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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 22 novembre 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1865-1866)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboomµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 21) M. Thienpont, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpontµ présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur Kint, milicien de 1864, en garnison à Bruges, demande un congé de 2 à 3 mois pour venir en aide à son père qui est dangereusement malade. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Molenbeek-Saint-Jean présentent des observations contre le projet qui tend à enlever aux communes de Molenbeek-Saint-Jean, Anderlecht, Koekelberg et Laeken, le bénéfice d'un chemin de fer de raccordement des gares du Nord et du Midi à Bruxelles. »

- Même renvoi.


« Plusieurs bourgmestres des communes du littoral maritime demandent que les frais de visite, de transport et d'enterrement des cadavres inconnus qui sont trouvés sur la côte soient mis à la charge de l'Etat. »

- Même renvoi.


« Le sieur Borst demande que son fils, Jacques-François, soldat au 2ème régiment de chasseurs à cheval, obtienne l'exemption du service ou du moins un congé à long terme. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Brée demandent que le chemin de fer destiné à relier les villes de Hasselt et de Maestricht passe par Wychmael, Peer et Brée. »

- Même renvoi.


« Des commis au parquet de la cour d'appel de Liège demandent une augmentation de traitement. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la justice.


« Des propriétaires dans l'arrondissement de Bruges demandent l'exécution de travaux de défense contre l'action envahissante, de la mer de Blankenberghe vers Heyst et surtout depuis les écluses de Lisseweghe jusqu'en face du village de Heyst. »

M. de Vrièreµ. - Messieurs, comme l'objet de cette pétition est extrêmement urgent, comme il s'agit de travaux à la mer d'une importance extrême, je demande que la pétition soit renvoyée à la commission des pétitions avec prière de présenter un rapport sur cet objet, dans le plus bref délai possible.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Letoret demande qu'il soit pourvu à la place de notaire vacante à Frameries. »

- Même renvoi.


« Le sieur Van Huffel fait hommage à la Chambre de 120 exemplaires d'un chant national dont il a composé les paroles sous le titre de : « Le rappel à l'union », à l'occasion du prochain anniversaire de S. M. le Roi. »

- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.


« M. Beeckman, retenu chez lui, demande un congé. »

- Accordé.

Proposition de loi modifiant certaines dispositions électorales de la loi communale et de la loi provinciale

Lecture

MpVµ. - Messieurs, les sections ont autorisé la lecture d'une proposition de loi déposée hier.

Cette proposition est ainsi conçue :

« Art. 1er. L'article 7 de la loi communale est modifié comme suit :

« Art. 7. 1°, 2°... 3° Verser au trésor de l'Etat, de la province ou de la commune, en contributions directes, patentes comprises, la somme de quinze francs ; 4" Savoir lire et écrire.

« Art. 2. L'article 5 de la loi provinciale est remplacé par l'article suivant :

« Art. 5. Sont électeurs ceux qui réunissent les conditions prescrites par la loi communale. »

« Les articles 6 et 7 de la même loi sont abrogés.

« J. Guillery. »

A quel jour l'auteur de la proposition désire-t-il en fixer les développements ?

M. Guilleryµ. - Je ne puis savoir combien de temps durera la discussion du budget de la justice. Si la Chambre le permet, j'attendrai la fin de cette discussion pour développer ma proposition.

- L'assemblée décide qu'il en sera ainsi.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l’exercice 1866

Discussion générale

M. Lelièvreµ. - Le budget de la justice me donne l'occasion de signaler au gouvernement quelques améliorations que je recommande à sa bienveillante attention.

La loi de 1852 sur la détention préventive a certainement réalisé un progrès marqué relativement à la législation du code d'instruction criminelle. Mais il est aujourd'hui démontré qu'elle n'a pas produit les résultats qu'on en avait espérés dans l'intérêt de la liberté des citoyens. Le moment est venu de faire un pas de plus dans la voie du progrès et de réviser cette partie importante de la législation sur laquelle, dès 1849, j'ai appelé l'attention de la Chambre.

J'engage M. le ministre de la justice, dont les aspirations progressives sont connues, à faire étudier cette importante matière et à nous proposer des dispositions en harmonie avec nos institutions libérales.

Je recommande aussi à son examen la loi sur la contrainte par corps. La suppression de cette mesure rigoureuse est réclamée depuis longtemps, elle disparaîtra certainement en 1866 de la législation française.

J'espère que cette voie d'exécution condamnée par le sentiment public et qui nous a été transmise comme un abus d'un autre âge, ne sera plus maintenue dans nos lois. Ne nous laissons pas devancer à cet égard par la France et réalisons une réforme dont la nécessité ne peut être méconnue.

Enfin, le Code pénal militaire encore en vigueur forme un contraste frappant avec les principes qui doivent présider à l'administration de la justice. Nous sommes encore régis par les lois hollandaises du siècle dernier. Depuis plusieurs années, la France a réformé sa législation militaire. Semblable révision avait été promise en Belgique dès 1849. Ce sera un honneur pour M. le ministre de la justice d'avoir en cela satisfait aux vœux des amis de la science et de nos libertés.

J'engage le gouvernement à s'associer aux améliorations que réclament les diverses parties de notre législation civile et criminelle. C'est en cela surtout qu'il rendra des services à la chose publique et qu'il méritera bien du pays.

M. Jacobsµ. - Messieurs, je viens interpeller le gouvernement au sujet de la nomination du nouveau ministre de la justice, dont nous abordons le budget.

Le cabinet de 1857 ne compte plus que deux de ses membres primitifs. Nous en avons vu sortir MM. Partoes, Berten et de Vrière ; nous y avons vu entrer MM. Vandenpeereboom, Chazal et Vanderstichelen sans que l'opinion publique s'en émût. Au contraire, le remplacement de M. Tesch par M. Bara n'a pas été sans faire quelque bruit. Je veux en dire le pourquoi ; je vais dire quel est, suivant moi, le caractère de cette nomination, en attendant que le gouvernement nous donne des explications à cet égard et nous dise quelle est la signification qu'il y attache.

M. Bara est entré à la Chambre sous les auspices du libéralisme avancé, dont M. De Fré, d'abord, lui ensuite, ont été successivement l'espoir.

Le principal titre à la candidature de M. Bara est la thèse qu'il soutint devant la faculté de droit de l'université libre de Bruxelles pour obtenir les honneurs de l'agrégation. Cet ouvrage, que j'ai en mains, est intitulé : « Essai sur les rapports de l'Etat et des religions au point de vue constitutionnel ». En voici en deux mots le résumé : Il existe, au sujet de ces rapports, trois théories possibles : la confusion des pouvoirs ; leur alliance ; leur séparation absolue.

Quelle fut la doctrine du Congrès national ?

Quel est le système de la Constitution belge ? Est-ce celui de l'alliance, mitigé dans quelques-unes de ses conséquences, est-ce le système de la séparation radicale et absolue, à deux exceptions près, le traitement du clergé et la priorité du mariage civil ?

(page 22) « La première opinion, dit M. Bara, a prévalu dans la pratique, elle a été adoptée d'une manière plus ou moins complète dans ses principes, si pas dans ses conséquences, par l'opinion publique, par la plupart des hommes d'Etat, par la législature, par les différents gouvernements qui se sont succédé et enfin, consécration plus solennelle, par la jurisprudence.

« Pour nous, ajoute-t-il, nous n'hésitons pas à le dire, la véritable théorie constitutionnelle est celle qui sépare complètement la religion de l'Etat. »

Voilà, messieurs, le principe de cette thèse. J'énoncerai quelques-unes de ses conséquences, les principales ; il serait trop long de les énumérer toutes. Les voici. Je suis l'ordre de la thèse :

Suppression des aumôniers militaires. Quand on veut le prêtre hors de l'école, il est tout naturel de le vouloir hors de la caserne.

Liberté de la chaire ; abrogation, en conséquence, des articles 201 et suivants du code pénal.

Suppression des exemptions accordées aux ministres des cultes en matière de milice, de garde civique et de jury.

Suppression, par contre, des incompatibilités existant entre la profession des ministres d'un culte et les fonctions de bourgmestre, d'échevin, et de membre d'une députation permanente.

Suivant M. Bara, la présence des autorités civiles et militaires au Te Deum est un usage inconstitutionnel qui blesse la religion des dissidents ; il en est de même des honneurs militaires rendus au culte.

Je me demande jusqu'à quel point l'avènement de M. Bara est le signal de l'abandon du système de l'alliance pratiqué par tous les gouvernements, jusqu'à quel point nous allons voir le cabinet se rallier à la liberté de la chaire qu'il a si vivement combattue, jusqu'à quel point nous allons voir supprimer les incompatibilités établies contre les ministres des cultes et les exceptions établies en leur faveur ? Quant à ce dernier point, M. Bara suppose que si l'attention du Congrès eût été éveillée sur lui, il eût établi une troisième exception au principe à côté des deux autres.

Mais un logicien rigoureux et radical comme M. Bara sait fort bien qu'il ne nous appartient ni de corriger les erreurs ni de réparer les oublis du Congrès constituant.

Je dois me demander encore si nous ne verrons plus désormais les corps constitués assister au Te Deum et un piquet de soldats accompagner les processions ?

Ce n'est pas que j'y tienne : mais il importe de savoir si ce sont là les réformes que nous apporte le nouveau ministre de la justice, si ce sont là ses cadeaux de joyeuse entrée.

Ou bien, au contraire, M. Bara n'a-t-il obtenu son portefeuille qu'en faisant mea culpa ? A-t-il abjuré ses péchés de jeunesse, va-t-il adorer ce qu'il a brûlé et brûler ce qu'il a adoré ?

M. Bouvierµ. - Vous le jugerez d'après ses actes.

M. Jacobsµ. - Je le jugerai d'après ses actes ; mais je juge son avènement d'après ses actes antérieurs et ce n'est que d'actes que je parle.

Messieurs, lorsque six hommes se réunissent pour constituer un cabinet, il est tout naturel, il est indispensable que chacun d'eux fasse le sacrifice de quelques idées favorites, et je ne viens pas reprocher à l'honorable M. Vandenpeereboom de n'être plus aujourd'hui l'apôtre zélé de la réforme postale comme il l'était jadis.

MiVDPBµ. - Je le suis encore.

M. Jacobsµ. - Vous en êtes encore le partisan, je le veux bien, mais vous n'en êtes plus l'apôtre. (Interruption.)

J'admets donc cela pour les détails ; mais ce que je ne puis admettre, c'est qu'un homme qui se disait en désaccord complet avec l'opinion publique, avec la législature, avec la jurisprudence, avec tous les gouvernements qui se sont succédé en Belgique, y compris le gouvernement actuel sous le règne ministériel duquel il écrivait, en désaccord sur le principe des rapports entre les cultes et l'Etat, je ne puis admettre que cet homme entre dans un cabinet et qu'on lui confie le portefeuille dans les attributions duquel rentre précisément le règlement de ces rapports sans que l'accord se soit établi entre lui et ses collègues sur leur principe et leur base.

Je ne viens pas prétendre que M. Bara ait abandonné ses convictions primitives pour entrer au ministère, mais il doit y avoir ici une conversion soit de la part du gouvernement au système de la suppression radicale, soit de la part de M. Bara au système de l'alliance mitigée. Il importe que nous sachions à quoi nous en tenir sur ce point ; il importe que nous soyons éclairés sur les conditions de l'entrée de M. Bara au pouvoir.

Quant à moi, j'ai lieu de supposer que le converti, c'est M. Bara.

Depuis trois ans qu'il siège dans cette enceinte, nous n'avons jamais entendu M. Bara, le député, réclamer la réalisation des postulata de M. Bara, le publiciste. Jamais nous ne l'avons vu harceler le gouvernement pour obtenir qu'il abandonnât le système de l'alliance au profit du système de la séparation.

Si je ne me trompe, nous avons même vu M. Bara violer la Constitution et blesser la conscience des dissidents en assistant avec la Chambre en corps au Te Deum, à Sainte-Gudule.

Bien loin, comme je le disais, de faire de l'opposition au gouvernement, M. Bara s'en est montré, depuis qu'il est à la Chambre, le soutien le plus fidèle et le plus complaisant ; dans les circonstances délicates : s'agissait-il d'un ordre du jour hasardé, d'une proposition scabreuse, c'était à l'esprit inventif de M. Bara qu'on avait recours.

