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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 13 juin 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1153) M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart ; il donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente ensuite l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Van Eysel demande la construction d'une nouvelle école communale à Enghien. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Mignault demandent la diminution des droits d'accise sur la bière indigène. »

- Renvoi à la commission permanente d'industrie.


« Le sieur Andries se plaint de ce que son fils Pierre a été déclaré bon pour le service militaire, malgré son défaut de taille, prie la Chambre d'ordonner une enquête sur ce point et de lui renvoyer son fils. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« M. le président du Sénat informe la Chambre qu'il a adopté le projet de loi qui apporte des modifications à la loi sur l'organisation communale. »

- Pris pour notification.

« M. le baron de Marmol fait hommage à la Chambre de deux exemplaires de sa brochure : « De la révision des lois sur l'expropriation pour cause d'utilité publique. »

- Conformément au désir de l'auteur, l'un des exemplaires sera soumis à la commission des pétitions et l'autre déposé à la bibliothèque.


« M. Devroede, obligé de s'absenter, demande un congé da deux jours. »

« M. d'Hane, retenu par une indisposition, demande un congé de quelques jours. »

- Ces congés sont accordés.

Projet de loi sur les mines

Transmission du projet amendé par le sénat

Par message du 10 juin, le Sénat renvoie à la Chambre le projet de loi sur les mines, amendé.

- Ce projet sera renvoyé à la section centrale qui a examiné le projet de loi primitif.

Projet de loi prorogeant le délai du suppression de la seconde chambre du tribunal de première instance de Tournai

Dépôt

MjTµ. - Messieurs, par une loi du 23 mai 1838, il a été créé une seconde chambre au tribunal de Tournai. Le délai de suppression de cette chambre a été prorogé successivement de 5 en 5 ans jusqu'à présent.

La situation ln qui a exigé la création de cette chambre continuant de subsister, j'ai l'honneur, d'après les ordres du Roi, de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi prorogeant pour 5 ans encore l'existence de cette Chambre.

Comme il s'agit d'un projet de loi ayant un intérêt local et ayant un caractère d'urgence, je pense que l'on pourrait nommer une commission spéciale pour l'examen de ce petit projet de loi.

- Il est donné acte à M. le ministre de la justice du dépôt de ce rapport qui sera renvoyé à une commission spéciale à nommer par le bureau.

Projet de loi relatif à l’exécution de certains travaux d’utilité publique

Discussion des articles

Article premier, paragraphe 10

MpVµ. - Nous sommes arrivés au paragraphe 10.

« § 10. Construction de deux barrages dans la Meuse, en amont de Namur, et complément de la canalisation en aval de cette ville : fr. 2,000,000. »

Ici se rattache un amendement de l'honorable M. Lelièvre, ainsi conçu :

« Canalisation de la Meuse dans sa partie comprise entre l'embouchure de la Sambre à Namur et la frontière de France, et complément de la canalisation en aval de cette ville : fr. 5,500,000, ou tout autre chiffre que le gouvernement indiquera comme nécessaire pour achever ces travaux. »

Il y a aussi un amendement proposé par l'honorable M. Moncheur et auquel le gouvernement se rallie ; il est ainsi conçu :

« Au lieu de : Construction de deux barrages dans la Meuse, en amont de Namur, dire : Construction de barrages dans la Meuse, en amont de Namur, etc., etc. (le reste comme au projet).

M. Thibaut. - Messieurs, je ne veux pas recommencer une discussion sur la canalisation de la Meuse, mais vous me permettrez cependant de rectifier quelques erreurs dans lesquelles est tombé l'honorable ministre des travaux publics lorsqu'il m'a fait l'honneur de me répondre.

Messieurs, voici d'abord comment l'honorable ministre apprécie une partie de mon discours :

« L'honorable membre, dit-il, est allé jusqu'à proposer de supprimer ou de réduire le crédit demandé pour la construction d'un barrage dans le bassin de la Vesdre, le crédit pour l'assainissement de la Senne, le crédit pour le palais de justice et même le crédit pour construction d'écoles. »

Le ton de cette phrase, messieurs, correspond à la pensée qu'elle exprime, mais cette pensée repose sur une erreur. La vérité est que je n'ai proposé aucune suppression de crédit, pas même la suppression du crédit demandé pour achever les écuries du Palais Ducal.

J'ai, il est vrai, parlé du crédit demandé pour la Vesdre. Des renseignements qui m'ont été fournis aujourd'hui même me prouvent que j'ai été induit en erreur par le texte du paragraphe qui concerne les travaux de la Vesdre ainsi que par l'exposé des motifs. J'ai cru qu'il s'agissait d'établir dans la Vesdre plusieurs barrages et plusieurs retenues d'eau.

J'ai soutenu, en conséquence, que l'on pouvait se borner à faire actuellement quelques-uns de ces barrages et réservoirs. Aujourd'hui j'ai appris qu'il ne s'agit que d'un seul barrage et d'un seul réservoir, c'est-à-dire d'un travail qui ne peut être divisé ou scindé.

S'il en est ainsi, je retire très volontiers les critiques que j'ai adressées à cette partie du projet. Mais je maintiendrai toutes celles que j'ai produites relativement à d'autres paragraphes.

L'honorable ministre des travaux publics a prétendu que la canalisation de la Meuse supérieure en amont de Namur n'est pas un travail urgent, mais un travail simplement utile.

Messieurs, si la Meuse n'était pas navigable, si le batelage n'existait pas sur ce fleuve depuis un temps immémorial, si plusieurs lignes de chemins de fer n'étaient pas venues faire au batelage une concurrence ruineuse, je serais disposé à partager l'avis de l'honorable ministre ; mais ces circonstances étant données, je suis convaincu qu'au jugement de tout homme impartial j'aurai raison contre lui.

Nous ne trouvons plus, dit aussi M. le ministre des travaux publics, nous ne trouvons plus en amont de Namur, ni en deçà, ni immédiatement au delà de la frontière, de grands centres de consommation.

Au moment où ces paroles ont été prononcées, je n'avais pas entendu les mots : « En deçà » et j'ai interrompu M. le ministre, en disant : « Vous avez Givet ». J'aurais dû dire : « Vous avez Dinant et Givet ! » Car Givet et Dinant sont non seulement deux centres de consommation, mais encore deux centres de production importants. Je ne veux pas entrer dans des détails pour ne pas fatiguer la Chambre, mais je suis prêt à démontrer que Dinant est un grand centre de production et de consommation de marchandises pondéreuses. Quant à Givet, une preuve de l'importance qu'on lui reconnaît, c'est que de la Belgique, deux lignes de chemin de fer sont dirigées vers cette ville.

L'honorable ministre ne donne d'importance à la Meuse que comme voie de navigation internationale.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. Vers la frontière.

(page 1154) M. Thibaut. - Vous avez dans votre discours parlé de Charleville, Mézières et Sedan ; j’ai cité plusieurs villes plus éloignées, Rethels, Vouziers et Reims, où nous bateliers sont en possession d'un vaste marché. Mais ce que je critique dans l’appréciation de M. le ministre des travaux publics, c'est qu'il n'attribue d'importance à la navigation sur la Meuse que comme voie de communication internationale exclusivement. Nous sommes donc d'accord sur un point, l'importance de la Meuse comme voie de navigation internationale. Seulement je crois que l'honorable ministre des travaux publics ne connaît pas parfaitement l'état de la Meuse en France et qu'il méconnait en outre les intentions de nos voisins. De Sedan à Charleville, dit l'honorable ministre, la profondeur de la Meuse est suffisante.

Celle profondeur est au même titre suffisante jusqu'à Monthermé, bien en deçà de Charleville. Ce qui le prouve, c'est que si de la frontière à Monthermé le fret est encore de 6 centimes, de Monthermé à Sedan, il n'est plus que de 3 centimes.

En deçà de Monthermé, il y a encore des endroits où le tirant d'eau n'est que de 60 centimètres, et c'est pour cela que le fret sur cette partie de la Meuse est si élevé. Mais, croyez-vous que la France n'améliorera pas un tel état de choses ?

Les ingénieurs français ne nous attendent pas, a dit l'honorable ministre des travaux publics, en répondant à une interruption de l'honorable M. Moncheur. Cependant ils ont fait des études complètes sur tout le parcours du fleuve. Ils ont même construit plusieurs dérivations et plusieurs écluses sur des points rapprochés de nos frontières.

Est-il possible de supposer que la France, après avoir dépensé 7 millions, laissera son ouvrage inachevé ? Je pense au contraire que la France, après avoir fait des travaux très importants, s'est arrêtée, parce que nous étions immobiles. Elle a retiré sa main, parce qu'elle ne nous voyait pas disposés à lui tendre la nôtre ; son intérêt lui conseillera de nous accueillir, quoique nous arrivions tard au rendez-vous.

Au moment oh il sera bien constaté que le gouvernement exécutera sa promesse de canaliser la Meuse jusqu'à la frontière, je suis persuadé que nous ne tarderons pas à apprendre qu'en France les travaux seront repris avec une grande vigueur.

Je ne dirai plus qu'un mot relativement à l'amendement de l'honorable M. Moncheur.

Cet amendement consiste à remplacer les mots : « des deux barrages », par ceux-ci : « de barrages », c'est-à-dire qu'au sens restrictif l'amendement substitue un sens plus large ; en d'autres termes l'honorable ministre ne sera plus obligé par la loi à s'arrêter, lorsque deux barrages seront construits, mais il pourra en faire construire trois, en faire construire quatre, si la somme qui sera mise à sa disposition le lui permet.

C'est ainsi que l'honorable M. Moncheur a expliqué son amendement et je pense que c'est ainsi que l'honorable ministre le comprend lui-même.

Je ne sais pas, messieurs, si je dois, en l'absence de M. Lelièvre, vous parler de son amendement. Cet honorable membre avait prié notre honorable collègue M. Moncheur, qui est absent également, de retirer son amendement si le paragraphe dont nous nous occupons venait à être mis en discussion samedi dernier.

MpVµ. - Etes-vous autorisé à le retirer ?

M. Thibaut. - Moi personnellement, non. Je dis que l'honorable M. Lelièvre avait autorisé l'honorable M. Moncheur à le retirer.

- La discussion est close.

L'amendement de M. Lelièvre est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

L'amendement de M. Moncheur, auquel s'est rallié M. le ministre, est adopté.

Le paragraphe ainsi modifié est adopté.

Article premier, paragraphe 11

« § 11. Réservoirs d'eau destinés à obvier aux conséquences qu'ont eues pour les usines situées sur la Vesdre, les modifications apportées au régime de ce cours d'eau par les travaux effectués aux forêts de l'Etat : fr. 3,250,000 fr. »

(page 1163) M. le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, je devrais m'excuser de prendre si souvent la parole, s'il était nécessaire de s'excuser, devant cette Chambre, de remplir un devoir. Si j'abuse de vos moments, la faute n'en est pas à moi. La responsabilité doit retomber sur le gouvernement qui a accumulé dans un seul projet tant de questions différentes qui exigeraient beaucoup de temps et d'études pour un mûr et profond examen.

Ce n'est donc pas ma faute s'il y a un peu de laisser-aller dars cette discussion et et si elle n'acquiert pas toute la profondeur qu'elle mérite d'avoir.

Je vais, messieurs, sur cette question, essayer de réfuter la théorie émise à deux reprises par M. le ministre des travaux publics, que cette Chambre n'est compétente que sur la question d'utilité des travaux pour lesquels des crédits sont demandés. Si cette théorie résistes à la discussion, je pense que nous n'aurons plus qu'à voter successivement les divers articles sans perdre notre temps à les discuter davantage.

Les travaux proposés sur la Vesdre sont non seulement utiles, mais nécessaires, je dirai même indispensables.

Donc, si la théorie ministérielle est vraie, nous n'avons qu'à voter sans autre examen.

La haute utilité de ces travaux est parfaitement démontrée, tant dans l’exposé des motifs, quoiqu'il soit excessivement court, que dans le rapport de la section centrale qui est un peu plus développé.

Mais il se rattache à ces travaux d'autres questions que celle d'utilité et sur l'importance desquelles j'appelle toute votre attention.

Le gouvernement dit : Il est utile de former, par une barrage, une réserve d'eau qui doit avoir pour effet de rétablir un régime d’écoulement régulier dans la Vendre ; en lui restituant l'excès d'eau qui y affluent à certains moments, aux époques de sécheresse.

Or, le gouvernement doit, dit-il, intervenir dans ce travail, parce que les modifications apportées au régime de la Vesdre, l'ont été par certains travaux effectués aux forêts de l'Etat.

