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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 23 janvier 1866

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1865-1866-

(Présidence de M. E. Vandenpeereboomµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 243) M. Thienpont, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :

« Le sieur Berlemont, ancien militaire, demande une augmentation de pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs habitants dans le Luxembourg prient la Chambre de faire contraindre la grande compagnie du Luxembourg à construire l'embranchement de Bastogne. »

- Renvoi à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.


« Le conseil communal de Gilly prie la Chambre d'accorder au sieur Dequanter la concession d'un chemin de fer de Saint-Ghislain à Charleroi avec embranchements vers Frameries, Mons, Gilly et Lambusart. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal de Lanaeken réclament l'intervention de la Chambre pour obtenir de la compagnie concessionnaire du chemin de fer de Liège à Maestricht de retarder de quelques minutes le départ de Liège. »

- Même renvoi.


« Les habitants de Belœil demandent la prompte construction du chemin de fer concédé de Saint-Ghislain à Ath par Belœil. »

- Même renvoi.


« Le sieur Renard présente des considérations sur la question d'assainissement au moyen de la récolte sur place et de l'utilisation des matières fertilisantes. »

- Même renvoi.


« Le sieur De Weird demande qu'il soit donné suite aux réclamations relatives à la patente des moulins à vent. »

M. Lelièvreµ. - Une pétition relative au même objet a été renvoyée à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport. Je demande que la même disposition soit prise relativement à la requête qui vient d'être analysée.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur De Smedt demande qu'il soit pris des mesures pour obliger les fonctionnaires publics à signer d'une manière lisible leurs actes et correspondances. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Bruxelles demandent le suffrage universel pour les élections communales et provinciales. »

« Même demande des habitants de Forest.»

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner la proposition de loi portant une modification aux lois communale et provinciale.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, nue demande de naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Le docteur Willems fait hommage à la Chambre de 108 exemplaires du discours qu'il a prononcé, le 23 novembre dernier, à l'Académie royale de médecine de Belgique sur l'inoculation de la pleuropneumonie exsudative de l'espèce bovine. »

- Distribution et dépôt à la bibliothèque.


« M. Van Renynghe, retenu par un deuil de famille, demande un congé. »

- Accordé.


« M. le Bailly de Tilleghem, retenu chez lui par son état maladif, demande un congé. »

- Accordé.


« M. Lesoinne, obligé de s'absenter pour une affaire urgente, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.


« M. Van Humbeeck, retenu par une indisposition, demande un congé. »

- Accordé.

projet de loi ayant pour objet de rendre disponible, jusqu'à la fin de 1868, le crédit alloué par la loi du 8 mai 1801, pour la transformation du matériel de l'artillerie

Rapport de la section centrale

M. Allardµ. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi ayant pour objet de rendre disponible, jusqu'à la fin de 1868, le crédit de 14,461,170 fr. alloué par la loi du 8 mai 1801, pour la transformation du matériel de l'artillerie.

- Impression et distribution.

Projet de loi autorisant le gouvernement à prendre des mesures en matière de lutte contre l’épizootie

Dépôt

MiVDPBµ. - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau un projet de loi qui autorise le gouvernement à prendre par arrêté royal les mesures que la crainte de l'invasion ou l'existence de maladies épizootiques peut rendre nécessaires, tant dans l'intérieur du pays que sur la frontière.

Ce projet, messieurs, a un caractère d'urgence. Il est à désirer qu’il puisse être examiné sans retard.

M. Lelièvreµ. - On pourrait nommer une commission spéciale.

- Impression et distribution et renvoi à une commission à nommer par le bureau.

Proposition de loi adaptant le nombre de représentants et de sénateurs à l’évolution de la population

Prise en considération

M. Jacobsµ. - Messieurs, je viens proposer à la Chambre d'ajourner l'examen de la proposition de l'honorable M. Orts jusqu'après le recensement du 31 décembre 1866.

Voici, messieurs, pour quel motif je fais cette proposition et j'attends de votre bonne foi et de votre loyauté que vous décidiez que le moment n'est pas venu d'augmenter le nombre des représentants et des sénateurs.

Vous le savez, messieurs, l'article 49 de la Constitution a établi un maximum. Le nombre des représentants ne peut dépasser la proportion d'un député par 40,000 âmes.

Je soumettrai à la Chambre différents calculs dans lesquels je prendrai pour guide le chiffres annexés à la première édition de la proposition de l'honorable M. Orts.

Au 31 décembre 1863, d'après le chiffre du tableau il y avait un représentant par 42,199 habitants. C'est encore, comme l'honorable membre l'a dit : 1/20 de plus que le maximum.

Fallait-il, messieurs, en 1863, et faut-il aujourd'hui tenir compte de ce vingtième qui forme un total de 240,000 à 250,000 habitants ?

Ne nous faisons pas illusion. Ces 240,000 habitants ne sont pas privés de représentants, ce n'est pas un groupe habitant un désert non représenté, sinon je concevrais qu'il y eût une question de justice qui demande une solution immédiate.

Mais remarquez que les 240,000 Belges sont répartis par fractions sinon égales, du moins approximativement égales, dans les 41 arrondissements du pays.

De ces 41 arrondissements, 14 n'ont pas une population en rapport avec leur représentation à la Chambre, 27 n'ont pas une représentation à la Chambre en rapport avec leur population : 23 ont plus et 18 ont moins de sénateurs que le nombre de leurs habitants leur en assure, 12 n'ont ni à la Chambre ni au Sénat ce qui leur revient, 8 ont dans les deux Chambres plus qu'il ne leur revient.

C'est assez dire que l'égalité, loin d'être la réelle, est au contraire (page 244) l'exception et qu'il n’y a pas un seul arrondissement qui ait exactement ce qu'il lui faut et comme représentants et comme sénateurs ; l'inégalité existera tout aussi bien après l’admission de la proposition de M. Orts qu’elle existait avant ; elle sera modifiée, diminuée, si vous voulez, mais toujours elle sera la règle, et l'égalité vers laquelle on semble tendre n'existera jamais.

Où sont-ils donc ces arrondissements victimes qui réclament, la Constitution à la main, contre leur mise hors la loi et qui demandait à y rentrer ?

L'inégalité se trouve encore consacrée par des précédents que M. Orts a suivis et qui veulent que la répartition se fasse d'abord par provinces et ensuite par arrondissements ; or, il se trouve que par suite de ce mode de procéder, que je ne critiquerai pas, ce ne sont pas les arrondissements auxquels on prétend accorder une réparation et payer une dette, ce ne sont pas eux qui ont les excédants les plus considérables.

A ne considérer que l'arrondissement, il fallait joindre à Bruxelles, Liége, Charleroi et Anvers, non pas Philippeville et Waremme, mais Alost et Courtrai. Pour le Sénat, Liège, Gand et Verviers, au lieu de Mons et Bruxelles.

Vous le voyez donc, messieurs, quand on se pose en redresseur de torts, on se trompe ; il y a d'autres inégalités que celles qu'on signale, il y eu a de plus criantes, et le résultat de la proposition ne peut être que de les modifier. Et encore ne les modifiera-t-il pas en accordant des représentants aux arrondissements les plus sacrifiés, mais à ceux qui font partie des provinces où l'excédant est le plus grand.

J'ai recherché ce qui serait arrivé si, à la suite de chacun des relevés annuels, une proposition semblable à celle de M. Orts avait été adoptée, et voici les résultats auxquels je suis arrivé ; ils sont fort curieux. La dernière loi de répartition est de 1859 ; si, à la suite du recensement du 31 décembre 1860, on avait voulu augmenter le nombre des représentants et des sénateurs en proportion de l'augmentation de la population du royaume, on aurait eu à y ajouter deux représentants et un sénateur ; les deux représentants auraient été attribués aux arrondissements de Bruxelles et de Philippeville, le sénateur à l'arrondissement de Verviers.

A la suite des relevés de 1863, on aurait eu à nommer 3 représentants, un à Bruxelles, un à Philippeville et un à Charleroi.

Si on avait attendu jusqu'au 31 décembre 1862, il y aurait eu à nommer 4 représentants et deux sénateurs. Mais, chose étrange, l'arrondissement de Philippeville, qui aurait eu un représentant à la suite du relevé de 1860 et de celui de 1861, n'en aurait plus cette fois ; ce sont les arrondissements de Bruxelles, Charleroi, Waremme et Louvain qui auraient été favorisés ; les deux nouveaux sénateurs auraient été attribués l'un à Verviers, l'autre à la province de Luxembourg.

J'arrive au relevé du 31 décembre 1863, celui qui a servi de guide à M. Orts. D'après le recensement, et je corrige quelques erreurs d'addition de l'honorable membre, six représentants devaient être élus pour Bruxelles, Louvain, Charleroi, Waremme, Philippeville et Anvers. Les trois sénateurs appartenaient : l'un à la province de Liège, l'autre au Hainaut, le troisième, non pas au Brabant qui n'avait qu'un excédant de 30,000 âmes, mais au Luxembourg qui eu avait un de 40,000.

Voilà déjà une province qui change ; mais dans la province de Liège une nouvelle mutation se produit : l'excédant de l'arrondissement de Verviers est dépassé par celui de l'arrondissement de Liège.

J'examine enfin ce que serait devenue la répartition basée sur le relevé de 1864. Voici ce qui serait arrivé.

A ce moment-là, Waremme aurait perdu un représentant en faveur de Liège ; à ce moment-là aussi, la province de Luxembourg se serait trouvée distancée par le Brabant, et c'est à l'arrondissement de Bruxelles que le troisième sénateur aurait dû être attribué. Tels sont, messieurs, les résultats mobiles auxquels conduisent ces hypothèses multiples.

