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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 7 décembre 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1865-1866)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboomµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 147) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 3 heures et un quart.

M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« La députation permanente du conseil provincial d'Anvers demande la révision des lois sur la milice et la réduction des dépenses militaires. »

- Renvoi aux sections centrales chargées d'examiner le projet de loi sur la milice et le budget de la guerre.


« Le sieur Rousseau demande une indemnité pour les pertes que la canalisation de la Meuse occasionne aux récoltes de son île située sur ce fleuve. »

M. Lelièvreµ. - Cette pétition a un caractère d'urgence ; je crois devoir l'appuyer et j'en demande le renvoi à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.

- Adopté.


« Le sieur Reveyn demande un congé pour son fils Léonard, milicien de la levée de 1864. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre un exemplaire :

« 1° des Recueils des procès-verbaux des séances des conseils provinciaux, session de 1865»

« 2° d'annexes aux Exposés de la situation administrative des provinces de Hainaut et de Liège, de 1865. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« MM. Van Overloop et Royer de Behr, obligés de s'absenter, demandent des congés. »

- Accordé.

Projet de loi modifiant la loi sur les chemins vicinaux

M. Dupontµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi modificatif de la loi de 1841 sur les chemins vicinaux.

- Ce rapport sera imprimé et distribué, et le projet de loi mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l’exercice 1866

Rapport de la section centrale

M. Dewandreµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale sur le budget des voies et moyens pour l'exercice 1866.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

M. de Brouckereµ. - Pourrait-on savoir quand ce rapport sera imprimé ?

M. Dewandreµ. - Il pourra être livré immédiatement à l'impression ; mais je ne saurais dire combien de temps réclamera ce travail.

M. de Brouckereµ. - Je crois qu'on pourrait fixer la discussion à samedi.

- Plusieurs membres. - Non ! non ! à mardi.

MpVµ. - On pourrait mettre la discussion du budget à la suite de l'ordre du jour, sauf à l'ajourner si le rapport n'était pas imprimé en temps opportun. (Interruption.)

Préfère-t-on mettre le budget à l'ordre du jour de mardi ?

- Plusieurs voix. - Oui ! oui !

- Cette proposition est adoptée.

Proposition de loi modifiant les lois électorales

Développements

M. Guilleryµ. - Messieurs, conserver des institutions libérales, c'est savoir les maintenir à la hauteur des progrès que réalise la nation ; c'est suivre le développement de l'esprit public et appeler successivement à la vie politique ceux qui s'en montrent dignes par leurs lumières, par les garanties qu'ils donnent à l'ordre, c'est-à-dire au maintien de nos libertés.

Ne pas avancer dans cette voie, c'est reculer ; ne pas céder au courant du siècle et des idées, c'est lutter contre une force supérieure à toutes les résistances. Choisir le moment où les réformes sont utiles et fructueuses, c'est le labeur de chaque jour.

La constitution la plus sage, les lois les plus libérales n'en peuvent affranchir le législateur.

« Les constitutions, dit Royer-Collard, ne sont pas des tentes dressées pour le sommeil...

« ... Les gouvernements représentatifs ont été condamnés au travail. Comme le laboureur, ils vivent à la sueur de leur front. »

C'est ainsi, messieurs, que la nation a applaudi à la haute sagesse qui a dicté la loi du 12 mars 1848.

Celte loi vint, après dix-sept années, élargir le cercle des citoyens appelés à l'exercice de la souveraineté nationale.

« Quoi qu'il en soit, disait la section centrale chargée de l'examen du projet de loi, pour ceux qui ont pu apprécier le calme et la sagesse qu'apporte, depuis dix-sept ans, la nation belge dans l'exercice de ses droits politiques, il ne peut exister aucune appréhension motivée que l'abaissement et le nivellement du cens électoral, quelle que doive être l'augmentation du nombre des électeurs qui en sera la suite, produisent des conséquences que le pays ait à regretter. »

La mesure était cependant radicale et dépassait même les espérances des membres les plus avancés de la Chambre : il réduisait, en une seule fois, le cens électoral, dans les grandes villes, de fr. 169 28 à fr. 42 32.

Au fond était l'égalité du cens introduite dans nos lois électorales, car les campagnes, dans le Luxembourg et dans la province de Namur, jouissaient déjà du cens à 20 florins ; et ce principe était, aux yeux de la section centrale, de toute équité : il corrigeait un vice de la loi du 3 mars 1831.