Dans son zèle de néophyte, ne l'avons-nous pas entendu l'année dernière déclarer qu'il voterait la loi sur les étrangers, quoique, d'après lui, elle fût mauvaise et consentir à l'ajournement indéfini de la révision de la loi de 1842, quoiqu'il la déclarât évidemment contraire à nos principes constitutionnels.

Je suis donc fondé à croire que M. Bara ministre suivra les errements de M. Bara député et non pas ceux de M. Bara publiciste ; ou, pour emprunter un terme au vocabulaire artistique, qu'il ne reviendra pas à sa première manière. Aussi longtemps d'ailleurs que M. Frère sera chef du cabinet, la politique ministérielle sera la politique de Jupiter et non pas celle de ses satellites. (Interruption.)

Comment se fait-il donc, si, au fond, rien n'est changé, que l'opinion publique se soit émue en voyant M. Bara remplacer M. Tesch au ministère de la justice ? C'est ce que je vais dire.

L'opinion conservatrice a rencontré dans M. Tesch un adversaire opiniâtre, mais observateur des formes et des convenances parlementaires, discutant toujours sur le terrain de la froide et calme raison ; au contraire, M. Bara, depuis son arrivée à la Chambre, y a pris le rôle de détracteur passionné de toute la hiérarchie catholique, depuis le sommet jusqu'à la base.

M. Bara s'est fait ici un rôle à part ; il a repris en quelque sorte la succession de M. Verhaegen. Et de même que l'opinion publique se serait émue autrefois de l'entrée aux affaires de M. Verhaegen, de même elle s'est émue de l'avènement de M. Bara.

N'est-ce pas lui qui naguère, ici même, appelait de ses vœux la chute du pouvoir temporel des papes ?

N'est-ce pas lui qui, interprétant un mandement épiscopal, sans tenir compte de l'erreur toujours possible et de la part de celui qui interprète, et de la part même de celui qu'on interprète, a oublié les égards dus à tout adversaire, jusqu'à l'accuser de mensonge et de calomnie ? Et cependant l'imputation que M. Bara croyait lui avoir été faite n'était pas de nature à le froisser beaucoup, si j'en juge par la thèse que je citais tout à l'heure et où je lis les paroles suivantes :

« L'antagonisme entre le catholicisme et le pouvoir civil est de nouveau un fait incontestable dont il faut savoir tirer parti. »

Ne peut-on en conclure que le nouveau ministre de la justice, dans ses rapports avec le culte catholique, le traitera, non pas en allié, non pas même en indifférent, mais en antagoniste et en ennemi ?

N'est-ce pas encore M. Bara qui, à propos des élections de Bruges, accumulant injures sur injures, a accusé le clergé d'y être intervenu de la manière la plus inconvenante et de la manière la plus désordonnée... ?

- Voix à gauche. - Cela est vrai.

M. Jacobsµ. - Un peu de patience ; M. Bara n'a-t-il pas accusé « le clergé d'y avoir joué un rôle indigne et misérable, d'avoir conduit les électeurs avec l'écume politique à la bouche, d'y avoir sali sa robe en se livrant à des orgies ? »

Direz-vous encore que cela est vrai ? (Interruption.)

Ne l'accusait-il pas d'avoir foulé aux pieds les notions les plus élémentaires de la religion et de la morale ? Dites-vous encore que c'est vrai ? (Interruption.)

Autre chose est de se mêler de politique, et autre chose est de fouler aux pieds les notions les plus élémentaires de la morale et de la religion. Vous aussi, qui m'interrompez, vous vous êtes aussi mêlés de politique ; avez-vous pour cela foulé aux pieds les notions les plus élémentaires de la religion et de la morale ?

L'imagination prêtrophobe de M. Bara allait jusqu'à lui représenter le prêtre au cabaret, la bouteille à la main, criant : Hourra Soenen ! A bas Devaux !

MjBµ. - Cela est dans l'enquête. Il fallait me réfuter immédiatement.

(page 23° M. Jacobsµ. - L'honorable M. de Naeyer vous a interrompu eu ce moment, et vous n'avez pas persisté, parce que cela n'était pas exact.

MjBµ. - C'est dans l'enquête.

M. Jacobsµ. - Ah ! je sais bien que c'était sous prétexte de donner au clergé des avertissements charitables que M. Bara trouvait le moyen de dire que le clergé se suicide, se dégrade, s'avilit, se perd et se déshonore.

- Plusieurs membres. - C'est vrai !

MfFOµ. - Beaucoup d'autres l'ont dit, même parmi vos amis.

M. Jacobsµ. - Non, il n'y a que les adversaires du clergé qui se plaisent à ces accumulations d'injures. Ne vous aperceviez-vous donc pas que, sous prétexte de donner un avertissement charitable au clergé, vous arriviez à l'avilir et à le déshonorer ?

Cette accumulation gratuite d'injures était-elle nécessaire, même si vous aviez raison de blâmer ?

Jamais, je le répète, jamais, à aucune époque, aucune bouche, dans cette enceinte, n'a poussé l'audace de l'injure aussi loin. Jamais membre de cette Chambre n'avait fait preuve, à l'égard du prêtre, d'une hostilité aussi passionnée.

Et c'est l'insulteur du clergé, c'est cet homme que vous allez vous adjoindre, dans les circonstances actuelles, pour compléter le cabinet et pour en faire un ministre de la justice et des cultes ? (Interruption.)

M. Lebeauµ. - Voilà un langage modéré !

M. Jacobsµ. - Voilà un langage modéré ! Osez-vous dire que la plupart de ces qualifications ne sont pas des injures, et je demande lequel d'entre vous les aurait tolérées, si elles s'étaient adressées à lui.

N'avez-vous donc trouvé personne autre qui voulût s'associer à votre politique et accepter la responsabilité de vos œuvres ; êtes-vous donc tellement abandonnés de Dieu et des hommes (Interruption), que vous en soyez réduits à confier ce poste à celui qui a tout fait pour s'y rendre impossible ?

M. Guizot, dans ses mémoires, raconte qu'en prenant le ministère de l'instruction publique, il fui le premier à demander qu'on en détachât les cultes. « Protestant, dit-il, il ne me convenait pas et il ne convenait pas que j'en fusse chargé. J'ose croire que l'Eglise catholique n'aurait pas eu à se plaindre et même je l'aurais peut-être mieux comprise et plus efficacement défendue que beaucoup de ses fidèles. » En effet M. Guizot n'aurait pas proposé la loi sur le temporel des cultes. « Mais, ajoute cet homme d'Etat, il y a des apparences qu'il ne faut jamais accepter. »

Je sais, messieurs, qu'il y a des différences entre la Belgique et la France. Je ne veux pas prétendre qu'un catholique seul puisse occuper le ministère de la justice en Belgique.

Mais je dis qu'en Belgique comme en France il y a certaines apparences qu'il ne faut pas accepter, et que l'homme qui se serait fait une spécialité d'attaquer les ministres d'un culte existant en Belgique, fût-ce la religion de la minorité, n'aurait pas pris le bon chemin pour être appelé à gérer le portefeuille de la justice et ses cultes.

Je suis persuadé que si on l'eût offert à M. Verhaegen, il ne l'aurait pas accepté ; M. Verhaegen n'était pas homme à accepter les apparences, mais le cabinet les accepte toutes.

Il semblait, messieurs, que dans les circonstances actuelles, nos divisions étaient assez profondes et nos luttes assez vives pour qu'on ne vînt pas encore les envenimer et qu'on cherchât au contraire à les pacifier. Eh bien, dites-moi quel est le nom en Belgique, je ne dis pas seulement dans la Chambre, qui eût été plus propre que celui de M. Bara à envenimer encore nos divisions ?

Voilà pourquoi, messieurs, quoique je sois convaincu que sa nomination ne change rien à la situation en elle-même, que ce n'est ni un pas en avant ni un pas en arrière, néanmoins par les antécédents de celui qui en est l'objet, elle revêt le caractère d'une provocation et d'un défi.

C'est le caractère qu'elle emprunte aux faits. S'il plaisait au cabinet de lui assigner une signification différente, nous sommes prêts à écouter ses explications ; nous les pèserons, nous les jugerons et nous verrons ensuite ce qui nous reste à faire.

MaeRµ. - L'honorable orateur, qui a parlé avec une modération que la Chambre appréciera, a terminé par deux mots qui expliquent parfaitement la signification de rentrée de l'honorable M. Bara au ministère.

Son entrée au ministère n'est ni un pas en avant ni un pas en arrière, encore moins.

La ligue politique suivie depuis huit ans par le cabinet, continuera d'être suivie, avec la même constance et avec la même véritable modération.

Le jeune représentant d'Anvers parle, avec un dédain qui m’étonne, d'un homme qui s'est signalé sur ces bancs par la véritable éloquence parlementaire, par son caractère politique, par ses principes et sa politique modérée. A ce titre, messieurs, nous avons été heureux et fiers de pouvoir associer ce jeune représentant à un cabinet déjà vieilli.

L'avénement de M. Bara a, dit-on, excité une profonde émotion dans le pays ; mais, je le demande à l'honorable représentant, quel est le libéral pris dans les rangs de la gauche, qui, arrivant au ministère, n'aurait pas produit la même émotion ? (Interruption.) Il y a eu de l'émotion parce que vous avez compris que le ministère avait senti le besoin de se fortifier, en perdant un de ses membres principaux, un homme auquel vous-mêmes venez de rendre hommage après qu'il est tombé (interruption), après qu'il n'est plus au pouvoir. Je constate que M. Tesch, qui a eu le privilège, pendant huit ans, d'exciter toutes les rancunes, toutes les haines, d'épuiser le vocabulaire de tous les outrages, de toutes les injures. Aujourd’hui qu'il n'est plus au pouvoir, voilà qu'on commence à lui rendre justice. Avant peu de temps M. Tesch sera devenu un petit saint. Toutes les colères, toutes les haines, toutes les imputations fausses se réveillent au nom de M. Bara, c'est à un nom que l'on fait la guerre. On ne s'occupe pas des actes que pourra poser notre nouveau collègue, c'est à son nom d'abord qu'on déclare la guerre.

Quant à ses principes, il se chargera lui-même de les expliquer pour ceux qui auraient encore besoin d'explications à cet égard. Ces principes, messieurs, sont ceux qui ont toujours été professés, pratiqués par l'opinion libérale.

On accuse M. Bara de vouloir la séparation de l'Eglise et de l’Etat, mais M. Bara veut cela avec la Constitution, avec la politique qui a toujours été suivie. C'est véritablement la séparation de l'Eglise et de l'Etat qui caractérise la politique belge, la Constitution belge. (Interruption.)

Je croyais, messieurs, qu'un reproche adressé au cabinet libéral, c'était de vouloir trop rattacher l'Eglise à l'Etat, d'avoir une tendance à s'immiscer dans les affaires de l'Eglise, de ne pas laisser l'Eglise assez indépendante de l’Etat ; aujourd'hui c'est parce que M. Bara représente le principe de la séparation absolue de l'Eglise et de l’Etat qu'il faut jeter la pierre à M. Bara.

M. Jacobsµ. - C'est le reproche que M. Bara faisait au gouvernement.

MfFOµ. - Attendez, attendez, vous serez satisfait tout à l'heure.

MaeRµ. - L'honorable orateur a reproché à notre honorable ami et collègue d'avoir appartenu à l'opinion avancée, à l'opinion radicale. C'est, en effet, un des griefs qu'on articule contre lui. Je m'en étonne. Si je comprends bien la politique actuelle de l'opposition, si je puis m'expliquer la conduite de l'honorable député d'Anvers et de ses amis, on ne fait pas fi dans leurs rangs du concours de l'opinion radicale ; il me semble que l'on est toujours prêt à lui tendre la main, que dans la presse et à la Chambre on se trouve trop heureux de pouvoir donner l'accolade à l'opinion que l'on dit radicale, et sous ce rapport l'origine de l'honorable M. Bara n'a rien qui doive déplaire à l'honorable collègue de M. Delaet ou de M. le comte d'Hane.

M. Delaetµ. - Je n'ai jamais été radical, M. le ministre.

MaeRµ. - Je ne pense pas que vous repoussiez l'appui des radicaux. Il me semble, qu'aujourd'hui la politique de l'opposition consiste à donner la main aux radicaux.

