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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 8 mars 1866

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1865-1866)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboomµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 473) M. Thienpont, secrétaire, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. de Moor, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la, séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont, secrétaireµ, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Des habitants de Bruxelles demandent le suffrage universel pour les élections communales et provinciales. »

- Renvoi à la section centrale, qui sera chargée d'examiner la proposition de loi portant une modification aux lois provinciale et communale.


« Des habitants de Bruxelles demandent que le droit de suffrage pour les élections communales et provinciales soit accordé à tous ceux qui savent lire et écrire. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Ronquières demandent la reprise par l’Etat des canaux embranchements du canal de Charleroi. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants d'Oisquercq se plaignent de l'élévation des péages sur les canaux embranchements du canal de Charleroi. »

- Même renvoi.


« Des maîtres de carrières de pierres bleues dites petit grand, dans les provinces de Hainaut, de Namur et de Liège, se plaignent de l'adoption, dans les travaux publics, de pierres de provenance étrangère. »

M. Dewandreµ. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission d'industrie. Il s'agit d'une question qui rentre tout à fait dans la compétence de cette commission.

M. de Macarµ. - Messieurs, j'appuie bien volontiers la proposition qui vient de nous être faite l'honorable M. Dewandre. Je demande en plus que la commission veuille bien réclamer de M. le ministre des travaux publics les devis estimatifs de quelques grandes construction d'utilité publique, exécutées depuis quelque temps, notamment de la station de Liège. Je crois que la commission trouvera là des éléments d'appréciation intéressants, en faveur de la réclamation des pétitionnaires.

M. Lelièvreµ. - Je me joins à mes honorables collègues et en appuyant la pétition qui me paraît juste et fondée, je demande qu'elle soit renvoyée à la commission.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - J'appuie également cette demande.

- Le renvoi à la commission permanente d'industrie est ordonné.


« Par messages du 7 mars, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté :

« 1° Le projet de loi portant abolition des droits de barrière, sur les routes de l'Etat ;

« 2° Le projet de loi portant interprétation des articles 2 et 3 de la loi du 12 avril 1835, relatifs à l'exploitation et à la police des chemins de fer ;

« 3° Le projet de loi qui rend disponible jusqu'à la fin de l'exercice 1868, le crédit de 14,461,170 francs pour la transformation du matériel de l'artillerie. »

- Pris pour notification.

Projet de loi allouant un crédit au budget de la dette publique

Rapport de la section centrale

M. Van Iseghemµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi allouant un crédit de 104,400 francs au budget de la dette publique pour l'exercice 1866.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et la mise à la suite des objets à l'ordre du jour.

Projet de loi augmentant le personnel des tribunaux de première instance de Bruxelles et de Charleroi

Discussion générale

MpVµ. - La discussion générale est ouverte.

M. de Kerchove. — Je viens appuyer le projet de loi soumis en ce moment à vos délibérations. Je ne doute nullement qu'il ne soit adopté à une grande majorité, car, comme le disait dans la séance d'hier l'honorable ministre de la justice, c'est un véritable déni de justice qu'il faut faire cesser au plus vite. Mais, messieurs, j'espère que ce que la Chambre va faire pour le tribunal de première instance de Bruxelles, elle ne tardera pas à le faire pour la cour d'appel de Gand : là aussi il y a un déni de justice à faire cesser ; là aussi, malgré tout le zèle et tout le dévouement que mettent MM. les conseillers à l'accomplissement de leur mission, il faut attendre plusieurs années avant de pouvoir obtenir jugement.

Quelques chiffres vont vous le prouver, je les puiserai dans un mémoire adressé à M. le ministre de la justice par le conseil de discipline de l'ordre des avocats près la cour d'appel de Gand.

Au commencement de l'année judiciaire 1864-1865, il y avait, au rôle de la première chambre de la cour, 95 causes ; on y a introduit 32 affaires ordinaires, 23 affaires sommaires, en tout 150. 42 ont été jugées par arrêt, 14 ont été retirées du rôle par suite de transactions intervenues à la suite de longues plaidoiries, soit 56 en tout, de sorte qu'à la rentrée des tribunaux en octobre 1865, il y avait à la première, chambre 94 causes, une cause de moins qu'en octobre 1864.

Quant à la deuxième chambre, il y avait à son rôle, au commencement de l'année judiciaire 1864-1865, 18 affaires civiles ; on lui a distribué 11 affaires ordinaires, 10 sommaires, en tout 39 ; 14 ont été jugées, 6 ont été retirées du rôle, de sorte qu'en octobre 1865 il restait à la deuxième chambre 19 affaires, une de plus qu'au mois d'octobre 1864 ; de compte fait 113 causes étaient pendantes devant les deux chambres en octobre 1865. Or, depuis le 15 octobre 1865 jusqu'au 15 février 1866 on a introduit 45 affaires nouvelles devant les deux chambres, de sorte que si l'on en excepte les affaires jugées depuis le 15 octobre 1865, celles dans lesquelles le ministère public doit donner son avis ou qui sont en délibéré, l'arriéré, qui était de 115 affaires au 15 octobre 1865, est aujourd'hui de 158.

Ces chiffres ont leur éloquence, aussi je ne doute pas que l'honorable ministre de la justice ne tardera pas à apporter remède à cet état de choses en déposant un projet de loi créant une troisième chambre à la cour d'appel de Gand.

M. Debaetsµ. - Messieurs, je ne viens pas non plus combattre le projet qui est soumis à vos délibérations. Tout au contraire : car il est évident que c'est un intérêt social de premier ordre que la bonne administration de la justice. Or, l'exposé des motifs et le rapport de la commission justifient amplement le projet du gouvernement et l'amendement de M. le ministre de la justice.

Je m'étais donc fait inscrire pour appuyer le projet de loi et pour vous présenter les observations que M. le bourgmestre de Gand vient de faire valoir, et qu'il a puisées dans la requête que le. conseil de discipline a adressée à M. le ministre de la justice. J'ai eu l'honneur de faire partie de la députation de ce conseil, et l'accueil bienveillant que ce haut fonctionnaire a bien voulu nous faire m'est un sûr garant qu'il prendra en sérieuse considération la demande du barreau de Gand, appuyée au surplus tant par la magistrature debout que par la magistrature assise. Je me fais un devoir d'en remercier d'avance l'honorable ministre.

M. Wasseigeµ. - Messieurs, le temps que nous avons eu pour examiner le projet de loi qui est soumis à vos délibérations a été excessivement court, je le regrette, et force nous a été de nous contenter d'un examen très rapide.

Vous venez de l'entendre, messieurs ; à peine est-il question de l'augmentation du personnel du tribunal civil de Bruxelles, que d'autres réclamations surgissent immédiatement.

(page 474) Voici la cour d'appel de Gand qui, de son côté, avec non moins de raisons peut-être que le tribunal de première instance de Bruxelles, vient réclamer une augmentation de personnel. Cela est tout naturel, mais il résultera de cette manière de faire une organisation par pièces et morceaux, si je puis m'exprimer ainsi. Nous touchons cependant au moment où il nous sera possible de procéder à la réorganisation complète des cours et tribunaux.

Rien ne presse, et nous agirions très prudemment en attendant la loi générale que nous serons bientôt appelés à discuter. C'est le moyen d'étudier sérieusement tous les besoins à un point de vue général et de faire droit à toutes les réclamations réellement fondées.

On s'appuie, messieurs, pour réclamer l'augmentation du personnel du tribunal de première instance de Bruxelles, sur deux raisons principales : l'arriéré, dit-on, est considérable et les procès en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique augmentent dans une proportion notable devant ce tribunal.

Il résulte, en effet, du tableau qui nous a été fourni que l'arriéré pour le tribunal de Bruxelles s'élève à 479, à 490 et qu'il est arrivé à 522 affaires à la fin de 1864. Eh bien, cet arriéré est beaucoup plus considérable dans un autre tribunal qui, jusqu'à présent, ne réclame rien, mais auquel vous allez très probablement fournir un argument irréfutable à faire valoir pour obtenir aussi une augmentation de personnel si elle est accordée au tribunal de Bruxelles ; je veux parler du tribunal de Liège. Ce tribunal a eu un arriéré qui s'est élevé et qui s'élève encore à 700 affaires, au lieu de 500.

Vous voyez donc, messieurs, que les raisons qu'invoque le tribunal de Bruxelles existent, dans une proportion plus forte encore, pour d'autres tribunaux qui ne réclament encore rien, et que par conséquent elles n'ont rien de péremptoire ni de spécial. Mais j'ai un autre scrupule encore et je me permettrai de demander à ce sujet une explication à l'honorable ministre de la justice ; le voici :

Le second argument produit en faveur du tribunal de Bruxelles, c'est que le nombre des affaires en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique y augmente notablement. Or, je demanderai à M. le ministre de la justice s'il n'existe pas une disposition légale que je crois avoir vue, mais que je n'ai pas eu le temps de rechercher, qui empêche de partager entre deux chambres d'un même tribunal les affaires de cette nature.

M. Ortsµ. - C'est une erreur.

M. Wasseigeµ. - S'il en était ainsi, et j'ai encore des doutes malgré l'assertion de l'honorable M. Orts, il est évident qu'on n'atteindrait pas le but que l'on se propose ou qu'il faudrait, pour l'atteindre, changer cette disposition.

S'il n'en est pas ainsi, mon observation tombe ; mais reste toujours celle que j'ai présentée d'abord à savoir : que l'arriéré n'est pas moins considérable dans d'autres tribunaux qui ne réclament pas ; que si ces tribunaux réclamaient, vous n'auriez aucune bonne raison à leur opposer, et que l'on arriverait ainsi à ce que je veux éviter, à une organisation faite sans esprit d'ensemble et de justice distributive, et cela à la veille d'une organisation générale et complète qui permettra de donner satisfaction à tous les griefs. Je pense aussi, et ici je crois être d'accord avec l'ancien ministre de la justice, l'honorable M. Tesch, contre le ministre actuel, l'honorable M. Bara ; je pense sincèrement, avec l'honorable M. Tesch, que le remède n'est pas dans la seule augmentation du personnel et que l'on pourrait, avec un peu plus de zèle, d'efforts de la part des juges, un peu plus de sévérité de la part des présidents, empêcher l'état de choses dont on se plaint.

Nous voyons, en effet, par les tableaux qui vous sont fournis, que les tribunaux civils ne siègent en moyenne que trois jours par semaine ; eh bien, messieurs, il me paraît qu'on pourrait, sans les fatiguer trop, demander aux magistrats de siéger un jour de plus. Ce surcroît de travail ne serait pas tellement écrasant que des magistrats aussi zélés que la plupart de ceux qui siègent dans nos tribunaux de première instance ne puissent y suffire.

Il est encore une chose à remarquer c'est que les retards sont dus en grande partie aux avocats. Je puis le dire sans les offenser, puisque j'ai l'honneur d'appartenir à cette respectable corporation. Il arrive souvent que les avocats ne sont pas prêts, qu'ils demandent des remises trop facilement accordées et qu'ils obligent ainsi les tribunaux à avoir des audiences blanches ; un peu plus de sévérité de la part des présidents obvierait à ce mal. En ajoutant à cela une séance de plus par semaine, on pourrait parfaitement attendre sans inconvénient le projet de loi sur la réorganisation judiciaire qui sera bientôt soumis à nos délibérations.

Mes observations tendent donc à l'ajournement du projet qui nous est soumis jusqu'à la discussion de cette grande loi que j'appelle de tous mes vœux.

M. Ortsµ. - Il y a dans les observations de M. Wasseige des choses qui en principe soul parfaitement exactes. Je ne conteste qu'une partie de sou argumentation : l'applicabilité de ces réflexions au tribunal de Bruxelles.

J'espère prouver à cet honorable collègue que là est son erreur.

M. Wasseige croit qu'il serait possible de diminuer l'arriéré des tribunaux, en augmentant le nombre des audiences ; cela est parfaitement vrai en principe. Mais, au tribunal de Bruxelles, comme j'ai eu l'honneur de le faire observer dans le rapport de la commission, déjà une chambre siège quatre jours par semaine ; les autres trois jours, tandis que dans un grand nombre de tribunaux du pays, dans les trois quarts peut-être, le nombre des audiences civiles et correctionnelles ne dépasse pas deux par semaine.

Il y a de plus à observer qu'à raison de la nature spéciale des affaires qui motivent le projet sur lequel vous avez à vous prononcer, il est assez difficile d'exiger à Bruxelles un nombre d'audiences plus considérable que celui qui est consacré aux affaires civiles. En fait, pourquoi demande-t-on à Bruxelles une augmentation de personnel ? Surtout, parce que le nombre des affaires d'expropriation pour cause d'utilité publique augmente dans une proportion réellement incroyable.

J'en donnerai un exemple :

Il est peu de travaux publics entrepris par la ville de Bruxelles, alors même que ce ne seraient que de simples améliorations de voirie, qui ne nécessitent des expropriations de 20, 30 et même jusqu'à 70 propriétés. Or, autant de propriétés à exproprier, autant de jugements à rendre. Et on ne peut pas dire que la longueur des plaidoiries ou les remises demandées par les avocats influent sur les retards que subissent les affaires, parce qu'en général il n'y a pas de plaidoirie : dans ces affaires on se borne à comparaître ; le tribunal vérifie si les formalités administratives ont été remplies, et elles le sont toujours. Puis, il ordonne une expertise. Cependant il faut, dans toutes les affaires, même lorsqu'on ne plaide pas, le temps matériel pour entendre la lecture des conclusions et pour lire le jugement.

Ce jugement rendu, il y a à faire une nouvelle besogne, toute spéciale et étrangère à la besogne d'audience.

Il faut que le juge commis à la surveillance des opérations d'expertise se rende sur les lieux, avec les experts et les parties. Et je puis dire, de science certaine, qu'il arrive à la première chambre du tribunal civil de Bruxelles où la plus grande partie des affaires d'expropriations se jugent, qu'après chaque audience, souvent deux ou trois heures de travail sont employées à assister aux expertises faites en exécution des jugements.

Calculons très en gros pour le prouver.

En donnant une heure pour le transport du magistrat sur les lieux, pour la réunion des experts, pour leurs opérations et la conclusion du procès-verbal, ce n'est certes pas exiger beaucoup trop. Eh bien, comptez une heure de plus par semaine, après des audiences qui ne cessent qu'à 2 heures, et vous verrez qu'il serait bien difficile de trouver ailleurs que dans les jours où l'on siège pas, le temps de délibérer sur les affaires plaidées.

Je ne dis pas que ce soit là une situation commune à toute la Belgique ; je ne parle que de ce que je connais et j'assure M. Wasseige, que s'il s'était donné la peine d'assister pendant quelques heures aux audiences du tribunal de Bruxelles, il se rendrait à ma manière de voir.

C'est cette situation exceptionnelle que je prierai la Chambre de prendre en sérieuse considération lorsque nous serons saisis, et bientôt je l'espère, d'une loi générale sur les expropriations pour cause d'utilité publique. Je demanderai alors que l'on simplifie quelque peu la partie purement matérielle de la procédure.

M. Wasseigeµ. - Je me joindrai à vous de tout mon cœur.

M. Ortsµ. - Quant aux remises et aux audiences blanches dont on a parlé, elles sont sans influence aucune au tribunal de Bruxelles. Il y a malheureusement toujours trop de gens qui désirent plaider pour que, malgré toutes les remises, l'audience ne soit pas remplie. Il y a à chaque audience trois fois plus d'affaires retenues et trois fois plus d'avocats prêts à plaider qu'il n'est possible de traiter d'affaires.

Vous parlez de séances blanches ? L'honorable M. Wasseige peut être convaincu qu'au tribunal de Bruxelles les séances blanches sont aussi rares que le merle blanc dans la nature. Il suffît, messieurs, d'assister pendant une heure aux audiences pour voir qu'elles sont réellement aussi complètes que possible. Le tribunal se réunit très exactement ; il ouvre (page 475) ses séances à 10 heures et ne se sépare jamais qu'après 2 heures, très souvent à trois ou quatre heures.

Maintenant, messieurs, ce n'est pas dans un intérêt purement bruxellois qu'on demande que la justice se rende régulièrement à Bruxelles. Vous savez tous qu'un grand nombres d'affaires, qui intéressent le pays tout entier, doivent se traiter à Bruxelles, affaires extrêmement importantes.

Les grandes et graves contestations nées à raison des contrats d'entreprises pour l'Etat, par exemple, les discussions relatives aux marchés de fournitures, tous ces procès où l'on a l'Etat pour adversaire, toutes ces causes doivent se plaider à Bruxelles. Il est donc de l'intérêt de tout le monde en Belgique que l'on obtienne promptement justice à Bruxelles.

Enfin, messieurs, il existe une foule d'autres besognes dans les tribunaux des grandes villes, qui sont, au contraire, très restreintes dans les localités de moindre importance.

Je citerai tout ce qui se décide sur requête ou autrement en la chambre du conseil.

Des fonctions singulièrement absorbantes sont imposées au président du tribunal de Bruxelles, qui certainement n'absorbent ailleurs que peu d'heures par semaine. Je parle des audiences pour référé.

Les audiences pour référé exigent à Bruxelles deux jours par semaine ; ce qui empêche le président de se consacrer, ces jours-là, au service des audiences civiles.

