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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 18 janvier 1866

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1865-1866)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboomµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 209) M. Thienpont, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Moor, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont, secrétaireµ, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Les membres de l'administration communale de Fleurus demandent que le chemin de fer de Fleurus à Denderleeuw soit concédé le plus tôt possible. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

M. Mascartµ. - Je demande, en outre que, conformément à une décision prise hier par la Chambre sur une pétition du même genre, la Chambre invite la commission des pétitions à en faire un prompt rapport.

- Adopté.


« Des habitants de la province de Luxembourg réclament l'intervention de la Chambre pour faire contraindre la grande compagnie du Luxembourg à construire l'embranchement de Bastogne. »

- Même renvoi avec demande d'un prompt rapport, sur la proposition de M. Mascartµ.


« Les membres du conseil communal de Tubize prient la Chambre de décréter l’établissement d'un chemin de fer de Nivelles à Denderleeuw par Tubize, avec prolongement vers Fleurus. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Bertrix demande que toutes les frontières du pays soient fermées aux quadrupèdes autres que le cheval, l'âne, le mulet et le chien. »

- Même renvoi.


« M. Edouard Sève fait hommage à la Chambre de 120 exemplaires de la biographie de feu S. M. le Roi Léopold Ier. »

- Distribution aux membres de la Chambre, et dépôt à la bibliothèque.


« M. Laubry, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.


« M. Dubois, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Projet de loi portant le budget du ministère de l'intérieur de l'exercice 1866

Discussion générale

M. de Macarµ. - Messieurs, je n'ai pas l'intention de prolonger le débat qui a eu lieu dans cette enceinte au sujet des jeux de Spa, encore moins de formuler une proposition qui déterminerait d'une manière précise l'époque où ces jeux devront cesser. Les éléments certains sur lesquels je pourrais fonder une proposition me manquent, et je craindrais, en soumettant en ce moment une proposition à la Chambre, de compromettre des intérêts sérieux que je désire, autant que qui que ce soit, sauvegarder.

Si je m'abstiens, quant à présent, de faire une proposition, ce n'est pas parce que l'opinion de la Chambre ne me paraît pas encore bien prononcée ; au contraire, cette opinion est parfaitement caractérisée ; elle est conforme à l'opinion générale, qui réclame la suppression des jeux de Spa. Si l'on hésite à prendre actuellement une pareille décision, c'est qu'on veut, comme moi, ne pas être injuste envers la ville de Spa, en posant une mesure précipitamment.

II est évident qu'on ne peut supprimer les jeux de Spa qu'en accordant à cette ville la possibilité de se constituer un fonds qui lui permette d'abord de satisfaire à ses engagements, et ensuite de continuer à attirer les étrangers chez elle, en faisant ce que font, dans ce cas, les villes d'Allemagne.

II me semble que cet état de choses ne doit pas être indéfini. La réponse qu'a faite hier M. le ministre de l'intérieur me semble reculer indéfiniment la solution à donner à la question.

Je crois qu'avec les éléments d'appréciation qui sont à la disposition de l'honorable ministre, il eût pu être un peu plus explicite.

Dans ces conditions, je me permets de poser à M. le ministre de l'intérieur, une double question ?

Quel terme assigne t-il à l'accomplissement de l'état de choses que je viens de déterminer ?

Secondement, ne croit-il pas, comme moi, qu'il serait utile de hâter ce moment en abandonnant à la ville de Spa, dès l'exercice prochain, la quotité du produit des jeux attribuée au gouvernement.

Le gouvernement perçoit 50 p. c.

Les communes 10 p. c.

Nous reconnaissons tous et le gouvernement reconnaît avec nous qu'il est indispensable que les jeux de Spa cessent le plus tôt possible. C'est une question de moralité. Je crois que, dans de telles conditions, le gouvernement doit accélérer autant que possible le moment de les faire disparaître, et que dès lors il y a lieu de sacrifier un impôt qu'il reconnaît lui-même être immoral.

Le gouvernement pourrait donc obtenir, par le sacrifice d'une année, ce que les communes ne pourraient obtenir qu'en cinq années.

En tout cas, je demanderai à M. le ministre de l'intérieur de vouloir' bien nous dire son sentiment à cet égard.

Il est évident que si nous restons sous l'impression des paroles qu'a prononcées hier M. le ministre de l'intérieur, les habitants de Spa croiront avoir fait un nouveau bail moral avec la Chambre, et c'est ce qui ne doit pas être. Il ne faut pas que de nouvelles spéculations s'établissent basées sur l'existence des jeux de Spa.

C'est sur ce point que je demande des explications à M. le ministre de l'intérieur, et quoique j'aie quelques autres considérations à présenter, s'il veut me répondre immédiatement, je lui céderai volontiers la parole.

MiVDPBµ. - Messieurs, l'on me pose brusquement des questions auxquelles il est impossible de répondre immédiatement.

De quoi s'agit-il ? L'année dernière, lors de la discussion du budget des voies et moyens, si je ne me trompe, on a invité le gouvernement à faire un rapport sur les jeux de Spa. Le gouvernement s'est acquitté de cette mission ; il a fait l'historique des jeux depuis leur institution à Spa, il vous a présenté un rapport détaillé qui a été approuvé, comme je l'ai dit hier, par l'honorable M. Rodenbach. Le gouvernement a fait tout ce qu'il devait faire, tout ce qu'il pouvait faire.

Hier je vous ai dit quelle était mon opinion sur les jeux de Spa. J'ai déclaré très nettement, très catégoriquement que je suis hostile à ces jeux, que je désire les voir supprimer, et les voir supprimer le plus tôt possible, mais cependant à certaines conditions : c'est en sauvegardant, dans une certaine limite, les intérêts légitimes de la ville de Spa.

L'honorable M. de Macar me cède la parole et m'invite à lui dire hic et nunc quand cette suppression pourra être faite ? Je n'en sais rien.

Il faut, en effet, examiner la question. L'honorable membre indique un moyen de solution. Est-il bon, est-il mauvais ? C'est la question à examiner. Je ne puis me prononcer ici à l'instant où la question est posée pour la première fois. Mais ce que je sais, c'est que ce n'est pas en cédant l'ensemble des bénéfices des jeux pendant un an, y compris même la part de l’Etat, qu'on pourrait sauvegarder d'une manière sérieuse les intérêts de la ville de Spa.

M. de Macarµ. - Il faudrait plusieurs années.

MiVDPBµ. - Il faudrait plusieurs années. Combien faudrait-il d'années ? Quelle somme faudrait-il accordera la ville de Spa ? Ce sont des questions à examiner.

A la suite de la discussion de l'année dernière, j'avais lieu de croire que la Chambre renverrait le rapport du gouvernement à une commission ou que la section centrale, chargée d'examiner le budget de l'intérieur, discuterait la question et ferait des propositions.

(page 210) Si la Chambre veut, comme l’a proposé l'honorable comte de Theux, faire une enquête, ordonner un examen par une commission, elle en est parfaitement libre. Mais quant à moi, je déclare qu'il m'est impossible de formuler en ce moment aucune proposition raisonnée quant à la somme qui serait nécessaire pour sauvegarder convenablement les intérêts de la ville de Spa et quant à l'époque où les jeux pourront et devront être supprimés.

M. de Macarµ. - L'honorable ministre de l'intérieur vient de reproduire le discours qu'il a prononcé hier, c'est-à-dire qu'il a répondu par une fin de non-recevoir aux questions que j'ai cru devoir lui poser. Puisqu'il ne veut pas nous en dire plus aujourd'hui, je lui demanderai seulement ceci : c'est de bien vouloir nous donner, l'année prochaine, les éléments qui nous manquent en ce moment ; je voudrais qu'il nous dise à quelle époque, en étudiant de très près la position de la ville de Spa, le gouvernement croit qu'on pourra supprimer les jeux.

Je crois que ce n'est pas trop demander.

Je répète que je fais ces observations surtout en vue des intérêts de la ville de Spa, parce que si la question en était restée au point où la discussion l'a placée hier, nous paraîtrions abandonner en quelque sorte cette question.

MpVµ. - La parole est à M. Kervyn.

M. de Macarµ. - J'ai quelques autres considérations à présenter, mais dans une toute autre sphère. Je compte entretenir la Chambre d'intérêts agricoles.

- Divers membres. - Attendez la discussion du chapitre.

MiVDPBµ. - Je demande, la parole pour une motion d'ordre.

Je crains que, dans cette discussion générale, on ne s'égare, si l'on parle alternativement de toutes sortes d'objets. Il me semble qu'il vaudrait mieux traiter chaque question à l'occasion des chapitres du budget. On pourrait terminer en ce moment l'affaire des jeux de Spa.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - C'est de la question des jeux de Spa que je compte m'occuper.

Comme l'honorable M. de Macar, je désire appeler l'attention de la Chambre sur ce que présente de vague la réponse faite par M. le ministre de l'intérieur à la fin de la séance d'hier, réponse que M. le ministre a reproduite tout à l'heure. Je comprends parfaitement qu'il peut y avoir de l'hésitation sur les mesures transitoires à adopter ; je ne comprendrais pas qu'il pût y en avoir sur la question de savoir si les jeux doivent disparaître, et j'espère que la Chambre, lorsqu'elle en sera arrivée au chapitre 21 du budget, tranchera la question de principe, sauf y voir quels sont les moyens transitoires à employer dans un intérêt local. Mais ce qui exige une solution nette et immédiate, c'est la question de principe. Il me paraît impossible que la position dans laquelle ce débat se trouve depuis quelques années, se prolonge et que la Chambre n'exprime pas tout haut son intention de mettre un terme à ce qu'on appelle les jeux de Spa.

La question, messieurs, à quelque point de vue qu'on l'envisage, mérite toute notre attention. En 1864, pendant 4 mois d'été, on a demandé aux passions, à l'avidité, à la soif du gain, un bénéfice qui s'est élevé à 1,834,000 fr., c'est-à-dire à la moitié de ce que la patente prélève sur toutes les branches de l'industrie nationale, pendant une année entière ; et comme le disait hier l'honorable M. Rodenbach, il faut se demander combien de misères, combien de douleurs, combien de deuils de famille sont représentés par ces deux millions.

Mais il y a, messieurs, quelque chose de bien plus grave : il ne faut pas oublier la participation de l'Etat dans ces jeux, je dirais volontiers la complicité de l'Etat ; car (erratum, page 219) il aide avec connaissance, à perpétuer le mal que ni la ville de Spa, ni l'honorable M. Moreau, ni M. le ministre de l'intérieur n'ont jamais songé un moment à nier.

Un homme éminent de notre époque (M. Rossi) a dit : « L'ordre politique et l'ordre moral sont liés par les rapports les plus étroits et les plus intimes. Ce sont les rapports du moyen au but.

« L'ordre social n'est qu'un moyen de développer et de maintenir l'ordre moral. »

Eh bien, messieurs, demandons-nous si l'Etat remplit ici sa mission sociale, s'il fait tout ce qu'il peut pour maintenir et développer l'ordre moral, si, au contraire, il ne se prête pas à ce qui, tous les jours, trouble et anéantit l'ordre moral.

