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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 23 juin 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. Vandenpeereboomµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1247) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Thienpont, secrétaireµ, fait lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Des habitants d’Enghien demandent que l'expulsion d'un étranger pour motif politique ne puisse avoir lieu sans l'avis conforme de l'une des chambres de la cour d'appel dans le ressort de laquelle l'étranger séjourne et que la loi contienne une disposition pénale contre le propriétaire étranger qui intervient activement dans nos luttes électorales. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif aux étrangers.


« Des industriels et propriétaires à Péruwelz présentent des observations contre le projet de loi qui accorde à la société du Haut et du Bas-Flénu la concession d'un chemin de fer de Saint-Ghislain à Frameries. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Le conseil communal de Renaix prie la Chambre d'accorder à la compagnie du chemin de fer Hainaut-Flandres la concession du prolongement de la ligne actuelle de Saint-Ghislain à Frameries. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la concession d'un chemin de fer de Saint-Ghislain à Frameries.


« L'administration communale d'Ath demande que cette ville et son arrondissement administratif soient dotés d'un tribunal de première instance et de commerce. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« M. le ministre de la justice fait hommage à la Chambre de deux exemplaires de la liste chronologique des édits et ordonnances de l'ancien duché de Bouillon de 1240 à 1795. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. de Macar, obligé de s'absenter, demande un congé d'un jour. »

- Ce congé est accordé.

Demande de levée d’une immunité parlementaire et demande d’autorisation de poursuivre pénalement le ministre de la guerre

Rapport de la commission spéciale

M. Ortsµ. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le projet de résolution que la commission spéciale, nommée par le bureau peur examiner la lettre de M. le procureur général près la cour de cassation, soumet à la Chambre.

La commission a été, à l'unanimité de ses membres, d'avis qu'il y avait lieu d'accorder l'autorisation de poursuites demandée.

Voici le projet de résolution :

« Vu la lettre de M. le procureur général près la cour de cassation, en date du 21 juin 1865, par laquelle il demande l'autorisation de poursuivre MM. Delaet, membre de la Chambre, et le lieutenant général baron Chazal, ministre de la guerre, sous la prévention de délits punis par la loi du 8 janvier 1841 ;

« Vu l'article 45 de la Constitution et l'article 2 de la loi du 19 juin 1865 ;

« Donne l'autorisation de poursuivre MM. Delaet, membre de la Chambre des représentants, et le lieutenant général baron Chasal, ministre de la guerre, sous la prévention d'infraction à la loi du 8 janvier 1841. »

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met comme premier objet à l'ordre du jour de demain.

Projets de loi allouant des crédits supplémentaires et extraordinaires au budget du ministère des travaux publics

Rapports de la section centrale

M. de Moorµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale chargée d'examiner le projet de loi allouant un crédit extraordinaire de 80,000 fr. au département des travaux publics.


M. Bouvierµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi allouant au département des travaux publics des crédits supplémentaires s'élevant à 885,032 fr. 55 c.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite des objets à l'ordre du jour.

Projet de loi prorogeant la loi relative aux étrangers

Discussion générale

M. Van Humbeeckµ. - Je demande à la Chambre la permission de lui lire, pour les déposer ensuite, les amendements dans lesquels j'ai résumé les idées que j'ai eu l'honneur de développer devant elle.

« Art. 1er. L'étranger, résidant en Belgique, peut être contraint par le gouvernement de s'éloigner d'un certain lieu, d'habiter dans un lieu déterminé et même de sortir du royaume dans les cas suivants :

« 1° S'il a été condamné à l'étranger ou s'il y est l'objet d'une poursuite non encore terminée, soit pour les crimes et délits qui donnent lieu à l'extradition, conformément à la loi du 1er octobre 1833, soit pour larcins ou filouteries, mendicité ou vagabondage, banqueroute simple, abus de confiance, attentat aux mœurs ;

« 2° S'il a été condamné en Belgique à raison des mêmes faits ;

« 3° Si, depuis l'établissement de sa résidence en Belgique, il a commis des actes directement hostiles à un gouvernement étranger, formellement prévus et punis par les lois répressives en vigueur sur le territoire de celui-ci et de nature à troubler la sécurité des relations de la Belgique avec ce gouvernement.

« Art. 2. (Non modifié.)

« Art. 3. Les mesures autorisées à l'article premier sont prises par arrêté du ministre de la justice, sauf les expulsions fondées sur les causes prévues au n°3 de l'article, qui ne peuvent être ordonnées que par arrêté royal.

« Tout arrêté porté en vertu de l'article premier est signifié par huissier à l'étranger qu'il concerne. Il est accordé à l'étranger un délai qui doit être d'un jour franc au moins.

« L'arrêté royal ordonnant une expulsion en vertu du n°3 du même article, est en outre publié au Moniteur le jour de la signification au plus tard ; il est motivé ; il indique succinctement les faits qui donnent lieu à l'expulsion, et l'époque à laquelle ils se sont accomplis ; il mentionne que l'expulsé a fourni ou a été invité à fournir ses explications au ministre de la justice ou à son délégué.

« Art. 4. (Supprimer la dernière phrase.)

« Art. 5. (Reste.)

« Art. 6. Si l'étranger, à qui il a été enjoint, conformément à la loi, de sortir du royaume, refuse d'obéir à l'injonction ou s'il rentre sur le territoire, il est condamné à un emprisonnement de quinze jours à six mois ; à l'expiration de sa peine, il est conduit hors du royaume par la force publique.

« Lorsque le refus de sortir du territoire se rapporte à un arrêté d'expulsion porté en vertu du n°3 de l'article premier, la peine peut être réduite conformément à l'article 6 dé la loi du 15 mai 1849.

« Dans le même cas, l'article 2 de la loi du 18 février 1852 sur la détention préventive est applicable à l'étranger dont la résidence, dans cette poursuite spéciale, est assimilée à un domicile.

« Art. 7. (Additionnel.) Défense d'entrer et de séjourner en Belgique peut être faite par le gouvernement à l'étranger qui se trouve dans les cas prévus par les dispositions des numéros 1 et 2 de l'article premier de l'article 272 du code pénal et de l'article 3 de la loi du 3 avril 1848, comme aussi à l'étranger qui aura été antérieurement expulsé en vertu de l'article premier, numéro 3.

« Toute contravention à cette défense sera punie des peines indiquées à l'article précédent.

« Le Roi déterminera par un arrêté le mode suivant lequel cette défense sera prononcée.

« Art. 8. (Additionnel.) Lorsque des événements graves accomplis sur le territoire ou au dehors mettent la paix publique en danger, et que tout retard à l'adoption des mesurée exceptionnelles commandées par les circonstances doit être préjudiciable aux intérêts nationaux, un arrêté royal peut mettre temporairement les étrangers, voyageant, séjournant ou résidant depuis moins de trois ans en Belgique, sous la surveillance spéciale du gouvernement, qui peut alors leur enjoindre de sortir du (page 1248) territoire, si, à raison de la situation du moment, il juge leur conduite ou même leur seule présence susceptible de troubler l’ordre intérieur ou les relations extérieures du pays.

Cet arrêté royal ne peut être pris pour plus de six mois ; il est soumis immédiatement à l'approbation des Chambres, si celles-ci sont assemblées, sinon il leur sera soumis dès l'ouverture de leur prochaine réunion ; les effets n'en peuvent être prorogés que par une loi.

« Art. 9. (Additionnel ) A l'exception de l'article 272 du Code pénal et de l'article 3 de la loi du 3 avril 1848, sont abrogées toutes les lois antérieures à la présente et relatives au renvoi des étrangers, à leur expulsion et aux conditions auxquelles peut être subordonné leur séjour dans le pays.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces amendements.

M. Coomansµ. - Messieurs, après les excellents discours que nous avons entendus hier, je veux parler de ceux de MM. Reynaert et Vau Humbeeck, je pourrai abréger de beaucoup celui que j'avais à vous faire.

Pour prévenir la monotonie des redites, je me bornerai à quelques observations sommaire» qui ne vous ont pas encore été présentées.

La section centrale, le gouvernement et la presse officieuse affectent de nous demander la « prorogation » de la loi de 1835, relative aux étrangers.

Messieurs, c'est là une erreur qui n'est pas sans gravité ; il ne s'agit pas de proroger la loi de 1835 ; il n'y a plus de loi de 1835 ; cette loi est morte depuis le 1er mars de l'année dernière... (Interruption.) Elle n'est pas enterrée encore, mais j'ai quelque espoir d'assister à cette cérémonie funèbre.

M. Delaetµ. - Ne l'enterrez pas ici ; il n'y a que les enterrés qui ressuscitent.

M. Coomansµ. - La vérité est que l'on nous demande l'exhumation de la loi de 1835. L'intitulé est faux, j'allais dire hypocrite ; ne parlons plus de la prorogation de la loi de 1835 ; parlons de l'exhumation, mais plus de la prorogation ; ce mot est faux ; le Dictionnaire de l’Académie nous dit que prorogation lignifie délai, prolongation de temps ; il ne s'agit pas de prolonger la durée de la loi de 1835, il s'agit de la ressusciter, ce à quoi nous nous opposerons de notre mieux.

Mon observation est importante à ce point de vue-ci que nous sommes privés de la loi de 1835 depuis seize mois, et que je ne me suis pas aperçu pendant cinq minutes que la sûreté publique du pays fût en danger.

Si nous avons pu nous passer depuis seize moi» de ce palladium moins honorable que celui de la sage Minerve, il me semble que nous pourrions proroger encore un peu cette situation (interruption), oui, la proroger, ce qui serait exactement parler, prolonger encore un peu cette filiation, attendre et réfléchir aux bonnes observations qui nous ont été présentées particulièrement par l'honorable Van Humbeeck jusqu'à cette heure.

Si la loi n'a pas été nécessaire depuis le 1er mars 1364 jusqu'à la Saint-Jean de 1865, il ne m'est pas démontré du tout qu'elle le soit d'ici à la Saint-Sylvestre.

Attendons encore ; comment croire que si cette nécessité avait été aussi lumineuse que le prétend l'honorable M. Bouvier, le gouvernement aurait manqué à son premier devoir, celui de sauvegarder la sécurité nationale et qu'il ne nous aurait pas demandé en temps utile avant le 1er mars 1864, la prorogation de cette triste loi ?

Il n'en a rien fait et il nous a fourni ainsi un argument qui n'est pas sans valeur. Mais nous avons beaucoup d'autres argument». . Le principal pour moi dans un pays de liberté, c'est qu'il faut que la Chambre reste en communion avec la nation. Or, messieurs, il m'est démontré que l'immense majorité des Belges est hostile à l'exhumation da la loi de 1835. Cela se prouve, à mon sens, par le langage de la presque unanimité de» journaux et par d'autres démonstrations publiques, notamment par celle des meetings, que je tiens pour parfaitement légitime, constitutionnelle et indispensable.