Tel est l'exposé des motifs donné par le gouvernement et accepté par la section centrale.

Messieurs, je suppose qu'il puisse vous être démontré que le gouvernement n'a pas changé le régime de la Vesdre ; je suppose ensuite qu'il puisse vous être prouvé que les travaux proposés peuvent se faire pour le tiers ou pour le quart du prix qui est indiqué ; je suppose encore qu'il vous soit démontré que la cause qu'on signale, pour justifier l'intervention de l'Etat, n'existe pas ; ne résulterait-il pas de là à l'évidence que la Chambre ne doit pas se borner à adopter un travail, par cela seul qu'il peut avoir un résultat utile ; mais qu'elle a incontestablement le devoir d'examiner à fond, si le travail est réalisable, s'il ne coûtera pas au delà de la somme proportionnée à son utilité.

Eh bien, messieurs, précisément dans cette question, je crois pouvoir vous démontrer que la cause n'existe pas ou qu'elle n'existe qu'à un faible degré ; que si elle existait, elle existerait pour beaucoup d'autres régions qui ont eu à souffrir de la vente et du défrichement des forêts domaniales bien autrement que les bassins de la Vesdre et de la Gileppe.

En effet, que le est la situation des lieux ? Elle est parfaitement décrite dans les réponses de M. le ministre des travaux publics à la section centrale.

Le bassin qui fournit des eaux à la Vesdre et à la Gileppe était autrefois une région marécageuse, quoique élevée, où les forêts ne croisaient qu'avec peine, ou plutôt ne croissaient plus du tout. Par suite des travaux d'asséchement, ces terrains se sont appropriés à la croissance des arbres, et des forêts commencent à y croître. Si ces forêts avaient appartenu à des particuliers, il est bien évident qu'ils auraient pu faire des travaux, qu'ils auraient pu disposer de leur propriété comme ils l'auraient entendu et que personne n'aurait eu à faire de réclamation de ce chef. Cela est évident et incontestable.

Pourquoi en serait-il autrement quand c'est l’Etat qui est propriétaire ?

Mais en faisant ces travaux, a-t-on réel réellement changé le régime de la Vesdre ? Pas sensiblement, j'en sais quelque chose, parce que c'est une question que j'ai été appelé à étudier personnellement et que je crois avoir étudiée sous toutes ses faces et dans tous ses détails.

Quand j'ai fait l'étude de ces travaux, je me suis livré à une enquête approfondie. J'ai interrogé des paysans, j'ai interrogé des ingénieurs, j'ai interrogé les gardes forestiers, j'ai interrogé tout le monde pour me renseigner complètement.

Eh bien, il résulte des réponses qui m'ont été faites, que le régime de la Vesdre offrait, il y a trente, quarante ou cinquante ans, les mêmes variations qu'il offre aujourd'hui.

Il y avait des années ou elle donnait beaucoup d'eau ; il y avait des années d'eaux très courtes, exactement comme aujourd'hui. Cela dépendait et des pluies et de la matière dont les pluies tombaient et des différentes circonstances atmosphériques, il en est de même aujourd'hui et il ne peut en être autrement.

Quels sont les travaux qu'on a faits dans la forêt ? On a creusé des rigoles de distance en distance, de cent mètres en cent mètres et quelque fois plus près.

Ces rigoles ont asséché les terrains et ont permis aux eaux de s'écouler vers les vallées. Autrefois elles ne s'écoulaient pas ou s'écoulaient lentement ; elles s'évaporaient. Elles ne venaient pas grossir on ne grossissaient que très peu les ruisseaux. Aujourd'hui, au contraire, la croissance des forêts empêche cette évaporation, et bien loin d'avoir nui au régime des eaux de ce pays, les travaux qui ont été faits ont plutôt régularisé ce régime.

Donc, messieurs, le prétexte invoqué, pour moi, n'en est pas un. Il n'est pas exact, et si vous deviez voter pour ce seul motif l'article en discussion, je vous engagerais à le repousser.

Messieurs, j'ai cherché dans l'exposé des motifs comme dans le rapport de la section centrale à m'éclairer sur ce que le gouvernement promet en échange des sommes qu'il s'agit de dépenser pour Verviers. Je n'en ai pas trouvé un seul mot.

J'ai donc dû me renseigner en dehors de cette enceinte, et j'ai obtenu les renseignements suivants : je prierai M. le ministre de me dire si je suis bien informé.

Il s'agirait de construire sur un point de la Vesdre un barrage qui aurait 80 mètres de largeur à la base, et 34 mètres de hauteur. Ce barrage servirait à former un réservoir capable de contenir 12 millions de le mètres cubes d'eau.

Or, messieurs, j'ai étudié cette question de très près et très consciencieusement. Il n'est pas certain que les eaux d’inondation du bassin de la Gileppe donne le cube indiqué, mais comme la dépense de ces eaux se fait successivement, j'ai calculé (et du reste ces calculs sont basés sur l'expérience de peut-être 60 bassins de même nature qui existent en Angleterre), j'ai calculé qu'il suffit d'un réservoir contenait la moitié de la quantité d'eau recueillie annuellement par suite des pluies pour assurer le service de toute l'année. Donc s'il était prouvé que la Gileppe ne peut fournir que six ou huit millions de mètres cubes, il serait parfaitement inutile de faire un réservoir pouvant contenir douze millions.

Or, la Gileppe ne peut produite que six millions, et je ne suis pas même certain si, dans certaines années, on arrivera à ce chiffre. Or, il est évident que si un bassin de 12 millions doit coûter 3 millions, un autre bassin qui ne contiendrait que trois ou quatre millions de mètres cubes ne coûterait guère que le quart de cette somme, vu que toutes les dimensions seraient notablement diminuées.

Eh bien, messieurs, je vais vous faire le calcul de ce que peut donner le bassin de la Gileppe.

Ce bassin à une surface de 4,000 hectares. Je néglige les fractions.

II tombe, sur ces terrains, une couche d'eau évaluée annuellement à environ un mètre de hauteur ; elle n'est que de 40 à 50 centimètres le long des côtes, mais elle s'épaissit à mesure que l'eau s'en éloigne et surtout sur les terres élevées.

Mais, messieurs, cette nappe d'eau ne tombe pas en une fois, elle tombe quelquefois en petites ondées qui ne donnent lieu à aucun écoulement, elle tombe quelquefois en grandes ondées qui donnent lieu à des crues d'eau plus ou moins fortes, elle tombe aussi en neige, et cette localité étant élevée de 660 mètres, la couche de neige y est très épaisse et c'est principalement de ces neiges qu'on attend l'alimentation des réservoirs projetés.

En supposant un mètre de hauteur, d'après tous les auteurs, comme d'après des expériences très souvent répétées sur les bassins qui existent en Angleterre, on ne peut guère calculer sur plus d'un sixième de la quantité d'eau qui s'écoule utilement pour remplir les réservoirs ; le restant ou s'enfonce dans le sol ou bien est absorbé par l'évaporation. Lorsque les ondées ne sont pas très fortes, les eaux pénètrent en grande partie dans le sol, le reste s'arrête sur la tige des plantes et s'évapore. Prenons une quantité extrêmement forte, prenons le cinquième comme étant le produit des eaux d'inondation ; le cinquième d'un mètre de hauteur sur 4,000 hectares de surface donnerait au plus 8 millions de mètres cubes.

Mais il y a encore des déficits très considérables à déduire de cette quantité par suite de circonstances locales, fissures dans le sol, etc., donc si l'on compte sur 6 millions de mètres cubes, c'est le maximum que l’on puisse atteindre dans les années de sécheresse. Or, je le demande, que ferait-on d'un réservoir de 12 millions pour emmagasiner (page 1164) 6 millions qui ne se présenteront pas à la fois en totalité, mais successivement et qui seront aussi successivement dépensés. Il est donc inutile, à mon avis, de dépenser des sommes aussi considérables pour produire un réservoir qui ne sera jamais rempli s'il sert à l'usage indiqué.

L'industrie privée qui m'avait chargé de ses intérêts procédait d'une façon toute différente ; elle construisait d'abord un réservoir pour 2 1/2 à 3 millions de mètres cubes, puis quand, par l'action de ce réservoir, on aurait pu étudier le mouvement de l'eau, elle avait réservé des sites pour l'établissement d'un second et au besoin d'un troisième réservoir.

Or la construction d'un réservoir de 3 millions de mètres cubes ne devait coûter que cinq à six cent mille francs et elle serait proportionnellement beaucoup plus solide que cette digue colossale et dangereuse de 34 mètres de hauteur qui exigerait un cube énorme de maçonnerie par ce qu'à cette hauteur il serait impossible d'employer des terrassements comme on le fait partout en Angleterre ; je crois donc avoir prouvé d'une façon péremptoire que les sommes pétitionnées ne sont pas nécessaires puisqu'il n'y a pas la quantité d'eau voulue pour remplir le réservoir projeté par l'administration.

Ce réservoir est principalement réclamé sous le prétexte de régulariser le cours de la Vesdre ; c'est au moins le but d'utilité générale qu'on assigne à ce travail. Eh bien, je vais démontrer que ce but ne sera pas atteint. Les eaux du réservoir suffiront à peine pour l'alimentation de l'industrie de Verriers. D'après des relevés qui ont été faits il y a 8 ans, à l'époque où je me suis occupé de cette question, il faut une quantité journalière de 20,000 mètres cubes pour les besoins de l'industrie de Verviers et des communes suburbaines ; 20,000 mètres cubes pour 500 jours de consommation donnent six millions de mètres. Or c'est précisément la quantité que peut fournir, année commune, la rivière ; il y a des années où les pluies fourniront peut-être 9 millions ; il y en a d'autres où elles n'en produisent pas 5. Je prends ce que la Gileppe peut donner d'eau d'inondation, année moyenne. Or, l'industrie absorbera toute cette eau ; il n'y en aura pas une goutte qui pourra être employée à la régularisation du cours de la Vesdre, et ce n'est que lorsque les eaux auront été salies dans les usines qu'elles pourront se déverser dans la rivière et que les habitants d'aval, si l'on n'adopte pas une loi pour empêcher les usines et les villes de corrompre les cours d'eau, ce n'est donc que de l'excédant d'eau rejetée par les usines de l'agglomération verviétoise que les industries en aval de Verviers pourront voir grossir la Vesdre.

Je dis donc que la Gileppe est particulièrement propre à fournir les eaux industrielles si nécessaires à la prospérité industrielle de Verviers. C'est le champ que la nature a mis à sa porte pour être utilisé de manière à fournir l'eau nécessaire à l'industrie verviétoise.

Oh donc se trouve, dans le système du gouvernement, l'eau pour régulariser le cours de la rivière ? Est-ce sur la Gileppe ?

Il suffit, pour répondre à cette question, de lire les chiffres du tableau fourni dans la réponse n°14 du gouvernement. La Vesdre et la Helle ont ensemble une surface de 15,710 hectares.

Vous avez là un territoire .immense sur lequel tombe la même nappe d'eau et où par conséquent vous avez quatre fois la quantité d'eau que peut fournir la Gileppe.

Or, n'est-il pas naturel, du moment que l'on parle de travaux d'utilité générale, de faire ces travaux là où ils pourraient être le plus utiles et en trouvant la plus grande quantité d'eau disponible ?

Une circonstance, messieurs, vient en quelque sorte commander la situation. La Vesdre en aval de la Helle et de son confluent avec cette rivière coule sur un territoire mixte formant la frontière entre la Prusse et la Belgique.

La Prusse est intéressée à la régularisation du régime de la Vesdre par ses industriels qui appartiennent à la ville d'Eupen. Dès lors il est à supposer que l'on pourrait obtenir un concours du gouvernement prussien pour exécuter ces travaux.

Il est probable que les intéressés d'Eupen, qui sont très riches et qui y sont tout aussi intéressés que les industriels de Verviers, pourraient concourir à ces travaux et en ne faisant pas ces digues immenses qui sont excessivement coûteuses, mais en établissant une espèce d'escalier de réservoirs sur cette rivière, on arriverait, avec une somme moins forte que celle qui est pétitionnée, à réunir sur le cours de la Vesdre une quantité d'eau beaucoup plus considérable que celle qu'il sera possible d'obtenir par la Gileppe.

Messieurs, je me suis étendu peut-être un peu longuement sur ces détails. La Chambre est pressée d'en finir, mais j'ai cru qu'il était nécessaire de mettre la question tout entière sous vos yeux afin que vous puissiez porter un jugement en connaissance de cause.

