Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 4 avril 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 747) M. Thienpont, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces adressées a la Chambre.

« Le conseil communal de Schooten prie la Chambre d'accorder aux sieurs Pavoux et Lambert la concession d'un chemin de fer d'Anvers à Turnhout. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des courtiers de navires de la place d'Anvers demandent le maintien du régime du courtage maritime consacré par le code de commerce et dans tous les cas une enquête sur les avantages ou les inconvénients qu'il présente. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi sur la révision du code de commerce.


« Des habitants de Michelbeke demandent que sur le chemin de fer de Braine-le-Comte à Melle il soit établi une station au hameau Smessenbrouk de la commune d'Erwetegem. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les secrétaires communaux de l'arrondissement d'Alost demandent une loi qui fixe le minimum de leur traitement. »

(Erratum, page 756) M. Van Wambekeµ. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions avec prière d'en faire un prompt rapport.

M. Lelièvre. - J'appuie également la requête qui est fondée sur les plus justes motifs, et je me joins à mon honorable ami pour demander qu'elle soit renvoyée à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

« Même demande des secrétaires communaux de l'arrondissement de Termonde. »

-Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur une pétition relative au même objet.


« Des habitants de Michelbeke demandent une modification aux heures de départ des chemins de fer pour rendre plus régulière la communication entre Bruxelles et les communes de Nederbrakel et Sainte-Marie-Hoorebeke. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« La chambre de commerce d'Arlon présente des observations sur le projet de loi relatif à l'exécution des travaux d'utilité publique, et demande la garantie d'un minimum d'intérêt ou une subvention pour la Compagnie concessionnaire des lignes du chemin de fer de Liège par la vallée de l'Ourthe vers le cheminn de fer du Grand-Luxembourg et de Spa dans la direction de Welswampach. »

M. Bouvierµ. - Je demande le renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.

- Adopté.


« Des habitants de Bruxelles émettent le vœu que les Chambres infligent un blâme à M. le ministre de la guerre à propos de la formation du corps belge-mexicain. »

M. Coomansµ. - Je demande le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion qui va suivre sur notre expédition militaire du Mexique.

- Adopté.


« M. le ministre transmet à la Chambre avec les pièces de l'instruction la demande en obtention de la naturalisation ordinaire faite par le sieur Bourdon. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« M. le baron de Woelmont demande un congé de deux jours. »

- Accordé.

Projet de loi relatif aux pensions civiles

Motion d’ordre

M. Lelièvre. - Une erreur de rédaction s'est glissée dans les amendements que M. Thonissen et moi avons déposés sur le projet de loi relatif aux pensions civiles.

Au deuxième paragraphe de l'amendement destiné à remplacer l'article 2 du projet, les mots « traitement fixe » doivent être remplacés par ceux-ci : « traitement effectif. »

Nous voulons prendre pour base non seulement le taux du traitement fixé par la loi, mais encore celui du minerval, dont la moyenne est fixée tous les trois ans par l'arrêté royal du 10 février 1864.

Nous avons cru devoir faire immédiatement cette rectification afin que le gouvernement et la Chambre en soient informés avant l'ouverture de la discussion.

Compositions des bureaux des sections

Première section

Président : M. Delcourt

Vice-président : M. Magherman

Secrétaire : M. Notelteirs

Rapporteur de pétitions : M. Julliot


Deuxième section

Président : M. Mascart

Vice-président : M. Vleminckx

Secrétaire : M. de Macar

Rapporteur de pétitions : M. Bouvier-Evenepoel


Troisième section

Président : M. de Kerchove

Vice-président : M. Lebeau

Secrétaire : M. Valckenaere

Rapporteur de pétitions : M. Fonck


Quatrième section

Président : M. Vander Donckt

Vice-président : M. Pirmez

Secrétaire : M. Giroul

Rapporteur de pétitions : M. Dewandre


Cinquième section

Président : M. d’Hane-Steenhuyse

Vice-président : M. Elias

Secrétaire : M. Jacobs

Rapporteur de pétitions : M. Van Hoorde


Sixième section

Président : M. de Naeyer

Vice-président : M. de Ruddere de Te Lokeren

Secrétaire : M. Reynaert

Rapporteur de pétitions : M. Delaet

Interpellation sur des faits relatifs à la question du Mexique

M. Bouvierµ. - Je suis chargé par la commission des pétitions de plusieurs rapports sur des pétitions relatives à l'expédition du Mexique. La commission conclut au dépôt sur ces pétitions sur le bureau pendant la discussion relative à cet objet. Je fais la proposition à la Chambre de bien vouloir accueillir ce dépôt.

MpVµ. - C'est la décision qui a déjà été prise pour des pétitions analogues.

- La Chambre ordonne le dépôt de ces pièces sur le bureau pendant la discussion.

(page 751) M. Delaetµ. - Depuis longtemps aucun débat ayant un caractère général de gravité aussi bien déterminé que le débat actuel n'a été porté devant cette Chambre. Déjà deux fois la Chambre s'est occupée de l'intervention du gouvernement dans l'expédition du Mexique et chaque fois la discussion a revêtu un caractère assez orageux pour qu'une partie de cette Chambre ne pût porter un jugement calme et consciencieux sur les actes et sur les faits, comme le réclame tout grand débat quand l'honneur et l'avenir de la Belgique y sont engagés.

Pour ma part, messieurs, j'essayerai de donner l'exemple du calme.et j'ose espérer que mes adversaires voudront bien ne point passionner le débat cette fois-ci. Ce calme, d'ailleurs, nous sera d'autant plus facile que je ne crois pas que sur la portée et les conséquences de l'intervention du gouvernement, en supposant que cette intervention ait eu lieu et soit prouvée à suffisance de droit, il y ait deux opinions dans cette Chambre.

Déjà le 2 septembre 1864, le gouvernement n'a pas essayé d'innocenter son intervention ; il l'a déniée ; simplement, mais radicalement déniée ; il a plaidé, selon l'expression anglaise, no guilty ; mais en reconnaissant, et par ses propres organes et par l'organe de l'honorable M. Bara, que si cette intervention avait été positivement établie, la Chambre eût été très indulgente en ne proposant qu'un ordre du jour désapprobateur ; qu'il y aurait eu lieu de poser la question de confiance et même de mettre les ministres en accusation. (Interruption.)

M. de Moorµ. - Eh bien, faites-le.

M. Delaetµ. - Messieurs, c'est de ma part une simple affirmation ; je vous permets de la mettre en doute ; mais ce que je ne vous permets pas de mettre en doute, ce sont les paroles mêmes de MM. les ministres, ce sont les paroles de l'honorable M. Bara.

Ainsi, quand, sur l'interpellation de mon honorable ami M. Coomans, la question du recrutement pour le Mexique est introduite, que fait le gouvernement ? Il cherche à réduire cette affaire à des proportions excessivement restreintes. Voici ce que nous disait l'honorable général Chazal :

« Je ne vols pas pourquoi, disait-il, on ferait une exception pour le Mexique puisqu'on laisse aller des officiers partout. Pour Je Mexique, où la fille de notre Roi est souveraine, je crois que nous devons agir envers ce pays comme nous avons agi envers les autres et accorder à nos compatriotes l'autorisation de servir dans des limites qui ne sont pas de nature à désorganiser l'armée. »

Plus loin, il nous dit avoir cru qu'il y avait un intérêt réel pour le pays de ne pas refuser à des Belges l'autorisation de servir dans la garde d'une princesse belge devenue impératrice du Mexique. Il nie toute intervention directe ; il nie avoir mis à la disposition de la légion belge-mexicaine la caserne d'Audenarde, et il dit que ceux qu'il a laissés partir étaient des hommes près de rentrer dans leurs foyers. Puis, comme toujours, l'honorable général Chazal prétend qu'il a laissé partir les jeunes gens régulièrement, parce que, avec leur caractère ardent, leur tempérament aventureux, ils auraient déserté et se seraient trouvés dans une position irrégulière.

Il nous a dit aussi qu'il ne connaissait pas de loi empêchant les Belges d'aller servir à l'étranger, qu'il n'y avait pas moyen de les retenir. Tout cela n'avait pour but que d'amoindrir l'intervention du ministère de la guerre dans la formation de ce corps, d'effacer dans le pays l'impression défavorable que cette intervention y avait produite.

L'honorable général Chazal, ne pouvant nier complètement, tâchait de mettre une sourdine aux plaintes qui s'élevaient dans le pays.

Les autres ministres disaient : « Nous ne sommes pas intervenus du tout, nous sommes complètement, absolument demeurés étrangers au recrutement, à l'organisation du corps mexicain. »

Pour établir cette position prise par le cabinet, j'aurais à vous faire tant de citations que je m'y perdrais ; je devrais peut-être les produire toutes (interruption) ; mais je ne voudrais pas faire perdre son temps à la Chambre en lui infligeant cette longue lecture ; je n'aurais pas à vous relire moins de trois colonnes de dénégations ministérielles, Rien qu'en répétant les dénégations de M. le ministre des finances, j'en aurais pour deux colonnes...

M. Bouvierµ. - Quatre colonnes. (interruption à gauche.)

M. Delaetµ. - La gauche a-t-elle envie d'étouffer ma voix par ses bruyantes interruptions ? Veut-elle m'empêcher de me faire entendre d'elle ? Soit ! je parlerai assez haut pour dominer tout ce bruit et me faire entendre par le pays. (Interruption.) Si vous voulez du calme, taisez-vous et parlez tout à l'heure.

Voici d'abord la première dénégation de l'honorable ministre des finances. Répondant à l'honorable M. Guillery, il prend le facile moyen dont on usera probablement encore contre nous, d'exagérer les paroles d'un orateur, et de répondre, non pas à ce qu'il a dit, mais à l'exagération qu'on lui prête gratuitement.

« Suivant l'honorable membre (dit M. le ministre des finances), le gouvernement aurait fait un acte d'intervention, le gouvernement aurait organisé un corps belge et il se disposerait à faire une expédition au Mexique.

« M. Guillery. - Je n'ai pas dit cela. Je dis qu'il a favorisé la formation d'un corps belge pour aller servir au Mexique sans perdre la qualité de Belge.

« M. Frère-Orban. - Je crois reproduire fidèlement la pensée qui a été exprimée d'ailleurs avec une grande exagération et en se plaçant tout à fait à côté de la réalité :

« Le gouvernement n'est pas intervenu dans cette affaire. »

Et plus loin :

« Je le répète, l'autorisation donnée à un certain nombre d'officiers et de soldats belges d'aller servir à l'étranger, est le seul acte que le gouvernement ait posé dans cette affaire... Non, il n'y a eu ni intervention, ni même approbation à un degré quelconque.

« Je puis prouver que le gouvernement a rejeté résolument certaines demandes qui lui ont été laites dans le simple but de faciliter jusqu'à un certain point l'équipement du corps qu'il s'agissait de former. »

Faisant allusion à ce que l'on faisait à Audenarde, l'honorable ministre des finances avait dit plus haut, en parlant du refus d'accorder l'autorisation exigée par l'article 21 du code civil :

« Je n'hésite pas à le déclarer, je trouve que c'eût été là un acte exorbitant.