Il y a, je crois, environ 225 journaux en Belgique. Eh bien, il n'en existe que 3 qui se soient prononcés en faveur du système du ministère, et l'opinion de ces trois journaux est quelque peu suspecte au point de vue de sa signification nationale, parce qu'elle peut se confondre avec celle du ministère lui-même.

Messieurs, c'est là une observation sérieuse.

Tous les journaux belges moins deux ou trois nous convient à laisser dans les limbes la loi de 1835. Des meetings nous ont adressé la même prière et toutes sortes de manifestation de l'opinion publique nous prouvent que tel est bien le vœu national.

Ensuite cette législation draconienne contre les étrangers est positivement contraire à nos mœurs et à notre histoire ; à nos mœurs, c'est une appréciation que nous avons à faire ; à notre histoire, c'est plus facile à démontrer. Il y a des siècles, quand la Belgique, je veux dire les Belges (car il n'y avait pas de Belgique) étaient beaucoup moins forts qu’ils ne le sont aujourd'hui et quant ils ne jouissaient pas de la force défensive et offensive de l'Angleterre, ils exerçaient l'hospitalité de la manière la plus large, complètement à l'anglaise.

Je vous fatiguerais de lectures si je vous apportais les preuves de cette assertion, mais elles fourmillent dans notre histoire. Un simple comte de Flandre osait, avec avantage, s'opposer à des demandes d’expulsion formulées par de grands royaumes.

Messieurs, il y a un argument qui m'inquiète et m'intrigue dans la bouche de nos honorables contradicteurs. On ne cesse de nous parler de la sécurité du pays que nous tendons à compromettre. Sans insister sur l'opinion de M. Bouvier, je vous exposerai celle de la section centrale. La section centrale nous apprend (page 4 du rapport) qu'il est résulté des explications de M. le ministre de la justice « que l'absence momentanée d'une loi dont l'effet comminatoire seul a toujours été salutaire, a appelé en Belgique un grand nombre de malfaiteurs de tous les pays et a permis certains étrangers de poser des faits de nature à compromettre la sécurité du pays. »

Ces faits ne me sont pas connus, et je voudrais bien les connaître.

Plus loin, même page, la section centrale nous dit que l'étranger ne peut pas prétendre au droit de citoyen lorsqu'il devient un danger pour le pays dans lequel il est accueilli. Quelques lignes plus loin je vois dans le rapport : « L'intérêt légitime que nous portons au malheur souvent immérité de ceux qui viennent nous demander aide et protection, deviendrait un aveuglement coupable s'il nous faisait oublier le devoir de notre propre sécurité. »

Plus loin encore : « Malheureusement il y a des esprits inquiets et turbulents qui passent leur vie à conspirer contre tous les gouvernements et à saper les bases de toute société. » Je ne me suis pas encore aperçu que les étrangers aient sapé les bases de la société belge. Le rapport dit plus loin : « Le premier des droits et des devoirs du gouvernement, c'est de veiller à la sécurité publique, de protéger le pays contre tout ce qui, du dehors surtout, peut compromettre sa sûreté ; » le priver des moyens d'accomplir cette mission, serait manquer à la première des lois humaines, « celle de la conservation. Aucun homme d'Etat sérieux n'accepterait une pareille situation. »

Plus loin encore : « Comment spécifier toutes les circonstances où l'ordre et la tranquillité publique peuvent se trouver compromis ? »

« Le gouvernement seul peut apprécier à chaque heure ce que réclame l'intérêt public, etc. etc. »

Tout cela signifie, si j'entends le français, que le vote de la loi nous est imposé. J'engage le gouvernement à s'expliquer nettement à cet égard et à nous dire, je lui en fais l'interpellation formelle, si un ou plusieurs gouvernements étrangers ont exigé de lui la restauration de la loi de 1835.

Si la réponse de nos ministres est affirmative, je l'examinerai, je rechercherai si la nécessité de subir la loi du plus fort exige dans une certaine mesure le sacrifice de notre indépendance, da notre liberté, de notre dignité. Mais si la réponse du gouvernement est négative, c'est-à-dire s'il nous assure qu'aucun gouvernement n'exige de nous, sous peine de voir notre sécurité publique sérieusement compromise, la restauration de la loi de 1835, alors, messieurs, je trouverais sa conduite inexplicable, injustifiable et je redoublerais d'efforts pour empêcher le vote de la loi.

La seule justification que le gouvernement puisse nous présenter, c'est l'aveu du fait auquel je fais allusion.

Il n'est pas honteux, je le reconnais, d'être faible, pas plus qu'il n'est toujours glorieux d'être fort. Mais ce qui serait honteux, ce serait de faire, de gaieté de cœur, des lois inutilement barbares.

On nous parle en vain des garanties qu'offrent aux étrangers la presse et la tribune. Cela est illusoire. L'opinion publique et nous-mêmes ne connaissons pas le premier mot des expulsions : on expulse des milliers d'étrangers sans que nous en sachions rien. Comment dons voulez-vous que la presse, la Chambre, l'opinion publique se prononcent à cet égard ? C'est impossible.

Il est même à remarquer que les arrêtés royaux d'expulsion ne figurent pas au Moniteur, ce qui est assez grave et ce qui rend nécessaire l'adoption, entre autres, d'un amendement formulé il y a quelques minutes par l'honorable M. Van Humbeeck. (Interruption.)

M. Lelièvre. - Les arrêtés royaux concernant des particuliers, par exemple, ceux qui accordent la grâce aux condamnés, ne doivent pu être publiés au Moniteur.

M. Coomansµ. - Tous les arrêtés royaux devraient figurer au Moniteur.

M. Guilleryµ. - Non ! non ! pas les arrêtés royaux d'intérêt individuel.

(page 1249) M. Coomansµ. - Cela est très contestable. (Interruption.)

MfFOµ. - Lisez la loi ; elle est formelle.

M. Coomansµ. - Dans un pays de publicité et de responsabilité comme le nôtre, tous les arrêtés royaux devraient figurer au Moniteur. On y insère une foule de choses infiniment moins intéressantes.

Mais si vous me dites que vous ne devez pas insérer ces arrêtés, que vous avez le droit de vous en faire un mystère, que venez-vous nous parler de la garantie offerte aux étrangers par l'appréciation que nous pouvons faire de ces arrêtés que nous reconnaissons pas ?

M. de Liedekerke). - La remarque est très juste.

M. Coomansµ. - J'adhère, dans leur ensemble, aux observations présentées par les honorables MM. Reynaert et Van Humbeeck. Cependant, je trouve que ces honorables membres ont fait peut-être trop de concessions au malheureux préjugé qui a trop longtemps fait proroger la loi de 1835.

A mes yeux, la meilleure loi sur les étrangers sera celle qui supprimera toutes les lois relatives aux étrangers, en accordant seulement au pouvoir exécutif le droit d'expulser du pays tous les individus étrangers frappés d’une condamnation judiciaire et infamante. C'est le seul droit que je voudrais voir attribuer au gouvernement. Ce droit est conforme, je ne dirai pas au droit des gens : je n'en connais pas, il n'y pas de droit des gens, mas il est conforme au droit naturel et social, et je l'exercerais moi-même de bon cœur.

Expulser du pays des gens indignes d'y vivre, c'est parfait ; mais expulser du pays un pauvre diable dont le seul crime, le seul tort est d'être pauvre, ou un politique original qui vient nous prêcher des théories quelconques, cela est absurde, cela est barbare.

On m'accusera peut-être encore une fois de manquer de patriotisme ; mais, messieurs, je ne place pas le patriotisme dans cette passion exclusive qui pousse à la haine de l'étranger.

Je suis homme, je suis chrétien, et je considère tout les étrangers, non seulement comme des Belges, - ce serait trop peu dire, - mais comme des frères.

C'est mon devoir et je n'accorde à personne, pas même au chef de mon pays, le droit d'expulser un honnête homme, parce qu'il n'a pas eu le bonheur équivoque, hasardeux, d'être né à quelques pas de chez moi, dans ma petite patrie.

J'avoue - je veux être franc avant tout - que j'aime et estime beaucoup plus un certain nombre d'amis que j'ai a l'étranger que plusieurs millions de Belges que je ne connais pas.

Expulsez donc les coquins, même ceux que vous suspecterez raisonnablement de l'être : j'y consens. Mais expulser des hommes honnêtes, soit parce qu'ils sont pauvres, ce que je n'admettrai jamais, soit parce qu'ils sont brouillés avec les chefs de leur pays, c'est une absurdité, c'est une indignité, c'est une lâcheté, c'est un attentat à l'humanité, a la liberté !

On fait la guerre aux politiques rêveurs ; on ne veut pas qu'ils viennent troubler la paix, l'harmonie exemplaire qui règnent dans notre pays.

Mais l'argument peut mener loin. S'il peut être utile d'expulser un original étranger du territoire belge, avec un peu de logique, on trouverait aisément qu'il est utile et même indispensable d expulser du pays un très grand nombre de rêveurs nationaux, parmi lesquels j'avoue que je compte aussi.

Cet argument, je le répète, peut mener loin : il conduit à l'expulsion de Manuel de la Chambre.

Si l'on était logique, il faudrait commencer par expulser du pays bien des Belges, avant de procéder à cette opération contre des étrangers.

J'honore plus mon pays, je n'ai pas peur des rêveurs étrangers, pas plus que des rêveurs belges, et quand je vois les tristesses de la réalité, je ne crains pas l'idéal, pas même quand il paraît absurde.

Je ne voterai pas cette loi, et je désire pour l'honneur de mon pays, pour l'honneur de cette Chambre, pour l'honneur de nos institutions, qu'elle soit rejetée à une immense majorité.

M. Funck. - Messieurs, j'avais demandé la parole pour combattre le projet de loi qui vous est présenté. Certains orateurs qui ont été entendus avant moi, ayant développé les motifs graves qui militent contre la prorogation de la loi de 1835, je ne prendrai plus la parole que pour justifier le vote que je me propose d'émettre, vote qui sera négatif.

Toute loi exceptionnelle est essentiellement odieuse ; elle ne peut se justifier que par des inconstances tout à fait exceptionnelles, et elle doit cesser ses effets le jour où les raisons qui ont fait naître la loi ont cessé d'exister.

Je n'ai pas à m'expliquer ici sur les motifs qui ont donné naissance à la loi de 1835 sur l'expulsion des étrangers. Mais, quoi qu’il en soit, il est évident que nous nous trouvons aujourd'hui dans des conditions tout autres.