Il n'y a pas de raison, si l'on se borne à invoquer la question d'utilité,, pour qu'on ne nous demande pas 10 millions au lieu de 3. Si l'on invoque cette raison pour Verviers, elle existe également pour toutes les autres villes du pays. Gand réclamera aussi des eaux pures et abondantes.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - On a fait la même chose pour Gand entre autres.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Mais sans dépenser 3,500,000

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - En dépensant ce qu'il fallait. Si cette ville avait eu besoin de 3 millions, elle les aurait obtenus. L'exemple est malheureux.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - L'honorable ministre des travaux publics m'interrompt pour dire qu'il faut dépenser ce qui est nécessaire ; mais il faut voir si ces dépenses sont destinées à atteindre le but que l'on a en vue. S'il est démontré que les 3 millions pétitionnés pour la Gileppe sont exclusivement employés au bénéfice de l'industrie d'une certaine localité. Est-ce que les industries concurrentes existant dans le restant du pays n'auront pas le droit de réclamer ?

Une fois entrés dans cette voie, vous ne savez pas où vous vous arrêterez, et ce n'est pas avec 350 millions que vous pourrez réparer dans tout le pays les dommages causés aux rivières et aux sources par le défrichement des forêts domaniales.

C'est pour mettre la Chambre en garde contre un vote que je considère comme excessivement dangereux dans son principe que j'ai pris la parole et que je suis entré dans tous ces développements.

(page 1154) M. Moreau. - Messieurs, le crédit demandé par le gouvernement pour améliorer le régime des eaux de la Vesdre a été l'objet de quelques critiques dans cette enceinte et en section centrale.

En y répondant, je ne viens pas, messieurs, comme on pourrait le croire, défendre des intérêts exclusivement privés et locaux, car il me sera facile de démontrer que, si la ville de Verviers est sans doute intéressée à ce qu'on exécute les travaux projetés dans la forêt de Hertogenwald, l'intérêt général et l'équité exigent que le gouvernement améliore, dans un bref délai, le cours de cette rivière.

On vous a déjà dit ce que la Vesdre était anciennement et ce qu'elle est aujourd'hui.

Le gouvernement, dans l'exposé des motifs du projet de loi et dans les renseignements nombreux et complets qu'il a fournis à la section centrale, a dépeint parfaitement l'état actuel de ce cours d'eau et démontré l’influence fâcheuse que les travaux de dessèchement exécutés dans la forêt de Hertogenwald, domaine de l'Etat, ont exercée sur cette rivière.

Il est en effet constaté par de nombreuses observations pluviométriques qu'il a fait faire dans les bassins asséchés de la Vesdre et dans ceux de la Roer dont la moitié ou plutôt les 2/5 ont conservé leur état primitif, qu'en temps de sécheresse, la Vesdre ne reçoit de 1000 hectares de son bassin que 14 litres d'eau par seconde, tandis que le même nombre d'hectares du bassin de la Roer fournit à cette rivière 59 litres aussi par seconde.

On peut donc conclure de ce qui précède que, si des travaux d'asséchement n'avaient pas été exécutés dais la forêt, le débit de la Vesdre serait six fois plus considérable ; c'est-à-dire de 84 litres par seconde et par 1000 hectares.

D'un autre côté les fortes pluies font doubler les eaux de la Gileppe, un des principaux affluents de la Vesdre, mais elles ne font qu'augmenter de 1/3 les eaux de la Roer et de 1/10 celles du Perlenbach, affluent de la Roer qui les reçoit de beaucoup de bois et de tourbières peu asséchées.

Les travaux d'assèchement exécutés par le gouvernement dans la forêt, quoi qu'en dise l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, sont donc évidemment cause du manque d'eau dans la rivière et des inondations.

Les eaux pluviales et celles qui proviennent de la fonte des neiges ne sont plus retenues dans les tourbières, les marécages, les lacs et les sinuosités du sol de la forêt ; jadis elles n'arrivaient que lentement et peu à peu dans la Vesdre.

Mais maintenant elles s'y déversent et s'y précipitent, pendant les fortes pluies, par les canaux d'irrigation qui les amènent rapidement dans la rivière.

Qu'est-il résulté, messieurs, des modifications apportées par le gouvernement au régime de la Vesdre ?

Des choses que je puis qualifier de bien déplorables pour l'arrondissement de Verviers et une grande partie de celui de Liège, tant sous le rapport de l'industrie et de l'agriculture, que sous celui de l'hygiène et même des intérêts du trésor public.

Vous connaissez tous l'importance que l'industrie lainière a acquise dans l'arrondissement de Verviers.

Grâce à l'activité, à l'énergie, aux efforts incessants de nos fabricants, elle s'est développée de telle sorte que, d'après le rapport de la chambre de commerce de Verviers, l'exportation des draps, des tissus similaires et des filés cardés s'élevait en 1863 à 57,570.000 fr.

D'après des renseignements que j'ai tout lieu de croire exacts, l'on peut évaluer à 125 millions les produits de cette industrie et à 305 millions le capital tant fixe que circulant dont elle a besoin, savoir :

Dans le capital circulant, sont compris naturellement les capitaux du manufacturier, du marchand de laines, du teinturier, de la banque qui escompte, etc., etc.

Si l’on considère que le crédit que l'on vous demande de voter n'es pas réclamé seulement dans l'intérêt de l’industrie lainière, mais aussi dans celui de 102 usines qui empruntent leur force matrice à la Vesdre et en faveur de la fabrication des armes et des métaux qui se fait dans 34 usines échelonnées sur ce cours d'eau, ce n'est plus, comme en 1859, un capital de 200 millions de francs, mais un capital de 350 millions de francs qui sera fécondé par l'exécution du travail projeté.

L'industrie lainière plus que toute autre industrie a besoin d'une grande quantité d'eau, pour s'en servir non pas tant comme force motrice que pour exécuter les manipulations que la filature de la laine et la fabrication des tissus rendent nécessaires.

A cet effet, il lui faut non seulement de l'eau avec abondance, mais encore de l'eau pure et peu chargée de sels.

Or, le peu d'eau qui s'écoule par la Vesdre, surtout en temps de sécheresse, est tellement impure, tellement corrompue, que nos fabricants ne peuvent opérer que d'une manière très imparfaite le lavage de la laine, le foulage des tissus et par conséquent la teinture.

Le rapport du jury à l'exposition de Londres, dont un extrait est inséré dans le travail si remarquable de l'honorable M. Hymans, vous fait connaître le mal que font l'impureté et le manque de l'eau à l'industrie lainière, combien ils l'entravent, l'empêchent de progresser davantage, et la menacent ainsi éventuellement dans son existence, en présence de la rude concurrence qu'elle aura à subir dans un temps peut-être peu éloigné.

(page 1155) A l'appui de ce document, je puis, messieurs, invoquer le témoignage des ministres qui se sont succédé au département de la guerre ; ils vous diront que fréquemment ils ont reçu des réclamations des fournisseurs des draps de troupes, en retard de faire livraison de leurs marchandises dans le délai fixé, et que toutes elles étaient fondées sur ce que l'eau manquait, soit pour laver les laines, soit pour fouler ou teindre les draps.

Vous parlerai-je maintenant des miasmes qui, pendant les chaleurs de l'été, émanent d'une rivière qui ne reçoit que 14 litres d'eau par seconde et par 1,000 hectares de son bassin ?

Est-il nécessaire de vous dire que ces miasmes exercent l'influence la plus fâcheuse sur la salubrité de la ville de Verviers et de toute la vallée de la Vesdre ?

Figurez-vous quel cloaque doivent faire les résidus de toutes les fabriques et ceux du lavage des laines, parmi lesquelles il y en a qui, comme celles de Buenos-Ayres, perdent en détritus jusqu'à 75 p. c. de leur poids.

En 1863, messieurs, il est arrivé aux stations de Pepinster, d'Ensival, de Verviers et de Dohain 12,000 tonnes de laines en suint provenant presque toutes de Buenos-Ayres, 537 tonnes ont été exportées après lavage, ainsi la Vesdre a reçu, pendant la dite année, 75 p. c. de 12.000 tonnes, soit 8,000 à 9,000 tonnes de suint, graterons et autres saletés provenant seulement du lavage des laines.

Aussi. porte le rapport de la chambre de commerce de Verviers de 1863, aux époques de sécheresse, les eaux de la Vesdre sont impures au point qu'on trouve même à Fraipont, à une distance de plus de 10 kilomètres de Verviers, des traces de cette impureté sur le gravier de la rivière.

Je vous le demande, messieurs, l'état actuel de ce cours d'eau n'est-il pas un danger permanent pour la santé publique ?

D'un autre côté, après les fortes pluies ou la fonte rapide des neiges, la Vesdre, quelques instants auparavant presque à sec, devient un torrent impétueux qui renverse tout ce qui s'oppose à son passage ; on voit quelque fois l'eau s'accroître de plusieurs mètres subitement ; alors la rivière déborde, endommage les établissements industriels et les habitations construits sur ses bords, et ravage les campagnes qu'elle baigne.

J'ai dit, messieurs, que le trésor public lui-même avait le plus grand intérêt à ce que le régime irrégulier de la Vesdre fût amélioré, et je ne fais que répéter une observation que mon honorable ami M. David a déjà faite.

En effet, quelques années après la construction du chemin de fer dans cette vallée, des ponts firent emportés par les eaux et la circulation du chemin de fer fut interrompue depuis Liège jusqu'à Verviers, de telle sorte que des moyens de transport durent être établis par l'ancienne route entre Liège et Aix-la-Chapelle.

Il en fut de même en 1850 ; une inondation dévasta cette partie du pays, et près de l'endroit appelé la Rochelle, un grand viaduc et des rails sur une longueur assez grande furent emportés par les eaux devenues furieuses.

Qui nous dit que si on laisse la Vesdre dans son état actuel, ces catastrophes ne se renouvelleront pas d'un moment à l'autre ? qui peut donner l'assurance qu'en laissant exister les causes, les mêmes effets ne se produiront pas ?

Or, qu'est-ce qu'une dépense de 3,250,000 fr., en présence des grands malheurs qui peuvent arriver et des pertes énormes que le trésor subirait, si aujourd'hui, lorsque le trafic sur le chemin de fer est plus que décuplé, la circulation était encore interrompue ?

Que M. le ministre des travaux publics veuille rechercher dans les archives de son département le montant des sacrifices faits alors pour rétablir le railway dans son état primitif et je ne crains pas de dire que l'Etat au lieu de dépenser quelques millions très utilement et pour donner satisfaction aux plus légitimes intérêts, perdrait forcément peut-être le double.

Je regarde, messieurs, cette considération seule comme suffisante pour justifier les propositions du gouvernement ; car refuserez-vous de lui accorder un crédit de 3,250,000 fr. s'il venait vous dire : J'en ai besoin pour éviter que, par une inondation qui peut avoir lieu d'un jour à l'autre, une partie notable du railway national ne soit détruite, pour empêcher que la circulation ne soit interrompue, la vie des voyageurs compromise et que l'Etat ne soit alors exposé à faire des dépenses plus considérables et qui peuvent se renouveler fréquemment !

Un seul d'entre nous hésiterait-il à donner un vote favorable à semblable proposition ?

Maintenant en présence des faits que je viens vous signaler peut-on prétendre que les travaux que le gouvernement veut faire exécuter pour améliorer le cours de la Vesdre ne sont pas des travaux d'une utilité générale ? Peut-on soutenir qu'ils ne sont pas faits à l'effet d'augmenter la richesse publique et nationale ?

Je ferai d'abord observer, messieurs, que la distinction que l'on veut faire entre les travaux que l'on dit être d'une utilité générale et les travaux d'un intérêt privé et local est souvent arbitraire.

Tors les travaux publics exécutés par le gouvernement favorisent sans nul doute des intérêts privés et locaux, ceux des industriels, des négociants, des propriétaires, puis ceux de certaines communes. Construit-on un chemin de fer ? creuse-t-on un canal ? ne sont-ce pas des houillères, des usines, des établissements industriels et même de simples propriétaires qui en tirent profit en premier lieu ? et n'est-ce pas, lorsque ces intérêts privés et locaux réunis ont une grande importance qu'on peut avec raison attribuer aux travaux qui leur sont profitables, le caractère d'utilité public et de l'intérêt général ?