L'événement justifia bientôt les sereines prédictions de la section centrale. Jamais élections ne furent plus solennelles, ni plus patriotiques.

Jamais nation ne s'était montrée plus digne de la liberté.

Jamais les acclamations populaires ne proclamèrent avec autant d'enthousiasme, avec autant d'unanimité, et la nationalité et les institutions qui la consacrent.

Devant elles s'évanouirent les dangers extérieurs comme les dangers intérieurs.

Le peuple belge animé d'une même pensée se pressa autour du Trône et dit à l'Europe bouleversée par les prétentions les plus opposées :

« Pour être libre, il suffit de le vouloir, et nous saurons vouloir. La Belgique est une garantie de paix pour l'Europe ; elle a cessé d'être un sujet de discorde ; de son existence dépend le repos du monde. »

C'est de cette époque que date une ère nouvelle pour le pays. Son autonomie ressortit des variations, des épreuves que subirent d'autres peuples dont les gouvernements s'étaient crus appelés quelquefois à nous servir d'exemples.

C'est que la vie politique, la vie politique de tous les jours, non celle qui se révèle d'occasion et comme à regret, pour disparaître le lendemain, mais la vie politique telle que la comprennent les démocraties, est la force des nations. L'ardeur dans la lutte offre moins de danger que l'indifférence ; l'égoïsme et le culte des intérêts matériels sont plus à craindre que l'entraînement des illusions populaires.

L'aristocratie française, en 1789, était trop occupée de ses plaisirs, et la bourgeoisie française de 1847 était trop occupée de ses affaires.

En Belgique, des institutions plus larges, le mouvement produit par les associations politiques avaient donné aux légitimes aspirations de l'opposition des interprètes qui prévinrent, par une révolution pacifique, une révolution violente. Elles contribuèrent à maintenir, dans le pays, ce mouvement intellectuel, cette agitation légale qui préparent le progrès quand ils ne le réalisent pas, et sans lesquels il n'y a qu'un sommeil trompeur.

Mais, messieurs, quels qu'aient été les heureux effets de cette réforme, elle ne fut point continuée dans les autres branches de notre système électoral.

La loi du 31 mars 1848, conséquence de celle du 12 mars, réduisit, il est vrai, le cens communal à 42 fr. 32 centimes dans les villes où la loi de 1836 fixait un cens plus élevé : il eût été anomal en effet de conserver un cens plus élevé pour les électeurs communaux que pour les électeurs aux Chambres législatives, alors que le législateur avait toujours suivi le principe opposé. Mais la réforme ne s'adressa qu'aux communes d'une population de (page 148) 15,000 âmes et au delà, et laissa intactes les dispositions qui concernaient les communes d'une population inférieure,

Ainsi, d'un côté, on exigeait, dans certaines communes, le même cens pour deux catégories d'électeurs que la loi avait toujours distinguées, et l'on semblait reculer devant le principe de l'égalité du cens pour les villes et pour les campagnes, alors qu'on venait de consacrer ce principe par la loi du 12 mars.

Cette réforme portait donc l'empreinte du provisoire qu'expliquaient du reste les événements de l'époque.

La section centrale ne se le dissimula pas ; elle entrevoyait, dans un avenir prochain, une large réforme.

« Le moment n'est peut-être pas éloigné, disait le rapport, où d'autres changements pourront être utilement apportés à la loi du 20 mars 1836, en ce qui concerne l'élection des conseils communaux ; mais la section centrale estime qu'il est prudent d'user d'une certaine réserve en cette matière et d'attendre, pour décréter ces changements, que l'exécution qui va être donnée au projet qui nous occupe et à la loi du 12 mars 1848, soit venue augmenter notre expérience et nous fournir de nouveaux renseignements. »

La discussion révèle la même pensée.

L'honorable M. de Brouckere, rapporteur de la section centrale, s'exprimait ainsi :

« La section centrale a déjà reconnu, et je viens ici le confirmer ; elle a reconnu que le système électoral des communes est susceptible de modifications beaucoup plus larges, plus importantes que celles que le projet de loi introduira. Mais, messieurs, c'est là une question d'opportunité. »

L'honorable M. Rodenbach disait de son côté :

« Il n'y a que l'opportunité, comme vient de le dire l'honorable M. de Brouckere, qui puisse nous empêcher de redresser aujourd'hui cette inégalité.