Que la Chambre me permette une comparaison pour caractériser la situation actuelle, elle est peut-être peu respectueuse, mais je la crois juste. Je compare la répartition à une course de chevaux. La période décennale, ce sont dix tours d'enceinte ; les chevaux, ce sont les provinces, et les jockeys, ce sont leurs représentants. (Interruption.)

M. Bouvierµ. - Elle est jolie votre comparaison !

M. Jacobsµ. - Je suppose donc qu'après quatre tours d'enceinte, l'honorable représentant de Philippeville, M. de Baillet, fût venu nous dire : La province de Namur a l'avance ; elle entend derrière elle le galop du Brabant et du Hainaut, ils vont plus vite qu'elle, ils sont sur le point de la distancer ; je réclame bien vite le représentant auquel en ce moment la province de Namur a droit, de peur de le perdre bientôt au profit d'une autre province.

Le Luxembourg, lui qui se trouve second en 1861, lui qui, à cet instant, a droit à un sénateur, viendrait, par l'organe de ses cinq représentants, demander que l'on fît immédiatement une nouvelle répartition avant que le Brabant, qui le suit de près, qui est sur ses talons, qui va prendre la corde, lui enlève le bénéfice de sa position.

Dans une seconde course qui s'organise entre les arrondissements d'une même province, je vois encore un spectacle fort curieux en ce qui concerne la province de Liège. Au premier abord, l'arrondissement de Liège n'a droit à rien, mais peu à peu il distance l'arrondissement de Verviers pour la course des sénateurs et l'arrondissement de Waremme pour la course des représentants. Eh bien, je demande si, lorsque dix ans d'avance le programme des courses est réglé et connu, il appartient aux concurrents, après chaque tour d'enceinte, de venir réclamer les bénéfices d'une position qu'ils perdront peut-être au tour suivant et de réclamer la suppression des tours qui restent à faire.

Je demande si, après un ou deux tours d'enceinte, j'ai droit au prix parce que mon cheval et mon jockey sont en tête et tiennent la corde ?

Quel membre du jury ne hausserait les épaules ?

La comparaison, je le répète, est un peu libre. (Interruption.)

- Voix à droite. - Elle est saisissante.

M. Jacobsµ. - Mais je crois qu'elle rachète ce défaut par sa justesse.

Les inconvénients résultant des modifications décennales à la répartition et au nombre de sénateurs et de représentants, ont été compris depuis longtemps déjà. Lorsque en 1856 on a fait la loi sur les recensements décennaux, vous vous rappelez que, dans le projet de loi, on n'avait pas établi la règle que le recensement servirait de base à la répartition ; c'est la section centrale, dont l'honorable M. Rogier, ministre des affaires étrangères, était rapporteur, c'est la section centrale qui a introduit cette innovation ; et voici comment elle l'expliquait dans son rapport :

« Comme il y aurait des inconvénients à introduire dans la composition du Parlement des modifications partielles trop fréquentes, la section centrale pense qu'un intervalle de dix ans entre chaque répartition permettrait d'asseoir cette répartition importante sur des données qui auraient acquis un degré suffisant de certitude et de permanence pour servir de base solide à une juste répartition. »

L'honorable M. de Decker, au nom du gouvernement, se ralliait à cette proposition, et voici en quels termes il le faisait :

« Le gouvernement n'a pas de raison de s'opposer à l'inscription dans le projet de loi d'une disposition consacrant la fixité de la représentation nationale pour un terme de dix ans. »

Au Sénat, un membre de la gauche, M. Van Schoor, répondait à une critique formulée par M. d'Omalius :

« M. d'Omalius a objecté tout à l'heure qu'on ne pouvait abandonner à la législature la faculté d'augmenter ou de diminuer à chaque instant le nombre des représentants.

« Je dis, moi, que le projet, tel qu'il est présenté, est destiné à obvier à ces inconvénients ; car en définitive, il aboutit à lier la législature pour dix ans. »

Telles étaient les idées de tous en 1856 ; on avait compris qu'il ne fallait pas abandonner en quelque sorte à l'avidité des arrondissements qui se trouvent en tête de la course, la faculté de demander à tout instant une modification de la représentation nationale, quelque faible que soit l'augmentation du nombre des habitants du royaume. On avait compris qu'il fallait une règle, qu'il ne fallait pas de l'arbitraire ; et cette règle, on l'avait tracée : c'était une période décennale pendant laquelle la représentation nationale devait être fixe.

Nous arrivons en 1859. A cette époque, par suite de circonstances à tout le monde connues, on n'avait pu encore donner suite au recensement de 1856, en en faisant la base d'une nouvelle représentation de sénateurs et de représentants.

Lorsqu'un projet de loi fut déposé, on tint compte, non seulement du recensement, mais encore des excédants qui avaient constatés les relevés annuels antérieurs.

Et ce n'est pas là un argument en faveur de la proposition de l'honorable M. Orts, comme il le pense.

Je ne prétends pas que le recensement doive être pris comme unique base, mais je prétends qu'en 1856 on a établi ce principe, qu'il n'y aurait de répartition nouvelle que tous les dix ans, sauf à tenir compte et du recensement et des relevés annuels.

C'est en effet ce que je trouve dans l'exposé des motifs, dont voici une très courte phrase :

(page 245) « La disposition additionnelle avait moins pour but de subordonner la répartition au recensement, que d'assurer une durée fixe à la répartition des membres des Chambres. »

Que voulait donc le gouvernement en 1859 ? Tenir compte du recensement et des relevés postérieurs, mais non pas se départir de la règle, admise en 1856, de ne faire une répartition que tous les 10 ans.

La discussion de 1859, qu'il serait trop long de reproduire, en fait foi ; l'honorable M. Rogier, qui a pris une grande part à ce débat, disait notamment :

« Je n'entends pas détruire le principe déposé dans la loi de 1856 ; c'est moi qui ai proposé de l'y introduire. »

L'honorable M. Rogier revendiquait l'honneur, et il avait raison, d'avoir établi des règles fixes, permanentes, par rapport à une nouvelle répartition qui pourrait avoir lieu dans l'avenir.

« Pour mon compte, je n'ai pas le dessein de faire de nouvelle répartition avant huit ans, c'est tout ce que je puis dire ; l'honorable membre ne pouvait pas davantage faire une déclaration plus formelle à cet égard. Je tiens au maintien de la loi, en ce qui me concerne ; mais ni M. de Theux, ni moi, ne pouvons disposer de l'avenir. »

Il réservait l'avenir, Mais il faisait entendre que son appui et celui du cabinet ne pourraient être accordés à des propositions de ce genre.

II disait encore ;

« Qu'avons-nous voulu en 1856 ? Nous avons voulu que la loi déterminât, pour autant qu'elle pût le déterminer d'une manière définitive, les époques où se feraient les répartitions en raison des accroissements de la population.

« On n'a pas voulu qu'à la fin de chaque année, si l'on constatait un accroissement suffisant de population dans tel ou tel district, on augmentât la représentation de ce district.

« La Chambre a introduit dans la loi de 1856 le principe américain de la répartition décennale.

« Je pense qu'en toute situation les Chambres comprendront que ces changements ne peuvent pas être trop fréquents et que l'intervalle de 10 ans est suffisant pour satisfaire à toutes les exigences, à tous les besoins ; mais je ne réponds pas de l'avenir. »

Messieurs, qu'ai-je besoin d'ajouter à ces citations ? Aujourd'hui, nous nous trouvons à la veille du recensement décennal ; il ne faut plus une année pour qu'il ait lieu. Et c'est dans cette situation, alors qu'après cette opération qui se fait avec tant de soin, tout sera scrupuleusement observé, c'est à la veille de cette opération, que nous irions, je ne dis pas à l'aveugle, mais avec beaucoup moins de garanties, d'une part sacrifier le principe de fixité de nos institutions représentatives et d'autre part marcher en quelque sorte, j'ai dit non pas en aveugle, mais tout au moins en myope.

Tout le monde a compris, messieurs, que la fixité du nombre des représentants et des sénateurs était une chose indispensable et l'on se trouvait en présence de deux règles entre lesquelles on avait le choix. On pouvait, ou bien déterminer que la représentation nationale serait modifiée après une période de temps donnée, ou bien décider qu'elle serait modifiée toutes les fois que tel accroissement de population serait constaté en Belgique.

On avait le choix entre les deux systèmes. Mais ne prendre ni l'un ni l'autre, s'en référer à l'arbitraire d'une majorité parlementaire sans qu'un nombre d'années déterminé se soit écoulé, sans qu'un nombre déterminé de Belges soit venu s'adjoindre à celui qui a été constaté antérieurement, c'est là ce que tout le monde a voulu proscrire. Je comprendrais que, l'année prochaine, l'on cherchât à corriger les inconvénients possibles dont on a cru s'apercevoir depuis la loi de 1856 : c'est un accroissement énorme de population survenant pendant une période décennale. Je concevrais que l'on établît qu'il n'y aura de répartition que tous les dix ans à moins, à titre d'exception, qu'un accroissement d'autant ne se soit produit.

Corrigez de cette façon le principe de la loi de 1856, je n'ai rien à y objecter, mais établissez une règle pour l'avenir et faites-le tempore non suspecta, alors que l'on ne peut y voir une manœuvre intéressée soit pour un parti, soit pour une province, soit pour un arrondissement.

