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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 1 mai 1866

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1865-1866)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboomµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 663) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. Thienpontµ donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaireµ, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur Barthels, employé au ministère des travaux publics, demande la nomination d'une commission pour fixer l'indemnité qu'il prétend lui revenir pour régler sa part dans le crédit voté en faveur des employés de ce département et pour faire essayer le système qu'il propose dans le but d'éviter les accidents sur les chemins de fer. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Louvain prient la Chambre de refuser son approbation aux travaux des experts chargés d'évaluer la propriété foncière et de diminuer la part qui est assignée aux provinces surtaxées. »

M. Landeloosµ. - Je propose à la Chambre de renvoyer cette requête à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.

- Adopté.


« Le sieur Bran, ancien ouvrier bouilleur, demande à être visité par une commission de médecins afin de constater son incapacité de travailler et son droit à la continuation du secours qui lui a été accordé par la caisse de prévoyance. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants du faubourg de Charleroi demandent la révision de l'article 5 de la loi communale. »

- Même renvoi.


« Le sieur Morissons prie la Chambre de faire réviser la décision du conseil de milice de Louvain qui exemple du service le sieur Louis Stas, de Wesemael. »

- Même renvoi.


« Les sieurs Kuborn, Misson et autres membres du comité de l'association libérale du canton de Seraing prient la Chambre d'adopter le projet de loi relatif à la réforme électorale. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Des habitants de Bruxelles demandent le suffrage universel pour les élections communales et provinciales. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la réforme électorale.


« Des habitants de Bruxelles demandent que le droit de suffrage pour les élections communales et provinciales soit étendu à tous ceux qui savent lire et écrire. »

- Même décision.

« Des habitants de Zandvoorde prient la Chambre de rejeter la disposition du projet de code pénal qui interdit les combats de coqs. »

- Renvoi à la commission pour la révision du code pénal.


a Des ouvriers à Bruxelles présentent des observations sur l'article 2 du projet de loi relatif aux coalitions. »

M. Lelièvreµ. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission chargée d'examiner le projet de loi relatif aux coalitions, adopté récemment au Sénat.

- Adopté.


« Le sieur Looymans demande la concession des travaux d'assainissement de la Senne. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi qui alloue un crédit pour l'assainissement de la Senne.


« Par messages du 27 avril, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté : 1° le projet de loi qui ouvre au département des affaires étrangères un crédit supplémentaire de 70,000 fr., 2° le projet de loi qui approuve la convention conclue entre la Belgique et la Saxe pour la garantie réciproque de la propriété des œuvres d'esprit et d'art et des marques de fabrique. »

- Pris pour notification.


« Il est fait hommage à la Chambre, par MM. Keller et Cie de 116 exemplaires de leur projet d'assainissement de la Senne et d'embellissement de Bruxelles, accompagné de leur réponse au rapport de la commission de MM. les ingénieurs en chef. »

- Distribution aux membres de la Chambre.


« Il est fait hommage à la Chambre de 125 exemplaires de plusieurs publications concernant la question de l'assainissement de la Senne. »

- Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres de la Chambre.


« M. de Muelenaere, obligé de s'absenter pour affaires, demande un congé. »

- Accordé.


M. le président procède au tirage au sort des sections de mai.

Projet de loi accordant un crédit pour les travaux d'assainissement de la Senne

Rapport de la section centrale

M. Orts dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi accordant un crédit pour les travaux d'assainissement de la Senne.

Projet de loi autorisant le gouvernement à concéder un réseau de chemins de fer vicinaux dans le Brabant

Rapport de la section centrale

M. de Brouckereµ dépose le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi autorisant le gouvernement à concéder un réseau de chemins de fer vicinaux dans le Brabant.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi autorisant le gouvernement à deux écoles normales d’instituteurs et deux écoles normales d’institutrices

Dépôt

MiVDPBµ dépose un projet de loi autorisant le gouvernement à créer deux nouvelles écoles normales d'instituteurs ainsi que deux nouvelles écoles normales d'institutrices.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet et le renvoie à l'examen des sections.

Projet de loi apportant des modifications aux lois électorales

Discussion générale

MpVµ. - Le gouvernement se rallie-t-il aux amendements de la section centrale ?

MiVDPBµ. - M. le président, nous nous expliquerons dans la discussion.

MpVµ. - La discussion s'ouvre sur le projet du gouvernement.