« Messieurs, il faut une prompte modification à la loi. Lorsqu'on entre dans la voie libérale, il faut être juste jusqu'au bout. »

L'honorable membre demandait que la réduction du cens s'appliquât à toutes les communes et que l'on maintînt pour le cens communal le principe de la loi de 1836, abandonné pour les élections aux Chambres. L'honorable M. de Brouckere combattit cette opinion.

« Si nous voulions changer radicalement nos lois électorales, disait l'honorable rapporteur, il faudrait adopter pour les communes un système analogue à celui décrété dernièrement pour les Chambres, et prendre un cens uniforme. Je préférerais le cens de 15' francs pour tout le royaume à ceux de 20 francs pour les villes et de 10 fr. pour les communes rurales. »

L'orateur ajoutait, pour justifier l'ajournement de cette question, une considération tirée de ce que le mandat de la Chambre étant près de son terme, elle ne pouvait s'occuper que des réformes les plus urgentes.

M. Castiau, de son côté, déclarait la réforme « incomplète, insuffisante et illogique. »

On remettait, d'un commun accord, à une législature à venir, le soin de rétablir l'harmonie dans notre système électoral.

J'ai cru, messieurs, qu'après 17 années, le moment était venu de compléter l'œuvre de 1848, non par une réforme aussi radicale que celle qui s'accomplit alors, mais en établissant pour toutes les communes un cens uniforme ou, en d'autres termes, en étendant au cens communal le principe de la loi du 12 mars 1848.

Ce sera à la fois faire disparaître une véritable anomalie et réparer une injustice de la loi de 1836. En effet, si le droit électoral est le prix des lumières, pourquoi les habitants des grandes villes seraient-ils présumés moins éclairés que ceux des campagnes ?

Ce n'est pas, à la vérité, la seule conséquence de la proposition que j'ai l'honneur de développer. Cette proposition a pour résultat de réduire en réalité le cens au-dessous de 15 fr. (minimum de la loi de 1836), en comptant à l'électeur les impôts directs payés à la province et à la commune. L'abaissement en lui-même se justifie sans doute, après trente années écoulées sans la moindre réduction pour les communes dont la population est inférieure à 15,000 âmes. D'un autre côté, il semble logique, de compter à l'électeur communal ce qu'il verse dans le trésor de la commune, puisque ce versement prouve qu'il contribue aux dépenses sur lesquelles il est appelé à donner indirectement son vote. Le système actuel a cette singulière conséquence de faire exclusivement dépendre la participation aux affaires communales de ce qui se verse au trésor de l'Etat. Il en résulterait que si, par suite d'une extension nouvelle des attributions communales, les impôts de l'Etat étaient diminués au profit des impôts communaux, cette réforme libérale diminuerait le nombre des électeurs à la commune. Plus on payerait à celle-ci, moins on aurait d'action sur les affaires communales.

La loi française du 19 avril 1831, article 4, comptait à l'électeur : « Les suppléments d'impôt de toute nature connus sous le nom de centimes additionnels. »

La jurisprudence avait compris, notamment, au nombre des impôts directs, les prestations en nature imposées pour subvenir aux dépenses des chemins vicinaux (Cass. 12 février 1858).

Le législateur voit, dans le cens, un signe de la fortune. Ce signe ressort-il moins de l'impôt lorsqu'il est destiné à des dépenses communales que lorsqu'il est destiné à des dépenses qui concernent le pays entier ?

En Angleterre, on trouve la preuve de la fortune dans le loyer de la maison qu'occupent les censitaires.

II nous reste à examiner, messieurs, s'il y a lieu de redouter les conséquences d'un cens peu élevé.

La meilleure réponse se trouve dans l'histoire de 35 années de liberté, et dans les heureux effets de la réforme de 1848.

Elle se trouve aussi dans l'étude de la législation d'autres pays, tels que l'Italie, l'Angleterre, la Suisse, dont les institutions présentent quelque analogie avec les nôtres.

En Italie, pays moins ancien que nous dans l'usage paisible de la liberté, la loi du 25 octobre 1859 fixe le cens électoral pour la commune à une somme qui varie de 25 fr. à 5 fr. (5 francs pour les communes de moins de 3,000 âmes).