Or, messieurs, féconder une des industries les plus vivaces du pays, qui emploie 20,000 ouvriers et dont les produits s'élèvent à plus de 120 millions ;

Régulariser le cours entier d'une rivière sur une longueur de 40 kilomètres au moins, plus de 8 lieues ;

Faire profiter de ces travaux 25 communes très peuplées ; 118 usines qui ont besoin d'un capital fixe et circulant de 350 millions ;

Enfin empêcher ces inondations qui détruisent des maisons, ravagent les terres et menacent le chemin de fer de l'Etat ;

Est-ce là agir dans un intérêt purement local ? N'est-ce pas au contraire exécuter des travaux réclamés par l'intérêt le plus grand, le plus général ?

Les travaux faits dans la Campine et cent autres, ceux qui sont proposés encore pour cette partie du pays, pour Ostende, pour la Mandel, pour Nieuport et Blankenberghe, réunissent-ils à un plus haut degré que ceux de la Vesdre, le caractère d'intérêt général ?

En France, messieurs, on a compris également que la dépense des travaux analogues à ceux dont il s'agit devait être mise à charge du trésor public.

Une loi du 31 mai 1846 a affecté une somme de 6,500,000 à l'amélioration de la rivière d'Yonne, au moyen de réservoirs ; celui de Settons a été commencé en 1854 et achevé en 1858 ; il occupe une surface de 400 hectares et contient 22 millions de mètres cubes d'eau.

Vous voyez, messieurs, de quelle manière on procède en France dans des cas à peu près identiques.

J'arrive maintenant aux observations présentées par l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu contre les propositions du gouvernement, Comme l'honorable membre vous l'a fait connaître, il est intervenu dans cette affaire.

En effet, en 1858, M. Le Hardy de Beaulieu, tant en son nom qu'en celui de MM. Waring frères, a fait des propositions à la ville de Verviers, pour y établir une distribution d'eau potable et industrielle.

Je tiens en main le projet de contrat (et le discours que vient de prononcer l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu n'est qu'une seconde édition de l'exposé des motifs de ses propositions). Pour vous en convaincre, il suffirait de lire cette pièce et je le ferais si je ne craignais d'abuser de vos moments.

Dans le contrat dont il s'agit, il est d'abord stipulé que toutes les garanties lui seraient données à l'égard de la propriété des études et des plans provisoires ou définitifs qui seraient faits sans retard.

Dans le cas où la ville de Verviers, après examen des plans et devis, jugerait plus avantageux à ses intérêts d'exécuter par elle-même les travaux nécessaires ou même de les concéder à d'autres qui feraient des propositions plus acceptables, il serait payé pour ses frais et peines une indemnité de 7 p. c, du coût total de l'entreprise.

Ensuite la ville de Verviers s'engageait à prendre un abonnement minimum de 1000 mètres cubes d'eau par jour, tant pour les besoins de la population ouvrière que pour le service des fontaines publiques, des marchés, de l'arrosage des rues et places, etc.

La ville se chargeait de faire, auprès de toutes les autorités compétentes, les démarches administratives nécessaires pour obtenir du gouvernement « la concession du bassin de la Gileppe et des affluents pour le service de la distribution d'eau, ainsi que la cession gratuite des terrains qui appartiennent à l'Etat pour l'établissement des réservoirs, aqueducs, etc. »

Enfin, pour que l'on pût déterminer autant que possible d'avance l'importance des travaux à exécuter, par la quantité d'eau qu'on aura à fournir et par suite le tarif minimum que l'on pourra adopter, l'administration communale ouvrira une liste de souscription où les industriels qui voudront prendre l'eau voudront bien indiquer les quantités dont ils ont besoin et si leur consommation sera régulière ou intermittente.

Telles étaient, messieurs, les clauses principales du projet de contrat (page 1156) que M. Le Hardy de Beaulieu soumit à l'administration communale de Verviers lorsque déjà M. Bidaut avait commencé les études relatives aux réservoirs à établir dans la forêt de Hertogenwald.

Vous remarquerez qu'alors aucune étude sérieuse des travaux n'avait été faite par les entrepreneurs ; ni plan, ni devis n'étaient dressés ; l'on ignorait même quelle serait l'importance des travaux, puisque celle-ci devait être déterminée par la quantité d'eau qui serait demandée par les industriels.

Il est donc étonnant que l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, qui ne peut avoir que des données très vagues sur l'entreprise dont il s'engageait à faire les plans et devis, puisse aujourd'hui la préconiser avec autant d'assurance, au détriment de travaux parfaitement étudiés par le gouvernement.

Je ne veux rien dire qui puisse être désagréable à l'honorable membre ; je sais qu'il ne fait ici que défendre les intérêts généraux du pays. Mais cependant en cette occurrence, peut-on isoler complètement le député de l'ingénieur éventuel d'une distribution d'eau à Verviers ?

Ainsi ne me sera-t-il pas permis d'avoir beaucoup plus de confiance dans les connaissances des hommes distingués qui ont dressé le projet complet des travaux que veut faire le gouvernement et qui assument la responsabilité de leur œuvre, que dans les assertions de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu ?

L'on comprend et l'on conçoit en effet que l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu trouve mauvais ce que le gouvernement veut faire aujourd'hui pour la vallée de la Vesdre, que par amour paternel pour son œuvre il lui donne la préférence et vous la présente comme offrant à l'industrie lainière bien plus d'avantages que les travaux projetés par le gouvernement. L'administration de la ville de Verviers du reste, bon juge, je crois, en cette matière, après avoir examiné avec soin et débattu longuement dans une volumineuse correspondance le projet de contrat, n'a pas partagé l'opinion de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu ; ses propositions furent regardées comme inadmissibles et les négociations furent rompues en juillet 1861.

Examinons maintenant aussi succinctement que possible les principales critiques de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu.

L'honorable membre prétend que les travaux d'assèchement n'ont pas troublé le régime des eaux de la Vesdre.

Je me contenterai de lui répondre que telle n'a pas été toujours son opinion, car dans la lettre qu'il a adressée à l'administration communale de Verviers, il disait en parlant de la Vesdre :

« Les eaux d'inondation de l'hiver et les temps d'orage passent non seulement par dessus ses digues, mais elles occasionnent en outre quelquefois des dommages tout le long de la vallée, détruisant les récoltes, arrêtant le travail des usines, démolissant tous les ponts, les digues et autres travaux publics et particuliers ; ces inondations surtout son devenues plus rapides et plus dangereuses depuis les travaux de drainage exécutés dans la forêt de Hertogenwald par le gouvernement. »

Telle était l'opinion de M. Le Hardy de Beaulieu en 1858. Il prétend d'abord que le système du gouvernement est incomplet et offrira des résultats peu satisfaisants, la Vesdre ne donne pas assez d'eau pour établir des réserves assez considérables. Il faudrait, dit-il, au point de départ une réserve de 8,400,000 mètres cubes d'eau pour cent jours seulement.

Ces faits, messieurs, avancés par l'honorable M. Le Hardy de Bea-lieu, qui probablement ne s'est pas livré à de nombreuses observations sur les lieux, comme l'ont fait les agents du gouvernement, ne sont pas conformes à ceux qui ont été constatés par les ingénieurs.

Ceux-ci affirment que la Gileppe seule, l'un des affluents de la Vesdre, débite année moyenne 22,000,000 de mètres cubes d'eau et que de cette quantité 21,000,000 de mètres cubes ne sont pas utilisés par les usines riveraines.

Les études entreprises font supposer qu'on pourra par des réservoirs établis dans la forêt de Hertogenwal, obtenir une réserve d'eau de 12,000,000 de mètres cubes, quantité qui est supérieure à celle qui est admise par l'honorable M. Le Hardy comme suffisante pour avoir un niveau constant dans la Vesdre, même pendant cent jours de sécheresse.

A ces dires, messieurs, je puis encore exposer l'extrait d'un rapport fait par M. Donckier, ingénieur à Goé, choisi par MM. Bidaut et Carrez, ingénieur directeur des ponts et chaussées pour faire des études et des observations sur les lieux.

« Les études entreprises tendent également (porte le rapport) à faire supposer que la capacité du réservoir nécessaire pour assurer l'alimentation régulière de la distribution devra seulement être un peu supérieure à la moitié de la quantité d'eau à distribuer.

« Ainsi un réservoir d'une capacité de 9,000,000 de mètres, et il s'agit maintenant de 12,000,000 de mètres cubes, assurerait non seulement le débit à Verviers de 16 millions de mètres cubes annuellement, soit environ 44,000 mètres cubes par jour, ce qui est la quantité que la rivière pourrait fournir dans les sécheresses ordinaires, mais encore les quantités nécessaires pour améliorer la situation des usines en amont de Verviers.

« D'autres études entreprises sur des bassins voisins ont démontré la possibilité d'amener plus tard à Verviers, s'il en était besoin, un autre volume d'eau double au moins de ceux ci-dessus énoncés. »

Vous le voyez, les assertions de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu ne sont pas d'accord avec celles d'autres hommes aussi compétents dans cette affaire.

Mais, messieurs, s'il est un système incomplet et peu propre à donner satisfaction aux intérêts divers engagés dans la question, c'est bien celui qui est mis en avant par les entrepreneurs auteurs, des propositions faites à la ville de Verviers.

En effet que propose-t-on d'établir ?

Uniquement une distribution d'eau potable et industrielle pour Verviers et quelques communes environnantes, au moyen d'un réservoir d'une contenance de 2,500,000 mètres cubes d'eau suffisant pour donner par jour 20,000 mètres cubes.

C'était là un travail fait dans un but d'intérêt local pour lequel cependant l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, ennemi de l'intervention de l'Etat dans des travaux de cette catégorie, demandait, en faveur de ses coassociés, la concession du bassin de la Gileppe et la cession gratuite des terrains nécessaires pour l'établissement des réservoirs et des canaux.

Cette distribution d'eau n'améliorait pas le cours de la rivière en amont de Verviers, elle la laissait dans son état actuel, dans la plus grande partie de Verviers, et au lieu de régulariser le cours de la Vesdre, de lui donner en général un niveau constant au moyen d'une réserve d'eau de 12,000,000 de mètres cubes, on n'y faisait arriver que moins de 2,500,000 mètres cubes d'eau devenue sale par l'usage qu'on en aurait fait.

Ainsi, d'un côté les usines placées sur la Vesdre en amont de Verviers n'auraient pas eu plus d'eau que maintenant, et celles qui sont situées en aval n'en auraient eu guère davantage et seulement par intermittence, puisque l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu reconnaît lui-même que, pour améliorer réellement la Vesdre, il est nécessaire d'avoir au moins une réserve de 8,640,000 mètres cubes d'eau.

D'un autre côté, la rivière resterait un cloaque comme elle est aujourd'hui, compromettant la santé publique ; les eaux provenant de la fonte rapide des neiges et des pluies d'orage s'y précipiteraient à peu près avec la même rapidité, et les inondations, suivant qu'elles seraient plus ou moins fortes, jetteraient la même perturbation dans le travail des fabriques et des usines, les endommageraient et elles continueraient à renverser les maisons, les ponts, les viaducs, à ravager les terres et à menacer constamment le réseau national des chemins de fer.

Je vous le demande, messieurs, peut-on mettre sérieusement en parallèle l'entreprise préconisée par M. Le Hardy de Beaulieu et les travaux proposés par le gouvernement qui donne satisfaction à tous les intérêts et ont pour but, on ne saurait trop le dire, l'intérêt général du pays ?

Que l'on fasse à Verviers une distribution d'eau potable et industrielle, et cela aux frais de la ville, je le comprends, ce sera un nouveau bienfait pour l'industrie lainière ; mais ce que je ne conçois pas, c'est que l'on vous représente une distribution d'eau comme devant être un motif d'exclusion pour les travaux projetés, loin d'être antipathique l'une et l'autre œuvre, si, je puis le dire, doivent se donner la main, se prêter aide et assistance.

Je terminerai, messieurs, en vous rappelant que le conseil provincial de Liège a reconnu qu'un grand intérêt public commandait de donner satisfaction aux plaintes fondées des riverains de la Vesdre et en engageant, dès 1857, le gouvernement à remédier à l'état actuel de cette rivière.

L'arrondissement de Verviers jusque maintenant n'a pris aucune part à ce qu'on appelle le grand banquet national des travaux publics. Depuis quelques années, bien des millions ont été votés pour des travaux publics auxquels il a contribué pour une large part, sans murmurer.