M. Delaetµ. - Les radicaux disent : Choisissons un libéral, quand même il s'appellerait Vleminckx. Sont-ce là nos alliés ou les vôtres ?

MaeRµ. - Je regrette d'avoir cité le nom de l'honorable M. Delaet, car je tiens à éviter des colloques désagréables pour l'un et pour l'autre. Je constate seulement cette alliance du radicalisme avec le soi-disant parti conservateur.

Je ne pense pas, messieurs, que l'on trouvera en M. Bara un ministre violent. Je suis convaincu que non. Mais je ne pense pas non plus que l'on trouvera en M. Bara un ministre complaisant.

Je ne crois pas par exemple qu'il donnera raison à l'attitude du clergé, déclarant, par une sorte de violence inconnue jusqu'ici, qu'il refusera son concours non seulement aux lois faites, mais aux lois à faire.

Je ne pense pas qu'il donnera raison au clergé engagé dans cette voie anarchique, (Interruption.)

(page 24) M. Dumortierµ. - Vous l'avez approuvée cette voie en 1828, 1829 et 1830.

MaeRµ. - M. Bara combattra l'anarchie partout où elle se manifestera, quels qu'en voient les organes ; qu'elle parle du haut des chaires épiscopales, ou qu'elle parle des bas-fonds des meetings, elle rencontrera dans M. Bara, comme dans tous ses collègues, d'énergiques adversaires. Prenez en note, messieurs.

Il faut donc s’y résigner, la politique du cabinet ne sera pas modifiée ; le cabinet suivra la ligne qu’il suit depuis 8 années et il marchera d’accord, il en est convaincu, avec la grande et la vraie majorité du pays.

Des occasions nombreuses se sont présentées de renverser ce cabinet, composé de voleurs, composé d'hommes impies, composé d'hommes de désordre, composé d'hommes qui veulent ramener la Belgique à ses jours les plus néfastes.

Le pays a eu plusieurs fois à se prononcer sur ce cabinet et toujours il l'a maintenu depuis 8 ans.

Cela, je le reconnais, n'est pas agréable à l'opposition, cela l'impatiente, cela l'irrite. (Interruption.) Nous jugeons de l'esprit de l'opposition par ce qui s'écrit dans la presse et par ce qui se dit dans cette enceinte.

Nous devons nous attendre, dans le cours de cette session, à de vives discussions si nous en jugeons par le premier discours qui vient d'être prononcé.

Nous ne serons pas les provocateurs, mais l'on trouvera sur ces bancs la même énergie pour défendre les vrais principes que nous avons fait triompher pendant tant d'années.

Nous ne demandons pas mieux que la session soit signalée par des travaux utiles, mais si l'on veut la lutte, nous sommes prêts à la soutenir. Nous croyons avoir pour nous le bon droit, la véritable modération, le vrai sens politique du pays.

Je ne dis rien de désobligeant pour personne, je n'injurie personne, je n'imite pas l'honorable orateur qui vient de se rasseoir.

M. Jacobsµ. - Je n'ai injurié personne.

MaeRµ. - Vous avez gravement injurié le ministre de la justice.

M. Jacobsµ. - J'ai rappelé ses injures.

MaeRµ. - Vous l'avez gravement injurié. Du reste, il n'a pas besoin de ma voix pour sa défense. Je lui cède la parole avec confiance s'il juge le moment opportun de la prendre.

MjBµ. - Messieurs, je remercie vivement l'honorable député d'Anvers d'avoir reproduit dans cette enceinte toutes les attaques qui ont été dirigées contre moi par la presse cléricale. Le réquisitoire qu'il vient de prononcer contre ma nomination est composé exclusivement des griefs que les journaux catholiques ont formulés.

Rien de nouveau, rien de plus, rien de moins ; toutes les exagérations ont été reproduites à cette tribune avec une fidélité irréprochable.

De quoi m'accuse l'honorable M. Jacobs ? Il prétend d'abord que je suis arrivé dans cette enceinte sous les auspices du libéralisme avancé. L'honorable membre a été prendre ce prétendu grief dans un journal de la presse catholique qui s'est bien gardé de donner la preuve de son allégation.

Du reste, je ne dirai pas à l'honorable député d'Anvers que je vais établir des distinctions dans le libéralisme. C'est dans vos rangs que l'on fait ces distinctions et qu'on les a faites pour diviser notre parti. Nous ne donnerons pas dans le piège que vous voulez nous tendre.

Regardez de votre côté et vous verrez la division bien plus profonde qu'elle n'est chez nous. Mais pour ce qui est de mon arrivée, il est complètement inexact que le libéralisme avancé ou le libéralisme doctrinaire y ait pris une part spéciale.

J'ai été nommé par l'arrondissement de Tournai, et les catholiques ont tellement bien cru que je n'étais pas un monstre affreux, un Van Maenen II, que M. Dumortier lui-même n'a pas cru devoir combattre mon élection, et que je suis arrivé sans contestation. (Interruption.)

Mais, messieurs, cette accusation de libéral avancé n'a été mise en avant que pour la confondre avec celle de communiste, de socialiste, de transfuge. (Interruption.)

On m'a appelé un boursier ingrat ; maintenant on m'appelle renégat, et l'honorable député d'Anvers soutient que ce n'est pas là de l'injure, que c'est de la politesse au suprême degré. (Interruption.)

Quoi qu'il en soit de ce premier reproche, voyons le second.

L'honorable député d'Anvers, avec tous ses collègues probablement, s'afflige de voir arriver au portefeuille de la justice et des cultes, un athée, un homme sans religion, un ennemi acharné de la religion catholique, un homme qui va supprimer les Te Deum, les aumôniers militaires, les traitements des ministres des cultes, un homme qui aspire à emprisonner tous les curés, tous les vicaires, tous les collateurs de bourses.

Eh bien, messieurs, je ne crois pas qu'il soit très utile de me justifier de ce reproche. Il est évident qu'on peut, s'adressant à certains esprits étroits qui acceptent comme vérité tout ce qu'on leur dit, il est évident qu'on peut leur faire croire des billevesées de cette nature ; mais je penserais manquer à la dignité de la position que j'occupe, je croirais faire injure au jugement de l'opposition en réfutant d'aussi misérables, d'aussi ignobles accusations.

Vous parlez d'athéisme et d'irréligion...

M. Jacobsµ. - Personne n'a parlé de cela.

MjBµ. - Vous avez porté la question sur le terrain religieux. (Interruption.) Mais vous n'ignorez pas qu'on a dit que c'était le solidarisme qui pénétrait dans les conseils de la Couronne ; vous n'ignorez pas qu'on a réédité toutes les calomnies qui avaient été lancées contre moi lors de ma première élection, et cependant dans ce volume dont M. Jacobs a donné lecture de quelques passages, je ne crois pas avoir professé des sentiments hostiles à la religion ; au contraire, je proclame que la religion est un besoin de l'humanité.

- Voix à droite. - Laquelle ?

MjBµ. - Ah ! nous savons bien que vous ne pouvez pas résister à l'argumentation. En fait de religion, dès qu'on vous presse vous devez déclarer que vous n'en reconnaissez qu'une ! la religion catholique, vous voulez qu'on ne travaille que dans son intérêt.

- Voix à gauche. - C'est cela.

- Voix à droite. - Non, non.

M. Jacobsµ. - Je demande la parole.

MjBµ. - Voilà votre thèse. Et c'est parce que ma nomination est, précisément une réponse à cette théorie insensée et inconstitutionnelle que vous vous êtes sentis blessés au vif. Vous avez compris qu'en me nommant, moi qui me suis toujours montré le défenseur de la tolérance, moi qui ai prôné le respect de toutes les religions et qui ai demandé l'égalité pour toutes les croyances, on n'introduisait pas dans le ministère un complaisant, un homme qui voudrait servir de marchepied aux prétentions épiscopales, et dès lors vous m'avez bafoué et traîné dans la boue. (Interruption.)

M. Rodenbachµ. - Nous avons juré d'observer la Constitution.

MjBµ. - Si vous l'avez juré, n'attaquez pas un homme qui déclare que toutes les religions sont respectables et qu'il ne fera pas de faveur à l'une plutôt qu'à l'autre, ce que vous voudriez.

M. Rodenbachµ. - Nous n'avons pas dit cela.

MjBµ. - Je sais que M. Rodenbach n'a rien dit de cela, puisqu'il n'a pas parlé, mais je réponds à M. Jacobs. (Interruption.)

Je ne croyais pas, messieurs, avoir à répondre ici au sujet d'une thèse que j'ai publiée pour entrer dans le corps professoral de l'université de Bruxelles. Je croyais en avoir fini avec mes examens, mais puisqu'il plaît à M. Jacobs de se poser en professeur, de me donner une leçon de modération et de m'interroger sur ce qui se trouve dans mon essai, je vais lui répondre.

M. Jacobs soutient que je suis partisan de la séparation de l'Eglise de l’Etat, de toutes les religions quelconques et de l’Etat, et il vous dit : Voyez, messieurs, les conséquences affreuses d'une pareille théorie ; jusqu'ici on avait toujours admis l'alliance des religions et de l'Etat. Voilà un nouveau ministre des cultes qui a fait un pas en avant. Est-ce le ministre qui a cédé devant M. Bara et qui va désormais pratiquer la doctrine de la séparation radicale, ou bien est-ce M. Bara qui s'est converti et qui a abdiqué une partie de ses opinions ? Quelle que soit l'hypothèse qu'on prenne, il n'y a que de l'humiliation ou pour le ministère ou pour le nouveau ministre. M. Jacobs a le talent de présenter les questions de telle manière qu'il reste toujours quelque chose de désobligeant pour les personnes auxquelles il s'adresse.

Si mitigées que soient que soient ses appréciations dans la forme, elles n'en sont pas moins désagréables au fond.

Eh bien, voyons. Dans la thèse à laquelle vous faites allusion et qui était une thèse de droit relative aux rapports des religions et de l'Etat, eu égard au droit pénal, au droit civil et aux législations spéciales, dans (page 25) cette thèse je dis qu'il y a trois opinions : la première qui confond la religion avec l'Etat, c'est la théorie de l'encyclique ; la seconde qui admet une certaine alliance de la religion et de l'Etat, tel que le régime français, et une troisième opinion qui veut la séparation radicale des religions et de l'Etat, c'est le régime américain.

Je me suis demandé en consultant les documents du Congrès, en examinant les décisions du gouvernement et des législatures, les arrêts de la jurisprudence, quelle était la théorie qui avait prévalu en Belgique, et qu'ai-je dit ? Que, d'après moi, c'était la théorie de l'alliance mitigée qui avait prévalu : Mais je me suis empressé de déclarer que j'étais partisan de la théorie de la séparation. et je crois que j'étais dans le vrai.

C'était une opinion doctrinale personnelle, et, en la soutenant, je ne faisais que me rallier à l'avis d'amis de M. Jacobs et de la droite, d'hommes marquants dans le parti catholique ; et si l'honorable M. Jacobs veut en avoir la preuve, je puis la lui donner immédiatement. Qui, en effet, a défendu au Congrès la séparation radicale de l'Eglise et de l'Etat ? C'est M. J.-B. Nothomb, et il l'a défendue dans les termes suivants :

« Nous sommes arrivés, disait M. J.-B. Nothomb, à une de ces époques qui ne reviennent pas deux fois dans la vie des peuples, sachons en profiter. Il dépend de nous d'exercer une glorieuse initiative et de consacrer sans réserve un des plus grands principes de la civilisation moderne. Il y a deux mondes en présence, le monde civil et le monde religieux : ils coexistent sans se confondre, ils ne se touchent par aucun point et on s'est efforcé de les faire coïncider. La loi civile et la loi religieuse sont distinctes ; l'une ne domine pas l'autre, chacune a sa sphère d'action.

« M. Defacqz a franchement déclaré qu'il veut que la loi civile exerce la suprématie ; il pose nettement le principe qui lui sert de point de départ ; nous adoptons un principe tout opposé, nous dénions toute suprématie à la loi civile, nous voulons qu'elle se déclare incompétente dans les affaires religieuses. Il n'y a pas plus de rapport entre l'Etat et la religion qu'entre l’Etat et la géométrie... MM. Defacqz et Forgeur ont cité des lois qui appartiennent à un système que nous repoussons. C'est le régime de Louis XIV, le régime de Bonaparte. Ne relevons pas un système qui gît dans la poudre du passé.