M. Thonissenµ. - Messieurs, il y a, dans le rapport de l'honorable M. Hymans, une phrase à laquelle je donne mon complet assentiment ; c'est celle-ci : « N'ambitionnons pas le rôle aisé des tribuns dont l'orgueil s'abaisse à flatter la multitude. »

Je tiens à faire cette déclaration, parce que, tout en accordant mon vote à un large abaissement du cens électoral, je veux me séparer, me séparer complètement de certaines manifestations auxquelles la proposition de l'honorable M. Guillery a servi de prétexte, manifestations dont je ne veux pas exagérer la valeur, mais qui cependant, à mon avis, ne doivent pas être passées sous silence. J'entends parler surtout du prétendu manifeste que nous avons tous reçu et qui porte la signature de la plupart des chefs des associations ouvrières de la capitale.

Au sein du conseil communal de Bruxelles, une voix a protesté contre ce manifeste. Je crois qu'une autre voix doit protester contre ce document au sein de la représentation nationale. Dans l'ordre politique et (page 664) social, comme ailleurs, il y a certains symptômes qui, peu graves à leur origine, ne tardent pas à acquérir, quand on les dédaigne, des proportions sérieuses et parfois redoutables.

Messieurs, j'ai beaucoup étudié le mouvement des idées sociales dans le monde moderne et je puis dire, sans aucune exagération, que j'ai trouvé, dans ce manifeste, le germe de toutes les passions auxquelles on a fait appel, depuis trois siècles, à la veille de toutes les crises révolutionnaires. Menaces peu déguisées, plaintes chimériques, espérances irréalisables, mise en suspicion du capital, négation des progrès accomplis dans l'existence des classes laborieuses, oubli des bienfaits reçus, accumulation de la richesse aux mains des classes supérieures, incrimination des intentions les plus loyales et les plus généreuses, transformation de la bourgeoisie en caste égoïste et envahissante : voilà la quintessence de ce document prétendument raisonnable et modéré.

Dans un pays où l'on consacre chaque année des millions à la diffusion de l'enseignement primaire, on dit que le gouvernement ne fait rien pour l'instruction du peuple. Dans un pays où l'Etat et l'industrie privée multiplient les caisses d'épargne et les caisses de retraite, où le gouvernement et les Chambres hâtent de toutes leurs forces le développement des associations de secours mutuels, on dit que le droit d'association n'est encouragé que pour les bourgeois et pour les riches. Dans un pays où le pouvoir législatif ne marchande pas les millions pour exécuter de grands travaux d'hygiène publique, on dit que l'argent des contribuables est consacré à créer des promenades somptueuses, à élever des monuments inutiles, pendant que tout sacrifice sérieux est refusé pour l'assainissement des quartiers habités par les classes ouvrières. Enfin dans un pays où, pendant que le peuple gardait le silence, la bourgeoisie, la bourgeoisie seule a pris l'initiative d'une demande de réforme électorale, on dit que les bourgeois, succédant aux nobles de l'ancien régime, n'ont d'autre but que de se substituer aux privilégiés de l'ancien régime. En un mot, on tient au peuple le langage suivant : « Tout se fait sans nous et pour d'autres que nous. Nous ne connaissons que les charges. »

En tenant un tel langage au peuple, en lui communiquant de telles idées, en lui faisant signer de tels manifestes, les prétendus défenseurs des classes inférieures devraient savoir qu'ils ne font que compromettre la cause qu'ils entendent servir.

J'aime, pour ma part, les institutions démocratiques et je crois qu'elles n'ont rien d'incompatible avec la stabilité et la gloire du trône constitutionnel. Je suis du nombre de ceux qui pensent que ce n'est pas seulement par devoir, c'est-à dire comme hommes et comme chrétiens, mais aussi par intérêt, que les classes supérieures doivent aujourd'hui s'occuper sans cesse de l'amélioration du sort moral et matériel du grand nombre. Je crois que, dans l'Europe occidentale, l'avenir appartient incontestablement à la démocratie. Mais la démocratie véritable, la démocratie sage et pratique n'a rien de commun avec les extravagances démagogiques des utopies révolutionnaires.

Si quelque chose peut arrêter la marche de plus en plus rapide des sociétés modernes vers la réalisation des idées sagement démocratiques, ce sont précisément les rêves des utopistes et les excitations des partisans des mesures violentes.