Aucun de ces nombreux crédits n'a été destiné à l'exécution de travaux dans cet arrondissement au contraire, la plupart des grandes routes qui le sillonnent, telles que celle de la Vesdre de Liège à Aix-la-Chapelle, celle de Battice à Maestricht, celle d'Aubel, celle de la Clef, etc., ont été construites soit par des sociétés, soit par des communes.

Eh bien, messieurs, le gouvernement, et je l'en remercie, a reconnu (page 1157) qu'il était temps qu'il fît quelque chose en faveur de cet arrondissement ; il a compris qu'au point de vue de la richesse publique et nationale, il fallait maintenir l'industrie lainière, l'une des plus grandes du pays, dans les développements qu'elle a pris et qui nécessairement cesseront, si l'on ne se hâte de lui donner les moyens de lutter avec succès contre de nombreux concurrents de l'Allemagne, de l'Angleterre et de la France.

Vous partagerez, messieurs, cette opinion et soyez-en persuadés, le travail actif et intelligent de nos fabricants qui ont tant enrichi le pays lui rendra bientôt au centuple le sacrifice momentané qu'il aura fait.

(page 1164) M. Le Hardy de Beaulieuµ. - J'ai demandé la parole au moment où M. Moreau semblait insinuer que j'étais venu défendre ici des intérêts particuliers.

M. Moreau. - Je n'ai rien dit de semblable.

- Voix diverses. - Non ! non !

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je crois que toutes les paroles que j'ai prononcées ici depuis la première jusqu'à la dernière protestent contre cette insinuation.-J'ai fait servir les études que j'ai faites consciencieusement dans l'exercice de rua profession, pour éclairer cette Chambre ; je ne sais pas par qui la Chambre serait éclairée, s'il n'y avait que les personnes qui ne connaissent pas une question qui pouvaient prendre la parole.

Si j'ai acquis dans certaines questions quelques notions, c'est mon devoir, ce ma semble, de les apporter à cette Chambre ; c'est pour cela que j'ai été envoyé ici. C'est donc un procédé que je ne veux pas qualifier mais qui, je l'espère, ne se reproduira plus, que de m'accuser de parler ici d'affaires dans lesquelles j'ai été mêlé ; c'est parce que j'ai été mêlé à ces affaires que je les connais et je ne fais qu'apporter ici le résultat de mes études.

(page 1157) M. Moreau. - Ni en paroles, ni en intentions je n'ai voulu dire que M. Le Hardy de Beaulieu venait défendre ici des intérêts privés. M. Le Hardy a fait des études qui n'ont pas abouti, j'ai cru pouvoir faire usage de documents qui émanent de lui, mais il n'est pas entré un seul instant dans ma pensée de l'accuser de se préoccuper ici d'intérêts privés.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu a profité de l'occasion de la discussion qu'il vient de soulever, pour reprocher itérativement au gouvernement la marche que celui-ci a suivi quant au projet qui vous est soumis.

L'honorable membre nous impute à blâme d'avoir présenté à la Chambre un projet de travaux publics tellement vaste que la Chambre n'a pas le loisir de l'examiner avec la maturité voulue. Ce blâme n'est pas fondé. Le gouvernement, messieurs, ne vous a pas présenté un vaste ensemble de travaux publics pour la seule satisfaction d'apporter un projet de loi important, mais parce que cette manière de procéder lui était commandée par la situation.

De deux choses l'une, où le gouvernement devait renoncer à vous proposer des travaux publics dans une mesure quelconque ou il devait pourvoir à des ressources extraordinaires. Devant pourvoir à des ressources extraordinaires, le gouvernement ne pouvait songer qu'à un emprunt, et d'une part il ne pouvait contracter un emprunt sur une échelle trop réduite ; d'autre part il devait vous faire connaître l'emploi qu'il se proposait de faire de cet emprunt.

C'est ainsi que forcément le gouvernement a été amené à vous soumettre avec le projet d'emprunt le projet de travaux publics sur lequel vous êtes appelés à délibérer. Je le répète donc, et rien n'est plus clair : le gouvernement n'a pas eu le choix de procéder d'une manière ou d'une autre.

Cela dit, j'aborde la question spéciale dont il s'agit en ce moment, mais avant de rencontrer les observations que vient de faire valoir l'honorable M. Le Hardy, je dois donner quelques explications à l'honorable M. Delcour qui m'a interrogé sur le système qu'on allait suivre dans l'exécution des travaux auxquels se rapporte le crédit pour la Vesdre.

Voici, messieurs, comment la situation se présente et ce qu'il importe à la Chambre de connaître ou plutôt de rappeler.

Ce n'est pas la première fois que la Chambre s'occupe de la Vesdre. La Chambre a déjà admis le principe de l'amélioration de la Vesdre, des secours à apporter à cette importante industrie verviétoise, en votant en 1859, une première fois un crédit de 500,000 fr., dont une minime partie devait être employée au projet de la Mandel, et dont la majeure partie devait être employée au profit de la Vesdre. Il s'agissait, à cette époque, d'introduire dans le régime de la Vesdre certaines améliorations qui auraient augmenté, dans la proportion d'environ 3 millions de mètres cubes, le volume d'eau dont s'alimente la Vesdre. Mais on n'a pas tardé à s'apercevoir que ce volume d'eau était insuffisant pour apporter à l'industrie drapière un secours efficace et que le système qu'on voulait suivre dans les travaux à entreprendre n'était pas de nature à mettre l'industrie verviétoise dans les conditions où elle doit absolument se trouver pour parvenir, je ne dis pas à se développer, mais à se maintenir.

Il ne suffit pas, en effet, d'augmenter le volume d'eau à déverser dans la Vesdre, attendu que les établissements industriels étant établis les uns au-dessus des autres le long de la rivière, on n'a pas fait assez quand on a augmenté ce volume d'eau. Comme les fabrique supérieures salissent l'eau qui arrive aux fabriques inférieures, il n'y a, en définitive, que les fabriques situées tout à fait à l'amont qui pourraient profiter de cette amélioration.

On a donc, messieurs, songé à autre chose.

On a pensé, et la méthode était en effet extrêmement simple, que l'on devait rechercher un moyen d'apporter l'eau dans les diverses usines avant qu'elle fût salie par les usines supérieures.

Etant constaté qu'il ne suffisait pas d'améliorer le cours de la rivière, mais qu'à côté de cette amélioration de la rivière proprement dite, il y avait quelque chose de plus efficace à faire, l'on s'est naturellement arrêté à l'idée d'établir une distribution d'eau, c'est-à-dire un ensemble d'ouvrages ayant pour objet de prendre directement l'eau au réservoir où serait aménagé tout ce que la vallée peut fournir, et de la conduire ainsi pure, avant toute manipulation, dans les diverses usines.

C'est ce magnifique complément au travail conçu en 1859 qu'il s'agit de réaliser aujourd'hui, non pas à l'exclusion de ce qui avait été imaginé en 1859, mais cumulativement.

Je dis cumulativement et je réponds ici à la crainte qu'a manifestée l'autre jour l'honorable M. Delcour, que, pour bénéficier de la construction du réservoir, il faudrait nécessairement s'abonner à la distribution d'eau, c'est-à-dire payer une quote-part dans l'intérêt et l'amortissement du capital de premier établissement de la distribution, dans l'entretien des travaux d'art et dans les frais de manœuvres.

Ce que l'honorable M. Delcour craignait, c'est qu'on ne pût avoir de l'eau propre que moyennant cette rétribution, une juste rétribution, il est vrai, mais enfin une rétribution pouvant monter à des sommes plus ou moins élevées pour les diverses fabriques. Il voulait, se replaçant dans l'hypothèse de 1859, que les industriels qui ne seraient pas d'avis de profiter de cette distribution pussent s'alimenter directement à la rivière.

Eh bien, j'ai l'honneur de faire connaître à la Chambre qu'il ne s'agit pas de substituer un système nouveau de distribution au système ancien de l'alimentation de la Vesdre, qu'il s'agit, au contraire, de pratiquer les deux systèmes en même temps. Ceux par conséquent qui voudront puiser directement à la Vesdre pourront le faire dans les condition prévues en 1859 ; ceux des industriels qui croiront préférable pour eux moyennant certaine rétribution, d'avoir une eau absolument propre, la prendront à la distribution.

De cette manière tout le monde sera satisfait et je pense qu'il est impossible d'imaginer un système mieux combiné, plus heureux et favorisant plus efficacement l'industrie de Verviers.

L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu pose la question soulevée par le paragraphe en discussion de là manière suivante. .entrant dans les motifs donnés à la loi par le gouvernement lui-même et dans le texte de la loi, il dit : Si l'on prouve que les travaux exécutés dans la forêt de Hertogenwald par le gouvernement n'ont pas réellement provoqué la perturbation signalée dans le cours de la Vesdre, la cause venant à manquer, l'effet doit manquer et par conséquent le crédit qu'on demande aux Chambres ne se trouve pas justifié ; il n'y a pas lieu de l'accorder.

Or, continue t-il, les travaux faits par le gouvernement dans le Hertogenwald ont bien amené quelques conséquences au point de vue de l'alimentation de la Vesdre, mais ces conséquences sont d'une trop minime importance pour qu'il faille en tenir compte.

Messieurs, le point de fait qu'énonce l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu n'est pas exact. Le gouvernement a fait dans le Hertogenwald des travaux qui ont eu des conséquences beaucoup plus graves que ne se l'imagine l’honorable membre.

Mais je n'entends pas discuter ce côté de la question. J'admets, pour un moment, l'hypothèse de l'honorable membre, je lui concède, s'il le veut, que le gouvernement n'a pas travaillé dans le Hertogenwald, ou que ce qu'il y a fait n'a eu absolument aucune importance, quant au régime de la Vesdre, et je dis que, même dans ce cas, le crédit pétitionné ne s'en trouve pas moins complètement justifié et que les Chambres, à coup sûr, s'empresseront de le voter.

Que reste-t-il, le motif spécial du texte de la loi écarté ? Il reste le motif décisif qui engage le gouvernement aujourd'hui comme il l'a engagé hier et l'engagera demain à demander aux Chambres des crédits plus ou moins considérables, souvent plus considérables que le crédit sollicité en ce moment, pour des travaux d'une utilité publique incontestable.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Vous feriez bien de prendre des inspirations chez M. Thiers.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - On me dit d'aller prendre des inspirations chez M. Thiers. Mais il est beaucoup d'inspirations de M. Thiers que je serais très malheureux de suivre et en matière politique et en matière économique.

J'admets donc, pour simplifier la discussion, et sans restriction, l'hypothèse de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu et je me hâte d'ajouter que si le gouvernement a eu un tort, c'est d'avoir été trop scrupuleux dans cette circonstance exceptionnelle, dans la justification qu'il a voulu fournir à la Chambre, à l'appui de l'objet qui nous occupe, et de ne pas s'être contenté de l'indication du motif général et suffisant qu'il donne, lorsqu'il vient demander de l’argent pour des travaux publics, l'intérêt général.

Messieurs, est-il contestable que nous nous trouvions en face d’une (Page 1158) des premières industries du pays ? L'honorable membre ne l'a pas soutenu. Et, en effet, c'est un fait patent. L'industrie drapière, et par le capital qu'elle emploie et par le personnel ouvrier qu'elle occupe et par le renom qu'elle a, non seulement en Europe, mais au delà des mers, est certainement une des industries capitales du pays, une des industries qui méritent le plus la sollicitude de la Chambre.

Est-il contestable, d'un autre côté, que dans les conditions actuelles cette industrie ne peut se développer ni même se maintenir ? L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu n'a pas essayé non plus de le prétendre.

Par conséquent, nous voilà d'accord sur ces prémisses. Mais si nous sommes d'accord sur les deux autres points fondamentaux, que faut-il de plus ? La cause n'cst-elle pas gagnée ?

Vous avez un capital énorme à faire fructifier ; vous avez une population ouvrière des plus denses à qui il vous est facile de fournir des moyens de travail ; pourquoi hésiteriez-vous ?

Quelle est l'importance de cette population ouvrière ? Il ne s'agit pas seulement de l'industrie de Verviers, mais de l'industrie de tout le bassin de Verviers, il s'agit de l'industrie de Verviers, de celle de Dison, d’Ensival, de Dolhain ; il s'agit d'une population ouvrière de 50,000 aines.

Mais derrière les industriels de tout le bassin de Verviers, derrière ce capital énorme, derrière cette population ouvrière si importante, qu'avez-vous ? Vous avez le consommateur, c'est-à-dire le pays tout entier.

Ne sommes-nous pas tous intéressés à avoir des fabricats dans les conditions les plus favorables de prix et de qualité ?