Il est évident que la législature qui a voté cette loi, ne l'a votée qu'avec une excessive défiance et ne lui a attribué qu'un caractère essentiellement temporaire,

Depuis cette époque, elle a été, il est vrai, renouvelée à diverses reprises, mais enfin il est arrivé un moment où la loi a cessé d'exister.

Y a-t-il aujourd'hui des raisons graves et sérieuse pour la renouveler ? Je cherche vainement ces raisons. Jusqu'à présent, on ne nous les a pas fait connaître.

Je sais bien qu'on oppose aux adversaires de la loi la nécessité de défendre le pays contre les entreprises des étrangers qui viennent y résider.

Je sais bien qu'on nous oppose encore le besoin de maintenir les bonnes relations avec les gouvernements voisins.

Je dois vous le dire, messieurs, ces raisons ne m'émeuvent guère ; non pas que je conteste leur importance, mais parce que je ne pense pas qu'il faille leur sacrifier le droit d'asile, qu'il faille leur sacrifier le vieux principe de l'hospitalité belge.

Le droit commun et les lois existantes sont suffisantes pour protéger et le gouvernement belge et les gouvernements étrangers contre les attaques de ceux qui viennent résider parmi nous.

Que si l'on prétend cependant que ces lois ne sont pas suffisantes, que si l'on prétend qu'il y a des faits coupables pouvant être posés par des étrangers, mais que ces faits ne sont pas prévus par nos lois, qu'on nous le dise, qu'on nous signale ces faits, qu'on nous dise que le pouvoir judiciaire sera chargé d'appliquer les dispositions nouvelles qu'on réclame et je suis convaincu que la législature ne voudra pas que lepouvoir reste désarmé vis-à-vis de ces attaques, vis-à-vis de ces dangers.

Mais, messieurs, la loi ne peut-elle pas accorder cette protection, ne peut-elle permettre au gouvernement de se défendre sans tomber dans l'arbitraire ?

Faut-il que l'étranger qui vient résider parmi nous soit livré au bon vouloir de la police ? Faut-il exposer cet étranger et sa famille, dans certaines circonstances, à être poursuivi, à être persécuté jusque dans ses moyens d'existence ? Et c'est ce qui est arrivé à diverses reprises.

La loi de 1835 contient à mon avis deux vices radicaux. D'une part, elle soumet l'étranger à l'arbitraire de la police sans garantie aucune ; d'autre part, elle constitue, dans les mains du gouvernement, une arme dangereuse dont il peut être obligé quelquefois d'user malgré lui, contre son gré, par suite de la question que peut exercer sur lui un gouvernement étranger.

A ce double titre donc, messieurs, je la repousse, tout en déclarant que si malheureusement le principe était admis, je me rallierais à tous les amendements qui seraient de nature à en atténuer la rigueur.

Un dernier mot, messieurs : quand je vois une loi repoussée par la presque unanimité de la presse, quand je la vois condamnée par les associations politiques auxquelles plusieurs d'entre ceux qui siègent sur( les bancs de la gauche et moi tout le premier, nous devons l'honneur d'être ici, cette loi est condamnée par l'opinion publique et je considère comme un acte impopulaire, comme un acte impolitique de vouloir ressusciter sans des motifs sérieux et avouables.

(page 1253) M. de Vrière, rapporteurµ. - Messieurs, j'éprouve quelque embarras à prendre en ce moment la parole, car, en venant défendre la loi de 1835, je dois naturellement rencontrer les objections importantes, nombreuses, qui ont été produites contre cette loi par un honorable membre qui hier vous a présenté un système entièrement nouveau.

Ce système qui a été développé dans un discours remarquable et qui vient d'être énoncé dans une série nombreuse d'amendements, la Chambre reconnaîtra qu'il est extrêmement difficile de le saisir à une simple audition. Cependant, messieurs, je vais tâcher de rencontrer d'une manière sommaire au moins les objections de l'honorable M. Van Humbeeck et de combattre le système qu'il a produit.

Je lui demande pardon d'avance s’il m'arrivait de reproduire ses idées d'une manière inexacte. Je répète qu'il m'est extrêmement difficile de parler de son discours après l'avoir simplement entendu.

L'honorable M. Van Humbeeck a fait le procès non seulement de la loi de 1835, mais de toutes les lois qui, en Belgique, concernent les étrangers. Je ne la suivrai pas sur ce terrain, je laisse naturellement à M. le ministre de la justice le soin de démontrer que les lois qu'il a déclarées être encore en vigueur en Belgique le sont effectivement. Je me renfermerai donc dans l'examen de la loi de 1835.

L'honorable M. Van Humbeeck admet le droit d'expulsion, comme il admet le droit de recevoir ou de no pas recevoir un étranger à la frontière ; seulement ce dernier droit comme le premier est un droit du pays et non un droit du gouvernement. Sous ce rapport nous sommes complètement d'accord avec lui et s'il est vrai que les lois relatives à l'admission des étrangers dans le pays n'ont plus de force obligatoire, il faudra leur restituer la légalité qu'ils ont perdue.

Mais su j'ai bien entendu, l'honorable M. Van Humbeeck n'accorderait le droit de refuser l'accès du territoire qu'à différentes catégories de condamnés. Je reviendrai tout à l'heure sur ce point.

Quant au droit d'expulsion, l'honorable membre fait une distinction quant aux individus et une autre distinction quant à la nature des faits.

Il veut que le droit d'expulser sans forme de procès ceux que la justice répressive de leur pays a frappés ne soit pas restreint aux délits et crimes qui permettent l'extradition aux termes de la loi du 1er octobre 1833, mais à plusieurs autres délits qu'il énumère.

L'honorable membre veut ainsi séparer le bon grain du mauvais ; le bon grain c'est le réfugié politique ; selon lui, le pauvre diable qui aura volé quelques pommes de terre ne mérite aucune pitié, mais l'artisan du désordre dont le métier est de conspirer contre tous les gouvernements, passés, présents et futurs, celui-là est digne de tous nos égards et de toute notre confiance.

Le gouvernement devra être sévèrement armé contre le premier, parce qu'il est un danger pour le pays, mais l'autre jouira de toutes les libertés et de toutes les garanties du citoyen belge. Celui-là doit être à l'abri de toute mesure préventive, il est nécessairement inoffensif parce qu'il n'a pas fait autre chose que troubler ou peut-être bouleverser son pays. Voilà, messieurs, la distinction quant aux individus.

Voyons maintenant la distinction quant aux faits : L'honorable M. Van Humbeeck les divise en deux catégories, la première renfermant les faits qui sont de nature à troubler la tranquillité intérieure et la seconde ceux qui sont attentatoires à la tranquillité des pays voisins.

Pour la première catégorie, l’honorable M. Van Humbeeck n'admet que le droit commun ; l'étranger, pour cet ordre de faits, sera passible de la loi pénale, comme le citoyen belge. Mais pour les faits qui sont dirigés contre les Etats étrangers, un orateur admet qu'il est difficile de prévoir tous les cas qui peuvent porter atteinte au droit international, et cependant il veut que la loi détermine certaines conditions générales en dehors desquelles le droit d'expulsion ne pourrait pas être exercé. Ces conditions sont les suivantes ;

1° Il faut que le fait ait été commis postérieurement à l'arrivée de l'étranger dans le pays.

2° Il faut que le fait soit un acte d'hostilité directe contre le gouvernement étranger.

3° Le fait doit être prévu et puni par la législation étrangère.

En dehors de ces conditions ainsi définies, l'étranger ne pourra pas être inquiété, et si le gouvernement, jugeant qu'un individu se trouve dans ces conditions, prend contre lui un arrêté d'expulsion, cet arrêté devra être publié en même temps qu'il sera signifié à l'intéressé, et celui-ci pourra avoir recours à l'autorité judiciaire pour faire prononcer l’illégalité de la mesure qui le frappe.

Le tribunal jugera entre l'étranger et le gouvernement et il pourra admettre les circonstances atténuantes.

Voilà, messieurs, le système qui nous est proposé.

Ainsi, messieurs, M. Van Humbeeck complète la loi de 1835 en la renforçant à l'égard des malfaiteurs, et en transférant aux tribunaux l'appréciation des faits dont sont accusés les réfugiés politiques, car il a eu soin de nous dire qu'il ne s'était préoccupé que de cette classe d'étrangers.

M. Van Humbeeck trouvait scandaleux qu'en vertu de l'arrêté du gouvernement provisoire, on soumît les étrangers à un interrogatoire inquisitorial, et d'un autre côté, il veut faire une loi qui établit entre les individus des distinctions fondées sur des faits quelquefois indéfinissables et qui en tous cas devront être constatés.

Qu'est-ce qu'un réfugié politique ? Qu'est-ce qui détermine cette condition, et comment l'établira-t-on ? Comment le gouvernement saura-t-il qu'un individu est un réfugié politique ? Je comprends qu'on fasse une loi pour une catégorie déterminée d'individus comme les condamnés par exemple ; mais tout le monde peut se dire réfugié politique ; c'est là une qualification vague, élastique, qui ne peut que donner ouverture à des droits particuliers.

La qualité de réfugié politique, à moins d'une notoriété particulière, ne saurait donc avoir une influence sur le régime auquel on veut soumettre l'étranger.

Par conséquent la loi alors même qu'elle serait modifiée dans le sens des idées de l'honorable M. Van Humbeeck, devrait être applicable à tous les étrangers, en distinguant seulement les vagabonds et les individus que la justice de leur pays a frappés ou qu'elle poursuit pour certains crimes et délits, de ceux qui ne se trouvent pas dans cette catégorie.

Je pense que c'est ainsi que l'entend l'honorable auteur des amendements.

Je n'ai pas parfaitement entendu l'énumération des crimes et délits que l'honorable M. Van Humbeeck admet comme pouvant donner lieu à l'expulsion, mais quelque longue que soit cette énumération, je suis certain qu'elle sera loin de suffise pour éviter qu'une foule de coquins ne viennent s'abattre sur notre pays. II suffit de consulter le tableau des individus mal famés de toute espèce que le gouvernement a dû renvoyer par milliers pour se convaincre que l'ordre public réclame impérieusement que nous puissions nous préserver d'une pareille invasion.

Mais examinons les garanties que demande l'honorable M. Van Humbeeck au point de vue qui le touche particulièrement, celui des réfugiés politiques.

Un membre veut que les arrêtés d'expulsion soient publiés avec les motifs qui les ont provoqués, et il veut que l'expulsé puisse avoir recours aux tribunaux.

Eh bien, supposons que l'étranger prétendument réfugié ne soit qu'un émissaire d'un gouvernement révolutionnaire momentanément au pouvoir ; il vient en Belgique faire de la propagande, il s'arrange de manière à être dans la légalité tout juste, ce qui n'est pas difficile lorsqu'il jouit de toutes nos libertés, et cependant à raison des circonstances cette propagande est dangereuse. On prononce l'expulsion, et il faut un arrêté motivé ! Comment justifiera t-on, sans s'exposer à des dangers très graves, les motifs qui ont nécessité la mesure ?