« Voici donc nôtre point de départ : séparation absolue des deux pouvoirs. »

Ainsi voilà M. J.-B. Nothomb qui nous dit qu'il n'y a pas plus de rapport entre la religion et l’Etat qu'entre l'Etat et la géométrie. Il considérait la religion comme une science et rien de plus. Il poussait l'irrévérence jusque-là ; et dans un autre passage il disait : « Désormais plus de concordat ; on ne traite pas avec une puissance qui n'a pas le droit de négocier. » Je vais vous dire comment M. Nothomb s'exprimait à cet égard ; il est très utile de rappeler parfois au parti clérical, qui change si souvent de programme et d'opinions, quelles ont été les idées des hommes qui ont le plus marqué dans ses rangs.

Cette leçon est très utile surtout pour ceux qui prétendent que le nouveau ministre de la justice a abdiqué ses anciennes opinions. « Séparation absolue ; voilà votre point de départ. »

L'honorable M. J.-B. Nothomb n'est pas ici ; mais l'honorable chanoine de Haerne est ici ; l'honorable M. de Haerne ne sera pas accusé d'athéisme, d'irréligion, sans doute ; on ne dira pas de lui que c'est un Van Maanen II ; eh bien, voici comment il s'exprimait au Congrès : « Dans l’état actuel de la société, il ne peut y avoir aucune alliance entre le pouvoir spirituel et le pouvoir civil autre que celle de la tolérance réciproque ou de la liberté. »

Et voilà l'honorable M. Jacobs plus catholique que le pape, plus catholique que l'honorable M. de Haerne qui demande une alliance mitigée !

M. Delaetµ. - Voulez-vous accepter loyalement, et sans sous-entendu, la séparation complète ?

MfFOµ. - Le système constitutionnel, c'est la séparation de l'Etat et de l'Eglise.

M. de Haerneµ. - C'est à la tolérance civile que j'ai fait allusion. Voilà tout notre principe : distinction entre la tolérance civile et la tolérance dogmatique.

MjBµ. - L'honorable M. de Haerne, je le comprends, doit être embarrassé de la citation en présence du discours de l'honorable M. Jacobs. Il s'agissait, dit-il, de tolérance civile et non de tolérance dogmatique. Mais qui donc a jamais songé à parler de tolérance dogmatique ?

Est-ce que le ministère a la prétention d'imposer ou de détruire les dogmes d'une religion quelconque ? Est-ce que jamais le parti libéral a proposé à la Chambre un projet de loi touchant à un dogme ? Il ne s'agit évidemment ici que de tolérance civile. Cela est tellement vrai, que l'honorable M. Jacobs lui-même, quand il nous parlait tout à l'heure des honneurs rendus à la religion, des aumôniers militaires, se plaçait évidemment au point de vue civil et nullement au point de vue dogmatique. Il est constant donc que M. le chanoine de Haerne est en dissentiment complet avec M. Jacobs.

Du reste, l'honorable M. de Haerne était-il seul dans le clergé à soutenir cette opinion ? En aucune manière : il y avait l'honorable abbé de Foere, entre autres, qui soutenait le même principe : il voulait qu'il n'y eût plus aucune alliance entre l'Eglise et l'Etat.

El voilà cependant le grief qu'on porte à cette tribune : pour avoir été du même avis que M. J.-B. Nothomb, l'honorable chanoine de Haerne, l'abbé de Foere et bien d'autres, je ne puis pas être un ministre des cultes. Tout ce qu'on vient de dire se réduit à cette formule très simple. (Interruption.)

Quant aux Te Deum, mais il y a des membres de la droite qui en ont parlé aussi et très irrévérencieusement : on demandait un jour ici si on devait aller au Te Deum ; et l'honorable M. Vilain XIIII répondit : Depuis la séparation de l'Eglise et de l'Etat, la Chambre n'a plus à s'occuper des Te Deum.

M. de Woelmontµ. - Ce serait plus convenable de ne pas y aller.

MjBµ. - Voici M. de Woelmont qui, lui, trouve que ce serait plus convenable de ne pas y aller.

M. de Woelmontµ. - Je dis qu'il serait plus convenable de s'en abstenir que d'y aller comme on le fait.

MjBµ. - Vous voyez donc, messieurs, que tout cela n'est pas, au fond, bien sérieux. Enfin, croit-on réellement, dans le parti catholique, que je sois hostile à la religion même ? Franchement, je ne le pense pas. Le parti catholique a vu de mauvais œil mon arrivée au ministère parce que je me suis toujours, dans cette Chambre, fait le défenseur de l'autorité civile contre les prétentions injustifiables de l'épiscopat. et c'est à cause de cela que je suis attaqué.

Si j'avais professé des sentiments antireligieux, si je consentais à faire droit aux réclamations de l'épiscopat, par exemple, en matière de fabriques d'église, croyez-vous qu'on m'attaquerait ? Nullement, messieurs, je pourrais commettre les plus grandes impiétés, je pourrais même dire, comme l'honorable M. d’Hane, que toutes les religions sont des boutiques ; et les curés d'Anvers voteraient pour moi. (Interruption.)

Je pourrais dire que la religion catholique est une boutique, comme l'a dit M. d'Hane, sans qu'il m'en arrivât le moindre inconvénient.

Il y a plus : qu'est-ce que c'est que de ne pas déplorer la chute du pouvoir temporel ? Ce n'est presque rien du tout, et je pourrais dire avec l'honorable M. Schollaert que « le vieillard sombre et blême veut ramener des siècles odieux » ; et je pourrais ajouter avec cet honorable membre que « ce vieillard creuse la tombe du catholicisme ».

- Une voix à droite. - Il a protesté contre cette imputation.

MjBµ. - Il est possible qu'il ait rétracté cette pensée, mais il a commencé par l'écrire.

M. Delcourµ. - Il n'a jamais dit cela dans le sens que vous supposez.

M. Vleminckxµ. - Expliquez donc le sens de ces paroles.

M. de Borchgraveµ. - Il l'expliquera lui-même.

MjBµ. - L'honorable M. Schollaert a dit cela à une époque où il n'était pas dans vos rangs ; où il demandait la révision de la loi de 1842 ; où il disait : Le prêtre hors de l'école. Il n'y a pas le moindre doute possible sur le sens de ces paroles de l'honorable M. Schollaert : le vieillard sombre et blême veut ramener des siècles odieux et il creuse la tombe du catholicisme.

M. Dumortierµ. - Ce n'était pas le pape, ce vieillard.

- Voix à gauche. - Qui était-ce donc ?

(page 26) MjBµ. - Quand on veut nier la lumière, quand on conteste l'évidence, il n'y a plus de discussion possible.

M. Dumortierµ. - Je défends mon honorable ami, parce que ce que vous lui attribuez n'est pas exact.

MfFOµ. - Votre ami s'est défendu.

MpVµ. - Pas d'interruption, messieurs, on peut se faire inscrire ; il y a place. (Interruption.)

MjBµ. - Que voulez-vous ! Je ne puis pas vous forcer à ne pas nier l'évidence. En tous cas, M. d’Hane l'a parfaitement écrit ; il a dit que toutes les religions étaient des boutiques ; et cependant les curés d'Anvers, soupçonnés de ne pas vouloir voter pour lui, ont fait connaître, par une lettre adressée aux journaux, qu'ils voteraient pour M. d'Hane.

Ne venez donc pas nous dire, à nous qui avons proclamé que le sentiment religieux est inhérent à la nature humaine ; ne venez pas nous dire que nous sommes hostiles à la religion. Non, vous attaquez mon arrivée au ministère de la justice, parce que je défends la Constitution, qui veut le respect de toutes les croyances et qui repousse toute suprématie d'une religion sur les autres.

Et permettez-moi de vous le dire : puisque vous êtes dévoués à la Constitution, et je le crois, vous auriez dû être heureux de mon avènement au ministère de la justice, si tant est que vous y attachiez une résistance plus énergique encore que par le passé aux prétentions de l'épiscopat. Je ne parle que de vous, car mon honorable prédécesseur a prouvé qu'il ne manquait pas d'énergie ; il a toujours su parfaitement défendre les droits de l'autorité civile ; mais je le répète : vous auriez dû être contents de ma nomination, si vous y attachiez la signification que vous indiquez, par la raison bien simple qu'alors qu'on prêche ouvertement la rébellion à la loi, la résistance à votre propre volonté, vous devriez vous dire qu'il n'y aurait jamais trop d'énergie au pouvoir pour triompher de cette opposition anticonstitutionnelle, et pour que force reste à la loi, à la volonté populaire.

M. Jacobsµ. - Messieurs, je n'ai pas de réplique à faire à M. Bara, parce que je n'ai pas obtenu de lui une réponse. Toujours ingénieux à détourner le débat, M. Bara avait d'ailleurs un thème tout fait : il a fait une réponse à la presse conservatrice au lieu de répondre à mon discours.

Qu'a dit M. Bara ? Il s'est disculpé du reproche d'athéisme ; mais je ne l'ai pas accusé d'être un athée ; il s'es .disculpé du reproche d'être un solidaire ; l'ai-je accusé d'être un solidaire ? il s'est disculpé du reproche d'être un successeur de Van Maanen ; l'ai-je comparé à Van Maanen ? il s'est disculpé de tout cela sans doute en réponse à la presse catholique ; mais rien de tout cela ne se trouvait dans mon discours : et c'est à moi cependant que M. Bara a prétendu répondre.

Il s'est donc placé à côté de la question, et son siège était fait.

M. Bara a terminé son discours en prenant pour programme la Constitution tout entière, et en se disant l'adversaire de la suprématie d'un culte sur les autres.

Si c'est là son programme, c'est le nôtre aussi, ce n'est pas sur nos bancs qu'il trouvera des contradicteurs ; nous avons juré d'observer la Constitution ; et vouloir la suprématie d'un culte serait parjurer notre serment.

Ce n'est donc pas là ce que nous disons.

Le fonds de mon discours lui a paru désobligeant ; il se trompe, ce sont les faits que j'ai rappelés qui le sont et c'est lui qui les a posés.

J'ai rappelé un dissentiment profond constaté par lui-même entre ses collègues et lui ; M. Bara n'est pas parvenu, malgré ses efforts, à prouver qu'il n'était pas, au sujet du principe des rapports entre l’Etat et les cultes, en contradiction complète avec les gouvernements qui se sont succédé en Belgique.

MjBµ. - C'était une opinion de droit, et la contradiction que vous signalez n'existe pas.

M. Jacobsµ. - Ce qui est vrai en droit ne l'est-il pas en politique ?

Vous invoquez M. Nothomb, vous invoquez M. de Haerne ; vous portez une botte, à droite, à M. d'Hane, une botte, à gauche, à M. Schollaert ; et par là vous détournez l'attention, mais vous n'effacerez pas les lignes que j'ai citées et qui sont de vous, vous ne les empêcherez pas de constater une contradiction radicale entre le système d'alliance plus ou moins mitigé, système, d'après vous, suivi jusqu'ici par tous les gouvernements en Belgique, et le système de la séparation absolue, défendue par vous dans votre thèse.

MjBµ. - Comme M. de Haerne.

M. Jacobsµ. - Là n'est pas la question ; je n'ai pas examiné si le système est bon ou mauvais, vrai ou faux ! Je ne l'attaque pas ; que vous soyez avec M. de Haerne ou avec M. Nothomb, peu importe ; je constate un fait : c'est que, d'après vous-même, vous êtes en désaccord avec la pratique constante de tous les gouvernements qui se sont succédé en Belgique, et je me borne à demander, à l'occasion de votre avènement, si c'est l'opinion que vous avez défendue dans votre thèse qui arrive au pouvoir, ou si vous vous ralliez à celle qui n'a cessé de prévaloir jusqu'ici ; là est toute la question ; le système pratiqué par le cabinet devient-il le vôtre ou le vôtre devient-il le sien ?

M. Bara n'a rien répondu non plus à ce que j'ai dit de l'attitude qu'il a prise ici à l'égard du clergé, et qui est encore présente à tous les esprits.

M. Rogier a répondu que la droite aurait accueilli de la même façon tout autre choix ; j'ai répondu d'avance à cette objection, et je vous ai cité les honorables MM. Vanderstichelen et Alp. Vandenpeereboom, dont la nomination n'a fait l'objet d'aucune protestation de notre part ; pourquoi ? Parce qu'il était évident que cette nomination n'impliquait aucune aggravation de la politique ministérielle et que rien n'était changé par suite de leur arrivée au pouvoir.