Ces considérations, toutes spéciales à Bruxelles, doivent engager la Chambre à donner son approbation au projet de loi.

Puisque j'ai la parole et pour ne plus devoir la reprendre, je dirai maintenant deux mots de l'amendement proposé par M. le ministre de la justice et tendant à augmenter d'un juge d'instruction le personnel du tribunal de Charleroi. La commission s'est convaincue de la nécessité de cet amendement par un argument qui, j'en suis persuadé, produira la même conviction chez tous les membres de la Chambre.

Voici comment nous avons acquis la certitude que le ministre de la justice a donné satisfaction à un légitime besoin du service, en proposant la nomination d'un second juge d'instruction à Charleroi.

Lorsque, il y a quelques années, à Charleroi, on a désigné un second juge d'instruction pris dans le sein du tribunal, on s'est déterminé par cette circonstance, que le juge d'instruction unique de cette époque avait à instruire en moyenne 310 à 315 affaires correctionnelles et criminelles.

C'était trop évidemment.

On a donc à cette époque détaché un juge d'une chambre civile pour en faire une espèce de juge d'instruction supplémentaire ; et qu'est-il arrivé ?

C'est que ces deux juges d'instruction ont à peu près aujourd'hui autant d'affaires chacun qu'en avait le juge d'instruction unique, quand on a jugé nécessaire de lui donner un adjoint ; deux cent quatre-vingt-dix procédures environ, si ma mémoire est fidèle. Dans cette situation, je crois que, pour assurer une bonne police judiciaire dans un arrondissement où elle est si difficile, précisément à cause du voisinage de la frontière et de la nature flottante de sa population ouvrière, il est indispensable de nommer un nouveau juge d'instruction au tribunal de Charleroi.

M. Jacobsµ. - Messieurs, il est une cause de l'arriéré du tribunal de Bruxelles qu'on n'avait pas fait connaître jusqu'à présent et que l'honorable M. Orts vient d'effleurer : c'est que le gouvernement qui, antérieurement, dans les contestations où il est défendeur, avait toléré qu'on assignât l'Etat devant les tribunaux des chefs-lieux de provinces, oppose aujourd'hui l'incompétence et exige maintenant qu'on l'assigne devant le tribunal de Bruxelles.

M. Guilleryµ. - La cour d'appel de Gand s'est déclarée d'office incompétente.

MjBµ. - C'est le tribunal de Gand.

M. Jacobsµ. - Que ce soit la cour d'appel de Gand, comme le dit l'honorable M. Guillery ; ou que ce soit le tribunal de la même ville, comme le dit M. le ministre de la justice, peu importe ; si les tribunaux se récusent d'office, il y a une réforme à faire ; il est de l'intérêt de l'Etat et des particuliers que les procès contre les administrations publiques puissent être intentés devant les tribunaux de tous les chefs-lieux de province.

Il y aurait intérêt pour l'Etat, parce que les procès sont généralement mieux connus des fonctionnaires des chefs-lieux de province, directeurs de l'enregistrement, directeurs des douanes et accises, qui en ont suivi les négociations, parce qu'ils se trouvent sur les lieux du litige, tandis que les fonctionnaires de l'administration centrale à Bruxelles n'en ont été saisis que par les rapports de leurs subalternes.

Pour les particuliers, l'intérêt est évident ; il leur importe de ne pas être distraits de la province où ils sont domiciliés, de ne pas être forcés de venir jusqu'à Bruxelles.

Ainsi, l'Etat et les particuliers sont également intéressés à ce que, soit par une tolérance, soit par une disposition législative, on puisse intenter les procès à l'Etat devant les tribunaux de tous les chefs-lieux de province.

Ce serait un moyen de diminuer l'encombrement du tribunal de Bruxelles. Cela ne suffirait pas pour éviter la création d'une chambre nouvelle, mais dans l'intérêt de l'Etat et des justiciables, la mesure aurait une utilité incontestable.

MjBµ. - Les honorables députés de Gand, MM. de Kerchove et Debaets, ont demandé au gouvernement s'il n'y avait pas lieu d'augmenter le personnel de la cour d'appel de Gand.

Il est en effet exact que ce personnel est signalé comme insuffisant et qu'un très grand nombre d'affaires sont en suspens devant cette cour. La cour d'appel de Gand ne peut même pas terminer les affaires qui ont été renvoyées devant elle et qu'elle doit juger chambres réunies, et des plaintes ont été adressées, à ce sujet, au département de la justice.

Il m'a été impossible de formuler une proposition qui pût être adoptée par la Chambre en même temps que le projet de loi actuel, parce que l'instruction de l'affaire n'a pas été menée à bonne fin jusqu'à présent. Mais ce que je puis assurer, c'est que je poursuivrai l'examen de cette affaire et que je m'efforcerai de parer aux inconvénients qui seront indiqués.

L'honorable M. Wasseige demande l'ajournement du projet jusqu'au moment où la Chambre s'occupera de la loi sur l'organisation judiciaire. Je crois que cette proposition ne peut être admise. En effet, depuis longtemps déjà, le projet d'organisation judiciaire est soumis aux délibérations d'une commission dont le rapport n'est pas encore déposé, malgré les vives instances du gouvernement, qui ne cesse de réclamer que la commission aboutisse. Pour ce qui est du tribunal de Bruxelles, des besoins urgents se font sentir. Faut-il, dès lors, attendre, pour faire droit aux réclamations des justiciables, que la Chambre vote le projet qui lui est soumis ? Evidemment cela n'est pas possible.

Je reconnais que si le projet de loi d'organisation judiciaire avait pu être discuté dans cette session, on aurait pu différer le vote du projet actuel. Mais je crois qu'en présence des nombreux projets soumis à la Chambre et du peu de temps que durera encore la session, il sera impossible de discuter le projet de loi sur l'organisation judiciaire. Force était donc de vous présenter un projet qui parât aux inconvénients résultant de la situation tout à fait exceptionnelle de l'arrondissement de Bruxelles.

Et en effet, les réclamations relatives au tribunal de Bruxelles datent de longtemps déjà. Ces réclamations ont fait l'objet de plusieurs débats au sein de la Chambre et à chaque budget, des députés se levaient pour réclamer du gouvernement un projet de loi augmentant le personnel du tribunal de Bruxelles.

L'honorable M. Wasseige a dit que cette augmentation amènerait sans doute d'autres projets ayant pour but d'augmenter le personnel d'autres tribunaux. Cela est possible, et je n'y vois pas grand mal. Une des plus grandes nécessités de la société, c'est la justice, et s'il m'est démontré qu'il y a dans d'autres tribunaux des besoins aussi sérieux que ceux auxquels le projet de loi actuel doit donner satisfaction, je vous avoue que, de grand cœur je proposerai à la législature un projet de loi pour augmenter le personnel de ces tribunaux.

Il n'est pas admissible, messieurs, qu'il faille des années pour obtenir justice. Devant le tribunal de Bruxelles, l'on ne peut plaider que lorsqu'on a figuré au rôle pendant un an ou un an et demi.

C'est une chose très fâcheuse, dans une société aussi avancée que la nôtre, de voir qu'il faille aussi longtemps pour obtenir que justice soit rendue, que des contestations civiles soient vidées. Je crois qu'il est d'une bonne administration d'augmenter le personnel de la justice au point que toutes les affaires soient jugées, à moins d'exceptions très rares, à la fin de l'année. C'est ainsi qu'on arrivera à empêcher les remises dont parle l'honorable M. Wasseige. Maintenant l'on accorde beaucoup de remises. Pourquoi ? Parce qu'on sait qu'une quantité de plaideurs sont pressés de passer avant les autres.

Certaines affaires traînent et restent au rôle pendant un temps très long. Mais lorsqu'on saura que le rôle doit dire vidé, il est certain qu'on se préparera et que les remises seront beaucoup moins nombreuses.

Il faut donc que les tribunaux soient composés de manière qu'ils puissent, à la fin de l'année, avoir vidé presque toutes les affaires. C'est le seul moyen d'empêcher un grand nombre des inconvénients signalés par l'honorable M. Wasseige.

M. Wasseige a dit que le tribunal de Liège demanderait probablement une augmentation, parce que le tableau publié à la suite du rapport de la section centrale accuse un arriéré de 700 affaires, tandis qu'au (page 476) tribunal de Bruxelles l'arriéré n'est que de 300 et des affaires. A Liège, messieurs, les plaintes ne sont pas aussi nombreuses qu'à Bruxelles et dès lors j’ai lieu de croire que c'est par suite d'une erreur du greffe que cette chiffre de 700 affaires est signalé. On porte souvent dans l'arriéré des affaires qui ne doivent pas s'y trouver. Cela s'est présenté au tribunal de Tournai où l'on accusait aussi un arriéré considérable, et il s'est trouvé qu'une foule d'affaires n'avaient pas été rayées tandis qu'elles auraient dû l'être. Je crois donc qu'il y a erreur dans les chiffres qui sont donnés relativement au tribunal de Liège. En tout cas, s'il m'était démontré qu'il y a réellement 700 affaires arriérées à Liège et si la magistrature réclamait une augmentation bien justifiée de personnel, je proposerais à la législature d'accorder cette augmentation.

M. Carlierµ. - Je n'ai pas à insister sur les considérations que l'honorable ministre de la justice vient de faire valoir, non plus que sur les considérations que l'honorable M. Orts développait tout à l'heure ; mais je crois de mon devoir d'appuyer les raisons qui viennent de vous démontrer l'urgence et la nécessité d'augmenter le personnel du tribunal de Bruxelles, en vous signalant entre autres un fait dont je puis, mieux que personne, vous certifier la réalité.

Je n'ai plaidé qu'une seule fois et très accidentellement devant le tribunal de Bruxelles. C'était l'an passé, il s'agissait d'une cause extrêmement urgente, mon adversaire et moi nous étions prêts et nous insistions pour plaider. Le tribunal, reconnaissant la nature urgente de l'affaire, désirait la vider aussi promptement que possible ; mais l'encombrement du rôle était tel, que malgré toutes ces circonstances la cause subit de nombreuses remises, au grand détriment des deux plaideurs.

Ce fait a d'avance assuré mon vote favorable à la loi qui vous est proposée ; il pourra, j'espère, aider à vous déterminer à lui donner vos suffrages.

M. Lelièvreµ. - Je me bornerai à dire quelques mots relativement aux observations proposées par l’honorable M. Jacobs. La jurisprudence dont a parlé l’honorable membre sur la compétence des tribunaux, quand il s’agit d’affaires contre l’Etat, n’est pas aussi constante qu’il l’a pensé. Plusieurs cours et tribunaux ont jugé avec raison, selon moi, que l’Etat est censé présent partout et qu’en conséquence il peut être assigné devant le tribunal du chef-lieu de chaque arrondissement, non seulement lorsqu’il s’agir d’actions réelles, mais même quand il est question d’affaires personnelles relatives à des intérêts agités dans l’étendue du ressort du tribunal. Quand à moi, j’approuve cette dernière jurisprudence fondée non seulement en principe mais même sur les dispositions du code de procédure civile. En effet, l’Etat est représenté par des agents et il doit être assigné en la personne du gouverneur de la province.

C'est d'après les mêmes principes qu'on décide que la prescription décennale et non celle de vingt ans est applicable à l'Etat qui est réputé présent partout ; je pense donc qu'il incontestable que l'Etat ne doit pas nécessairement être assigné devant le tribunal de Bruxelles, et cette jurisprudence est la plus généralement suivie.

M. Wasseigeµ. - Messieurs, je commencerai par déclarer que je n'ai aucune espèce d'animosité personnelle contre le tribunal de Bruxelles, et vous m'en croirez facilement. Je serais même très désireux, comme me l'a conseillé M. Orts, d'assister souvent à ses audiences, si j'avais la bonne fortune d'y entendre plaider l'honorable membre. Je parle en termes généreux, et l'honorable ministre de la justice vient lui-même d'avouer qu'il pensait comme moi, qu'il vaudrait peut-être mieux renvoyer la discussion de ce projet au moment où l'on discutera la loi d'organisation judiciaire, s'il y avait chance de pouvoir aborder cette loi dans un bref délai. Mais j'aime à croire que les membres de la commission spéciale chargée de l'examen de cette loi s'en occupent très activement, et que nous pourrons la discuter l'année prochaine, si le gouvernement le veut. Or, il n'y a pas une urgence telle, qu'on ne puisse pas attendre jusqu'à-cette époque.

J'ai cherché à démontrer que d'autres tribunaux sont dans la même position que le tribunal de Bruxelles et que ces autres tribunaux ne demandent pas d'augmentation. Pour me répondre, l'honorable ministre a dû invoquer une prétendue erreur commise au greffe du tribunal de Liège, mais ce n'est là qu'une supposition dont il n'a pas démontré l'existence et que je ne puis pas admettre.

D'autre part, si les observations présentées par les honorables MM. Lelièvre et Jacobs étaient admises, la besogne du tribunal de Bruxelles serait notablement simplifiée. Ou n'a pas répondu suffisamment à ces observations, pas plus qu'à celles que j'ai présentées en ce qui concerne l'augmentation du nombre des jours d'audience et à la meilleure direction à donner aux débats par plus d'énergie et de sévérité de la part du président de chambre. Voilà le véritable remède, et je ferai remarquer, à l'honneur du tribunal de première instance de Gand, dont je connais particulièrement le président, que là il n'y a presque pas d'arriéré, bien qu'il n'y ait que deux chambres et que la population du ressort soit très considérable et que cet état satisfaisant est principalement dû à la direction que lui imprime son chef.

Je persiste donc à penser qu'il n'y a rien d'urgent dans le projet de loi que nous discutons et qu'il n'y aurait pas d'inconvénient à attendre le projet de loi sur l'organisation judiciaire, dont nous nous occuperons très probablement l'année prochaine, surtout si l'on employait dans l'intervalle les moyens de guérison que j'ai indiqués pour un état parfaitement curable. Je ferai remarquer que mes observations ne tendent pas au rejet absolu du projet de loi, mais simplement à son ajournement.

MjBµ. - L'honorable M. Wasseige n'a pas été chargé par les tribunaux dont il a parlé de demander une augmentation de personnel. Or, je ne comprendrais pas que le gouvernement vînt demander une augmentation alors qu'il n'y a pas de plaintes. Mais en est-il de même du tribunal de Bruxelles ? Les plaintes ont été formulées par le barreau de Bruxelles, au sein de la Chambre des représentants par les mandataires de l'arrondissement de Bruxelles par les membres du conseil provincial et par toutes les autorités. Comme le faisait très bien remarquer M. Muller, l'arriéré du tribunal de Liège provient surtout de l'insuffisance des locaux ; il est impossible au tribunal de Liège de siéger, faute de locaux ; dès que des locaux suffisants seront disposés l'arriéré diminuera.

L'honorable M. Jacobs se plaint de ce que l'Etat plaide à Bruxelles soit comme défendeur, soit comme demandeur. Cela tient au code de procédure civile et nous ne nous occupons pas, en ce moment, de la réforme de ce code. C'est un objet qui viendra en temps et lieu. Maintenant qui a fait cette jurisprudence ? Ce sont les tribunaux eux-mêmes. Je me rappelle très bien que dans une affaire importante le tribunal de Gand s'est d'office déclaré incompétent. Une autre jurisprudence a prévalu à Liège ; mais ce n'est pas le moment de présenter un projet de loi ayant pour objet de changer les règles de la juridiction. Cette question sera examinée lorsqu'on traitera des matières relatives à la procédure civile.

M. Guilleryµ. - Je regrette que l'honorable M. Wasseige n'ait pas eu le loisir d'étudier un peu mieux la question sur laquelle il prend la parole. Ainsi il reproche au tribunal de Bruxelles son arriéré et il l'attribue en partie aux remises qui sont accordées et il a comparé au tribunal de Bruxelles le tribunal de Gand qui, suivant l'honorable M. Wasseige, est le modèle des tribunaux, attendu que le président de ce tribunal a l'honneur d'être personnellement lié avec l'honorable membre.

Il n'y a pas d'arriéré au tribunal de Gand. Savez-vous pourquoi ? C'est que ce tribunal modèle a jugé 82 affaires en une année. Voilà ce que révèle le tableau qui nous est donné ; et le tribunal de Bruxelles, auquel on reproche des lenteurs, juge en une année 479 affaires.

Or, un tribunal qui doit rendre en une année 479 jugements contradictoires doit travailler un peu plus que celui qui n'en juge que 82.

M. Wasseigeµ. - Il n'y a que 3 chambres.

M. Guilleryµ. - Alors même qu'il y a 4 chambres à Bruxelles et qu'il n'y en a que 3 à Gand, attendu que 479 est plus que le double de 82. S'il y a des remises, elles ne touchent en rien à la plus ou moins prompte expédition des affaires. Il y a des remises, parce qu'il n'y a pas moyen de maintenir toutes les affaires au rôle, à cause de l'encombrement, mais les audiences blanches sont inconnues à Bruxelles et je demanderai s'il y a beaucoup de tribunaux qui peuvent en dire autant. Non seulement les audiences blanches sont inconnues au tribunal de Bruxelles, mais les magistrats doivent souvent rester au palais, depuis 9 heures du malin jusqu'à 3 ou 4 heures de l'après-dînée. On plaide depuis 10 heures jusqu'à 2 heures. Après les plaidoiries il y a des accordandum, il y a d'autres devoirs qui existent en plus grand nombre dans la capitale que dans les villes de province et qui retiennent les juges jusqu'à 4 heures.