La guerre civile éclatera quelque part, le gouvernement sera disputé par des prétendants divers, dont l'un, fugitif aujourd’hui, sera peut-être très sérieux demain. Ce seront les partisans des deux causes opposées qui tour à tour se réfugieront derrière notre frontière et y reformeront leurs rangs ; si vous les laissez faire vous vous créerez des dangers immenses, si vous les expulsez en publiant les motifs, vous allumerez contre vous des passions hostiles, et le danger sera le même. Ajoutez à cela l’éclat, le bruit d'un débat judiciaire et voyez quelle sera la position du gouvernement.

Il est vrai que l'honorable M. Van Humbeeck veut bien faire unes exception en faveur des droits du pouvoir exécutif dans des circonstances exceptionnelles, en cas de bouleversement, de mouvements populaires ; un arrêté royal suffira dans ces cas pour suspendre la loi, le salus populi légitimera alors un pouvoir discrétionnaire.

Mais je prie la Chambre de remarquer que ce recours à des mesures exceptionnelles dans le cas , par exemple, d'une révolution dans un pays voisin, aurait un caractère d'agression directe envers ceux contre lesquels elles auraient été prises, et pourrait créer à la Belgique une situation des plus difficile. Supposons qu'un prétendant, appuyé sur un parti considérable, fasse une incursion dans le pays dont il veut renverser le (page 1254) gouvernement. Son entreprise échoue une première fois, et il se réfugie en Belgique pour y préparer une nouvelle entreprise. Au bout d'un certain temps, le gouvernement, miné à l'intérieur, est renversé et le prétendant dont il s'agit en devient le souverain.

Si, dans une pareille hypothèse, la loi de 1835 était en vigueur en Belgique, le gouvernement pourrait refuser légalement de laisser ce prétendant et ses partisans séjourner en Belgique, mais dans le système de l'honorable M. Van Humbeeck l'arrêté royal substitué à la loi aurait un caractère de violence en quelque sorte personnelle, et la mesure aurait un retentissement qui pourrait plus tard exercer une influence fâcheuse sur nos relations.

Messieurs, nous portons tous un intérêt profond et sincère aux victimes honorables des vicissitudes politiques, et il n'est pas un d'entre nous qui voulût que notre libre Belgique ne leur offrît pas un paisible asile. Mais n'oublions pas qu'à côté de ces hommes de bonne foi, que nous devons respecter dans leur malheur quelle que soit leur opinion et la nôtre, il se trouve aussi des hommes qui couvrent un passé fâcheux sous le vernis d'une prétendue émigration politique ; n'oublions pas aussi que parmi ces émigrants, il y a aussi parfois des énergumènes, des fanatiques, des régicides même.

Loin de moi l'idée de vouloir faire aucune allusion personnelle, mais les étrangers n'ont certainement pas la prétention d'être seuls exempts de tout mélange impur, et je ne me hasarde pas, je pense, en affirmant que les réfugiés politiques honorables qui se trouvent sur notre sol ne voudraient pas se faire la caution de tous ceux qui, à tort ou à raison, prennent cette qualification.

Ceci posé, comment faire pour concilier les égards que nous devons aux étrangers respectables avec les précautions que réclame l'intérêt public ?

Quelles sont les garanties qui atteindront ce doublé but ?

Dans plusieurs sections et dans la section centrale, on avait demandé l'intervention de l'autorité judiciaire, sous diverses formes ; mais ces propositions n'indiquaient pas, comme la proposition de M. Van Humbeeck, un mode d'organisation qui les rendît compatibles avec la mission de la magistrature.

La section centrale n'a pu admettre une intervention qui constituait une confusion des pouvoirs et elle n'a pas voulu que la responsabilité du gouvernement fût déplacée et amoindrie par le concours d'une autorité irresponsable, devant les fautes de laquelle les Chambres elles-mêmes devraient s'incliner.

Sous ce rapport l'intervention de corps ou de magistrats judiciaires, telle qu'elle était demandée, supprimait une garantie réelle pour l'étranger, dans l'espoir d'une garantie douteuse, et en effet il est très probable que des magistrats justement effrayés d'une mission qui les rendait moralement responsables du maintien de l'ordre public ne seraient pas moins sévères que le gouvernement.

L'intervention de l'autorité judiciaire n'était possible que pour autant que la loi déterminât nettement les faits qui peuvent donner lieu à l'expulsion ; les tribunaux, en effet, ont pour mission d'appliquer des peines à des faits prévus et déclarés punissables par la loi, et il n'était pas admissible que le ministre, déférant à un président de tribunal ou à une chambre des mises en accusation, un arrêté d'expulsion motivé dans les termes généraux de la loi de 1835, les juges pussent répondre par un refus d'homologation, disant que le ministre se trompe, que la tranquillité publique n'est pas compromise, que l'ordre est parfait à l'intérieur comme au dehors.

L'honorable M. Van Humbeeck a compris que l'autorité judiciaire ne pouvait pas intervenir dans ces conditions, et voilà pourquoi il veut que la loi détermine autant que possible la nature des faits sur lesquels la justice devra prononcer.

Mais, même au point de vue seulement de la division des pouvoirs, l’honorable membre me paraît ne pas avoir complètement réussi, car les tribunaux auront à juger si tel fait politique commis par un étranger est un fait directement hostile contre un gouvernement étranger ; or, il y a là évidemment une appréciation politique qui suppose, de la part des magistrats, une connaissance parfaite de la situation extérieure et des rapports internationaux.

Mais voyons si l’honorable membre atteint du mois le but qu'il se propose par ses amendements, c'est-à-dire une plus grande sécurité pour l'étranger sans préjudice pour l'ordre public.

Qu'arrivera-t-il ? Ou bien la loi sera appliquée par les tribunaux avec peu de déférence pour les appréciations politiques du gouvernement, et alors on risquera de manquer aux devoirs internationaux ; ou bien les tribunaux seront sévères, et alors la condition de l'étranger pourra être plus mauvaise quelle ne l'est aujourd'hui. Je vais le prouver.

Voyons les conditions moyennant lesquelles un arrêté d'expulsion sera légal : le fait devra être postérieur à l'arrivée de l'étranger en Belgique, il devra être directement hostile, et punissable aux termes de la législation étrangère.

Eh bien, messieurs, qu'un étranger fasse un de ces articles de journaux comme il s'en est tant publié en Belgique, où l'auteur déclare le gouvernement impérial français illégitime, issu d'un coup d'Etat, il y aura là un fait postérieur, un acte directement hostile et un fait prévu et puni par la législation française.

Vous voyez qu'en voulant restreindre le pouvoir du gouvernement l'honorable membre expose l'étranger davantage ; cela prouve une fois de plus qu'il est pour ainsi dire impossible de faire une loi qui précise nettement, clairement les cas qui peuvent donner lieu à l'expulsion d'un étranger.

Et en effet, messieurs, une pareille loi serait toujours trop prévoyante ou elle le serait trop peu. Si elle était trop favorable à l'étranger, elle serait insuffisante pour la sécurité publique, et si elle embrassait tous les faits, toutes les circonstances qui peuvent rendre, à certains moments surtout, une expulsion nécessaire, elle aggraverait nécessairement la position de l'étranger, car elle devrait lui interdire jusqu'à un certain degré l'usage de celles de nos libertés dont il est le plus facile d'abuser.

Ainsi nous ne voulons pas enlever aux étrangers l'usage de la liberté de la presse, par exemple, ou celui de se réunir, et cependant aucun gouvernement ne permettra, à certains moments surtout, que l'étranger compromette la sécurité publique par des excitations dangereuses, qu'il fasse des meetings pour agiter et passionner la multitude, ou qu'il tienne des conciliabules pour préparer ces excès, aucun gouvernement ne permettra que des sociétés secrètes, s'installant sur notre territoire, deviennent des foyers de sédition contre nos voisins.

Quelle que soit la loi, qu'elle soit explicite ou qu'elle ne le soit pas, l'appréciation de faits de ce genre n'est pas de celles qui peuvent être déférées aux tribunaux et livrées à la publicité.

En présence de la difficulté, selon moi insurmontable, de faire une loi à la fois explicite et efficace, je crois, messieurs, qu'il n'y a qu'un moyen de concilier les devoirs de l'hospitalité avec les exigences de la sécurité publique, et ce moyen consiste à appliquer la loi de 1835, avec une très grande modération, avec une large tolérance, et avec le sentiment profond de l'indépendance et de la dignité nationales.

La loi exécutée dans cet esprit ne frappera que les coupables, la sécurité de l'étranger paisible sera toujours complète dans notre pays.

Il faut que l'étranger sache, et je désire que M. le ministre de la justice veuille bien répéter ici la déclaration qu'il a faite à ce sujet à la section centrale, il faut que l'étranger sache que, dans l'ordre des faits politiques, le gouvernement n'a pas à prendre en considération les actes qu'un réfugié politique a pu poser dans son pays, aussi longtemps que sa conduite ultérieure ne donne lieu à aucun reproche sérieux ; cette appréciation de sa conduite, le gouvernement doit la faire librement et en dehors de toute action étrangère, et si, dans la conviction du gouvernement, l'étranger ne commet aucun acte compromettant pour notre sûreté ou pour celle d'un Etat voisin, le gouvernement doit le couvrir de sa protection.

Mais si l'étranger, abusant de l'hospitalité qu'il reçoit, ne s'abrite sous nos libertés que pour donner cours à des entreprises hostiles, il faut qu'il sache aussi que le pays veut être protégé contre les dangers qui peuvent naître de sa conduite.

C'est dans cet esprit, messieurs, que la section centrale a entendu que la loi devait être exécutée, et dans ces conditions, le droit d'asile n'a de limites que dans le devoir, commun aux Etats et aux individus, de se préserver et de se défendre.

L'honorable M. Van Humbeeck dan» la discussion de 1861, avait proposé un amendement par lequel l'étranger ne pouvait être inquiété que pour des faits commis en Belgique.

(page 1255) M. Van Humbeeckµ. - Pendant le séjour.

M. de Vrière, rapporteurµ. - Pendant le séjour de l'étranger en Belgique. M, le minutie de la justice fit alors l'objection que voici :

Un étranger peut avoir quitté momentanément la Belgique pour aller, sur un autre point de la frontière de son pays, commettre un acte attentatoire à la sûreté de celui-ci, puis rentrer en Belgique chercher un asile inviolable dans ce pays. Il est évident que la présence d'un pareil étranger dans Je voisinage de son pays constitue un danger pour celui-ci ; or, si l'amendement de M. Van Humbeeck était adopté, le gouvernement ne pourrait ni l'empêcher de rentrer dans le pays ni l'en faire sortir ?