J'ai dit et prononcé qu'aucune nomination ne devait nous donner plus à réfléchir que celle de M. Bara ; et je serais fort désireux qu'au lieu de répondre à ce que les journaux lui ont reproché hors de cette enceinte, il voulût bien donner catégoriquement les explications qu'on lui demande ici.

M. de Theuxµ. - M. le ministre de la justice nous a déclaré qu'il n'était pas arrivé au ministère de la justice pour favoriser exclusivement le culte catholique ; nous prétendons que le gouvernement est exclusivement hostile au culte catholique, et c'est à cause de cette disposition d'esprit, que nous avons fait une guerre continuelle au cabinet et que nous le combattrons encore, à moins d'un changement radical dans la situation.

Mais, messieurs, qui de nous a jamais songé à demander au gouvernement qu'il fût exclusivement favorable au culte catholique ; pourrait-on citer un seul membre de la droite qui ait jamais annoncé de pareilles prétentions ? Il faudrait être absurde pour le faire ; il faudrait nier tous les principes de notre Constitution.

Mais ce que nous avons combattu, messieurs, c'est un cabinet exclusivement hostile au culte catholique, tendance qui s'est révélée dans de nombreuses lois et dans une foule innombrable d'actes administratifs.

Messieurs, en 1846, lors d'une discussion politique importante, je disais à la gauche : « Votre avènement au pouvoir est certain ; il n'est pas éloigné ; vous combattrez le clergé et le culte catholique ; vous pousserez cette guerre à un point tel, que la situation deviendra intolérable et qu'à l'exemple de ce qui s'est passé en France, dans le royaume des Pays-Bas et en Prusse, vous serez obligé de changer de politique et de faire tous vos efforts pour établir la paix et la concorde dans l'Etat. » Et je le disais avec d'autant plus de conviction que le concordat de 1801 avait été précédé de cette grande révolution qui avait fait main basse sur toutes les institutions catholiques de la France. Je le disais avec d'autant plus de conviction que le gouvernement des Pays-Bas, dominé par l'esprit protestant et l'esprit libéral avancé de quelques membres des états généraux, en était venu au point de laisser les sièges épiscopaux vacants, de créer un collège philosophique qu'aucun catholique ne voulut fréquenter, de fermer tous les séminaires diocésains.

Et deux années après cette hostilité, le gouvernement des Pays-Bas concluait le concordat de 1829, et ce gouvernement marchait à grands pas vers la conciliation, et ne fût arrivée la révolution française de 1830 qui a précipité le mouvement en Belgique, le gouvernement des Pays-Bas se serait consolidé et aurait fait droit à tous les principaux griefs du cullt catholique.

En Prusse, pays presque entièrement protestant, le gouvernement qui avait emprisonné, à cause des mariages mixtes, les archevêques de Cologne et de Posen, rétablissait bientôt la concorde dans l'Etat et faisait le concordat.

Après de tels exemples, disais-je encore, croit-on qu'en Belgique, où la religion catholique est si vivace, où le pays est doté d'institutions aussi libres, on puisse opprimer le culte catholique ? Ne vous y trompez pas, c'est une guerre insensée, ce serait une guerre ruineuse pour le pays et pour ses institutions, si elle pouvait se prolonger. Mais cette guerre ne se prolongera pas ; un esprit de sagesse domine en Belgique ; la couronne (page 27) est là pour sauvegarder les intérêts généraux, et jamais les choses n'y iront au point où elles sont arrivées dans d'autres pays en des temps désastreux.

Dans cette séance même, messieurs, n'avons-nous pas vu encore confirmer les outrages lancés au clergé, il y a deux ans, à propos d'élections ? J'en ai été affligé ; ce n'est pas ainsi que les grands pouvoirs doivent donner l'exemple au pays. Mais MM. les ministre des affaires étrangères et de la justice n'ont-ils pas encore attaqué avec une violence extrême l'épiscopat ? N'ont-ils pas proféré des menaces, menaces qui sont inefficaces ?

MaeRµ. - Ce n'est pas nous qui menaçons.

M. de Theuxµ. - Pardon ; vous menacez. De quoi se plaint le clergé ? Prenons les deux griefs, la loi des bourses et la loi sur le temporel des cultes. La loi des bourses, qui de nous n'a pas déclaré que cette loi était une spoliation immorale, en ce qu'elle violait la volonté la plus formelle des testateurs, en ce qu'elle conduisait à faire servir à l'éducation antireligieuse les bourses qui avaient été fondées évidemment pour préparer à l'état ecclésiastique et pour soutenir la religion catholique à l'époque de la réforme ?

Eh bien, jusqu'où ira l'opposition des collateurs et d'une partie du clergé ayant à se prononcer sur l'exécution de la loi ? Je n'en sais rien ; je n'ai pas été consulté à cet égard. Mais les tribunaux seront juges de la légitimité de l'opposition. Il y a des juges en Belgique et la question se terminera là.

La loi sur le temporel des cultes ! Mais à moins que le clergé catholique n'abdique ses titres à la confiance du pays, à moins qu'il ne renonce aux promesses qu'il a faites lors de la consécration sacerdotale, il ne peut pas concourir à l'exécution d'une loi qui tend à dépouiller l'Eglise de la propriété et de 1'administration des biens que les fidèles ont destinés au culte.

Messieurs, nous vous attendons à l'œuvre ; faites cette loi ; faites-la voter ; exécutez-la et nous verrons.

Messieurs, je disais encore en 1846 : L'époque n'est plus où les gouvernements en se mettant en opposition au culte catholique, comme ils l’ont fait dans divers pays à l'époque de la réforme, ont pu créer un culte nouveau et se mettre à la tête de ce culte, interdisant la célébration du culte catholique, poursuivant ceux qui le pratiquaient, qui le propageaient. Ce temps n'est plus ; il ne reviendra plus. Une seule chose est possible aujourd'hui ; c'est l'extension de la négation de tout culte. Les hommes raisonnables seront-ils assez insensés pour pousser à la réalisation de ce vœu ? Je ne le crois pas ; en tout cas, j'ai l'intime conviction qu'ils ne seraient pas suivis par le peuple belge. Le peuple belge a trop de moralité pour avoir besoin de renier la divinité. Le peuple belge a confiance dans son culte qui lui promet un meilleur avenir et un dédommagement à toutes les souffrances temporelles.

Messieurs, ce qui est vrai, ce qui est incontestable, ce qui est palpable pour tout observateur, c'est que la situation actuelle est trop tendue. Elle inquiète le pays ; elle diminue la confiance de l'étranger dans notre avenir... (Interruption.) Oui, je dis qu'en 1830 et pendant plusieurs années j'ai entendu les doutes que les représentants des puissances étrangères manifestaient à cet égard. Ces doutes, nous sommes parvenus à les dissiper. La conclusion du traité de paix en 1839, la conduite de la Belgique en 1848, avaient inspiré la plus grande confiance à tous les pays étrangers comme à la Belgique elle-même. Eh bien, ce sentiment de confiance est ébranlé. On ne dit plus à l'étranger : « la liberté comme en Belgique. »

- Un membre. - Dans la presse cléricale !

M. de Theuxµ. - Je puis dire que ce sentiment nous l'entendons exprimer dans toutes les conversations. Il est inutile de le nier. Et croyez-vous donc que l'étranger ne se rend pas compte de nos débats, qu'il est ignorant de ce qui se passe ? Mais autant nous nous occupons de ce qui se fait dans d'autres pays, autant l'étranger s'occupe de ce qui se fait ici.

D'autant plus que la Belgique est constituée en quelque sorte comme la sauvegarde de la paix entre les nations, comme un intermédiaire entre le Midi et le Nord. Tout le monde est intéressé au maintien de la nationalité belge, nous les premiers, car si nous avons eu le bonheur de la constituer, nous n'aurions probablement plus le bonheur de la reconstituer si elle venait à périr, et cette calamité serait éternelle.

Le Congrès national, messieurs, nous a donné la devise : « L'union fait la force. » Plut à Dieu que cette devise n'eût jamais été oubliée, mais de nos dissensions actuelles résulte-t-il que cette devise soit désormais une lettre morte et que la pensée du Congrès ne doive plus inspirer le sentiment publie dans de meilleures circonstances ? Non, messieurs, j'ai assez de confiance dans le patriotisme de nos concitoyens pour croire qu'un jour il se présentera des hommes indépendants, dévoués au Roi, dévoués au pays et qui, faisant abstraction de leurs convenances personnelles, sauront prendre le pouvoir en mains, qui feront régner la paix entre toutes les opinions en annonçant que la base de leur administration sera la justice et l'impartialité.

Eh bien, messieurs, j'ose prédire à ces hommes, à quelque opinion qu'ils appartiennent, j'ose leur prédire qu'ils auront l'assentiment de l'immense majorité du pays et de la Chambre et que le pays sera heureux de sortir de la crise actuelle.

Messieurs, un ministère constitué dans les conditions que je viens d'énoncer serait un point de ralliement pour tous les amis de l'ordre, pour tous les amis du pays et ils formeraient un faisceau qu'il serait difficile de rompre à l'avenir.

MaeRµ. - Messieurs, l'honorable comte de Theux a terminé son discours par un vœu que je partage en tous points. Il a demandé que le pays fût gouverné par des hommes impartiaux, indépendants, amis de la Constitution, dévoués au pays et au Roi et à l'œuvre de 1830. Messieurs, je ne sais si je me fais illusion, je ne sais si ma déclaration me vaudra le reproche d'une présomption excessive, mais, en conscience, je crois que les hommes qui siègent au banc des ministres ont le caractère que souhaite M. de Theux pour les hommes d'Etat de l'avenir.

Je crois, messieurs, que depuis huit années l'administration a été impartiale, que nos actes ont été inspirés par le véritable intérêt du pays ; et, puisque l'on cherche à semer je ne sais quelles divisions, quelles incompatibilités entre la couronne et le ministère, je dis que si la couronne n'avait pas compris les ministres et leurs intentions et leurs desseins, la couronne n'aurait pas hésité à s'en séparer. Je doute d'ailleurs, je l'avoue qu'il soit très constitutionnel et très convenable, surtout de la part d'un ancien ministre, de faire intervenir ici la personne du Roi ; mais en nous plaçant même sur ce terrain, nous nous croyons encore les véritables représentants de cette haute influence ; la royauté n'a jamais eu qu'un but, qu'une volonté, c'est de marcher d'accord avec la majorité du pays, avec la représentation que le vote libre du pays envoyait au parlement ; et, c'est là, messieurs, ce qui a fait sa force, c'est là que le Roi a puisé ses titres à l'estime générale. C'est parce qu'il a constamment et consciencieusement suivi les règles du gouvernement représentatif, que le Roi, à l'âge où il est parvenu, a vu grandir sa réputation et la sympathie qui l'entoure dans le monde entier.

Eh, messieurs, ne croirait-on pas que tout était admirable, que tout était conduit modérément, avant la présentation de ces deux lois, dont on s'est fait une arme qu'on a cherché à envenimer de toutes les manières ? Est-ce à la loi des bourses, votée aujourd'hui et contre laquelle on se révolte scandaleusement, est-ce donc à l'occasion de la loi des bourses, loi votée et sanctionnée par tous les pouvoirs constitutionnels, est-ce à l'occasion de la loi sur le temporel des cultes, qui n'est pas encore faite, que tout à coup le pays a perdu sa confiance en lui-même et que le ministère est devenu un fléau pour le pays ? Est-ce que, avant ces deux lois, le ministère libéral n'a pas été l'objet des mêmes attaques, des mêmes récriminations, des mêmes reproches ? Est-ce que dès 1847 mes honorables amis et moi nous n'avons pas été en butte à l'opposition la plus violente de la part de l'opinion catholique ? Ce ne sont donc pas, messieurs, les deux lois dont on cherche à effrayer le pays, qui ont fait au pays la position déplorable où nos adversaires le représentent.