Il y a à Bruxelles des travaux qui ne se présentent peut-être devant aucun autre tribunal. Ainsi, par exemple, la besogne du président est beaucoup plus considérable à Bruxelles que partout ailleurs.

Les causes de l'augmentation du personnel du tribunal de Bruxelles sont des causes permanentes et qui ne feront que se développer. Malgré la création d'une cinquième chambre le personnel du tribunal ne sera bientôt plus suffisant en supposant qu'il le soit, pour un moment par cette raison qui va vous porter à augmenter de 2 le nombre des représentants de Bruxelles, c'est-à-dire parce que la population de la capitale augmente dans une proportion considérable et que Bruxelles est le centre des grandes affaires.

(page 477) M. Wasseigeµ. - Réclamez deux chambres alors.

M. Guilleryµ. - Presque toutes les compagnies financières décident que le siège de leurs affaires sera à Bruxelles alors même que leurs opérations se font en province.

Les sociétés d'assurances insèrent dans leurs polices une clause en vertu de laquelle les contestations qui pourront naître entre la compagnie et les assurés seront du ressort du tribunal de Bruxelles.

J'ai voulu compléter le tableau que nous a donné le gouvernement. D'après ce tableau, l'arriéré des causes civiles restant à juger au commencement de l'année 1863-1864 était de 480.

Il y avait augmentation non pas sur l'année immédiatement précédente, mais sur la moyenne des années précédentes. Or, le 15 août, l'arriéré était de 522 affaires. Au 15 août 1865, il était de 577, bien que le tribunal siège avec un zèle qui lui permet de rendre 479 jugements contradictoires en matière civile. Il en avait rendu 450 l'année précédente et 4G7 les années antérieures. Vous pouvez apprécier par là, messieurs, l'activité qui règne dans ce tribunal.

Les magistrats font tout ce qui est possible, et malgré cela l'arriéré augmente toujours. Il a augmenté encore depuis le 15 août. Les justiciables en souffrent et en souffriront peut-être longtemps encore.

- Plusieurs membres. - Aux voix !

M. Debaetsµ. - Messieurs, je regrette que la discussion ait un peu dévié. Il est évident que la mesure qui nous est proposée est utile ; cela n'est contesté par personne, mais le débat ayant dévié, on en est arrivé à établir des rapprochements et des comparaisons. On vient de nommer le tribunal de Gand.

M. Guilleryµ. - C'est M. Wasseige qui en a parlé.

M. Debaetsµ. - Je crois de mon devoir de déclarer et je suis sûr de n'être démenti par personne parlant en connaissance de cause que, parmi tous les tribunaux du pays, le tribunal de Gand se distingue par son énergique activité et le dévouement des magistrats qui le composent.

MjBµ. - C'est évident.

- Personne ne demandant plus la parole dans la discussion générale, cette discussion est close et la Chambre aborde celle des articles.

Discussion des articles

Articles 1 et 2

« Art. 1er. Le personnel du tribunal de première instance de Bruxelles est augmenté d'un vice-président, de deux juges, d'un juge suppléant et d'un substitut du procureur du roi. »

- Adopté.


« Art. 2. Le personnel du tribunal de première instance de Charleroi est augmenté d'un juge. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé à l'appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.

84 membres y prennent part.

83 répondent oui.

1 membre (M. Wasseige) s'abstient.

En conséquence la Chambre adopte. Le projet de loi sera soumis au Sénat.

Ont adopté :

MM. Mouton, Muller, Nélis, Notelteirs, Orban, Orts, Pirmez, Reynaert, Rodenbach, Royer de Behr, Sabatier, Snoy, Tack, Tesch, Thibaut, Thienpont, Thonissen, T'Serstevens, Valckenaere, Vanden Branden de Reeth, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Iseghem, Van Nieuwenhuyse, Vleminckx, Warocqué, Allard, Ansiau, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Carlier, Couvreur, Crombez, Debaets, de Bast, de Brouckere, de Conninck, De Fré, de Kerchove, Delaet, Delcour, de Macar, de Mérode, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, Devroede, Dewandre, de Woelmont, Dolez, Elias, Frère-Orban, Funck, Giroul, Goblet, Guillery, Hayez, Hymans, Jacobs, Jacquemyns, Jamar, M. Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Magherman, Mascart, Moncheur, Moreau et E. Vandenpeereboom.

MpVµ. - M. Wasseige est prié de faire connaître les motifs de son abstention.

M. Wasseigeµ. - Je me suis abstenu, messieurs, parce que, sans nier le besoin qu'il pourrait y avoir d'augmenter le personnel du tribunal de Bruxelles, je n'ai pas pensé qu'il y eût plus d'urgence pour ce tribunal que pour d'autres tribunaux du pays, et j'aurais voulu attendre la discussion du projet de réorganisation judiciaire pour pourvoir alors, en pleine connaissance de cause et par mesure générale, à tous les besoins légitimes et réellement fondées.

Projet de loi ouvrant un crédit au budgets du ministère des finances

Rapport de la section centrale

M. de Kerchoveµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau la rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi ouvrant un crédit de 75,000 francs au département des finances.

- Impression et distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Ordre des travaux de la chambre

M. Mullerµ (pour une motion d’ordre). - Messieurs, nous sommes saisis depuis quelque temps de la proposition de l'honorable Guillery relative à la réforme électorale et des propositions du gouvernement qui ont trait au même objet.

Comme cet examen a une importance très grande, je propose à la Chambre de fixer, dès aujourd'hui, un jour auquel les sections se réuniront pour prendre connaissance de ces deux projets et les examiner.

Je ne demanderai pas que l'on fixe un jour de cette semaine. Je proposerai par exemple mercredi de la semaine prochaine.

- L'examen en sections est fixé à jeudi.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l’exercice 1866

Discussion générale

M. Couvreurµ. - De toutes les institutions sociales, il en est peu qui exercent sur la vie organique d'un peuple, sur son développement moral et politique, sur sa prospérité ou sur sa ruine, une influence aussi grande que son organisation militaire.

Aussi, n'est-il pas étonnant, messieurs, que chaque année, depuis que la Belgique a reconquis son indépendance et fondé sa nationalité, le budget du ministère de la guerre soit l'objet des débats les plus ardents et les plus contradictoires.

Après les discours prononcés hier par MM. Le Hardy de Beaulieu et de Macar, après les propositions que ces honorables membres ont déposées, je croirais manquer à mon devoir si, comme l'année dernière, je me bornais à déposer contre la loi une protestation muette.

Je vais donc dire toute ma pensée sur la question qui nous divise, et je m'estimerai heureux si, à côté de froissements inévitables, je puis rencontrer quelques adhésions sympathiques.

L'année dernière, j'ai entendu, dans cette enceinte, une éloquente glorification des armées permanentes. Je dirai avec moins d'éloquence, mais avec non moins de conviction, qu'elles ont en moi un adversaire absolu. Elles ont pu avoir leur raison d'être. Je crois que l'heure est venue où elles doivent disparaître ; je crois que le triomphe prochain de la démocratie marquera leur chute ; je crois qu'en Belgique surtout, nous avons atteint un degré de civilisation qui ne nous permet plus de confier à ce système notre sécurité nationale.

Je suis l'adversaire des armées permanentes, d'abord, et avant tout, messieurs, parce qu'elles constituent une violation directe des droits naturels de l'individu.

Depuis la naissance de l'enfant jusqu'à sa vingtième année, l'Etat où existe une armée permanente ne s'inquiète pas des sacrifices et des peines de tout genre que coûte l'éducation de cet enfant.

Mais l'enfant est-il devenu un adolescent, a-t-il atteint l'âge où il doit devenir le soutien de ceux qui ont travaillé, pour lui, ou jeter les fondements d'une existence indépendante pour lui-même, l'Etat se présente, l'enlève à sa famille, au gagne-pain qu'il s'est choisi, lui ravit le droit si cher de disposer de sa personne et lui impose ; pendant les huit meilleures années de sa vie, une profession qu'il n'eût peut-être jamais choisie, qui répugne à tous ses instincts, qui le prive de sa liberté d'action et qui, de plus, le paye mal et le nourrit mal, à l'âge même où la nature a le plus d'exigences.

Un tel état de choses peut-il se concilier avec les droits les plus élémentaires d'un peuple libre ? Pouvons-nous, législativement, maintenir pendant un certain nombre d'années, une situation qui équivaut à l'ancien servage et cela sans remplir aucune des obligations qui pesaient sur le maître du serf ; à savoir, d'être responsable de la vie et de la vieillesse de celui dont il usait les services ? Jamais les peuples libres dans le vrai sens du mot ; jamais les Suisses, les Américains du Nord, les Anglais n'ont laissé s'enraciner chez eux des institutions qui violaient aussi ouvertement ce droit primordial de l'individu, d'être maître de son corps et de sa destinée.

Comment ces hommes enlevés à la carrière de leur choix sont-ils récompensés ? Et quelle indemnité reçoivent-ils ? Si l'Etat a réellement besoin d'une armée permanente, ne serait-il pas juste de faire racheter par la nation tout entière les sacrifices imposés à quelques-uns de ses enfants ?

La loi dit que nul ne peut être exproprié de son bien sans une juste et préalable indemnité. Or, vous astreignez l'adolescent à vous céder la libre disposition de ses forces pendant les meilleures années de sa vie. Il ne s'appartient plus, il devient la chose, le bien de l'Etat, représenté par le ministre de la guerre !

(page 478) Et ce journalier qui gagnait un salaire de deux francs peut-il se considérer comme suffisamment rétribué lorsqu'il a reçu de l'Etat les quelques sous de sa solde ? Ce salaire, prix de son indépendance, a-t-il été débattu librement entre les parties ? A-t-il été réglé par la loi de l'offre et de la demande ? Non, une seule partie a parlé, celle qui use et qui abuse des forces mises à sa disposition. Elle a fixé arbitrairement le prix de ces forces, et elle le baisserait encore si, en le faisant, elle ne courait le risque d'en compromettre l'existence. S'il y a un déficit, les privations des pères, des mères, des frères du soldat ne sont-elles pas là pour le combler ?

C'est Napoléon qui, le premier, avec la plus cruelle naïveté, développa la théorie qui fleurit aujourd'hui. Lorsque au conseil d'Etat présidé par lui on débattit l'extension de la conscription au service maritime, quelle fut sa réponse aux objections ? « Le ministre de la marine nous dit que, pour six sous de solde par jour, il ne peut se procurer de matelots ; c'est ici un de ces cas où la loi doit agir. On ne trouverait pas, non plus, des soldats à six sous par jour ; eux aussi préféreraient retourner dans leurs foyers et gagner 30 et 40 sous. La France est un pays trop riche pour qu'on y fasse de l'état militaire un métier. Ce que le cours naturel des choses ne peut nous donner, nous devons le demander à la force de la loi. »

Qu'est-ce à dire ? Le premier consul reconnaissait que ses soldats auraient pu gagner 30 et 40 sous par jour. Mais dans l'intérêt de l'Etat il fallait créer un ordre de choses qui enlevait aux citoyens ces 30 et 40 sous pour ne leur en donner que 6. Cela s'appelle un vol sanctionné par la loi.

Je le répète, si une armée permanente est jugée nécessaire, il faut que l'individu qui est contraint d'en faire partie reçoive la pleine indemnité de son travail et de son temps. Cette considération entraînerait des sacrifices tels que, seuls, ils rendraient impossibles les armées permanentes en temps de paix.

Faut-il, maintenant, examiner la question au point de vue du gaspillage des vies humaines ?

Les armées, telles qu'elles sont organisées aujourd'hui, choisissent leurs victimes ; il leur faut des adolescents forts, bien portants, ayant les qualités physiques requises pour le service, ni boiteux, ni bancals, ni sourds, ni aveugles, malingres ou rachitiques, la fleur de la jeunesse. On dirait que, dans ces conditions, la mortalité doit se réduire au minimum parmi les élus.

L'expérience prouve le contraire. Les miliciens, en franchissant le seuil des casernes, sont exposés à deux fois autant de chances de mort que ceux de leurs compagnons que la faiblesse de leur constitution laisse à la vie civile.

Déjà, en 1846, un médecin militaire français, le docteur Boudin, dans un mémoire couronné par la société d'hygiène (statistique de l’état sanitaire et de la moralité des armées de terre et de mer) a eu le courage de signaler l'extrême mortalité qui règne dans les années permanentes. D'après lui, tandis que dans la vie civile, sur 1000 individus âgés de 20 à 30 ans, il en meurt annuellement 10.3, sur mille soldats en temps de paix, il en meurt annuellement 19, et dans les régiments d'infanterie de ligne, en garnison en France, la proportion était de 22.5 cas de mort sur mille fantassins et de 16.8 cas sur mille sous-officiers.

L'écart serait plus grand encore si l'on pouvait comprendre dans la statistique, à la charge de l'armée, tous ceux qui, attaqués de maladies incurables prises au service, reçoivent leur congé, sont rayés des contrôles et s'en vont grossir les listes mortuaires de la population civile.

Les recherches du colonel anglais Tulloch et celles du médecin militaire suédois Liljenwach confirment les assertions du docteur Boudin. Des médecins français répètent le langage de leur confrère. « L'élite de notre jeunesse est exposée à une double mortalité et cela par le seul effet du casernement, s'écrie le docteur Bertillon, médecin de l'hôpital de Montmorency (statistique des causes de décès). »

En Prusse, on a constaté que, dans le premier corps d'armée, il meurt annuellement 17.6 hommes sur un contingent de mille soldats, et qu'à ce chiffre il faut encore ajouter 51 p/000 qui sont, chaque année, renvoyés dans leurs foyers comme devenus impropres au service ; de façon que ce corps a, par an, 68 par 1,000 de non-valeurs ! Enfin, il résulte des statistiques comparées des différentes armées d'Europe, que la mortalité s'accroît en proportion de la durée du service, abstraction faite, bien entendu, des cas de guerre.

Je pourrais encore supputer toutes les pertes que font éprouver à la société tant de bras robustes enlevés à la production industrielle ou agricole ; les émigrations, les désertions, les mutilations volontaires, le tort que fait à la moralité publique le célibat forcé de milliers d'hommes : ce que j'en ai dit suffit pour caractériser, au point de vue économique, les fruits d'un système que, chaque année, nos votes doivent sanctionner.

Restent les conséquences sur les finances des Etats. A l'heure qu'il est, la moitié de l'Europe est ruinée par son organisation militaire ; l'autre moitié ne supporte qu'avec impatience les lourdes charges qui, de ce chef, pèsent sur ses budgets et enrayent une foule d'entreprises des plus indispensables.

En Prusse, avant la dernière guerre du Nord, l'état militaire absorbait, en 1861, 42 1/2 millions d'écus sur un budget général de 94,400,000, dont 26 millions d'impôts directs ; pour toute l'Allemagne, y compris l'Autriche, les charges militaires s'élèvent à une rente annuelle de 150 millions d'écus sur un revenu total, en impôts directs, de 115 à 120 millions. La Russie est réduite à ouvrir un nouvel emprunt. L'Italie lutte avec un courage héroïque contre les dangers dont l'exagération de son organisation militaire menace sa jeune nationalité ; l'Espagne ne se soutient que par la vente désordonnée de ses biens nationaux ; enfin en France même, dans ce pays, l'idéal jusqu'à présent des armées permanentes, le souverain, malgré les difficultés très grandes de sa tâche, entre dans une voie d'économies reconnues nécessaires.

Quant à la Belgique, que pourrais-je en dire encore après le tableau d'une vérité si désolante qu'en a tracé hier l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu lorsqu'il vous l'a montrée, dans un discours qui restera un monument de patientes recherches financières et dont le retentissement sera plus grand dans le pays et au dehors que ne le croient ceux qui l'ont entendu hier avec une impatience mal déguisée, lorsqu'il vous l'a montrée, dis-je, compromettant, par ses fautes économiques, jusqu'à cette sécurité même pour laquelle elle s'impose, avec tant de longanimité, de si stériles sacrifices.

Et remarquons-le bien, messieurs, ces sacrifices n'ont pas encore atteint leur point culminant. Depuis 1854, nous sommes dans une voie qui nous mène fatalement à l'abîme. Le budget proprement dit ne s'élève qu'à 35 millions ; 35 millions sur un revenu de 35 millions en impôts directs, sur 130 millions de charges générales, mais il s'élève à près de 60 millions, si l'on y comprend les obligations des autres budgets, et notamment celles de la dette publique relative aux dépenses militaires.

Or, le dernier mot n'est pas dit. Anvers n'a pas produit tous ses fruits, et ces réclamations, dont je ne veux pas contester la légitimité, en faveur de l'augmentation des pensions militaires, et de la rigoureuse application de la mise à la retraite n'auront-elles pas pour effet de grossir encore la prime d'assurance annuelle que nous payons pour notre défense nationale ?