Messieurs, on a accusé naguère le gouvernement romain de donner asile aux brigands napolitains qui sortaient du territoire pontifical pour aller commettre des violences sur le territoire italien, puis revenaient se réfugier de l'autre côté de la frontière pour y préparer de nouveaux coups. L'attitude attribuée à tort ou à raison au gouvernement pontifical, en cette occasion, a été universellement blâmée, et c'est pourtant la position qui serait faite au gouvernement .belge, si les faits hostiles devaient avoir été commis en Belgique depuis l'arrivée de l'étranger dans le pays.

M. Van Humbeeckµ. - Dans le pays ou hors du pays, pourvu que le fait ait été commis postérieurement à l'établissement de la résidence de l'étranger en Belgique.

M. de Vrière, rapporteurµ. - Nous sommes d'accord, mais j'ai voulu expliquer pourquoi tout à l'heure, en établissant dans quelles circonstances seulement l'étranger pourrait être expulsé, j'ai dit pour des faits postérieurs, au lieu de dire pour des faits commis en Belgique.

Messieurs, les susceptibilités que l'on manifeste à l'égard des étrangers paisibles, je les conçois, je dirai même que je les partage, mais je n'admets pas qu'on pousse ces susceptibilités jusqu'au point de méconnaître les intérêts de son propre pays.

Pourquoi ne pas voir les choses telles qu'elles sont dans la réalité ?

L'étranger paisible a-t-il à se plaindre de la manière dont s'exerce à son égard l'hospitalité en Belgique ? Est-il un pays sur le continent où l'autorité publique ait autant d'égards pour l'étranger que dans la nôtre ?

L'étranger se mêle à toutes nos luttes intérieures, il prend part dans nos élections, on le voit même quelquefois contribuer de sa bourse au succès de l'opinion qui a ses sympathies ; il occupe une large place dans la presse, et nous l'y voyons presque toujours à la tête de toutes les oppositions, sans que jamais il trouve l'autorité sur son chemin.

Quant à la conduite politique des réfugiés vis-à-vis des Etats étrangers, personne n'oserait dire que le gouvernement ne fait pas preuve aussi d'une très grande modération quand on le voit n'user du droit d'expulsion que trois fois pendant le cours d'une administration de sept années et demie.

Mais on dit : Les ministres passent ; oui les ministres passent, mais ce qui ne passe pas, c'est l'opinion publique. Il y a eu beaucoup de ministres depuis 1835, et aucun d'eux n'a abusé du droit d'expulsion, quoique nous ayons eu à traverser des périodes d'effervescence et de désordre qui nous commandaient un redoublement de prudence.

Sans doute, un ministre pourrait abuser de la loi, mais nous tous, qui la défendons ici au nom du droit international et de la paix publique, nous serions les premiers à protester énergiquement si des complaisances coupables ou des appréhensions pusillanimes donnaient jamais naissance à des rigueurs inutiles.

Mais, messieurs, est-ce donc dans cette matière seulement que des abus sont possibles ? Un ministre mal intentionné ne peut-il pas abuser de cent autres lois dont l'exécution plus ou moins arbitraire lui est confiée ? Le ministre dispose de crédits qu'il peut mal appliquer, il dispose de subsides qu'il peut répartir injustement, il nomme aux emplois publics, il confère des grades et des décorations ; ne peut-il pas, dans toutes ces attributions, manquer aux lois de l'équité et méconnaître des droits légitimes ? En conclura-t on que les prérogatives du pouvoir exécutif doivent être circonscrites dans des limites telles, qu'un abus quelconque de sa part devienne impossible ?

On conçoit que cela serait impossible, et c'est parce que cela est impossible que, dans les pays libres ou a créé un autre pouvoir émanant de l'opinion publique, qui a le droit de se faire rendre compte de tous les actes da pouvoir exécutif, et devant lequel les ministres sont responsables de leur gestion.

Mais, dit-on encore, la loi est un danger pour le gouvernement lui-même, car tant qu'elle existera, des gouvernements ombrageux seront enclins à obséder le cabinet belge, pour qu'il fasse une application exagérée de son droit d'expulsion, tandis que si la loi n'existait pas, celui-ci n'aurait qu'à objecter son impuissance pour se débarrasser de sollicitations auxquelles il ne se soucie pas de déférer.

C'est le non possumus qu'on vaudrait opposer aux règles du droit international. Malheureusement ces règles n'en existeront pas moins, et lorsqu'un pays voulant s'en affranchir manquera au devoir commun à tout Etat d'empêcher que sa frontière ne serve de refuge à ceux qui veulent troubler la sécurité de l'Etat voisin, ce ne sera pas à un ministre impuissant qu'on s'en prendra, mais c'est le pays lui-même qu'on accusera de violer le droit des gens, en manquant aux devoirs de bon voisinage.

Rappelez-vous, messieurs, ce qui s'est passé en Suisse en 1356. La Suisse n'avait pas alors encore sa loi fédérale contre les étrangers. La France était troublée par les factions ; il y avait des attentats multipliés ; les sociétés secrètes étaient organisées sur tous les points, et les séditieux étant pourchassés sur le territoire français, s'étaient, en partie, réfugiés en Suisse où ils avaient transporté leurs sociétés secrètes. Le gouvernement français, voyant ces sociétés conspirer contre l'ordre intérieur, avoir des affidés partout, menacer enfin la tranquillité publique du pays, fit savoir au gouvernement fédéral suisse qu'il eût à dissoudre les sociétés secrètes et à interner ou à renvoyer ceux qui les composaient.

Le gouvernement suisse répondit qu'il n'avait pas la puissance de faire ce qu'on lui demandait, qu'aucune loi suisse ne l'autorisait à dissoudre les sociétés secrètes et à renvoyer les étrangers. Que fit le gouvernement français ? Il fit faire le blocus de la Suisse par une armée française. Voilà quelle fut sa réponse. Et ce fut le gouvernement le plus pacifique du monde qui posa cet acte de représailles.

Je n'ai pas besoin d'ajouter que les sociétés secrètes furent alors dissoutes et que ses membres furent ou internés ou expulsés.

On a parlé, messieurs, de la législation des autres pays, et l'honorable M. Bouvier, en parlant de l'Angleterre, disait que cette grande nation, entourée par la mer, pouvait ne pas admettre les mêmes principes que les autres pays quant aux précautions à prendre contre les étrangers.

Eh bien, l'honorable M. Bouvier se trompait ; l'Angleterre n'a pas une loi d'application constante, c'est vrai, mais l'Angleterre professe et pratique quand il y a lieu, en matière de droit international, exactement les mêmes principes que les autres pays du continent.

Je tiens à la main les Commentaires de Gladstone. J'ai reçu ce volume tout à l'heure et bien que je comprenne l'anglais, je n'ai pas l'habileté nécessaire pour le traduire immédiatement d'une manière rigoureusement fidèle, mais chacun peut s'en référer au premier volume des Commentaires de Gladstone publiés par Malcolm Kerr en 1857.

Vous y verrez, messieurs, que Gladstone, pour ce qui concerne le droit des gouvernements à l'égard des étrangers, professe les principes que nous professons nous-mêmes.

Maintenant quelle est l'application de ces principes ? Je disais que l'Angleterre n'a pas une loi d'application constante, mais l'Angleterre a eu un « alien bill > qui, publié en 1792, a été prorogé constamment de deux en deux ans jusqu'en 1814.

En 1815, à la rentrée de Napoléon, elle a publié un autre bill dont la durée s'est étendue, toujours également prorogée de deux en deux ans, jusqu'en 1826. La loi est restée alors longtemps suspendue. Enfin, en 1848, un nouveau statut a paru, dont la durée est également expirée aujourd'hui. Dans ces différentes lois, on conférait au premier ministre et au lieutenant d'Irlande le pouvoir absolu d'expulser un étranger sans aucune espèce de condition, et si l'étranger n'obéissait pas, il était, d'après la loi de 1848, arrêté et condamné à la prison ; mais d'après les lois de 1792 et de 1814 il était condamné la première fois à la prison et puis on le déportait, et, s'il revenait, on le condamnait à mort.

M. Bouvierµ. - Cela est trop fort !

M. de Vrière, rapporteurµ. - Voilà, messieurs, la législation anglaise, législation intermittente, mais plus sévère que la nôtre.

Il n'y avait, messieurs, qu'une seule réserve à ce pouvoir absolu conféré au premier ministre de la couronne, c'était un appel que pouvait faire un étranger devant le conseil privé, c'est-à-dire, devant un corps composé de ministres.

MfFOµ. - D'après la loi de 1848, mais pas d'après les autres.

M. de Vrière, rapporteurµ. - Oui, et, en attendant que le conseil privé statuât sur cet appel (la loi dit : Sur les excuses que l'étranger pouvait faire valoir pour ne pas avoir obéi à l'ordre du ministre), on le mettait en prison, à moins qu'il ne pût présenter une caution.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je ne puis croire que les Anglais se soient ainsi dessaisis de leurs plus anciennes prérogatives constitutionnelles.

MfFOµ. - Il n'y a eu que 22 opposants dans le parlement. C'est une loi qui donne au pouvoir exécutif le droit d'expulser purement et simplement.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Sans jugement ?

MfFOµ. - Oui ! mais il n'y a pas eu de cas d'application.

M. de Vrière, rapporteurµ. - Un autre reproche que l'on a fait à la loi, c'est qu'elle est une loi exceptionnelle.

La loi, messieurs, n'est pas exceptionnelle, elle est spéciale, en ce qu'elle ne concerne que les étrangers. Elle est exceptionnelle relativement aux régnicoles, mais elle ne l'est pas quant aux étrangers eux-mêmes, qui subissent partout un régime équivalent ; et sous ce rapport, on pourrait plutôt dire que la loi est universelle.

Nous-mêmes, messieurs, ne tombons-nous pas sous l'application d'une loi pareille quand nous allons résider à l'étranger, et nous croyons-nous le droit de nous plaindre de ne pas jouir dans les autres pays de tous les droits et de toutes les garanties qui y sont, comme chez nous, exclusivement réservés aux régnicoles ? Nullement. Pourvu que nous ne soyons pas molestés ou contrariés par des formalités ennuyeuses et vexatoires, nous ne nous inquiétons pas de savoir s'il existe ou non une loi d'expulsion dans le pays que nous visitons.

Il est vrai qu'une savante assemblée qui s'est donné pour mission de propager la science sociale a jeté l'anathème sur la loi de 1835. Mais croit-on que les membres de cette assemblée se soient crus un moment menacés dans leur sécurité pendant qu'ils siégeaient à Amsterdam l'année dernière ? Quelques-uns de nos honorables collègues pourraient nous dire si la loi du 13 août 1849 a assombri les fêtes qui ont eu lieu à cette occasion dans la capitale hollandaise.