Messieurs, il existe dans le code pénal un article qui frappe de prison et d'amende ceux qui tiennent des maisons de jeu et qui y attirent ou même qui y admettent le public ; mais le code pénal va bien plus loin, ce n'est pas seulement la prison et l'amende qu'il prononce, il commine aussi la perte des droits civiques, civils ri de famille, ce qui prouve que le législateur a considéré celui qui développe la passion du jeu comme tellement nuisible à la société, qu'il l'a déclaré incapable d'exercer les droits propres à la famille et de remplir dans la société les droits plus étendus qui appartiennent à tous les citoyens.

Or que voyons-nous dans la question qui nous occupe ? C'est l'Etat qui non seulement tolère le jeu, mais qui en érige, qui en consacre le monopole, et qui, bien plus, vient y réclamer une part de bénéfice. Cela constitue-t il une situation que nous puissions admettre ? Je m'adresse avec confiance à la législature de la libre Belgique, de ce pays aux mœurs honnêtes et laborieuses, afin que nous déclarions que tous dans notre conscience nous repoussons et ce lucre et la part que l'Etat vient y revendiquer.

J'ai lu avec une grande attention le mémoire qui a été présenté par la ville de Spa ; j'ai écouté avec plus d'attention encore le remarquable discours que l'honorable M. Moreau a prononcé dans la séance d'hier, mais je dois déclarer que je n'y ai trouvé aucun argument qui pût ébranler ma conviction.

En effet, quels sont les arguments qui ont été présentés ?

Ce sont, dit-on, les étrangers qui se ruinent. Peu m'importe, messieurs, que ce soient les étrangers qui se ruinent. La honte la plus profonde n'es pas pour ceux qui se ruinent, mais pour ceux qui s'enrichissent. Or, c'est en Belgique que ces désordres trouvent leur place.

Et, d'ailleurs, je ne sais si cette assertion est fondée.

Pour ma part, je serais disposé à croire qu'elle est inexacte, car lorsqu'on consulte, avec soin, les tableaux statistiques qui ont été mis sous nos yeux, on voit que la progression du nombre des joueurs n'est pas en rapport avec le nombre des voyageurs qui se succèdent à Spa.

Je ne sais, messieurs, si vous avez suivi avec attention les chiffres de cette progression, mais ils sont effrayants.

Je demande à la Chambre la permission de lui en citer quelques-uns pour démontrer que la passion du jeu va s'agrandissant, se développant d'une manière réellement effrayante.

Ainsi, en 1850, les pertes de jeu ont produit une somme de 300,000 francs. En 1855, elles sont de 500,000 francs ; 5 ans après, en 1860, elles montent à 1,160,000 francs, et trois ans plus tard elles atteignent le chiffre de 1,856,000 fr. ; et tandis que le nombre des voyageurs de 1860 à 1865 s'était élevé de 328,000 à 395,000, c'est-à-dire offrait une augmentation de 25 p. c., les pertes de jeu, en 5 années, s'étaient accrues de 60 p. c. Et c'est cette situation, messieurs, que nous voudrions maintenir, que nous ne sentirions pas tous le besoin énergique de condamner !

On dit aussi que ce sont les riches qui se ruinent. Cet argument me touche peu. Je suis convaincu, pour ma part, qu'il arrive bien souvent que l'ouvrier emprunte les vêtements du riche pour se glisser dans les salles de jeu.

Bien souvent, c'est le produit du travail de la semaine qui vient s'engloutir à Spa pendant ce dimanche qui devrait être un jour de repos et qui n'est ainsi qu'un jour de surexcitation et de malheur.

Mais alors même, messieurs, qu'il en serait ainsi et s'il était vrai que par des précautions vigilantes on pût parvenir à exclure l'ouvrier et à le repousser jusqu'à la porte de la salle de jeu, alors encore ces ouvriers groupés à cette porte qui n'en verraient sortir que les riches, quel jugement porteraient-ils sur les classes élevées de la société, sur ces hommes dont les uns auraient vu grossir instantanément leur fortune, grâce au hasard, dont les autres seraient en proie au désespoir, tous avilis et indignes de conserver l'influence et le respect qui doivent leur être assurés dans la société ?

Je ne veux pas de ce spectacle ni pour celui qui se dégrade, ni pour celui qui est témoin de cette dégradation.

Allons plus loin encore. Qu'est-ce que la richesse dans notre temps ? Est-ce le produit d'une chance bonne ou mauvaise, d'un numéro qui roule sur un tapis vert ? Il ne faut pas la comprendre ainsi.

La ville de Spa, dans le mémoire qui nous a été adressé, affirme que le jeu n'est qu'une part, n'est qu'un aspect de la richesse ; elle prétend qu'alors que de tous côtés nous multiplions nos efforts pour rendre le luxe plus accessible à tous, on ne doit pas réprimer le jeu, qui n'est aussi qu'une conséquence de la richesse.

Non, messieurs, le jeu, dans une société civilisée, dans une société bien réglée, ne forme point une part de la richesse ; il faut proclamer que la richesse est le prix du travail honnête. Souhaitons que la richesse, dans une société comme la nôtre, s'appelle l'aisance pour le plus grand nombre, pour tous si c'est possible ; mais si la richesse doit rester le privilège de quelques-uns, il faut n'y chercher que le don heureux et rare de pouvoir écouter toutes les aspirations que l'on ressent en soi vers le bien et vers le beau, vers le bien en suppléant au déficit de la misère, vers le (page 211) beau en encourageant les arts, les lettres, tout ce qui élève l'âme par des sentiments nobles et généreux. Voilà, messieurs, comment il faut entendre la richesse, et c'est là ce qu'on voudrait assimiler à la passion la plus égoïste et la plus vile !

Mais la base même de la richesse, quelle est-elle ? Quelle doit-elle être ? Est-ce le hasard devenant la prime de l'oisiveté et de la débauche ?

Proclamons bien haut, messieurs, devant le peuple, que s'il est permis à tout le monde de s'élever au-dessus de ses concitoyens, une seule voie est ouverte, c'est la voie du travail, qui répond aux intérêts généraux de la société et qui assure en même temps l'honneur et la dignité des individus.

M. Hymansµ. - Tout le monde paraît d'accord sur le principe de la suppression des jeux de Spa. Le seul intérêt dont on se soit préoccupé, et qui est très sérieux, c'est l'intérêt de la ville de Spa qu'il faut sauvegarder afin de ne pas faire, sous prétexte de morale, une chose malhonnête.

Il résulte du rapport de M. le ministre de l'intérieur à la section centrale que la ville de Spa a contracté des engagements considérables. en quelque sorte sous le patronage de l'Etat ; la ville de Spa a compté, pour faire face à ses engagements, sur le revenu des jeux. Il n'en est pas seulement ainsi de la ville de Spa, mais de toutes les autres villes qui ont un bénéfice dans les jeux de Spa, Ostende, Blankenberghe, Chaudfontaine.

Il faut évidemment, messieurs, prendre en considération des intérêts de cette nature qui sont éminemment respectables. Les habitants de Spa ne sont pas responsables des conséquences immorales du contrat qui a été consenti entre le gouvernement et une compagnie ; les habitants de Spa ont élevé des constructions, ils ont engagé des capitaux importants dans des entreprises commerciales et industrielles ; la ville de Spa elle-même s'est considérablement obérée. La suppression pure et simple des jeux de Spa serait pour elle une véritable banqueroute. Sous ce rapport je suis assez disposé à appuyer la proposition de l'honorable M. de Macar, qui me paraît équitable dans une certaine mesure. Je dis dans une certaine mesure, parce qu'il est impossible que si vous décidez aujourd'hui la suppression des jeux dans deux ou trois ans, la ville de Spa ne se trouve dans une fâcheuse situation. Le bénéfice du jeu est purement aléatoire et ne suit pas, comme l'a dit M. Kervyn, une progression constante.

M. de Macarµ. - Elle est constante.

M. Hymansµ. - Elle est constante, par hasard, à cause de la progression du nombre des étrangers, qui est soumise à des conditions de tout genre.

M. Kervyn désire, pour l'honneur du pays, que ces étrangers ne se ruinent pas chez nous. Mais quand ils seront allés se ruiner ailleurs, la morale, que défend l'honorable membre, sera-t-elle satisfaite. ?

Du reste, quand vous aurez supprimé les jeux de Spa, vous n'aurez pas, pour cela, supprimé la passion du jeu. (Interruption.)

Les étrangers iront jouer ailleurs ; il y aura même des Belges qui iront jouer ailleurs. Je crois que dans les villes d'eaux le jeu tient une grande part dans l'occupation des loisirs des touristes ; ceux-ci trouveront leurs distractions dans d'autres pays.

Je parle des touristes. En ce qui concerne les malheureux qui sacrifient au jeu le produit de leur travail, il faut rendre à la ville de Spa cette justice qu'elle a pris, depuis l'année dernière surtout, des mesures efficaces pour empêcher ces personnes non seulement de prendre pari aux jeux, mais même d'entrer dans les locaux où l'on joue.

Mais vous ne contesterez pas que le jeu est devenu une espèce d'accompagnement inséparable des loisirs des villes d'eaux. Ainsi, à Ostende, il n'y a pas de roulette, il n'y a pas de trente et quarante, mais on y joue d'une manière peut-être plus déplorable qu'à Spa.

- Plusieurs voix. - C'est vrai ! (Interruption.)

M. Hymansµ. - Il y a, à Ostende, de véritables tripots. (Nouvelle interruption.) Il y a, à Ostende, des établissements qui s'intitulent des sociétés privées, mais dans lesquels tout le monde est admis, et où, au lieu d'être volé légalement par le hasard, on est dévalisé par des escrocs. Voila la vérité.

Or, quand vous aurez supprimé par une mesure immédiate les jeux de Spa, vous n'aurez pas supprimé les grecs, vous n'aurez pas supprimé la passion du jeu ; et, je le répète, sous prétexte de morale, vous aurez, d'abord, fait une chose malhonnête en sacrifiant les intérêts respectables d'une ville importante et de plusieurs autres communes populeuses ; et, d'un autre côté, vous n'aurez pas satisfait la morale, que vous voulez servir.

Si l'on veut arriver à la suppression des jeux et en même temps satisfaire à cet intérêt respectable que vient d'indiquer l'honorable M. Kervyn, il y a autre chose à faire : je crois que le gouvernement ferait chose en négociant avec les pays étrangers oh des jeux subsistent encore, pour tâcher d'en obtenir la suppression partout. Voilà, à mon sens, le véritable moyen à employer ; et, veuillez-le remarquer, messieurs, ce moyen est indiqué par la convention même que le gouvernement a conclue avec la société des jeux.

En effet, je lis dans le rapport de M. le ministre de l'intérieur, page 45 du rapport de la section centrale : « Il est expressément stipulé que le gouvernement se réserve le droit de retraire, sans indemnité pour les concessionnaires, cette prorogation ou nouvelle concession, avant l'époque fixée pour son expiration, dans le cas où, par suite d'un acte législatif on diplomatique, il y aurait lieu de prendre cette mesure. »

Eh bien, puisque le gouvernement paraît aujourd'hui d'accord en principe avec les adversaires des jeux, il lui appartient de hâter l'accomplissement de la clause qu'il a inscrite lui-même dans sa convention.