Si une modification de ce genre était proposée à la loi, je serais le premier à y souscrire. Mais aujourd'hui que nous sommes à la veille d'avoir une règle qui nous permettra de faire la répartition en pleine connaissance de cause, je vous en supplie, je fais un appel à votre bonne foi et à votre loyauté, remettez à l'année prochaine, à la suite du recensement de 1866, l'examen de la proposition de l'honorable M. Orts.

M, Bouvierµ. - L'honorable orateur qui vient de se rasseoir fait un appel à notre générosité.

- Plusieurs membres. - Non ! non ! à votre loyauté.

M. Delcourµ. - Et à la loi.

M. Bouvierµ. - A notre loyauté ! Messieurs, il y a deux ans, nous avons aussi fait un appel à votre loyauté, et au nom des intérêts les plus chers de la patrie, au nom de l'intérêt des services publics, nous avons demandé que la droite restât parmi nous. A cette époque, elle est restée sourde à notre appel. A cette époque, elle s'est retirée, vous savez où, au Wauxhall, où elle a fait l'école boissonnière... (Interruption.)

- Des membres. - Buissonnière.

M. Bouvierµ. - L'école buissonnière. Vous devez d'autant mieux me pardonner ce lapsus, que dans cette circonstance « école boissonnière » et « école buissonnière » pourraient marcher de pair.

Messieurs, le pays alors vous a jugés, et votre conduite si peu patriotique vous a valu d'être décapités et de revenir en minorité dans cette enceinte.

Aujourd'hui on fait un appel à notre loyauté, on demande l'ajournement de la proposition de M. Orts, et quels sont les motifs que l'on allègue ? C'est que, quoi qu'il arrive, l'inégalité existera toujours ; il y aura lieu à une espèce de steeeple chase pour arriver à (erratum, page 262) l'égalité qui fuira toujours, et à cette occasion l'honorable membre a fait une comparaison excessivement pittoresque, en comparant les membres de la Chambre à des jockeys, C'est un terrain sur lequel je ne veux pas le suivre.

La proposition de M. Orts, messieurs, est une question de justice et d'équité, c'est aussi une question d'arithmétique en même temps qu'une question constitutionnelle. Y a-t-il, oui ou non, 260,000 de nos concitoyens qui sont privés de représentants et de sénateurs ? Voilà la véritable question. (Interruption.)

Plus de 260,000 de nos concitoyens sont aujourd'hui privés de représentants et de sénateurs ; nous sommes à la veille d'une élection partielle, faut-il, messieurs, ajourner une proposition si équitable et si juste parce que nous nous trouvons éloignés d'une année seulement du recensement général ? Je ne le pense pas.

Messieurs, l'honorable membre a invoqué tout à l'heure la loi de 1856 ; mais il a ajouté lui-même que la loi de 1856 a été modifiée en 1859 et le nombre des représentants et des sénateurs a été partiellement augmenté. Le même motif existe aujourd'hui, nous sommes en présence d'un renouvellement de la moitié de la Chambre et du Sénat et je pense qu'ajourner davantage le moment de faire représenter dans les Chambres plus de 260,000 de nos concitoyens, ce serait un véritable déni de justice. Quant à moi, je ne puis m'associer à la proposition de l'honorable M. Jacobs et je pense que le projet de loi présenté par l'honorable M. Orts est juste, équitable, constitutionnel et qu'il ne peut pas y avoir la moindre difficulté dans son application. Je voterai en conséquence pour sa prise en considération.

M. de Theuxµ. - Messieurs, on a soutenu que la proposition de M. Orts était fondée sur la Constitution et sur la justice ; je demanderai à l'honorable membre s'il pense que la législature qui, en 1856, a voté la loi du 2 juin, ne connaissait ni la Constitution ni les principes de justice.

Il faut aller jusque-là pour soutenir que le projet de loi actuel est fondé sur la Constitution et sur la justice. Or, personne dans cette enceinte ni en dehors n'osera élever une pareille prétention.

Quel est l'article de la Constitution qui dit que, dès que la population d'un arrondissement est modifiée, il faut aussi modifier sa représentation en plus ou en moins ? Quel est le principe de justice qui le dit ? Il n'en existe aucun.

La première répartition a été faite en 1847. Il s'était passé 16 années avant qu'on eût cru devoir procéder à un recensement général de la population et l'on s'est bien gardé de faire cette répartition avant d'avoir fait ce recensement.

Voilà les faits.

En 1856, on a compris qu'il était temps encore de faire un recensement. Le nouveau recensement général fut décrété, et personne n'a prétendu qu'il y avait lieu de faire une nouvelle répartition avant qu'il fût terminé.

La loi de juin 1856 porte que la nouvelle répartition de représentants et de sénateurs sera faite en conséquence du recensement général de la population et que ce recensement sera renouvelé tous les 10 ans.

Pourquoi en a-t-on agi ainsi, messieurs ? Pour éviter les inconvénients nombreux que l'honorable M. Jacobs vient de signaler et qui sautent aux yeux, de tout homme qui veut se donner la peine de réfléchir.

(page 246) En effet, messieurs, s'il n'y avait pas une période fixe pour opérer une nouvelle répartition, toutes les raisons qu'on allègue aujourd'hui, on pourrait les alléguer d'année en année ou tous les 2 ou 3 ans, et véritablement la représentation nationale ne serait plus qu'une arène dans laquelle le plus fort tâcherait de se procurer les avantages de la situation du moment, et l'on ajouterait ainsi une cause permanente d'agitation à celles déjà trop nombreuses qui sont nécessairement inhérentes au système représentatif..

Je ne pense pas que telle puisse être aujourd'hui la pensée de la législature, alors que la loi de 1856 a posé un principe si sage et si conforme à la raison et au patriotisme.

Mais, dit-on, en 1859, on a fait la répartition d'après le recensement de 1856. Il s’était passé un intervalle de 2 ans avant qu’on eût pu faire cette répartition. Les motifs en sont connus ; ils ont été longuement exposés dans la discussion de la loi de répartition de 1859, mais était-ce un motif, parce que la répartition n’avait pu être faite en 1857, pour y ajouter les deux années qui s’étaient écoulées depuis ?

Un motif qui a exercé alors une grande influence, c'est que d'après le recensement de 1856 on ne pouvait faire la répartition exacte de la moitié des sénateurs relativement à la totalité des représentants.

Quant à moi cependant, messieurs, j'ai alors combattu la nouvelle répartition de 1859, qui ajoutait 2 années aux 10 qui s'étaient déjà passés et qui se contentait, pour ces deux années, des registres de population.

Les mêmes motifs, messieurs, existent aujourd'hui pour combattre le projet de l'honorable M. Orts et ils sont plus forts, car aujourd'hui il s'agit d'anticiper de 3 années en quelque sorte, et de faire une répartition sans aucun recensement général.

En 1859 on avait ajouté à la population constatée par le recensement tic 1856 les années de 1857 et 1858, de manière que quand on fera la répartition d'après le recensement de la population pour l'année 1866 au 31 décembre, on n'opérerait que sur une période de 7 années.

Cette année-ci, il y a, il est vrai, un renouvellement de la Chambre par moitié. Mais en 1867, pour agir légalement, vous aurez la réélection de la moitié des sénateurs. Il n'y a donc aucune espèce de prétexte plausible pour anticiper.

Il est à remarquer que le recensement décennal porte sur la population de fait existant dans toutes les communes à un jour donné. Mais ce n'est pas exactement la même base qui sert à la tenue des registres de population. Tous les Belges qui à un jour donné se trouvent dans une commune sont recensés de fait sans avoir égard au domicile. C'est ainsi qu'on a procédé en 1829 sous le gouvernement des Pays-Bas, en 1847 et en 1856.

Notez, messieurs, que ce n'est pas sans raison que la législature ne s'en est jamais tenue aux seuls registres de population. En effet, dans beaucoup de communes on craint les charges de la milice et l'on a dès lors intérêt à diminuer le chiffre de la population. D'autres motifs encore peuvent exister. Ainsi la contribution personnelle varie aussi suivant la population. Messieurs, il nous faut une base officielle pour faire la répartition. Cette répartition doit produire ses effets pendant 10 années ; elle doit être faite avec la plus grande équité et la plus grande certitude possible et l'on ne doit pas modifier les bases qui ont déjà été suivies à trois époques différentes et consécutives.

Il arrive, messieurs, pendant les périodes de prospérité qu'il y a annuellement un excédant de population ; jusqu'ici cela s'est toujours produit, mais supposons qu'il arrive une époque de calamité et qu'il y ait une diminution de population. Fera-t-on une nouvelle répartition, fondée sur cette calamité ? Je crois que cela n'entre dans l'esprit de personne.

On restera parfaitement constitutionnel en laissant la représentation telle qu'elle a été fixée par une loi à la suite d'un recensement antérieur. Ce ne sera qu'à la suite d'un recensement subséquent qu'on pourra faire une nouvelle répartition en moins comme on plus. On a argumenté de ce qui se fait pour la milice. Mais le gouvernement ne vient pas tous les ans vous demander l'augmentation du contingent de milice ; ce continrent reste fixé à 10,000 hommes quoique, d'après la population, il y aurait lieu de l'augmenter d'un cinquième.

Le contingent de milice est fixé tous les ans, il est réparti entre les communes d'après le nombre réel de la population y domiciliée. On ne peut pas faire tous les ans un recensement général ; l'argument qu'on nous oppose n'a donc pas de valeur. Quant à moi, je crois qu'il n'y a pas lieu de saisir la Chambre d'une proposition alors que, cette année même, on doit faire un recensement général et qu'une répartition vraie doit avoir lieu au commencement de l'année 1867. J'appuie donc la proposition d'ajournement faite par M. Jacobs.