Mais il y a plus, à en juger par une lettre qui a fait quelque bruit, on serait tenté de croire que le docte congrès ignorait que la Suisse n'était pas un pays de liberté sans conditions pour l'étranger, lorsqu'il a décidé que ses prochaines assises se tiendraient dans ce pays.

M. Couvreurµ. - Le congrès n'a rien décidé de pareil, il n'a jeté l'anathème sur personne.

M. Van Humbeeckµ. - Le congrès ne prend pas de décisions, c'est la base fondamentale de ses statuts.

M. de Vrière, rapporteurµ. - J'ai fait allusion à une lettre dont l'auteur avait la prétention de parler en son nom.

Messieurs, si l'on veut accorder à l'étranger des droits qui sont réservés aux nationaux, pourquoi ne demande-t-on pas aussi pour l'étranger l'usage des droits civils et politiques ?

M. Guilleryµ. - C'est très bien qu'on lui accorde les droits civils.

M. de Vrière, rapporteurµ. - L'honorable M. Guillery dit c'est très bien, et, en effet c'est logique. Pourquoi, messieurs, cette confiance extrême d'une part, et de l'autre, cette défiance systématique ?

M. Coomansµ. - Nous ne nous défions pas. Laissez venir les étrangers.

M. de Vrière, rapporteurµ. - Malheureusement cette défiance est écrite dans nos lois constitutionnelles.

M. Guilleryµ. - Quand ils sont naturalisés.

M. de Vrière, rapporteurµ. - Alors ils sont Belges.

Mais un étranger réside depuis 30 ans dans le pays, il y est marié, il a des enfants belges comme nous, il y possède des propriétés considérables, il y a des intérêts de toute espèce et il n'a pas même le droit de prendre part à la nomination des magistrats de sa résidence.

M. Coomansµ. - Cela n'est pas raisonnable.

M. de Vrière, rapporteurµ. - Il sera l'homme le plus capable, le plus honnête, le plus estimable du monde, il ne pourra pas occuper le plus modeste emploi.

M. Guilleryµ. - Et on pourra l'expulser.

M. Bouvierµ. - Il peut demander la naturalisation.

M. de Vrière, rapporteurµ. - Vous êtes si jaloux de vos droits politiques que vous avez inséré dans votre Constitution des conditions telles, pour obtenir la grande naturalisation, qu'il est extrêmement rare qu'un étranger puisse l'acquérir.

Comment, en principe, pouvez-vous concilier cette exclusion de l’étranger de toute participation à la vie politique, avec les garanties constitutionnelles que vous réclamez en sa faveur ?

Ce n'est pas assurément un sentiment de jalousie étroite qui fait que chaque peuple réserve à ses nationaux seuls le droit de prendre part aux affaires publiques ; cette exclusion a sa source dans le droit naturel.

Partout les hommes sont groupés par petites ou grandes agglomérations à l'état de tribu ou de nation, chacune de ces associations ayant des liens, des intérêts, des besoins qui leur sont spéciaux. Quiconque ne fait pas partie d'une agglomération est un étranger pour elle, et cet étranger faisant lui-même partie d'une agglomération aux avantages de laquelle il est censé participer, ne peut, par cela même, avoir sa part aux choses mises en commun dans une autre agglomération.

Chaque peuple, dit un des collaborateurs du Dictionnaire général de la politique, M. Gaston de Baurge, a et doit avoir la souveraineté de son territoire. C'est là un des principes du droit des gens que l'on peut considérer comme à l'abri de toute controverse, d’où dérivent ces mots « patrie », « étranger », dont l'un est cause et l'autre effet, car il n'y a pas d'étranger là où il n'y a pas de patrie. Un peuple à qui manquerait une existence propre et indépendante, qui ne distinguerait pas ses membres des autres hommes, son territoire de celui des autres Etats, ne serait pas encore élevé au rang et à la dignité de nation ; ce ne serait qu'une peuplade.

L'étranger n'a pas les mêmes devoirs à remplir que le citoyen, et il ne peut revendiquer dans une société dont il ne fait point partie aucun droit absolu. L'hospitalité même ne lui est pas due à titre de droit.

Voici comment s'exprimait à ce sujet le rapporteur de la loi française de 1832, M. de Kerberlin :

« L'étranger ne fait pas partie de la famille, exempt des charges de l'association, il ne peut pas en exiger les droits. D'un autre côté, il ne saurait être animé, envers un pays qu'il habite momentanément, des sentiments qui animent les nationaux ; ses intérêts ne sont pas les mêmes, ses affaires, ses vues sont différentes. Aucune communauté d'affection et d'avantages ne lie son sort au sort du pays à l'existence duquel son existence n'est pas attachée. La loi qui fixe ces conditions n'est ni une loi de proscription, comme on a osé le dire, ni une loi exceptionnelle, car l'étranger, je le répète, ne peut jouir que des droits qui lui sont octroyés, le disposition qui les lui accorde ne peut être une mesure d'exception, puisqu'il n'a pas le droit préexistant. Cette loi, c'est une loi d'ordre, une loi de précaution, dont la légitimité ne saurait être sérieusement contestée.

« Un gouvernement a le droit de dire à un étranger : Je vous reçois, je vous donne asile, à telles et telles conditions. Je vous repousse si vous troublez la paix publique. »

Ce sont là les principes sur lesquels sont basées toutes les législations eu ce qui concerne les étrangers, et les principes, quoi qu'on en dise, subsisteront toujours parce qu'ils sont fondés sur un fait immuable, la diversité des sociétés humaines ; et ceux qui trouvent odieux et blessant pour l'étranger qu'il soit soumis à des précautions particulières méconnaissent les sentiments les plus profondément enracinés chez tous les hommes.

N'est-il pas vrai que celui qui n'est pas né et élevé dans un pays n'est pas attaché à ce pays au même degré que le régnicole ? L'étranger, par cela même qu'il est étranger, a naturellement ailleurs ses plus tendres affections, ses plus tendres souvenirs, tout ce qui peut contribuer aux intérêts et à la gloire de son pays le passionne. Les passions, les préventions, les préjugés, les entraînements de sa nation, il les partage ; quand un conflit vient à naître entre son pays et une nation étrangère, il ne demande pas de quel côté sont la justice et le bon droit, il donne raison à son pays, et quand la guerre éclate, on lui signale l'ennemi, et quel que soit le peuple qui est cet ennemie il court sus.

II obéit alors aveuglément à son gouvernement quelque illégitime ou mauvais que soit ce gouvernement à ses yeux, et au premier commandement il envahit le pays qui lui avait donné l'hospitalité la veille, il écrase et extermine les hommes qu'il appelait des frères quand il invoquait le bénéfice de leurs lois libérales.

Voilà, messieurs, la puissance magique de la patrie, et c'est dénier celle-ci que de vouloir assimiler, sous le rapport des garanties, les étrangers aux régnicoles.

On argumente des progrès de la civilisation, des relations de plus en plus fréquentes entre les peuples d'origine diverse, on parle de la vapeur et du télégraphe pour en conclure à l’éclosion prochaine d'une ère de fraternité universelle. Il y a une dizaine d'années que nous avons vu un congrès naïf se bercer de ce beau rêve. Mais malheureusement, depuis nous avons vu les Russes, les Polonais, les Français, les Italiens, les Autrichiens s'entrégorger, nous avons vu les Prussiens et les Danois faire de même ; nous voyons les uns prétendre au territoire des autres et s'en emparer. Nous voyons les races se disputer l'autonomie sous (page 1257) prétexte que Slaves, Allemands, Scandinaves sont d'humeur incompatibles quand nous apercevons partout des appétits inassouvis, des ambitions fiévreuses, des préjugés, des prétentions, des aspirations de toute nature s'entrechoquer sans cesse et déchaîner la foudre tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, on viendra nous dire : Il n'y a plus d'étrangers !

Non, messieurs, nos précautions ne sont pas surannées comme on cherche à le faire croire ; ce qui est suranné, ridiculement suranné, ce sont ces rêves de fraternité et de paix universelle et cette politique de fantaisie qu'on voudrait substituer aux règles les plus indispensables du droit universel.

Ces précautions générales contre les étrangers n'ont rien d'offensant par cela même qu'elles sont générales, que la législation qui les consacre est commune à tous les pays et que dans tous les pays elle est applicable à tous les étrangers sans distinction.

Quelles que soient les bonnes relations entre les peuples en temps de paix, chacun d'eux se prémunit contre les éventualités d'un danger extérieur. C'est contre l'étranger en masse, à l'état de nation, que l'on organise et que l'on maintient ces moyens de défense ; c'est contre leurs instincts nationaux, contre leurs intérêts opposés aux nôtres que nous faisons des forteresses ; c'est contre leurs velléités secrètes et pour dissiper les dangers à leur naissance que nous avons au dehors des agents diplomatiques ; l'étranger à l'état collectif ne s'offusque pas de ces précautions ; pourquoi s'offenserait-il, à l'état individuel, des mesures de prudence que nous prenons, à l'exemple de toutes les nations, contre les entreprises auxquelles il pourrait se livrer contre notre sécurité et notre indépendance ?

C'est un beau défaut de pousser la générosité et la confiance jusqu'à l'extrême et la liberté est une si belle et si bonne chose qu'il répugne aux esprits vraiment libéraux de la restreindre en quelque matière que ce soit ; aussi avons-nous vu de tout temps des hommes à larges aspirations méconnaître sous cette préoccupation exclusive les nécessités les plus impérieuses du gouvernement, mais on a vu toujours aussi ces mêmes hommes, dès le jour où, arrivés au pouvoir, ils se trouvaient aux prises avec les difficultés réelles et se sentaient le poids d'une responsabilité immense, abandonner des théories trop absolues pour se rendre à la loi impérieuse des faits.

J'engage mon honorable adversaire à consulter les premières discussions qui eurent lieu dans cette Chambre sur la matière qui nous occupe, ils trouveront les noms les plus respectés dans l'opinion libérale offrir la preuve de ces métamorphoses auxquelles n'échapperont pas eux-mêmes, je le leur prédis, ceux d'entre eux qui sont destinés à gouverner un jour.

Ils n'y échapperont pas, parce que tous les hommes politique, qui participent au gouvernement subissent les nécessités en dehors desquelles il n'y a pas de gouvernement possible, et que l'une de ses nécessités est de veiller à la sûreté publique et d'obéir aux lois qui régissent les rapports internationaux.

On a, messieurs, parlé de ce qu'exigent de nous nos institutions libérales, et l'honorable M. Van Humbeeck nous a rappelé qu'en fait de libertés nous avions toujours marché à la tête des nations ; mais n'est-ce pas pour cela précisément que nous n'avons, en fait de gouvernement, à redouter la censure de personne ?