Déjà à Bade la suppression des jeux est décidée en principe ; le contrat actuel ne sera pas renouvelé à son expiration, qui est très rapprochée.

Or, il suffit que dans quelques petites principautés d'Allemagne on prenne une mesure analogue pour que la question soit, chez nous, nettement et fructueusement résolue. Le gouvernement qui a négocié avec toute l'Europe le rachat du péage de l'Escaut, pourrait certes parvenir à négocier la suppression des jeux en Allemagne.

Mais tant que vous n'aurez pas fait cela, vous n'aurez rien fait de sérieux. Si l'on ne joue plus à Spa, la ville sera en grande partie ruinée, sans avantage pour les principes. J'engage la ville de Spa à maintenir les mesures qu'elle a prises et qui paraissent être efficaces, pour empêcher les ouvriers et les indigènes de prendre part aux jeux.

J'engage, en outre, le gouvernement à recourir, le plus tôt possible, à la voie diplomatique, et je crois qu'il ne tiendra qu'à lui d'aboutir, dans un bref délai, à un résultat efficace.

M. Rodenbachµ. - Messieurs, il y a déjà peut-être quinze ans qu'à l'occasion de la discussion du budget des voies et moyens, j'ai proposé la suppression des jeux de Spa. On semble croire qu'aujourd'hui j’en réclame la suppression immédiate.

Il n'a jamais été dans mon intention de demander cela : je ne veux pas faire table rase hic et nunc des maisons de jeux. Je sais qu'il faut pour cela un temps moral.

Le traité de bail qu'on a renouvelé avec la société ne doit expirer qu'en 1880. Je ne pense pas qu'on veuille attendre jusque là pour supprimer les jeux de Spa. Cela ne serait point tolérable.

J'ai écoulé avec infiniment d'intérêt l'honorable M. Kervyn. Son discours était frappé au coin de la vérité, et je lui en fais mon compliment sincère.

Je prierai maintenant M. l. ministre de l'intérieur de vouloir bien s'expliquer. Le gouvernement a le droit de résilier la convention ; mais comme on ne peut pas le faire immédiatement, je fais un appel à la loyauté et à la franchise bien connues de M. le ministre de l'intérieur, s'il ne pourrait pas négocier une nouvelle transaction avec les administrateurs des jeux de Spa ; à la session prochaine, l'honorable ministre viendrait nous rendre compte de ce qu'il a obtenu.

Puisque le gouvernement a fait une première transaction qui a cours jusqu'en 1880, c'est à lui à en faire une nouvelle.

Il n'y a, dans cette enceinte, pas deux membres qui voulussent voter pour le principe, qu'il ne faut pas supprimer les maisons de jeu. Les députés de Verviers eux-mêmes désapprouvent la roulette.

En terminant, je prie de nouveau M. le ministre de l'intérieur de nous dire franchement si, d'ici à la session prochaine, il espère pouvoir nous présenter une nouvelle convention avec les administrateurs des jeux de Spa. Je le répète, je ne veux pas faire supprimer immédiatement ces jeux ; et, pour me servir d'une expression triviale, je ne veux pas la mort du pécheur.

J'espère que, lorsqu'on discutera le chapitre vingt et un du budget, la Chambre à l'unanimité votera le principe qu'il faut dans notre royaume faire disparaître les maisons de jeu, qui sont la honte du pays.

M. Davidµ. - Messieurs, l'honorable M. Kervyn s'est spécialement occupé du côté moral de la question ; mais l'honorable M. Hymans lui a si complètement répondu, qu'il me reste peu de chose à y ajouter.

Je n'y ajouterai qu'un mot, afin de réfuter ce qu'il nous a dit, quant à la participation des ouvriers et des indigènes dans les pertes qui se font aux jeux de Spa.

(page 212) Comme l'a dit l'honorable M. Hymans, on empêche aujourd'hui les ouvriers des environs d'entrer dans la salle des jeux, et je pense qu'il est bien rare qu'ils parviennent à y avoir accès maintenant.

Il y a un autre moyen pour apprécier quels sont les joueurs qui laissent le plus de leurs plumes sur le tapis vert de Spa !

C'est l'échange de monnaies qui se fait et dont vous avez pu apprécier l'importance pour les monnaies échangées à la redoute même. Mais là ne se borne pas l'échange des monnaies étrangères ; il y a plusieurs changeurs qui ont établi leur office tout en face de la redoute, et qui servent une foule d'étrangers qui ne font pas l'échange de leurs monnaies dans l'établissement du jeu même.

Après ce qu'a dit l'honorable M. Hymans, je crois pouvoir borner là ma réponse à l’honorable M. Kervyn. Je répondrai un peu plus en détail au discours que l'honorable M. Rodenbach a prononcé hier.

L'intérêt que l'honorable M. Rodenbach porte à la veuve anonyme qui lui a annoncé sa ruine et la folie de son fils à la suite de fortes pertes au jeu, l'a entraîné beaucoup trop loin dans ses anathèmes contre la roulette et le trente et quarante de la banque de Spa.

On appelle jeux scandaleux ceux où des fraudes et des tricheries sont employées pour dépouiller les victimes qui vont y risquer leur argent ; à la banque de Spa, rien de pareil ne peut se présenter ; les chances sont plus favorables au banquier qu'au joueur, cela est vrai, mais le jeu est attentivement surveillé par des commissaires du gouvernement, et le joueur sait d'avance le danger que court la pièce de monnaie qu'il jette sur le tapis vert. La passion du jeu ne peut être tempérée que par l'éducation à donner à la jeunesse, et aussi longtemps que cette passion ne sera pas extirpée du cœur humain, on jouera et même d'une manière plus dangereuse, dans les tripots et certains lieux clandestins, que dans les salles de jeux des villes de bains, où une surveillance sévère est exercée.

En supprimant même immédiatement les jeux de Spa, vous n'empêcherez absolument aucun joueur de se ruiner ; l'Allemagne fourmille, à deux pas de notre frontière, de maisons de jeux autorisées, elles seront fréquentées par les touristes, qui d'habitude venaient à Spa. Mais, messieurs, si nous voulons nous ériger en tuteurs de la fortune de nos semblables, nous devrions ne pas nous borner à supprimer les jeux de Spa, nous aurions à faire fermer les bourses, à interdire le commerce et l'industrie, on s'y ruine souvent, et, tout comme après la perte de sa fortune à la roulette, on devient fou et on se tue.

Par la fermeture immédiate ou trop rapprochée de la maison de jeu de Spa vous n'obtiendriez qu'un seul résultat, la ruine de toute une ville importante aujourd'hui, et des pertes considérables pour toute la contrée environnante, pour les chemins de fer et pour le trésor public, qui, lui, devra renoncer à la plus forte partie des impôts perçus aujourd'hui.

L'appréhension seule de la suppression des jeux a déjà amené une dépréciation de 50 p. c. des immeubles à Spa ; on n'y entreprend plus de nouvelles bâtisses et chacun y attend avec anxiété les décisions de la Chambre. Pendant que la représentation nationale réclame des sacrifices considérables au trésor public pour répandre la prospérité dans tous les coins de la Belgique par la construction de chemins de fer, de routes, de canaux, de canalisation de rivières, etc., elle ne voudra pas anéantir, en se précipitant trop, la source à laquelle une partie importante du pays puise son bien-être.

L'honorable M. Rodenbach se trompe étrangement quand il vous représente les villes d'eaux minérales, ne possédant pas de jeux publics, comme aussi prospères que celles où l'étranger peut se donner la distraction et l'émotion d'une partie de roulette et de trente et quarante. Dans ces dernières les sociétés exploitant les banques de jeux se chargent de tous les frais d'amusement des baigneurs ; elles le font grandement et de manière que pas un moment d'ennui ne puisse assaillir l'étranger qui vient y passer la bonne saison. Le monde riche et élégant y afflue, y séjourne et les enrichit par ses dépenses.

Les premières, au contraire, ne pouvant disposer que de ressources financières insuffisantes des communes, sont dans l'impossibilité de rien faire pour amuser et récréer l'étranger ; elles n'ont d'attrait, par l'efficacité de leurs eaux minérales, que pour le véritable malade, forcé d'y venir pour rétablir sa santé. Rien de plus triste que ces villes ; elles sont fréquentées par un nombre restreint de malades, accompagnés seulement de l'un ou l'autre membre de leur famille ou d'un domestique ; ils sortent le matin, de leurs habitations pour aller prendre les eaux ou des bains, rentrent ensuite chez eux, en ressortent encore une fois pour se réchauffer au grand soleil du milieu du jour, se couchent tôt après avoir suivi le régime leur imposé par la médecine et quand ils quittent le lieu qui leur a rendu la santé, ils n'y laissent que peu ou point de traces de leur séjour, ils y ont dépensé fort peu d'argent au profit de la localité.

L'adoption précipitée de la proposition de l'honorable M. Rodenbach réduirait immédiatement la ville de Spa à cette triste extrémité, et il s'effrayerait lui-même des résultats désastreux qui en seraient la suite.

Non seulement les habitants de Spa et des environs seraient ruinés, mais encore l'administration communale devrait manquer à tous les engagements pris pour les grands travaux d'amélioration et d'embellissement en cours d'exécution et en projet. Les autres localités du pays intéressées aussi dans les jeux de Spa sont absolument dans la même situation et nous devons y avoir égard.

Je ne suis pas partisan des jeux de hasard, mais en présence de la situation actuelle, il est indispensable de traiter avec la plus grande prudence la question en discussion.

Spa a pris des engagements très lourds, ils montent à un million de francs pour achèvement de travaux ; le budget ordinaire de la ville est dans l'impuissance de les supporter, cela saute aux yeux.

Spa, embellie par ces travaux, doit pouvoir, après la suppression des jeux, continuer à offrir aux étrangers les mêmes fêtes et divertissements que par le passé, à moins de vouloir la réduire au rôle d'hôpital dont je vous ai parlé tantôt.

Pour satisfaire à ses engagements et pour se constituer les ressources nécessaires au maintien des fêtes et amusements publics, coûtant aujourd'hui 143,000 fr. annuellement, Spa a compté sur l'exécution des conventions intervenues, et nous devons, messieurs, rechercher par nous-mêmes ou par une commission, comme vous le disait hier mon honorable ami M. Moreau, une combinaison qui donne une satisfaction complète, tant aux intérêts de Spa que des autres localités intéressé es dans les bénéfices des jeux de Spa.

D'après le rapport de M. le ministre de l'intérieur, les engagements pris par cette ville montent à un million. Pour représenter la dépense annuelle de 150,000 fr., chiffre rond, alloués pour les fêtes, elle doit pouvoir constituer un capital de 3 millions, dont l'intérêt serait exclusivement appliqué à ce dernier objet. Spa doit encore retirer des jeux un capital de 4 millions de francs.