« ... Le gouvernement s'est tout simplement bornée à ne pas faire application de la pénalité... Là s'est absolument bornée l'action du gouvernement. >

Tantôt vous contestiez mes paroles. Contestez-vous les paroles de M. le ministre des finances ? Ce n'est pas tout et il y a plus fort.

Messieurs, nous retrouverons tout à l’heure l'honorable ministre des finances pour la séance du 24 février. J'ai à vous lire les conclusions de l’honorable M. Bara, conclusions qui n'ont pas été déclinées par le ministre en faveur duquel elles étaient prises, et qui, par conséquent, ont été avouées par le gouvernement. Car si le gouvernement n'avait pas reconnu pour siennes les paroles de l'honorable M. Bara, s'il n'y avait pas adhéré, il eût décliné le bénéfice de cet ordre du jour.

Or, voici ce que disait l'honorable M. Bara :

« Vous comprenez, messieurs, qu'il est impossible à la droite comme à la gauche d'accepter l'ordre du jour de l'honorable M. Coomans. En effet, si le gouvernement avait autorisé la formation du corps belge sur son territoire pour être employé au service d'une nation étrangère, l'expression d'un semblable regret serait une dérision de la part de la Chambre. Il faudrait immédiatement renverser le ministère qui aurait posé un tel acte, parce que cet acte serait contraire à la Constitution.

« Le gouvernement ne peut autoriser la formation d'un corps belge pour aller servir à l'étranger. La proposition de l'honorable M. Coomans va certainement au-delà de sa pensée, quand il dit, dans son ordre du jour, que le gouvernement a autorisé la formation d'un pareil corps, et qu'il se borne à blâmer seulement sa conduis. Je ne veux pas non plus qu'en Europe comme en Amérique on puisse croire que le gouvernement a autorisé la formation d'un corps belge pour aller servir au Mexique, parce que cela, je veux le croire, est contraire à la vérité et pourrait nuire à notre position politique. »

M. Bara ne s'arrête pas en si beau chemin, il va beaucoup plus loin.

« Mais, messieurs, tout en repoussant l’ordre du jour de l'honorable M. Coomans, je crois que la Chambre a quelque chose à faire dans l'intérêt des principes qui sont la sauvegarde de notre nationalité. Il est évident que la Belgique, par sa position spéciale, ne peut intervenir dans les luttes dont les pays étrangers peuvent être le théâtre.

« Il est évident qu'elle ne peut pas intervenir pour un gouvernement qui naît contre un gouvernement que l'on croit tombé. Il est évident que ce peuple, sorti de la volonté nationale, doit respecter la volonté populaire des autres nations. C'est pourquoi moi-même, me plaçant à un haut point de vue de droit public, comprenant les origines de notre nationalité de notre indépendance, sachant ce qu'il en a coûté à la liberté pour s'implanter, pour grandir et se conserver, je regrette que les Belges aient cru devoir aller servir une cause qui ne soit pas sortie d'un mouvement populaire, national et libéral. »

M. Baraµ. - C'est encore mon opinion.

M. Delaetµ. - C'est encore votre opinion. Nous allons voir, quand les faits seront précisés, si vous resterez fidèle à votre opinion. Professer (page 752) une opinion quand on croit qu'elle ne peut avoir de conséquences, ce n'est pas difficile. L'enfer est pavé de nonnes intentions. Mais quand vous serez devant des faits parfaitement établis, nous verrons ce que vous ferez.

« La création de l'empire du Mexique, quelque grandiose qu'elle puisse paraître à certains yeux, quelque chevaleresque qu'elle puisse être pour le prince qui l'entreprend, n'aura jamais les sympathies du peuple ; elle ne répond pas aux sentiments du monde parce que, messieurs, elle repose sur des conceptions de souverains, parce qu'elle n'a pas été le résultat de la volonté d'une nation, mais uniquement le fait de conseils de cours et d'ententes diplomatiques.

« Nous n'avons pas, messieurs, à mêler le nom de la libérale Belgique à une pareille affaire et je suis heureux que le gouvernement ait déclaré par l'organe de M. le ministre de la guerre et de M. le ministre des finances qu'il ne se prononce pas, comme il ne peut pas se prononcer sur ce qui se passe au Mexique ; qu'il est resté complètement étranger à la formation du corps belge ; qu'il repousse énergiquement toute allégation qui, dans la presse ou ailleurs, pourrait faire peser sur le gouvernement la responsabilité de la formation de ce corps. (Interruption.)

« C'est sous le bénéfice de cette déclaration et dans la croyance que le gouvernement persistera à rester complètement étranger à cette affaire, qu'il n'accordera pas de faveurs spéciales aux officiers qui rentreraient en Belgique après l'accomplissement de leur engagement au Mexique ; que dans le cas où les Etats-Unis revendiqueraient la doctrine de Monroe et manifesteraient le projet déjà concerté, dit-on, d'envahir le Mexique, il préviendra les Belges partis pour ce pays qu'il retire son arrêté d'autorisation et que s'ils ne quittent pas le service mexicain, ils perdront la qualité de Belge. »

Cette dernière conclusion, messieurs, m'a paru presque inhumaine et pourtant M. le ministre de la justice a répondu : « C'est évident ! »

Ainsi, vous avez envoyé nos nationaux dans un pays où vous les laissez sans ressources, sans protection, où ils sont sous la main du souverain de ce pays, et vous leur envoyez un arrêté royal qui leur dit : « Je vous retire la qualité de Belge si vous ne faites pas ce que vous ne pouvez faire sans être fusillés et déshonorés, si vous ne quittez l'armée mexicaine. »

Ce que c'est que cette expédition du Mexique M. Bara vous l'a dit avec plus d'énergie que je ne pourrais le faire ; aussi sous le rapport politique comme au point de vue moral, l'expédition est jugée et, j'en suis fier pour mon pays, condamnée.

Du reste M. Bara a émis le vœu « que le gouvernement persistât à rester complètement étranger à cette expédition comme il y était resté étranger avant la séance du 2 septembre. » Je ne sais si je ferai plaisir à l'honorable M. Bara, mais je puis lui apprendre que le gouvernement a gracieusement exaucé le vœu formé par lui ; il est resté étranger à l'expédition mexicaine après le 2 septembre, comme il y était resté étranger avant le 2 septembre.

C'est-à-dire que, si ce n'est qu'il n'a pas payé les soldats mexicains, il a fait à peu près tout ce qu'il pouvait faire pour favoriser l'organisation du corps.

J'ai demandé dans une séance antérieure si le gouvernement contestait le fait d'avoir mis à Audenarde des bâtiments de l'Etat à la disposition du corps mexicain ? Je serais reconnaissant à l'honorable ministre de la guerre s'il voulait bien me dire par une simple affirmation ou par une simple dénégation, quelle est la réponse que je puis attendre de lui à ce sujet...

- Plusieurs membres. - Continuez.

M. Delaetµ. - Je continuerai. J'ai voulu laisser à M. le ministre de la guerre le temps de la réflexion.

Voici, messieurs, ce que, en attendant que l'honorable ministre de la guerre prouve le contraire, je me crois en droit d'affirmer devant la Chambre.

On m'écrit d'Audenarde :

« Voici les renseignements que j'ai recueillis au sujet des bâtiments occupés par les Mexicains lors de leur séjour à Audenarde. Cette légion a occupé les bâtiments ci-après appartenant au génie militaire :

« 1° Le quartier dit de l'artillerie :

« Ce quartier qui fait partie de la caserne Maegdendale, est en ce moment occupée par environ 80 lanciers (belges, messieurs.)

« 2° L'hôpital militaire.

« Et 3° la boulangerie militaire.

* Ces deux bâtiments ont été transformés en casernes pour le logement de la légion mexicaine par la ville d'Audenarde.

« Finalement, cette légion a aussi occupé la caserne des Jésuites, Ce bâtiment appartient à la ville et l'on attend impatiemment un acquéreur pour s'en débarrasser.

« Voici donc la part d'intervention de l'Etat et de la ville dans cette affaire :

« Trois bâtiments militaires précédemment nommés ont été mis par le gouvernement à la disposition de la légion mexicaine. Ces bâtiments, je le répète, appartiennent au génie militaire. La ville, de son côté, a donné la caserne dite des Jésuites, et l'ameublement et les fournitures de couchage nécessaires au logement des Mexicains dans le susdit bâtiment. »

Mon correspondant ajoute même un détail qui, sans se rattacher précisément à la question, est assez curieux à connaître pour faire voir quel était, en définitive, le caractère de cette légion mexicaine et comment elle s'est conduite à Audenarde.

« Les dégradations aux casernes, dit-il, à l'ameublement et aux fournitures de couchage ont été évaluées pour les six mois qu'a duré le séjour des Mexicains, à la somme d'environ 8,000 fr.

« Toutefois il est à remarquer que dans cette somme est comprise la vente par les Mexicains d'objets de couchage à des marchands de bric-à-brac. »

Voilà mes renseignements quant aux bâtiments de l'Etat misa la disposition du corps mexicain ; je me trompe, pour parler le langage officiel, il me faudrait dire du corps belge-mexicain.

M. le ministre de la guerre exécutant la décision prise par la Chambre dans la séance du 24 février dernier, a publié sa circulaire aux chefs de corps, plus trois arrêtés royaux, plus trois états A et un seul état B.

L'existence de ce seul état B daté du 10 février explique très bien pourquoi M. le ministre de l'intérieur, intérimaire de la guerre, n'a jamais eu à donner un congé pour le Mexique, ce qu'il a soin de nous apprendre le 24 février.

Cet état n'a été signé que le 20 février et nous verrons, d'ailleurs, si même si cet état est exact et si l'arrêté royal est légal.

Voici donc la première circulaire. Nous n'aurions, messieurs, que cette pièce-là, cette première circulaire de quatre lignes, que l'intervention dé M. le ministre de la guerre serait établie à toute évidence. Elle dit :

« Bruxelles, le 25 juillet 1864.

(Notez bien les dates, messieurs, car j'aurai à vous entretenir tout à l'heure d'une lettre du 30 juillet.)

« J'ai l'honneur, écrit M. le ministre de la guerre à MM. les généraux commandants les divisions territoriales d'artillerie, de cavalerie, aux inspecteurs généraux d'artillerie et du génie et aux chefs de corps dans l'armée, j'ai l'honneur de vous prier de donner sans aucun délai à M. le lieutenant général pensionné Chapelié toutes facilités qu'il réclamerait de vous pour l'accomplissement de la mission dont il est chargé. »

Notez bien qu'il y a : « dont il est chargé » ; forme affirmative et : « sans aucun délai ! » ordre formel, ordre impératif ! (Interruption.) Est-ce que nous nous tromperions, pauvres députés civils incompétents en matière militaire, comme on nous le rappelle si souvent, est-ce que nous nous tromperions sur le caractère de cet ordre ? Serait-ce peut-être une simple invitation, une prière même : « J'ai l'honneur de vous prier » !