La cause véritable, la cause de l'irritation, c'est la présence au ministère d'hommes indépendants, constitutionnels, voulant l'exécution de la Constitution pour tout le monde, pour toutes les opinions, pour tous les cultes. Voilà, messieurs, la cause de l'irritation. Et rappelez-vous que, déjà en 1841, l'honorable M. Dechamps, l’auteur de cette brochure que je n'hésite pas à condamner, à flétrir au sein de la Chambre... (interruption) que déjà en 1841, il y a de cela vingt-quatre ans, l'honorable M. Dechamps ne venait pas invoquer l'irritation du pays contre le ministère et provoquer un vote de défiance contre le cabinet ?

Dès 1841, le pays était irrité de la présence de M. Leclercq, de M. Mercier, de M. le général Buzen, de M. Lebeau, de M. Liedts et de celui qui vous parle en ce moment. Voilà le ministère qui irritait dès lors l'opinion catholique. Celui-là n'avait pas présenté la loi des bourses, ni la loi relative au temporel des cultes ; il irritait un certain nombre d'hommes ambitieux, jaloux du pouvoir, mécontents de ne pas pouvoir exercer (page 28) dans le gouvernement l'influence qu'il exerce dans tout le reste de la société. Ce qui les irritait, c'était la présence d'hommes indépendants et constitutionnels.

Mais, en 1848, ces hommes que l'on s'était plu à représenter comme les fauteurs du désordre, de l'anarchie ; ces hommes qui possèdent encore la direction des affaires, l'honorable M. de Theux vient lui-même de le reconnaître, n'ont-ils pas se maintenir l'ordre ? Est-ce que leur présence aux affaires a été alors considérée comme une calamité ? N'avons-nous pas reçu alors sur les bancs de la droite les hommages les plus flatteurs ? Je dois croire aussi que nous les avions un peu mérités.

Eh bien, si à Dieu ne plaise, malgré d'imprudentes et coupables provocations, des circonstances semblables venaient à se reproduire pour le pays, vous trouveriez les mêmes hommes animés des mêmes sentiments, dévoués aux mêmes devoirs et qui dès lors, je l'espère, attireraient aussi de vous les mêmes acclamations.

L'honorable M. de Theux dit que nous avons adressé des menaces au clergé. Je cherche en vain dans mon discours et dans le discours de mon honorable collègue un seul mot qui ressemble à une menace.

Nous avons constaté, nous avons déploré l'attitude que croit devoir prendre le clergé en présence d'une loi votée et en présence d'une loi non encore faite. Nous avons déploré qu'il prêchât la désobéissance aux lois.

M. B. Dumortierµ. - Ce ne sont pas des lois cela ! La loi est faite pour tous et celles-là sont faites contre un parti. (Interruption.)

M. Bouvierµ. - Mais c'est de l'anarchie cela.

MpVµ. - M. Dumortier, vous devez respecter les lois qui ont été votées par la Chambre, et c'est un devoir pour tous.

MaeRµ. - Il me semble qu'un pareil langage ne peut être permis de la part d'un législateur.

MpVµ. - M. le ministre, je viens de le réprimer.

MaeRµ. - Si du haut de la tribune aussi, vous faites descendre le mépris de la loi, prenez garde de le faire pénétrer dans ces masses qui vous effrayent et à qui l'on prêchait naguère les doctrines les plus épouvantables, car vous pourriez avoir un jour cruellement à souffrir des fruits amers que vous y semez.

M. Dumortierµ. - Je demande la parole.

MaeRµ. - Nous n'avons pas menacé et si quelqu'un a fait entendre des menaces dans cette enceinte, avec beaucoup de modération dans la forme, il est vrai, c'est l'honorable M. de Theux.

Ce n'est pas la première fois que l'honorable M. de Theux nous parle des révolutions qui ont renversé les dynasties en France, des révolutions qui ont renversé les dynasties en Belgique ; il a l'air de nous prédire que, si cela continue, une nouvelle révolution nous attend. (Interruption.)

A quoi bon rappeler avec insistance ces antécédents, si ce n'est pas pour en faire ressortir aux yeux de quelques hommes effrayés les conséquences probables ou possibles.

Eh bien, messieurs, ces menaces qui échappent à l'honorable M. de Theux, malgré la froideur (je ne veux pas l'en blâmer, c'est une qualité pour un orateur), malgré la modération extérieure de ses discours, me paraissent en fait très regrettables.

Toutefois, je n'en suis pas effrayé ; il y a, messieurs, des révolutions qui réussissent parce qu'elles résultent de justes griefs ; là où il y a oppression, injustice, réaction violente, le mécontentement véritable et non factice, ce mécontentement éclate dans un moment donné. En 1830, les catholiques étaient mécontents ; mais ils n'étaient pas seuls mécontents ; les libéraux étaient mécontents aussi, et je l'ai dit quelquefois, sans le concours de l'opinion libérale, je crois franchement que toutes les tentatives révolutionnaires du clergé auraient pitoyablement avorté.

M. Van Wambekeµ. - Et sans la France aussi.

MaeRµ. - Et cependant le clergé avait des griefs réels ; il pouvait se croire alors jusqu'à un certain point opprimé ; il pouvait croire la religion catholique plus ou moins menacée par la prédominance ou le contact de la religion protestante.

Est-ce que par hasard la situation du clergé en l'an de grâce 1865 est en aucune façon comparable à la situation du clergé de 1829 ? Je fais un appel à la bonne foi des membres de la Chambre, à la bonne foi du clergé tout entier ; est-il au monde un pays où le clergé se trouve dans une position plus indépendante, plus florissante, plus respectée des fidèles qu'en Belgique ?

M. Bouvierµ. - Quand il ne se mêle pas de politique.

MaeRµ. - Eh bien, messieurs, je le reconnais, il peut y avoir certaines mesures, qu'à tort le clergé considère comme étant dirigées contre lui, certaines lois qui lui déplaisent ; mais qu'il pèse aussi la masse immense d'avantages dont il jouit, la position privilégiée qu'il occupe en Belgique et qu'il ne rencontrerait nulle part ailleurs. Ne devrait-il pas se montrer un peu plus modéré, un peu plus tolérant ? Faut-il qu'il éclate en menaces aussi violentes parce qu'une loi lui déplaira ?

Quant au tort que le clergé fait à la religion dans le pays, je n'ai pas besoin de m'expliquer à cet égard. Je crois que par son attitude le clergé fait beaucoup de mal à la religion.

M. de Mérodeµ. - C'est son affaire.

MaeRµ. - C'est son affaire, dit M. de Mérode, mais c'est aussi la nôtre ; nous ne nous donnons pas comme aussi orthodoxe que M. de Mérode, mais nous désirons beaucoup que la religion fleurisse dans le pays. (Interruption à droite.) De quel droit riez-vous ? On vous dit, messieurs, qu'on s'occupe beaucoup de nous à l'étranger. C'est vrai, on voit un petit pays où tout abonde et prospère, où règne une liberté illimitée en toutes choses, on y voit un clergé dont la situation a longtemps fait envie au clergé de tous les pays, un clergé entièrement indépendant de l'Etat.

Nomination des membres du clergé sans intervention de l'Etat, salaire assuré au clergé par la Constitution, liberté de l’enseignement assurée au clergé, liberté, depuis le haut jusqu'au bas, depuis l'université jusqu'à l'école primaire, jusqu'à l'école gardienne, liberté absolue sans immixtion aucune de l'autorité civile ; la liste serait longue si je devais énumérer les avantages immenses que le clergé retire de la Constitution belge et dont il ne jouit nulle part ailleurs qu'en Belgique.

On parle de la guerre aux couvents, mais vous avez et nous avons tous la liberté illimitée d'association et au moyen de la liberté d'association nous avons autant de couvents que peuvent en désirer ceux qui en désirent le plus.

Eh bien, messieurs, dans un tel état de choses, que dit-on à l'étranger ? que dit-on dans les pays où le clergé ne jouit pas de ces avantages ? Voici ce qu'on dit : Prenez garde aux prétentions du clergé, il n'est jamais content. Voyez la Belgique, le clergé y jouit de tous les avantages et il est sur les bords de la rébellion. Il se représente comme opprimé de toute manière, il représente la religion comme persécutée.

Chose remarquable, quand j'étais au département de l'intérieur, je recevais des rapports de messeigneurs les évêques, en exécution de la loi de 1842, et que disaient-ils dans ces rapports ? Ils se louaient de la situation du pays au point de vue de la religion ; ils n'avaient pas un reproche à faire aux instituteurs, ils trouvent que partout la religion est respectée, honorée, pratiquée, qu'instituteurs et élèves se distinguent en général par leur esprit profondément religieux. Voilà de quelle manière la situation est représentée par les évêques dans leurs rapports avec le gouvernement.

Et cependant, à entendre ce qui se dit ici et ailleurs, rien de cela n'existe.

La religion est vilipendée, la divinité est niée, et ce sont les libéraux qui la nient, car tout ce qui se dit d'extravagant dans un certain monde est généreusement attribué par nos adversaires à l'opinion libérale. L'autre soir, une collection de fous, d'insensés que je ne puis excuser qu'en supposant qu'ils étaient sous l'empire de libations, sont venus déclarer qu'il fallait guillotiner cent mille bourgeois ! C'étaient des libéraux !! Les bourgeois ont beau dire : Mais nous sommes des libéraux, nous représentons la liberté, la société moderne qui grandit, qui prospère et qui travaille ; ceux qui viennent nous parler de nous couper le cou ne peuvent donc être des libéraux.

M. Dumortierµ. - Ce sont des catholiques alors.

MaeRµ. - Ce sont des anarchistes et ici nous allons nous entendre ; il y a anarchie d'en bas et anarchie d'en haut : ceux qui prêchent la rébellion à la loi sont des anarchistes.

M. Dumortierµ. - Ceux qui font des lois injustes sont des anarchistes.

- Voix nombreuses à gauche. - A l'ordre !

MpVµ. - Une loi votée régulièrement doit être respectée.

M. Dumortierµ. - On peut demander le rappel de toutes les lois.

MpVµ. - Oui, mais tant qu'elles existent, il faut les respecter partout et surtout ici,

(page 29) - Une voix à droite. - Il est permis de les qualifier.

MaeRµ. - On fait appel aux hommes modérés, on leur promet un concours sympathique et absolu. Je veux admettre qu'on est de bonne foi dans ces promesses ; mais franchement, je crois aussi qu'on ne les tiendrait pas longtemps. Nous avons la prétention d'être ces hommes modérés, mais on ne nous prend pas comme tels. Nous avons à vos yeux le tort d'avoir vécu longtemps et d'être restés fermes dans nos principes. Eh bien, essayez-en d'autres.

Des appels successifs ont été faits à diverses époques aux hommes modérés, ils ont été trouvés impossibles au moins sur les bancs de la droite. Nous avons eu le ministère de M. J.-B. Nothomb. M. J.-B. Nothomb est arrivé après 1841 pour calmer l'irritation du pays, car il y a 24 ans que le pays est irrité. Eh bien, comment M. Dumortier a-t-il reçu M. Nothomb ? Je fais un appel à l'honorable M. Dumortier lui-même ?

M. Dumortierµ. - Je l'ai d'abord soutenu.

MaeRµ. - M. Dumortier l'a d'abord soutenu, mais après ? Comme M. Nothomb n'allait pas assez loin au gré de M. Dumortier, M. Dumortier ne l'a plus soutenu. Comment M. de Theux, l'ami des hommes modérés, a-t-il soutenu M. J.-B. Nothomb ? Il l'a dit lui-même ; il lui donnait un appui homéopathique, un millionième d'appui ; il en était de même de M. l'abbé de Foere. M. J.-B. Nothomb était d'origine libérale, on doit lui rendre cette justice ; on devait donc encore conserver contre lui quelques rancunes, nourrir quelques soupçons, et en effet un beau jour M. Nothomb est venu proposer une loi relative à la nomination des jurys qui a soulevé tous les bancs de la droite contre lui et transporté M. Dechamps des bancs ministériels sur les bancs de l'opposition.

Mais nous avons eu des modérés plus orthodoxes ; nous avons eu l'honorable M. de Decker ; nous avons eu l'honorable M. Vilain XIIII ; nous avons eu l'honorable M. Nothomb. Ceux-là étaient, je crois, des modérés qui devaient être du goût de la majorité catholique. Or, je le demande, ont-ils eu à se louer beaucoup de l'appui des partisans de la modération ? Si l'honorable M. de Decker était ici, je lui ferais un appel personnel et je lui demanderais s'il n'est pas vrai que son cabinet a été plus appuyé, plus constamment appuyé par la gauche que par la droite.

