des expéditions venant directement du commerce ; ne sait-on pas qu'en général les expéditions venant directement du commerce et des particuliers ne sont, pour l'immense majorité, que de 15, 20, 30 ou 40 kilogrammes ?

Eh bien, le poids moyen des expéditions qui ont eu lieu a été de plus de 300 kilogr. Ces expéditions sont donc en très grande partie le résultat de groupements pratiqués sur une très vaste échelle. L'industrie des commissionnaires a donc dû s'exercer ici dans de très larges proportions, et par conséquent a dû occasionner une dépense très considérable qu'il faut ajouter à la somme payée au chemin de fer pour le transport des petites marchandises, afin d'avoir l'évaluation exacte des charges qui ont pesé sur le commerce de ce chef.

Ainsi il est évident que la tarification, telle qu'elle existe aujourd'hui, est exagérée ; je ne crains pas de dire qu'elle ressemble plutôt à une rançon qu'à une rémunération juste et équitable le mal est donc constant, occupons-nous du remède.

En 1852 on avait proposé un projet de loi dans lequel se trouvait une disposition prohibant directement le groupement. Cette disposition était ainsi conçue ;

« Il est défendu de réunir plusieurs colis ou plusieurs lettres sous un même emballage ou sous une même enveloppe, en vue de bénéficier sur le transport et la remise aux destinataires de colis ou lettres ainsi groupés.

« Toute expédition qui se trouverait dans les conditions de contravention susmentionnées, constitue un transport de fraude. » - Et plus loin une amende était comminée contre tout transport de fraude.

Messieurs, je vous avoue franchement que s'il s'agissait de reproduire une pareille disposition, je serais le premier à la combattre, non seulement parce qu'elle donnerait lieu à des tracasseries, à des recherches, à des inquisitions, toutes choses contraires à nos mœurs et à nos usages, mais encore et surtout parce que je la trouverais souverainement injuste.

En effet, il faut bien admettre que l'intervention des commissionnaires, contre laquelle on s'est souvent récrié, est parfaitement légitime, et j'ajouterai même que la clientèle qu'ils ont su conquérir prouve qu'ils ont rendu des services au commerce, qu'ils ont été utiles.

Tout en bénéficiant énormément, ils ont accordé au commerce des prix plus réduits que ceux fixés dans le tarif ; ils lui ont procuré encore le bienfait d'un service offrant plus de garanties de sécurité, de promptitude et d'exactitude, et débarrassé de toutes les formalités administratives qu'on rencontre quand il s'agit, par exemple, de réclamations en matière d'avaries.

Il ne peut donc s'agir de les écarter par un coup d'autorité. Le gouvernement qui exploite les chemins de fer, s'est fait industriel, et il faut nécessairement que, dans cette position, il accepte les lois de l'industrie, les lois de la libre concurrence. Il ne peut avoir la prétention d'écraser ses rivaux par des coups d'autorité ; il peut avoir la prétention très légitime de les vaincre en quelque sorte ; mais comment ? Par une supériorité de services rendus au public.

Voilà, je crois, le véritable principe de justice et d'équité qui doit diriger ici la conduite du gouvernement.

Dans l'espèce donc, pour écarter les commissionnaires, pour empêcher les groupements, il n'y a qu'un seul système, ; c'est que le gouvernement cherche à se rendre plus utile au commerce que les commissionnaires ne l'ont été jusqu'ici.

Les commissionnaires ont corrigé jusqu'à un certain point les imperfections du tarif ; c’est une mauvaise tarification qui a fait naître et développé leur industrie.

Eh bien, je voudrais que le gouvernement cherchât à se substituer aux commissionnaires qui sont parvenus à se faire une clientèle, en rendant des services au moins égaux ou des services plus grands que ceux que les commissionnaires ont pu rendre.

Mais pour cela, il ne suffira pas d'abaisser les tarifs. On voudra encore que le gouvernement fournisse des garanties d'un service régulier et d'un service qui donne toute sécurité à l'expéditeur en ce qui concerne le moment où la marchandise sera remise au destinataire. Je voudrais que dans le livret réglementaire qui sera fait à la suite du nouveau tarif, on stipulât que pour le cas où, dans un délai qui serait déterminé suivant la nature de la marchandise, la remise n'en aurait pas eu lieu, le gouvernement s'imposât à lui-même une amende de 20 ou 25 fr. Cette mesure est indispensable, selon moi, pour reconquérir la clientèle dont les commissionnaires se sont emparés.

Messieurs, je demande pardon à la Chambre d'être un peu long dans ces développements. Je ne sais si je me trompe, mais je vous avoue que j'attache une grande importance à cette question, parce qu'elle touche, suivant moi, à la vie intime du commerce.