Depuis un demi-siècle, un magnifique travail de rapprochement s'est opéré entre les diverses classes de la société. Les privilèges de la naissance ont disparu, les barrières qui se dressaient entre les classes diverses tombent les unes à la suite des autres, et tout homme qui s'élève par son talent ou par son travail voit aussitôt s'ouvrir, largement s'ouvrir les rangs de ceux qui l'ont devancé dans la sphère de l'aisance et de la richesse. Cette bourgeoisie qu'on dénonce et qu'on veut flétrir n'est autre chose que le peuple lui-même, le peuple enrichi par le travail, fortifié par la lutte et ennobli par la science. Voilà ce qu'on doit dire au peuple, voilà ce qu'on doit lui dire précisément pour hâter la réalisation de ses vœux légitimes. Loin de le flatter, je lui répéterai ici, comme je l'ai fait ailleurs, cette belle et noble parole de Franklin, adressée il y a près d'un siècle aux ouvriers de Philadelphie : « Si quelqu'un vous dit qu'il y a d'autres moyens de vous enrichir que la moralité, le travail et l'économie, ne l'écoutez pas ; c'est un empoisonneur ! »

Je le déclare très haut. Si j'étais convaincu que les ouvriers de toutes nos grandes villes étaient imbus de ces doctrines et séduits par ces rêves, je regarderais comme un acte de suprême imprudence tout abaissement du cens électoral. Mais je sais qu'il n'en est pas ainsi ; je sais que ce manifeste n'est qu'un acte isolé, contre lequel il suffit de protester, et c'est pour ce motif que, sans m'y arrêter, je donnerai mon assentiment à une proposition destinée à abaisser, sans privilège et sans arrière-pensée, le taux du cens actuellement requis pour la province et la commune.

Le projet du gouvernement ne me semble ni complet, ni rationnel ; c'est trop ou trop peu. Si l'on veut une réforme véritable, sérieuse, du système électoral, c'est trop peu. Si, au contraire, on pense que la situation actuelle est régulière et suffisante, c'est trop.

Je ne veux pas exagérer les torts des ministres. Je comprends que les hommes chargés de la redoutable responsabilité du pouvoir hésitent et même conçoivent des craintes en présence d'une proposition destinée à modifier, dans une large mesure, le système électoral aujourd’hui admis pour la province et la commune. Je sais que toute modification de ce genre est toujours un fait grave dans les pays libres ; je le sais si bien que, en 1848, à la place des honorables ministres des finances et des affaires étrangères, je n'aurais pas consenti à faire descendre, d'un seul bond, jusqu'aux dernières limites fixées par la Constitution, le cens requis pour l'élection des membres des Chambres législatives. Je me serais dit que, dans un avenir plus ou moins rapproché, une crise analogue pourrait de nouveau se présenter à l'une de nos frontières, et qu'alors, sous peine de refuser toute concession, il faudrait modifier la Constitution elle-même, c'est-à-dire, se jeter dans l'inconnu, en portant la hache à la base même de notre édifice politique. J'ajouterai que, si comme l'honorable rapporteur de la section centrale j'étais convaincu que la réforme n'est pas nécessaire, je ne la voterais pas. Des hommes politiques ne prennent pas de résolutions de ce genre, quand elles ne sont pas nécessaires, quand elles ne sont pas impérieusement réclamées par l'opinion publique.

Aussi, pour ma part, si je donne mon assentiment à un large abaissement du cens électoral, c'est parce que je vois dans cette mesure, non seulement un avantage, mais une nécessité : un avantage, parce que de nouvelles phalanges d'électeurs dévoués à l'œuvre de 1830 lui donneront une force nouvelle ; une nécessité, parce que les faits qui se passent chez nous et autour de nous me prouvent que, dans un avenir peut-être prochain, des mouvements désordonnés pourraient nous imposer des concessions plus larges que celles que nous voterons aujourd'hui de notre pleine et libre volonté.

Les ministres étaient trop audacieux en 1848 ; ils sont trop timides en 1866. Tout en admettant qu'une réforme électorale est nécessaire, ils réduisent celle-ci à des proportions étroites et mesquines. Le projet présenté par le gouvernement n'est pas une œuvre large, généreuse et complète. Au fond, ce n'est qu'un moyen imaginé pour appeler de nouvelles recrues dans les rangs des phalanges ministérielles.