Nous avons, en effet, devancé l'Europe entière dans la pratique de la liberté, et lorsqu'un illustre président de cette assemblée répondit un jour à ceux qui prétendaient nous émanciper : La liberté, pour faire le tour du monde, n'a pas besoin de passer par chez nous ! Cette parole trouva un écho unanime dans la conscience du pays.

Aujourd'hui comme alors, la liberté pour tous règne en Belgique et ses droits souverains n'y sont contestés par personne. Plus qu'ailleurs, les aspirations vers tous les progrès que réclame le développement des institutions libérales y sont vives et sincères, mais notre race possède, a un plus haut degré que d'autres, cette prudence innée qui fait résister aux entraînements irréfléchis et aux conseils intéressés.

Nous avons vu ailleurs comment les factions s'enivrent de la liberté lorsque enrichies des dépouilles d'un gouvernement sans force et sans prestige, elles parviennent à régner un seul jour ; et nous avons vu aussi, au milieu de cet enivrement, les intérêts s'alarmer, la réaction arriver sur l'aile de la peur, et la société elle-même immoler à sa sécurité, cette liberté, la veille encore si enviée.

La tempête, alors, n'a pas su nous ébranler, et c'est la vraie liberté, celle que nous cultivons depuis 30 ans, la liberté, sœur de l'ordre et mère de la sécurité, qui nous a sauvés de cette autre liberté farouche et échevelée qui nous conviait à ses saturnales.

Nous avons acquis ce jour-là, parmi toutes les nations, un renom d'un grand sens pratique allié à un grand amour de la liberté, et l'estime que nous avons alors gagnée nous a, plus que les traités, assuré notre place dans l'équilibre européen.

Sachons, messieurs, garder cette estime qui nous protège contre les dangers extérieurs ; n'ayons pas la prétention, nous si jeunes encore, d'inscrire de nouvelles règles dans le code des nations ; nous n'y réussirions pas, et nous apprendrions bientôt ce qu'il en coûte de sacrifier à des théories partout condamnées par le bon sens, nos premiers devoirs sociaux et politiques.

(page 1249) M. Jacobsµ. - A part un portrait de l'étranger qui devrait nous engager, s'il était exact, à ne plus accorder ni grande ni petite naturalisation, le discours de l'honorable préopinant peut se résumer de la manière suivante : Nous servons mieux les intérêts de l'étranger en accordant au gouvernement un pouvoir discrétionnaire qu'en inscrivant dans la loi toutes les garanties que l'honorable M. Van Humbeeck a accumulées dans ses amendements.

Je ne rencontrerai pas dans ses détails cette thèse, quelque peu paradoxale, je ne le ferai pas, parce que l'honorable M. de Vrière a commencé par déclarer qu'il n'avait pu bien saisir les amendements de M. Van Humbeeck à une première lecture. Je me trouve dans le même cas, et, quelque disposé que je sois à sanctionner les principes qui ont donné lieu à leur présentation, je voudrais ne devoir ma prononcer, à cet égard, ni aujourd'hui, ni même demain.

La Chambre pourrait difficilement le» apprécier en connaissance de cause, si on ne les renvoie à l'examen de la section centrale arec prière de faire rapport.

C'est ce renvoi que j'ai l'honneur de proposer à la Chambre. Ma proposition comprend en autre le renvoi du projet lui-même.

Elle est ainsi conçue :

(page 1250) « Considérant qu'il importe de réviser toute la législation sur l'admission et le séjour des étrangers en Belgique, la Chambre renvoie le projet renouvelant la loi du 22 septembre 1835, ainsi que les amendements proposés, à la section centrale, et l’invite à fondre en un seul projet toutes les dispositions éparses sur la matière. »

Quelques mots de développement.

La loi de 1835 n'est pas celle dont il est fait le plus usage ou abus à l'égard des étrangers. Consultez le tableau annexé au rapport de la section centrale et vous trouverez que pendant une période de 27 années, sur 42,000 expulsions ou refus d'admission, 2,000 seulement ont eu lieu eu vertu de cette loi. C'est donc une proportion de 1/21 !

Le grand nombre des expulsions est fait en vertu du droit que le gouvernement revendique de ne pas admettre l'étranger à la frontière et de l'expulser lorsqu'il est parvenu à la franchir à son insu, droit qu'il prétend puiser dans l'article 9 du décret du 23 messidor an III, et dans l'article 3 de l'arrêté du gouvernement provisoire du 6 octobre 1830.

L'honorable M. Van Humbeeck s'est étendu longuement sur l'abrogation de ces deux articles. Il vous a montré que l'article 9 de la loi de messidor n'a plus de sanction, que cette loi, temporaire de sa nature, a dû disparaître avec les circonstances qui l'ont motivée.

Il a prouvé que l'article 9 est incompatible avec l'article 3 du décret du 9 octobre 1830 ; j'ajouterai qu'il l'est aussi avec l'article 2 du même décret, car celui-ci aurait été inutile s'il avait suffi, pour écarter l'étranger de la frontière, de refuser de viser son passeport.

L'article 5 de ce décret, que M. le ministre de la justice croit encore en vigueur, ne l'est plus, de l'avis de la cour de cassation ; je compléterai cette démonstration par un argument qui n'a pas été produit jusqu'à présent dans la discussion.

J'invoquerai à l'appui de l'abrogation des deux dispositions sur lesquelles on base le droit de ne pas admettre l'étranger en Belgique un de nos derniers traités diplomatiques.

Nous avons conclu beaucoup de traités d'amitié, de commerce, de navigation, etc. Dans la plupart de ces traités, nous avons stipulés que les Belges seraient à l'étranger et les étrangers en Belgique dans la position des étrangers appartenant à la nation la plus favorisée ; mais on n'avait établi nulle part l'assimilation complète entre l'étranger et l'indigène. Or, soit par suite d'un changement d'idées, soit par inadvertance, je ne sais trop m'en expliquer le motif, dans le traité conclu avec la Bolivie le 17 août 1860, devenu loi belge en 1863, ce principe a été abandonné et l’on a admis l'assimilation complète de l'étranger et du national en Bolivie et en Belgique. Et comme les sujets de toutes les puissances qui ont contracté antérieurement ou postérieurement avec la Belgique ont droit au traitement de la nation la plus favorisée, il se trouve que cette assimilation est étendue par cela même aux habitants de tous les pays du monde.

Le traité conclu avec la Bolivie n'est pas un simple traité de commerce et de navigation, c'est avant tout un traité d'amitié. L'article premier stipule qu'il y a paix perpétuelle et amitié constante entre la Belgique et la Bolivie.

M. Coomansµ. - Paix perpétuelle ! il y a donc des rêveurs, même dans le gouvernement belge !

M. Jacobsµ. - L'article 6 prévoit la liberté de conscience qu'il garantit aux Belges en Bolivie et aux Boliviens en Belgique, ils pourront librement pratiquer leur culte en se soumettant aux lois de police.

D'autres articles contiennent l'exemption réciproque de l'obligation de faire partie de la milice et de la garde civique. On reconnaît le droit Civil de succéder, de posséder, c'est un traité général. Dans ce traité général se trouve un article 3 dont je vais avoir l'honneur de lire un extrait à la Chambre :

« Les citoyens de chacune des deux parties contractantes pourront librement sur leurs territoires respectifs, voyager ou séjourner, commercer en gros ou en détail comme il est permis actuellement de le faire, ou comme il le sera par la suite aux citoyens eux-mêmes, louer et occuper les maisons, magasins et boutiques qui leur seront nécessaires, transporter des marchandises et des espèces, et recevoir des consignations, être admis comme cautions en douane, quand il y aura plus d'un an qu'ils seront établis sur les lieux et que les biens fonciers ou mobiliers qu'ils y posséderont, présenteront une garantie suffisante, sans que pour toutes ces opérations ou pour chacune d'elles, lesdits citoyens soient assujettis à d'autres charges ou restrictions que celles qui sont imposées aux nationaux eux-mêmes, sauf les précautions de police qui sont prises à l'égard de ceux-ci. »

On stipule donc dans cet article que les Belges en Bolivie et les Boliviens en Belgique auront la faculté de voyager, de séjourner librement comme les nationaux le peuvent et le pourront à l'avenir, sons la seule restriction des mesures de police générale. C'est la première fois qu'une stipulation de ce genre se trouve introduis dans un traité ; son sens est trop clair pour donner matière à discussion.

On me dira qu'une loi peut en abroger une autre, que le renouvellement de la loi de 1835 abrogerait naturellement la loi qui a mis en vigueur le traité de commerce et que les gouvernements étrangers, loin de se prévaloir d'une stipulation faite en leur faveur, demanderont au contraire que leurs sujets suspects n'en obtiennent pas le bénéfice.

Mais le traité n’empêchera pas moins d’expulser un Anglais, par exemple, dont le gouvernement français demanderait l'expulsion ; il faudrait au préalable que le gouvernement anglais consentît à priver son sujet du bénéfice d'un traité qui lui est devenu commun ; nous ne pourrons donc expulser que du consentement du pays auquel l'expulsé appartient.

Ensuite, il est certain que ce traité, en accordant d'une manière illimitée aux Boliviens et aux autres étrangers le droit de voyager et de séjourner en Belgique, a abrogé toutes les lois antérieures restrictives de ce droit de séjour, et que si l'on veut le soumettre de nouveau à ces restrictions, il faut remettre en vigueur et la loi de 1835 et l'article 9 du décret du 23 messidor an III, et l'article 3 de l'arrêté du gouvernement provisoire du 6 octobre 1830 ; ces deux dispositions sont donc abrogées une fois de plus par ce traité.

Vous voyez, messieurs, que les dispositions dont le gouvernement se prévaut pour ordonner les vingt et unièmes des expulsions qui se font en Belgique sont d'une légalité au moins très contestable, pour ne pas dire plus ; dans l'incertitude où nous sommes à cet égard, on doit se demander s'il est convenable et digne du gouvernement belge de continuer à appliquer des dispositions dont la légalité est si douteuse.

N'est-il pas de son honneur d'avoir une législation complète sur les étrangers, dont l'existence ne puisse être discutée par personne, qui fixe nettement la position des étrangers en Belgique et leur dire clairement quels sont les devoirs auxquelles ils sont astreints ?

C'est, messieurs, je le déclare, ma conviction profonde que l'honneur du gouvernement belge lui commande d'avoir, en cette matière, une législation claire, certaine, complète, et de ne pas se contenter de quelques débris de vieux décrets d'une autre époque, portés dans des circonstances exceptionnelles et dont on fait cependant une application constante malgré le changement des institutions et des circonstances.