Si je ne pouvais m'en rapporter qu'à ma seule autorité, je dirais que peut-être c'est une invitation, non un ordre ; mais d'autres que moi ont eu à apprécier cet acte. Voici un ordre de régiment du 21 juillet 1864 :

« Ensuite des ordres de M. le ministre de la guerre, (c'est un chef de corps qui parle et, vous le voyez, cette prétendue invitation était pour lui un ordre), ensuite des ordres de M. le ministre de la guerre, en date du 25 juillet, 2ème division, n°74, et des communications qui m'ont été faites le même jour, par M. le lieutenant général pensionné Chapelié, les hommes du corps placés sous mon commandement, dont les noms suivent, sont autorisés à passer au corps expéditionnaire du Mexique. »

Donc un congé pour faire ce qu'ils veulent, pour aller ou, ils veulent. Suivent les noms de plusieurs miliciens, volontaires, substituants, hommes condamnés à recommencer leur temps de service.

« L'autorisation, continue l'ordre de régiment, est accordée aux conditions suivantes :

« 1° Ils devront en faire eux-mêmes la demande par la voie hiérarchique ;

« 2° Ils ne pourront d'abord être admis dans le corps expéditionnaire qu'en qualité de simple garde ; mais au fur et à mesure de l'organisation des compagnies, on choisira parmi eux, pour former le cadre, ceux qui réunissent les conditions d'énergie et de capacité nécessaires ;

« 3° Ceux qui ont des dettes à la masse doivent les apurer ou tout au moins les réduire à 60 francs au plus, par un versement volontaire. »

Les réduire à 60 francs au plus. Tout à l'heure j'aurai à demander sur cette somme de 60 fr. quelques éclaircissements à M. le ministre de (page 753) la guerre, car je ne sais pas trop si un homme peut laisser 60 fr. à sa masse, à charge de la masse et par conséquent à charge du trésor public, ou si la masse sera totalement indemnisée par les payement volontaires et l'encaissement de la prime d'engagement. Je continue de citer :

« 4° Ceux dont la dette ne s'élève pas à plus de 60 francs et qui voudront la payer au moyen de la prime d'engagement qui leur est accordée par l'empereur Maximilien, remettront à leur commandant de compagnie un consentement rédigé dans ce sens.

« Les commandants légaliseront ces pièces et me les feront parvenir pour la justification de l'envoi de fonds qui leur sera faite au corps, par le conseil d'administration au conseil d'administration du corps expéditionnaire. »

Vous voilà donc en compte courant !

« MM. les commandants des compagnies m'enverront, avant la fin du mois, pour les hommes qui désirent passer au corps expéditionnaire, les pièces et renseignements suivants :

« 1°) Une liste nominative indiquant les noms, prénoms, catégories et grades ;

« 2°) Le montant de la dette à la masse ;

« 3°) Tous les renseignements nécessaires sur la conduite et la manière de servir, etc.

« 4°) Des extraits du livre des punitions ;

« 5°) Le consentement des hommes pour les versements à leur masse du montant total ou partiel de leur prime d'engagement.

« 6°) Les cartouches de congé de 3 mois (on laissera les dates en blanc). Elles seront inscrites plus tard, ainsi que l'autorisation ministérielle en vertu de laquelle les congés seront délivrés. »

Ainsi, quand le ministère vient nous dire : « Nous n'avons pas su qu'un tel fût mineur, c'est qu'il n'a pas lu les rapports qui lui ont été faits, c'est qu'il n'a pas pris connaissance des renseignements qu'il a demandés lui-même.

Je répète :

« 6° Les cartouches de congé de 3 mois. (On laissera les dates en blanc.) Elles seront inscrites plus tard, ainsi que l'autorisation ministérielle en vertu de laquelle les congés seront délivrés. »

Cet article est important ; je vous prie de ne pas le perdre de vue lorsque tout à l'heure il s'agira de Crimmers. La date en blanc, était-ce un moyen de faire plus tard des déserteurs ou des permissionnaires, selon que les hommes voulaient ou ne voulaient pas passer la mer ?

J'ai un autre ordre du jour signé d'un colonel, et comme celui-ci est mort et s'échappe par conséquent à toute vindicte, je citerai son nom. Ce chef de corps me paraît avoir été moins favorable à l'expédition, car l'ordre du jour est modifié. J'appelle l'attention de la Chambre sur cette modification ; elle prouve qu'il y a eu un modèle sur lequel tout le monde a pu travailler. Je ne sais si ce modèle est sorti des bureaux de M. le ministre de la guerre ; j'en dois même douter, car s'il en était ainsi, M. le ministre nous l'aurait fait connaître ; il aime tant la publicité ; il aime tant à voir la lumière se faire sur ses actes. Voici cet ordre du jour du régiment du génie :

« Je porte à la connaissance du régiment que M. le ministre de la guerre, par sa dépêche du 19 courant, 2ème div., n°105, a décidé le licenciement par anticipation des hommes dont les noms suivent, qui ont reçu des congés de faveur pour se rendre à Audenarde. »

Suivent les noms de 2 caporaux et de 4 soldats.

Ordre du jour n°264 :

« Par sa dépêche du 1er courant, 2ème div., n°105, M. le ministre de la guerre a décidé le licenciement par anticipation, à la date du 15 novembre, du deuxième mineur X, qui a obtenu un congé de faveur pour se rendre à Audenarde. Le certificat de bonne conduite lui sera refusé. »

Je n'ai pas nommé ce soldat parce qu'il y a là une circonstance peu honorable pour lui. (Interruption.)

On nous avait dit d'abord que c'était la fleur des pois de notre armée qui partait...

- Voix à gauche. - Qui a dit cela ?

M. Delaetµ. - M. le ministre de la guerre nous a appris qu'il avait vu partir avec satisfaction nos vieux sous-officiers pour faire place dans les cadres à de plus jeunes soldats. Et c'était vrai, car dans certains régiments on a dépouillé les cadres.

Il y a, dans cet ordre du jour, autre chose encore, un fait très curieux et très important au point de vue de l'intervention. Les soldats, selon M. le ministre de la guerre, pouvaient aller où ils voulaient ; leurs congés étaient accordés avec cette clause.

En fait, c'est le contraire. On sait que le soldat est assez mauvaise tête, qu'il a le tempérament assez ardent, qu'il est assez enclin à se laisser entraîner ; et tout à l'heure nous verrons ce que peut coûter un moment d'entraînement.

Eh bien, pour que n'en puisse point agir à sa guise, que fait-on dans les régiments ? On fait conduire les enrôlés dans leur garnison à Audenarde par un sergent ; et il y a plus, ce sergent, ce n'est pas un militaire qui se met dans une société quelconque et qui en dehors du service peut disposer de son temps comme il le veut ; non, c'est un sous-offîcier chargé de surveiller le transport, à prix réduit, dit-on, mais je n'en sais rien et je n'affirme que ce que je sais ; c'est donc un sous-officier chargé de payer le transport de ces hommes, d'aller chercher pour cela l'argent chez le capitaine quartier-maître de chaque régiment, lequel capitaine quartier-maître a ouvert un poste à chacun d'eux dans son compte courant avec la légion mexicaine.

En voici la preuve : « Ils partiront pour cette dernière ville, - Audenarde, - par le convoi du chemin de fer de six heures du soir (ils étaient donc en service) et seront conduits par le sergent Bracke. Ce sous-officier acquittera leurs frais de transport par chemin de fer au moyen de fonds qu'il recevra à cet effet chez le capitaine quartier-maître. »

Et tout cela, messieurs, ce n'est pas de l'intervention ! Les mots du dictionnaire n'ont donc plus leur sens usuel ? Nous avons aujourd'hui un dictionnaire ministériel, et, pour peu que nous le voulions bien, il ressemblera pour chacun de ses vocables à cette fameuse définition du dictionnaire de l'Académie, oh, à l'article Ecrevisse ; on lisait ceci : « petit poisson rouge marchant à reculons. » Ce qui faisait dire à M. de Lacépède : L'écrevisse n'est pas un poisson, elle n'est pas rouge, et ne marche pas à reculons ; sans cela la définition est parfaitement exacte.

Ainsi, « abstention complète du gouvernement » signifie « intervention par ordres donnés à l'armée » ; intervention par arrêtés royaux, intervention par congés et licenciements anticipés, intervention par comptes courants tenus par des officiers belges. Voilà ce que signifie le mot « abstention » d'après la définition du dictionnaire ministériel.

Plusieurs de ces actes, messieurs, sont évidemment postérieurs au mois de septembre. Mais revenons-en à notre discussion du 24 février.

M. le ministre des finances, avec cette habileté consommée à laquelle tout le monde rend hommage, nous a fait le narré de son rôle dans cette affaire. Nous ne sommes pas intervenus, nous a-t-il dit, nous sommes si peu intervenus qu'à une demande de M. le lieutenant général Chapelié d'importer en franchise de droit à charge de réexportation une partie de drap nous avons opposé un refus. Je lut ai refusé cette faveur que, du reste, j'accorde à tout le monde et je ne lui ai pas accordée pour ne pas engager même en apparence seulement la responsabilité du gouvernement belge.

M. le ministre de la justice a été du même avis ; cela n'était pas très compromettant, d'après lui, mais il fallait éviter même les apparences d'une intervention. Par conséquent, le 30 juillet (notez bien que la circulaire de l'honorable général Chazal est du 25 juillet), M. le ministre de la justice adresse à M. le ministre des finances une réponse dans laquelle se trouve le passage que voici :

« Cette mission (celle de M. le général Chapelié) sur laquelle le gouvernement belge n'a reçu aucun renseignement officiel, consisterait, parait-il, à organiser eu Belgique un corps d'armée destiné à entrer au service du Mexique. »

Or, cinq jours avant h date de cette lettre, le gouvernement, par l'organe du ministre de la guerre, informe officiellement les chefs de corps que M. le général Chapelié est chargé d une mission, et il requiert ces chefs de corps d'exécuter sans délai les ordres que M. le général Chapelié leur transmettra.

Je ne sais pas, messieurs, si le mot mystification est parlementaire ; je me rappelle que M. le ministre des finances l'a un jour employé contre nous ; mais s'il y a un mystifié dans cette Chambre, à moins que ce ne soit un complice, ce que je ne veux pas croire, c'est bien M. le ministre des finances, refusant le 30 juillet au général Chapelié, qui paraît être chargé d'une mission dont le gouvernement belge n'a pas officiellement connaissance, la faculté d'opérer un transit interrompu !

Que conclure de là, messieurs ? Je vous avoue que j'ai peu l'habitude des régions ministérielles, et ignore comment on s'y arrange ; mais ce que je sais, c'est que si j'avais été, moi, ministre de la justice ou des finances le 30 juillet 1864, j'aurais été très formalisé de voir qu'en dehors de l'action du cabinet tout entier, un membre de ce cabinet eût engagé la responsabilité du pays et l'avenir d'une foule de jeunes Belges.