Lors de la fermeture des jeux, une autre nécessité se présentera pour Spa ; elle devra ou racheter les grands édifices, si on consent à les lui vendre, appartenant à la société des jeux ou en bâtir de semblables. Il doit exister, dans une ville d'eaux, une salle de théâtre, de grandes salles de conversation, de lecture, de concert, de bal ; à Spa, tous ces édifices sont la propriété de la société concessionnaire des jeux, la ville ne pourra les obtenir, le cas échéant, qu'au moyen d'une nouvelle somme dont je ne saurais indiquer l'importance même approximativement.

En présence de tous ces faits, et afin d'éviter une catastrophe terrible dans Spa et les environs, vous trouverez sans doute avec moi, messieurs, que la justice nous commande de ne pas provoquer la suppression des jeux sans que cette ville soit mise à même de remplir ses engagements et puisse soutenir somptueusement la concurrence de ses rivales à l'étranger.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Messieurs, je n’ai pas trouvé de contradicteurs, lorsque j’ai flétri la passion du jeu et ses conséquences ; nous sommes tous d’accord sur le principe. Au principe, on oppose des questions d’intérêt, des question d’intérêt circonscrit, d’intérêt étroit, d’intérêt local.

L'honorable M. Hymans nous dit que les joueurs de profession qui aujourd'hui apportent en Belgique leur or iront jouer dans d'autres pays, et que Spa s'appauvrira.

Je répondrai à l'honorable M. Hymans que si la ville de Spa doit s'appauvrir, le pays tout entier s'enrichira ; car si les joueurs dont il a parlé ne viennent plus nous apporter leur or, ils cesseront aussi de multiplier au milieu de nous de funestes tentations et de dangereux exemples.

Quant à l'intérêt local de Spa, je crois qu'il y a de l'exagération dans la défense qui en a été présentée d'une manière si complète par les honorables députés de l'arrondissement auquel la ville de Spa appartient.

Cette ville parle beaucoup de ce qu'elle fait pour certains établissements de bienfaisance, et des dépenses qu'elle a consacrés à ses monuments et à ses promenades.

En ce qui touche la part qu'elle consacre à des établissements de bienfaisance, je me permettrai de vous citer deux chiffres. Le produit brut des pertes annuelles qu'on fait à Spa s'élève à plus de 1,800,000 fr., la part que la ville de Spa accorde à ses établissements de bienfaisance (page 213) ne dépasse pas 6,000 fr., et certes ces établissements seraient bien insuffisants s'ils devaient recueillir toutes les victimes d'une passion qui le plus souvent ne laisse après elle que le désespoir et la misère.

Et lorsque la ville de Spa parle de ses travaux, de ce qu'elle a fait pour ses eaux minérales, des promenades qu'elle multiplie sur ses montagnes, permettez-moi de faire remarquer que, d'après les documents statistiques qui nous ont été remis, la ville de Spa, dans une période de sept années, a prélevé 1,445,000 francs. Si, à l'aide de cette somme, la ville de Spa a pu créer de grands établissements, a pu ajouter quelque chose à la beauté de son paysage, je serai le premier à y applaudir, je me féliciterai de voir une ville, si heureusement favorisée par la nature, continuer à appeler en grand nombre les étrangers, pour leur offrir ce qu'elle ne leur donne pas aujourd'hui, des plaisirs sans trouble, des bienfaits sans remords, tout ce qui, dans un site pittoresque comme celui de Spa, doit les appeler et les retenir. Je lui demande seulement de ne pas regretter une richesse liée à une dégradation dont elle a la première à rougir, dégradation dont la Belgique et nous tous, messieurs, nous sommes plus ou moins responsables.

Du reste, je le répète, je suis disposé à examiner avec attention toutes les mesures transitoires qui sauvegarderaient les intérêts sérieux de la ville de Spa. Mais quant au principe de la suppression des jeux, qui touche à l'honneur du pays tout entier, je crois que nous ne pouvons hésiter à lui donner une solution immédiate ; et lorsque nous arriverons au chapitre 21 du budget de l'intérieur, la Chambre me permettra, je l'espère, de lui proposer un amendement qui, tout en réservant l'appréciation des moyens, ne laissera subsister aucun doute sur le but que nous voulons atteindre.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l’exercice 1866

Rapport de la section centrale

M. de Kerchoveµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le budget du ministère des travaux publics.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite des objets à l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1866

Discussion générale

M. Van Iseghemµ. - Je ne viens pas non plus défendre les jeux de Spa ; je crois qu'il est désirable qu'ils soient supprimés ; mais je pense aussi, avec les honorables membres qui ont pris la parole avant moi, qu'il faut chercher les moyens de sauvegarder les intérêts de Spa, d'Ostende, de Blankenberghe, de Chaudfontaine, de Nieuport et d'Heyst, parce que c'est par l'attrait que ces villes offrent aux étrangers que nous voyons y arriver tant de monde ; toute la Belgique est intéressée dans la prospérité de nos villes de bains, d'autant plus qu'il arrive souvent que les étrangers ne visitent aucune autre ville du pays, que celle où ils ont l'intention de séjourner. C'est là aussi qu'ils achètent les produits de notre industrie nationale.

Toutes ces villes ont pris des engagements pour améliorer leur position afin d'attirer de plus en plus les étrangers dans le pays ; elles font des travaux au-dessus de leurs forces, elles ont eu raison d'adopter ce système, en présence de l’engagement positif pris par le gouvernement dans la convention approuvée par le Roi et qui leur a assuré une somme annuelle. Cette convention a été communiquée à la Chambre en 1860.

Je n'aurais pas pris la parole si l'honorable M. Hymans n'avait pas dit qu'il y avait des tripots à Ostende et que des escrocs dévalisaient les étrangers. C'est donc en quelque sorte pour un fait personnel.

Je sais parfaitement bien que l'on joue quelquefois clandestinement à Ostende ; il y a deux ans, j'ai découvert moi-même un jeu de trente et quarante.

Mais la police y a mis bon ordre, et aussitôt que les grecs qui s'y trouvaient ont su que la police avait l'œil fixé sur eux, ils sont partis. Ils avaient exercé leur industrie deux ou trois fois. Je puis vous assurer que la police d'Ostende fait tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher les jeux prohibés, mais elle ne peut pas toujours y parvenir ; souvent il y a '6,000 étrangers à la fois et la surveillance est très difficile. Ainsi on y joue l'écarté pour de fortes sommes, et lorsque, dans des établissements, on défend de mettre de l'argent sur la table, on y joue sur parole.

- Un membre. - On y joue le lansquenet.

M. Van Iseghemµ. - Il est possible qu'on ait joué le lansquenet dans des appartements privés, mais pas dans les endroits publics.

Voilà ce que j'avais à dire. Je le répète, la police exerce à Ostende une surveillance plus sévère que partout ailleurs.

M. de Macarµ. - Si, dans les observations que j'ai présentées au commencement de cette séance, je n'ai pas traité la question de principe aussi longuement que l'a traitée l'honorable M. Kervyn, c'est que je croyais que cette question était parfaitement jugée par tous. Je ne pensais pas qu'il y eût dans cette enceinte un seul membre qui voulût défendre les jeux de Spa au point de vue de la moralité, de la bonté de l'institution que je combats en ce moment.

Cependant, tout en admettant le principe de la suppression, l'honorable M. Hymans a défendu si éloquemment les intérêts de la ville de Spa, qu'il a paru combattre le principe lui-même.

Il a invoqué entre autres les abus qui se passaient à Ostende et dans beaucoup d'autres localités. Mais parce qu'il y a des abus un peu partout, faut-il les proclamer hautement bons et respectables ? Faut-il déclarer que parce que l'on joue clandestinement, d'une manière illégale, il faut laisser jouer légalement et publiquement ? Voilà toute la question.

Je ne pense pas qu'il faille déclarer que ce qui se passe à Spa est une chose bonne en elle-même, parce qu'elle existe ailleurs. Ce raisonnement équivaudrait, selon moi, à celui ci, à une légère différence près. Je suppose que nous nous trouvions dans une société où les voleurs seraient en majorité, nous dirions : On ne peut empêcher qu'on vole. Volons nous-mêmes ou prenons notre part des choses volées. Voilà la conséquence du raisonnement qu'a tenu l'honorable M. Hymans. (Interruption.)

M. Hymansµ. - Du tout.

M. de Macarµ. - Le principe est exactement le même.

- Des membres. - Non ! non !

M. de Macarµ. - Evidemment. Le jeu est-il bon ou mauvais ? Vous dites : Il est mauvais ; mais je ne puis l'empêcher ; donc il faut le supporter.

Eh bien, je dis que la question posée en ce moment ne peut être résolue autrement que je la résous.

L'honorable M. Hymans ajoute encore qu'il est maintenant impossible d'avoir partout la suppression des jeux, qu'il faut attendre, pour les supprimer à Spa, qu'on puisse avoir cette suppression partout.

Messieurs, cette suppression générale serait extrêmement difficile, sinon impossible.

Nous savons parfaitement que les gens que l'on prend par leur bourse sont les plus difficiles à mener. Eh bien, il est telle principauté d'Allemagne dont le jeu constitue la ressource presque unique. Comment ! la Belgique, si fière de se trouver à la tête des nations libérales, devrait attendre, pour supprimer les jeux, qu'un petit prince allemand voulût le supprimer chez lui-même !

Voilà les conséquences trop éloignées du principe posé d'abord par M. Hymans, qu'il est venu défendre à la fin.

On dit : Si l'on ne joue plus à Spa, Spa sera ruinée. Je crois que l'honorable M. Hymans calomnie la ville de Spa. Plusieurs de nous ont souvent visité Spa. N'est-ce pas un lieu remarquable ? Est-il indispensable que cette ville ait les jeux pour qu'elle prospère ? Je ne le pense pas. Je crois que la ville de Spa peut se suffire à elle-même.

On a dit aussi que les établissements publics n'appartenaient pas à la ville et que par conséquent la ville éprouverait de grandes difficultés à fournir aux étrangers des locaux suffisants pour pouvoir faire ce que l'on fait dans les autres villes d'eaux. Il est évident que le jour où vous aurez supprimé les jeux, les propriétaires de ces établissements seront très désireux de les vendre et que la ville de Spa pourra les acquérir à bon compte.

L'honorable M. David a dit tout à l'heure que les classes ouvrières ne pouvaient plus pénétrer dans les salles et que, par conséquent, cette haute immoralité qui consistait à laisser le produit du travail se perdre au jeu, ne continue pas. Je dois le reconnaître et je rends hommage au bourgmestre de Spa ; il a fait tout ce qu'il a pu pour obtenir ce résultat, mais il n'a pas pu l'obtenir complètement.

La raison en est très simple, c'est qu'il est impossible à un commissaire de police de connaître toutes les personnes, et souvent des localités les plus éloignées, qui viennent jouer ; il est impossible de savoir si un individu qui se présente est ouvrier, s'il est propriétaire ou rentier.