Je préfère, pour ma part, le système de l'honorable M. Guillery, tel qu'il a été modifié ou, pour mieux dire, élargi au sein de la section centrale par l'honorable M. Nothomb.

Ce système, en effet, ne doit pas nous effrayer.

Voyons d'abord le chiffre admis par l'honorable M. Nothomb pour l'élection des conseillers communaux.

Il propose un cens de 10 fr. pour les communes au-dessous de 2,000 âmes. Or, sur 2,538 communes que renferme la Belgique, nous en avons 1,962 qui comptent moins de 2,000 âmes et dans lesquelles le cens électoral est aujourd'hui de 15 fr. Ce sera donc une diminution d'une pièce de 5 fr., et à coup sûr il n'y a là rien qui soit de nature à compromettre l'ordre public et la sécurité générale.

Dans les communes de plus de 2,000 âmes, l'honorable M. Nothomb se contente d'un cens de 15 fr.

Or, nous avons aujourd'hui 451 communes où le cens n'est que de 20 fr. ; 88 communes où il est de 30 fr. ; 16 où il est de 40 fr. ; 21 où il est de 42 fr. 32 c.

Ce sera donc encore une fois un abaissement de 5 francs pour la première catégorie, c'est-à-dire pour 451 communes, et pour les autres qui, toutes ensemble, n'atteignent que le chiffre de 125, il y aura une diminution de 15 fr., de 25 fr. et de 27 fr. Voilà tout.

Pour 2,513 communes sur 2,538, il y aurait une réduction de 5 francs. Pour les autres, il y aura un abaissement plus considérable ; mais n'oublions pas que, dans ces communes, la plupart de ceux qui y payent un cens quelconque payent au delà de 15 francs.

Pour les élections provinciales, je dois l'avouer, le système mis en avant par l'honorable M. Nothomb amènera des changements beaucoup plus considérables. Je dirai même que, sous ce rapport, j'ai éprouvé quelque hésitation. Ici on pourrait, dans un avenir plus ou moins éloigné, rencontrer des tiraillements toujours désagréables et, dans certains cas, dangereux. On pourrait arriver, par exemple, à une situation où tous nos conseils provinciaux indistinctement appartiendraient à une opinion nettement tranchée, tandis que, dans les deux Chambres, la majorité parlementaire appartiendrait à une opinion diamétralement opposée.

(page 665) Ce danger cependant ne m'a pas arrêté. D'abord, aujourd'hui déjà le phénomène que je redoutais existe dans une certaine mesure. Nous avons cinq conseils provinciaux dans lesquels on rencontre une majorité conservatrice nettement dessinée, et pourtant les froissements qui m'inquiétaient ne se sont pas produits. Je crois même que ces froissements deviendront chaque jour moins probables. A mesure qu'on élargira les bases du système électoral, l'esprit public se développera, les mêmes sentiments se produiront de plus en plus à tous les degrés de la représentation nationale, à la commune, à la province et aux Chambres.

D'un autre côté, au point de vue de l'ordre et de la sécurité générale, il ne me semble pas que quelques francs de plus ou de moins versés au trésor public soient une garantie indispensable de stabilité et de capacité.

Dans cet ordre d'idées, je dois naturellement repousser le projet du gouvernement comme incomplet, illusoire et même injuste.

Je lui reproche d'abord d'être incomplet. En effet, aux termes de l'article 3 de ce projet, pour jouir du droit de voter avec un cens réduit, il faut avoir fréquenté, pendant trois années, les cours d'un établissement d'enseignement moyen.

Or, voici des chiffres irrécusables, des chiffres officiels.

Les écoles moyennes de l'Etat avaient, en 1865, 8,020 élèves et les athénées royaux 3,315. Les collèges communaux, les collèges patronnés et les écoles industrielles avaient ensemble 19,548 élèves, de sorte que tout l'enseignement moyen, libre et officiel, se trouve représenté par environ 30,983 élèves.

Or, si l'on se rappelle que les élèves des écoles moyennes appartiennent précisément aux classes aisées de la société, aux classes qui fournissent plus tard les censitaires ; si, d'autre part, on n'oublie pas que ces élèves se trouvent à un âge où, même en Belgique, la mortalité est considérable, on voit, à l'instant même, qu'avec la réforme proposée par le gouvernement, on n'arrivera pas à une augmentation sérieuse du nombre des électeurs. C'est une augmentation vraiment dérisoire.