Du reste, immédiatement après avoir cité la lettre du 30 juillet, M. le ministre des finances réclame le bénéfice de son ignorance et il nous dit : « La pièce dont je viens de donner connaissance à la Chambre atteste (page 754) la parfaite sincérité de la déclaration que j'ai faite il y a quelques mois lorsqu'il a été une première fois question de cette affaire. Le gouvernement a toujours manifesté l'intention et a persévéré dans l'intention de rester absolument étranger à l’organisation du corps mexicain et il a toujours voulu que, sous aucun prétexte on ne pût y attacher l’idée d'une intervention de sa part. »

Sous aucun prétexte M. le ministre des finances ne veut que le gouvernement soit soupçonné, et telle est sa prudence, qu'il refuse jusqu'à la concession d'un transit interrompu.

Messieurs, il a été affirmé dans cette enceinte par l'honorable M. Guillery, que des adjudications pour compte du corps mexicain ont été faites par l'intendance beJge. Ce fait n'a pas été démenti. Mais l'honorable général Chazal s'en est tiré par une échappatoire, en disant qu'il ne pouvait pas empêcher ces officiers de faire partie d'une société ; il a ajouté, dans nos Annales, le mot « financière » ; mais cet adjectif, je ne l'ai pas entendu et la réponse de l'honorable M. Guillery prouve que lui non plus ne l'a pas saisi mieux que moi.

Messieurs, avant d'aborder la question de l'engagement du mineur Crimmers, je désire vous dire que j'ai par devers moi de très nombreuses lettres de soldats belges aujourd'hui au Mexique. Toutes ces lettres ou à peu près toutes ces lettres (car l'enveloppe d'une d'entre elles a été perdue par un employé au ministère de la guerre), portent le timbre du Mexique :

Si la Chambre veut que je lui en donne lecture, je le ferai : seulement cela nous prendra assez de temps. Mais je puis vous affirmer, messieurs, que si M. le ministre des finances a pu insinuer que les journaux ont publié des lettres du Mexique fabriquées dans le pays, ces journaux, en tout cas, sont restés au-dessous de la réalité. Les lettres que j'ai, sont bien plus remplies de plaintes et de déceptions que toutes celles que j'ai trouvées dans les journaux.

Tous ces jeunes gens sont partis sous l'empire d'une idée généreuse, comme l'a dit M. le ministre des affaires étrangères, dans un accès de lyrisme juvénile, sous l'influence duquel l'honorable ministre, s'étant un peu trop emporté, a dit des choses assez peu agréables pour les braves restés dans le pays. (Interruption.)

La jeunesse, certes, peut faire de la générosité ; elle n'a pas d'expérience ; elle n'a pas la charge imposée à M. le ministre des affaires étrangères envers le pays ; mais M. le ministre des affaires étrangères ne peut pas, lui, faire de la générosité, il ne peut pas faire de sentimentalisme, il ne peut faire que de la politique. Sauvegarder envers et contre tous, en face de tout intérêt, en toute circonstance, les intérêts du pays, voilà ce que font les grands politiques dans les grands pays qui nous entourent, et quoique nous ne soyons qu'un petit pays, cela n'est pas une raison pour ne faire que de la petite politique.

Je dis donc que les lettres qui sont en ma possession renferment des plaintes amères ; que tous ces jeunes gens voudraient revenir ; qu'ils sont partis pour faire la garde autour d'une princesse menacée peut-être dans son nouvel empire ; or, la plupart d'entre eux n'ont pas même aperçu cette princesse belge, devenue archiduchesse autrichienne, puis impératrice mexicaine.

Quand nos compatriotes ont été débarqués à Vera-Cruz, on leur a fait faire des étapes de 6, de 7, de 8, de 9 et même de 10 lieues par jour dans des chemins impraticables, avec un seul repas par jour, le sac sur le dos, et obligés de porter jusqu'à leurs tentes. (Interruption.)

Il s'agit de soldats et de braves soldats ; j'espère bien que les Belges, tant qu'ils seront au Mexique, se montreront de braves soldats ; je veux bien qu'on en fasse des héros, mais non pas qu'on les transforme en mulets.

Or, qu'est-ce que le climat du Mexique ?

Un membre de la gauche, qui vous appuie en ce moment, va vous le faire connaître. Après une effrayante description de Mexico, description un peu exagérée, soit dit en passant, l'honorable M. Hymans, dans sa dernière Causerie du lundi, nous apprend que :

« Avec beaucoup de précautions et de prudence, on peut néanmoins vivre à l'aise dans ce milieu délétère. Les trois conditions essentielles sont de se bien nourrir, d'éviter tous les exercices violents et de s'habiller très chaudement. »

Il faut donc se bien nourrir. Or, nos soldats n'ont par jour qu un seul repas et un repas très insuffisant.

Il faut un bon couchage. Or, ils n'ont pas eu de lit depuis qu’ils sont au Mexique ; ils sont couchés sur la dure, par les nuits les plus froides, après avoir fait huit à dix lieues par les plus grandes chaleurs.

Jl faut se vêtir chaudement ; et nos soldats se plaignent de n'avoir plus que des vêtements en lambeaux ; ils ressemblent déjà, nous disent-ils, à ces Mexicains dépenaillés dont on parle avec tant de mépris ; ils n'ont pas le moyen de se pourvoir des vêtements qui, dans ce pays-là, coûtent trop cher ; ce sont déjà des va-nu-pieds, espérons qu'ils ne nous reviendront pas vagabonds.

Il ne faut pas faire des travaux exagérés. Eh bien, même d'après des lettres écrites dans le sens ministériel, et insérées dans la même Etoile belge, il y a eu des marches et des contremarches continuelles et très fatigantes ; nos soldats, assure-t-on dans cette feuille, commenceraient à s'y faire. Mais ce que les lettres ne disent pas, et ce que disent les lettres que j'ai par devers moi, c'est que la moitié de la légion belge est à l'hôpital et déjà beaucoup d'hommes sont tombés sous le poignard des patriotes mexicains.

Messieurs, voilà donc le régime que l'on veut faire subir à nos jeunes gens sous un climat où l'on doit, pour ne pas succomber à son influence, dans les premiers temps du séjour, prendre toutes sortes de précautions. On n'habitue pas lentement nos compatriotes à leur service sous un climat étranger, on les jette tout d'abord en plein dans ce nouveau régime ; ceux qui y résisteront seront les forts ; les autres, comme à Sparte, seront condamnés ; à Sparte aussi on condamnait les faibles et il paraît que, dans le fait, on a adopté au Mexique le système lacédémonien.

Maintenant que font nos soldats dans l'empire de Maximilien Ier ?

Ils y apprennent la guerre. Mais quelle guerre ? Est-ce la guerre que doit faire un peuple libre ? Non, c'est la guerre d'un conquérant puissant et envahisseur contre le patriote qui se défend ; c'est la guerre du soldat fort contre le peuple faible, c'est la guerre de la masse contre l'individu, la guerre de l'organisation militaire contre la spontanéité patriotique ? Est-ce là la guerre que nos soldats devraient aller apprendre à l'étranger ?

Le peuple mexicain défend bravement son indépendance, quoiqu'on l'accuse d'être lâche et de fuir devant les soldats européens. Et la preuve c'est la défense de Paebla ; la preuve, c'est que nos propres soldats nous disent dans les lettres que j'ai là, que quand un guérillero est pris, il marche au supplice en riant, en fumant sa cigarette et en saluant gaiement ses amis. Ceux qui meurent ainsi ne sont pas des lâches, et s'ils s'enfuient sur le champ de bataille, c'est par tactique, ce n'est pas de peur.

Eh bien, c'est ce peuple que nous allons combattre, ce peuple qui défend sa liberté et que nous n'avons pas mission de juger. On peut, dans cette Chambre, avoir individuellement des sympathies pour l'empereur du Mexique, ou pour Juarez. Je ne juge personne. Mais nous, peuple belge, les brigands de 1830, honorés et fiers d'être les brigands de 1830, et j'en étais, nous n'avons pas le droit d'imprimer cette flétrissure au peuple mexicain. Je dis cette flétrissure, mais mieux vaudrait dire cette gloire. Car le nom brigand, c'est celui dont toujours les despotes veulent flétrir et par lequel, dans le fait, ils honorent les défenseurs de la liberté. Nous avons eu nos brigands de la Campine, et l'honorable M. Orts sera toujours fier d'en avoir écrit l'histoire.

Messieurs, venons-en de nouveau à l'affaire du jeune Crimmers. (Interruption.)

M. Coomansµ. - Et à d'autres encore.

M. Delaetµ. - J'ai encore ici des lettres de parents de mineurs civils qui réclament leurs enfants.

On a eu soin d'exécuter la loi contre nos hommes en congé qui sont allés à Audenarde, mais ne sont pas partis pour le Mexique, et je vais vous en donner la preuve, avant même d'aborder l'affaire Crimmers. Ces faits sont intéressants à connaître. Vous verrez combien on est sévère pour ces têtes ardentes qui s'oublient un peu trop et combien peu on l'est pour les organisateurs de l'expédition du Mexique.

Voici, messieurs, quelques notes qui me sont transmises de bonne source :

« Le nommé Henri Pont, soldat au 5ème, a obtenu un congé pour s'engager pour le Mexique. Il est arrivé à Audenarde et a pris l'uniforme mexicain. Le jour du départ (janvier) il a reçu 5 francs pour acheter du tabac ; mais il est allé au cabaret boire son argent, et sur ces entrefaites la légion est partie. Alors il a renoncé à devenir soldat mexicain. Il a rendu son nouvel uniforme au commissaire de police, dit-il, il est retourné à Anvers où se trouve le dépôt du 5ème de ligne. Mais arrivé là il a trouvé qu'on y avait reçu des pièces qui le concernaient et on lui a dit qu'il devait retourner à Audenarde où la gendarmerie l'a conduit (sans doute, accompagné, par chemin de fer) et après une courte détention il a été condamné à 3 mois de prison pour l'affaire des 5 francs. »

On eût pu, au corps, lui demander s'il voulait rendre les 5 fr., parce que, comme tête chaude et soldat, il les avait dépensés sans trop songer à mal, Mais il était tête chaude et il n'était pas parti pour le Mexique,

Voici un autre fait :

« De Koninck (Désiré), natif d'Ypres, 22 ans, soldat volontaire au 2ème régiment de ligne, dépôt Lierre, obtint, le 20 décembre 1864, un (page 755) congé de trois mois. Il s'enrôla dans la légion mexicaine, et y fut habillé.

« Le 7 février 1865, après le départ du dernier détachement du corps mexicain, on sut que De Koninck n'était pas parti, et le même jour il reçut du collège échevinal d'Ypres la notification qu'il avait à rentrer à son régiment (le congé n'expirait que le 20 mars). »

Notez que c'est le 8 février que De Koninck reçoit la notification d'avoir à rentrer dans son régiment. Vous allez voir ce qui lui est arrivé le jour même de l'expiration de son congé :

« N'ayant pas obtempéré à cet ordre, il fut, le 19 février, arrêté par la gendarmerie.

« Le 20 mars, jour même de l'expiration du congé, il fut condamné à Anvers, à 10 mois de prison, pour désertion et vente d'effets militaires. Le costume mexicain avait été rendu et De Koninck prétend que la veste belge était restée au dépôt mexicain ; fait que dénie M. le général Enchêne. »

Voilà, messieurs, des faits.