Tant de maux sont-ils nécessaires ? Le salut de la patrie dépend-il de leur perpétuité ? Si, à cette question, il fallait donner une réponse affirmative, je n'hésiterais pas à me résigner au silence. Sans doute, il faut entourer la vie et la liberté humaine de toutes les garanties imaginables ; mais la première de ces garanties n'est-elle pas l'indépendance de la nation qui assure ces biens aux citoyens qui la composent ?

Pour conserver cette indépendance, nous devons nous imposer tous les sacrifices compatibles avec nos ressources.

Tant que l'injustice régnera sur la terre, tant qu'il y aura en Europe des peuples libres et des peuples opprimés, des nations riches par le travail, d'autres avides de les dépouiller, tant que nous n'aurons pas réalisé la fusion de tous nos intérêts dans une commune solidarité, il faudra bien que les plus faibles soient armés pour la défense de leurs biens. Ici, je me rencontre avec les défenseurs de notre organisation militaire et je dis avec eux : Oui, périssent tous les principes de l'économie politique, périssent tous les droits sacrés de l'homme plutôt que de voir l'ennemi envahir nos cités, ruiner nos campagnes, s'asseoir en maître à notre foyer. Une heure de conquête nous coûterait plus cher qu'un siècle des plus lourds sacrifices. Mais là, messieurs, est précisément la question. Sommes-nous convaincus que l'organisation actuelle, pour laquelle nous commettons de véritables crimes de lèse-humanité, qui mange plus que nos revenus, qui indispose nos populations, qui introduit dans nos mœurs des tendances belliqueuses contraires à nos intérêts et à notre caractère, qui perpétue chez nous la plus immorale des loteries, sommes-nous convaincus que cette organisation nous met à l'abri du danger qu'elle doit conjurer ? Pour moi, sans révoquer en doute ni la bravoure de nos soldats, ni le patriotisme ou l'intelligence de nos officiers, je ne le crois pas ; et je retrouve le même doute jusque dans les convictions de partisans très dévoués du régime actuel.

Une armée peut avoir un triple but.

Ou bien elle doit servir à maintenir des institutions que la majorité de (page 479) la nation repousse ou que des minorités factieuses essayent de renverser.

Je ne serai contredit par personne en affirmant que, quant au premier point, nous n'avons pas besoin d'armée. Notre dynastie, nos institutions n'ont point besoin de la force pour se soutenir. Elles vivent par l'attachement des populations. Sur ce terrain, il n'y aura pas de divergences entre nous.

Avons-nous à craindre des troubles civils, un mécontentement local ? Moins nous aurons de forces armées, plus la sagesse des gouvernants saura éviter des conflits de ce genre ; mais si, par malheur, ils éclataient, ici encore je crois, et notre législation le croit avec moi, que l'armée est un mauvais instrument de répression, une mauvaise garantie de l'ordre. C'est aux citoyens eux-mêmes qu'incombe le devoir de le maintenir.

L'exemple des habitants de Londres s'enrôlant comme constables, celui de la Suisse, dans les derniers troubles de Genève, celui des Etats-Unis dans une guerre terrible et dont nous n'aurons jamais à craindre la pareille, est là pour prouver que les citoyens eux-mêmes sont parfaitement compétents pour empêcher une minorité factieuse de jeter le trouble et le désordre dans l'état social.

L'armée peut avoir encore pour but la conquête, l'action au dehors, l'agression contre le voisin. Certes, nous n'avons pas besoin d'une armée dans ce but-là. Nous repousserions la tentation des annexions pacifiques, à plus forte raison celles que, par une violation de notre neutralité, nous devrions demander à l'effusion du sang de nos semblables.

Reste le troisième but, le seul dont nous puissions reconnaître la légitimité, pour lequel nous puissions accepter des charges proportionnées à nos ressources : la défense de nos libertés, de nos institutions, la protection de notre foyer domestique.

Je le répète, messieurs, dussé-je sur ce point, me séparer de quelques partisans de la paix à tout prix, je ne crois pas que les temps soient venus, pour la Belgique, de renoncer à toute ressource défensive ; je vais plus loin, je ne crois pas, à moins d'une modification prochaine dans l'organisation de l'Europe, que notre neutralité nous dispense de veiller à sa sécurité. Démolir nos forteresses, fondre nos canons, suspendre nos armes aux panoplies ou, mieux encore, les transformer en instruments de travail ; vivre nous-mêmes comme les heureux citoyens de la pacifique Salente ; ce serait un beau rêve, mais ce serait un rêve ! Tant que la forme de gouvernement à laquelle nous devons notre repos intérieur et notre prospérité ne sera pas celle de tous nos voisins, tant qu'il y aura des pays près de nous où la volonté du souverain peut entraîner des millions d'hommes dans tous les hasards des entreprises les plus injustes, tant que la richesse des peuples pacifiques excitera la convoitise des peuples batailleurs, tant qu'il y aura des nations qui placeront l'amour de l'unité au-dessus des bienfaits de la liberté, et des hommes d'Etat habiles à exciter ce sentiment au profit d'institutions condamnées à disparaître, aussi longtemps enfin que les intérêts du travail ne domineront pas les préjugés et l'orgueil des races et que la fraternité internationale ne sera que l'embryon d'un ordre nouveau, nous devons rester en mesure de défendre les biens dont nous jouissons. Si petits, si faibles que nous soyons, il y aurait de la honte à ne pas tenter, au moins, la résistance, et dussions-nous succomber dans une lutte inégale, la défaite ne serait que momentanée. Un peuple qui le veut bien n'est jamais vaincu, et l'énergie de sa protestation lui crée des titres au retour d'une fortune meilleure.

J'admets donc, messieurs, pour la Belgique, et comme une conséquence même des traités qui ont établi sa neutralité, l'obligation de faire respecter cette neutralité. Mais la question est toujours de savoir si notre organisation actuelle, si coûteuse qu'elle soit, et précisément parce qu'elle est coûteuse, répond à cette nécessité ; si l'instrument dont nous disposons est un instrument efficace ; si, même, il n'est pas un danger au lieu d'être une sauvegarde.

Ce qu'à ce point de vue je reproche à notre organisation militaire, c'est de ne pas être faite exclusivement pour la défense. Notre armée est modelée sur celles des plus grands Etats ; elle est faite pour la conquête, pour la répression des troubles intérieurs bien plus que pour notre protection. Cela se révèle dans les moindres détails : par sa juridiction exceptionnelle, par les privilèges dont elle jouit, par les droits dont elle est privée, par les rigueurs de sa discipline, par les lois qui régissent l'avancement et par la pratique qui préside souvent à l'application de ces lois, elle est en opposition avec l'esprit même de nos institutions.

Elle développe dans nos populations si industrieuses, si amies du travail, des goûts de conquête et d'agression. C'est à ces tendances que nous devons ces nombreuses désertions que signalait un jour, dans cette enceinte, l'honorable ministre de la guerre, c'est à ces tendances que nous avons dû d'imprudentes suggestions faites, lors de la guerre d'Orient, pour nous faire sortir de notre neutralité ; c'est à elles que je fais remonter la responsabilité de cette malencontreuse expédition du Mexique, que nous ne saurions assez déplorer ; ce sont elles, enfin, qui, un jour, pourraient favoriser les desseins de quelque conquérant étranger intéressé à assimiler nos troupes aux siennes et à les entraîner dans l'orbite de ses destinées.

A côté de ces éléments trop ardents, l'armée en renferme d'autres enlevés, pour un temps trop long, à leurs occupations naturelles ; mécontents de leur sort, aspirant à le changer, forcés, comme par l'ancien servage, à des travaux qui leur répugnent et dont ils ne comprennent pas l'utilité, qui ne peuvent se faire à la vie commune des casernes, à la garde de monuments qui se garderaient bien tout seul, à la protection de postes que nul ne songe à attaquer, à toutes ces puérilités et à toutes ces misères qui émaillent la vie du soldat. Ceux-là se battraient bravement sans doute comme se bat tout homme qui défend sa patrie en même temps que sa vie et qu'entraîne l'exemple de ses camarades et de ses chefs, mais sans cet enthousiasme qui anime le citoyen armé pour la défense de sa maison, de sa femme, de ses enfants ; sans cet entrain qui donne la victoire aux plus petits bataillons ; sans cette vigueur enfin qui a immortalisé nos pères dans les plaines des Flandres, qui a fondé les libertés suisses à Morat et à Sempach, qui enfin, pour ne parler que des temps les plus modernes, a écrasé avec de jeunes milices prussiennes, organisés par Scharnhorst et qui apprenaient l'exercice au bivaque, a écrasé les vieilles troupes aguerries du premier empire aux journées de la Kalzbach, de Gross Beeren et de tant d’autres rencontres qui annonçaient les bienfaisants désastres de Leipzig et de Waterloo.

Le pays, messieurs, a le sentiment vague de cette situation. De là, l'hostilité si grande, l'hostilité croissante que rencontre chaque année, sur ces bancs, le budget de la guerre ; de là ces récriminations, en apparence si peu patriotiques, en réalité si légitimes, cependant, contre les charges de l'organisation actuelle. On craint qu'après les avoir subies, pendant tant d'années, elles ne restent stériles ; que l'armée si vaillante qu'on la suppose, ne se fasse inutilement écraser par des masses supérieures pour ne plus laisser subsister derrière elle aucune résistance ou bien que, réfugiée derrière les canons d'Anvers, elle n'abandonne le pays aux dévastations de l’ennemi, dévastations d'autant plus redoutables, d'autant plus cruelles, que la défense réduite à une seule citadelle serait plus énergique.

C'est là, messieurs, une situation des plus regrettables et des plus dangereuses.

Regrettable pour le pays qui manque de confiance et d'idées arrêtées, regrettable pour le pouvoir qui ne sait comment donner satisfaction aux nécessités du problème, regrettable pour l'armée, pour les officiers qui en sont l'âme et qui, voyant chaque année mettre en doute leurs services et leur existence sociale, craignent qu'un vote imprudent ne brise leur carrière, ne leur enlève la récompense de leurs efforts, bien qu'ils dussent être bien convaincus que personne de nous ne songe à porter atteinte à leur position ou à leurs droits légitimement acquis.

Diverses organisations peuvent être préconisées pour substituer à l’état actuel des choses une force exclusivement défensive telle que le pays peut et doit la posséder. Peut-être entreprendrais-je de les mettre en regard, de discuter leurs mérites respectifs de montrer leurs avantages et leurs inconvénients, si, à côté d'une méfiance envers mes propres lumières, je ne trouvais la proposition formulée par l'honorable M. de Macar et à laquelle je suis prêt à me rallier, s'il veut bien, à son tour, me faire quelques concessions.

L'idée d'une enquête parlementaire est une idée juste et honnête, inspirée par un louable sentiment de patriotisme. A coup sûr, elle ne vient pas d'un ennemi du gouvernement, ni de l'armée.

M. de Macarµ. - Non, certes.

M. Couvreurµ. - Elle est essentiellement gouvernementale et conservatrice, elle répond à la pression de l'opinion publique, à des nécessités avec lesquelles il faudra compter aujourd'hui ou demain ; qu'on le veuille ou non. Je l'accepte, et en l'acceptant, je donne un gage de modération et de prudence dont j'espère qu'on voudra bien me tenir compte.

Si mauvais que soit le système qui nous régit actuellement, l'enquête votée, je serais prêt à proclamer qu'aucun changement n'y pourra être apporté, qu'aucune transformation affaiblissant les ressources de défense (page 480) de la nation ne pourra être opérée, tant qu'un système meilleur n'aura été discuté et ne sera prêt à y être substitué.

Ce système, quel sera-t-il ? J'ai la confiance que ce sera un de ceux dont j'ai essayé de signaler les principes ; mais, dût mon espoir être trompé, dût l'enquête prouver qu'il n'y a de salut pour la patrie que dans une armée permanente avec tous ses vices, eh bien, je veux bien courir les chances d'une défaite et ne pas imiter ces plaideurs qui refusent un arbitrage sous prétexte qu'il met en cause la base même de leur droit, J'ai, quant à moi, une telle confiance dans la bonté du principe qui renferme, à mon avis, la solution du problème, j'ai un tel respect pour les intérêts qu'il s'agit de sauvegarder, que je n'hésite pas à accepter l'enquête même sur le principe que je condamne si énergiquement : sur le principe des armées permanentes.

Mais, me dira-t-on, nous avons eu une enquête. C'est elle qui, au lieu d'un budget de 25 millions, notre desideratum, nous a donné le monstre informe qui nous dévore aujourd'hui. Je ne le sais que trop ; et c'est parce que je le sais que je remercie l'honorable député de Huy de vouloir substituer à l'ancienne enquête une enquête parlementaire, telle que les enquêtes se pratiquent en Angleterre toutes les fois qu'un grand intérêt social est engagé.

Je me suis donné la peine de lire l'enquête de 1854. Qu'y ai-je constaté ? Deux choses, bien faciles à prévoir, une fois son point de départ accepté,

La commission nommée par le gouvernement se composait d'hommes dont les opinions étaient connue. Leur seule mission fut de les discuter contradictoirement. Quel pouvait être le résultat d'un tel procédé ? Un compromis, entre les vues divergentes, mais aucune lumière nouvelle. Aussi qu'arriva-t-il ?

Il y avait dans la commission douze membres militaires, toujours à leur poste, onze membres civils parmi lesquels il y en avait qui s'absentaient souvent des délibérations, apparemment parce qu'ils étaient convaincus de l'excellence des vues de la majorité. Les autres, les dissidents, ceux qui résistaient, qui discutaient, furent pris par les détails et écrasés par les votes. Il y avait bien entre les éléments militaires fonctionnant sous l'œil du ministre de la guerre des divergences, mais ces divergences tenaient à leurs positions dans l'armée.

L'un parlait pour l'infanterie et ne savait trop la vanter, l'autre pour la cavalerie, un troisième pour l'artillerie et le génie, si bien que pour se mettre d'accord tous ces appétits se coalisaient et scellaient la paix aux dépens des contribuables. Voilà pourquoi nous avons aujourd'hui une armée permanente de cent mille hommes, une cavalerie beaucoup trop considérable, vu notre système défensif et une réserve enfin qui a bien un peu pour mérite d'augmenter le nombre des sinécures militaires.

Ce n'est pas ainsi que je comprends une enquête destinée à asseoir l'organisation de notre système défensif sur les bases rationnelles, conformes à nos besoins, à nos ressources, à notre état social. Des membres du parlement pris dans toutes les opinions devraient seuls y siéger, seuls ils auraient le droit de faire comparaître devant eux les spécialités militaires ou autres, capables de les éclairer sur les mérites et sur les vices du système en vigueur parmi nous, sur les abus et les avantages des systèmes en usage chez d'autres nations, et spécialement chez celles dont les mœurs et les institutions ont le plus d'analogie avec les nôtres. De cet ensemble de de positions contradictoires sortirait un faisceau de faits, consacrés par l'expérience et plus propres à éclairer les convictions que les théories les mieux combinées ex professo sur l'art militaire et sur ses nécessités.

Un des avantages de cette façon de procéder serait de créer, pour la discussion au sein des Chambres, un groupe d'hommes dont nul ne songerait à contester la compétence.

Aujourd'hui, il semble que pour oser discuter en détail le budget du ministère de la guerre, il faille avoir, tout au moins, porté l'épaulette. M. le ministre ne nous dit pas cela dans cette enceinte, il est trop galant homme, mais cela s'écrit dans des brochures militaires et cela s'accepte dans une partie du public. On dirait vraiment, lorsque nous discutons le budget de la guerre, que le colonel Hayez seul soit en droit d'en approfondir les secrets.

M. Jacobsµ. - Et on ne lui répond pas.

M. Couvreurµ. - Evidemment je ne veux pas donner raison au préjugé. Abstraction faite des questions économiques et financières engagées dans le problème et où notre avis ne peut être récusé, l'organisation militaire elle-même n'est pas une œuvre si compliquée qu'il faille avoir passé trois années sur les bancs de l'école militaire pour en comprendre le mécanisme.

Ou, d'ailleurs. cela s'enseigne-t-il, les lois de l'organisation militaire ? Et pour m'en enquérir devrai-je consulter un général d'infanterie qui sait plus ou moins bien masser un bataillon, ou un général d'artillerie au courant de tous les secrets de ses redoutables engins de destruction ? Le problème de la meilleure organisation militaire d'un pays est un problème essentiellement politique et administratif que nous allons devoir approfondir, et la compétence spéciale qui sera le bénéfice de l'enquête proposée par M. de Macar, n'a d'autre but que de déblayer notre route plus facilement des embarras dont on voudrait l'encombrer pour effrayer notre responsabilité ou nous arrêter dans l'accomplissement de notre tâche.

J'espère que sur ces points l'honorable député de Huy me donnera raison ; j'espère encore que nous ne nous divisons pas sur le point de départ des travaux de l'enquête. Sans exclure de son examen le principe d'une armée permanente, je ne veux en rien revenir sur la concession que j'ai faite. Elle devra évidemment, en fixant un système défensif quelconque, l'asseoir sur les ressources réelles du pays, sur une juste proportionnalité à maintenir entre les dépenses de l'armée et les recettes du Trésor ; sinon, la proposition n'a plus de sens. Il ne servirait de rien de rechercher en théorie, quelle pourrait être la meilleure organisation militaire possible. Il faut que celle qui sortira de l'enquête soit mise en harmonie avec les ressources économiques du pays- A quoi bon imposer aux populations une charge telle que la prime d'assurance mangerait le capital assuré ? Ceci est une affaire de bon sens.