Je reproche encore au projet du gouvernement d'être injuste ; je lui reproche d'introduire un nouveau privilège au bénéfice des villes et au détriment des campagnes.

Je vais le prouver.

Où sont les employés privés jouissant de 1,500 francs d'appointement ? Dans les villes, et pas dans les campagnes. Où sont les employés des établissements publics recevant un traitement de 1,500 francs ? Dans les villes, et pas dans les campagnes. Où rencontre-t-on la grande majorité, pour ne pas dire la totalité des avocats ? Dans les villes, et pas dans les campagnes. Enfin, pour ne pas faire une énumération oiseuse, où se trouvent les écoles moyennes elles-mêmes ? Dans les villes, et pas dans les campagnes.

C'est donc, comme je viens de le dire, un véritable privilège introduit au bénéfice des villes et au détriment des campagnes.

Mais ce n'est pas seulement dans ces dispositions que se manifeste l'esprit de parti qui a présidé à la rédaction du projet du gouvernement. On accorde des avantages aux personnes que l'article 3 de la loi du 21 mai 1819 exempte du droit de patente. On parle des magistrats, des fonctionnaires, des employés de l'Etat, de la province et de la commune, on parle des avocats, des médecins, des chirurgiens et même des pharmaciens des hospices. On suit le langage adopté par la loi de 1819 ; mais, dès l'instant qu'on arrive aux ecclésiastiques, la scène change, le texte de la loi est écarté et son système est complètement mis de côté.

La loi de 1819 emploie le mot « ecclésiastiques ». Vous transformez d'abord ce mot en « ministres des cultes » et vous y ajoutez ensuite : « rétribués par l'Etat ». Il en résulte cette conséquence bizarre que les professeurs ecclésiastiques des petits séminaires et même les prêtres professeurs d'université ne pourront jamais être électeurs, à moins qu'ils ne payent le cens.

MfFOµ. - C’est une erreur.

M. Thonissenµ. - Il n'y a pas d'erreur.

MfFOµ. - Votre professeur d'université payera le cens.

M. Thonissenµ. - Je vais y venir ; vous vous trompez.

MfFOµ. - Non, je ne me trompe pas.

M. Thonissenµ. - Je dis donc d'abord que dans votre texte de loi prétendument emprunté à l'article 3 de la loi de 1819, vous avez remplacé le mot « ecclésiastiques » par les mots « ministres des cultes salariés par l'Etat », et que vous l'avez fait en vue d'écarter les ecclésiastiques professeurs dans les écoles libres. Comment voulez-vous qu'ils soient électeurs ? Le seront-ils comme employés privés ? Non, car, suivant votre loi, il faut que les employés privés soient patentés depuis deux ans au moins, et les professeurs dont je parle ne payent pas patente.

MfFOµ. - S'ils ne payent pas patente, c'est un privilège dent ils jouissent au mépris de la loi.

M. Thonissenµ. - J'arriverai à ce privilège, j'attends l'explication avec beaucoup d'impatience.

MfFOµ. - Je vous expliquerai cela très clairement.

M. Thonissenµ. - J'entendrai l'explication avec beaucoup d'intérêt. En attendant, permettez-moi de vous dire que vous tenez compte du privilège de l'exemption de la patente quand une certaine classe vous est favorable, et que vous n'en tenez pas compte, quand une autre classe vous est défavorable.

En voici la preuve.

Vous vous êtes arrangés de manière à exclure d'abord les professeurs prêtres. Mais ensuite, avec des mesures adroitement combinées, vous écartez aussi des professeurs laïques des écoles libres.

Un processeur attaché à un collège communal et qui reçoit 1,500 fr. d'appointements, peut invoquer le bénéfice de votre loi ; là-dessus pas de contestation possible.

Mais il n'en est pas de même pour les professeurs laïques attachés aux universités libres, quand même ils percevraient des appointements triples et quadruples. Et comment arrive-t-on à justifier cette étrange anomalie ?

L'honorable rapporteur de la section centrale dit qu'on admet les professeurs des écoles de l'Etat et des communes, qui sont dispensés de la patente, parce que, sans la dispense de patente, ils payeraient le cens requis.

Mais quand on arrive aux professeurs des écoles libres, on tient un langage tout contraire. L'honorable rapporteur, comme M. le ministre des finances, après avoir dit qu'il fallait tenir compte de la dispense de patente, affirme ici qu'il ne faut pas en tenir compte, parce que c'est un privilège.