M. Dumortierµ. - Je viens aussi appuyer la motion d'ajournement présentée par M. Jacobs. Et il y a à cela un grand nombre de raisons ; d'abord la proposition qui vous est faite est une proposition que je me permettrai de qualifier d'illégale et même d'inconstitutionnelle. Je sais bien, messieurs, que ce mot fera rire à gauche ; je le sais d'autant mieux que l'organe de la gauche nous disait, dans un numéro tout récent, que la gauche avait accepté la Constitution, mais qu'elle en corrige dans la pratique tout ce qui peut lui être défavorable.

Or, j'ouvre l'article de la Constitution qui règle le chiffre des représentants et des sénateurs et qu'est-ce que j'y vois ? « La loi électorale fixe le nombre des députés d'après la population. » C'est donc la loi électorale qui doit fixer le nombre des députés d'après la population et non une loi incidente, qu'un parti peut toujours faire quand il voit la majorité prête à lui échapper et qu'il veut se perpétuer au pouvoir.

Ce ne seraient plus là des lois sérieuses et réelles, mais des mesures de parti, et lorsque l'auteur de la proposition nous l'a soumise pour la première fois, il ne s'en est pas caché ; il vous a dit ouvertement qu'il présentait son projet dans l'intérêt de son parti, ce qui signifie que sa mesure était une mesure de parti.

Eh bien, messieurs, je me demande une chose. Depuis le triste événement qui a frappé la Belgique, on nous dit de tous côtés : Laissons là les discussions politiques, les questions de parti, faisons les affaires du pays ! Et c'est tandis qu'on s'exprime de la sorte, qu'on nous convie à oublier un instant nos justes griefs, qu'on vient nous saisir d'une loi de parti et de la loi la plus violente puisqu'elle a pour but de perpétuer un parti au pouvoir.

Mais cette loi qu'on nous propose est-elle fondée en justice, comme l'a dit tantôt l'honorable député de Virton ? Où sont, s'il vous plaît, les habitants de la Belgique qui ne sont pas représentés. II n'y a pas un seul électeurs qui ne soit représenté. Avec votre système que toutes les fois qu'il y a 40,000 habitants de plus il doit y avoir un représentant de plus, et que toutes les fois qu'il y a 80,000 habitants de plus il faut un sénateur de plus, vous arriveriez à ce résultat de changer tous les 6 mois la loi électorale sous prétexte que la Belgique n'est pas représentée. Ce n'est pas là ce que veut la Constitution ; aussi s'est-elle gardée de dire que chaque fois qu'il y aurait 40,000 habitants de plus il y aurait un représentant de plus.

Comment s'est-elle exprimée ? Voyons son texte : « La loi électorale fixe le nombre des députés d'après la population ; ce nombre ne peut excéder la proportion d'un député sur 40,000 habitants... »

Qu'est-ce à dire ? Que vous ne pouvez faire plus de députés qu'il n'y a de fois 40,000 habitants. Quand donc on vient nous dire que la proposition qui nous est faite est une proposition constitutionnelle, qu'il y a un droit oublié et méconnu, on dit le contraire de la vérité.

Vous ne pouvez pas excéder la proportion d'un député sur 40,000, mais la Constitution n'a pas dit que le chiffre de40,000 habitants devait déterminer le nombre des députés et elle ne l'a pas dit pour une raison très simple, c'est que, dans ce cas, chaque fois qu'il y aurait 40,000 habitants de plus, il faudrait réviser la loi électorale. Toutes les fois qu'il y a eu lieu, depuis 30 ans, à l'augmentation du nombre des députés et des sénateurs, un recensement a eu lieu ici on procède d'après des registres de population des villes et des villages. Mais, messieurs, personne de vous n'ignore combien ces registres sont vicieux ; lors du dernier recensement général, il y a 10 ans, il s'est trouvé des villes qui avaient 3,000 habitants de moins que de personnes résidantes.

Vous savez qu'il y a dans les villes une foule de personnes qui, aux termes des lois de population, n'y ont pas leur domicile. Tous les gens qui quittent les villes, domestiques, ouvriers, ne font pas non plus une déclaration de départ. Le recensement tient compte de cela ; il défalque d'un côté, il ajoute de l'autre, il rectifie les nombreuses erreurs des tableaux de population formés par les communes, et seul il donne un état réel et sérieux de la population. C'est pour cela que la loi veut que le recensement décennal serve de base à la répartition des membres des deux Chambres.

C'est que ce travail est un travail excessivement consciencieux, tandis qu'ici vous n'avez aucune espèce de base et vous en êtes d'autant plus privé pour faire votre proposition, que vous n'avez devant vous que la population de 1863.

M. Ortsµ. - Non, celle de 1864.

M. Dumortierµ. - C'est sur la population de 1863.que votre proposition est basée.

M. Ortsµ. - Pardon, c'est sur la population de 1864.

M. Dumortierµ. - Vous avez présenté votre proposition au mois (page 247) de juin 1864 ; or, à cette époque vous ne connaissiez évidemment que la population de 1863 et non celle de 1864, qui n'a été arrêtée qu'au 31 décembre suivant.

M. Ortsµ. - Mais non, puisque j'ai modifié ma proposition.

M. Dumortierµ. - Vous avez un élément d'appréciation de plus, celui de Bruxelles, mais rien de plus. Le reste de votre travail repose sur la population de 1863 : vous n'avez donc, pour justifier votre proposition, aucune base de population certaine ; tandis que la répartition des représentants du pays doit reposer sur une base sûre, indiscutable, que le recensement seul peut donner.

Vous arrivez avec une base de population de trois ans antérieure à l'époque où la loi proposée devrait sortir ses effets ; de manière que, même d'après votre donnée, M. Bouvier pourra dire avec raison qu'il y a peut-être 50,000, 100,000 habitants qui ne seront pas représentés.

Mais ce n'est pas tout. Quelle valeur ont ces tableaux de population sur lesquels la proposition de loi est basée ? Qu'est-ce qui vous dit qu'ils ne comprennent pas les étrangers, qui, eux, ne font point partie de la population qui a le droit d'être représentée ? Je concède que les recensements se font très régulièrement dans nos grandes villes ; mais qui donc oserait affirmer qu'il en est de même dans la plupart de nos 2,500 communes rurales ? Tout le monde sait que ces opérations, dans le plus grand nombre de nos communes rurales, se font d'une manière fort défectueuse ; et d'ailleurs M. le ministre de l'intérieur disait lui-même, dans le rapport qu'il a présenté il y a trois ans sur la population, qu'on ne pouvait avoir aucune confiance dans les tableaux de population.

C'est le gouvernement lui-même qui a fait cette déclaration et cependant c'est sur des tableaux ainsi jugés par le gouvernement que l'on se base pour conclure à la nécessité de modifier la répartition des sénateurs et des représentants.

Mais ce n'est pas tout encore : on anticipe de huit mois sur le recensement général qui doit être fait à la fin de 1866, et cela en vue des élections qui doivent avoir lieu au mois de juin prochain.

Eh bien, quand vous aurez fait cette loi qui, vous ne pouvez le méconnaître, est une violation manifeste de la loi sur la répartition des députés, quand des élections auront eu lieu sous l'empire de la nouvelle répartition, qu'est-ce qui vous dit que tel district qui aura obtenu un représentant de plus y aura encore droit après le recensement de 1866 ? et si cette éventualité se produit, que ferez-vous ? Irez-vous retirer à ce district le représentant qu'il aura obtenu en plus ? Irez-vous le renvoyer de cette enceinte pour le remplacer par un autre ? Voilà cependant où vous conduit cette mesure incohérente, injuste, arbitraire, qui ne peut produire que les plus grands inconvénients, et qui consacrerait une véritable inconstitutionnalité. (Interruption.) Ce que je dis, messieurs, est assez sérieux pour être médité.

Vous êtes sous l'empire de la loi de 1836 ; cette loi de l'Etat n'est pas abrogée, elle doit être exécutée. C'est cette année, en vertu de cette loi, que doit avoir lieu le recensement général qui, aux termes de la loi, doit être suivi d'une nouvelle répartition de députés et de sénateurs.

Eh bien, je le répète, si le résultat de ce recensement diffère sensiblement des bases actuelles de votre proposition de loi, que ferez-vous l'année prochaine ? Maintiendrez-vous les vices qui vont résulter nécessairement de votre répartition actuelle ? Et si vous ne le faites pas, nous verrons se produire cette étrange anomalie que la répartition des députés et des sénateurs restera basée sur des chiffres officiellement reconnus inexacts ; tandis que ce sont ces chiffres mêmes qui, d'après la loi de 1856, doivent servir de base à la répartition.

Toutes les fois qu'on est arrivé ici avec des tableaux de population, on y a constaté des erreurs ; il est donc très probable que de très bonne foi, d'ailleurs, j'en suis convaincu, l'honorable M. Orts aura basé sa proposition sur des éléments également erronés ; et c'est dans de pareilles conditions que la Chambre accueillerait une proposition de cette nature ?

Si elle le fait, messieurs, le pays ne se méprendra pas sur le véritable but de cette mesure ; il saura qu'elle n'a été adoptée par l'un des deux partis de cette Chambre que pour se cramponner à un pouvoir qu'il sent lui échapper.

Si vous étiez forts, messieurs, vous n'adopteriez pas cette proposition. Pourquoi est-elle présentée ? Parce que vous n'avez plus qu'une majorité de huit voix, et que l'on s'aperçoit que les prochaines élections l'affaibliront encore. Voilà le véritable but de cette proposition, que je puis à bon droit qualifier de révolutionnaire. (Interruption.) Car elle n'est faite que pour vous maintenir, pour vous cramponner au pouvoir. Vous ne savez pas vous résoudre à redevenir minorité.