Quant à la tarification qu'il faudrait adopter pour rendre ces transports moins onéreux au commerce, l'auteur de la brochure dont j'ai parlé a proposé un système qui est ingénieux et qui a cet avantage d'être calqué sur la tarification adoptée pour la poste aux lettres, système auquel nous sommes plus ou moins habitués. Il établit deux zones, une première zone pour toutes les distances dans un rayon de dix lieues et une autre zone pour toutes les distances qui excèdent les dix lieues.

Vous voyez que, sous ce rapport, il y a une grande analogie avec le tarif de la poste aux lettres.

Pour la première zone on payerait 30 centimes pour les colis de 20 kil, et au-dessous, et il y aurait ensuite une progression de 15 centimes par 10 kilog.

Dans la seconde zone, il y aurait une taxe uniforme de 30 centimes (erratum, page 448) par 10 kilog.

Le gouvernement a été consulté sur la valeur de ce tarif et il a élevé de nombreuses objections qui se trouvent énoncées dans une lettre annexée au rapport. Je crois que ces objections sont loin d'être entièrement fondées.

Le gouvernement a d'abord signalé une anomalie qui résulterait de cette tarification. Comment, dit-il, pour un poids de 20 kilog. dans le premier rayon vous payez 30 c, ainsi jusqu'à 10 lieues vous payez 30 c, et à 11 ou 12 lieues, vous payerez 60 c. Cette différence est injustifiable.

Messieurs, cette observation n'est pas dénuée de fondement. Mais je ferai remarquer que cela est inhérent à tout système de zone. Ainsi pour la poste, jusqu'à 6 lieues vous payez 10 centimes, et à 7 lieues vous en payez 20. Cependant le gouvernement soutient énergiquement le maintien de cet état de choses.

D'ailleurs, il y a lieu à faire cette remarque : quoi qu'on paye 60 centimes à onze lieues, cependant, il y aura encore une réduction (erratum, page 448) du prix que l'on paye aujourd'hui, puisque aujourd'hui la taxe est d'un franc. Il y aura donc un bénéfice de 40 p. c.

Vous voyez que la position qui serait faite aux localités situées dans le deuxième rayon ne serait pas de nature à faire naître des plaintes réellement fondées, puisque, après tout leur, position serait beaucoup améliorée.

Mais il y a une autre objection qui au premier abord est plus sérieuse. Le gouvernement entre dans des détails et il prouve qu'avec cette nouvelle tarification, il y aurait un relèvement de taxes dans plusieurs cas qu'il indique.

Je ferai à cet égard une seule observation : c'est qu'en général, cette aggravation de prix ne frapperait que les expéditions d'un poids asses élevé, d'un poids d'au moins 100 kilog. ; rarement elle frapperait des poids moindres.

Or, ces expéditions de 100 kil. viennent-elles réellement du commerce ? Je crois que ce sont en général des expéditions qui sont le résultat des groupements, et ce que vous considérez comme un défaut du système vous procure précisément le moyen de frapper les groupements, et de les frapper d'une manière (erratum, page 448) parfaitement loyale. Car le gouvernement a incontestablement le doit de déterminer les conditions auxquelles il accepte la clientèle des commissionnaires.

D'ailleurs, suivant l'auteur du projet, il y a un remède à ce mal. Ce remède consiste dans la réduction du minimum pour l'admission des marchandises au tarif de la petite vitesse. Aujourd’hui il n'y a plus en quelque sorte de minimum, quant au poids ; mais il y a un minimum quant à la taxe qui est assez élevée. En réduisant ce minimum, on pourrait expédier à la petite vitesse les expéditions pour lesquelles le nouveau tarif donnerait lieu à un relèvement de taxe.

Mais, nous dit le gouvernement, c'est justement ce remède même qui conduit à des absurdités, car il est absurde d'admettre la même base de prix pour les grosses et pour les petites marchandises. De cette façon l'on arriverait à ce résultat réellement bizarre, c'est que pour un kilog. par exemple, on ne payerait plus que 15 millièmes d'un centime. Messieurs, cela n'a jamais pu entrer dans la pensée de l'auteur du projet, il n'a voulu autre chose que le retour au régime de 1848 qui fixait pour la petite vitesse un minimum de 100 kilog ou d'un quintal.

Je crois que cette seule observation suffit pour renverser tous les arguments, très spécieux d'ailleurs, qui se trouvent énoncés dans la lettre de l'administration.