Je ne réclame pas contre ces condamnations. Elles sont légales. Mais quand M. le général Euchéne, ou son prédécesseur le général Chapelié, engagent des mineurs nonobstant les réclamations des parents, pourquoi la justice belge demeure-t-elle inactive ?

Or, messieurs, j'ai reçu aujourd'hui même, avant d'entrer à la Chambrée une lettre par laquelle M. l'avocat Demeure me donne communication d'une pétition adressée à la Chambre par M. J. Dehouwer, ébéaiste, rue des Chapeliers, n°7, à Bruxelles. Voici ce que dit ce père :

« Ayant lu dans les journaux que la Chambre des représentants doit s'occuper mardi prochain de l'affaire du Mexique, je viens vous informer que mon fils Louis-Joseph, âgé de dix-sept ans et quatre mois, est parti le 1er décembre sans mon consentement, pour aller faire partie de la garde de la princesse Charlotte. C'est sept jours avant qu'il a quitté la maison. Ma femme est allée au bureau des recruteurs, rue de la Bergère, et là elle a dit qu'elle s'opposait à son départ. J'ai écrit la même chose, le 8 décembre, au commandant de la légion mexicaine à Audenarde. Nos réclamations n'ont servi à rien ; notre fils est parti tout de même. Il nous a écrit de Saint-Nazaire et depuis, nous sommes sans nouvelles. Je crois qu'on ne peut pas enlever les enfants mineurs à leurs parents ; il y a une loi là-dessus. J'espère donc, messieurs, que puisque vous allez vous occuper de l'affaire du Mexique, vous voudrez bien donner des ordres pour que notre fils nous soit rendu.

« Votre très humble serviteur, (Signé) J. Dehouwer.

« Bruxelles, 2 avril 1865. »

Que notre fils nous soit rendu, dit-il, et j'ajouterai : que la loi ait son cours.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Dans quel régiment était-il ?

M. Delaetµ. - Il n'était dans aucun régiment. C'est un jeune homme de dix-sept ans. Je n'accuse pas cette fois M. le ministre de la guerre. Je dis qu'on a pu, à Audenarde, engager des mineurs, violer la loi, sans que la justice ait eu son cours.

Ce n'est pas là le seul cas.

J'ai vu la lettre d'un homme dont je ne vous dirai pas le nom, et voici pourquoi : C'est un grand-père qui m'écrit, un grand-père qui se trompe sur la puissance paternelle et qui dit : Mon petit-fils est parti contre la volonté de son père. J'ai servi toute ma vie dans l'armée belge ; mon fils y sert encore et nous aurions été heureux d'y voir entrer mon petit-fils. Mais il n'y était pas encore et il est parti. Le père n'ose pas le réclamer, de peur de perdre son emploi. Ne puis-je pas le faire, moi qui n'ai rien à craindre ? J'ai dit à ce vieillard : Non, vous n'avez pas de titre pour le faire ; la loi ne vous donne pas autorité ; tâchez de déterminer voire fils à user de son droit.

Messieurs, dans un pays libre, il ne devrait y avoir personne pour dire : Voilà mon droit, je n'ose pas le réclamer ; j'ai peur d'un châtiment extra-légal. J'aime à croire que ce père ne serait pas puni, mais la crainte que je signale est réelle, elle est générale, et c'est là un fait hautement déplorable.

Messieurs, quant à Crimmers, nous avons tous vainement cherché son nom dans les 874 noms qui se trouvent annexés à l'arrêté royal. J'aurai à discuter tout à l'heure si l'arrêté royal est légal.

Quant au fait même, en attendant les explications qu'on nous promet, je me bornerai à communiquer à la Chambre une lettre qui m'a été adressée par un honorable avocat de Bruxelles, dont je crois que l'affirmation ne sera mise en doute par personne et qui, du reste, m'a dit être prêt à affirmer sous la foi du serment ce qu'il avance, si la Chambre juge convenable d'instituer une enquête et de garantir, par sa puissance souveraine, contre les conséquences que pourrait avoir pour eux sa déposition, les personnes qu'il serait obligé de nommer. Voici cette lettre :

« Bruxelles, le 16 mars 1865.

« Monsieur,

« Je viens de lire le compte rendu de la séance de la Chambre des représentants d'aujourd'hui et j'y vois que dans un échange d'explications qui a eu lieu entre vous et M. Bouvier au sujet de l'enrôlement du sieur Jean Crimmers dans la légion belge-mexicaine, M. Bouvier a déclaré « qu'il avait eu une correspondance avec le ministre de la guerre au sujet du jeune Crimmers et qu'il résultait des renseignements parvenus au département de la guerre, depuis la dernière discussion, que le jeune Crimmers a quitté les rangs de l'armée sans autorisation aucune et qu'il est en ce moment déserteur. »

« J'ai été consulté par M. Crimmers père, et je crois devoir, dans l'intérêt de mon client, vous soumettre les observations suivantes :

« Dans la séance du 24 février dernier (Annales parlementaires, séance du 24 février, page 571), M. le ministre de la gusrre répondant à M. Coomans qui l'interrogeait sur le point de savoir si Jean Crimmers était déserteur, a affirmé qu'il lui avait donné un congé. Cette déclaration de M. le ministre de la guerre est en contradiction formelle avec les assertions contenues dans la correspondance à laquelle M. Bouvier fait allusion. Il est vrai d'un autre côté que les dires de M. Bouvier paraissent jusqu'à un certain point justifiés par les documents qui ont été publiés au Moniteur belge, et notamment par l'état B, annexé à l'arrêté royal du 10 février 1865 ; en effet le nom de Jean Crimmers ne figure point parmi ceux des miliciens qui ont obtenu l'autorisation de servir provisoirement à l'étranger.

« L'absence du nom de Jean Crimmers dans l'état nominatif B m'a vivement étonné, car j'ai eu en main une expédition de l'arrêté royal signée du Roi, et contresignée du ministre, portant la date du 10 février 1865, et le n°13507 auquel se trouvait annexé un état nominatif A, et un autre état nominatif B, qui sont sans doute ceux qui ont été publiés au Moniteur ; le nom de Jean Crimmers se trouvait dans l'état nominatif B, annexé à l'expédition de l'arrêté royal, avec la mention suivante ;

« N°150. Jean Crimmers, engagé comme caporal, caporal au régiment des carabiniers.

« Je cite textuellement les termes de la pièce jointe à l'arrêté royal, n°13507.

« L'omission du nom de Jean Crimmers dans les documents publiés au Moniteur et distribués aux membres de la Chambre, omission qui pourrait faire croire que le fils de mon client est parti pour le Mexique sans l'autorisation royale, est donc le résultat d'un inconcevable oubli, alors surtout que l'attention de M. le ministre de la guerre devait être spécialement attirée sur ce nom par la discussion dont il avait été l'objet.

« J'affirme de nouveau avoir vu le nom de Jean Crimmers sur l'état nominatif B, annexé à l'arrêté royal du 10 février, et je vous autorise, si vous le jugez convenable, à invoquer mon témoignage à l'appui du fait dont il s'agit ; j'accepte pleinement la responsabilité de mon affirmation, elle est d'ailleurs corroborée par une circonstance qui est une démonstration éclatante de son exactitude.

« Relisez la lettre de M. le ministre de la guerre du 7 mars 1865 (A. P., documents, page 449, vol. 1), adressée à M. le président de la Chambre ; vous y verrez ces mots : « Le chiffre total des autorisations accordées par le gouvernement s'élève à 875, y compris les officiers ; comptez ensuite le nombre des officiers inscrits dans les trois tableaux A, il s'élève à 39 ; le nombre des sous-officiers et soldats indiqués dans le tableau B s'élève, d'après le chiffre de ce document, à 835, ce qui donne un total de 874 pour les soldats et les officiers. Où est le 875ème ? N'est-ce point Crimmers ? Je laisse à vote bon sens le soin de résoudre cette question.

« Je vous serais reconnaissant de provoquer, dans l'intérêt de la vérité, des explications sur les faits que je vous expose et spécialement de demander à M. le ministre de la guerre des éclaircissements sur l'exactitude des documents distribués aux membres de la Chambre.

« Il me paraît établi à toute évidence par les déclarations primitives de M. le ministre de la guerre, par les pièces que j'ai sous les yeux et l'exactitude du chiffre cité par M. le ministre de la guerre dans sa lettre à M. le président de la Chambre, que Jean Crimmers est parti pour le Mexique muni d'une autorisation régulière et qu'il n'est point déserteur.

< »Du reste, si les autorités militaires et notamment les chefs du corps auquel Jean Crimmers appartenait, l'avaient un instant considéré comme déserteur, vous vous étonneriez sans doute que M. le ministre de la guerre n'ait point fait poursuivre ceux qui l'ont enrôlé à Audenarde, car il est évident que, si Jean Crimmers est déserteur, les enrôleurs mexicains qui (page 756) ont reçu son engagement à Audenaerde et qui l'ont fait partir pour le Mexique, sont coupables du délit prévu et puni par l'article premier de la loi du 12 décembre 1817, relative à ceux qui, n'étant pas soumis à la juridiction militaire, favorisant la désertion d'individus appartenant aux armées de terre ou de mer. Cet article est ainsi conçu (Pasinomie, année 1817, 2ème série, t. IV, page 239.)

« Art. 1er. Tout individu non soumis à la juridiction militaire, qui engagera d'une manière quelconque à la désertion un ou plusieurs militaires des armées de terre ou de mer, qui les aide à dessein dans la désertion, qui favorise la désertion de quelque manière que ce soit ou en fournisse sciemment les moyens, qui recèlera ou logera un déserteur le connaissant pour tel, sera puni d'une amende de cent à cinq cents florins, ou, d'après les circonstances, d'un emprisonnement de trois mois au moins et d'une année au plus.

« Je tiens à vous remercier au nom de M. Crimmers, père, des paroles que vous avez prononcées pour obtenir le rappel de son fils, et je vous prie, monsieur, d'agréer l'assurance de ma haute considération.

« Paul Janson. »

Voilà, messieurs, les renseignements qui m'ont été donnés par l'honorable avocat Janson. Je ne crois pas devoir, pour le moment, insister davantage sur l'affaire du jeune Crimmers ; on nous a fait annoncer dans l’Etoile qu'il y a eu un conseil de ministres, et que M. le ministre de la guerre est en état de nous fournir les renseignements les plus satisfaisants. Je désire qu'il en soit ainsi.

Messieurs, j'ai parlé des arrêtés royaux à propos du corps belge-mexicain, car c'est ainsi que le gouvernement lui-même nomme cette légion recrutée sur le territoire belge pour servir à l'étranger. Que veut la loi ?

La loi dit que le Roi peut autoriser un Belge à servir à l'étranger, mais elle dit aussi que lorsque ce Belge sert à l'étranger ou s'est affilié à une bande étrangère, à un corps étranger, il a perdu la qualité de Belge. Messieurs, pour ne parler que du dernier arrêté royal, - je pourrais parler également de trois autres, mais le dernier suffit pour vous prouver la thèse que je soutiens, - pour ne parler que de ce dernier arrêté, il est daté du 10 février. Or le dernier départ pour le Mexique a eu le 13 janvier.