C'est là, messieurs, ce qui me détermine à vous proposer de charger la section centrale d'élaborer un projet de loi général sur le séjour des étrangers en Belgique ; de même que la loi de 1835 règle les conditions dans lesquelles se trouvent les étrangers ayant une résidence en Belgique, il importe que la loi détermine nettement aussi quelle est la position des étrangers qui n'en ont pas.

Nous en avons l'occasion, unique peut-être, aujourd'hui qu'on nous demande non pas de proroger la loi de 1835, mais de fixer pour l'avenir la législation qui régira le séjour des étrangers en Belgique.

Il importe de trancher cette question d'une manière complète et définitive ; de telle sorte qu'on ne puisse plus, armé d'un traité diplomatique ou d'un arrêté de cassation, contester la légalité des différentes dispositions qu'on invoque aujourd'hui encore contre les étrangers dans un si grand nombre de cas.

Je crois, comme la plupart des orateurs qui m'ont précédé, qu'il y aura bien des modifications à introduire dans la loi de 1835 et dans les dispositions antérieures, qu'elles soient abrogées ou non ; mais en présence de la proposition que je viens de soumettre à la Chambre, je crois qu'il serait oiseux d'entrer en ce moment dans des détails à cet égard. Je me borne donc à déposer ma proposition et j'espère que la Chambre ne refusera pas de s'y rallier.

MjTµ. - Messieurs, il n'y a évidemment pas lieu de prendre en ce moment une décision sur cette proposition. Les amendements de l’honorable M. Van Humbeeck seront imprimés ; ils nous seront distribués et alors seulement nous pourrons examiner la proposition qui vient d'être faite.

MpVµ. - M. Jacobs, insistez-vous ?

M. Jacobsµ. - Certainement, M. le président, je dois maintenir ma proposition. L'honorable M. Van Humbeeck et moi avons combattu la légalité des dispositions antérieures que le gouvernement applique encore. Nous prétendons que ces lois ne sont plus en vigueur. Il importe, - et c'est le principal but de ma proposition - de dissiper le doute qui existe à cet égard. Or, ce doute ne pourra être levé que par une législation nouvelle sur les étrangers ; et par conséquent c'est avec raison que je demande à la Chambre d'inviter la section centrale à élaborer une loi générale, ce qu'elle ne pourra faire sans examiner l'ensemble des amendements de l'honorable M. Van Humbeeck.

MpVµ. - M. Jacobs insistant, je vais mettre sa proposition aux voix.

(page 1251) - Plusieurs membres. - L'appel nominal.

M. Van Humbeeckµ. - Il faut que nous soyons d'accord sur la portée du vote que nous émettrons.

Je suit d'accord avec M. le ministre de la justice que ce n'est pas le moment de renvoyer mes amendements à la session centrale ; je comprends que la Chambre ne veuille prendre de décision à cet égard qu'après avoir entendu M. le ministre de la justice. Mais si le sujet de la proposition implique que mes amendements ne seront pas renvoyés du tout à la section centrale, il me sera impossible d'émettre un pareil vote.

MpVµ. - La proposition a pour but de renvoyer hic et nunc les amendements à la section centrale.

M. Jacobsµ. - Messieurs, je consens à modifier ma proposition en ce sens que je propose le renvoi à la section centrale après que la Chambre aura entendu M. le ministre de la justice.

MpVµ. - Pour le moment donc elle est retirée. Quelqu'un demande t-il encore la parole dans la discussion générale ?

MjTµ. - Je compte prendre la parole, mais je désire ne le faire que demain, l'heure étant déjà très avancée.

- Plusieurs membres. - A demain ! à demain !

M. Hymans. - M. le ministre de la justice désire ne parler que demain, mais ce n'est pas une raison pour lever la séance. Nous pourrions voter encore aujourd'hui quelques petits projets de loi qui ne sont pas de nature à donner lieu à discussion.

Il y a notamment un projet de loi de crédits spéciaux au département de l'intérieur ; un projet de loi qui modifie la loi de 1810 sur les mines ; le projet de loi relatif à l'interprétation des lois. (Appuyé ! appuyé !)

MjTµ. - Il y a aussi le projet de lof relatif au tribunal de Tournai qui ne peut donner lieu à aucune discussion.

Projet de loi qui accorde des crédits spéciaux au budget du ministère de l’intérieur

Discussion des articles

Articles 1 et 2

« Art. 1er. Il est ouvert, au ministère de l'intérieur, pour les objets ci-après mentionnés, les crédits spéciaux suivants :

« § 1. Acquisitions d'œuvres d'art anciennes : fr. 200,000.

« § 2. Acquisitions pour la section ethnologique au musée royal d'antiquités, d'armures et d'artillerie. : fr. 100,000. »

- Adopté.


« Art. 2. Ces crédits, montant à la somme de 300,000 francs, seront ouverts au moyen des ressources ordinaires. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.

Le projet est adopté à l'unanimité des 65 membres présents. Il sera transmis au Sénat.

Ont répondu oui :

MM. Warocqué, Allard, Bara, Bouvier, Braconier, Couvreur, David, de Bast, de Conninck, de Haerne, de Kerchove, Delcour, de Liedekerke, de Macar, de Mérode, de Moor, de Naeyer, de Rongé, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Vrière, Devroede, Dewandre, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Grosfils, Hymans, Jacobs, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Lange, Laubry, Lebeau, Lelièvre, Lippens, Magherman, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Orts, Pirmez, Rogier, Sabatier, Tack, Tesch, Thienpont, T'Serstevens, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire et E. Vandenpeereboom.

Projet de loi relatif à la réduction du personnel de première instance de Tournai

Vote de l’article unique

L'article unique du projet est ainsi conçu :

« Article unique. Le terme fixé par l'article 3 de la loi du 25 mai 1838, pour la suppression successive des places créées près le tribunal de première instance de Tournai par l'article premier de cette loi, est de nouveau prorogé jusqu'au 15 octobre 1870. »

Personne ne demandant la parole, la Chambre passe au vote par appel nominal sur ce projet, qui est adopté à l'unanimité des 64 membres présents. Il sera transmis au Sénat.

Ont répondu oui :

MM. Warocqué, Allard, Bara, Bouvier, Braconier, Couvreur, David, de Bast, de Conninck, de Haerne, de Kerchove, Delcour, de Liedekerke, de Macar, de Mérode, de Moor, de Naeyer, de Rongé, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Vrière, Devroede, Dewandre, Dumortier, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Grosfils, Hymans, Jacobs, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M, Jouret, Julliot, Lange, Lebeau, Lelièvre, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Orts, Pirmez, Rogier, Sabatier, Tack, Tesch, Thienpont, T'Serstevens, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire et Ern. Vandenpeereboom.

Projet de loi ouvrant des crédits supplémentaires au budget du ministère de l’intérieur

Discussion des articles

Articles 1 et 2

Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, on passe aux articles.

« Art. 1er. Le budget du ministère de l'intérieur, pour l'exercice 1865, fixé par la loi du 3 janvier 1965 (Moniteur n°4, est augmenté de la somme de quarante-quatre mille quatre cent quarante et un francs vingt-cinq centimes (44,441 fr. 25 c.), répartie comme il suit :

« 1° Garde civique. Seize mille sept cent soixante-quatre francs dix-sept centimes, pour payer les sommes restant dues pour le rayage et le transformation au système répercutant des armes de la garde civique : fr. 16,764 17.

« Cette somme doit eue ajoutée à l'article 45 du budget de 1865.

« 2° Instruction publique. Enseignement primaire. Six cent soixante-seize francs vingt centimes, pour payer des frais de voyage restant dus à des membres des jurys d'examen des écoles normales primaires : fr. 676 20.

« Cette somme doit être ajoutée à l'article 101 du budget de l'exercice 1865.

« 3° Lettres et sciences. Sept mille francs pour encouragements à la littérature et à l'art dramatiques (littéraire et musical) : fr. 7,000.

« Cette somme doit être ajoutée à l'article 102 du budget de 1865.

« 4° Musée moderne de peinture et de sculpture. Trois mille francs pour payer les sommes restant dues pour l'installation du Musée moderne de peinture et de sculpture au Palais de la rue Ducale : fr. 3,000.

« Cette somme doit être ajoutée à l'article 124 du budget de 1865.

« 5° Commission royale des monuments. Deux mille cinq cents francs, pour payer des frais de route et de séjour des membres correspondants de la commission royale des monuments et des commissaires de l'Académie près de cette commission : fr. 2,500.

« Cette somme doit être ajoutée à l'article 127 du budget de 1865.

« 6° Bulletin de la commission d'art et d'archéologie. Cinq mille trois cent quatre-vingt-huit francs quinze centimes, pour payer les sommes restant dues pour l'impression du Bulletin de la commission d'art et d'archéologie des années 1861, 1862 et 1863 : fr. 5,388 15.

« Cette somme doit être ajoutée à l'article 127 du budget de 1865.

« 7°* Commissions médicales provinciales. Quatre mille deux cents francs, pour le service des commissions médicales provinciales : fr. 4,200.

« Cette somme doit être ajoutée à l'article 130 du budget de 1865.

« 8° Dépenses faites en 1830, par la ville de Liège, dans l'intérêt de l'Etat. Quatre mille cent douze francs soixante-treize centimes, pour solder à la ville de Liège le complément des intérêts de la somme à payer par l'Etat, du chef de dépenses faites par ladite ville, dans l’intérêt de l’Etat, en 1830 : fr. 4,112 73.

« Cette somme doit être ajoutée à l'art. 135 du budget de 1865.

« 9° Déplacement du musée agricole. Neuf mille francs pour acquitter les frais de transfert et les travaux d'installation du musée agricole dans les locaux de l’institut agricole de l’Etat à Gembloux : fr. 9,000.

« Cette somme sera transférée de l'article 73 à l'article 19 du budget de l'intérieur de 1865.

« Total : fr. 44,441 25. »

(Le n°9° a été proposé par la section centrale, d'accord avec le gouvernement.)


(page 1252) « Art. 2. Les crédits susmentionnés seront couverts au moyens des ressources ordinaires de l’exercice 1865.

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l’ensemble du projet de loi.

Le projet est adopté à l’unanimité des 64 membres présents.

Il sera transmis au Sénat.

Ont répondu oui :

MM. Warocqué, Allard, Bara, Bouvier, Braconier, Couvreur, David, de Bast, de Conninck, de Haerne, de Kerchove, de Liedekerke, de Macar, de Mérode, de Moor, de Naeyer, de Rongé, de Smedt, de Terbecq, de Vrière, Devroede, Dewandre, Dumortier, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Grosfils, Hymans, Jacobs, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Lange, Lebeau, Lelièvre, Lippens, Magherman, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Orts, Pirmez, Rogier, Sabatier, Tack, Tesch, Thienpont, T'Serstevens, Valckenaere, A. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire et Ern. Vandenpeereboom.

- La séance est levée à 5 heures.