M. Lebeauµ. - Et vous, vous ne savez pas vous résigner à le rester.

M. Dumortierµ. - Nous ne savons pas, dites-vous, nous résoudre à rester minorité. Mais est-ce nous qui venons présenter cette loi pour nous cramponner au pouvoir, est-ce nous qui sommes venus apporter ici la loi sur les prétendues fraudes électorales dont le but et les résultats ont été si clairement dévoilés dans cette Chambre ? C'est vous, messieurs, qui avez encore pris l'initiative de cette mesure. et vous n'en faites pas d'autres. Vous voulez à tout prix conserver une majorité qui vous échappe, car votre politique est condamnée d'un bout du pays à l'autre (interruption) ; vous voulez vous cramponner au pouvoir malgré le pays, et c'est pour cela que vous proposez toutes ces mesures.

M. Bouvierµ. - Vous faites le procès aux électeurs.

M. Dumortierµ. Je dis que votre proposition ne repose sur rien de sérieux, puisqu'elle a pour base le chiffre de la population au 31 décembre 1863 et qu'on ne tient pas compte des modifications qu'elle a subies.

En second lieu, je dis que cette proposition eût-elle pour base la population actuelle, encore cette base ne serait-elle pas sérieuse puisqu'elle reposerait sur des tableaux dont M. le ministre de l'intérieur a lui-même constaté la fausseté.

Je dis en outre que cette proposition ne peut pas être prise en considération, parce que c'est une violation de la loi de principe qui veut que l'augmentation du nombre des députés et des sénateurs n'ait lieu que tous les dix ans d'après le recensement général ; et parce que nous sommes arrivés à l'époque où doit avoir lieu le recensement décennal qui, d'après la loi, peut seul servir de base à la répartition des membres de la représentation nationale.

Ces jours derniers, on faisait ici grand tapage de la résistance passive à une loi ; on venait vous dire qu'il fallait respecter la loi et l'exécuter. Mais, messieurs, commencez donc par respecter la loi que vous avez faite, par l'exécuter et ne pas la violer vous-mêmes !

Il y a une loi qui existe et que vous avez faite ; ce sont vos principes ; tant que la loi n'est pas abrogée, il faut lui obéir, il faut l'exécuter.

Messieurs, je ne pense donc pas que cette proposition ait un caractère sérieux, elle ne l'a pas, parce qu'aux termes de la loi principe, de la loi qui règle la matière, l'augmentation du nombre des députés et des sénateurs doit se faire d'après le recensement général ; ce recensement doit être opéré en 1866, c'est-à-dire dans le courant de cette année.

Eh bien, attendons ce recensement ; et quand il aura été fait, alors pour tout le monde, pour vous comme pour nous, on fera une augmentation du nombre des députés et des sénateurs ; alors on aura une base certaine, puisqu'on exécutera la loi ; et nous ne ferons pas la répartition d'après des bases vagues et remplies d'inexactitudes.

Messieurs, la proposition, telle qu'elle est formulée, n'a qu'un but, c'est de parer aux inconvénients que les élections prochaines peuvent présenter pour un côté de cette Chambre.

Mais a-t-on bien réfléchi à certaines prescriptions constitutionnelles ? Je sais que quand je parle de la Constitution, je ne suis pas très bien venu de ce côté qui siège à ma droite, et cependant je me permettrai de lui rappeler certains principes. La Constitution contient deux dispositions, dont l'une porte que le nombre des représentants doit être double de celui des sénateurs ; l'autre, que les sénateurs sont élus pour huit ans, et qu'ils sont renouvelés par moitié tous les quatre ans ; eh bien, d'après la proposition qui vous est soumise, qu'allez-vous faire ? D'abord vous ne conserverez pas la proportion, comme l'exige la Constitution ; ensuite, vous créerez des mandats de sénateur pour neuf ans.

M. Lelièvreµ. - C'est une erreur ; les sénateurs qui seront nommés ne recevront un mandat que pour huit années.

M. Dumortierµ. - La Chambre se renouvelle par moitié ; eh bien, la moitié, ce n'est pas autre chose que la moitié, eh bien, avec votre tableau, vous aurez deux députés de plus dans une série et deux de moins dans l'autre.

La proportion n'est donc pas en harmonie avec les principes constitutionnels ; elle doit être écartée par cela même ; car ce ne sont pas les principes constitutionnels qui doivent fléchir devant une nouvelle répartition du nombre des représentants et des sénateurs, mais c'est la nouvelle répartition du nombre des sénateurs et des représentants qui doit fléchir devant les principes constitutionnels.

La Constitution doit-elle être livrée au caprice d'une majorité qui veut se maintenir au pouvoir ? Faut-il lui livrer la révision de la loi électorale ? Evidemment non ; c'est la loi électorale qui détermine le nombre des députés et des sénateurs ; et au lieu d'attendre que cela soit réglé par la loi électorale, on arrive avec une proposition qui n'a qu'un but. Il y a des élections cette année ; on prévoit que certains membres de la gauche resteront sur le champ de bataille électoral ; on veut à l'aide de (page 248) la proposition, réparer ces pertes ; cela me suffit ; je voterai contre la proposition.

M. Wasseigeµ. - Messieurs, j'ai cru jusqu'aujourd'hui que le gouvernement parlementaire était un régime de discussion ; il paraît que je m'étais trompé ; en ce moment on discute d'un côté et, de l'autre, on semble décidé à ne pas répondre. C'est une grande simplification dans nos débats ; cela peut paraître convenable à certain parti, mais je constate le fait, c'est un régime nouveau.

En effet, mes honorables amis ont déclaré positivement à l'auteur de la proposition et à ceux qui la soutiennent, que cette proposition violait une loi organique d'un genre particulier, spécial, une loi qui était faite surtout pour lier la législature.

Et remarquez qu'elle ne lie que la législature ; car ni les particuliers, ni le pouvoir exécutif, ni le pouvoir judicaire ne peuvent ni l'enfreindre, ni l'exécuter ; elle ne concerne absolument que la législature, et si elle n'imposait plus à celle-ci une obligation morale, elle n'aurait plus de signification. Cette accusation est des plus graves, il faut bien en convenir. Eh bien, aux arguments produits par mes honorables amis, à cette accusation de violer la loi que vous avez votée dans un esprit de transaction, où chacun de nous s'est, pour ainsi dire, exposé à ne pas abuser de sa force numérique pour rompre un engagement à ne pas tricher au jeu parlementaire, si je puis me servir de cette expression, je constate que vous m'avez rien répondu ; l'auteur de la proposition lui-même est resté muet.

M. Ortsµ. - J'ai déjà parlé et répondu.

M. Wasseigeµ. - Vous avez parlé seul et avant la discussion, et je déclare que le silence d'aujourd'hui, à mes yeux, a cette signification-ci : Que vous ne trouvez pas un seul argument pour combattre ceux de mes honorables amis ; que vous voulez faire une loi de parti, qui n'a pas besoin d'arguments, mais de votes.

Je tenais à faire cette déclaration avant la clôture de la discussion. Si vous continuez à vous taire, le pays jugera. Si vous vous décidez à parler, je vous défie d'ôter à votre loi son seul caractère, loi de parti, abus de la force et du nombre.

M. Ortsµ. - Messieurs, je déclare à l'honorable M. Wasseige que je n'ai pas répondu aux objections présentées aujourd'hui, parce que j'y avais répondu d'avance. Je m'étais donné la peine de faire imprimer mes réponses, et je constate que personne à droite ne s'est donné la peine de les lire. (Interruption.) On n'a pas répliqué un mot sérieux aux réponses anticipées que j'ai faites. Aujourd'hui qu'est-on venu apporter à la tribune ? De vieilles objections déjà réfutées, et personne n'a répondu à ma réfutation écrite. Vous comprenez dès lors que c'eût été faire perdre du temps à la Chambre que de venir répéter devant elle ce que j'avais déjà soumis une première fois à son appréciation.

Je répondrai cependant un mot à deux objections de l'honorable M. Dumortier, parce qu'elles sont neuves, ou à peu près. Selon l'honorable membre, ma proposition présente un caractère révolutionnaire ; c'est une œuvre de parti ; elle est faite par un membre de cette majorité qui se cramponne au pouvoir, qui ne peut pas se résoudre à devenir minorité.

Messieurs, je sais parfaitement, que dans l'état actuel des choses, les opinions sont représentées, au sein du parlement, dans des proportions qui, au détriment du pays, se rapprochent trop de l'égalité.

Or, l'équilibre c'est l'état inactif et stérile des forces qui se détruisent.

Je désire, dans l'intérêt du pays, que cette situation cesse. Voilà pourquoi je cherche à donner aux élections prochaines un caractère aussi complet que possible de sincérité. Je cherche à atteindre le but que je ne puis pas atteindre en augmentant le nombre des électeurs, parce que la Constitution y fait obstacle ; je cherche à rendre la représentation nationale plus sincère, en augmentant au moins le nombre des mandataires de la nation, ne pouvant pas augmenter le nombre des mandants ; je cherche à ramener le nombre des mandataires à la vérité légale. Je crois qu'il est urgent et de l'intérêt de tous que cette situation cesse.

Cela étant, est-il équitable, est-il juste de faire ce que je propose ? Oui, messieurs, cela est juste, et de plus, cela est constitutionnel. L'article de la Constitution qui détermine la proportion entre le nombre des habitants et celui des membres de la représentation, n'est pas l'article que je considère comme violé, par ce fait qu'aujourd'hui dans tel arrondissement, il y a un député pour 40,000 âmes, dans tel autre arrondissement, un député pour moins de 40,000 habitants et dans tel autre, un député pour plus de 40,000 habitants.