Le ministre a donc fait signer au Roi un arrêté parfaitement illégal et excédant les pouvoirs royaux. Le Roi peut autoriser ante factum, c'est-à-dire que lorsqu'un Belge s'adresse au gouvernement et dit : J'ai le dessein d'aller servir dans tel ou tel pays étranger, de m'affilier à tel ou tel corps étranger, le Roi peut lui accorder le bénéfice de l'arrêté royal d'autorisation. Mais, une fois que ce Belge a, de sa pleine et libr -volonté, accepté du service à l'étranger ou s'est gagé pour l'étranger, il y a un fait accompli, ce fait tombe sous le coup de l'article 21 de la loi, et c'est le pouvoir législatif seul qui a le droit de rétablir le contrevenant dans sa qualité de Belge. Le Roi n'avait aucunement le droit de prendre, le 10 février, un arrêté autorisant à servir à l'étranger un homme qui, depuis trois mois, avait perdu sa qualité de Belge par le fait du service.

M. Coomansµ. - Encore de la rétroactivité.

M. Delaetµ. - Oui, et de la rétroactivité mauvaise, parce qu'elle est illégale et inconstitutionnelle.

Maintenant, messieurs, je n'aurais peut-être pas signalé le fait parce que j'aurais reculé devant la responsabilité d'avoir refusé la nationalité à un millier de Belges, pour démontrer que le ministère a foulé aux pieds toutes les dispositions de nos lois.

Il y avait assez de démonstrations et d'assez victorieuses démonstrations sans celle-là, mais comme je crois que la Chambre sera unanime à voter l'abrogation de l'article 21 du Code civil, les effets, si l'arrêté royal du 10 février est annulé, ne seront guère sensibles.

Je suis sûr que la cour de cassation annulerait cet arrêté royal s'il lui était déféré.

Je n'ai pas fini, messieurs, mais je vous avoue que je me sens un peu fatigué et que je ne veux pas d'ailleurs abuser de la bienveillante attention que m'a bien voulu prêter la Chambre.

Cette attention je l'en remercie ; j'en remercie surtout mes adversaires politiques. Mais je ne finirai pas sans demander à M. le ministre de la guerre, si, dans son opinion, le gouvernement et spécialement lui-même, auraient été responsables du sort de Crimmers, si ce jeune homme, au lieu d'être déserteur, comme on le prétend, avait figuré régulièrement dans l'état B annexé à l'arrêté royal du 10 février ? C'est un point à l'égard duquel je le prie de bien vouloir me faire une réponse catégorique.

(page 747) M. de Brouckereµ. - Messieurs, on veut, à tout prix, faire beaucoup de bruit d'une affaire qui n'a pas l'importance qu'on cherche à lui attribuer et qui ne comporte pas tout cet éclat ; mais on croit y trouver un grief contre le ministère et dès lors il faut revenir à la charge et ne se jamais lasser.

Voici la quatrième fois qu'on invite la Chambre à discuter ce qu'on appelle la question mexicaine, quoique dès la première fois l'assemblée ait pris une décision qui eût dû prévenir tout débat ultérieur. (Interruption).

Je croyais au moins, messieurs, après tout ce qui s'était dit relativement à ce qui se passerait dans la séance d'aujourd’hui, que l'on signalerait quelques faits nouveaux.

Eh bien, messieurs, vous venez d'entendre l'honorable orateur qui se rassied. Il a parlé pendant une heure et demie et je n'ai pas entendu sortir de sa bouche un seul fait de quelque importance. (Interruption.)

Il a renouvelé les anciennes accusations. Il a commenté à sa manière et avec beaucoup de complaisance des pièces qui ont été publiées et que nous connaissons parfaitement, et il nous a rapporté une quantité de faits particuliers qui résultent de lettres personnelles.

La Chambre, messieurs, n'a pas à s'occuper de ces faits. Que ceux qu'ont à se plaindre du gouvernement ou d'un des ministres s'adressent à la Chambre, mais la Chambre a autre chose à faire que de s'occuper de ce qui s'écrit, soit de la part de particuliers aux membres de la Chambre, soit de la part d'un particulier à un autre.

Quels sont ces faits, messieurs ? C'est un grand-père qui se plaint de ce que son petit-fils est parti et qui est très mécontent de ce que le père ne veuille pas réclamer le retour de son fils.

M. Delaetµ. - Pas du tout.

M. de Brouckereµ. - Je croyais passer légèrement sur ces faits, mais puisqu'on m'interrompt, je vais reprendre l'anecdote qu'on nous a racontée.

Un grand-père se plaint de ce que son petit-fils est parti pour le Mexique (page 748) et le père ne demande pas le retour de son fils, dit le grand-père, parce que le père. (Interruption.)

... Ne m'embrouillez donc pas... parce que le père est en fonctions et qu'il craint la disgrâce du ministre.

Que raconte-t on encore ?

On a reçu de nombreuses lettres de Belges qui sont partis volontairement pour le Mexique et qui regrettent d'être partis.

J'en suis fâché pour eux. Personne ne les y a forcés. S'ils sont partis, c'est de leur plein gré.

Il paraît qu'ils ne sont pas contents de la vie qu'ils mènent au Mexique. Ils ont cru probablement qu'ils passeraient leur journée au cabaret et leur soirée au spectacle.

La vie du soldat, tout le monde le sait, est une vie de privations, de fatigues et de dangers. Ceux qui ne voulaient pas mener cette vie n'avaient qu'à rester dans leurs foyers.

Au surplus, messieurs, tout cela est de l'exagération. Beaucoup de membres de la Chambre ont vu des lettres venant du Mexique. Je puis certifier que j'en ai lu émanant de Belges qui sont parfaitement contents delà vie qu'ils mènent au Mexique. Ces lettres forment donc la contrepartie de celles dont on nous a parlé.

Permettez-moi de vous exposer très brièvement les faits, afin de les réduire à leur juste valeur. Mais auparavant je dois les dégager d'un élément qu'on a cherché à y introduire. On a insinué que la conduite du gouvernement à propos de la question mexicaine avait été surtout déterminée par un intérêt dynastique.

Je félicite ceux qui ont fait cette intéressante et patriotique découverte. Leur but est probablement, et je ne sais pas quel il pourrait être s'il n'était celui-là, de mettre l'intérêt dynastique en opposition avec l'intérêt national.

Eh bien, messieurs, pas un homme de bon sens et de bonne foi n'accueillera de semblables moyens. Tout le monde sait et tout le monde sait instinctivement que l'intérêt dynastique ne peut être en opposition avec l'intérêt national. Le véritable intérêt dynastique, c'est l'intérêt national, ces deux intérêts se confondent en un seul. L'intérêt dynastique n'a donc rien à faire ici, et, quant à moi, je m'occuperai de la question du Meixique en le laissant entièrement en dehors de la discussion.

Voyons les faits :

Après 50 ans d'agitations, de troubles, de guerres intestines, de bouleversements de tous genres, le Mexique a adopté une nouvelle forme de gouvernement. Le nouveau souverain, qui savait qu'une partie des provinces mexicaines n'avaient pas accepté cette forme de gouvernement et qu'elles résistaient, eut l'idée qu'ont eue tous les souverains qui se sont trouvés dans la même position, comme je vous le prouverai tout à l'heure, le nouveau souverain eut l'idée de demander le concours de volontaires étrangers. A qui s'adressa-t-il : à l'Autriche, à l'Italie et à la Belgique. Et cela était naturel. C'étaient des trois pays qu'il connaissait le mieux et dont il était le mieux connu.

En Belgique, il eut recours à un lieutenant-général pensionné, homme on ne peut plus honorable, homme entouré de l'estime publique, qui, entre tous les généraux, a peut-être rendu le plus de services à l'armée belge. (C'est vrai !) Ce lieutenant-général pensionné, qu'il me soit permis de le faire remarquer à la Chambre, était tout aussi libre, tout aussi indépendant que ceux qui se qualifient de propriétaires ou de rentiers.

L'honorable général Chapelié accepta la mission que l'empereur du Mexique lui avait offerte ; il se mit, comme c'était son devoir, en rapport avec le ministre de la guerre et obtint de lui la certitude qu'il ne serait pas contrarié dans l'organisation du corps beige qui était destiné à prendre du service au Mexique.

Que promit le ministre de la guerre à M. le général Chapelié ? Il Ini promit trois choses : la première, qu'il donnerait des congés aux officiers, aux sous-officiers et aux soldats qui désireraient partir pour le Mexique ; la seconde, que les officiers auxquels il aurait donné des congés récupéreraient leurs grades à leur retour en Belgique ; la troisième, que les officiers, sous-officiers, soldats et bourgeois obtiendraient l'autorisation d'aller prendre du service au Mexique sans perdre leur qualité de Belge.

Voilà les trois concessions que fit M. le ministre de la guerre à l'organisateur du corps mexicain. Y a-t-il dans ces concessions la moindre illégalité, quelque chose d'exorbitant, d'extraordinaire ? Non. Ce que M. le ministre de la guerre a promis au général Chapelié et ce qu'il a fait est parfaitement légal et s'est toujours fait en semblable circonstance.

Le gouvernement avait le droit d'autoriser les militaires aussi bien que les bourgeois à aller servir à l'étranger sans perdre leur qualité de Belge ; cette faculté résulte de l’article 21 du Code civil et la concession dont il s'agit est d'autant plus minime que depuis lors, le 21 mars dernier, le gouvernement a présenté à la Chambre un projet de loi qui ne tiend à rien moins qu'à permettre à toua les Belges d'aller servir dans quelque pays ce que soit sans perdre leur qualité de Belge.

M. le ministre de la guerre a donné des congés à des officiers, sous-officiers et soldats. Mais cela s'est fait dans une foule de circonstances analogues. Est-ce que le gouvernement n'a pas autorisé des officiers belges à aller prendre part aux guerres de l'Algérie ? les officiers qu'il y a autorisés n’ont-ils pas toujours récupéré leur grade après la campagne ?

Je pourrais vous citer une foule de noms ; je n'en rappellerai que deux : le général Lahure et M. le comte de Mérode. Le comte de Mérode était premier lieutenant dans un régiment belge, il a été faire une campagne en Algérie ; il s'y est bravement conduit, il a obtenu la croix de la Légion d'honneur et à son retour, il a repris son service dans son ancien régiment.

Mais veuillez vous rappeler ce qui s'est passé en Espagne et en Portugal il y a une trentaine d'années. L'ordre de succession avait été chargé en Espagne et en Portugal ; de là, guerre civile, beaucoup de Belges prirent du service dans ces pays ; nous avons même eu en Portugal un bataillon entier, commandé, soit dit en passant, par le colonel Lecharlier, qui s'était signalé en 1830 non seulement par une extrême bravoure mais par son excellente discipline.

M. Coomansµ. - La Belgique n'était pas neutre alors...

MjTµ. - Si, si, parfaitement.