- Voix à droite. - Ah ! ah !

MaeRµ. - Ceux qui rient n'étaient pas présents à nos séances.

MfFOµ. - Vous oubliez les mandements des évêques.

MaeRµ. - Je ferais appel à l'honorable M. de Decker et, j'en suis convaincu, il nous dirait qu'il a été appuyé plus souvent par la gauche que par la droite.

Si je consultais l'honorable M. Dumortier qui a, je crois, quelque chose à dire et qui aura longtemps encore, j'espère, quelque chose à dire, car il s'est toujours distingué par son amour ardent pour la Constitution, et je suis certain qu'en toute occasion elle pourrait compter sur lui comme sur un de ses plus chauds défenseurs, si, dis-je, je consultais l'honorable M. Dumortier pour connaître son opinion sur l'honorable M. de Decker...

MfFOµ. - Pierre l'apostat.

M. Dumortierµ. - En réponse à votre interpellation, je vous dirai que j'ai parlé pendant trois heures un jour pour vous empêcher de voter, parce que, à ce moment, vous étiez en majorité.

MaeRµ. - Je veux dire seulement que cet homme si modéré n'avait guère vos sympathies.

Il faut cependant des hommes modérés ; il en faut à tout prix. Eh bien, qu'on les cherche et, s'ils répondent aux vœux de la majorité du pays, qu'on les prenne, ce n'est pas nous qui y mettrons obstacle. Nous sommes ici, mon honorable collègue des finances et moi, depuis huit ans déjà et on ne nous soupçonnera pas, je suppose, de vouloir tenir le pouvoir contre le gré de la majorité et du pays.

Nous ne demandons pas mieux que de laisser le pouvoir à d'autres ; nous sommes prêts ; que la Chambre prononce, que le pays prononce, nous abandonnerons avec une grande satisfaction ce pouvoir que nous occupons à vrai dire depuis longtemps ; et nous promettons une chose : c'est que si des hommes, à vrai dire, modérés et indépendants se placent sur ces bancs, nous les appuierons, non pas avec des réserves, non pas d'une façon tiède, mais avec la même chaleur que nous mettons à nous défendre.

II y a, je le reconnais, quelque chose de pénible dans la situation : il y a, dans le pays, une espèce d'irritation plus grande, plus réelle qu'en 1841 ; je ne le nie pas. Notre désir serait de calmer cette irritation ; nous ne voulons rien faire, rien entreprendre pour exciter davantage les esprits. Mais, messieurs, cette irritation, je ne la crois pas profonde.

De plus, je ne pense pas qu'il soit désirable pour le pays qu'il n'y règne aucune espèce d'animation dans les esprits : je crois que la situation serait beaucoup plus grave si les esprits n'étaient exclusivement préoccupés que d'intérêts purement matériels. Ce qui serait regrettable, ce serait une situation où les hommes politiques ou capables de tenir le gouvernement, au lieu de poursuivre cette voie avec constance, iraient s'égarer dans les entreprises particulières, de manière que leurs talents vinssent à faire défaut au pays dans certaines circonstances données. Il ne faut pas, messieurs, trop de tiédeur dans les esprits, dans un pays libre. Réjouissons-nous, non pas de l'excès de nos luttes, mais de ce qu'on s'occupe dans le pays d'autres intérêts que d'intérêts privés ou d'intérêts purement matériels. Je crois que le temps peut faire beaucoup pour calmer les esprits ; je voudrais, pour ma part, finir ma carrière au moment où s'opérerait la pacification générale des esprits. Un gouvernement, à moins de le supposer composé d'hommes aveugles et insensés, un gouvernement sage doit être attentif à maintenir, autant qu'il le peut, la satisfaction générale dans le pays.

Ce n'est point par parti pris, ce n'est pas pour le plaisir de vexer, d'irriter qui que ce soit qu'il présente des lois. Il présente des lois parce qu'il les croit conformes à l'intérêt général du pays ; et c'est bien faussement qu'on attribue aux hommes du gouvernement que vous avez devant vous, que vous avez vu à l'œuvre pendant tant d'années, des sentiments hostiles à la religion et au clergé. Rien de tout cela n'est vrai.

On nous demande de la modération, mais qu'on en donne l'exemple. Qu'on transige, qu'on s'habitue à soutenir le gouvernement dans ce qu'il fait de bien, qu'on ne prenne pas pour principe et pour règle de jeter le discrédit sur tout ce que fait le gouvernement, sur tout ce qu'il dit, sur tout ce qu'il pense. Voilà ce que fait l'opposition ; eh bien, cela est mauvais, cela est injuste, cela est dangereux.

Et, messieurs, pour en finir par un point qui me touche particulièrement, je dirai que ce qui m'afflige le plus dans l'attitude que prennent quelques-uns des membres de l'opposition, c'est cet appel qu'ils font aux gouvernements étrangers. On dit : Nous sommes un pays libre, mais nous ne sommes pas d'accord entre nous ; nous nous querellons (et à mon sens nous avons bien le droit de nous quereller) ; venez donc y faire la police ; nous l'aurons bien mérité. (Interruption.) Voilà le langage qu'on tient en Belgique et qui va retentir...

M. Thonissenµ. - Qui cela ?

M. Bouvierµ. - Dans le camp clérical. (Interruption.)

MaeRµ. - ... et qui va retentir au delà de la frontière.

Messieurs, il y a du patriotisme sur vos bancs comme sur les nôtres ; eh bien, vous devez désavouer un tel langage ; vous ne devez pas chercher à défendre de telles idées. Au point de vue politique, ces idées sont une véritable impiété ; et quand je les ai traitées de scandaleuses, je n'ai pas été trop loin.

Ce qui se passe aujourd'hui en Belgique, messieurs, n'est pas nouveau, n'est pas spécial à la Belgique. Est-il un seul pays dans le monde où vous ne voyiez des partis aux prises ? Mais nulle part, que je sache, vous ne voyez les partis contraires menacer leur pays de l'intervention étrangère parce qu'ils ne sont pas d'accord.

M. Delaetµ. - Qui a fait cet appel ?

MaeRµ. - Je prie M. Delaet de ne pas m'interrompre ; je ne lui parle pas.

M. Delaetµ. - Je le répète, qui a fait cet appel ?

MpVµ. - Pas d'interruption, messieurs, faites-vous inscrire, si vous le désirez.

M. Delaetµ. - Je verrai plus tard si je dois prendre part à cette discussion.

MaeRµ. - Je dis, messieurs, que de pareilles démonstrations sont bien regrettables. Si celui des hommes d'Etat auquel je viens de faire allusion était encore parmi nous, je me serais permis de l'interpeller à ce sujet ; comme il ne (page 30) siège plus sur ces bancs, peut-être un de ses honorables amis sera-t-il disposé à répondre pour lui. Cela serait bien utile, bien nécessaire.

Si, messieurs, il existait pour la Belgique un état d'incertitude auquel en ce moment n'échappe aucun pays de l'Europe ; s'il pouvait y avoir des dangers, l'instant serait-il bien choisi pour répandre parmi les populations le sentiment de la désaffection à nos institutions, à la nationalité, aux hommes qui gouvernent ?

L'instant serait-il bien choisi pour répandre, comme un venin, parmi les populations ignorantes, le mépris de la loi, le mépris du parlement qui fait la loi, le mépris de l'autorité suprême qui la sanctionne ? Si en effet une opinion avait vu voter une ou deux lois qui lui répugnent et que le pays fût menacé, ne serait-ce pas le moment de se calmer, de se résigner, d'attendre, de faire en sorte que, par le jeu même de nos institutions, il fût porté remède au mal partiel dont on se plaint ?

Mais, messieurs, si le pays est réellement froissé dans ce qu'il a de plus cher, dans ses croyances, dans ses intérêts, il pourra parler au mois de juin prochain ; s'il parle dans le sens que vous indiquez, il sera obéi ; ce n'est pas nous qui récriminerons contre le verdict national : nous serons les premiers à nous y soumettre, comme nous serons les premiers à défendre la loi quel que soit le pouvoir qui l'attaque.

M. de Theuxµ. - Messieurs, je n'ai demandé la parole que pour un fait personnel ; je n'ai donc pas le droit de répondre au discours de M. le ministre des affaires étrangères, bien qu'il me fût très facile de le faire...

- Des membres. - Parlez.

M. de Theuxµ. - Il y a d'autres orateurs inscrits. Je me borne au fait personnel.

M. le ministre des affaires étrangères a dit qu'en évoquant certains faits du passé, je semblais faire un appel à la révolution. Bien au contraire ; quand j'ai rappelé que le gouvernement du premier consul en France par le concordat de 1801, le gouvernement des Pays-Bas par le concordat de 1827, et le gouvernement prussien par un autre concordat, avaient cru opportun de faire droit aux griefs des catholiques, j'ai applaudi à cette politique ; j'ai même dit qu'à raison du concordat de 1827 et d'autres mesures réparatrices que le gouvernement des Pays-Bas avait prises, un mouvement aurait pu être évité en Belgique, si un mouvement n'avait pas éclaté en France.

Voilà ce que j'ai dit, et rien de plus. Je ne suis pas partisan des révolutions ; je sais ce qu'elles peuvent coûter à un pays ; je sais le danger qu'elles font courir à son indépendance.

Quant au Roi, je n'ai rien dit qui puisse blesser les convenances ; je n'ai adressé aucune critique à la Couronne ; j'aurais pu me prévaloir de ses paroles, lorsque j'ai fait allusion à une certaine lettre que le Roi a adressée à son ministre de l'intérieur, au mois de juin 1857, lettre dont j'approuve complètement le principe et la portée.

Quant à moi, je déclare que j'ai eu trop d'occasions de connaître le Roi personnellement pour n'avoir pas contracté envers lui un véritable attachement et un profond respect, et que je ne me départirai jamais de ces sentiments-là.

M. Nothombµ. - En demandant tantôt la parole, j'ai cédé à un mouvement que je n'ai pu maîtriser : c'est lorsque j'ai entendu M. Rogier traiter avec tant d'aigreur un de mes honorables amis absent de ces bancs et qui ne peut donc se défendre. L'honorable ministre, en commençant son discours, s'était proclamé un type d'homme modéré ; il s'en était attribué toutes les vertus, non sans quelque hésitation, je dois le dire, car il a déclaré lui-même qu'il y avait de la présomption à faire de soi un portrait aussi flatteur. Je reconnais que la crainte de l'honorable membre n'était que trop fondée, car tout son discours n'est qu'un violent réquisitoire, une longue diatribe, soit contre des hommes honorables éloignés de ces bancs, soit contre la minorité de cette Chambre et l'opinion que nous représentons. (Interruption.)

Oui, rien qu'une continuelle récrimination, les reproches les plus aigres, les accusations les plus amères. Je vais le prouver.

M. le ministre des affaires étrangères d'abord a parlé d'une manifestation qui s'est produite à propos de la loi sur les bourses d'étude.

Ce qu'il y a dans cette manifestation, c'est le droit dont jouissent tous les citoyens d'apprécier les lois. Les évêques n'ont pas dit autre chose que ce qu'a dit une grande partie du pays, ce que nous-même avons soutenu dans la discussion.

J'ai dit, quant à moi, que la loi sur les bourses d'étude était une spoliation et une violation de tous les principes du droit et de l'équité, qu'elle sapait une des bases de la société. J'ai dit qu'en consacrant par votre loi le principe de la rétroactivité, vous déposiez dans la législation un précédent, dont les conséquences seraient des plus funestes. J'ai soutenu tout cela et je suis prêt à le redire.

Je n'ai pas été consulté sur la détermination de l'épiscopat, je ne le connais que par la publicité de la presse.

Eh bien, les évêques apprécient librement, comme citoyens, la loi sur les bourses, et ils se soumettent d'avance à la décision des tribunaux ; quoi de plus légal ?

Et vous, M. le ministre des affaires étrangères, qui vous proclamez homme modéré, l'avez-vous été dans cette circonstance ? Comment avez-vous caractérisé cet acte ? Vous lui avez infligé la qualification la plus dure, vous l'avez appelé une révolte scandaleuse.

Ah ! M. le ministre, permettez-moi de vous le dire, ces paroles dans votre bouche sont bien graves ; vous vous vantez d'être homme modéré, et vous désignez les évêques comme des révolutionnaires, des séditieux ; vous les signalez à la haine, et au mépris publics...