La commission de 1854 elle-même l'avait compris. Elle reconnut des ses premières séances qu'il y avait des bornes qu'elle ne pouvait franchir, que les ressources du pays n'étaient pas inépuisables. Seulement, au fur et à mesure de sa marche, elle mit en oubli ce sage principe, et de déviation en déviation, elle en est arrivée où vous savez. De la part d'une commission composée principalement de militaires, le procédé était excusable. L'amour du métier devait leur faire oublier des préoccupations essentiellement économiques, mais nous qui sommes responsables des deniers publics, nous qui savons ce qu'il en coûte de gagner sa vie, nous n'aurons garde de perdre de vue cette donnée si essentielle de la question. Nous ferons l'enquête avec le désir de ménager les ressources du trésor et de réduire des sacrifices au minimum compatible avec notre sécurité.

Où je me sépare de l'honorable député de Huy, c'est quant au moment où l'enquête doit commencer. Il la veut après le dépôt du rapport du ministre de la guerre ; je crois qu'il la faut immédiate.

La majorité de cette Chambre paraît avoir une grande confiance dans le rapport qui lui est promis et M. de Macar partage ce sentiment. Mais ce rapport ne nous apprendra rien que nous ne sachions déjà. Ce n'est pas de lui que nous viendra la lumière. Comment voulez-vous, en effet, que l’honorable général Chazal, pour lequel le système actuel est un système parfait, rationnel, en harmonie avec les besoins et les ressources du pays, l'honorable général qui en a toujours défendu les qualités avec une conviction profonde et un talent que je voudrais pouvoir égaler dans la critique, comment voulez-vous que, sans donner un démenti à toutes ses paroles, à tous ses actes, à tous ses précédents, il puisse consigner, dans ce rapport, autre chose que la justification, à quelques détails près, de ce qui existe. Croire le contraire, c'est lui faire injure. Ou le rapport ne contiendra rien, ce qui rendrait plus inexplicable le retard de sa présentation, ou ce sera un laborieux plaidoyer.

Et c'est sur ce plaidoyer que vous voulez établir votre enquête ! Mais vous n'y songez pas. Ainsi présentée, elle devient un acte de méfiance, elle met le gouvernement en suspicion. Je la repousse dans ces conditions. Je ne veux pas faire l'enquête contre le pouvoir exécutif, mais avec lui, et dans les vues les plus patriotiques. Le rapport viendra en temps et lieu, comme une pièce à l'appui de l'enquête, mais non comme un élément principal.

Ne sentez-vous pas d'ailleurs que jamais le moment ne fut mieux choisi pour ouvrir l'enquête ? Nous sommes à la veille d'élections où la question militaire jouera son rôle, quoi qu'on fasse, autant au moins que la question de l'extension du suffrage ; nous sommes au début d'un règne qui s'annonce sous les plus heureux auspices. Quel moment plus opportun de donner à l'opposition cette garantie d'un examen approfondi et efficace, de calmer ses scrupules, de conquérir le calme sur cette question, d'arriver, enfin, à une solution acceptable pour tous du problème qui nous divise, depuis trop longtemps7

Dira-t-on que cet examen est dangereux, qu'il affaiblit l'armée ? Mais l'état actuel des choses ne l'affaiblit-il pas dans de bien plus fortes proportions ? D'ailleurs comment pourrait-on condamner aujourd'hui le principe concédé il y a quinze ans et si mal appliqué ? Si notre organisation militaire est sans tache, sans reproche d'aucun genre, elle sortira triomphante (page 481) de l’épreuve ; si elle ne l'est pas, les modifications qu'elle subira ne seront pas dictées seulement par un besoin d'économie, mais par des faits empruntés à la sagesse d'autres nations et sanctionnés par l'expérience. Enfin, messieurs, la tâche n'est-elle pas de celles qui réclament le concours de toutes les intelligences, et si, comme on nous l'a dit dans une discussion antérieure, la Couronne s'est réservé le droit d'examiner à loisir le rapport qui doit nous être soumis, n'avons-nous pas le droit et le devoir de l'assister, voire même de la précéder dans ce travail ? Ce n'est pas moi qui eusse jamais fait intervenir, dans ce débat, le nom du Roi, d'un Roi jeune, aimé et digne de l'être, qui, pour conserver les avantages de l'admirable position qu'il a prise, au début de son règne, doit rester étranger à nos dissentiments, ne point peser par ses convictions sur les nôtres.

Mais, puisque le mal est fait, puisqu'un nom auguste a été mêlé à ce débat, prouvons au souverain, avant même de connaître son opinion, que, comme lui, nous ne voulons que le bien du pays ; que ce bien, nous voulons l'assurer de commun accord avec lui ; que ses intérêts sont les nôtres, que nous ne séparons ni sa personne, ni sa dynastie de nos libertés ; qu'enfin, puisqu'il est le chef de notre force défensive, nous sommes prêts à lui donner, comme les Gantois à d'Artevelde, les Brabançons à Jean le Victorieux, non pas une armée enlevée à la glèbe, recrutée par les chances du hasard du milieu de populations inconscientes, mais une nation tout entière, debout, virile et forte, pour défendre encore, après dix batailles perdues, ses enfants et les nôtres, le trône et la Constitution.

J'ai essayé, messieurs, de résumer les idées que je viens d'avoir l'honneur de développer devant vous dans une proposition qui sous-amende celle de l'honorable M. de Macar, et que je désire soumettre à votre vote.

En voici le texte :

« La Chambre, animée du désir d'introduire des économies dans le budget du ministère de la guerre, de façon à rétablir entre les dépenses militaires et les revenus du trésor une juste proportion, charge une commission de rechercher, par voie d'enquête parlementaire, l'organisation militaire la plus propre à concilier la sécurité du pays avec ses ressources économiques. »

M. Bouvierµ. - J'ai quelques courtes observations à présenter en réponse au discours qu'a prononcé hier l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu.

La question du budget de la guerre, messieurs, ayant été envisagée par l'honorable préopinant au point de vue purement financier, je veux le suivre sur ce terrain, afin qu'en dehors de cette assemblée l'opinion publique ne puisse s'égarer et croire que nos finances soient dans un état alarmant, alors que notre situation est bonne et j'ajoute même brillante.

Il faut, a dit l'honorable M. Le Hardy, ménager les ressources du pays, si, poursuivant ses nobles destinées, il veut accomplir de grandes choses.

Je suis entièrement de l'avis de l'honorable membre. Mais 35 années de prospérité constante ne répondent-elles pas victorieusement à ses alarmes ?

35 années d'un règne à jamais glorieux attestent que le pays a fait de grandes choses et est arrivé à un degré de prospérité inconnu jusqu'à ce jour.

Et cependant les budgets de la guerre ont absorbé depuis notre régénération politique 1,330,998,648 fr. et 14 centimes, que le consciencieux économiste n'a point oubliés.

Ce chiffre paraît exorbitant à l'honorable membre. Il faut le réduire, dit-il, et si 25 millions de francs peuvent suffire à l'honorable ministre de la guerre, il les accorde, en se déclarant satisfait, lui et l'économie politique dont il est le fervent apôtre.

Examinons donc le système de l'honorable membre. Son système consiste à obtenir un budget à prix réduit ou, pour être plus exact, à prix fixe.

Ainsi pour lui, si l'honorable ministre de la guerre veut arriver dans cette Chambre avec un budget de 25 millions, il se sentira parfaitement heureux et content et la situation financière de grevée qu'elle lui paraît aujourd'hui, devient pour lui prospère et brillante.

Je ne puis, messieurs, approuver le système de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu ; je préfère, je le proclame hautement, celui de l'honorable M. Coomans ; je ne vois pas l'honorable membre dans cette enceinte ; je le regrette car je suis persuadé qu'il serait très satisfait de l'éloge que je vais faire de son système.

Quel est donc le système de l'honorable M. Coomans ? Ce système, le voici ; il est d'une simplicité remarquable. Il ne veut ni miliciens ni soldats, ni généraux ni caporaux. Il ne veut rien, absolument rien. L'armée pour lui est une véritable superfétation, un rouage inutile dans l'Etat. Son patriotisme à lui ne doit pas lui coûter un centime.

Ce système est clair, rationnel, parfaitement logique, tandis que celui de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu ne l’est à aucun point de vue.

En effet, messieurs, que faut-il dans l'intérêt du pays ? Une armée solide, une armée capable de nous défendre, ou pas d'armée.

Or, je le demande à M. le ministre de la guerre, peut-il, engageant sa responsabilité, avec un chiffre de 25 millions, assurer la défense du pays ?

MgCµ. - J'ai déclaré plus d'une fois le contraire.

M. Bouvier.µ. - Eh bien, en présence de cette déclaration, les 25 millions de l'honorable membre auquel je réponds seraient dépensés en pure perte, 25 millions seraient jeté dans le néant, ce serait ici le cas pour l'économie politique de jeter des cris d'alarme, et dans une pareille situation je me laisserais ébranler par eux. J'ai vu d'après la statistique de tous les budgets dont l'honorable M. Le Hardy nous a fait la nomenclature, qu'ils se sont toujours élevés au chiffre de 30 et même de 35 millions et que dans des années exceptionnelles ils ont atteint un chiffre plus considérable.

M. Guilleryµ. - Ils ont été plus bas aussi.

M. Bouvierµ. - Or, je vous le demande, s'il avait été possible d'assurer la sécurité du pays avec un budget de moins de 25 millions, M. le ministre de la guerre serait-il venu de gaieté de cœur nous offrir un budget de 35 millions, un budget qui est dans cette enceinte l'objet d'une opposition constante ? Je ne le pense pas.

Mais, dit l'honorable M. Le Hardy, nous avons une dette considérable, une dette qui s'élève à 600 millions ; cette situation est grave, elle est menaçante. Ce que vous devez faire, c'est réduire vos dépenses, et si vous ne le faites pas vous risquez fort, lorsque vous vous représenterez devant vos électeurs, de ne plus voir renouveler votre mandat. Eh bien messieurs, je consacrerai, s'il le faut, à la défense du pays notre dernier sou et j'arriverai devant mes électeurs avec la conscience parfaitement tranquille et s'ils ne veulent plus renouveler mon mandat, j'aurai obéi aux inspirations de mon patriotisme et de ma conscience qui me disent qu'avant tout nous devons rester Belges et que notre pays doit être défendu contre toute agression étrangère.

Mais, dit l'honorable membre, il faut réduire la dette au plus vite. Je le veux bien, mais à côté de la dette il faut tenir compte des nombreux travaux publics que nous avons exécutés dans notre pays. A côté donc de ce passif de 600,000,000 nous avons un boni de 455,000,000.

L'honorable M. Le Hardy, je dois lui rendre cette justice, a parlé de ce chiffre, mais il a glissé légèrement sur l'importance des travaux publics faits en Belgique et il n'a pas soufflé un mot de l'affranchissement de l'Escaut.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Cela est dans mes chiffres.

M. Bouvierµ. - C'est possible, mais vous n'avez pas attiré l'attention de la Chambre et du pays sur ce point. Vous n'avez pas non plus dit un seul mot des octrois.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je n'ai pas donné les détails.

M. Bouvierµ. - Soit, mais j'aime bien, moi, à donner les détails parce qu'il faut que le pays sache que ceux qui sont partisans du budget de la guerre savent également pourvoir aux besoins du pays et faire les sacrifices nécessaires pour augmenter, de jour en jour, ses ressources ,sa prospérité et les hautes destinées auxquelles notre patrie est appelée !

Vous n'avez pas parlé de la suppression des barrières... (Interruption) Vous n'avez pas un mot du creusement de nos canaux, de l'amélioration de nos ports ; vous avez oublié de proclamer le nombre considérable d'écoles élevées sur la surface du pays.

Mais vous avez dit que nous avions une dette de 600 millions et vous avez ajouté que nos budgets futurs étaient grevés de 35 millions escomptés sur les futurs excédants.

Je ne méconnais pas la vérité de ces faits, mais je le demande : à quoi donc doivent servir ces 33 millions qui grèvent nos budgets futurs ? Au développement de nos travaux publics.

L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu nous dit : Il faut amortir Ia dette. Amortir toujours, amortir sans cesse. Mais nous n'avons pas attendu l'arrivée de M. Le Hardy de Beaulieu dans cette enceinte pour créer une caisse d'amortissement. Cette caisse fonctionne, a toujours (page 482) fonctionné, Mais tous les ans nous amortissons pour une somme de 7 millions de francs. Vous l'avez reconnu vous-même. Cela ne suffit pas, dit M. Le Hardy de Beaulieu : il faut que cet amortissement se fasse en un temps moins long, il faut que cet amortissement se fasse en 20 ans, afin que nous laissions à la génération future une situation quitte et libre.

Mais, messieurs, la génération future trouvera une situation financière admirable, l'une de plus belles situations qui existent en Europe : Cela est tellement vrai, qu'on nous dispute à l'étranger notre honorable ministre des finances. (Interruption.)

L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, qui trouve la situation si périlleuse, n'en a pas moins insisté, cependant, lors de la discussion du budget des travaux publics, pour obtenir que le chemin de fer de Bruxelles vers Châtelineau passât par Nivelles.

Je demanderai à l'honorable membre, comment, s'il faut amortir et amortir toujours, il arrivera à satisfaire par le chemin de fer de Nivelles ses nombreux commettants. Si l'économie politique doit conduire aux résultats indiqués par M. Le Hardy, je vous avoue que je commence à m'en effrayer. Il faudrait pourtant être logique, et si d'une part on veut demander à M. le ministre des finances d'amortir, il faut bien se résigner à ne plus rien exiger de M. le ministre des travaux publics.

Bien que j'aie dit en commençant mon discours que je serais très court, je veux cependant encore faire une observation au sujet de la proposition de M. de Macar, proposition à laquelle vient de se rallier M. Couvreur. (Interruption.) M. de Macar désire qu'une commission parlementaire soit nommée et que cette commission puisse ouvrir des enquêtes.

M. de Macarµ. - Ma proposition ne comporte pas les développements que vous lui donnez.

- Un membre. - C'est la proposition de M. Couvreur.

M. Bouvierµ. - Soit ; eh bien, je ne suis pas partisan d'une commission parlementaire et encore moins de l'institution d'enquêtes, et en voici les motifs : De deux choses l'une, ou le rapport qui vous a été promis par M. le ministre de la guerre portera la lumière dans nos esprits ou il donnera lieu à une discussion. Si le rapport porte la conviction dans nos esprits, il est inutile de créer une commission parlementaire ; dans le cas contraire nous sommes ici pour discuter le rapport d'après les données de notre bon sens. Mais, me direz-vous, il faudra nous adresser à des spécialités. A quelles spécialités ? à des spécialités militaires ! Mais permettez-moi de finir par une expression triviale mais vraie ; s'adresser à des spécialités militaires, ce serait aller se confesser au diable.

Une semblable confession ne pouvant apaiser les scrupules de ma conscience, vous me permettrez de m'en abstenir.

M. Allard, rapporteurµ. - L'honorable M. Couvreur disait tout à l'heure qu'il importe de faire cesser l'hostilité qui renaît tous les ans lors de la discussion du budget de la guerre ; il voudrait un budget établi sur une base définitive et invariable. L'honorable M. Couvreur a dit en d'autres termes ce qui se disait dans cette enceinte de 18400 à 1845.

A cette époque le budget de la guerre était attaqué comme il l'est depuis quelques années.

On nous disait alors : Changez la loi d'organisation, et tout sera fini ; il faut, dans l'intérêt de l'armée, que son sort soit définitivement arrêté,

La loi de 1845 est survenue ; mais quelques années après, les mêmes attaques étaient dirigées contre le budget.

J'en trouve la preuve dans le rapport que j'ai eu l'honneur de présenter, au nom de la section centrale, sur le budget de 1852, Je disais alors :

« Depuis plusieurs années, le budget de la guerre donnait lieu à de longs débats dans le sein des chambres législatives ; la résolution prise par le gouvernement d'examiner mûrement, avant la discussion du budget de 1852, les diverses questions relatives à notre établissement militaire et de s'entourer, à cet effet, des lumières d'une commission qu'il nommerait fut accueillie favorablement par la Chambre. Le budget de 1851 fut voté à la majorité de 71 voix contre deux, cinq membres se sont abstenus.

En présence des attaques qui se renouvelaient sans cesse, le gouvernement soumit à une commission la question de savoir s'il y avait lieu de changer la loi d'organisation.

Je me suis dit alors qu'au lieu d'un budget de 26,787,000 fr., car tel était le chiffre du budget qu'on présentait alors, j'étais bien certain que la conclusion du rapport qu'on nous promettait serait une augmentation de 5 a 6 millions pour le budget de la guerre pour 1850.

Lorsque le rapport est arrivé à la Chambre, mes prévisions étaient réalisées. Le budget s'est élevé de 26,787,000 fr. à plus de 32 millions.

Mais enfin on était d'accord ; l'armée pouvait être parfaitement tranquille ; c'était un budget normal et de longtemps l'on ne s'en occuperait plus.