L'article violé touche plus directement à l'intérêt personnel des citoyens ; c'est l'article 6 qui dit que tous les Belges sont égaux devant la loi. Lorsque vous avez une loi électorale basée sur ce principe, que chaque groupe de 40,000 habitants doit avoir un représentant, lorsque la plupart de ces groupes jouissent de leur droit, je comprends qu'à la rigueur vous fassiez quelque faveur à ceux qui se trouvent au-dessous de ce chiffre de 40,000 et ne peuvent parvenir à l'atteindre.

Je ne me plains pas de cette faveur ; elle n'existe cependant qu'au profit d'arrondissements qui envoient des membres de la droite dans cette enceinte. Je ne demande pas qu'on réduise le nombre de leurs représentants, bien qu'on en eût peut-être le droit, d'après la théorie de l'honorable M. Dumortier. Mais je dis qu'il y a violation du principe de l'égalité des Belges devant la loi, lorsque des arrondissements ont atteint un chiffre de 40,000 âmes et n'ont pas un représentant. Voilà la situation injuste et inconstitutionnelle que je veux faire cesser.

Or, sommes-nous dans une pareille situation ? Oui ; il y a sur l'ensemble du pays six groupes de 40,000 habitants qui n'ont pas de représentants, non pas d'une manière absolue, mais qui ne concourent pas dans la même proportion que les autres groupes à se choisir un représentant Il y a ainsi six groupes qui ne sont pas légalement ou équitablement représentés, si vous le préférez. Cela est constaté par le chiffre de la population générale du royaume.

Nous comptions, au 1er janvier 1863, d'après les chiffres officiels que le gouvernement a fournis et que l'on n'essaye pas de contredire, une population de 4,940,000 âmes, pour toute la Belgique.

Ce chiffre, divisé par 40,000, exigerait dans cette Chambre la présence de 123 députés et demi, pour parler arithmétiquement.

Mais, comme je ne puis avoir 123 députés et demi, comme je ne puis maintenir l'harmonie entre le chiffre constitutionnel des représentants et celui des sénateurs en donnant, ce qui serait le strict droit, 123 membres à la Chambre, force m'est de m'arrêter au chiffre de 122, et c'est ce que je fais. De cette façon, je puis donner au Sénat le chiffre que la Constitution lui assigne, c'est-à-dire la moitié du nombre des représentants.

Est-il utile de le faire ? Mais incontestablement. Il faut respecter la vérité constitutionnelle ; il faut rendre à chaque Belge un droit égal au droit de ses concitoyens, aussitôt que la chose est possible sans inconvénient grave.

M. Julliotµ. - On le fera chaque année.

M. Ortsµ. - On le fera chaque année, me dit l'honorable M. Julliot. L'objection me touche très peu. Pour moi, en droit, du moment qu'un groupe de 40,000 âmes n'est pas représenté, il peut venir demander un représentant de plus. Mais en fait, il faut concilier ce droit avec le principe constitutionnel qui exige un sénateur pour deux représentants.

La conciliation n'est possible dès lors que pour autant qu'il y ait deux groupes de 40,000 âmes ou bien un groupe de 80,000 âmes non représenté. Aucun autre motif ne saurait empêcher un arrondissement ayant droit à un représentant de plus, de réclamer ce représentant et de l'obtenir de la législature.

M. Jacobsµ. - Cela arrivera tous les ans.

M. Ortsµ. - L'objection n'est pas sérieuse. Vous ne pouvez donner à un arrondissement un demi-sénateur. Il faut donc, comme je viens de le dire, une augmentation de population d'au moins 80,000 âmes, ce qui n'arrivera jamais tous les ans, mais tout au plus tous les deux ans.

Dans mon opinion, je crois que nous sommes obligés, à chaque renouvellement partiel des Chambres, de voir si le nombre des représentants est en harmonie avec la population.

M. Dumortierµ. - C'est violer la Constitution.

M. Ortsµ. - C'est vous qui la violez.

M. Dumortierµ. - Abrogez la loi de 1826.

M. Ortsµ. - J'y viens ; j'arrivais là : Oui j'abroge la loi de 1856, parce que je la crois injuste et inconstitutionnelle.

M. Dumortierµ. - C'est l'honorable M. Rogier qui l'a fait voler.

M. Ortsµ. - Non, c'est un ministère de vos amis, le ministère de l'honorable M. de Decker, qui a présenté la loi.

M. Jacobsµ. - C'est la section centrale, dont l'honorable M. Rogier était rapporteur, qui a fait la proposition.

M. Guilleryµ. - Cela ne prouve pas que la loi soit parfaite.

M. Ortsµ. - L'interruption ne prouve rien. La loi pourrait être bonne comme elle pourrait être mauvaise et l'honorable M. Rogier pourrait s'être trompé. Mais l'honorable M. Rogier ne s'est pas trompé. L'honorable M. Rogier a dit et répété plus d'une fois, à la Chambre et au Sénat, que la loi de 1856 constituait une règle, mais non une règle absolue ; que lui, personnellement, ne voyait pas, en 1856, d'utilité à procéder plus fréquemment que la loi ne l'indiquait ; mais l'honorable M. Rogier a ajouté qu'il n'entendait ni enchaîner l'avenir, ce (page 249) qui était sa réserve à lui, ni enchaîner ce que ni ministres, ni section centrale, ni parlement n'ont le pouvoir d'enchaîner : l'initiative parlementaire. Or, c'est l'initiative parlementaire d'un membre qui vous saisit aujourd'hui, j'ai mon droit, je le prends et j'en use.

Maintenant que fais-je de la loi de 1856 ? Je vous demande de l'abroger. Et lorsque l'honorable M. Dumortier venait se récrier de ce qu'on lui reprochait, je ne sais dans quelle circonstance, de vouloir la violation des lois existantes, l'honorable M. Dumortier doit se souvenir que ce n'était pas lorsqu'il venait vous proposer de modifier la loi qu'on lui faisait ce reproche, mais lorsqu'il demandait qu'une loi existante ne fût pas exécutée.

M. Dumortierµ. - C'est ce que vous faites.

M. Ortsµ. - Du tout. Je demande l'abrogation d'une loi que je crois injuste et inconstitutionnelle. Je demande qu'on fasse disparaître l'obstacle législatif opposé au redressement du grief dont je me plains,

M. Dumortierµ. - C'est autre chose. Faites-le.

M. Ortsµ. - Je le fais. Je propose que la loi qui modifiera le tableau de la répartition des sénateurs et des représentants soit mise à exécution le lendemain de sa promulgation, ce qui suppose nécessairement qu'à dater de la promulgation de la loi nouvelle, toute loi ancienne contraire sera abrogée.

Vous n'avez pas lu l'article final de mon projet, et ceci prouve une fois de plus ce que je disais en commençant, que sur les bancs de la droite on n'a pas lu mes observations, mes développements.

Un mot encore, en réponse à un dernier argument ; car, en définitive, le reste ne constitue que des redites et de l'histoire ancienne.

L'honorable M. Dumortier dit : Vous prenez, pour établir vos calculs, la population au 1er janvier 1865 ; il a dit par erreur 1864, prenant encore ma proposition première qu'il a lue pour ma proposition dernière qu'il n'a pas lue. Chaque fois, ajoute l'honorable membre, qu'un recensement s'est produit, il constate des différences notables entre ses résultats et les résultats accusés par les registres de la population.

L'honorable M. Dumortier peut avoir raison pour l'époque dont il s'est occupé. Mais il a perdu de vue que pour des raisons qui ont été données en 1859 par M. le ministre de l'intérieur à la Chambre et au Sénat, les registres de la population, précisément depuis la loi sur le recensement de 1856, tenus en exécution de cette loi et d'arrêtés royaux pris postérieurement pour rendre son exécution plus complète, présentent beaucoup plus de garanties d'exactitude que le recensement même.

Et pourquoi ? Parce que les registres de population aujourd'hui ne sont plus tenus sur des déclarations de police ; ils sont tenus à l'aide du contrôle et du dépouillement des registres de l'état civil, sur lesquels l'on ne peut se tromper ni pratiquer la fraude.

L'opération du recensement présente moins de garanties d'exactitude. Pourquoi ? Parce qu'il se fait à un jour déterminé et qu'il se borne à constater la population d'une commune ce jour-là.

Or, cette opération à jour unique est toujours susceptible de correction, d'augmentation ou de réduction. Et la meilleure preuve, c'est que si l'on avait fait le recensement de la population de la capitale au 19 décembre 1865, le jour de l'entrée du Roi à Bruxelles, on aurait trouvé dans le résultat de quoi donner une couple de représentants de plus à l'arrondissement de Bruxelles.

M. Jacobsµ. - Messieurs, ce n'est pas nous qui n'avons pas lu l'exposé des motifs de l'honorable M. Orts, c'est lui qui n'a pas écouté nos objections, car aucune de celles que j'ai faites n'a été réfutée et je crois au contraire avoir répondu aux considérations contenues dans l'exposé des motifs.

Mais aujourd'hui on tient un tout autre langage. Que dit l'honorable M. Orts ? Il fait une charge à fond contre la loi de 1856 ; on n'avait jamais été jusque-là. Il la déclare mauvaise, quoiqu'elle émane de l'initiative de l'honorable M. Rogier. En 1856 il ne tenait pas ce langage, et depuis lors il n'a jamais rien dit de semblable ; il y a eu, depuis, trois renouvellements partiels de la Chambre et M. Orts s'est tu ; il a attendu, pour critiquer la loi du 2 juin 1856, que l'arrondissement de Bruxelles eût un excédant suffisant pour obtenir deux représentants et un sénateur de plus.