Dans la Grande-Bretagne où « il n'existe que de faibles liens hiérarchiques entre l'Etat, les comtés, les bourgs, les cités et les paroisses, chacun d'eux étant en quelque sorte indépendant des autres dans le cercle de ses attributions » (Fisco et Vanderstraeten, Institutions et taxes locales de la Grande-Bretagne, Bruxelles, 1865, p. 59. V. aussi p. 197. Dictionnaire général de la politique, par Maurice Block, Paris, 1865. t. Ier, p. 1136), la loi appelle un grand nombre de citoyens à l'exercice du droit électoral.

Nous ne parlerons pas des paroisses qui forment une organisation toute spéciale (Fisco et Vanderstraeten, p. 39 et 40. Block, t. Ier, p. 1157). Nous ne parlerons que des élections au conseil commun qui présente une certaine analogie avec notre conseil communal (Fisco et Vanderstraeten, p. 197-194-40. Fischel, La Constitution d'Angleterre, Paris, 1864, t. 1, p. 235-239 ; t. II, p. 132.).

Pour être électeur, dans les bourgs et dans les cités, il suffit de payer la taxe des pauvres et d'avoir occupé, pendant trois années consécutives, une maison, un magasin ou un comptoir dans le bourg ou dans un rayon de sept milles (5ème et 6ème, Gulielmi IV, cap. 76, IX et XI). Or, la taxe des pauvres doit être payée par tous ceux qui occupent une maison ou un bien soumis à l'impôt (Fisco et Vanderstraeten, p. 68). Elle est proportionnelle au revenu des propriétés imposables (Id., p. 72).

Cette taxe, qui est très lourde dans certains districts où le nombre des pauvres est considérable, descend aussi quelquefois très bas. C'est ainsi que, d'après une communication faite, le 15 mars 1849, par sir G.-C. Lewis à la chambre des communes, la cote moyenne basée sur la taxation de chaque livre sterling de rente foncière, donnait un chiffre de 2,508 paroisses payant de 6 pence à 1 shilling (67 cent, à 1 fr. 25) (Fischel, t. I, p. 112-113).

En Suisse, le suffrage est universel.

Il est difficile, sans doute, de prendre des exemples dans des pays dont les institutions et la législation ne nous sont qu'imparfaitement connues, et qui, par leurs traditions, par leurs mœurs, diffèrent en beaucoup de points de la Belgique. Mais les faits ont leur éloquence, et l'exemple d'un grand nombre de citoyens participant aux affaires publiques ne peut pas être sans fruit pour nous.

Rien n'autorise à penser que la réforme électorale puisse avoir d'autre effet que d'accroître, chez les citoyens belges qui seront appelés à la vie politique, le sentiment de leur responsabilité, comme résultat de la confiance que la nation place dans leur loyauté et dans leur dévouement.

Afin d'ailleurs de compléter les garanties que le Congrès constituant a trouvées dans le payement du cens, la proposition exige que l'électeur sache lire et écrire. Cette disposition qui n'a pas réuni, l'année dernière, les suffrages de la Chambre, trouvera, je l'espère, un meilleur accueil lorsqu'elle ne sera plus exposée au reproche d'être improvisée au milieu (page 149) d’une discussion, ni celui de n'être pas combinée avec l'abaissement du cens électoral.

Sans doute, cette condition ne prouve pas, par elle-même et d'une manière absolue, l'intelligence et la capacité de l'électeur ; elle ne constitue qu'une présomption, comme le payement du cens ne constitue qu’une présomption : mais en les combinant l'une et l'autre, on approche nécessairement plus de la vérité, qu'en ne s'attachant qu'au cens seulement.

D’ailleurs, si l'on peut dire qu'un homme peut avoir de l'intelligence en étant complètement illettré, on ne saurait contester qu'un corps électoral sachant lire et écrire n'offre plus de garantie que celui qui n'a pas reçu les bienfaits de l'instruction primaire.

La législation italienne peut encore nous servir d'exemple à cet égard ; elle prouve que l'idée est tout à fait pratique.

On ne perdra pas de vue non plus qu'elle serait un puissant encouragement pour l'enseignement primaire ; elle contribuerait à relever encore aux yeux du peuple le mérite de l'instruction ; elle serait un nouveau stimulant, une cause d'émulation.

Les moyens d'exécution sont simples, et il n'est pas nécessaire d'en parler dans la loi. Ils sont du ressort des administrations chargées de dresser les listes électorales. Elles s'assureront, en cas de doute, de la capacité de l'électeur, en l'invitant à lire et à écrire sous les yeux d'un membre de ces administrations ou de leur délégué, à l'exemple de ce qui se fait aujourd'hui en Italie, et de ce qui se fait, en Belgique même, pour les conseils de prud'hommes.