Eh bien, quelques années après, les attaques que vient encore de reproduire l'honorable M. Couvreur en fort bons termes, ont recommencé. Et maintenant que nous propose-t-on ? De nommer une nouvelle commission pour examiner s'il n'y a pas lieu de changer la loi de 1853.

M. le ministre de la guerre nous a promis un rapport. Ce rapport, nous ne l'avons pas, et l'on propose une enquête parlementaire pour arriver à avoir un budget établi sur une base fixe et invariable.

Eh bien, je prédis à l'honorable M. Couvreur que si l'on nomme une commission d'enquête et que si le budget de la guerre et fixé pour 1867 à 25 millions, il ne se passera pas deux années avant qu'on ne demande qu'il soit réduit à 20 millions.

Messieurs, je le déclare, je ne suis pas partisan des commissions, parce que plus on en nommera, plus, selon moi, le budget augmentera.

L'honorable M. Vleminckx a témoigné le désir de voir modifier l'arrêté royal du 18 avril 1855 en ce sens que la mesure de la mise à la retraite soit applicable, en temps de paix, à tous les officiers à l'âge déterminé par cet arrêté.

Je ne suis pas partisan de cette modification de l'arrêté de 1853. La Chambre doit se rappeler que, depuis que cet arrêté a paru, il ne s'est pas passé une année sans qu'on vînt se plaindre de l'augmentation des pensions militaires, de ce que le ministre de la guerre mettait à la pension des officiers très capables de servir encore quelques années.

La cinquième section, qui a posé la question de savoir s'il n'y avait pas lieu de modifier l'arrêté royal de 1853, a demandé en même temps si l'on ne pourrait pas élever de quelque peu la limite d'âge pour la mise à la retraite.

Voilà deux propositions contradictoires. D'une part, on veut que l'on mette à la retraite tous les officiers arrivés à l'âge fixé par l'arrêté, lors même que ces officiers seraient des hommes valides, des hommes capables de servir encore pendant plusieurs années, et d'autre part, cette même section veut qu'on élève l'âge fixé pour la mise à la retraite.

Messieurs, je trouve que lorsqu'un homme a conservé toute sa vigueur, est capable de continuer son service, on doit le maintenir le plus longtemps possible sous les drapeaux.

Dans tous les cas, comme le gouvernement doit nous présenter sons peu un rapport qui viendra probablement modifier l'organisation de notre armée, je voudrais que jusqu'à ce que le budget de 1867 fût voté, M. le ministre de la guerre ne mît aucun officier à la retraite ; et je vais vous dire pourquoi.

Il paraît certain que l'organisation sera changée quant à la composition des corps. Si le gouvernement pensionne tous les officiers qui sont arrivés à la limite d'âge et s'il les remplace immédiatement, en cas de modification de l'organisation des régiments d'infanterie, de cavalerie, d'artillerie et du génie, beaucoup d'officiers nommés en remplacement de ceux qui seront pensionnés, seront mis immédiatement en non-activité. Eh bien, je préfère que ces officiers ne soient pas mis en non-activité et qu'ils conservent la solde d'activité dans leur grade actuel et attendent quelque temps pour obtenir de l'avancement.

L'honorable M. Thonissen nous a donné des détails très intéressants qui vous ont tous convaincus qu'il y avait nécessité d'augmenter de 75,000 fr. le chiffre porté à l'article 5 du budget pour terminer au plus tôt la carte topographique. M. le ministre de la guerre vous a soumis, dans la séance du 6, un amendement ayant pour objet d'augmenter le crédit de 95,000 fr.

Vous avez dû voir, dans le rapport, que la section centrale a été favorable à une proposition qui lui a été faite d'augmenter, comme le propose l'honorable M. Thonissen, de 75,000 fr., le chiffre de 100,000 francs pour la confection de la carte topographique, mais elle n'a pas voulu la formuler, parce qu'elle a cru qu'il appartenait au gouvernement de faire la demande de crédit, lorsque le moment opportun serait arrivé.

M. le ministre ayant déposé la proposition, je dois déclarer, au nom de la section centrale, qu'elle s'y rallie.

Messieurs, je voudrais que ce chiffre de 100 ou de 173 mille francs disparût du budget de la guerre. Il me semble que cette dépense ne concerne pas le budget économique de la guerre. Elle est utile à divers départements, je dirai même à tous les départements et principalement à celui des travaux publics.

J'engage donc M. le ministre de la guerre à faire disparaître du budget prochain le chiffre qui y figure depuis plusieurs années comme charge extraordinaire et temporaire, et a demander un crédit d'un million, si cela est nécessaire, pour l'employer, à mesure des besoins, à la (page 483) confection de cette carte, dont tout le monde reconnaît l’utilité pour le pays.

M. de Brouckereµ. - Messieurs, dans la séance d'hier et dans celle d'aujourd'hui, on a formulé plusieurs propositions qui, au premier abord, semblent pouvoir donner lieu à de très longues discussions. Je demande à la Chambre la permission de lui présenter quelques observations qui auront peut-être pour résultat d'abréger ces discussions.

L'honorable M. de Macar a proposé à la Chambre la nomination d'une commission parlementaire qui serait chargée de faire une enquête sur les questions qui se rattachent à notre organisation militaire et au budget de la guerre. Si j'ai bien compris l'honorable membre, il n'avait d'autre but que celui de faire porter l'enquête sur les modifications à introduire dans notre organisation militaire et dans le budget de la guerre, sur la nature et l'étendue de ces modifications, eu égard aux changements introduits pendant ces dernières années dans l'organisation de notre défense militaire.

C'est bien dans ce sens que l'honorable membre a donné des développements à sa proposition et j'entends d'ici l'acquiescement qu'il donne à l'explication que je viens de présenter à la Chambre.

La proposition d'enquête ainsi réduite me semble défendable, surtout si l'on y admettait quelques modifications. Mais cette proposition a, selon moi, le défaut d'être prématurée.

En effet, la Chambre a invité le gouvernement à lui présenter un rapport détaillé sur les modifications que réclament notre organisation militaire et notre budget ; ce rapport, en la possession duquel j'aurais voulu que la Chambre fût déjà depuis quelque temps ; ce rapport au moins nous est annoncé pour une époque rapprochée. Eh bien, c'est précisément sur ce rapport que doit rouler l'enquête, si la Chambre se décide à en faire une. Quelle base aurions-nous aujourd'hui pour faire l'enquête dont on parle ? Nous n'en aurions aucune.

Les hommes spéciaux ne sont pas nombreux dans cette Chambre ; et je ne sais pas trop quel serait celui d'entre nous qui prendrait l'initiative pour proposer la modification dont il s'agit.

Pour qu'une enquête puisse avoir lieu, il est indispensable que nous ayons d'abord le rapport que nous avons demandé. J'engage très sérieusement l'honorable M. de Macar à consentir à ce que la proposition dont il est l'auteur soit ajournée ; il la reproduira quand la Chambre aura reçu communication du rapport très complet, on vous l'a dit, de M. le ministre de la guerre, et alors nous pourrons examiner la proposition de l'honorable membre en connaissance de cause et prendre une décision convenable.

Aujourd'hui, messieurs, un de mes honorables voisins a commencé par dire qu'il se ralliait à la proposition de l'honorable M. de Macar, tout en lui demandant la permission de l'amender jusqu'à un certain point ; mais quel a été l'amendement de l'honorable M. Couvreur ? C'est un amendement qui donne à la proposition de l'honorable M. de Macar une tout autre portée que celle que la proposition avait dans la pensée de son auteur. En réalité, l'amendement de l'honorable M. Couvreur n'est pas un amendement à la proposition de l'honorable M. de Macar ; c'est une proposition toute nouvelle et qui aune portée infiniment plus grande.

Que veut l'honorable membre ? Que la Chambre nomme une commission d'enquête dont le premier soin et la tâche principale seront d'examiner s'il convient de maintenir une armée permanente. Ce sera la grande question, la question capitale que la commission d'enquête aura à examiner ; le surplus ne consistera que dans des questions de détail.

Messieurs, je concevrais qu'on réunît dans une des grandes capitales de l'Europe un congrès européen dans lequel on examinerait s'il convient que les puissances maintiennent, chacune, une armée permanente. Mais aussi longtemps que toutes les puissance qui nous entourent en conservent une, sera-ce la Belgique qui prendra l'initiative pour supprimer la sienne ? Evidemment non.

Que pourra donc faire la commission d'enquête que vous nommeriez, si vous adoptiez la proposition de l'honorable M. Couvreur ? Elle examinera d'abord la question au point de vue général, la question des armées permanentes. J'admets qu'elle arrivera à cette conclusion, parfaitement d'accord avec l'opinion de l'honorable membre auquel je réponds, que les armées permanentes sont une chose très coûteuse, une chose qui entraîne mille maux, mille calamités, mille injustices ; elle déclarera tout cela ; puis elle ajoutera une petite réserve à sa conclusion, et cette réserve, quelle sera-t-elle ? Si mauvaises, si fâcheuses, si désastreuses que soient les armées permanentes, il faut bien que la Belgique conserve la sienne, aussi longtemps que les autres gouvernements en auront une. Et remarquez-le bien : l'honorable membre, dans les développements qu'il a donnés à sa proposition, a plus ou moins fait entendre qu'il en devait être ainsi ; il vous a dit qu'il comprenait toute la difficulté qu'il y aurait à réaliser le vœu qu'il émettait ; il vous a dit qu'il ne voulait pas que la Belgique fût désarmée ; il vous a dit qu'il n'entendait, à aucun prix, exposer sa patrie aux envahissements de voisins dans lesquels il m'a paru même qu'il n'avait pas une confiance illimitée ; et s'il en est ainsi, je déclare franchement que je ne sais pas à quoi servirait cette commission d'enquête. Je la suppose aussi favorable que pourrait le désirer l'honorable membre lui-même à l'opinion qu'il a défendue ; j'admets que la commission d'enquête, à l'unanimité, se déclarera l'adversaire des armées permanentes ; eh bien, cette commission d'enquête ne conclura pas à la suppression de l'armée permanente en Belgique, aussi longtemps qu'il existera une armée permanente dans tous les pays qui nous entourent.

La proposition de l'honorable M. Couvreur, je ne l'admets pas aujourd'hui ; je ne l'admettrai pas plus lorsqu'on examinera le rapport de M. le ministre de la guerre ; la proposition de l'honorable M. Couvreur, je la combats d'une manière absolue.

Quant à celle de l'honorable M. de Macar, je demande que l'examen en soit ajourné, à moins qu'elle ne soit retirée par l'honorable membre.

Reste la troisième proposition, celle que nous a présentée l'honorable. M. Le Hardy de Beaulieu et qu'il a accompagnée, je veux bien le reconnaître avec l'honorable M. Couvreur, de détails fort intéressants.

Mais en réalité, messieurs, que vous propose l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu ? Rien que ceci : c'est de décider aujourd'hui, 8 mars 1866, que sur les budgets des années futures, on fera, sans explications, sans renseignements, des économies globales telles qu'en 1870 elles atteindront le chiffre de 20 millions.

Ainsi, tandis que la Constitution nous ordonne avec grande raison de. voter le budget annuellement, c'est- à-dire, d'arrêter chaque année les dépenses et les recettes de l'année qui suit, l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, d'un mot, bouleverse tout cela, donne un démenti à la Constitution, la déclare absurde, et veut que nous disions que nous allons faire, sur chaque année, des économies qui monteront, d'ici à quatre ans, à 20 millions, et pour donner un commencement d'exécution à sa proposition, il vous engage à décider immédiatement que vous voterez une réduction de 2 millions sur le budget de 1866.

- Un membre. - Sur le budget de la guerre.

M. de Brouckereµ. - Sur le budget de la guerre ou tout autre budget. L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, dans la proposition que je viens de combattre, ne fait aucune distinction.

- Des membres. - Si ! si !

M. de Brouckereµ. - Pardon ; dans la première proposition, il demande une économie de 20 millions sur le budget de la guerre et sur les autres budgets. Cela lui est bien égal où l'argent se prend ; pourvu que vous lui procuriez 20 millions en 1870, et ainsi de suite, il est parfaitement content. Il ne se montre pas difficile, mais, pour 1866, il veut, que nous déclarions dès aujourd'hui que nous allons faire une réduction de 2 millions.

Or, je lui déclare que je ne voterai pas une réduction de 2 centimes s'il ne m'a pas démontré d'abord que cette réduction est conforme .aux intérêts du pays. Je ne vote pas des réductions en aveugle. Il ne suffit pas de dire que 2 millions sont bons à prendre pour que je les prenne.

Sans doute, ce serait une chose fort belle, une chose admirable même que de trouver 20 millions pour amortir notre dette en très peu d'années. Mais est-ce que, pour trouver ces 20 millions, nous allons mettre tous les services du pays en souffrance ?

Nous avons l'habitude de voter le budget en connaissance de cause, après une discussion approfondie. Je suis très convaincu que dans les dépenses que j'ai votées, il n'y a rien d'inutile. Il me serait donc impossible de voter à tout hasard une diminution, non pas de 2 millions, mais de 2,000 fr., si l'on ne me montre que l'on peut supprimer ces 2,000 fr. dans le budget où l'on désire les supprimer.

Ce n'est pas ainsi qu'agissent des Chambres qui veulent sauvegarder les intérêts du pays.

Messieurs, l'honorable membre me fait l'effet d'un particulier qui dirait : J'ai 20,000 fr. de rente. Mais sur ces 20,000 fr., si j'en économisais 19,500 à partir de la présente année, cela me ferait, au bout de quelques années, un très joli petit capital.

C'est vrai ; mais l'honorable membre n'a pas songé qu'il faudrait alors qu'il vécût pendant chaque année avec 500 fr. L'honorable membre, je pense, n'est pas d'avis de vivre avec une somme de 500 fr. pas plus que l'Etat belge ne peut vivre avec une somme inférieure de 20 millions à celle qu'il dépense chaque année.

Je crois en avoir dit assez pour démontrer que la proposition de l'honorable M, Le Hardy de Beaulieu n'est pas acceptable.

(page 484) Je suis bien loin d'être l'ennemi des économies. Que l'honorable M. Le Hardy, à l'occasion des budgets de 1867, et puis de ceux de 1868, et puis de ceux de 1869, nous propose toutes les économies qu'il croira possibles dans notre système financier, nous les examinerons avec soin. Maïs je supplie l'honorable membre de ne pas nous mettre dans le cas de devoir ainsi voter sur une proposition de réduction considérable, sans examen, je le répète, sans renseignements, sans explications, sans débats contradictoires et absolument comme des gens qui s'aveugleraient volontairement, alors qu'il ne tient qu'à eux de voir clair.

M. de Macarµ. - Messieurs, je crois indispensable, avant de parler sur le fond de la question, de reproduire le texte de la proposition que j'ai déposée hier. Elle est ainsi conçue : « J'ai l'honneur de proposer la nomination par la Chambre d'une commission parlementaire chargée d'examiner le rapport de M. le ministre de la guerre. »

C'est dans ces termes que ma proposition a été faite ; elle n'avait d'autre but que de permettre, lors de la discussion du budget de l'année prochaine, une étude sérieuse de la question, qu'une commission, composée des hommes les plus spéciaux, les plus capables de la Chambre, aurait plus ou moins préparée.

Je ne vois là rien d'insolite. Lorsque M. le ministre de la justice présente un projet de loi, il arrive souvent que, la Chambre nomme une commission pour l'examiner.

Il n'y a donc rien d'extraordinaire à ce que dans une question aussi controversée que celle du budget de la guerre, la Chambre décide dès aujourd'hui qu'une commission examinera tout ce qui s'y rapporte.

M. de Brouckereµ. - Sera-ce une commission d'enquête ?

M. de Macarµ. - Jusqu'à un certain point si l'on veut, et si cela est nécessaire. Voici comment je l'entends,

Il est évident que le rapport de M. le ministre de la guerre contiendra certains grands faits qui doivent dominer le débat. Il y aura des principes posés, et ces principes devront être examinés avec le plus grand soin ; c'est de leur solution que dépendra le reste de l'organisation.

Eh bien, une commission nommée dès maintenant pourrait s'occuper de ces questions, et il n'est pas douteux que les membres devraient se renseigner auprès des généraux, auprès d'officiers propres à les éclairer sur certains points.

C'est bien ainsi que je l'ai entendue et je n'ai rien à changer à ce que j'ai dit à cet égard.

Cette commission, dont je demande la création, doit-elle être nommée aujourd'hui ou doit-elle être seulement nommée au moment du dépôt du rapport de M. le ministre de la guerre ? L'honorable M. de Brouckere m'a engagé tout à l'heure à retirer ma proposition, sauf à la reproduire plus tard.

J'avoue que je n'y vois pas grand inconvénient. Cependant j'avais des raisons pour vous la soumettre aujourd'hui, et les voici.

Il y a nombre d'années, déjà, que l'opposition au budget de la guerre désire avoir tous les éléments indispensable pour s'éclairer. Elle les a réclamés en plusieurs occasions, et c'est en présence de ce vœu que M. le ministre de la guerre a promis le rapport qu'il doit nous soumettre.

Quelle sera la position de la Chambre lors de l'exercice prochain, si elle n'a pas un travail sur ce rapport ?