Quelle sera la règle, à l'avenir ? L'honorable M. Orts a semblé indiquer que toutes les fois que la population de la Belgique aurait augmenté de 80,000 habitants, il faudrait modifier la répartition du nombre des représentants et des sénateurs. Eh bien, je suis satisfait de cette règle comme de toute autre : peu m'importe quelle est la règle, pourvu qu'il y en ait une ; mais ne la changez pas lorsqu'elle vous contrarie, gardez la règle actuelle jusqu'à l'expiration des dix années, après faites ce qu'il vous plaira ; pourvu que vous ayez une règle et non pas l'arbitraire.

L'honorable M. Orts nous dit : S'il n'y avait que des excédants de moins de 40,000 âmes, je comprendrais les objections ; mais il y a six groupes de 40,000 âmes qui ne sont pas représentés. »

D'abord, messieurs, il n'y a pas six groupes.

M. Ortsµ. - J'ai dit quatre.

M. Jacobsµ. - Alors votre proposition n'est justifiée qu'aux deux tiers.

Remarquez, cependant, que dans un arrondissement comme celui de Bruxelles une augmentation de 40,000 âmes se produit très facilement ; ce n'est qu'un accroissement d'un dixième, tandis que d'autres arrondissements devraient avoir leur population doublée pour avoir 40,000 habitants de plus,

Supposez que deux ou plusieurs petits arrondissements se fusionnent actuellement, vous aurez plus de quatre groupes de ce genre ; supposez deux collèges, ayant chacun un excédant de 25,000 habitants ; s'ils s'associent, s'ils se fondent, s'ils se réunissent, l'excédant est de 50,000 âmes et ils ont droit à un représentant de plus.

Votre théorie est tout en faveur des grands arrondissements, où 40,000 âmes représentent 10, 15, 20 pour cent de la population, tandis que dans d'autres arrondissements ce chiffre représente 60, 80,100 p.c. Comme représentant d'un grand arrondissement, je serais intéressé à adopter la théorie de l'honorable M. Orts, mais je mets la justice au-dessus de l'intérêt.

Ainsi, messieurs, ce n'est plus devant l'exposé des motifs que nous nous trouvons ; il ne s'agit plus d'une simple dérogation à la loi de 1856, c'est une charge à faire contre cette loi, c'est son abrogation qu'où demande.

Dans cette loi se trouvait une règle, elle excluait l'arbitraire ; je demande à l’honorable M. Orts s'il veut l'arbitraire et, s'il ne le veut pas, quelle règle il propose ? Si elle consiste à modifier la représentation nationale chaque fois qu'un accroissement de plus de 80,000 âmes se produit, j'y consens, mais encore lui dirai-je : Proposez cette règle nouvelle dans un temps non suspect.

M. Dumortierµ. - Je suis vraiment étonné de la manière dont M. Orts discute la question constitutionnelle. Il y a dans la Constitution des articles qui règlent la matière ; tous ces articles, il les met de côté pour s'attacher exclusivement à l'égalité des Belges devant la loi, c'est-à-dire à un article qui n'a rien à faire dans la matière, puisque la matière est réglée par d'autres articles de la Constitution.

Comment procède l'honorable M. Orts ? Il fait dire, à l'article qui règle le nombre des représentants et des sénateurs, tout à fait le contraire de ce qu'il dit. Cet article, je l'ai déjà lu, mais je le lirai encore puisqu'on, s'obstine à le dénaturer. Il porte :

« La loi électorale fixe le nombre des députés d'après la population ; ce nombre ne peut excéder la proportion d'un député sur 40,000 habitants. »

Est-ce que cet article dit que chaque fois qu'il y a 40,000 habitants de plus il faut un représentant de plus ? Mais il dit tout à fait le contraire ; il dit que la proportion d'un député par 40,000 habitants ne peut être excédée. Ainsi, vous faites dire à la Constitution absolument l'opposé de ce qu'elle dit.

Et pourquoi la Constitution a-t-elle établi cette règle ? Mais la raison en est tout simple, c'est parce qu'il faut de la fixité dans les institutions constitutionnelles. En 1831 on a fait la loi électorale, on a fixé d'après la population d'alors, d'après le recensement de 1830, le nombre des représentants et des sénateurs ; quand est-ce qu'on a modifié cette répartition ? C'est en 1847 ; 16 ans se sont écoulés avant qu'on modifiât l'état de choses établi en 1831 et encore d'après un recensement général.

M. Ortsµ. - Ce n'est pas la faute de la gauche ; la nécessité d'une nouvelle répartition est indiquée dans le programme de M. Rogier de 1846.

M. Dumortierµ. - Eh bien, il y avait 15 ans et jamais avant 1846 il n'avait été question dans cette Chambre d'une nouvelle répartition du nombre des représentants et des sénateurs. Eh bien, dans votre système il aurait fallu, dans cet espace de 15 ou 16 ans, faire 8 nouvelles répartitions. Ce n'est point là ce qu'ont voulu le Congrès national ni les législatures qui ont suivi le Congrès. On ne cherchait pas, à cette époque, à refaire la Constitution ni à la modifier dans un intérêt de parti, on la respectait ; tandis qu'aujourd'hui c'est dans un intérêt de parti qu'on agit. Et vous l'avez entendu tout à l'heure, messieurs, c'est dans un intérêt de parti que M. Orts a fait sa proposition ; il ne s'en est pas caché, il l'a déclaré ; il a dit : « La majorité du parti libéral est trop faible dans la Chambre et je fais (page 250) ma proposition pour obtenir une majorité plus forte. » Et vous direz après cela que votre loi n'est pas une loi de parti ! Mais vous ne faites pas autre chose qu'une loi de parti.

- Un membre. - On l'avoue.

M. Dumortierµ. - Oui, on l'avoue. Vous l'entendez, M. Orts l'avoue, il vient de le dire, il l'a dit ! Et dans quel moment agit-on de la sorte ? Lorsque tout le monde comprend la nécessité de faire taire l'esprit de parti, lorsque nous sacrifions, sur l'autel de la patrie, toutes les questions qui nous divisaient, lorsque nous consentons à nous taire sur les griefs si considérables que nous avons contre le gouvernement, sur ces griefs qu'il y a deux mois l'honorable M. Rogier reconnaissait que le pays était profondément agité, et que jamais il n'avait été dans une agitation pareille, même en 1841. Cela se trouve tout au long au Moniteur.

L'honorable M. Rogier allait même jusqu'à déclarer que lui et ses honorables amis étaient prêts à se retirer du pouvoir pour calmer cette agitation. Cela était grand et beau, mais à peine le calme est-il revenu grâce à l'attitude du parti conservateur qui, avec le patriotisme le plus pur, le plus admirable, a consenti à mettre de côté tous ses griefs, que l'on arrive avec une loi de parti, une loi que son auteur même vient d'avouer être présentée dans un intérêt de parti, pour tuer ce même parti conservateur qui vient de donner un si bel exemple. Que le pays juge entre nous.

- La discussion est close.

La proposition de M. Jacobs consistant à ajourner la proposition de loi de M. Orts jusqu'après le recensement décennal du 31 décembre 1866 est mise aux voix par appel nominal,

90 membres y prennent part,

38 répondent oui.

52 répondent non.

En conséquence la Chambre n'ajourne pas.

Ont répondu oui :

MM. de Theux, de Woelmont, d'Hane-Steenhuyse, Dumortier, Hayez, Jacobs, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Magherman, Moncheur, Notelteirs, Nothomb, Reynaert, Rodenbach, Royer de Behr, Schollaert, Snoy, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Overloop, Van Wambeke, Verwilghen, Wasseige, de Conninck, de Haerne, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Mérode, de Muelenaere, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt et de Terbecq.

Ont répondu non :

MM. Dewandre, Dolez, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Giroul, Goblet, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Orts, Rogier, Sabatier, Tesch, T'Serstevens, Valckenaere, A. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Iseghem, Vleminckx, Warocqué, Allard, Ansiau, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Carlier, Couvreur, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Bast, de Brouckere, De Fré, de Kerchove, de Moor et Ernest Vandenpeereboom.


- Il est procédé au vote par assis et levé pour la prise en considération.

La proposition est prise en considération.

M. de Theuxµ. - Messieurs, comme il faut savoir sur quoi l'on délibère, je demanderai à M. le ministre de l'intérieur de fournir à la Chambre le résumé des registres de population au 31 décembre dernier, par province et par arrondissement dans chaque province, indiquant en même temps quel est l'excédant de population relativement aux représentants et aux sénateurs actuels et quel est le déficit de la population relativement aux sénateurs et aux représentants.

Je demanderai conséquemment que les sections ne soient appelées à s'occuper de la proposition de l'honorable M. Orts que lorsque nous aurons reçu les tableaux de M. le ministre de l'intérieur, qu'ils auront été imprimés, distribués et examinés, pour que l'on sache sur quelles bases la proposition est fondée.

M. Mullerµ. - Je me lève pour appuyer la proposition de l'honorable M. de Theux.

M. Ortsµ. - Pour ma part, je ne demande pas mieux que de voir adopter par la Chambre la proposition de l'honorable M. de Theux, d'autant plus que cette adoption, j'en suis convaincu, me permettra en sections de compléter ma proposition de manière à donner à la Chambre et à l'opinion à laquelle j'appartiens un ou deux représentants de plus.

- La proposition de M. de Theux est mise aux voix et adoptée.