On a parlé aussi de la loyauté relative des jeux de Spa, on a dit que l'individu qui joue, sait, en avançant sa pièce de monnaie, quelles chances il a de perdre ; qu'il consent, en quelque sorte, à payer son plaisir en sacrifiant une partie de l'argent qu'il expose. Je comprends parfaitement que certains étrangers disent ; « Cet argent n'est rien, la chance de (page 214) perdre même est un plaisir. » Mais il faut bien en convenir, à côté de ces personnes il y en a beaucoup qui subissent l'entraînement du jeu, il en est beaucoup qui, voyant ces monceaux d'or, sont fascinés et jouent beaucoup plus que ce qu'ils peuvent perdre.

On a ajouté encore que la Bourse et divers établissements de commerce offrent également des moyens de se ruiner. Oui, messieurs, mais ces établissements ont leur côté utile et sérieux. On peut abuser des meilleures choses. Mais à Spa l'institution est mauvaise en elle-même et n'a aucun côté utile.

Quant ;t la préoccupation que l'on a manifestée en ce qui concerne les intérêts du trésor, je ne pense pas qu'il y ait lieu de s'y arrêter ; il est constaté que l'institution des jeux est mauvaise et ce ne sera pas M. le ministre des finances qui se lèvera pour en demander le maintien.

M. Hymansµ. - Je ne puis me dispenser de répondre quelques mots à l'honorable M. Kervyn et à l'honorable M. de Macar, car il résulterait des discours de ces deux honorables membres que j'aie défendu les jeux et leur maintien. Il va de soi, messieurs, que je considérais la question en principe comme jugée, et dès lors il me semblait parfaitement inutile de faire perdre du temps à la Chambre en débitant de grandes périodes sur la philosophie et la morale.

L'honorable M. Kervyn me fait dire que si les joueurs de profession ne viennent plus jouer, la ville de Spa sera ruinée ; je n'ai rien dit de semblable, j'ai dit que si les joueurs de profession ne peuvent plus venir jouer à Spa, ils iront jouer ailleurs et que par conséquent la morale universelle, dont l'honorable M. Kervyn s'est constitué le défenseur, ne sera pas satisfaite.

Je n'ai pas non plus, comme l'a dit l'honorable M. de Macar, calomnié la ville de Spa en disant qu'elle éprouvera des pertes sérieuses par suite de la suppression des jeux ; il est évident que si vous mettez en présence deux villes d'eaux dans l'une desquelles on joue, tandis qu'on ne joue pas dans l'autre, quel que soit l'attrait de la seconde, la première sera toujours la plus fréquentée.

Lorsqu'on supprime le jeu dans une grande cité industrielle comme Aix-la-Chapelle, elle n'éprouvera qu'un faible préjudice, puisque le jeu n'y est qu'un accessoire.

Il en est de même dans une ville comme Wiesbaden, qui est la capitale d'un Etat, une ville riche, qui ne tire pas toutes ses ressources des jeux. Pour des villes qui sont dans cette position, je comprends parfaitement que la suppression des jeux n'est pas une cause de ruine ; mais si vous supprimiez hic et nunc à Spa les jeux, sur les ressources desquels la ville a compté, pour contracter des engagements, sous le patronage de l'Etat, je répète ce que je disais tout à l'heure, sous prétexte de morale, vous feriez une chose malhonnête.

Il y a plusieurs villes qui ont compté, pour satisfaire à leurs engagements, sur la part qu'elles devaient retirer des jeux de Spa ; le gouvernement a ratifié leurs conventions et vous ne pouvez pas rendre impossible l'exécution d'engagements contractés dans de pareilles conditions. (Interruption.) Cela est si vrai, que M. le ministre de l'intérieur s'est trouvé dans l'impossibilité de faire une promesse à ceux qui lui en demandaient une tout à l'heure. On voudrait dire à la ville de Spa : « Dans un an, dans deux ans, nous supprimerons vos jeux et vous tâcherez d'ici-là de vous refaire, avec le bénéfice que nous vous abandonnerons. Mais qui vous dit que ce bénéfice sera suffisant ? Rien n'est plus aléatoire.

Ainsi, j'ai lu dans les journaux que la société des jeux avait réalisé l'année dernière un bénéfice extraordinaire, un bénéfice tout à fait anomal, par le fait de l'explosion du choléra en Orient. Un grand nombre de banquiers d'Alexandrie, du Caire, de Constantinople, de riches propriétaires du Levant, sont venus à Spa, fuyant devant l'épidémie, et y ont laissé de grosses sommes. Est-ce là un fait qui se représente tous les ans et sur lequel on puisse fonder de prévisions sérieuses ? (Interruption.) Je me suis suffisamment expliqué sur le principe pour avoir le droit, maintenant, de discuter les faits, et je dis que si vous adoptiez les idées de M. de Macar, vous seriez obligés de demander à M. le ministre des finances, c'est-à-dire aux contribuables, des ressources pour combler le déficit du budget de la ville de Spa et du budget d'autres villes qui reçoivent une part du bénéfice des jeux.

Maintenant, messieurs, on a encore singulièrement dénaturé, très involontairement, j'en suis convaincu, ou peut-être par ma faute, parce que je me serais mal expliqué, on a, dis-je, dénaturé ma pensée en ce qui concerne le moyen diplomatique que j'ai indiqué.

L'honorable M, de Macar voudrait vous faire croire que je fais dépendre la suppression des jeux du bon vouloir d'une petite principauté d'Allemagne. J'ai dit et je répète que le gouvernement a indiqué lui-même, dans la convention qu'il a conclue avec la société concessionnaire, le moyen d'arriver à la résiliation du contrat. « Il stipule le droit de retraire sans indemnité pour les concessionnaires (il ne s'agit pas de la ville de Spa), cette prorogation ou nouvelle concession, avant l'époque fixée pour son expiration, dans le cas où, par suite d'un acte législatif ou diplomatique, » etc.

Eh bien, de deux choses l'une : ou bien le gouvernement peut prendre l'initiative de cet acte diplomatique ou bien il peut l'attendre.

S'il l'attend, c'est lui qui est coupable et non pas moi en lui indiquant le moyen de prendre l'initiative, et, s'il est d'accord avec nous sur le principe, je trouve qu'il aurait tort de ne pas la prendre immédiatement. Bien loin de faire dépendre, comme l'honorable M. de Macar, la suppression des jeux de l'initiative d'une petite principauté d'Allemagne, j'ai voulu indiquer au gouvernement l'initiative d'une mesure louable et honorable aux yeux de l'Europe et du monde entier.

Ce n'est, du reste, pas de l'initiative d'une petite principauté que dépend la suppression des jeux en Allemagne, mais du vote de la diète fédérale. J'ai sous les yeux une correspondance de Hanovre, publiée dans l'Indépendance belge du 23 mai 1865.

Il y est dit que déjà la Hesse électorale a fait savoir à la diète germanique qu'elle est prête à supprimer les jeux dans toutes ses villes de bains. Les jeux de Wilhelmsbad ont été supprimés. Ceux de Neundorff et de Hofgeismar vont être interdits ; il ne reste dans la Hesse électorale que la petite ville de Nauheim où le contrat n'expire qu'en 1875, cinq ans avant celui de Spa.

J'ai dit tantôt qu'à Bade le contrat ne sera pas renouvelé. Il a été dénoncé ; il est résilié de fait.

Les jeux de Hombourg doivent être supprimés également. II ne reste donc, en dehors du duché de.Nassau qu'un petit bain suisse et les jeux de Monaco. Eh bien, comme le prince de Monaco est un peu belge et qu'il doit tenir beaucoup à la considération de la Belgique, je crois qu'il négocierait volontiers avec nous, et le gouvernement trouverait de l'appui, j'en suis convaincu, dans les rangs de mes honorables adversaires politiques pour mener ces négociations à bonne fin. (Interruption.)

Permettez, messieurs, je me défends. Vous m'avez représenté ici comme un défenseur des jeux. Vous avez proclamé que c'était une honte pour la Belgique de permettre qu'on jouât sur son territoire et, en définitive, cette honte qui a été inaugurée par un prince-évêque de Liège, se perpétue... (Interruption.)

M. Vleminckxµ. - C'est de l'histoire.

M. Thonissenµ. - Que fait cette histoire-là ?

M. Hymansµ. - Cette honte se perpétue depuis la fin du dernier siècle ; elle n'est pas la nôtre seulement. Elle est celle de plusieurs Etats de l'Europe. Donnons-leur aujourd'hui un bon exemple, et au lieu d'attendre que l'initiative parte de quelque pays étranger, prenons-la nous-mêmes.

Je crois donc indiquer au gouvernement un moyen pratique d'arriver à une solution en l'engageant à négocier avec l'étranger afin d'arriver à la suppression du jeu partout. Voilà comment je suis partisan du jeu et voilà comment j'ai mérité le reproche que m'adressaient tout à l'heure l'honorable M. Kervyn de Lettenhove et mon honorable ami M. de Macar.

M. Davidµ. - L'honorable M. de Macar nous reproche de ne pas nous occuper du côté moral de la question. Je crois qu'aucun de nous ne prétendra que les jeux de Spa soient une chose bien morale, mais lorsque nous insistons pour que le jeu contrôlé et surveillé par le gouvernement ne soit pas immédiatement supprimé, c'est afin que les joueurs de profession ne soient pas refoulés dans ces tripots où on les dépouille régulièrement.

L'honorable M. de Macar a encore ajouté que lors de l'expiration du contrat ou de la fermeture des jeux, les établissements appartenant à la société des jeux seraient facilement achetés. Je ne sais quelles sont les intentions des actionnaires, mais il paraît, d'après une brochure que je tiens à la main, qu'à une autre époque ils étaient loin de vouloir céder ces établissements à quelque prix, que ce fût.

Voici ce que je lis dans cette brochure. C'est une convention faite entre tous les actionnaires des maisons de jeu et des maisons de récréation ou de divertissement de Spa.

« Entre nous soussignés, sociétaires des trois maisons de la Redoute, du Waux-Hall et du Salon-Levooz, formant la société des jeux de Spa, et afin de détruire l'espérance et les intrigues de concurrences éventuelles, il a été convenu :

« 1° Pour le cas où les jeux de Spa viendraient à être supprimés, les actionnaires des trois maisons s'engagent à continuer la société jusqu'au (page 215) 1er novembre 1861, dans l'espérance qu'une telle suppression pourra être suivie du rétablissement des jeux.

« Il est également stipule que, pendant les cinq ans qui suivront la suppression des jeux, les trois maisons s'engagent à ne pas ouvrir ou louer ou vendre leurs bâtiments, jardins, salons, salle de spectacle, temple servant au culte, etc., pour y donner des fêtes, bals, concerts, spectacles, et, en un mot, y permettre quelque réunion ou réjouissance que ce soit, à qui que ce puisse être et s'interdisant d'en donner elles-mêmes. «

« 3° La maison qui aura contrevenu à cet engagement formel payera aux autres maisons une somme de dix mille francs. Cette somme sera doublée pour chaque séance suivante.

« 4° Ceux qui vendront leurs actions imposeront à leurs acheteurs les obligations ci-dessus.