Je n'en doute pas, le travail de M. le ministre de la guerre aura été élaboré avec beaucoup de soin, avec beaucoup de conscience. Il doit être passablement volumineux ; il sera parfaitement impossible à chaque membre de la Chambre de s'en rendre compte, si une commission spéciale ne vient pas nous indiquer les points sur lesquels doit porter le débat. Il est donc évident qu'en nommant une commission aujourd'hui l'on pourra mettre plus tôt la main à l'œuvre.

Le rapport est entre les mains de la Couronne, il doit subir l'examen du conseil des ministres.

Tout cela va nous mener à une époque où la Chambre ne siégera plus et alors nous serons obligés d'attendre la session prochaine pour nommer la commission que je réclame. (Interruption.)

Si l'on voit des inconvénients pratiques à ma proposition, si l'on m'objecte que la moitié de la Chambre doit être renouvelée, je n'insisterai pas ; mais ce sera à regret.

Je crois que si l'on arrive à la session prochaine sans avoir un travail préalable au moment de la discussion du budget de la guerre, quelle que soit la composition de la nouvelle Chambre, la question d'organisation de notre état militaire ne pourra encore être alors discutée à fond.

Au surplus, j'aurais voulu une explication très nette entre le département de la guerre et la Chambre. J'avoue même qu'une véritable enquête parlementaire ne m'effrayerait pas.

Il importe que le pays sache, enfin, à quoi s'en tenir sur les dépenses du budget de la guerre, qu'on sache ce qui est nécessaire à l'indépendance du pays, à la défense de notre nationalité, et ce qui peut, sans les compromettre, alléger les charges des contribuables.

Je le répète, il est indispensable que le pays soit éclairé d'une manière complète, il faut qu'il sache qu'il n'y a pas un centime dépensé sans nécessité absolue, et je remercie l'honorable M. Couvreur du jugement qu'il a porté sur les intentions qui ont dicté ma proposition. C'est un sentiment de patriotisme qui me fait agir, mais de plus un sentiment de sympathie pour l'armée, qui voit chaque année son avenir menacé. Je crois qu'il est de l'intérêt de tout le monde, que la question soit une bonne fois éclaircie.

Cependant, je le répète, comme la Chambre paraît disposée à attendre le rapport de M. le ministre de la guerre, je n'insisterai pas davantage pour qu'elle statue immédiatement sur ma proposition.

M. Rodenbachµ. - Messieurs, sans être prophète, je suis persuadé que le budget de la guerre devra subir une diminution. Je ne m'y attends pas cette année, mais j'ai la conviction intime que l'année prochaine cette diminution sera votée. On sera forcé de l'accorder parce que c'est le vœu du pays. Ce n'est pas seulement en dehors de cette enceinte que le désir est exprimé de voir réduire le budget de la guerre, sans toutefois désorganiser l'armée. Le même vœu a été formé par les sections et par la section centrale.

L'honorable M. Allard nous dit : Pourquoi demande-t-on tous les ans des diminutions. Je lui répondrai, c'est parce qu'on paraît ignorer au département de la guerre la devise que l’économie est un grand revenu. Elle est cependant digne de toute l'attention de M. le ministre. J'affirme, messieurs, que 35 millions est un chiffre énorme pour un pays neutre comme le nôtre. C'est le tiers du revenu total de la Belgique.

L'honorable M. de Brouckere a avancé qu'on examine toujours les budgets avec la plus scrupuleuse attention.

Je conteste cette assertion. Cette année on est allé en sections pour examiner ce budget de 35 millions. Sur 116 membres dont se compose la Chambre, 25 seulement se sont rendus en sections. Est-ce-là un examen approfondi ? On a attendu longtemps le rapport de M. le ministre de la guerre. Il est vrai que le gouvernement nous a fait connaître tardivement les motifs qui avaient empêché la présentation de ce travail et que nous avons agréé les raisons données par le ministre, mais on aurait dû... (Interruption.)

Il paraît que les interrupteurs sont contraires aux économies ; mais l'économie est une vertu et c'est un devoir pour un véritable représentant de la pratiquer.

J'ai dit dans la séance du 20 février que partout en Europe on songeait à réduire les charges militaires. Il en est ainsi en Italie et en France ; il n'y a que la Belgique où le budget de 35 millions paraît être stéréotypé.

Cependant il y a eu des époques où l'on comprenait que notre armée pouvait être parfaitement organisée avec une dépense de 27 millions ; c'était en 1849, lorsque toute l'Europe était sous les armes, et aujourd'hui on demande 8 millions de plus ! est-ce logique ?

L'honorable M. Couvreur pense qu'on ne doit pas attendre grand-chose du rapport qui va nous être présenté et qu'on n'obtiendra pas de diminution dans le budget ; j'espère, messieurs, que la Chambre réclamera vivement des réductions. Puisque le pays que nous représentons demande des économies, il faudra bien qu'on obéisse au pays.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - L'honorable M. de Macar, l'honorable M. de Brouckere et l'honorable M. Bouvier ont trouvé la proposition que j'ai eu l'honneur de vous soumettre, inacceptable. Je me propose, messieurs, de vous démontrer en quelques mots que cette proposition est extrêmement logique, qu'elle est parfaitement constitutionnelle et par conséquent acceptable.

Quelle est ma proposition ?

« Il importe à l'avenir du pays et à sa sécurité future de réduire autant que possible les obligations résultant de la dette publique. »

Voilà, messieurs, le principe. Je pense avoir parfaitement démontré hier (et personne ne m'a contredit aujourd'hui) qu'en continuant le système adopté depuis un grand nombre d'années, nous marchons, petit à petit, à grossir sans cesse nos obligations annuelles, obligations auxquelles nous ne pouvons nous soustraire quelles que soient les circonstances, quelles que puissent être les nécessités politiques, économiques ou autres dans lesquelles nous puissions nous trouver, c'est-à-dire l'obligation de payer religieusement et régulièrement la dette publique ; car si nous (page 485) persistons dans le système suivi, dans quelques années nous serons obligés, non plus à faire des réformes graduelles, successives, comme nous pouvons encore le faire aujourd'hui, et en tenant compte des faits existants ; mais des réformes radicales immédiates pour remédier à des situations qui peuvent devenir intolérables.

MfFOµ. - Vous avez mal fait vos calculs.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je les ai faits d'après des tableaux dressés par votre département. Si mes calculs sont mauvais, la faute en est, non pas à moi, mais aux documents qui nous sont distribués.

MfFOµ. - Avez-vous tenu compte que l'emprunt 5 p. c. était sur le point d'être entièrement éteint ?

M. le Hardy de Beaulieuµ. - J'ai calculé qu'il restait encore aujourd'hui 600 millions de dettes à amortir. (Interruption.)

C'est aussi dans un tableau publié par le département des finances que j'ai puisé ce renseignement.

De cette prémisse parfaitement justifiée et qu'on ne contredira pas, je pense, je déduis ma proposition que tous les excédants des budgets seront consacrés au rachat de la dette.

Evidemment la Chambre le décidera pour elle-même, puisque, comme je l'ai dit hier, elle est maîtresse des dépenses publiques et que, ce qu'elle ne vote pas, personne ne peut le voter.

En Angleterre, la loi exige que tous les excédants des budgets soient consacrés au rachat de la dette. Je ne propose donc pas une innovation, une chose qui serait nuisible à la bonne administration des finances de l'Etat, mais une chose parfaitement logique qui n'existe pas dans la loi chez nous, je le veux bien, mais que nous sommes certainement libres de décider pour nous...

MfFOµ. - Vous oubliez que la loi anglaise a supprimé l'amortissement.

M. Le Hardy «le Beaulieuµ. - On le regrette fort en Angleterre aujourd'hui. (Interruption). Lisez le dernier numéro de l'Economiste de Londres.

Deuxième proposition. « Le budget de la guerre comme tous les autres budgets seront réduits de manière à laisser, sur le budget de 1870, un excédant d'au moins 20 millions. » Voilà la chose impossible, inconstitutionnelle, illogique contre laquelle s'est élevé l'honorable M. de Brouckere.

Supposons que j'aie dit : « Le budget de la guerre comme tous les autres budgets seront réduits de manière à laisser des excédants quelconques. » Ma proposition n'aurait plus de but et c'est alors qu'on aurait pu lui reprocher avec raison de n'être pas logique. Il est évident que la Chambre cherche, tous les ans, à avoir des excédants.

Quelle que soit sa propension, dans certains cas, à pousser aux dépenses, je dois lui rendre cette justice qu'elle apporte dans les divers services toutes les économies possibles ou du moins une grande réserve dans le vote des dépenses nouvelles ou plus fortes. Ce n'est pas de gaieté de cœur qu'elle vote de gros budgets ; mais il faut le reconnaître, messieurs, elle se laisse parfois entraîner à certaines prodigalités. Et c'est surtout pour indiquer au pays le but à poursuivre, ce que, si nous le voulons, nous pouvons faire, que j'ai précisé cette proposition en indiquant un chiffre. La somme des réductions que je demande est-elle déraisonnable ? Peut-on l'atteindre ? là est toute la question, et je vais vous démontrer qu'elle peut être atteinte sans porter le trouble dans aucun service et sans justifier les appréhensions de l'honorable M. de Brouckere.

J'ai démontré hier à la Chambre, en citant des chiffres, que la sécurité du pays avait été sauvegardée pendant plusieurs années consécutives avec un budget de 26 millions.

Je n'examinerai pas en ce moment la question de savoir sur quels chapitres il pourrait être fait des réductions pour revenir à ce chiffre. Nous n'avons pas encore à cet égard de propositions du gouvernement ; mais nous savons, par l'expérience acquise ,que nous pouvons être parfaitement gardés et garantis avec un budget de 26 millions.

Voilà donc une première économie réalisable d'environ 10 millions. Je n'ai eu, pour obtenir le restant de mon chiffre, qu'à prendre le tableau où j'ai puisé mes autres renseignements ; et j'y trouve que depuis 1850 la plupart des budgets produisent des excédants de 6, 7, 8, 9 et 10 millions et au delà de recettes sur les prévisions du budget.

Les économies à proposer sur les autres budgets ne sont donc plus considérables. Mais je trouve aussi dans ces tableaux que la Chambre, se laissant aller à la propension à laquelle j'ai fait tantôt allusion, a souvent élevé les dépenses et dans des proportions plus considérables encore que l'excédant des recettes.

Eh bien, ce que je propose à la Chambre de décider, c'est qu'à l'avenir elle s'abstiendra, jusqu'à ce qu'elle ait assuré les finances de l'Etat contre ces obligations à jour fixe, contre les exigences que les nécessités sociales, celles de l'industrie et de l'agriculture pourraient un jour réclamer d'elles.

Je demande donc que la Chambre se décide à entrer une bonne fois et franchement dans la voie de la réduction de la dette publique, en ne dépensant pas, à mesure qu'ils se produisent, les excédants des budgets. En ajoutant ces excédants de recette aux réductions que nous pouvons faire sur le budget de la guerre et sur quelques autres dépenses non indispensables, nous arriverons aisément à obtenir, en 1870, les 20 millions d'économies que j'ai indiqués.

On me demandera peut-être pourquoi en 1870 plutôt qu'en 1867 ou 1868. J'ai proposé ce délai pour prouver que je ne veux pas agir à la légère, que je ne suis pas un impatient, que je ne veux pas sabrer dans le budget comme on pourrait le dire, en employant une expression vulgaire. C'est graduellement que je veux arriver à réduire les services au strict nécessaire ; voilà pourquoi j'ai fixé le terme de 1870.

Reste ma troisième proposition.

J'ai proposé de réduire cette année le budget de la guerre de 2 millions. MM. de Brouckere et Bouvier trouvent la proposition exorbitante. (Interruption.) Est-ce que par hasard nous ne pourrions pas proposer des réductions au budget de la guerre ?

Ni la Constitution, ni aucune loi ne m'obligent ni ne peuvent m'obliger à attendre le rapport pour faire cette proposition et la Chambre est parfaitement libre de la voter. Ce vote sera pour le gouvernement un avertissement de ce que veut la Chambre. Si la Chambre ne vote pas cette proposition, si elle ne manifeste pas sa volonté bien arrêtée d'arriver à une solution, il est évident que le gouvernement sera autorisé par le fait à nous demander un budget de la guerre aussi élevé et alors vous aurez à l'avenir à livrer chaque année une bataille sur ce budget, tandis qu'en adoptant le système que j'ai proposé, la Chambre et le gouvernement sauront ce qu'ils ont à faire et y gagneront beaucoup de temps.

Le gouvernement, éclairé par la décision que nous prendrons, viendra nous soumettre des propositions dans le sens du vote que nous aurons émis.

Puisque j'ai la parole, je répondrai un mot à l'honorable M. Bouvier. D'après lui, il n'y a que les défenseurs du budget de la guerre qui soient des patriotes.

M. Bouvierµ. - Je n'ai pas dit cela.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Tous ceux qui sont contraires aux dépenses militaires sont des gens qui veulent livrer le pays pieds et poings liés au premier venu.

M. Bouvierµ. - Je proteste contre un pareil langage, je ne l'ai pas tenu.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - J'ai parfaitement tenu note de ce que vous avez dit.

Je suis obligé de faire remarquer à l'honorable membre que ce n'est pas par des paroles, mais bien par des actions qu'on prouve son patriotisme. Pour défendre efficacement le pays, il faut que les moyens ne nous fassent pas défaut au moment suprême. C'est pour démontrer la nécessité de ménager nos ressources en temps de prospérité et pour les avoir à notre disposition dans les moments difficiles que j'ai proposé la Chambre à prendre une résolution sur cette question.

L'honorable M. de Brouckere tantôt a fait vibrer une autre corde. La Belgique, a-t il dit, pourrait parfaitement consentir à envoyer un plénipotentiaire dans un congrès européen où il s'agirait de la réduction des armées permanentes, mais elle ne peut prendre l'initiative des réductions.

M. Bouvierµ. - C'est du Don-Quichottisme.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Nous verrons. Je vous ai dit hier que la Suisse, qui a une population de moitié moindre que la nôtre, n'éprouve pas du tout le besoin d'avoir une organisation militaire permanente et j'étonnerai peut-être l'honorable membre en lui disant que la Suisse est beaucoup mieux armée et beaucoup plus en état de faire une résistance énergique que la Belgique tandis que ses dépenses militaires ne s'élèvent qu'à 4 millions par an.

M. Bouvierµ. - Les Suisses payent en personne.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Nous payons bien plus encore en personne, nous.

(page 486) En Suisse en est patriote volontairement ; ici nous sommes désignés par le sort. Mais, messieurs, il y a une considération que nous ne devons pas perdre de vue lorsque nous discutons cette question, c'est que nous ne sommes pas le seul pays où s'agitent ces questions, c'est que nous ne sommes pas les seuls en Europe qui cherchons à réduire les dépenses résultant de la paix armée. Un parti très nombreux dans tous les pays cherche et veut arriver au même résultat. Partout, comme vous l'a très bien dit tantôt l'honorable M. Couvreur, les budgets sont grevés de dépenses énormes résultant de la paix armée.

Eh bien, nous devons, nous nation libérale, coopérer à former l'opinion publique, qui grandit dans le sens du désarmement. C'est par l'opinion publique que cette question sera jugée et résolue en dernier ressort quoi qu'on fasse et l'opinion publique se transformera d'autant plus vite qu'elle trouvera des parlements pour écho et qui prendront l'initiative des réductions.

- Plusieurs membres. - Aux voix !

M. Guilleryµ. - Messieurs, j'ai jusqu'à présent voté le budget de la guerre parce que j'ai cru que les circonstances ne se prêtaient pas à une discussion sur notre organisation militaire.

Si j'ai discuté la question des fortifications d'Anvers lorsqu'elle était soumise à la Chambre, je n'avais pas cru devoir hâter le moment où la Chambre se livrerait à la discussion approfondie sur notre système général de défense et sur l'organisation de l'armée.

Depuis, messieurs, les circonstances ont changé. Le gouvernement lui-même a reconnu, en 1864, que des explications, qu'une discussion étaient nécessaires.

Le gouvernement a promis et a renouvelé cette promesse dans la séance du 25 janvier 1865, de présenter un rapport dans lequel il exposerait ses vues en cette matière ; mais, je dois le dire, les expressions dont s'est servi l'honorable ministre annonçaient non pas des concessions à l'opinion publique, non pas des modifications au système actuellement en vigueur, non pas l'intention de tenir compte en Belgique de ce qui paraissait agir si puissamment sur l'esprit du gouvernement dans les pays essentiellement militaires et qui ont, comme tels, à jouer un rôle permanent ; mais elles annonçaient, au contraire, l'intention d'éclairer les Chambres et le pays sur les motifs qui, suivant l'honorable général, doivent nous engager à conserver la même organisation.

Or, messieurs, je n'ai jamais cru que cette organisation fût appropriée ni aux exigences de la défense du territoire ni à nos ressources financières.

J'ai, en 1859, émis mes idées à cet égard. Je ne crois pas que le moment soit venu de les livrer de nouveau à la discussion. Je veux seulement expliquer comment, ayant patienté jusqu'en 1864, ayant en 1865 consenti à voter encore le budget de la guerre sous l'empire de la promesse d'explications qui, bien qu'elle ne me laissât que peu d'illusions, me paraissait cependant de nature à excuser encore ce vote d'attente et de patience en quelque sorte, je ne puis plus aujourd'hui émettre un pareil vote.