Mais, suivant le gouvernement, cette faculté d'expédier par la petite vitesse aura un autre inconvénient ; ce serait d'opérer un énorme déclassement ; les marchandises transportées aujourd'hui par service accéléré seraient expédiés dans une large proportion par petite vitesse et à cet égard le gouvernement cite ce qui a eu lieu en 1849 sous l'empire du tarif de 1848, qui admettait également cette faculté de transporter par la petite vitesse au poids de 100 kilogrammes, et s'appuyant (erratum, page 448) sur les résultats constatés à cette époque, le gouvernement arrive à dire qu'il y aurait un déclassement de 50 p. c. Je crois que cette évaluation est très exagérée, et voici pourquoi : D'abord je ferai remarquer que l'exposé des motifs du projet de 1852 reconnaît que l'année 1849 était une année tout à fait exceptionnelle qui ne pouvait pas servir de terme de comparaison ; mais une autre observation, c'ert que la situation actuelle est loin d'être la situation de 1847 ; le tarif de 1847 était beaucoup plus rigoureux que le tarif actuel, pour l’admission des marchandises à la petite vitesse ; on n'admettait alors qu'un poids de 500 kilog., tandis qu'aujourd'hui on admet les marchandises à la petite vitesse sans minimum de poids et (erratum, page 448) avec un minimum de taxe.

Le gouvernement nous dit dans son compte rendu de 1863, que sous l'influence de ces mesures il s’est déjà opéré un déclassement considérable ; de manière qu'il s'effraye d'un déclassement qui est aujourd'hui réalisé en très grande partie.

La commission a d'ailleurs répondu victorieusement à cette objection en faisant remarquer qu'il y avait suivant le tarif de 1848 une différence beaucoup plus forte entre les prix de la grande et de la petite vitesse, que celle qui existerait suivant le tarif dont je m'occupe en ce moment.

Or, comme c'est l'écart entre les deux prix qui a amené le déclassement en 1849, le déclassement sera nécessairement moindre avec un écart beaucoup plus faible.

D'ailleurs par cela même que l'écart sera moins considérable, le préjudice qui résulterait pour l'Etat d'un déclassement quelconque sera aussi moindre.

Je le répète donc, les objections élevées par le gouvernement sont loin d'être fondées ; toutefois, messieurs, je pense que la commission a parfaitement bien fait de ne pas adopter ce système et de proposer une réforme plus radicale, réforme que j'appuie de toutes mes forces et qui sera, je l'espère, adoptée par le gouvernement.

La commission propose, comme base de transport à toute distance, le prix uniforme de 30 centimes par 20 kilogrammes et au-dessous, et cela avec une progression modérée pour les poids plus élevés ; il me paraît évident que, dans un aucun cas, cette progression modérée ne pourrait excéder 15 centimes par 10 kilogrammes.

Je crois, messieurs, que cette réforme est la seule qui réponde entièrement à ce que le commerce est en droit de demander.

Messieurs, la taxe uniforme se justifie ici complètement par les raisons que j'ai déjà eu l'honneur de donner. En effet, je crois avoir démontré que les distances exercent une influence insensible sur les dépenses que le gouvernement a à faire pour le transport des petites marchandises.

En définitive, ces dépenses consistent pour ainsi dire exclusivement dans ce qui concerne l'acceptation des marchandises, le chargement, le déchargement et la remise à domicile.

C'est absolument comme pour l'expédition des lettres ; qu'elles se transportent à une lieue ou à quarante lieues, la dépense de ce chef n'augmente que dans une proportion inappréciable. Pour les petites marchandises, la dépense importante c'est le camionnage. Eh bien, que doit faire le gouvernement pour réduire, sous ce rapport, le prix de revient ? Il doit faire ce que ferait tout commerçant ou industriel.il doit tâcher d'étendre sa clientèle, d'étendre le cercle de ses affaires, Eh bien, il obtiendra ce résultat précisément par la modération des taxes qui empêchera le groupement.

Aujourd'hui le camionnage ne se fait qu'en partie par le gouvernement ; pour les articles groupés, ce sont les commissionnaires qui font le camionnage ; si le gouvernement pouvait le réunir entre ses mains, l'unité de dépense pourrait évidemment être diminuée, tout en rendant le service plus régulier, plus prompt et plus exact par cela même que le nombre des camions serait augmenté. Ils n'auraient pas un si long parcours à faire et l'on pourrait pour chaque colis compter moins, tout en le remettant plus vite.

Cela me paraît évident.

Mais, dit-on, si cette tarification était établie, 30 centimes par 10 kil., avec la progression de 15 centimes par 10 kil., il en résulterait une perte énorme pour le trésor.