« M. de Macar, retenu chez lui par la maladie d'un membre de sa famille, demande un congé. »

- Accordé.


MpVµ. - La commission chargée d'examiner la proposition de loi déposée au début de la séance par l'honorable ministre de l'intérieur est composée comme suit : MM. Crombez, Snoy, Jacquemyns, de Naeyer. Bricoult. de Woelmont. Mascart.

Proposition de loi modifiant le code d’instruction criminelle et la loi sur la garde civique

Discussion générale

MpVµ. - Les auteurs de la proposition adhèrent-ils aux modifications de la commission ?

M. Dupontµ. - J'ai fait partie de la commission et j'adhère pour ma part au texte que j'ai contribué à rédiger. Je voudrais savoir seulement si le gouvernement se rallie aux propositions de la commission.

M. Lelièvreµ. - Je déclare me rallier au projet de la commission qui propose la suppression des amendes en matière correctionnelle et de simple police. Si donc le gouvernement adopte le même système, je ne puis que lui donner mon assentiment, la suppression complète étant plus libérale que la proposition primitive.

MpVµ. - La discussion s'ouvre sur le projet de la commission. La discussion générale est ouverte.

- Voix diverses. - A demain !

M. Dumortierµ. - Nous n'avons pas nos pièces.

Motion d’ordre

M. Delaetµ. - Lorsqu'il s'est agi de l'examen en sections de la proposition de M. Guillery, le gouvernement a manifesté l'intention de proposer un contre-projet et nous a demandé de retarder de quelques jours l'examen de cette proposition. M. le ministre de l'intérieur a été appuyé, dans cette circonstance, par M. de Theux, qui cependant n'entendait consentir qu'une remise à courte échéance. M. le ministre des finances a dit alors, mais à demi-voix et sans être compris de la plupart des membres de la Chambre, qu'il ne s'agissait pas de quelques jours seulement. Ces paroles pourraient faire craindre une remise quasi indéfinie.

MfFOµ. - Non, non.

M. Delaetµ. - Je demande donc que le gouvernement veuille bien nous dire dès aujourd'hui combien il lui faut de temps pour rédiger son contre-projet.

II est possible que quelques arrondissements soient très impatients d'avoir quelques députés et sénateurs de plus, mais ce qui est certain, c'est que le pays est très impatient d'avoir quelques milliers d'électeurs en plus. (Interruption.)

L'agitation est dans le pays, elle gagne, non pas de jour en jour, mais pour ainsi dire rapidement d'heure en heure, et peut-être à ce point de vue ferions-nous bien d'attendre, nous, les partisans du projet de loi. Le pays entier a reconnu qu'il est temps qu'un plus grand nombre de Belges soient admis au droit électoral, et dans notre conviction, il est temps de faire droit à ses exigences. En tout cas, je crois qu'il ne serait pas digne du gouvernement ni de la Chambre de répondre à l'émotion du pays par un ajournement indéfini. Il faut que le pays sache à quoi s'en tenir et le plus tôt sera le mieux,

MiVDPBµ. - Il me serait difficile de fixer le jour où je pourrai déposer le projet de loi annoncé, mais je crois cependant pouvoir donner l'assurance à l'assemblée que ce dépôt sera fait avant trois semaines.

Projet de loi allouant un crédit au budget du ministère de la justice

Dépôt

MfFOµ. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi qui met à la disposition de M. le ministre de la justice un crédit de 500,000 fr. pour la continuation des travaux de construction, décoration et ameublement de l'église de Laeken.

- Impression, distribution et renvoi à l'examen des sections.

Proposition de loi modifiant le code d’instruction criminelle et la loi sur la garde civique

Discussion générale

MpVµ. - La discussion est ouverte sur le projet de la commission.

(page 251) Avant de commencer la discussion du projet, je désire savoir si M. le ministre de la justice se rallie au projet de la commission, ou s'il propose quelques amendements. Il serait nécessaire de connaître ces amendements, pour que les auteurs de la proposition pussent se prononcer, à cet égard, en connaissance de cause. Je demande donc que M. le ministre veuille bien nous faire connaître ses intentions.

MjBµ. - Je me rallie au projet de la commission, sauf deux amendements : un à l'article premier consistant à supprimer au paragraphe premier les mots : « à l'avenir... » et le paragraphe 2 ; l'autre, consistant à modifier l'article 2 comme suit :

« Art. 2. L'article 421 du code d'instruction criminelle est abrogé, sauf pour les condamnés qui, lors du jugement ou de l'arrêt contre lequel le pourvoi est dirigé, sont en état de détention préventive. »

M. Lelièvreµ. - Je déclare me rallier aux amendements proposés par M. le ministre de la justice. J'admets d'abord, comme disposition plus favorable à la liberté, que le prévenu ne devra jamais se constituer à l'effet de se pourvoir en cassation. Mais il est bien évident que si le prévenu se trouve en état de détention préventive, il restera en cet état nonobstant le pourvoi en cassation. En effet, l'arrêt de condamnation rendu contre lui ne peut rendre sa condition plus favorable.

Le statu que doit en ce cas être maintenu. Telle était aussi la portée de notre proposition. Il est impossible que le prévenu condamné en état de détention préventive récupère sa liberté au moyen d'un recours en cassation.

Sous ce rapport, nous ne pouvons qu'adopter l'amendement de M. le ministre de la justice, entièrement conforme à la pensée qui a dicté notre proposition.

- Voix diverses. - A demain !

MpVµ. - On paraît vouloir la remise de la discussion à demain ; je vais consulter la Chambre.

- Voix nombreuses. - Non ! non !

M. Wasseigeµ. - Je demande l'impression des amendements de M. le ministre de la justice et la remise de la discussion à demain.

MpVµ. - Je l'ai proposé à la Chambre ; je ne puis rien décider moi-même.

MjBµ. - J'engagerai moi-même la Chambre à remettre la discussion à demain ; l'amendement que j'ai présenté a une certaine importance, et du reste, j'aurai à faire des observations sur le projet tel qu'il vous est soumis. Ce projet touche à des principes importants en matière criminelle.

M. Guilleryµ. - Avant qu'on remette la discussion, je désirerais avoir une explication de la part des honorables auteurs de la proposition, sur le point de savoir pourquoi ils n'ont pas étendu aux matières civiles le principe qu'ils appliquent aux matières correctionnelles. Le projet de loi proteste contre l'idée d'infliger une amende énorme.

Je crois inutile d'ajouter à cela une amende de 150 fr.

On pourrait étendre le principe afin de rendre la réforme complète en matière civile.

M. Lelièvreµ. - Nous n'avons pas proposé la suppression de l'amende en matière civile, parce que, à notre avis, c'était là une dérogation trop importante à la législation existante, dérogation qui aurait pu donner lieu à de graves inconvénients. En matière correctionnelle et de simple police, il faut faciliter les recours, parce qu'il s'agit ordinairement de la liberté des prévenus dont la défense est d'ailleurs toujours favorable.

En matière civile, au contraire, des intérêts privés sont en jeu, et autoriser trop facilement des recours, ce serait souvent permettre à des hommes fortunés de vexer leurs adversaires qui ne seraient pas dans l'aisance. On pourrait, du reste, trop facilement prolonger des procès outre mesure, au mépris des intérêts de la justice et des parties. C'est ce motif qui nous a engagés, M. Dupont et moi, à nous borner à nous occuper des recours en matière répressive. En cette dernière espèce, les recours ne sont qu'un moyen de légitime défense contre une prévention intéressant l'honneur et la liberté des citoyens. Sous ce rapport, la suppression de l'amende nous semble incontestablement devoir être prononcée, tandis qu'en matière civile, où les intérêts privés sont en jeu, cette suppression peut être sérieusement contestée.

MjBµ. - Je regrette de ne pas être, quant au fond, de l'avis de M. Lelièvre. Je partage, au contraire, l'opinion de M. Guillery et je crois que l'amende prononcée en matière civile est une peine complètement inutile et qui n'est plus en rapport avec l'état de nos institutions. Du reste, l'amende introduite en matière civile l'a été pour d'autres raisons que celles que fait valoir M. Lelièvre.

Il n'y a pas à craindre que cette amende empêche les plaideurs d'aller en cassation ; ils sont arrêtés aujourd'hui par des raisons pécuniaires plus fortes : l'indemnité de 150 francs à payer à l'autre partie ; ensuite les frais de justice et les honoraires d'avocats. Voilà des barrières suffisantes pour arrêter les plaideurs téméraires. Mais je prie la Chambre de ne pas s'occuper aujourd'hui de la question soulevée par M. Guillery, par la raison que la législature aura plus tard à la traiter et d'une manière plus opportune. La Chambre a déjà voté des modifications au Codé de procédure civile. Un projet de loi sur l'organisation fait l'objet de ses études.

Le gouvernement devra poursuivre la réforme complète du code de procédure civile. C'est évidemment alors que sera utilement examinée la question dont s'est occupé M. Guillery.

MM. Lelièvre et Dupont ont pris l'initiative de la demande de suppression de l'amende en matière pénale et disciplinaire, parce que c'est une matière plus intéressante que la matière civile.

On comprend qu'il faut rendre plus accessible le pourvoi en cassation quand il s'agit de l'honneur et de la liberté des citoyens que quand il s'agit d'intérêts purement civils.

Du reste, comme je le disais tout à l'heure, les pourvois en cassation ne sont guère arrêtés à cause de cette amende de 150 fr. et il n'y a aucune urgence de s'occuper des affaires civiles dans le projet de loi que nous allons discuter et qui ne concerne que les matières pénales et disciplinaires.

- La séance est levée à 4 1/2 heures.