Les expressions « savoir lire et écrire » sont vagues, sans doute, mais il serait difficile de préciser davantage. C'est une question de fait telle qu'en résolvent journellement les tribunaux, et spécialement les autorités administratives en matière électorale, en matière de milice et en bien d'autres matières.

S'il était permis d'essayer une définition, je dirais que la lecture et l'écriture n'étant pas un but, mais un moyen d'émanciper l'homme en lui procurant un puissant moyen d'instruction, l'électeur doit savoir lire de manière à pouvoir comprendre la pensée d'autrui et écrire de manière à pouvoir communiquer la sienne.

Il est évident que celui qui ne sait que signer son nom ne sait pas écrire, et que celui qui ne sait qu'épeler péniblement, absorbé par le soin de l'épellation au point de ne pouvoir comprendre ce qu'il lit, ne sait pas lire. La demi-connaissance qu'il a acquise ne peut lui être que d'une bien faible utilité !

Du reste, les autorités compétentes apprécieront, et nous n'avons pas à douter plus de leur impartialité sur ce point que sur toutes les autres questions soumises à leur juridiction.

Il me paraît équitable de respecter les droits acquis. Les électeurs inscrits aujourd'hui ne pourront être inquiétés de ce chef. On pourra leur contester le cens, mais non les connaissances exigées par la loi nouvelle.

Sans doute, le législateur reste toujours en droit de modifier les conditions de l'électoral ; mais ces modifications doivent, autant que possible, être favorables à la liberté : elles doivent être extensives et non restrictives. Il serait trop rigoureux d'enlever des droits à ceux qui en ont joui.

Quant aux conséquences du projet sur le nombre des électeurs, elles ne sont que secondaires : elles ne touchent en rien au principe lui-même, mais uniquement à l'exécution. Elles n'ont pas arrêté la législature en 1848 et ne sont pas de nature à l'arrêter aujourd'hui.

La loi du 20 mai 1848, en portant le nombre des électeurs d'une même section à six cents et en augmentant d'une manière illimitée le nombre des présidents, a pourvu à toutes les difficultés qui peuvent se présenter dans l'exécution.

L'article 2 de la proposition de loi concerne les élections provinciales. Depuis longtemps l'opinion publique réclame l'égalité du cens électoral pour la province et pour la commune. La nature des intérêts débattus est la même dans les conseils provinciaux et dans les conseils communaux ; il s'agit surtout de questions de ménage, de questions qui intéressent directement les administrés. C'est pour cela sans doute que la Constitution, qui a fixé un minimum pour les élections aux Chambres législatives, a laissé toute latitude au législateur pour la province comme pour la commune.

La proposition ne touche pas aux questions que soulève la fixation du cens pour les électeurs aux Chambres. Faut-il ici compter les impositions communales et les impositions provinciales ? La solution de cette question est tout entière dans l'interprétation de l'article 47 de la Constitution, auquel se réfère la loi du 12 mars 1848, par ces expressions : « Au minimum établi par la Constitution. » Dans la discussion, plusieurs orateurs ont fait remarquer qu'on ne pouvait aller au delà du projet sans modifier la Constitution elle-même. On a donc demandé à l'article. 47 tout ce qu'il peut donner.

La loi du 12 mars 1848 a donc complètement abrogé l'article premier de la loi électorale du 3 mars 1831 et l'article premier de la loi du 1er avril 1843. Ces dispositions législatives prouvent que le législateur, en 1831 et en 1843, avaient adopté un système restrictif, permis mais non commandé par la Constitution. Il est intéressant de remarquer que, même sous l'empire de la loi de 1831, des députations permanentes avaient compté à l'électeur les centimes additionnels, jusqu'à ce que la cour de cassation, par un arrêt du 15 juillet 1836, en eût décidé autrement ; que, même après cet arrêt, la députation permanente du conseil provincial de Liège continua à compter les centimes additionnels perçus en vertu de la loi de 1831 ; que l'article premier des lois de budget des voies et moyens, jusqu'en 1838, comptait les centimes additionnels au nombre des impôts directs ; que MM. Delfosse et Fleussu combattirent l'article premier de la loi de 1843 et que M. Vilain XIIII soutint que les mots « impôts directs » doivent être entendus dans le sens le plus large.