MfFOµ. - Vous êtes dans l'erreur. La loi les oblige à la patente.

M. Thonissenµ. - L'honorable ministre dit non, l'honorable rapporteur dit oui. Mais voici de quoi mettre un terme à toute controverse.

M. Hymansµ. - Les professeurs libres ne sont pas dispensés de la patente.

M. Thonissenµ. - Un professeur ne paye pas patente.

MfFOµ. - Mais il devrait la payer.

M. Thonissenµ. - Je suis professeur et je n'en paie pas.

MfFOµ. - Je vous dirai pourquoi. Je vous dirai comment on viole la loi.

M. Thonissenµ. - Nous ne pouvons nous entendre avec ces interruptions. Permettez-moi de vous prouver que M. le rapporteur admet, dans une partie de son rapport, la dispense de patente, tandis que, quelques pages plus loin, il ne veut pas l'admettre, parce qu'il y a là un privilège.

A la page 7, l'honorable M. Hymans dit : « On accorde à la capacité, régulièrement constatée par des diplômes, des brevets, des arrêtés de nomination, le droit de suffrage fondé sur le cens que payerait le titulaire, s'il n'en était pas exempté par la loi. »

Puis il ajoute : « Les mots que nous venons de souligner ont une grande importance. »

Voici maintenant ce que l'honorable membre dit, à la page 24 :

« L'auteur de l'amendement fait observer que les professeurs des petits séminaires, les professeurs des universités qui ne sont pas salariés par l'Etat, la province ou la commune, et qui sont exemptés de la patente comme ministres du culte catholique, se trouvent exclus du bénéfice du paragraphe 3 de l'article 3. On a répondu que le projet de loi exigeait que le ministre du culte fût rétribué par l'Etat, afin d'assurer la constatation authentique de sa qualité ; le professeur ecclésiastique d'un établissement libre, s'il payait une patente, rentrerait dans la catégorie des employés privés ; s'il est exempt de la patente, ainsi qu'on le prétend, comme ministre du culte exerçant une profession lucrative, il jouit d'un privilège dont on ne peut tenir compte. »

Ainsi à la page 7, la dispense de la patente est prise en considération, et à la page 24 on l'écarte comme constituant un privilège.

MfFOµ. - En droit, la patente est due.

M. Thonissenµ. - Alors on a tort de ne pas l'exiger ; il faut que pour tous la loi soit appliquée de la même manière. Mais si, en fait, (page 666) vous ne demandez pas le droit de patente à certaines catégories de citoyens, et si ensuite vous leur dites : « Vous ne payez point patente et par conséquent vous ne serez pas électeurs, » vous faites de l'arbitraire... (Interruption.).

M. Royer de Behrµ. - Vous ne pouvez pas suspendre l'exécution de la loi.

MfFOµ. - Je ne puis pas suspendre l'exécution de la loi ; mais, en étudiant la proposition soumise à la Chambre, voici ce que j'ai constaté : Tous les professeurs des établissements privés doivent, d'après la loi, payer patente ; mais, en 1836, si ma mémoire est fidèle, la question s'est élevée de savoir si les professeurs de l'université de Louvain devaient payer patente et, par une simple disposition ministérielle, on a décidé qu'ils ne la payeraient pas.

M. Thonissenµ. - Ainsi il y a vingt-cinq ans que la loi a été prétendument violée et, depuis vingt-cinq ans, vous avez laissé répéter cette violation de la loi.

MfFOµ. - Je viens de la découvrir par suite de l'examen du projet de loi.

M. Thonissenµ. - Vous avez eu besoin de beaucoup de temps pour faire cette découverte. Mais je vous demanderai si l'on paye patente à l'université de Bruxelles ?

MfFOµ. - Mais on a bien dû exempter Bruxelles, quand on exemptait Louvain. (Interruption). Cela s'est fait à la même époque.

M. Thonissenµ. - Ainsi les universités libres ne payent pas, pas plus l'université de Bruxelles que celle de Louvain.

MfFOµ. - Elles payeront.

M. Thonissenµ. - Aujourd'hui elles ne payent pas et, par conséquent, les professeurs de ces établissements ne jouissent pas du bénéfice de votre loi.

MfFOµ. - Rien de plus facile que de mettre le fait d'accord avec le droit.