Il ne s'agit donc pas de l'intérêt des industriels de Verviers, mais il s'agit en réalité de l'intérêt des consommateurs, c'est-à-dire de l'intérêt de tout le pays. L'honorable M. Le Hardy peut-il le nier ?

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - C'est du communisme.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Si c'est là du communisme, vous en avez fait vous-même beaucoup dans ces derniers jours et je vais vous le prouver.

L'honorable membre critique spécialement ce crédit ; mais il a voté sans réclamation aucune beaucoup d'autres crédits dont je vais lui rappeler la nature.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - J'ai réservé mon vote.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Vous avez voté ces crédits, en ce sens que vous n'avez pas élevé de réclamation, en cet autre sens encore qu'après avoir développé votre thème en matière de travaux publics, et avoir cité les cas où le gouvernement peut exceptionnellement intervenir selon vous, vous n'avez pas critiqué comme rentrant dans ces cas exceptionnels, en premier lieu le crédit demandé pour l'exécution du traité avec la Hollande.

Or, de quoi s'agit-il dans le traité ? D'abord, comme dépense d'une somme de 2 1/2 millions à 3 millions de fr. c'est à peu près la somme demandée pour Verviers ; ensuite, comme utilité directe, il s'agit de favoriser les irrigations ; pas autre chose.

L'honorable M. Thonissen a pensé le contraire, eh bien, j'ai été mêlé de très près au traité fait avec la Hollande ; il ne s'agissait au fond, je l'affirme, que des irrigations, et si le gouvernement avait voulu supprimer les irrigations, il n'y avait pas matière à traiter ; il y avait une économie de 2 1/2 millions au moins, à réaliser.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Il s'agit d'un travail international.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Qu'est-ce que cela fait ? L'exécution des travaux à faire en vertu de traité avec la Hollande, constitue, il est vrai, une œuvre internationale ; maïs c'est toujours exclusivement un intérêt belge qui motive notre dépense ;l es travaux sont internationaux, en ce sens qu'ils se font en partie sur le territoire hollandais et en partie sur le territoire belge ; mais au fond c'est uniquement pour favoriser nos nationaux que nous avons assumé cette forte dépense.

J'en arrive maintenant au port de refuge de Blankenberghe. L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, dans l'exposé de ses doctrines, a dit qu'en matière de ports et de côtes, le gouvernement devait intervenir. Or, le gouvernement a obtenu précédemment pour cet objet un premier crédit de 1,500,000 fr. ; à ce premier crédit vient se joindre le nouveau crédit de 300,000 fr. qui a été admis provisoirement par la Chambre dans la séance précédente sans un mot de protestation de la part de l'honorable M. Le Hardy ; ensemble, 1,800,000 fr.

Qui va profiter de ce sacrifice fait par le trésor ? En apparence ceux qui exercent l'industrie de la pêche à Blankenberghe. Je viens de dire qu'il y a 50,000 ouvriers dans le bassin de Verviers ; y a-t-il beaucoup plus de 500 pêcheurs à Blankenberghe ? Quelle différence donc, quant à l'utilité relative des deux catégories de travaux ? Mais la position encore une fois est la même il ne s'agit pas de l'intérêt de ceux qui se livrent à l'industrie de la pêche à Blankenberghe ; le produit de la pêche est une denrée alimentaire ; l'intérêt des consommateurs, c'est-à-dire du pays entier, est donc ici en jeu.

Qu'a dit l'honorable membre contre le crédit d'un million demande pour le canal de Turnhout à Anvers par Saint-Job ? Ce travail doit coûter à l'Etat 5 1/2 millions. Peut-on, quant à l'utilité relative, établir un parallèle entre le crédit qui est demandé pour le canal de Turnhout à Anvers et celui qui est demandé pour le bassin de Verviers ? Par le premier crédit, s'agit-il de féconder une industrie agricole ayant, comme l'industrie manufacturière du bassin de Verviers, une importance de 200 à 300 millions ? Pas le moins du monde, et cependant le troisième million pour la continuation du canal a été voté par l'honorable M. Le Hardy.

L'honorable membre a également voté, provisoirement, le crédit d'un million demandé pour la Mandel. Il y a deux ans, un premier crédit d'un million a été alloué. Quel but poursuit-on ici ? En construisant un canal entre la Lys et Roulers on veut favoriser une localité industrielle, Roulers, l'industrie toilière qui s'exerce dans cette localité ; mais l'industrie toilière de Roulers peut-elle être mise en parallèle avec l'industrie drapière du bassin de Verviers ? peut-on comparer le capital mis en œuvre par les industriels de Roulers avec le capital mis en œuvre par les industriels de Verviers ?

La différence est peut-être d'un à 50. Je ne suis pas sûr que Roulers comporte aujourd'hui une industrie de plus de quatre à cinq millions de francs.

Maintenant, par la construction de ce canal, cherche-t-on à procurer à l'industrie de Roulers un élément indispensable à son existence ? Non, messieurs, on cherche uniquement à lui fournir à meilleur marché les transports qui s'effectuent déjà aujourd'hui par chemin de fer dans de fort bonnes conditions.

C'est une question de centimes sur le transport d'une tonne de marchandises ; voilà de quoi il s'agit ; voilà pourquoi vous dépensez deux millions sans rien dire.

Bien plus ; la ville de Roulers est-elle intervenue dans les dépenses par un subside à peu près égal à celui du gouvernement, pour mettre ce nouvel instrument de travail de la manière la plus commode au service des industriels appelés à en profiter ? Et que fait la ville de Verviers, ou plutôt que font les industriels de Verviers par l'intermédiaire de l'administration communale de cette ville ?

Eh bien, messieurs, Roulers ne fait pas la moindre dépense, tandis que les industriels de Verviers dépenseront presque autant que l'Etat.

Voyez la différence et dites-moi s'il est possible d'accepter ainsi sans réclamer tous les crédits que je viens d'énumérer et de protester ensuite contre celui qui est proposé dans l'intérêt de Verviers.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - J'ai fait mes réclamations dans mon premier discours. Je ne puis pas réclamer à chaque paragraphe ; sinon, je ne cesserais pas de parler.

MfFOµ. - Vous avez admis le crédit pour la Senne.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Et celui pour la Mandel, et celui pour le port de refuge de Blankenberghe.

Vous voyez donc que le système de l'honorable M. Le Hardy n'est pas soutenable, et que s'il y persistait il aurait deux poids et deux mesures ; il donnerait moins à celui qui a les plus grands besoins et il donnerait plus à celui qui a le moins de besoins.

La Chambre, j'en suis persuadé, sera plus juste et plus logique.

L'honorable membre me dit : Mais si vous voulez donner de l'eau à la ville de Verviers, vous devrez en donner aussi aux autres ville, vous devrez en donner à Gand et à d'autres localités. Je l'ai interrompu en lui disant : c'est précisément ce qui nous avons fait, et en effet nous avons donné de l'eau propre à Gand, et en ce moment nous sommes occupés à donner de l'eau propre à Bruges. Nous avons donné de l'eau propre à Gand en construisant l'écluse d'Astene, aujourd'hui nous donnons de l'eau propre à Bruges en construisant le siphon de Schipdonck.

Quelle différence y a-t-il entre l'un et l'autre cas ? c'est une question d'argent et voilà tout. Mais un principe ne dépend pas de l'élévation de la dépense nécessaire pour le réaliser ; et j'ajoute que si au lieu d'avoir à dépenser 300,000 fr. pour donner de l'eau pure à Gand, il avait fallu dépenser 3 millions, je les aurais demandés à mes honorables collègues du cabinet, ceux-ci les auraient accordés. Je serais venu demander à la Chambre la ratification de cette décision et la Chambre évidemment ne l'eût pas refusée.

(page 1159) L'honorable membre est entré dans des détails techniques. Je ne le suivrai pas dans ces détails parce que le gouvernement et les Chambres ont comme garantie d'une bonne exécution tout un corps d'hommes spéciaux qui ont préparé les projets et qui y donneront suite sous leur responsabilité morale vis-à-vis du pays.

Messieurs, s'il était vrai, comme l'indique l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, que la vallée de la Gileppe ne peut fournir la quantité d'eau suffisante pour alimenter le réservoir qu'il s'agit de construire, je considérerais les auteurs du projet comme incapables et ils se seraient mis eux-mêmes au pilori de l'opinion.

Mais il n'en est rien ; j'ai à cet égard une confiance entière et lorsqu'un projet définitif me sera soumis par des hommes dont la compétence est certifiée par les fonctions mêmes qu'ils occupent, je croirai avoir toute sûreté que le travail à entreprendre remplira convenablement le but que l'on se propose.

L'honorable membre prétend que, dans les études préliminaires, l'on a agi avec précipitation. La vallée de la Gileppe, est-il dit, ne fournit que 6 millions de mètres cubes d'eau par an, et vous voulez aménager un réservoir pour 9 millions de mètres cubes.

Messieurs, nous voulons aménager une quantité non de 9, mais de 12 millions de mères cubes d'eau par an et au lieu de nous borner à faire des calculs sur des hypothèses, nous en avons fait hier sur des données certaines.

Pour prouver à l'honorable membre que le département des travaux publics ne prépare pas ses projets avec autant de légèreté qu'il le croit, je lui dirai que nous avons pris la précaution, au préalable, de faire des constatations très exactes, très précises sur la quantité d'eau que peut donner la vallée de la Gileppe, et qu'au lieu d'une quantité de 6 millions de mètres cubes, nous avons vérifié, par un jaugeage attentif, que la Gileppe fournit 1,800,000 mètres cubes. Je crois que dans ces 1,800,000 mètres nous pouvons trouver facilement les 1,200,000 mètres que nous assignons au réservoir.

Nous sommes donc parfaitement en règle et nous sommes certains du résultat que nous obtiendrons.

L'honorable membre m'a aussi demandé pourquoi, au lieu d'aménager la vallée de la Gileppe, nous n'aménagions pas la vallée de la Vesdre.

Messieurs, pour une bonne raison : c'est que ce serait mettre en pratique le sic vos non vobis. Nous travaillerions pour l'étranger. Nous vous proposons de faire une dépense plus ou moins considérable afin de maintenir chez nous cette magnifique industrie qui est éminemment nationale. Et que propose l'honorable membre ? Il propose de faire une œuvre qui engagerait l'industrie nationale à s'expatrier. Evidemment on irait en Prusse. Les établissements dont nous nous occupons se plaçant toujours en amont les uns des autres, là où l'eau pure manque, ils finiraient par passer la frontière et par aller enrichir l'étranger avec notre argent. En matière d'économie politique, l'honorable membre me permettra encore de ne pas admettre cette manière de procéder.

J'ajouterai un seul mot.

Je crois que nous pourrions mieux rédiger le paragraphe, d'après les explications que je viens de donner ; nous avons voulu ajouter une considération très grave, mais superflue, aux motifs décisifs qui existent en faveur du crédit. Pour couper court à toute espèce de difficultés, je propose de rédiger autrement le paragraphe et de dire simplement : « Réservoirs d'eau destinés à améliorer le régime de la Vesdre. »

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. David. - Je prends rarement la parole et aujourd'hui je serai très bref, la Chambre a hâte d'en finir, mais vous comprenez, messieurs, qu'en ma qualité de député de l’arrondissement de Verviers, je tiens à dire quelques mots pour rectifier des faits avancés par l’honorable M. Le Hardy de Beaulieu, j'y tiens d'autant plus que déjà anciennement dans cette enceinte j'ai recommandé l'exécution de ces réservoirs dans mes discours des 27 janvier 1848, 28 août 1851, 17 février 1853 et 5 avril 1853. J'aurai quelques renseignements à donner.

- Plusieurs membres. - Parlez !

M. Dewandreµ. - J'ai l'intention de parler contre le paragraphe. Je demande à pouvoir parler avant l'honorable M. David.

M. David. - Volontiers.

M. Dewandreµ. - Messieurs, nous sommes d'accord sur ce point, que ce ne peut pas être par ce seul fait que le gouvernement est propriétaire de la forêt de Hertogenwald et qu'il y a fait des travaux qui ont pu modifier le régime des sources de la Vesdre, que nous serions tenus de dépenser 3,250,000 fr. pour améliorer le cours de cette rivière et d'intervenir dans une distribution d'eau en faveur des industriels qui se trouvent le long de ce cours d'eau.

M. le ministre des travaux publics nous dit seulement qu'il s'agit d'un travail d'utilité publique et que le gouvernement doit y intervenir comme il intervient dans d'autres travaux d utilité générale.