M. de Brouckereµ. - Je remercie M. Coomans de son interruption et je lui promets d'y répondre. Si je l'oubliais, je le prie de vouloir bien me la rappeler, mais pour le moment qu'il me soit permis de continuer. (Interruption.) Vous n'aurez rien perdu pour attendre.

Ainsi donc, en 1832, notre constitution existait, je pense, en 1832, en 1832, donc beaucoup de Belges sont allés servir en Espagne ; un bataillon tout entier est allé servir en Portugal ; personne cependant n'a trouvé à y redire. A l'heure qu'il est, même, nous avons encore des officiers dans quelques armées étrangères appartenant à des gouvernements qui ne sont pas en guerre avec des puissances amies de la Belgique. Je ne sais si je me trompe, mats je crois que nous avons un officier au Brésil ; je crois même que nous en avons un dans les provinces danubiennes. En un mot, nous avons plusieurs officiers qui ont obtenu des congés pour aller servir à l'étranger et qui, à leur rentrée en Belgique, récupéreront leur ancien grade. Vous voyez donc, messieurs, qu'il n'y a absolument rien d'insolite dans ce qui s'est passé à l'occasion de l'organisation de la légion belge-mexicaine ; et, je le répète, on a fait pour le Mexique ce que l'on a fait dans toutes les circonstances analogues.

L'honorable M. Coomans, j'arrive à son interruption, de peur de la perdre de vue, l'honorable M. Coomans dit : Oui, mais quand nous avons permis à des Belges d'aller servir en Espagne et en Portugal, nous n'étions pas encore puissance neutre, les traités de 1839 n'étaient point conclus.

Les traités de 1839 n'existaient pas, cela est parfaitement vrai, mais les traités de 1839 eussent existé qu'on aurait encore autorisé nos officiers et soldats à servir en Espagne et en Portugal. Et pourquoi, messieurs ? Mais parce que le Portugal et l'Espagne n'étaient point en guerre avec des puissances amies de la Belgique ; par conséquent, nous n'aurions eu aucune raison de refuser à des compatriotes l'autorisation d'aller servir dans ces deux pays.

Mais je sais bien, messieurs, où l'on veut en venir et je n'accepte aucune réticence. Je vais m'expliquer franchement. Voici ce qu'on veut dire, - et on en a déjà parlé, - on veut dire : Vous laissez des Belges aller servir au Mexique ; vous leur permettez d'aller servir en Algérie ; mais vous ne les autorisez pas à aller servir à Rome ; vous n'avez jamais accordé l'autorisation d'aller servir dans les zouaves pontificaux aux jeunes Belges qui l'ont sollicitée.

Ah ! ici l'honorable M. Coomans aurait raison d'objecter les traités de 1839, car ces traites nous défendent de donner de pareilles autorisations. Pourquoi, messieurs ? Mais parce que les Etats pontificaux étaient en hostilité avec le Piémont, et que nous ne pouvions pas rompre notre position de neutralité vis-à-vis du Piémont.

Il y a eu, depuis 1839, la guerre de Crimée, la guerre d'Italie. Permettez-moi de, vous dire un mot de la première ; je puis en parler en connaissance de cause, j'étais alors ministre des affaires étrangères.

Eh bien, j'ai été sollicité d'accorder l'autorisation de prendre part à cette guerre, non seulement par des Belges, mais, entre autres, par un officier polonais qui avait été au service de la Belgique et qui était alors en disponibilité, un homme des plus distingués, des plus honorables et que la plupart d'entre vous ont connu. Il est venu me demander s'il pouvait aller servir contre la Russie, soit dans l'armée française, soit dans l'armée anglaise, soit même en Turquie. Je n'ai pas hésité de le lui (page 749) et je lui ai dit : Non, et si vous prenez du service contre la Russie, vous perdrez immédiatement votre position d'officier belge et votre traitement de disponibilité.

J'ai eu des médecins qui sont venus me demander s'ils pouvaient prendre du service dans les armées belligérantes, alléguant que, dans leur position, ils n'avaient pas à faire le service des troupes. Je leur ai dit : Ceux qui font partie de l'armée perdront leurs grades ; ceux qui n'en font point partie perdront leur qualité de Belge.

La même conduite a été tenue par mes honorables successeurs relativement à la guerre du Milanais : aucun Belge n'a reçu l'autorisation d'aller servir en Piémont ; il y en a cependant qui y sont allés, mais, comme ceux qui sont allés à Rome, ils ont perdu leur qualité de Belge, qu'ils ne peuvent récupérer que par la naturalisation.

Le gouvernement belge a dû agir ainsi parce que nous sommes liés par des traités envers les puissances européennes qui étaient alors en état d'hostilité.

Mais il n'en est pas ainsi de l'Algérie ; il n'en est pas ainsi non plus du Mexique. Au Mexique, il s'agit tout bonnement d'un souverain qui cherche à conquérir une partie de son nouvel empire qui n'a pas accepté la nouvelle forme du gouvernement. Là notre neutralité ne nous lie en aucune façon.

M. Coomansµ. - Nous avons un traité de paix et d'amitié avec Juarez.

MfFOµ. - Nous avons reconnu l'empereur du Mexique.

M. Coomansµ. - Nous avons un traité de paix et d'amitié avec Juarez.

M. de Brouckereµ. - Permettez ; je vais répondre à votre interruption. L'honorable M. Coomans me dit : Nous avons un traité de commerce...

M. Coomansµ. - Un traité de paix et d'amitié.

M. de Brouckereµ. - Tout ce que vous voudrez ; vous savez bien que les traités de paix ne sont pas éternels ; et quoique vous soyez un grand ami de la paix, vous faites très bien la guerre dans cette Chambre. (Interruption.) Mais, messieurs, nous ne sommes pas liés par le traité de 1839 vis-à-vis de M. Juarez ; nous sommes parfaitement libres d'agir comme nous le voulons ; de sorte que ceci, encore une fois, n'est pas un argument en faveur de la thèse qu'on soutient : le président Juarez n'a rien à voir dans cette affaire.

On a fait valoir une autre considération qui, si elle était fondée, aurait une certaine valeur. On a dit : Vous permettez aux Belges d'aller servir au Mexique, or, le Mexique pourrait bien, un de ces matins, se trouver en guerre avec les Etats-Unis ; et il n'est pas loyal, à nous qui vivons en paix avec les Etats-Unis, de fournir des soldats à une puissance qui bientôt peut-être sera en guerre avec eux.

D'abord, je réponds que nous ne sommes pas non plus liés par le traité de 1839 vis-à-vis des États-Unis.

Mais je veux bien admettre qu'il soit de bonne politique de ne pas nous brouiller avec les Etats-Unis. Soit ; mais le Mexique n'est pas en guerre avec les Etats-Unis et jusque là l'argument est sans valeur. Je sais que certains de nos collègues croient que cela arrivera un jour ; ils me permettront d'être d'un autre avis et de leur dire que je n'en crois rien. Je crois que les Etats-Unis ont assez à faire chez eux et pour longtemps encore pour qu'il soit au moins douteux qu'ils songent à aller se mêler des affaires du Mexique.

Remarquez, messieurs, que les Etats-Unis sont engagés dans la plus effroyable guerre qui ait jamais eu lieu, et cependant on leur prête l'intention de déclarer la guerre à l'Angleterre par le Canada, à la France par le Mexique, à l'Espagne, que sais-je encore ?

Bref, les Etats-Unis vont, dit-on, faire la guerre à toutes les puissances et on ne songe pas qu'ils ont toute la peine du monde à recruter assez d'hommes pour continuer la guerre épouvantable qu'ils poursuivent depuis quatre ans.

Vous voyez donc bien que le gouvernement n'avait aucune espèce de raison de ne pas accorder aux Belges qui en demandaient la permission, l'autorisation d'aller servir au Mexique, en leur assurant le maintien de leur qualité de Belge et la restitution de leur ancien grade à leur retour en Belgique.

Messieurs j'ai dit que le gouvernement avait accordé trois choses. Depuis, il a, nous a-t-on dit tout à l'heure, fait encore une immense concession, et à M. le général Chapelié et au corps mexicain. Quelle est cette immense concession, messieurs ? La voici :

Il a consenti, sur la demande expresse que lui en a fait la ville d'Audenarde, à ce que les volontaires belges qui se réunissaient à Audenarde, avant de partir pour le Mexique, occupassent quelques casernes de cette (page 749) ville. Voilà l'immense concession, si compromettante pour M. le ministre de la guerre et qui donne un démenti à ce qu'il avait dit dans les séances précédentes.

Mais, messieurs, c'est là une concession d'une très minime valeur...

M. Coomansµ. - Il ne fallait pas la nier.

M. de Brouckereµ. - L'honorable M. Coomans reconnaît que j'ai raison...

M. Coomansµ. - Pas du tout.

M. Bouvierµ. - M. Coomans ne reconnaît jamais cela.

M. de Brouckereµ. - L'honorable M. Coomans trouve donc aussi que c'est une immense concession ; et de plus, M. le ministre de la guerre a le tort d'avoir nié formellement le fait.

Je ne me rappelle pas la séance où M. le ministre de la guerre aurait déclaré à la Chambre qu'il n'avait pas mis des casernes à la disposition de la ville d'Audenarde, je suis même convaincu qu'il ne l'a pas nié. (Interruption.)

Que les casernes d'Audenarde appartiennent à l'Etat ou à la ville, la ville ne peut pas en disposer sans l'autorisation du gouvernement, je le reconnais et j'admets que le gouvernement ait dit à la ville d'Audenarde, qui lui avait fait une demande dans ce sens : « Disposez de nos casernes. »

Quand cela serait, je suis persuadé que la Chambre presque entière trouvera que c'est un fait d'une bien minime importance.

Quant à moi je vais plus loin : je trouve que M. le ministre de la guerre a très bien fait. Puisqu'un corps expéditionnaire mexicain s'organisait en Belgique, j'avoue qu'à mon sens, il était beaucoup plus désirable de voir cette organisation s'effectuer dans une petite ville que dans un grand centre, à Bruxelles, par exemple, où nous avons une garnison nombreuse et où ces hommes, réunis pour une expédition plus ou moins aventureuse, revêtus d'un costume très séduisant, auraient pu exercer une influence très grande sur la garnison et déterminer un plus grand nombre de miliciens à demander un congé.

Il était donc fort désirable que l'organisation du corps expéditionnaire se fît dans une petite localité.

Voilà le fait ramené à sa plus simple valeur.

« Mais, dit-on, vous amoindrissez considérablement les concessions que le gouvernement a faites ; il est un point essentiel que vous ne touches pas. Ce point, le voici :

Le gouvernement a accordé des congés à quelques centaines de soldats pour se rendre au Mexique ; il est évident que par là il a causé un tort considérable à une partie de nos concitoyens ; car les hommes partis pour le Mexique ont dû immédiatement être remplacés par d'autres miliciens qui étaient en congé.

Remarquons d'abord, messieurs, que parmi les soldats qui sont partis pour le Mexique, il y en a beaucoup dont le temps de service actif était fini et qui étaient en congé dans leurs foyers. Il ne pouvait pas en être autrement. Après cela, je reconnais qu'il est d'autres de ces soldats qui étaient encore en service actif.