Aujourd'hui que le terrain du débat est déblayé des lois de 1831 et de 1843, il est naturel d'admettre l'interprétation de l'honorable membre, que les discussions du Congrès confirmeraient au besoin.

En effet, les mots : « payant le cens déterminé par la loi électorale, lequel ne peut excéder 100 florins d'impôt direct, ni être au-dessous de 20 florins », furent introduits dans l'article 47 de la Constitution, par l'un des membres les plus libéraux du Congrès. L'opinion publique réclamait, depuis 1817 en France, en faveur du système que nous défendons, et la jurisprudence l'avait consacré, quoique avec quelque hésitation. Le projet, qui devint la loi française du 19 avril 1831, était connu du Congrès, qui lui emprunta plusieurs dispositions.

Si M. Defacqz avait voulu donner, à des expressions empruntées au vocabulaire politique et financier de la France, un sens qu'on ne lui donnait pas en France, il l'eût mentionné dans son amendement. Il eût fait, et le Congrès avec lui, ce que fit le Congrès, lorsqu'il vota l'article premier de la loi du 3 mars 1851, lorsque, pour se séparer du système français, pour consacrer un système restrictif, il insérait les mots : « versés au trésor de l'Etat. »

Dans la séance du 2 mars 1831, un membre ayant proposé de compter à l'électeur les centimes additionnels, la proposition fut rejetée, non comme inconstitutionnelle, mais à la suite d'observations faites par M. Lebeau, qui sembla reconnaître, au contraire, implicitement que l'article 47 ne s'opposait pas à l'adoption de l'amendement.

Les propositions inconstitutionnelles étaient repoussées par la question préalable.

Il est donc permis d'espérer que les autorités compétentes appliqueront désormais l'article 47 de la Constitution dans un sens plus large et plus favorable à la liberté, sans qu'il soit nécessaire de faire une loi interprétative. Dans le doute, ce serait encore la liberté qui devrait prévaloir.

Je reviens à la proposition de loi. Elle a pour but, je le répète, d'étendre à toute notre législation électorale l'assimilation des villes aux campagnes, déjà adoptée partiellement en 1848, et de compter tous les impôts directs pour former le cens électoral.

Les réformes dépendent moins de l'initiative individuelle, que de l'enchaînement des faits et des idées.

Je crois avoir démontré que la réforme électorale est le fruit de notre histoire politique depuis 17 années, grande mortalis aevi spatium.

Le programme de la droite, en 1864, l'a posée solennellement devant le pays.

Un ancien président de cette Chambre, et un autre membre de la gauche que vos suffrages appellent, tous les ans, à faire partie du bureau, l'ont déclaré dès le mois de juin 1864.

Voici comment s'exprimait l'honorable M. Orts, dans la séance du 9 de ce mois (Séance du 9 juin 1864, Annales parlementaires, 1863-1864, page 493) :

« M. Orts. - Une réforme électorale, s'il s'en faisait une et c'est celle-là que je proposerai à mon tour par amendement à la vôtre ; une réforme électorale vraiment démocratique serait celle-ci. Elle consisterait à faire, pour le cens électoral communal, ce que nous avons fait, en 1848, pour le cens électoral des Chambres ; elle consisterait à donner (page 150) le même droit à l'électeur qui paye le cens admis comme minimum, quel que soit le lieu de son habitation.

« Mais, à côté de cette extension du suffrage électoral, il me faudra quelque chose de plus encore, quelque chose que vous ne me donnez pas ; la garantie que je m'adresserai toujours, pour obtenir des conseils sur les intérêts du pays, à des gens capables de me comprendre à cette tribune, cette pensée qui y était inscrite en 1848, et qu'on a eu soin de taire.

« Un jour viendra où nous aurons le cens uniforme et, au lieu d'abaisser le cens a 10 fr. comme vous le faites, nous aurons le cens uniforme à 15 fr. dans toutes les communes. J'aurais demandé, et je demanderai, à côté de cela deux garanties encore : Tout électeur devra savoir lire et écrire, et pour que, dans 5 ans, il n'y ait plus un seul Belge qui puisse se plaindre légitimement de ne pas être électeur parce qu'il ne sait pas lire et écrire, j'aurais demandé, au lieu de 15 millions pour la solution de la question d'Anvers, 15 millions pour bâtir des maisons d’école, loger des instituteurs et leur donner un traitement convenable dans toutes les communes. »

L'honorable M. Van Humbeeck confirmait cette opinion (Séance du 16 juin 1864, Annales parlementaires, page 547). Il disait en s'adressant à la droite :

« M. Van Humbeeck. - Grâce à vous, la question de la réforme électorale est désormais posée devant le pays. Seulement le principe que vous avez essayé de nous dérober pendant nos moments de somnolence, ce principe est bien à nous, et comme nous sommes plus habitués que vous à le manier, nous espérons en obtenir de meilleurs résultats.