« 5° A la fin du contrat expirant le 1er novembre 1861, les maisons ci-dessus s'engagent à ne céder leurs salons à aucune nouvelle société de jeux et ce sous les peines ci-dessus. »

Si les actionnaires, messieurs, sont encore dans les mêmes dispositions, il est très probable qu'ils auront des prétentions très élevées pour les propriétés qu'ils ont dans Spa. (Interruption.)

L'honorable M. de Macar a dit qu'il était bien difficile aux agents de police de Spa de reconnaître les ouvriers des villes de Verviers et de Liège, ou des autres localités voisines.

Sous ce rapport, je crois qu'il n'est pas bien renseigné sur ce qui se passe à l'entrée des maisons de jeu de Spa.

Pendant la saison des jeux, messieurs, il y a constamment à Spa deux agents de police liégeois choisis parmi les hommes les plus intelligente de cette force publique. Il y a également deux agents de police de Verviers connaissant à peu près tous les ouvriers de cette localité.

M. de Macarµ. - Je n'ai pas cité Verviers.

M. Davidµ. - Vous avez dit cependant que (erratum, page 219) les agents de police de Spa ne pouvaient reconnaître les ouvriers des environs. Je réponds à cette assertion que, quant à Verviers et à Liège, cet intérêt est sauvegardé.

Les agents de police empêchent les individus appartenant à ces localités de pénétrer jusqu'à la roulette.

M. de Macarµ. - Et les autres ?

M. Mullerµ. - Ceux-là devraient faire de grands voyages.

M. Davidµ. - Encore un mot, messieurs, pour rectifier une chose qu'a avancée l'honorable M. de Macar. Il a pensé, lorsque j'ai dit que le trésor public éprouverait une perte assez considérable, que ces paroles s'appliquaient à la part du bénéfice que le gouvernement retire des jeux.

Il n'en est rien. Supprimez les jeux sans que Spa puisse faire concurrence à ses rivales étrangères, la propriété foncière se trouvera dépréciée dans une proportion considérable et le produit des contributions deviendra tellement insignifiant qu'il ne vaudra plus la peine d'avoir un receveur.

MiVDPBµ. - Je n'ai qu'un mot à dire sur cette discussion, qui me paraît épuisée.

M. Rodenbach vient de demander si le gouvernement voulait s'engager à examiner quelles seraient les bases de la convention à faire pour arriver à accorder à la ville de Spa, en cas de suppression des jeux, une indemnité dans une juste limite. Je ne me refuse pas à examiner cette question et je suis tout disposé à communiquer l'année prochaine, à la Chambre, le résultat de cet examen.

M. Bricoultµ. - Messieurs, le rapport sur les règlements provinciaux destinés à encourager l'amélioration des races chevaline et bovine me procure l'occasion d'adresser des félicitations méritées à l'honorable ministre de l'intérieur pour la vive sollicitude qu'il montre pour tous les intérêts de l'agriculture.

L'examen que j'ai fait de ce rapport m'engage aussi à dire à la Chambre ce que je pense des divers avis qu'ont émis en faveur du maintien des règlements un grand nombre de collèges ou sociétés agricoles ; selon moi, la plupart des considérations invoquées pour justifier ces avis peuvent être plutôt momentanément respectées que définitivement approuvées.

Sans me reporter jusqu'à l'époque où les premiers règlements furent institués, j'ai constaté que presque toutes les dispositions réglementaires que l'on veut rajeunir ont été adoptées par des pouvoirs publics qui attendaient peu de l'initiative individuelle et qui croyaient que leur première et leur plus belle mission consistait non seulement à tout réglementer, mais à tout protéger. L'industrie, le commerce et l'agriculture ne pouvaient vivre à l'aise, d'après eux, que sous la tutelle de l'autorité.

Bien que cette théorie soit encore aujourd'hui défendue, l'on doit bien convenir que la liberté est destinée à occuper un espace plus grand dans le champ de l'activité sociale ; il faut donc que l'agriculture n'accuse plus trop son impuissance, qu'elle se prépare à se soutenir elle-même lorsque la protection aura fait son temps et qu'elle réclame surtout aujourd'hui le concours de l'Etat pour des moyens de protection qui procurent un bien-être général et qui ont par conséquent un caractère d'utilité publique.

L'augmentation de sa prospérité dépendra bien plus du développement des voies de communication et notamment de l'amélioration delà voirie vicinale, que d'une protection en détail qui, si elle est bonne, ce dont je doute, se traduit en privilège, parce que le petit cultivateur n'est pas dans des conditions qui lui permettent d'en profiter.

Aujourd'hui l'Etat vend des faucheuses américaines et des barattes à pistons, il se fait commissionnaire en grains et graines, il est marchand d'étalons boulonnais et de taureaux de Durham.

Demain il achètera des béliers espagnols, il multipliera les stations de reproducteurs de la race de Derby ou de la race chinoise ; il indiquera les moyens d'engraisser des volailles en recommandant peut-être les races de la Flèche et de la Bresse qui ont donné une si grande réputation à deux départements de la France, lors du dernier concours de Paris. Le département de l'intérieur se trouvera ainsi obligé d'avoir son office d'annonces et son bureau de renseignements, où chaque cultivateur pourra venir étudier les moyens de transformer le matériel de sa culture, de régénérer ses races d'animaux et de connaître les merveilles réalisées en ce genre par les Bakewell, les Collings, etc., etc.

Il y aura là de quoi remplir la vie du plus vieil agronome.

S'il m'est permis de donner un conseil au gouvernement, je l'engagerai plutôt à restreindre qu'à étendre les attributions de cette protection en détails, toujours réclamée par ceux qui ont une fortune assez considérable pour se dispenser d'inscrire au budget de leur culture ou de leur élevage une petite part du budget de l'Etat. En restant sourd aux doléances qui ne manqueront pas de se produire, il fera ce que le gouvernement d'un pays où existe le plus le véritable esprit de liberté a su faire de tous les temps. Depuis cinquante ans, les éleveurs du Yorkshire. ne se lassent pas de remplir les journaux de leurs plaintes pour démontrer au gouvernement anglais la nécessité de créer une administration des haras ; beaucoup d'amateurs réclament encore, là aussi, l'action bienfaisante de l'Etat pour créer de nouvelles familles d'animaux à l'aide de croisements toujours bien étudiés. Eh bien, messieurs, malgré cela,, le gouvernement anglais laisse toutes ces entreprises entre les mains des citoyens et des associations. L'Angleterre n'en est pas moins le pays du monde où l'on trouve les meilleurs et les plus beaux types d'animaux.

Les considérations que je viens d'exposer ne me décident pas à demander immédiatement la suppression de tous les règlements provinciaux. Une mesure aussi radicale causerait quelque préjudice à nos campagnes, habituées à compter sur les dispositions de ces règlements. Mon but est de concilier les exigences de la situation avec la nécessité de marcher franchement dans une voie de protection plus restreinte et d'amener une époque de transition qui sera un acheminement vers la liberté.

J'engage donc l'honorable ministre de l'intérieur à se borner, pour ce qui concerne l'amélioration de la race bovine, à encourager l'institution de concours périodiques, organisés par les comices ou sociétés agricoles, en accroissant les ressources de ces sociétés au moyen de l'argent dépensé chaque année pour les expertises de taureaux et l'achat de reproducteurs de la race de Durham.

Ces concours développent l'émulation ; ils offrent aux agriculteurs une intéressante occasion d'étudier certaines questions qui ont une importance de plus en plus considérable ; ils font progresser l'agriculture et toutes les industries qui s'y rattachent.

L'honorable ministre de l'intérieur, qui a honoré de sa présence ceux donnés récemment à Péruwelz et à Gand par des sociétés agricoles, a pu se convaincre des bons effets qu'ils produisent. Cette conviction est aussi partagée par la majorité de ceux qui opinent pour l'abrogation des dispositions réglementaires que je combats.

Dans l'admirable rapport que l'honorable M. Vandenpeereboom a bien voulu communiquer à la Chambre, on trouve, quant a la race bovine, que 61 collèges ou comices agricoles demandent que les règlements soient maintenus ou rétablis, tandis que 45 en sollicitent la suppression.

J'attache, messieurs, pour ma part, plus de prix à l'importance qu'au nombre de ces comices agricoles. En faisant cette remarque, je suis obligé d'examiner la composition des comices agricoles du Hainaut qui figurent presque tous au nombre des 61 collèges dont je n'admets pas (page 216° l’avis. Il résulte de cet examen que sur trente cantons que compte cette province huit seulement, dont cinq de l'arrondissement d'Ath, se sont prononcés pour le maintien sans restriction. Trois sollicitent le maintien avec des modifications, cinq n'ont émis aucun avis et quatorze se sont montrés défavorables au maintien des dispositions réglementaires. Cette décomposition ne donne pas grande force au passage du rapport qui indique que sur onze comices agricoles consultés sept sont d'avis qu'il y a lieu de ne pas toucher au règlement sur la race bovine, tandis que quatre de ces collèges en réclament la suppression.

Les comices agricoles ont été composés en 1849 et un grand nombre n'ont jamais été réorganisés depuis cette époque. Ces associations dans lesquelles on a fait passer bon nombre d'amateurs, d'agents d'affaires, etc., et peu de cultivateurs, n'existent même plus sur le papier dans certaines localités.

Cela dit, j'admets pour un instant que les jurys soient au complet dans les deux camps et que leur compétence ne soit pas discutable ; eh bien, alors de deux choses l'une. Si les règlements sont mauvais, on doit en provoquer la suppression ; s'ils sont bons, et par ce qu'ils sont légaux on doit les faire exécuter et l'on reculera devant cette exécution, je vais vous le démontrer.

Les règlements dont je m'occupe n'existent que dans quatre provinces. L'une de ces provinces, le Hainaut, a une étendue de près de 400,000 hectares dont plus des deux tiers sont livrés à la culture. En tenant compte des proportions ordinaires, on peut estimer à environ 100,000 le nombre de bêtes bovines et à 1,300 celui des taureaux que possède cette province. Or, le rapport de la députation permanente du Hainaut en 1865 fait connaître qu'aux expertises qui ont eu lieu en exécution du règlement pour l'amélioration de la race bovine les 2 et 3 mai 1864, 563 taureaux ont été présentés aux jurys cantonaux, 516 ont été admis pour le service et 47 ont été rejetés comme impropres à la reproduction.

Il y a eu, par conséquent, plus des deux tiers des taureaux de la province qui n'ont pas été présentés. On devait donc, pour forcer les cultivateurs à respecter les règlements, en attraire plus de neuf cents devant les tribunaux ; on ne l'a pas fait et on ne le fera pas, parce que l'on recule devant l'impopularité d'une pareille mesure, parce que l'on sait qu'il y a en Belgique peu d'agents de la force publique disposés à faciliter l'exécution de lois ridicules ou vexatoires. Eh bien, dans ce cas, messieurs, les reproducteurs qui échapperont aux jurys d'examen composés d'amateurs dont la compétence est souvent fort contestable, seront toujours plus nombreux que ceux qui auront reçu un certificat de capacité ; le but sera donc fort compromis, pour ne pas dire complètement manqué.