MaeRµ. - Ils prêchent les mépris des lois, la désobéissance aux lois.

M. Nothombµ. - Vous dites que les évêques sont des révolutionnaires scandaleux, qu'ils ont posé un acte de rébellion ; je réponds que de pareilles paroles, dans votre bouche, sont inconcevables, et que vous devez les regretter. (Interruption.)

Oui, il est fâcheux, ce langage, j'ose le dire, il est coupable émanant de votre banc.

MaeRµ. - Je demande la parole.

M. Nothombµ. - Au surplus, messieurs, pourquoi nous plaindre ? Ne sommes-nous pas habitués à voir s'élever des bancs ministériels les inculpations les plus odieuses contre notre opinion ? Ne sommes-nous pas ces hommes dont on a dit que notre avènement au pouvoir serait un danger pour le pays ?

El vous nous accusez de faire des menaces, de jeter la discorde dans le pays, quand, de vos bancs, vous nous avez signalés comme un danger public, comme une calamité nationale ! Et vous êtes des hommes modérés !

On appelle scandaleux ce qui se passe. Eh, mon Dieu ! si nous voulions invoquer les souvenirs du temps passé, nous aurions à vous en rappeler ici où le scandale déborde, que l'histoire appellera la phase la plus déplorable de notre existence nationale ; ce seraient les événements de 1857 ; c'est l'attitude prise dans ce parlement, dans cette enceinte grave et austère par quelques hommes qui ont glissé du rôle de législateur à celui de tribuns de la rue.

Vous avez prononcé une parole vraie, M. le ministre, en disant que lorsque le germe qu'on sème est mauvais, il porte des fruits amers. Eh bien, nous en sommes là. Oui, 1857 a semé un germe pernicieux qui corrompra peut-être un jour, je le crains, la sève du pays.

Voilà où a été le scandale. Maintenant je veux dire quelques mots de la manière dont l'honorable M. Rogier a cru devoir traiter l'écrit d'un homme dont je m'honore d'être l'ami. Cet écrit de l'honorable M. Dechamps, comment les qualifie-l-il ?

Un écrit qu'il ne saurait trop blâmer et qu'il ne saurait assez flétrir. Ce sont les expressions dont M. le ministre s'est servi.

Eh bien, qu'y a-t-il donc dans cet écrit de l'honorable M. Dechamps ?

Il y a trois choses : il y a d'abord une forme littéraire remarquable et fort enviable.

MfFOµ. - Si c'est une affaire de rhéteur !

M. Nothombµ. - La rhétorique est bonne quelquefois, M. le ministre. Quand elle est faite, comme mon honorable ami en fait dans cette étude, cette rhétorique est très agréable à lire, d'autant plus attrayante que de grandes vérités y sont contenues. N'est pas rhéteur comme cela qui veut. Première qualité.

Une seconde qualité de cet écrit, c'est de renfermer des aperçus généraux sur la situation de l'Europe ; c'est de témoigner d'une remarquable perspicacité politique.

Sans doute on peut ne pas admettre toutes les opinions de l'honorable M. Dechamps, toutes ses prévisions au point de vue des événements extérieurs. Mais on ne saurait méconnaître qu'elles sont l'indice d'un grand sens politique, qu'elles révèlent une appréciation profonde, une connaissance complète de la situation générale du monde.

En troisième lieu, qu'y a-t-il ?

Des conseils pour notre pays, des avertissements pour ceux qui le gouvernent. II y a le doigt mis sur notre véritable plaie intérieure. Que fait l'honorable M. Dechamps ? Il pousse un cri d'alarme. II signale un (page 31) danger. Il indique l’écueil et les moyens de ne pas s'y briser. Mais est-ce donc quelque chose de nouveau que le langage de cette brochure ? Mais ce langage nous l'avons tenu ici vingt fois ; nous avons dit vingt fois qu'une politique de discorde poussée à l'excès, que la division des partis à outrance, finiraient par être désastreuses pour le pays.

Nous vous avons conjurés mainte fois de revenir à une politique de modération ; de renoncer à un système d'oppression, de ne pas partager le pays en deux camps, en vainqueurs et en vaincus, de faire en sorte que tous soient traités en enfants d'une même patrie, de ne pas faire que les uns aient toutes les faveurs, tous les bénéfices de la chose publique et que les autres n'aient rien que les charges.

L'honorable M. Dechamps n'a pas fait autre chose dans son écrit, il a été son propre plagiaire ; car il a tenu souvent ce langage sur son banc de député ; nous le tenons tous, et plus d'un parmi nous, dans sa conscience intime, doit se dire que les divisions profondes dans lesquelles on précipite le pays compromettront son avenir.

Calmez-vous, dit l'honorable M. Rogier, soyez des hommes modérés. Mais c'est à nous de vous donner ce conseil ; c'est nous qui vous convions à la modération. Est-ce nous qui proposons les mesures qui divisent si cruellement le pays ?

M. de Moorµ. - Et la loi de 1857 ?

M. Nothomb. — La loi de 1857 ! Vous revenez sur ce terrain ! Il vous brûle, je le sais. (Interruption.) La loi de 1857, nous la rediscuterons, quand vous le voudrez. Cette loi était une œuvre à la fois de transaction et de véritable libéralisme ; une œuvre appréciée ainsi par tous les esprits impartiaux du monde entier.

Nous vous demandons donc de revenir à une politique modérée, à une politique de justice envers tous, à cette politique qu'une main auguste traçait un jour dans une lettre célèbre qu'il est bon de relire :

« Je n'hésite pas à le dire, il faut chez les partis de la modération et de la réserve. Je crois que nous devons nous abstenir d'agiter toute question qui peut allumer la guerre dans les esprits... »

- Plusieurs membres. - C'est à vous que le Roi disait cela.

M. Nothombµ. - Sans doute. Mais vous vous prétendez seuls modérés et nous accusez sans cesse de ne l'avoir pas été. Or, vous pratiquez le système contraire à celui que le Roi indiquait.

M. Bouvierµ. - Qui est l'auteur de la loi sur les couvents ?

M. Nothombµ. - « Je suis convaincu, continuait le Roi, que la Belgique peut vivre heureuse et respectée, en suivant les voies de la modération ; mais je suis également convaincu, et je le dis à tout le monde, que toute mesure qui peut être interprétée comme tendant à fixer la suprématie d'une opinion sur l'autre, qu'une telle mesure est un danger. La liberté ne nous manque pas, et notre Constitution- sagement et modérément appliquée, présente un heureux équilibre... »

Eh bien, depuis huit ans, que faites-vous ?

Vous rompez cet équilibre, la Constitution n'est plus pratiquée sagement et modérément ; elle est violée dans son essence par vos lois ou méconnues dans vos actes.

L'honorable M. Dechamps vous convie à revenir à une politique d'apaisement et d'équité. Il vous signale les dangers qu'il y a pour le pays à s'en écarter ; il n'a pas, comme l'honorable M. Rogier l'en accuse, commis un fait blâmable, un acte coupable ; loin de là, il a fait œuvre de bon citoyen, de patriote dévoué à son pays ; il a dit courageusement, fermement la vérité ; il a dévoilé le mal, il a indiqué le remède. Ce n'est pas un acte dont il ait à rougir, qu'il ait à regretter. Et, selon moi, mon honorable ami a le droit de se glorifier du nouveau service qu'il vient de rendre à son pays.

Avant de terminer, je veux énoncer également l'impression qu'a produite sur moi la nomination de l'honorable M. Bara comme ministre de la justice et des cultes.

Je ne dirai rien de désagréable, je l'espère du moins, pour la personne de l'honorable ministre.

Le choix de l'honorable M. Bara présente pour moi une double signification : d'abord il implique la négation de tout respect envers les ministres d'un culte qui est celui de l'immense majorité du pays. Attaquer, comme l'honorable ministre l'a fait, avec cette âpreté de parole, la personne des membres du clergé catholique, c'est attaquer dans sa base un des éléments de conservation sociale les plus indispensables. (Interruption.) N'avez-vous pas dit, ici même, que les prêtres souillaient leur robe, se traînaient dans les orgies électorales ?... (Interruption.)

Je suis donc en droit de dire que l'avènement de l'honorable ministre apparaîtra comme une menace contre les dépositaires de la plus grande autorité morale qui subsiste encore et sans laquelle la société n'est pas durable. A un autre point de vue, l'honorable M. Bara, par l'attitude qu'il a prise dans nos débats, est la négation de toute idée progressive, dans le sens libéral et démocratique, et quand nous agiterons la question de la réforme électorale, de l'extension du droit de suffrage, je prévois que nous le compterons parmi nos adversaires.

MaeRµ. - Messieurs, je me suis expliqué sévèrement sur le compte d'un honorable ministre d'Etat qui a fait partie de cette assemblée, qui joue un grand rôle dans l'opposition, je l'ai fait avec l'expression du regret qu'il ne fût pas présent ; mais son œuvre est publique, elle émane d'un homme public, d'un homme d’Etat ; il compte sur ces bancs un certain nombre d'amis qui sont, je pense, plus ou moins solidaires de ses doctrines, je me suis cru en droit dès lors de faire allusion à ses écrits et quant à ce que j'en ai dit il m'est impossible d'en retirer un seul mot.

En ce qui concerne les évêques, je ne pense pas les avoir traités de révolutionnaires.

M. Delaetµ. - D'anarchistes.

MaeRµ. - J'ai traité d'anarchistes ceux qui prêchent la résistance à la loi ; je ne connais pas d'autre qualification qui convienne à ceux qui résistent à la loi et qui prêchent la résistance à la loi ; je ne puis donc pas retirer ce mot d'anarchistes. J'ai dû qualifier par le mot propre l'acte de ceux qui prêchent la désobéissance à la loi ;c'est un acte que je déplore et je tiens que beaucoup d'hommes du parti conservateur le déplorent avec moi.

L'honorable M. Nothomb, en finissant, nous a lu une lettre célèbre, mais je crois qu'il a mal lu l'adresse ; cette lettre s'adressait à nos prédécesseurs ; eux seuls s'étaient écartés de cette modération avec laquelle nous avons gouverné et dans laquelle nous persistons.

MjBµ. - Je n'avais pas cru devoir répondre à l'honorable M. Jacobs au sujet de prétendues attaques, de prétendues violences auxquelles je me serais livré envers le clergé ; mais l'honorable M. Nothomb a profité de mon silence pour reprendre ce thème. Voici donc ce qu'on me reproche. J'aurais dit que, dans les élections de Bruges, le prêtre avait souillé sa robe en se compromettant dans les élections, en conduisant les électeurs comme un troupeau, en posant des actes déplorables.

Eh bien, je maintiens, ministre, ce que j'ai dit, représentant ; je prétends que le prêtre qui joue le rôle que certains ministres du culte ont joué dans les élections de Bruges, compromet la religion et souille sa robe ; cette opinion, ce n'est pas moi seul qui l'ai exprimée. Mgr Sibour, archevêque de Paris, a écrit dans le même sens, et si je suis un ennemi de la religion pour avoir tenu ce langage, il faut aussi le comprendre dans votre accusation. Un grand nombre de dignitaires ecclésiastiques sont de mon avis et repoussent l'intervention du clergé dans les élections et beaucoup d'hommes politiques siégeant sur vos bancs ne pensent pas que la religion ait à gagner à une immixtion violente du clergé dans les luttes électorales.

On m'a en outre accusé d'avoir attaqué un évêque au sein de cette Chambre. Cela est vrai ; je l'ai fait dans une circonstance où ma dignité de député l'exigeait ; un évêque, dans un mandement, avait indignement tronqué des paroles que j'avais prononcées dans cette enceinte ; il les avait tronquées alors qu'il devait savoir ce que j'avais réellement dit et qu'il avait en mains tous les éléments nécessaires pour savoir que le langage qu'il me prêtait n'avait pas été tenu par moi.

J'ai rempli mon devoir en protestant, et vous le saviez si bien que pas un d'entre vous ne s'est levé pour défendre l'évêque, lorsque j'ai fait entendre ma protestation. Pas un de vous n'a réclamé contre mes paroles. Et c'est aujourd'hui après y avoir applaudi par votre silence, que vous venez m'accuser d'avoir calomnié un évêque !

- La séance est levée à 5 heures.