M. Thonissenµ. - Je passe à un autre ordre d'idées.

L'honorable rapporteur de la section centrale a plusieurs fois répété que les auteurs du projet ont eu pour but de combiner le cens et la capacité. C'est une pensée, messieurs, qui peut sourire en théorie ; mais, si on veut la réaliser convenablement, il me semble que la justice distributive et l'équité naturelle exigent impérieusement qu'on ne demande que des preuves de capacité à la portée de la plupart des citoyens, qu'on ne requière que des éléments d'instruction que la société moderne met à la portée de tous les hommes de bonne volonté. Pourquoi ne vous contentez-vous pas du certificat de fréquentation d'un cours complet d'enseignement primaire ? Au sein de la section centrale, ce système a été produit ; je ne l'ai pas voté parce que, en principe, je suis opposé à tout privilège, même au privilège de l'intelligence et que je veux l'abaissement du cens électoral au profit de tous indistinctement. Mais, encore une fois, si vous voulez des preuves de capacité, pourquoi ne vous contentez-vous pas d'un certificat de fréquentation d'un cours complet d'enseignement primaire ?

Quelle est donc cette grande capacité politique que l'on acquiert aujourd'hui dans les écoles moyennes ? Un peu de géométrie, de géographie, d'histoire, de musique, d'histoire naturelle ; tout cela peut être fort utile comme premier fonds d'instruction à développer dans le cours de la vie, mais tout cela ne donne pas l'intelligence des grands problèmes politiques du jour, tout cela ne permet pas de pénétrer au fond des tendantes et des manœuvres des partis qui se disputent le pouvoir et les influences qu'il traîne à sa suite. Dans cet ordre d'idées, un seul système est rationnel, c'est celui qui a été exposé par l'honorable M. Guillery, quand il a dit : « Il faut que l'électeur sache écrire pour communiquer sa pensée et lire pour se mettre en rapport avec la pensée des autres. »

Nous voyons en ce moment ce qui arrive toujours quand on choisit un système incomplet et vicieux. Dès l'instant où l'on veut procéder par catégories dans l'établissement d'un système électoral, on tombe nécessairement dans l'arbitraire et même dans l'injustice.

Le gouvernement, je l'avoue, met ici loyalement sur la même ligne l'enseignement de l'Etat et l'enseignement libre ; il se contente d'un cours d'enseignement moyen suivi dans un établissement officiel ou dans un établissement privé ; mais quand y aura-t-il un établissement d'enseignement moyen ? A cet égard l'article 6 du projet dispose :

« Chaque année, du 1er au 10 décembre, les députations permanentes forment, pour chaque province, la liste des chefs et professeurs d'établissements libres dont les certificats peuvent être admis pour la justification des études moyennes. »

Il faut donc tous les ans une nouvelle vérification, une nouvelle déclaration. Il en résulte que tel établissement reconnu apte, une première année, à délivrer le certificat exigé, peut être, l'année suivante, déclaré inhabile à le faire. Il se peut, par conséquent, qu'un individu ayant fréquenté tel établissement, en 1861, obtienne un certificat valable, et qu'un autre individu, ayant fréquenté le même établissement en 1862, n'obtienne qu'un certificat sans valeur ; tandis qu'un troisième individu, ayant fréquenté les cours en 1863, recevra de nouveau un certificat en vertu duquel il jouira du bénéfice de la loi.

Et tout cela dépendra du bon vouloir, du caprice de la députation permanente ! N'est-ce pas de l'arbitraire et de l'arbitraire au premier chef ?

Et que faites-vous des études privées ?

Un homme capable et peu riche donne lui-même l'enseignement à son fils ; il lui transmet la connaissance de toutes les matières qui figurent au programme des écoles moyennes. Ce jeune homme ainsi élevé, fût-il dix fois plus capable que l'enfant du voisin qui a fréquenté l'école moyenne, ne pourra jamais jouir du bénéfice de la loi, parce qu'il n'aura pas suivi les cours d'une institution ayant reçu l’approbatur politique et électoral de la députation permanente du conseil provincial.

Et pour les études faites à l'étranger, comment vous y prenez-vous ? Vous aviez oublié d'en parler, et cependant ces études deviennent de plus en plus nombreuses. La section centrale a comblé la lacune, en disant que la députation permanente sera juge de la valeur des preuves fournies en vue d'établir la capacité. Evidemment, c'est encore là de l'arbitraire.