Messieurs, il est évident que ce côté de la question est très important et qu'il éveille naturellement l'attention du gouvernement. Mais je crois que le gouvernement ne peut pas raisonnablement s'effrayer des conséquences probables de la mesure proposée après les magnifiques résultats obtenus par la réduction de la taxe des grosses marchandises ; et cependant là la position était différente. Là on pouvait craindre, non seulement une diminution de recettes, mais cette réduction des taxes entraînait immédiatement pour le gouvernement l'obligation de faire des dépenses considérables pour mettre le matériel roulant au niveau des nouveaux besoins qui allaient se produire.

Ici nous n'avons pas du tout la même chose.

Le mouvement des petites marchandises doublerait que le gouvernement n'aurait pas une dépense de plus à faire pour l'extension du matériel. Le matériel actuel suffirait complètement.

Sous ce rapport, il n'y a aucune considération qui puisse arrêter le gouvernement dans la voie qui lui a été indiquée par la commission d'industrie.

Nous pouvons même être rassurés complètement en ce qui concerne le côté financier, en examinant directement les résultats probables de la réduction proposée.

Si la proposition de la commission était adoptée, qu'en résulterait-il ? Le prix moyen est aujourd'hui de 2 fr. 45 c. par quintal. Si l'on appliquât rigoureusement le système de la commission en ce sens qu'on ne taxerait pas un kilo qui ne fut réellement transporté, le prix moyen serait de 1 fr. 50 c.

Mais cette supposition est gratuite et ne peut se réaliser.

La modération de la taxe aura nécessairement pour résultat de faire cesser en partie le groupement.

Eh bien, c'est jugement le groupement qui fait que le poids taxé coïncide en quelque sorte avec le poids réel.

Pourquoi ? Parce que ceux qui exercent cette industrie arrangent les choses de façon à arrondir les expéditions de telle façon que rien ne soit taxé sans être réellement transporté, tandis que quand le groupement n'existe pas, lorsque les expéditions viennent directement du commerce il y a nécessairement une latitude ; il y a nécessairement des poids fractionnaires, et par cela même le poids taxé est plus considérable que le poids réel, ce qui doit nécessairement élever le prix moyen calculé d'après le poids réellement transporté.

En tenant compte de ces circonstances, voici ce qui arriverait sous l'influence de la tarification dont je parle. Il arriverait que le prix moyen au lieu d'être de fr. 1-50 par quintal, ce qui serait s'il y avait coïncidence parfaite entre le poids taxé et le poids réel, s'élèvera très probablement au moins à fr. 1-80.

En calculant sur cette base il ne faudrait qu'un accroissement de mouvement peu considérable pour arriver à la même recette qu'aujourd'hui.

Si l'on transportait 400,000 quintaux de plus, on arriverait à cette conséquence que l'on aurait la même recette qu'aujourd'hui.

Vous avez pour espérer ce résultat deux faits qui ne peuvent manquer de se produire. C'est d'abord que par la réduction opérée il se produira, de même que cela eu lieu pour les grosses merchandises, un accroissement considérable de mouvement, d'autant plus que vous allez faire revenir à la grande vitesse ou au service accéléré une foule de marchandises qui s'expédient aujourd'hui à la petite vitesse.

Il est de notoriété que les commissionnaires emploient aujourd'hui aussi la petite vitesse pour expédier des objets qui de leur nature appartiennent à la grande vitesse et qui y reviendront du moment que les taxes seront modérées.

(erratum, page 448) Vous pouvez aussi espérer que les poids taxés excéderont dans une plus forte proportion les poids réels, attendu que les poids fractionnaires viennent du commerce et des particuliers et non du commissionnaire.

(page 447) Enfin, messieurs, il y a encore cette autre considération que j'ai déjà fait valoir ; c'est qu'en adoptant ce système, le gouvernement peut espérer d'étendre considérablement sa clientèle et par conséquent d'obtenir pour le camionnage des prix infiniment plus convenables qu'aujourd'hui.

J'appuie donc de toutes mes forces le système proposé par la commission, et j'ai confiance dans les vues larges de M. le ministre.

J'espère qu'après avoir obtenu des résultats si brillants par la réduction des prix de transport des grosses marchandises, il n'hésitera pas à adopter une mesure très large, surtout pour les petites marchandises qui ont été soumises trop longtemps à une tarification que je qualifie d'usuraire.

MpVµ. - Messieurs, les sections ont à s'occuper demain de la loi sur la milice. Je propose donc de ne nous réunir demain en séance publique qu'à trois heures,

- Cette proposition est adoptée,

La séance est levée à 4 3/4 heures.