Evidemment le gouvernement n'est pas tenu d'intervenir partout où il y a un travail d'utilité générale à faire. Je comprends cependant qu'il intervienne dans ceux qui présentent une très grande utilité publique.

Mais la question est de savoir si réellement les travaux dont il s'agit ici présentent ce grand caractère d'utilité.

Eh bien, quand je consulte les faits qui nous sont révélés par les personnes, même habitant Verviers, qui se sont le plus occupées de cette question, je doute que l'on rencontre ici ce grand caractère d'utilité publique dont a parlé M. le ministre des travaux publics.

En effet, qu'est-ce que je constate dans les discussions qui ont eu lieu à Verviers même, relativement à un projet de distribution d'eau pour cette ville ?

C'est que depuis que l'eau a diminué dans la Vesdre (car il paraît qu'elle a diminué), la production de l'industrie verviétoise a quintuplé. C'est ce que je trouve dans la brochure qui nous a été distribuée et qui émane de M. Fléchet, membre du conseil communal de Verviers, si je ne me trompe, et membre du conseil provincial de Liège. M. Fléchet rappelle l'opinion qu'il a émise sur cette matière ; il rappelle les opinions qui ont été émises par d'autres personnes intéressées, et il dit : « Chose remarquable et étonnante, la production de notre industrie a quintuplé et le volume de l'eau a diminué considérablement.

M. Fléchet ne va pas jusqu'à dire que c'est parce que l'eau a diminué que la production de l'industrie a quintuplé ; mais en fait, les deux circonstances se rencontrent en même temps.

L'eau diminue donc et la production augmente considérablement. Eh bien, je demande si ce n'est pas précisément parce que la production a tant augmenté que l'eau a diminué.

L'eau est tellement sale que les industriels ne peuvent plus s'en servir, mais est-ce la faute du gouvernement ? N'est-ce pas plutôt la faute des industriels eux-mêmes ?

Maintenant où est le grand intérêt qui commande de modifier cet état de choses ?

Il résulte des discussions qui ont eu lieu à Verviers, que ce grand intérêt n'existe pas. Il s'agit d'un capital de 200 millions d'après la section centrale, de 350 millions d'après l'honorable M. Moreau ; eh bien, on s'est adressé aux industriels, leur proposant d'intervenir dans la dépense ; ils ont refusé.

La première proposition émane de M. Jamme, commissaire d'arrondissement de Liège, qui a émis l'idée d'établir une wateringue pour le bassin de la Vendre ; les industriels avaient à intervenir ainsi que les communes riveraines de la Vesdre ; ces industriels ont déclaré qu'ils ne voulaient rien faire ; ils n'ont pas même voulu s'engager à prendre une certaine quantité d'eau si une distribution était établie.

Eh bien, messieurs, si réellement il s'agissait de faire fructifier un capital de 200 à 300 millions et une production de 84 millions par an, comme le dit l'honorable rapporteur de la section centrale, s'il s'agissait seulement d'augmenter cette production de 1 p. c, ce qui donnerait 810,000 fr. par an, comment les industriels auraient-ils déclaré qu'ils ne voulaient rien faire ? Comment se seraient-ils refusés même à prendre de l'eau ?

Le projet de wateringue a donc échoué. L'administration communale de Verviers a alors décidé de concéder la distribution d'eau à une société, mais on n'a pas trouvé de société, pour faire une proposition que la ville de Verviers ait considérée comme acceptable. Eh bien, s'il s'agissait d'une question de vie ou de mort pour un capital de 200 ou 300 millions et pour une production de 84 millions par an, il me semble qu'on aurait certainement trouvé des capitalistes disposés à entreprendre à leurs risques et périls l'exécution des travaux.

En présence de l'impossibilité de constituer une wateringue ou de trouver une société, la ville de Verviers s'est décidée à faire elle-même les travaux, et que demandait-elle alors au gouvernement ? La ville de Verviers faisait ce qu'a fait Bruxelles, mais ce qu'a fait Bruxelles sans aucun subside du gouvernement, la ville de Verviers voulait le faire en demandant un subside qu'elle fixait à un million. Voilà le chiffre maximum, car quand une commune demande un subside, elle demande toujours le chiffre le plus élevée qu'elle espère pouvoir obtenir.

Mais il paraît que depuis lors la ville de Verviers a réfléchi aux chances qu'il y avait à courir. Il y a deux espèces de travaux à exécuter ; il s'agit d'abord de créer un lac artificiel par un barrage à établir dans la vallée de la Gileppe ; c'est un travail difficile, un travail qu'on n'a pas encore fait dans ce pays. On ne sait pas si ce barrage résistera ; on ne sait pas si le sol n'est pas de nature à permettre la fuite des eaux. Il se peut encore que la digue soit emportée par une crue subite des eaux.

(page 1160) Il y a ensuite une autre espèce de travail parfaitement cornu, c'est la distribution d'eau : lorsque le barrage sera fait, il n'y aura qu'à établir un tuyau qui aille prendre l'eau au réservoir, et à la distribuer ensuite aux industriels.

Celte partie du travail, qui est facile et productive, la ville de Verviers la garde pour elle ; elle fera la distribution d'eau et se fera payer par les industries, et ce qui est curieux, c'est que je vois, dans un relevé des produits présumés de la vente de l'eau, que le gouvernement est taxé pour 4,000 fr. du chef de l'eau dont il aura besoin pour la station.

La ville de Verviers prend dans ce travail ce qui est facile et productif et elle laisse au gouvernement le soin de faire le travail difficile et improductif ; et d'un autre côté, il ne s'agit plus maintenant d'un subside d'un million, il s'agit de travaux à faire par l'Etat lui-même, et qui sont évalués à 3,250,000 fr.

Si le travail ne réussit pas, si les 3,250,000 francs ne suffisent pas, le gouvernement sera responsable de l'exécution des travaux.

Ce n'est point là l'attitude que le gouvernement prend pour d'autres travaux de même nature. Ainsi lorsque la ville de Bruxelles a fuai sa distribution d'eau, le gouvernement ne s'est pas chargé d'amener l'eau au réservoir de la ville, il ne lui a pas même accordé de subside.

Ainsi encore, quand il s'agit dis travaux de la Senne, le gouvernement ne se charge pas de faire une partie de ces travaux, il a soin de dégager sa responsabilité, il dit : Je veux bien intervenir par un subside, mais c'est à la ville et à la province d'exécuter les travaux à leurs risques cl périls.

Voici comment le gouvernement s'exprime à cet égard, dans une réponse faite à la section centrale :

« Il y a lieu de faire remarquer que la question d'assainissement qui s'agite rentre dans les attributions de la ville de Bruxelles et de la province de Brabant, et que par conséquent le gouvernement n'a point d'initiative à prendre. Il aura le devoir lorsqu'une solution sera intervenue de la part de ces autorités, d'examiner si elle se présente comme efficace et pratique, puisque c'est à la condition que cette solution révèle ce caractère, qu'il faut virtuellement subordonner la subvention qui serait accordée sur les fonds du trésor, si les Chambres adhèrent sur ce point au projet de loi qui leur est soumis. »

Pourquoi donc, messieurs, le gouvernement se fait-il, à Verviers, entrepreneur responsable, lorsque ailleurs, pour des travaux analogues, il ne veut prendre aucune responsabilité ? Au moins, si l'on admet que le gouvernement doit intervenir pour une somme quelconque dans la distribution d'eau, eh bien, qu'il intervienne par voie de subside, mais qu'il ne se fasse pas lui-même entrepreneur des travaux.

Je voterai donc contre le crédit, et si le crédit est rejeté, nous trouverons à l'employer à des objets dont l'utilité sera beaucoup plus grande. Je citerai, par exemple, la voirie vicinale et l'assainissement de certaines communes, notamment, de celles où existent les fièvres paludéennes.

D'un autre côté, s'il est vrai que les travaux projetés à Verviers doivent être utiles à des industries représentant un capital de deux à trois cents millions, ces industries peuvent faire elles-mêmes les travaux dont il s'agit, et elles les feront sans aucun doute.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - J'avoue, messieurs, que je ne comptais pas trouver l'honorable M. Dewandre sur la brèche pour attaquer le crédit de la Vesdre ; dans ma pensée intime, ceux qui avaient le moins de droit à réclamer contre la part faite à une localité quelconque, c'étaient ceux qui avaient évidemment la part du lion dans le projet de loi.

Si le gouvernement, si tous les contribuables, si le trésor public font des sacrifices importants en faveur d'une partie du pays, c'est en faveur de l'arrondissement de Charleroi, je vais vous prouver que mon allégation n'a rien que d'absolument certain.

M. Pirmez. - Qu'est-ce que cela a de commun avec l'arrondissement de Charleroi ?

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Je vais vous prouver que s'il y a quelque analogie dans la situation, c'est Charleroi qui obtient tous les avantages, tandis que Verviers n'a que ce qui lui revient rigoureusement.

Qua propose-t-on de faire pour l'arrondissement que représente l'honorable M. Dewandre ?

Un chemin de fer qui doit avoir dans deux directions, d'une part 40 kilomètres de voie nouvelle, entre Luttre et Bruxelles, d'autre part 18 kilomètres de voie nouvelle, entre Luttre et Châtelineau.

Est-ce que les honorables membres se contentent de la construction de ces 58 kilomètres de voies nouvelles ? Non, ils demandent en plus un nombre indéterminé de kilomètres d'embranchements.

M. Dewandreµ. - Laissez-les faire par l'industrie privée.

MfFOµ. - En puisant dans les caisses de l'Etat.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Nous avons donc, sans les embranchements, à construire 58 kilomètres de voies nouvelles. (Interruption.)

Vos interruptions, messieurs, ne me dérangent pas, mais je vous prierai de vouloir bien les faire successivement et non toutes à la fois.

Les chemins de fer de l'Etat coûtent, à l'heure qu'il est, par kilomètre en moyenne 370,000 fr.

Le chemin de fer de Bruxelles à Luttre et de Luttre à Châtelineau sera extrêmement cher à établir, et si nous ne dépassons pas la moyenne nous serons très heureux, mais en comptant seulement sur la moyenne cela fait un capital de 21,500,000 francs, sans les embranchements.

Nous allons mettre ce chemin de fer en adjudication, nous allons associer l'entrepreneur aux chances de l'opération, mais il est certain que nous payerons approximativement pour le service de l'intérêt et de l'amortissement 5 p. c., soit sur 21 1/2 millions au delà d'un million.

Mais le chemin de f e construit et cette obligation d'un million contractée à la charge du trésor, il faut exploiter ; faisons encore un calcul extrêmement modéré de ce chef.

Nous construisons 58 kilomètres de voies nouvelles. Les chemins de fer rapportent en moyenne en Belgique 45,000 fr. par kilomètre et la dépense d'exploitation est de 50 p. c., c'est-à-dire que ces 58 kilomètres coûteront au trésor, en frais d'exploitation, 1,305,000 fr. en comptant qu'on ne dépensera par kilomètre que la moitié du produit brut moyen ; mais les chemins de fer du Midi rapportent en général sensiblement plus que la moyenne et par conséquent coûtent sensiblement plus de frais d'exploitation.

Nous avons donc pour frais d'exploitation 1 1/2 à 2 millions. Pour intérêt et amortissement 1 million. Je ne compte pas les frais d'exploitation sur la section de Luttre à Charleroi et sur les embranchements, et cependant je devrais les compter.

Le chemin de fer de Châtelineau à Bruxelles coûtera donc à l'Etat en intérêt, amortissement et frais d'exploitation, de 3 à 4 millions et ces 3 à 4 millions d'où doivent-ils provenir pour ne pas constituer le trésor en déficit ?

Eh bien, le trésor sera en déficit si la dépense totale que je viens d'énumérer n'est pas couverte par l'accroissement spécial à provenir de la construction du chemin de fer nouveau. Car si cet accroissement spécial ne couvre pas la dépense indiquée, il est clair que celle-ci sera partiellement prélevée sur la recette que nous effectuons déjà sur la ligne de Bruxelles à Charleroi par Manage, qui verra ses transports détournés, et dont le produit diminuera en proportion.

M. Dewandreµ. - Je nie que vous ayez le droit d'exploiter Charleroi.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - On reproduit, tantôt sous une forme, tantôt sous une autre, cet éternel, et que les honorables membres me permettent de le qualifier ainsi, ce puéril argument qui consiste à dire que le chemin de fer nouveau sera une ligne excellente, qu'elle sera d'un grand produit.