Si je suis partisan de la suppression immédiate des dispositions réglementaires relatives à la race bovine, et si je désire fortement voir le gouvernement renoncer à l'achat de reproducteurs étrangers, d'instruments aratoires nouveaux, destinés à servir de modèles, etc., etc., je tiens vivement aussi d'un autre côté au maintien des règlements provinciaux concernant la race chevaline indigène, dont l'exécution présente beaucoup moins de difficultés, pourvu que l'on y introduise certaines modifications réclamées par plusieurs commissions d'agriculture.

Voici entre autres deux propositions qui me paraissent devoir être absolument accueillies : 1° Renoncer aux expériences en matière de croisements et s'occuper exclusivement de l'amélioration de nos races indigènes de labour ou de gros trait. 2° Augmenter dans une forte proportion les primes décernées aux poulains entiers de deux ans, et ne payer le montant de ces primes que pour autant que ces poulains soient gardés dans le pays jusqu'à un âge déterminé et qu'ils aient conservé leurs qualités de bons reproducteurs.

Ces modifications se justifient d'une part parce que les essais d'introduction d'étalons de race étrangère, tels que métis, boulonnais, percherons, etc., ont été des plus malheureux ; de l'autre parce que les concours et les expertises sans l'aide d'encouragements suffisants ne sont en quelque sorte que des moyens de guider le commerce étranger qui, par l'appât d'un bénéfice supérieur au taux des récompenses, parvient à déterminer nos éleveurs à lui céder leurs plus beaux produits.

Comme vous le voyez, messieurs, il y a pour l'agriculture des dépenses utiles que je voudrais voir augmenter, il y en a beaucoup d'autres inutiles qu'il faudrait supprimer.

Si toutes les dépenses infructueuses faites par l’Etat avec bonne intention, je veux bien le reconnaître, en faveur de l'agriculture avaient été employées à l'amélioration des grandes artères vicinales, le concours de l'Etat dans cette dépense essentiellement productive eût pu être fixé dans des limites plus larges ; le réseau vicinal eût été complété plus tôt et les localités importantes qui se trouvent encore privées et privées pour longtemps de communications avec les stations de chemins de fer, eussent profité, dans un bref délai, des avantages qu'offrent les voies ferrées.

En examinant l'importance relative des .ervices publics que le budget de l'intérieur doit assurer, il y a lieu de s'étonner de la parcimonie avec laquelle on alloue certains crédits affectés aux principales branches de ce service et de l'apparence de largesse qui recouvre ce chapitre XI intitulé « Agriculture ». Ce chapitre XI comporte des crédits s'élevant à un million. L'agriculture ne souffrirait pas beaucoup si on le réduisait de 50 p. c. D'un autre côté, les crédits demandés pour la voirie vicinale et l'instruction primaire n'atteignent que quatre millions, dans un pays où le total des recettes s'élève à près de 165,000,000.

Si la génération actuelle peut construire la dernière école, elle aura de la peine à construire la dernière route en affectant chaque année à cette branche importante du service publie 1/165 des revenus de l'Etat.

Comme je m'occupe de la voirie vicinale, je sens le besoin de réclamer un peu pour la province à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir. Le Hainaut, grâce à la sollicitude active de la députation permanente et à la réorganisation du personnel qu'elle a sous ses ordres, avance assez rapidement dans la voie de l'amélioration, le Hainaut fait pour le développement de la voirie vicinale plus de sacrifices qu'aucune autre province ; malheureusement il n'a jamais reçu de l'Etat des subsides proportionnés aux charges qu'il s'est imposées et en rapport avec ceux alloués aux autres provinces. Je vais citer un exemple qui va confirmer mon allégation.

Le crédit alloué au budget de la province de la Flandre orientale de 1'exercice 1864 pour subsides aux communes en faveur de la construction de chaussées vicinales est de 58,000 francs.

Le total des subsides accordés sur les fonds du département de l'intérieur du même exercice s'élève à 116,280 francs.

Le crédit qui figure pour le même objet et le même exercice au budget de la province de Hainaut est de 100,000 francs. De cette somme 93,608 francs ont été répartis entre les différentes communes de la province et la part d'intervention de l’Etat a été limitée à 115,502 francs.

L'état de choses que je signale me fait espérer que le Hainaut aura une large part dans le crédit extraordinaire de deux millions, mis à la disposition du département de l'intérieur par la loi autorisant un emprunt de 60,000,000 pour divers travaux d'utilité publique. Il se présentera là une bonne occasion qui permettra à l'honorable ministre de l'intérieur de réparer l'oubli, pour ne rien dire de plus, dans lequel il a laissé cette province lors de la distribution des crédits antérieurs.

(page 219) M. Vleminckxµ. - Dans le discours de l'honorable membre qui vient de se rasseoir, j'ai relevé les deux propositions suivantes :

« L'agriculture doit s'apprêter à renoncer aux subsides.

« Ce sont les propriétaires les plus riches qui en demandent, parce qu'ils en profitent le plus. »

Non seulement l'agriculture doit s'apprêter à renoncer aux subsides, mais je crois pouvoir dire à la Chambre qu'elle est toute prête à les abandonner. D'un autre côté, je regarde comme injuste, le reproche fait par l'honorable M. Bricoult aux plus riches de nos cultivateurs d'être surtout les partisans des subsides.

Je. tiens ici à la main l'extrait du compte rendu d'une séance d'une association libre de cultivateurs de la Flandre occidentale. Cette association est composée d'agriculteurs considérables et riches. Or, voici de quelle façon ils s'expriment en ce qui concerne les subsides inscrits au budget de l'agriculture :

« Pourquoi, au moment où des agences d'assurance s'étendent dans les communes rurales, accorder des indemnités pour bestiaux abattus, si ce n'est dans le cas d'épizootie, où l'expropriation s'applique pour cause d'utilité publique ?

« Pourquoi des commissions pour achat d'animaux reproducteurs, alors que les cultivateurs peuvent, grâce à la facilité des communications, se procurer partout de beaux types de la race chevaline, bovine et ovine ?

« Pourquoi des subsides destinés à des concours, à des expositions, et cela au moment où la richesse territoriale prend un si grand développement, et permet parfaitement une intervention directe des propriétaires venant se substituer à celle de l'Etat ?

« Cette tutelle prolongée, cette absorption officielle qui, sous le nom de Fédération, s'étend de province à arrondissement et d'arrondissement à canton, dénotent une industrie dans l'enfance, et telle n'est assurément pas l'agriculture belge. Si l'Angleterre, qui jadis reconnaissait notre supériorité, nous a devancés aujourd'hui, c'est que depuis longtemps elle a rejeté la vieille doctrine de la Protection et des Subsides ; c'est qu'en entrant résolument dans le droit commun, elle a fait appel à l'initiative individuelle et à l'esprit d'association, sources intarissables de progrès. Que l'on dégage l'agriculture belge de toutes ses entraves, et bientôt elle atteindra le même degré de perfection auquel est parvenue l'agriculture anglaise. »

Ce sont des agriculteurs qui parlent, de riches agriculteurs de la Belgique, et ce qu'ils disent ne répond pas seulement aux bonnes lois économiques, mais prouve encore qu'ils savent que leur propre intérêt les engage désormais à renoncer aux subsides.

Ce n'est pas 50 p. c. de diminution qu'ils réclament sur le budget de l'agriculture, c'est au moins 80 p. c, et ils ne sollicitent, comme toute protection, que l'école vétérinaire et celle de Gembloux. Ils renoncent par conséquent, même aux subsides que demande pour eux M. Bricoult, et, quant à moi, je suis porté à croire qu'ils ont plus raison que mon honorable collègue.

Je ne vois pas pourquoi le gouvernement accorderait des indemnités pour des comices que les intéressés peuvent instituer eux-mêmes. Je ne vois pas pourquoi on continuerait à acheter des reproducteurs.

M. Bricoultµ. - Je ne veux pas cela.

M. Vleminckxµ. - Vous le voulez, je crois, pour quelques races.

M. Bricoultµ. - Du tout.

M. Vleminckxµ. - Tant mieux. Toujours est-il que vous voulez encore de certaines protections et que les agriculteurs en général les repoussent. (Interruption.)

Les comices, mais qu'ils les organisent eux-mêmes. En dernière analyse, le budget de l'agriculture peut être considérablement réduit. C'est un point qui pourra être examiné lorsque nous serons arrivés à la discussion de ce chapitre.

(page 216) M. Bricoultµ. - J'ai témoigné le désir de voir le gouvernement encourager l'institution de concours périodiques. J'ai dit aussi qu'une mesure trop radicale causerait un préjudice à un certain nombre de cultivateurs, qu'on a trop habitués à compter sur une protection en détails.

Je suis plus partisan de la liberté que de la protection. L'honorable M. Vleminckx s'est trompé s'il a compris le contraire. J'ai tout simplement signalé les inconvénients que produirait l'application immédiate de la liberté, et c'est en vue d'empêcher ces inconvénients de se produire que j'ai demandé le maintien des règlements provinciaux concernant la race chevaline indigène et l'abrogation des règlements relatifs à la race bovine.

M. Moutonµ. - Messieurs, je viens appeler l'attention du gouvernement sur un article de recette, provenant du ministère de l'intérieur et qui pourrait, à mon avis, donner un produit plus considérable.

Je veux parler des permis de port d'armes. La chasse à tir est certes un plaisir de luxe que l'on pourrait imposer à un taux plus élevé sans que le sort de la recette soit compromis et surtout sans qu'il en résulte de vexation pour les contribuables.

Aujourd'hui les ports d'armes sont délivrés au prix de 32 francs et ils figurent au budget, année commune, pour 350,000 fr. somme qui représente pour tout le pays 10,345 ports d'armes.

Je suis convaincu qu'il n'y aurait aucun inconvénient à en fixer le prix à 40 ou 50 francs.

En supposant que semblable augmentation exerce quelque influence sur le nombre des demandes, on reste dans des limites raisonnables si l'on admet que les demandes de port d'armes descendent au chiffre de 10,000. Dans cette hypothèse, on obtiendrait une recette de 400,000 ou de 500,000 fr. au taux de 40 ou de 50 fr.

Du reste, messieurs, ce n'est pas la première fois que l'on a recours à une mesure de ce genre. L'expérience démontre qu'elle peut être employée avec succès.

Autrefois le prix des ports d'armes était de 30fr., il a été ensuite porté à 32 par la loi du budget de 1848 ; et le nombre des chasseurs, au lieu de diminuer, a augmenté.

(page 217) Je crois donc qu'une nouvelle augmentation serait parfaitement légitime et j'engage le gouvernement à la proposer.

S'il est d'une bonne économie politique de dégrever autant que possible les objets de première nécessité, il me paraît sage de frapper d'un impôt modéré ceux qui se livrent à un exercice qui, en définitive, suppose chez eux une aisance assez grande pour qu'ils puissent facilement supporter une majoration de taxe non exagérée.

D'un autre côté le trésor public y gagnera 100 ou 200 mille francs, ce qui n'est pas à dédaigner.