D'abord le rapport devait, suivant moi, nous être présenté avant le commencement de la session. C'est dans ces termes qu'il avait été promis par M. le ministre de la guerre et accepté par la Chambre.

De plus, je ne puis admettre un système d'intérim de 7 à 8 mois, pour un département aussi important que celui de la guerre, qui dépense 35 a 40 millions par an, pour une administration qui répond de la défense du territoire et doit diriger la construction d'une forteresse comme Anvers. Je ne puis admettre qu'un ministre intérimaire qui ne peut répondre à la plupart des interpellations qu'on lui adresse conserve pendant 7 ou 8 mois la direction du ministère de la guerre.

De deux choses l'une, ou il est ministre effectif administrant réellement et dès lors il doit accepter la discussion ; ou il ne donne que les signatures qui lui sont demandées, et dès lors, je trouve que ce rôle n'est pas constitutionnel et déplace la véritable responsabilité.

D'autres faits au sujet desquels je ne veux pas renouveler la discussion, mais imputables au département de la guerre, viennent se joindre aux considérations qui précèdent pour me faire un devoir de refuser mon vote au budget.

Telles sont, messieurs, les seules explications que je désirais donner à la Chambre pour expliquer mon vote.

- La discussion générale est close.

- Des membres. - A demain !

MpVµ. - Quand la Chambre veut-elle passer à la discussion des articles ?

- Des membres. - Aux voix la proposition de M. Le Hardy !

M. Ortsµ. - Je demande la parole, M. le président, pour répondre à votre question.

On demande de voter sur la proposition de M. Le Hardy de Beaulieu et sur celle de M. de Macar, qui ne se rattachent en aucune façon à la discussion des articles.

C'est la conclusion naturelle de la discussion générale.

MpVµ. - La proposition de M. Le Hardy de Beaulieu est en effet une proposition générale sur laquelle la Chambre peut d'abord voter.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - A la demande de mes amis je suis disposé à retirer les deux premières parties de ma proposition. Mais je maintiens la troisième, ainsi conçue :

« Il est fait sur le budget de la guerre de 1860 une réduction de deux millions de fr., à répartir sur les divers chapitres suivant les nécessités du service. »

M. Mullerµ. - Je ne comprends pas que, quand nous allons voter le budget article par article, nous puissions décider dès maintenant qu'il sera fait une réduction de 2 millions sur ce budget.

M. Hymansµ. - Je crois qu'après la déclaration que vient de faire l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, il n'est pas possible de voter dès maintenant sur sa proposition.

Telle qu'elle était d'abord conçue, elle constituait tout un système que la Chambre pouvait repousser par un vote et qui, d'après moi, devait être repoussé par la question préalable, par l'ordre du jour.

Maintenant l'honorable membre réduit la proposition à une réduction de 2 millions sur le budget de la guerre actuellement en discussion. Je demande que l'honorable membre explique article par article sur quoi il veut que ces réductions portent. Car nous pourrions aussi bien voter 20 millions de réduction que 2 millions de réduction sur le budget de la guerre.

Je ne comprends pas une semblable proposition.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je n'ai pas l'honneur d'être ministre de la guerre. Je suis membre de la Chambre des représentants. Mon droit est entier ; je puis donc proposer une réduction de 2 millions sur la totalité du budget de la guerre. C'est à M. le ministre de la guérie, qui a l'administration de son département, à nous faire des propositions établissant la répartition de cette réduction.

Je suppose un instant que la Chambre ait la volonté bien arrêtée d'arriver à une réduction de 2 millions sur le budget de la guerre. Si d'après l'avis exprimé je proposais au chapitre premier par exemple un réduction de 100,000 fr., la Chambre pourrait parfaitement bien repousser cette réduction par des considérations complètement étrangères à la question ; elle serait donc obligée alors de voter une réduction plus forte sur un autre chapitre et il est évident qu'ainsi elle pourrait, sans le vouloir, désorganiser complètement le ministère de la guerre. C'est le système contraire qui est illogique.

En procédant au contraire, comme je le propose, par chiffre global, d'ici au vote des articles, le gouvernement aura le temps, si ma proposition est adoptée, de faire la division entre les chapitres ; c'est son devoir ; ce n'est pas le nôtre.

MfFOµ. - Messieurs, l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, après avoir occupé hier l'attention de la Chambre pendant très longtemps, pour justifier la proposition sur laquelle vous êtes appelés à vous prononcer, est obligé de reconnaître aujourd'hui que cette proposition n'a pas un caractère sérieux, et il déclare la retirer.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je n'ai rien reconnu du tout.

MfFOµ. - Vous reconnaissez évidemment que la Chambre ne saurait sanctionner par un vote une pareille proposition. Vous avez consacré deux à trois heures au développement de votre thèse ; vous avez soutenu votre proposition comme ayant une grande importance, comme une chose extrêmement sérieuse ; vous avez cherché à démontrer à la Chambre qu'elle ne pouvait se dispenser de l'adopter ; et, au moment du vote, vous battez en retraite, vous retirez cette proposition, selon vous, si importante. Vous avez donc dû reconnaître qu'il était impossible que la Chambre pût s'y rallier. Et à quoi la réduisez-vous actuellement ? A une diminution globale de deux millions sur l'ensemble du budget de la guerre.

Eh bien, je dis que, même ramenée à ces proportions, la Chambre ne saurait émettre un vote favorable à une aussi étrange motion. (Interruption.)

L'honorable membre prétend qu'il a le droit de faire une pareille proposition. Soit ! je ne le conteste pas. Mais, comme corollaire du droit qu'il invoque, il a aussi le devoir de ne soumettre à l'assemblée que des (page 487) propositions raisonnables. Or, bien évidemment, sa proposition n'a pas ce caractère.

Nous demanderons à l'honorable membre comment la réduction qu'il veut faire prononcer pourrait se concilier avec les prescriptions formelles, impératives de la loi sur l'organisation de l'armée ? L'honorable membre, n'a pas, que je sache, proposé de modifier cette loi, que le pouvoir exécutif est cependant tenu d'appliquer aussi longtemps qu'elle existe.

- Plusieurs membres. - C'est évident.

MfFOµ. - L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, sans faire aucune proposition de nature à changer l'organisation de l'armée, vous engage tout simplement à enlever au gouvernement les moyens d'assurer l'exécution de la loi. Je le demande, messieurs, est-ce là une chose raisonnable ?

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - C'est constitutionnel.

MfFOµ. - Il serait très constitutionnel de proposer purement et simplement le rejet du budget de la guerre. Cela ne serait certes pas contestable. Mais ce n'est pas là ce dont il s'agit, et la question est de savoir si vous faites une proposition raisonnable, qui puisse être raisonnablement acceptée par la Chambre.

Je le répète : Si vous nous disiez : Je rejette le budget et voici les raisons pour lesquelles j'entends ne pas le voter, cela se comprendrait, cela serait rationnel. Mais l'honorable M. Le Hardy ne donne aucune espèce de raison, et il déclare n'en pas vouloir donner. Il se borne à proposer, sans se préoccuper le moins du monde de la justifier, une réduction de deux millions sur l'ensemble du budget ; et quand on lui demande à quels articles il entend appliquer cette réduction, il répond qu'il n'a point à s'occuper de cette application, que ce n'est point là son affaire !

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Ce n'est pas mon devoir ; c'est celui du gouvernement.

MfFOµ. - Mais évidemment, c'est votre devoir. Comment ! Le gouvernement vient dire à la Chambre : Voici un budget établi en exécution d'une loi organique, budget qui comporte nécessairement, pour tel service exigé par cette loi, une dépense déterminée. Le gouvernement justifie la dépense à raison des prescriptions de la loi. Et, sans contester les propositions du gouvernement, sans même les discuter, en un mot sans donner aucune espèce de motifs, vous réclamez une réduction globale de deux millions, alors qu'il vous est impossible d'indiquer les articles sur lesquels il y aurait lieu selon vous de réaliser des économies.

Eh bien ! j'en appelle à toute la Chambre ! est-ce là une proposition sérieuse et que l'on puisse dire raisonnable ? L'honorable membre a le droit de la faire ; mais assurément une assemblée législative ne saurait s'y arrêter, et encore moins la voter.

M. Allardµ. - Messieurs, la loi sur l'organisation de l'armée du 8 juin 1853, ayant déterminé les cadres, la durée du maintien des miliciens sous les drapeaux, la force en chevaux, sur pied de paix, des escadrons de cavalerie, des batteries d'artillerie à cheval et montées, du train d'artillerie ; tous les chiffres des budgets de la guerre sont pour ainsi dire stéréotypés, puisqu'il n'y a que très peu de crédits susceptibles d'éprouver des modifications annuelles ; en effet, il n'y a que les crédits relatifs à l'école militaire qui varient d'après le nombre des élèves admis, et ceux concernant les rations de pain, de fourrage, qui augmentent et diminuent selon la hausse et la baisse des prix des grains et des fourrages. Sur lequel de ces articles l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu veut-il proposer des réductions ?

M. Ortsµ. - L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu a parfaitement le droit de proposer ce qu'il propose, mais à la condition de poursuivre le but que voici : celui qu'on poursuit en Angleterre, quand on veut rejeter le budget et renverser le ministre qui le défend ou le cabinet tout entier, s'il se proclame solidaire.

On propose là une diminution qui n'a aucune espèce de signification comme chiffre, une diminution de quelques livres sterling, de quelques shillings. Il est entendu que si la réduction est adoptée, le budget est rejeté et le ministre condamné. C'est au fond une motion de défiance : le chiffre est une simple formule.

L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu ne peut pas espérer que la Chambre vote, dans une autre pensée que celle de rejeter le budget de la guerre, une réduction globale de 2 millions sur ce budget, sans dire sur quels articles ou du moins sur quels chapitres cette réduction sera opérée.

Ce serait un véritable piège pour ceux qui s'associeraient au vote de l'amendement de l'honorable membre dans la simple pensée de réduire. En effet, parmi les membres de la Chambre qui veulent des réductions, il peut y en avoir qui trouvent que des sommes beaucoup trop considérables sont nécessaires à notre cavalerie, et qui désirent opérer des réductions sur cet article, mais sur cet article seulement.

D'autres peuvent croire, au contraire, que l'article cavalerie ne saurait sans péril subir de réduction ; qu'il y a lieu d'opérer des diminutions sur les allocations concernant les forteresses, le matériel du génie, d'autres enfin seront d'avis de faire porter les réductions sur l'artillerie, voire même de supprimer la gendarmerie, en maintenant le reste. Comment voulez-vous amener toutes ces opinions divergentes sur les moyens à voter ce chiffre mystérieux de 2 millions de réduction, fût-il leur but commun ?

Non, pas d'équivoque ; que l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu fasse des deux choses l'une, car ce sont là les deux seules choses pratiques. Si l'honorable membre ne veut pas du budget de la guerre, qu'il vote bravement contre l'ensemble de ce budget, avec ceux des honorables membres de cette Chambre qui sont partisans de cette opinion ; mais si l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu veut seulement opérer une réduction préalable sur le budget, qu'il consente à nous montrer les articles de ce budget susceptibles de réduction jusqu'à concurrence de deux millions. Voilà le seul moyen pratique qui puisse mettre la Chambre à même de se prononcer d'une manière sérieuse et claire sur la proposition.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, je m'étonne vraiment de la position qu'on veut faire aux membres de cette Chambre. On nous dit : Vous avez le droit de voter contre l'ensemble du budget de la guerre ; mais supposons qu'une majorité dans une Chambre s'associe à un pareil vote, voilà donc la désorganisation jetée dans un des services publics les plus importants.

Savez-vous, messieurs, où nous conduit le système qu'on m'oppose ? C'est de n'avoir de réduction que si le gouvernement y consent.

Ainsi qu'on vient de m'en donner le conseil, si je venais proposer des diminutions sur tel ou tel article du budget, l'honorable ministre de la guerre viendrait me dire : « Connaissez-vous les nécessités du service ? » Et je serais infailliblement battu.

On ne conteste sans doute pas le droit de la Chambre de réduire le budget ; mais ce droit, d'après le système indiqué, serait complètement inopérant pour ceux qui voudraient s'en servir.

Si je demandais, par exemple, une réduction de 50,000 ou 100,000 fr. sur le chapitre de l'infanterie, on me dirait : « Vous allez désorganiser l'infanterie. » Si je proposais une réduction sur l'artillerie, on me ferait la même objection.

Tandis qu'avec le système de réduction globale qui est, pour la Chambre, un droit incontestable et incontesté, je laisse au gouvernement le devoir de répartir la réduction entre les divers services.

Si la Chambre ne s'associait pas à ce système, je l'avertis que son droit de réduire le budget serait bientôt contesté ; et nous tomberions exactement dans le système de M. de Bismarck qui, lui aussi, se base sur la loi d'organisation de l'armée ; et vous savez où cela a conduit la chambre des députés de Prusse.

Si la proposition que j'ai eu l'honneur de faire était rejetée, il ne me resterait d'autre ressource que de voter contre l'ensemble du budget. Voilà l'extrémité où vous réduisez ceux des membres des deux Chambres qui veulent des économies ; c'est-à-dire que, pour ne pas vous soumettre à une réduction partielle, vous vous exposez et vous exposez l'armée à subir un échec sur l'ensemble de son budget.

J'ai donc le droit de proposer une réduction globale sur le budget de la guerre. Si c'est mon droit, comment l'exercerai-je ?

MfFOµ. - Raisonnablement.

M. Ortsµ. - Rejetez le budget.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Raisonnablement ! Qui en sera juge si ce n'est nous-mêmes ? Si nous nous trouvions en majorité pour rejeter le budget, tout serait désorganisé, et c'est alors que vous pourriez nous accuser de méconnaître la nécessité de la défense nationale.

Messieurs, avec le système dans lequel on veut vous entraîner, vous laisserez annihiler complètement votre droit constitutionnel de diminuer le budget ; si le gouvernement se refuse à vous faire des concessions, votre droit n'existera plus.

M. Teschµ. - Messieurs, l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu se plaint de la position qu'on veut lui faire ; moi, je me plains de la position qu'il veut nous faire, en nous conviant à un vote qui est véritablement une puérilité.

Que nous demande-t-on ? On nous demande d'émettre un vote par (page 488) lequel nous déclarerons que nous réduisons d'un coup le budget de la guerre de 2 millions. D'après les dispositions existantes, nous devons voter le budget article par article. Si nous commençons par décider que nous réduisons ce budget de 2 millions, je vous demande comment nous voterons le budget article par article. Cela est-il encore possible ?

Je commence par déclarer que je vais réduire le budget de 2 millions, et puis, je voterai le budget avec tous les chiffres tels qu'ils nous sont proposés.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Du tout.

M. Teschµ. - C'est ce que vous voulez me faire faire et c'est ce que je n'admets pas.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Ce sont des puérilités.

M. Teschµ. - Oui ce sont des puérilités et je n'entends faire ici que des choses sérieuses, comme il convient aux représentants du pays.

Je répète que vous voulez me faire dire que le budget sera réduit de 2 millions, et quand j'aurai dit cela, je voterai les articles du budget tel qu'il est proposé, ou bien commencerez-vous par me faire voter tous les articles du budget, sauf à dire ensuite : Tout ce que je viens de faire est une plaisanterie, et je réduis maintenant l'ensemble de ces articles de 2 millions ?

Evidemment cela n'est pas sérieux et je n'admets pas qu'une Chambre puisse se prêter à ce jeu.

M. Couvreurµ. - Il y a deux propositions en présence ; la mienne, qui demande une enquête, et celle de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, qui propose une réduction de 2 millions sur le chiffre global du budget.

Je ne veux pas me prononcer sur le mérite de cette dernière proposition ; mais je crois que la Chambre sera d'accord avec moi, que la mienne étant plus générale, il y a lieu de la mettre la première aux voix.

- Des membres. - Aux voix ! aux voix !

M. Hymansµ. - Je propose formellement la remise de la séance à demain, et voici pourquoi :

Il faut des positions nettes et franches pour tout le monde. Il y a ici une véritable surprise, et la preuve, c'est que tantôt je m'étais fait inscrire pour répondre à l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu et que j'ai cru devoir renoncer à la parole après le discours de l'honorable M. De Brouckere. Pourquoi ? Parce que je me trouvais en présence d'une proposition sur laquelle je n'avais plus rien à dire après ce qu'avait dit l'honorable M. de Brouckere, qui en avait prouvé l'inopportunité et l'inconstitutionnalité.

Eh quoi ! à la fin d'une séance, alors que ceux qui croyaient que cette proposition n'avait aucune chance d'aboutir, ont pu se retirer, on vient supprimer ce qu'elle avait d'impossible pour ne laisser debout que ce qui était possible, et l'on demande un vote lorsque la moitié de la Chambre n'est pas ici ; je ne puis admettre un pareil système, je désire que tout le monde puisse se prononcer sur la proposition de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, proposition qui n'est plus du tout celle qu'il avait développée hier.

- Des membres. - A demain !

- D'autres membres. - Non ! non !

- La séance est levée à cinq heures.