Mais, messieurs, en est-il un parmi vous qui se figure que le chiffre de notre armée en temps de paix est un chiffre sacramentel ; qu'il faut, à toutes les époques et pour toutes les circonstances précisément le même nombre d'hommes sous les armes ? Il n'en est rien. Un chiffre normal est fixé ; mais très souvent on est beaucoup au-dessous de ce chiffre.

Par exemple, M. le ministre de la guerre donne de nombreux congés pendant la moisson, il n'appelle pas d'autres miliciens pour remplacer ceux qui obtiennent un congé.

Je vais vous citer quelque chose de plus péremptoire encore. Je suis persuadé que des 116 membres da la Chambre, il n'en est pas un qui n'ait, un jour ou l'autre, directement ou indirectement, demandé un congé provisoire pour un milicien de son arrondissement.

M. Bouvierµ. - Nous en savons quelque chose.

M. de Brouckereµ. - Cela se pratique si souvent que M. le ministre de la guerre a fait imprimer des formules portant : « M. le représentant, j'ai l'honneur de vous informer que le milicien ... auquel vous vous intéressez, a obtenu un congé de ... jours (ou de ... semaines). »

Ainsi, on fait un tel usage de cette faculté de demander des congés que le département de la guerre a dû faire faire des formules imprimées.

L'honorable M. Coomans croit-il que quand il demande et obtient un congé pour un milicien, on appelle immédiatement un autre milicien ? Si cela était, l'honorable M. Coomans et nous tous, nous aurions quelque chose sur la conscience. Car enfin, il ne serait pas juste de favoriser un milicien auquel nous nous intéressons, en faisant appeler à sa place un autre milicien qui sans cela serait resté dans ses foyers.

(page 750) Je le répète, il y a un chiffre normal pour l'armée en temps de paix. Mais, ce chiffre varie continuellement. On envoie au département de la guerre des rapports établissant le nombre d'hommes qui sont sous les armes à toutes les époques. Ce nombre varie considérablement.

Eh bien, quelle est la conséquence de ce que je viens de dire ? Que le gouvernement a pu très bien autoriser quelques centaines de miliciens, n'ayant pas terminé leur service actif, à aller prendre du service au Mexique.

Quel tort cela a-t-il pu faire aux miliciens qui n'étaient pas sous les drapeaux ? Aucun ; je viens de vous rapporter comment les choses se passent, j'en appelle à M. le ministre de la guerre, qu'il veuille bien dire si ce que je viens d'exposer à la Chambre n'est pas exact.

MgCµ. - Je ne puis que confirmer ce que l'honorable M. de Brouckere vient de dire ; on ne remplace jamais les soldats en congé momentané.

M. de Brouckereµ. - Le chiffre des hommes sous les armes est donc très élastique et très variable. Je passe maintenant à un autre grief.

« Que l'on autorise des Belges à aller prendre du service à l'étranger quand il s'agit de défendre la liberté contre le despotisme, soit ; mais permettre à nos soldats de verser leur sang à l'étranger pour défendre la tyrannie contre la liberté, le despotisme contre le patriotisme, ceci est trop fort ! Cela n'admet aucune espèce d'excuse. »

Messieurs, il s'agit ici d'une question d'appréciation. Selon vous, qui me tenez ce langage, Juarez, c'est le représentant du patriotisme et de la liberté ; et l'empereur Maximilien, c'est le tyran et le despote. (Interruption.)

Je consens parfaitement à ce que chacun maintienne son opinion sur ce point ; mais à une condition, c'est que vous me laisserez la même liberté.

Eh bien, pour moi, je regarde l'empereur Maximilien comme étant, beaucoup plus que M. Juarez, le représentant de la vraie liberté, le représentant de l'ordre, et si, entre deux pays gouvernés, l'un par l'empereur Maximilien, l'autre par M. Juarez, j'avais à choisir, je n'hésiterais pas longtemps ; je partirais immédiatement pour celui que gouvernerait l'empereur Maximilien, et je crois que beaucoup d'entre vous suivraient la même voie que moi.

Mais le fait est que c'est là une question d'appréciation. Moi que l'on n'accusera pas, je pense, de ne pas aimer la liberté, si j'étais en âge de servir, je prendrais bien plus volontiers du service dans l'armée de l'empereur Maximilien que dans celle de Juarez.

Mais, dit-on, la preuve que l'empereur du Mexique n'a pas les sympathies du peuple qu'il est appelé à gouverner, c'est qu'une grande partie du pays est encore en guerre avec lui et refuse de se soumettre au nouvel ordre de choses.

Messieurs, ce qui se passe au Mexique s'est passé dans presque tous les pays après une révolution. Je vais vous le démontrer.

Après la révolution française, après la première révolution française (on est obligé de les numéroter, il y en a eu tant !), lorsque la nation s'était donné un gouvernement régulier, est-ce que toutes les provinces se sont immédiatement soumises à ce gouvernement ? Est-ce que la Vendée n'est pas restée récalcitrante ? Est-ce que le nouveau gouvernement n'a pas dû vaincre, subjuguer par les armes la Vendée qui lui a résisté tant qu'elle a pu ? Direz-vous, pour cela, que le gouvernement de cette époque n'était pas national ?

Ce qui se passe au Mexique et ce qui s'est passé en France, s'est également passé en Espagne et en Portugal aux époques dont je vous ai déjà parlé.

Lorsque l'ordre de succession a été changé en Espagne, est-ce que tous les Espagnols se sont soumis au nouvel ordre de succession établi ? Non, plusieurs provinces sont restées ce qu'elles appelaient légitimistes ; elles sont restées partisans de don Carlos. Don Carlos a organisé une armée, et cette armée a résisté très longtemps à l'armée de la reine. Parce que don Carlos résistait et tenait sous son joug quelques provinces, comme Juarez le fait au Mexique, est-ce que le gouvernement de la reine n'était pas un gouvernement national ?

En Portugal aussi, l'on change l'ordre de succession. Là c'est don Miguel qui ne veut pas accepter le nouvel ordre de succession. Don Miguel résiste ; il forme une armée ; il se bat. Il n'en est pas moins vrai que le gouvernement du Portugal d'alors était le gouvernement national, comme le gouvernement de l'empereur Maximilien est, selon moi, en ce moment, le gouvernement national du Mexique, quoiqu'il rencontre beaucoup d'opposition et même une opposition armée.

Mais, dit-on, si l'empereur du Mexique avait les sympathies du Mexique, il n'aurait pas besoin de demander des secours étrangers.

Encore une fois, l'empereur Maximilien a fait ce qui s'est toujours fait. Pour ne plus en appeler aux exemples dont j'ai déjà parlé, est-ce que nous-mêmes, après la révolution de 1830, nous n'avons pas dû appeler à notre secours des officiers et même des troupes étrangères ? Est-ce que, en 1831, nous n'avons pas enrôlé dans notre armée une quantité d'officiers français et d'officiers polonais ? Est-ce qu'en 1831, nous n'avons pas demandé les secours de l'armée française ? N'avons-nous pas fait la même chose en 1832 ?

Messieurs, un gouvernement national, c'est le gouvernement que l'ensemble de la nation désire. Mais cela ne signifie pas que tous les habitants du pays acceptent le nouveau gouvernement.

Encore une fois, ce qui se passe au Mexique, c'est ce que nous avons vu partout, à toutes les époques.. (Interruption.)

Messieurs, je vais terminer.

Je crois avoir prouvé que le gouvernement, relativement au corps mexicain qui s'est formé en Belgique, n'a rien fait d'illégal, rien de nouveau, rien d'insolite, rien qui présente le moindre inconvénient. Mais je dois dire franchement que, moi, je trouve dans les expéditions comme celle du Mexique des avantages réels.

Premièrement, tout le monde sait que, dans la jeunesse, il se trouve des esprits ardents, des esprits fougueux, des hommes pour qui les dangers, les aventures, les voyages lointains sont en quelque sorte un élément nécessaire à leur existence. Avant 1830, cette partie active de la jeunesse trouvait un exutoire à Java et à Surinam.

Nous n'avons pas de colonies. C'est donc, pour ainsi dire, une bonne fortune pour les jeunes gens ayant le caractère que je viens de dépeindre, que de trouver un moyen d'aller satisfaire leur goût en pays étranger sans compromettre en rien leur pays.

M. Coomansµ. - Aller fusiller des étrangers !

M. de Brouckereµ. - L'honorable M. Coomans me dit : « Aller fusiller des étrangers. » Je ne sais pas ce qu'il veut dire.

M. Coomansµ. - Je dis qu'il n'est pas beau pour des Belges neutres d'aller fusiller des étrangers.

M. de Brouckereµ. - Je dis que faire la guerre est une très triste chose. Mais cette chose est dans le goût de beaucoup de gens et cela est aussi dans le goût de certains Belges.

M. Coomansµ. - Il y a de mauvais goûts.

M. de Brouckereµ. - On me dit : « Il y a de mauvais goûts. » Je ne vous ai pas dit que c'était le mien, pas plus que celui de l'honorable M. Coomans. Mais moi, qui aime la liberté, je veux laisser aux gens qui ont mauvais goût la liberté de le satisfaire.

C'est la liberté en toutes choses.

Messieurs, nous avons une armée parfaitement organisée. Nous avons des officiers capables, instruits, dévoués. Mais il faut reconnaître que la plupart d'entre eux n'ont pas eu l'occasion de se former sur le champ de bataille. C'est peut-être une chose utile que quelques-uns de nos officiers aillent prendre part à des guerres et se former ainsi par la véritable expérience. A leur retour, ils pourront être très utiles à leurs camarades et je suis convaincu que les officiers qui ont été servir en pays étranger, par exemple, en Algérie, ont été très utiles, quand ils sont rentrés dans leurs régiments.

Voilà un second point de vue que, me semble-t il, nous ne devons pas oublier.

Et puis nous pouvons espérer, je pense, que les Belges qui sont partis pour le Mexique y justifieront la réputation de courage et de bravoure que les Belges ont toujours eue ; nous pouvons espérer qu'ils se signaleront sur les champs de bataille, qu'ils se montreront les dignes continuateurs des dragons de la Tour et des gardes wallonnes. Eh bien, si nous lisons dans les journaux que le petit corps belge s'est signalé par son courage, par sa bravoure, par sa discipline, qu'il a eu de beaux succès, est-ce que nous ne pourrons pas en être un peu fiers ? est-ce que la gloire qu'il aura acquise ne rejaillira pas un peu sur la Belgique ?

Est-ce qu'on ne dira pas : Les Belges sont toujours les mêmes ; sur tous les champs de bataille, dans tous les pays, à toutes les époques ils se sont signalés et ils n'ont pas dégénéré ? Quant à moi, messieurs, si nos soldats ont du succès au Mexique, je ne serai pas des derniers à prendre part à la réception qu'on leur fera et qui, je l'espère, sera une réception des plus cordiales.

- La séance est levée à 4 heures 3 /4.