« Votre réforme est timide, vous l'avouez vous-même ; il en est parmi vous qui la louent de ce défaut comme d'une qualité.

« Votre réforme est intéressée ; oh oui, vous ne l'avouez pas. Mais, l'honorable M. Orts vous l'a démontré à l'évidence et sa démonstration attend toujours une réponse. Notre réforme à nous sera large ; elle sera logique et désintéressée.

« Quelle en sera la formule à laquelle pourront se rallier les nuances diverses de l'opinion libérale ? Je n'en sais rien encore ; mais j'affirme que cette réforme, quelle qu'elle soit, aura les trois caractères que je viens d'indiquer. »

Peu de temps après ce discours, le conseil provincial du Brabant, après une discussion approfondie, émit un vœu dont nous ne pouvons méconnaître l'importance.

La question est donc posée par les précédents, posée par la droite, ; posée par plusieurs membres considérables de la gauche, posée plus encore par la force des choses : la Chambre la résoudra d'après la volonté nationale, dont elle est l'expression constitutionnelle.

Elle ne s'effrayera pas de vaines craintes sur l'usage que les nouveaux citoyens pourront faire de leurs droits.

Si l'extension du suffrage était dangereuse, elle l'eût été en 1848, au milieu de l'agitation, de fa surexcitation des esprits. On y trouva, au contraire, à cette époque, un élément de force, de sagesse et de stabilité.

C'est que les gouvernements qui résistent le mieux aux orages sont ceux qui ont des racines populaires, racines que chaque progrès doit étendre dans le sol national.

Trente-cinq années de sagesse ; trente-cinq années de luttes constitutionnelles ; trente-cinq années d'harmonie parfaite entre toutes nos libertés ; l'instruction publique répandue dans toutes les parties du pays ; le développement de l'esprit public ; le peuple appelé partiellement à la vie publique par les conseils de prud'hommes, par les sociétés de secours mutuels, par l'exercice du droit d'association ; enfin la confiance en nous née des périls mêmes que nous avons eu à traverser.

Tels sont les gages de l'avenir.

La Belgique croit en elle-même. Elle puise sa force à des sources profondes.

Le développement de la commune, base antique de nos libertés, consolidera chaque jour davantage l'édifice politique en élargissant la base sur laquelle il repose.

A nos populations si sages, si dévouées, si intelligentes, à ces populations qui envahissent les écoles dès qu'elles sont ouvertes, les écoles du soir, les bibliothèques populaires, les lectures publiques ; à ces populations avides d'instruction, d'émancipation intellectuelle ; à ces populations que nous avons vues, aux jours d'épreuve, accourir sur la place publique manifester leurs sentiments chaleureux pour le Roi et la patrie ; à ces populations qui ont prouvé que, devant un danger extérieur, la Belgique n'a qu'un cœur et qu'une âme pour défendre le sol natal, ne refusons pas de bienveillants encouragements. Donnons aux uns des droits politiques, aux autres l'espérance de les obtenir un jour.

MpVµ. - La proposition est elle appuyée ?

- Voix nombreuses. - Oui, oui.

Prise en considération

MpVµ. - La proposition étant appuyée, la discussion est ouverte sur la prise en considération.

M. Lelièvreµ. - Il ne s'agit, pour le moment, que de statuer sur la prise en considération de la proposition faite par l'honorable M. Guillery. Sur ce point, il ne peut s'élever aucun doute. La proposition est digne d'un examen sérieux.