Je prie M. le ministre de l'intérieur d'examiner cette question au moins pour le prochain budget des voies et moyens.

M. de Macarµ. - Je saisis l'occasion de la discussion du budget de l'intérieur pour appeler l'attention de la Chambre sur quelques mesures que je crois susceptibles d'être utiles aux intérêts agricoles. Des réformes récentes prouvent toute l'importance que le cabinet attache à cette branche de la richesse nationale, et je dois remercier tout particulièrement M. le ministre de l'intérieur des mesures que, sans hésitation, il a cru devoir prendre pour combattre l'invasion du fléau qui nous menaçait, l'invasion de la peste bovine. C'est grâce à son énergie que, tandis que l'Angleterre et la Hollande faisaient des pertes considérables, la Belgique a pu n'être atteinte que dans des proportions extrêmement in signifiantes,

Un arrêté royal récent et des mesures d'exécution qui l'ont suivi prouvent surabondamment que l'honorable ministre ne songe pas à en rester là, et je ne saurais trop l'en féliciter, car les faits qui viennent de se produire autour de nous démontrent la nécessité de compléter notre législation sur la police des animaux domestiques. Bien que l'attitude prise par l'honorable ministre de l'intérieur soit de nature à trouver des imitateurs dans des circonstances analogues, il me semble qu'il serait plus conforme à nos mœurs constitutionnelles de donner au ministre, de par la loi, une autorité qu'il n'a pu prendre, cette fois, que sous sa responsabilité personnelle, et qu'en invoquant l'imminence du danger qui nous menaçait et auquel il importait de porter remède.

Puisque j'en suis au chapitre des félicitations, je veux remercier aussi le cabinet de la mesure qu'il vient de nous présenter et qui est, je pense, l'une des premières qui aient été revêtues de la signature de Léopold II ; je veux parler de la suppression des droits de barrière. Le gouvernement libéral a voulu prouver une fois de plus qu'il poursuit une politique émancipatrice et de progrès moral et matériel qu'il a inaugurée en arrivant au pouvoir.

Cependant, je me hâte de le dire, je crois qu'il reste quelque chose à faire dans la voie où le gouvernement est entré ; je considère la mesure qu'il vient de nous proposer comme un des premiers actes qui devront être accomplis et je suis d'avis que, pour compléter l'œuvre commencée, il faudra nécessairement en venir à assimiler les routes concédées aux routes de l'Etat. Je me borne, pour aujourd'hui, à soulever la question, me réservant de la traiter d'une manière approfondie quand nous discuterons le projet de loi portant suppression des droits de barrière. Je suis persuadé que le gouvernement ne voudra pas laisser son œuvre inachevée et qu'il agira en outre sur les provinces et les communes pour obtenir d'elles qu'elles suivent le gouvernement dans la voie qu'il a ouverte.

Messieurs, la position faite à l'agriculture belge me paraît mériter toute notre attention. Quelque satisfaisants que soient les rapports de nos commissions d'agriculture, il y perce cependant une certaine inquiétude, et il est de notre devoir d'en rechercher les causes et de tâcher d'y porter remède.

La diminution sensible et graduelle du nombre des travailleurs agricoles, le peu de succès qu'ont obtenu jusqu'ici nos industries agricoles, l'excessive élévation des baux, enfin il faut bien l'avouer, le peu de progrès réalisés chez la masse des agriculteurs, tous ces faits peuvent, dans un temps donné et qui n'est pas très éloigné, modifier sensiblement l'état de choses existant, dans un sens extrêmement défavorable. Quelque minimes que puissent paraître ces considérations à certaines personnes, je crois qu'elles auront toujours une grande valeur, puisqu'elles ont trait à une de nos principales richesses territoriales, car je crois ne pas exagérer en évaluant à une douzaine de milliards.

J'ai dit, messieurs, que divers motifs portent à modifier l'état de choses existant, mais je dois le reconnaître, il en est un auquel il n'y a rien à faire. L'élévation et la rareté de la main-d'œuvre agricole proviennent surtout de la grande facilité des transports ; elles proviennent en second lieu de l'extension très grande qu'a prise notre industrie ; elles proviennent enfin de la grande quantité de travaux publics qui, depuis quelques années, ont été exécutés.

L'élévation des baux provient d'une surexcitation, peut être factice, de la concurrence des fermiers, qui croient encore au retour possible du prix élevé des céréales ; mais elle provient surtout de l'extension considérable qu'a prise l'industrie agricole ; et à cela encore je crois qu'il n'y a absolument rien à faire.

Je me borne, du reste, à signaler ce fait en ajoutant qu'au point de vue de la diminution de la quantité de travail agricole il y aurait peut-être lieu de voir si l'établissement des distilleries agricoles n'est pas plus ou moins entravé par les droits dont elles sont frappées.

Il est évident que si ces distilleries étaient établies dans des conditions de vitalité plus grande, elles pourraient procurer aux fermiers le fumier dont ils ont besoin à de meilleures conditions ; et il en résulterait cet autre avantage que les industriels qui les exploitent pourraient conserver leur personnel pendant toute l'année ; tandis qu'aujourd'hui ils ne peuvent le tenir que pendant quelques mois, dans l'impuissance où ils sont de leur assurer du travail d'une manière non interrompue. Les cultivateurs pourraient ainsi occuper leurs ouvriers pendant l'hiver.

Je ne voudrais pas traiter incidemment une si grave question. Je me borne à la signaler à l'attention de M. le ministre des finances, convaincu qu'elle est digne d'un bienveillant examen de sa part.

Messieurs, en quoi je pense que nous pouvons agir plus efficacement, c'est en répandant plus qu'on ne l'a fait jusqu'à présent la science agricole ; le peu de progrès réalisés dans la masse des agriculteurs provient en grande partie du manque de science, du défaut de connaissances et de la timidité des moyens d’amélioration employés, et c'est ainsi que nos agriculteurs sont dans l'impuissance de lutter contre la concurrence étrangère.

Il importe, selon moi, de porter remède à cet état de choses et ce que je demande pour arriver à ce résultat me paraît parfaitement réalisable.

Je voudrais que les premières notions de l'agriculture fussent données dans les écoles primaires et seulement aux élèves de la classe supérieure. Déjà, dans quelques localités ce mode est pratiqué en ce qui touche à l'horticulture et à l'arboriculture et les résultats obtenus sont généralement satisfaisants. Pourquoi n'en serait-il pas de même de l'enseignement de l'agriculture ?

Ces premières notions éveilleraient l'attention de l'enfant sur les travaux auxquels il aura plus tard à se livrer et qui aujourd'hui s'exécutent la plupart du temps d'une façon toute machinale ; elles développeraient son intelligence et lui permettraient plus tard de comprendre plus facilement les idées utiles que nos sociétés d'agriculture cherchent à faire prévaloir.

Notez-le, messieurs, nos instituteurs primaires suivent des cours d'agriculture dans les écoles normales ; il n'y aurait donc qu'à utiliser leurs connaissances en les appliquant à l'instruction des jeunes enfants.

Je voudrais aussi que les éléments de l'agriculture fussent enseignés dans nos écoles moyennes ; je voudrais que l'enseignement agricole fût, dans les écoles moyennes, un des éléments essentiels de l'instruction.

Enfin je crois qu'un cours d'agriculture donné dans les universités de l'Etat produirait aussi d'excellents résultats : outre qu'il relèverait la science de l'agriculture en la plaçant au niveau des autres sciences, il permettrait surtout à ceux que leur position sociale n'engage pas à suivre un cours complet d'études, d'acquérir certaines connaissances sérieuses et pratiques.

Je suis convaincu qu'en matière d'agriculture surtout, c'est par les classes supérieures que l'instruction doit se répandre dans les autres régions de la société. C'est le propriétaire ou le grand fermier qui doit par son exemple convaincre de la bonté des moyens qu'il emploie, ceux que l'exiguïté de leurs ressources empêche de faire l'essai des méthodes nouvelles de culture. Je ne sais, messieurs, si vous partagez ma conviction à cet égard, mais pour moi, la science de l'agriculture n'est pas chez nous ce qu'elle devrait être ; et cependant il y a là un vaste champ de connaissances et de richesses nationales à faire fructifier.

Remarquez-le : cette étude ne serait pas seulement utile aux propriétaires ; mais elle peut encore parfaitement convenir à ceux qui veulent faire des études d'un autre ordre. Il ne s'agit donc pas seulement des propriétaires ; il y a une foule d'autres personnes qui, par leur position, sont obligées de demeurer à la campagne ; je citerai les notaires, les médecins, les instituteurs communaux, et toutes ces personnes-là sont intéressées à avoir des connaissances agricoles.

(page 218) Messieurs, un cours d'agriculture se donnait anciennement à l’université de Liège ; je regrette vivement que le gouvernement ait cru devoir, il y a quelques années, supprimer ce cours ; je le regrette parce que les personnes qui suivaient utilement ce cours ne peuvent pas aller puiser ces connaissances dans les écoles spéciales.

En résumé, je demanderai à l'honorable ministre de l'intérieur d'examiner sérieusement s'il n'y aurait pas une grande utilité à organiser un enseignement agricole à tous les degrés ; les sacrifices que le trésor aurait à s'imposer seraient fort minimes, et je suis convaincu que les populations rurales accueilleraient avec reconnaissance ce que le gouvernement ferait à cet égard.

- Personne ne demandant plus la parole, la discussion générale du budget de l'intérieur est close.

Ordre des travaux de la chambre

M. Guilleryµ (pour une motion d’ordre). - Messieurs, je prié la Chambre de vouloir bien fixer un jour pour l'examen en sections de la proposition de loi que j'ai eu l'honneur de déposer, au sujet de la réforme électorale.

M. Ortsµ. - Cela regarde les présidents des sections.

M. Guilleryµ. - Oui, d'une manière générale, mais il est d'usage aussi que lorsqu'il s'agit de questions importantes, la Chambre fixe l'examen en sections quelques jours d'avance, afin que les représentants prévenus puissent y assister en plus grand nombre.

M. de Theuxµ. - Je propose de fixer l'examen en sections à jeudi prochain.

MiVDPBµ. - Je prierai la Chambre de ne pas fixer immédiatement un jour pour l'examen, dans les sections, de la proposition de l'honorable M. Guillery ; le gouvernement aura probablement une proposition à faire de son côté ; il serait bon que les sections pussent examiner en même temps les deux propositions.

Je crois donc que la Chambre pourrait ajourner sa décision sur la motion d'ordre de l'honorable M. Guillery.

M. de Theuxµ. - Messieurs, d'après la déclaration que vient de faire M. le ministre de l'intérieur, je ne vois aucun inconvénient à ce que la Chambre ajourne de quelques jours la décision sur la motion d'ordre de l'honorable M. Guillery. (Oui ! oui !)

MpVµ. - On semble d'accord pour ne pas fixer immédiatement l'examen en sections ; on veut attendre une décision ultérieure. (Assentiment.)

S'il en est ainsi, la Chambre sera consultée ultérieurement sur ce point.

- La séance est levée à 4 heures et demie.