Evidemment, elle sera d'un grand produit si vous portez à son actif tout ce qu'elle va prendre à l'ancienne ligne ; mais, encore une fois si les dépenses spéciales de la ligne nouvelle ne sont pas couvertes par l'accroissement spécial de recettes à provenir de son exploitation le trésor sera en déficit d'autant. Cela n'est pas contestable.

On nous dit : Vous n'avez pas le droit d'exploiter Charleroi.

Messieurs, il y a certaines lignes qui jouissent de ce privilège que le tarif n'est pas établi sur la distance réelle mais sur une distance fictive. Charleroi jouit de ce privilège.

M. Pirmez. - C est une erreur.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Consultez votre livret du chemin de fer et vous verrez qu'à partir d'une certaine localité sur la ligne da Bruxelles à Charleroi, le prix du transport reste invariable, qu'il n'augmente plus.

M. Pirmez. - Parce que la distance est la même.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Pas du tout. Est-ce que de Gosselies à Bruxelles la distance est la même que de Charleroi à Bruxelles ? Vous voyez bien que vous avez tort.

M. de Naeyer. - Cela s'explique.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Il n'existe que quatre de ces privilèges en Belgique, ni plus ni moins. S'il y a une raison pour l'accorder à Charleroi, les mêmes raisons existent pour l'accorder à bien d'autres localités.

(page 1161) Lorsque par la construction de la ligne nouvelle on aura obtenu vers le bassin de Charleroi un raccourcissement réel de 3 lieues, et je n'espère guère aller au delà, Charleroi n'aura gagné qu'une lieue quant au tarif, et c'est pour cela en partie que l'on dépensera 20 millions.

Et vous trouverez que vous êtes dans une position à réclamer contre le crédit affecté à Verviers ? Je ne le crois pas.

Faut-il venir au secours de Charleroi parce que le bassin de Charleroi péricliterait ?

Voici les résultats de l'exploitation de ces dernières années.

En 1859, je ne sors pas d'une période quinquennale, le bassin de Charleroi a extrait 2,993,000 tonnes de charbon. En 1863, le dernier exercice sur lequel je possède des renseignements, il en a été extrait 3,578,000 tonnes, c'est-à-dire qu'en cinq ans, l'extraction s'est augmentée de près de 600,000 tonnes.

Je crois donc que le bassin de Charleroi est dans un état de très grande prospérité, et qu'il n'a pas rigoureusement besoin du chemin de fer nouveau et des 2l,000,000 de fr. qu'il doit coûter, pour occuper en Belgique la grande place qui lui revient.

M. Pirmez. - Messieurs, je n'avais aucune intention de prendre part à ce débat, mais la réponse si singulière de M. le ministre des travaux publics vient m'y forcer. Je demande donc que la Chambre me permette de répondre à une attaque que rien n'avait provoquée.

MpVµ. - Votre réponse viendra plus à propos lorsque nous nous occuperons de l'article qui vous intéresse. En ce moment nous nous occupons de la Vesdre.

- Des voix. - La clôture !

- D'autres voix. - Non, non, parlez.

- Une voix. - Remettons la séance à demain.

M. Pirmez. - Je demande à la Chambre de me permettre de répondre à une attaque que M. le ministre des travaux publics a dirigée contre l'arrondissement de Charleroi sans aucune raison, sans même un prétexte. La Chambre ne peut pas me refuser de répondre...(Interruption.) Il n'y a pas un seul exemple dans les discussions de cette Chambre d'une réponse aussi étrange que celle que M. le ministre des travaux publics vient de faire à M. Dewandre.

M. Dewandre a discuté avec beaucoup de calme un article du projet ; il a examiné si l'un des crédits proposés par le gouvernement devait être ou non voté ; il a présenté des observations très justes contre l'adoption de ce crédit et sans faire entendre un seul mot de plainte relativement à l'arrondissement de Charleroi. Or, M. le ministre des travaux publics, qui s'est probablement trouvé gêné pour répondre à mon collègue, a trouvé ingénieux de faire une charge à fond contre l'arrondissement de Charleroi dont il n'était pas question. M. le ministre a prétendu démontrer que la production de la houille dans l'arrondissement de Charleroi avait doublé depuis un certain nombre d'années.

Je suppose cette affirmation parfaitement exacte, en quoi cela prouverait-il l'utilité d'un grand lac pour retenir les eaux de la Gileppe ? M. le ministre des travaux publics a trop de jugement pour croire qu'une pareille réponse puisse exercer quelque influence sur le vote, mais il a pensé sans doute qu'il empêcherait les critiques en disant des choses désagréables à M. Dewandre... Interruption). Il est impossible que M. le ministre explique sa réponse si ce n'est... (Nouvelle interruption.)

MpVµ. - Nous sommes au paragraphe relatif à la Vesdre, M. Pirmez.

M. Pirmez. - Je le sais, M. le président, mais vous avez toléré l'attaque de M. le ministre, je dois avoir le droit de répondre.

MpVµ. - Vous aurez l'occasion de répondre ; vous le voyez, la Chambre est impatiente d'en finir.

M. Pirmez. - Je ne puis laisser passer l'attaque de M. le ministre sans y répondre. (Parlez, parlez !) Je disais donc que la réponse de M. le ministre à M. Dewandre ne pouvait être dictée que par l'intention de lui être désagréable on par un sentiment d'hostilité contre l'arrondissement de Charleroi.

- Voix nombreuses. - Non, non !

M. Pirmez. - Qu'on m'en donne une autre raison. Est-ce que l'honorable ministre aurait prétendu prouver par cette digression l'utilité du travail que l'on veut exécuter à Verviers ?

- Une voix. - Vous prenez la mouche pour rien.

M. Pirmez. - J'examine maintenant la valeur des observations de M. le ministre.

L'honorable ministre prétend que l'arrondissement de Charleroi a dans le projet la part du lion...

- Des voix. - C'est vrai.

M. Pirmez. - Aucun arrondissement, dit-il, n'est avantagé comme l'arrondissement de Charleroi. Et savez-vous en quoi consistent les avantages ? Non pas même à laisser faire ce que l'arrondissement de Charleroi pourrait faire sans le concours du trésor, mais à faire faire ce travail de manière à procurer les bénéfices les plus grands au trésor.

- Une voix. - C'est très juste.

M. Pirmez. - L'arrondissement de Charleroi, qui est le centre producteur de matières pondéreuses le plus important du pays, n'est pas, à l'heure qu'il est, relié d'une manière directe à la capitale. L'arrondissement de Charleroi demande un chemin de fer direct vers Bruxelles ; il peut se passer de l'intervention du gouvernement ; il lui dit simplement : « Concédez ce chemin de fer comme vous en concédez partout à ceux qui en demandent. »

On ne peut faire de demande plus légitime que celle-là. Et l'octroi de cette demande si juste constituerait la part du lion dans le projet, bien que pas un centime de l'emprunt ne doive y être consacré t

L'honorable ministre objecte que c'est un sacrifice pour l'Etat parce que l'Etat a déjà un chemin de fer vers Charleroi. Je note d'abord que ce chemin de fer est une excellente affaire et qui rapporte de gros intérêts.

MfFOµ. - Elle en rapportera moins.

M. Pirmez. - Et pour cela vous nous refuserez de faire un chemin de fer ?

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Nous vous proposons de le faire.

M. Pirmez. - Sans doute, mais à titre de faveur. Vous prétendez donc avoir le droit d'exploiter l'arrondissement de Charleroi ; mais je vous le demande, avez-vous raisonné ainsi lorsque vous avez concédé le chemin de fer de Liège à Aix-la-Chapelle par Herve ? C'était alors un droit pour l'arrondissement de Verviers ; vous n'êtes pas venu nous dire que l'Etat faisait de gros sacrifices en faveur de cet arrondissement, bien que la plus grande distance entre la voie existante et la voie nouvelle n'était pas de deux lieues et que le raccourcissement total entre Aix-la-Chapelle et Liège était insignifiant.

MfFOµ. - Il existait une voie concurrente.

M. Pirmez. - Et pour l'arrondissement de Charleroi n'y a-t-il pas de voie concurrente ? Est-ce que la ligne par Ottignies n'est pas un chemin pour venir à Bruxelles également ? Mais ce que vous opposez à l'arrondissement de Charleroi, vous ne l'avez pas opposé à l'arrondissement de Verviers.

Vous prétendez encore que l'arrondissement de Charleroi jouit d'uu privilège en matière de chemin de fer.

Il est curieux de voir en quoi consiste ce privilège.

Vous appliquez à l'arrondissement de Charleroi une disposition générale des lois de tarifs qui porte que lorsqu'une voie fait un détour, on ne compte ce détour dans le prix de transport que pour une partie, en sorte que le prix soit calculé sur une moyenne entre la distance parcourue et la distance réelle.

Et cette disposition générale, quand elle s'applique à Charleroi, constitue un privilège !

Mais je voudrais bien savoir quel privilège il y a à faire un immense détour ; nous sommes obligés de rester plus longtemps en route ; nous payons plus que nous ne payerions pour être transportés directement et on ose venir dire ici que par là nous jouissons d'un privilège ! (Interruption.)

C'est cependant le langage de M. le ministre des travaux publics ; le comprendrait-on, s'il ne s'agissait de Charleroi ?

L'arrondissement de Charleroi est vraiment comblé de privilèges.

Il a un canal le plus mauvais de tous les canaux, le plus petit de section, celui sur lequel la navigation est la plus difficile, celui sur lequel les chômages sont les plus fréquents, celui qui conduit au but par le plus grand détour. Eh bien, malgré tous ces inconvénients, on nous fait payer pour naviguer sur ce mauvais canal plus qu'on ne paye sur les plus magnifiques canaux du royaume. Que dis-je ! ce canal doit payer plus que tous les autres canaux du pays !

Par un projet de loi qui nous est présenté, ces péages exorbitants seront abaissés ; les droits sur le canal dépasseront encore tous les autres droits de navigation, mais on nous démontrera encore que parce que les proportions de l'iniquité seront moindres, nous jouissons d'un privilège.

Je m'arrête, messieurs, s'il convient à M. le ministre de rouvrir ce débat qu'il a provoqué dans la discussion de l’article 2, je démontrerai que les détails et les chiffres qu'il a cités sont aussi inexacts que ses aperçus (page 1162) généraux. Il me suffit de n'avoir pas laissé sans défense les intérêts de l'arrondissement que je représente plus spécialement.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Messieurs, l'honorable préopinant me demande si je veux continuer cette discussion et il se déclare prêt à me suivre.

Je ne m'y refuse pas, pas plus que je ne l'y convie. Mais s'il veut, lui, continuer la discussion quant à la position de l'arrondissement de Charleroi, je le prie d'en élaguer tout ce qui concerne le chemin de fer direct de Bruxelles à Châtelineau, attendu que ce chemin de fer, le gouvernement le propose. Ainsi il est inutile de le préconiser et de démontrer compendieusement quels droits l'arrondissement de Charleroi peut y avoir. Nous l'apportons spontanément et librement ; par conséquent, nous trouvant d'accord à ctl égard, tout débat ultérieur serait sans objet.

L'honorable membre a taxé d'étrange la réponse que j'ai faite à l'honorable M. jDewandre, et il ne se l'explique que dans l'un ou l'autre terme de cette alternative : ou j'en veux personnellement à l'honorable M. Dewandre, ou je eherche à échapper à la démonstration de l'utilité que peut offrir le crédit demandé pour la Vesdre.

Sur ce dernier point, j'ai pris la parole, et je crois avoir apporté quelques arguments en faveur de ce crédit,

Sur le premier point, je ne croîs pas devoir répondre. L'honorable M. Dewandre, mieux que personne, sait que c'est là une vainc supposition, invoquée par l'honorable M. Pirmez, à son tour, pour la rotondité de la période.

Mais il y a un troisième terme, et c'est celui-ci : j'ai voulu prouver que le gouvernement avait équitablement établi la répartition de la somme globale qu'il demandait pour travaux publics. J'avais déjà parlé de la Vesdre. J'ai parlé du chemin de fer de Charleroi, parce que l'honorable M. Dewandre appartient à l'arrondissement de Charleroi.

Je me suis permis d'établir la pondération entre le bassin de Charleroi que représente l'honorable M. Dewandre, et le bassin de la Vesdre. J'en avais, je pense, parfaitement le droit.

- La discussion est close.

Le paragraphe 11, rédigé comme le propose M. le ministre, est mis aux voix et adopté.

La séance est levée à cinq heures.