En ce qui me concerne, j'estime qu'on peut, sans inconvénient, décréter certain abaissement du cens pour les élections communales et provinciales ; mais je pense que l'on doit dispenser de l'obligation de payer le cens, pour l'exercice du droit électoral, tous ceux qui remplissent des fonctions pour lesquelles les lois et règlements exigent des certificats de capacité. Ces personnes, en effet, ont certainement l'aptitude nécessaire pour émettre un vote avec discernement, et, d'un autre côté, elles possèdent un véritable capital qui doit les assimiler à ceux qui payent effectivement le cens électoral. La proposition devra, selon moi, subir d'autres modifications dont l'examen en sections révélera l'utilité. Mais ce sont là des questions de détail que l'on ne peut aborder pour le moment. La proposition en discussion a certainement un but utile. Son adoption réalisera un véritable progrès. Sous ce rapport, il est impossible de ne pas la prendre en considération.

- La Chambre consultée déclare prendre la proposition en considération.

MpVµ - A quelle commission la Chambre entend-elle que la proposition soit renvoyée ?

- Voix nombreuses. - A l'examen des sections.

MpVµ. - Il en sera ainsi.

Rapports sur des pétitions

MpVµ. - L'ordre du jour appelle la discussion des rapports de pétitions.

M. Bricoult, rapporteurµ. - Par pétition datée de Bruxelles, le 8 mai 1865, le sieur Filleul, ancien tirailleur franc et ancien officier de la garde civique, prie la Chambre de lui accorder un secours.

Pour appuyer sa demande, le pétitionnaire invoque les infirmités dont il est atteint et les condamnations prononcées contre lui par les tribunaux de commerce d'Anvers et de Courtrai.

Comme il n'est jamais entré dans le précédents de la Chambre d'accueillir de pareilles demandes, votre commission a l'honneur de vous proposer l'ordre du jour.

- Adopté.


M. Bricoult, rapporteurµ. - Par pétition datée de Laeken, le 18 mai 1865, le sieur Blancke, ancien gendarme, demande la révision de sa pension. La commission propose l'ordre du jour.

- Adopté.


M. Bricoult, rapporteurµ. - Par pétition datée de Hantes-Wiheries le 9 mai 1865, le sieur Lacroix, secrétaire de la commune de Hantes-Wiheries, demande une loi qui fixe le minimum de traitement des secrétaires communaux.

Même demande est adressée à la Chambre de la part des secrétaires communaux de Habay-la-Vieille, Seloigne, Caneghem, Mont-sur-Marchienne et par ceux d'un grand nombre de communes de l'arrondissement de Nivelles.

Depuis plusieurs années les secrétaires communaux des diverses provinces se sont adressés aux Chambres législatives et au gouvernement à l'effet d'obtenir une loi qui fixe leur traitement. Les motifs exposés dans les nombreuses pétitions sur lesquelles votre commission m'a chargé de vous faire rapport, sont les mêmes que ceux qui ont fait l'objet des requêtes adressées antérieurement à la Chambre.

La plupart exposent pour appuyer leur demande que leurs attributions s'étendent considérablement et que les travaux qui leur incombent du chef de la formation des listes électorales, de nombreux états statistiques, en un mot, de tout ce qu'ils appellent la bureaucratie gouvernementale sont de nature à justifier les modifications qu'ils réclament aux (page 151) dispositions de l'article 111 de la loi communale. En d'autres termes ils prétendent avoir, à ce point de vue, une position mixte.

Votre commission, messieurs, a examiné sérieusement et avec bienveillance les réclamations dont il s'agit ; elle reconnaît que les secrétaires communaux rendent tous les jours des services importants à l'administration supérieure. Elle rend hommage au zèle et à l'activité de la généralité de ces fonctionnaires, mais elle pense qu'ils doivent être considérés comme des agents communaux. Le législateur de 1836 a voulu leur donner ce caractère, et il doit être maintenu. Néanmoins votre commission est d'avis que le gouvernement peut continuer à intervenir officieusement par l'entremise des autorités provinciales auprès des conseils communaux, afin d'amener ceux-ci à payer un peu mieux leur secrétaire.

Elle m'a chargé en conséquence de vous proposer le renvoi de ces pétitions à M. le ministre de l'intérieur.

- Ce renvoi est prononcé.


M. Bricoult, rapporteurµ. - Par pétition datée de Dour, le 26 mai 1865, les habitants de Dour prient la Chambre d'accorder aux sieurs Hoyois et Condroy la concession d'un chemin de fer de Frameries à Condé par Quiévrain. »

La commission propose le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics.

- Adopté.


MpVµ. - Je propose à la Chambre de se réunir demain à 3 heures, afin de permettre aux sections centrales d'activer leurs travaux.

- La séance est levée à 4 1/2 heures.