Ce n'est pas tout encore. On dressera, chaque année, une liste des personnes aptes à délivrer les certificats.

Cette liste sera affichée. On pourra réclamer contre l'inscription d'un nom quelconque sur cette liste et, en cas de réclamation, la députation permanente devra examiner les qualités, les titres, le mérite, le degré d'instruction de l'homme placé à la tête d'un établissement d'enseignement moyen ! C'est toujours de l'arbitraire.

Le seul moyen de faire quelque chose de large, de grand, de vraiment utile, c'est de procéder par abaissement général et uniforme pour toutes les classes de citoyens.

Le gouvernement dit que ce système serait un acheminement direct et certain vers l'introduction du suffrage universel.

Je déclare que ce régime ne me sourit pas et que je suis loin de désirer l'introduction immédiate du suffrage universel.

- Une voix. - Immédiate !

M. Thonissenµ. - Je vais expliquer ce mot. Je dis que je ne désire pas l'adoption immédiate du suffrage universel, parce que la preuve de l'excellence du suffrage universel dans la société moderne n'a pas encore été faite. Mais, messieurs, sous ce rapport, nous devons être modestes ; avouons, gouvernement et représentants, que l'avenir ne dépend pas ici précisément de nous.

Voici mon opinion sur le suffrage universel.

S'il s'établit le long de toutes nos frontières ; s'il continue d'exister en France ; si, comme le demande M. de Bismarck lui-même, il devient le droit commun de l'Allemagne ; si, dans tous les pays qui nous entourent, il fonctionne avec ordre, avec régularité, avec profit pour la liberté, avec le respect des garanties essentielles du corps social, quoi que vous fassiez, vous n'y échapperez pas. (Interruption.)

Si, au contraire, le suffrage universel devient ici un élément de désordre et d'anarchie, là un instrument de despotisme, ailleurs une cause d'avilissement pour le corps électoral lui-même, la Belgique, avec son bon sens traditionnel, n'en voudra pas. Il n'y a pas de milieu.

Je voterai donc, messieurs, l'abaissement du cens électoral, sans redouter les conséquences futures de mon vote.

Je suis complètement rassuré sur ces conséquences, d'autant plus, que, dans une circonstance récente et mémorable, ce sont précisément les classes inférieures qui se sont distinguées par l'ardeur et la sincérité de leur patriotisme.

(page 667) Quel que soit le système qui sorte victorieux de ce débat, le trône constitutionnel et les institutions qui l'entourent n'en seront pas ébranlés.

M. Grosfilsµ. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour motiver mon vote, Je suis pour le suffrage universel, je voterai donc contre toute proposition qui ne l'admettrait pas ; les demi-mesures sont souvent dangereuses.

M. de Smedtµ. - Messieurs, il me semble qu'il ressort à toute évidence de l'étude comparative des deux projets de réforme électorale qui sont actuellement soumis à nos délibérations, que celui de M. Guillery présente sur celui du gouvernement des avantages incontestables. Quand j'ai lu l'exposé des motifs du projet du gouvernement ainsi que le rapport de M. Hymans fait au nom de la majorité de la section centrale, le premier sentiment que j'ai éprouvé, c'est la surprise. En effet, messieurs, comment expliquer que nos ministres et les doctrinaires de cette Chambre se disant si libéraux et s'affirmant si populaires, dans les grandes villes surtout, soient saisis d'épouvante et ne sachent qu'imaginer pour empêcher le succès de la réforme proposée par M. Guillery ? Or, que veut M. Guillery ?

Deux choses : rétablir d'abord l'égalité entre les citoyens des villes et des campagnes pour l'élection à la commune ; ensuite, abaisser, pour l'élection au conseil provincial, le cens à 15 fr.

Cette réforme, comme je vais avoir l'honneur de le démontrer, surtout en ce qui concerne la commune tournera presque exclusivement au profit des villes.

Quelques grandes communes et les villes seules en profiteront, et vous avez peur ? Il semblerait vraiment qu'à l'annonce seulement d'une pareille réforme, on sente le sol trembler sous ses pieds et des abîmes s'entrouvrir pour engloutir tous les avantages de la domination exclusive que l'on a si habilement et si péniblement préparée depuis quelques années.

Comment ! la réforme Guillery doit élever les citoyens des villes au rang et à la dignité des électeurs campagnards et vous reculez, vous avez peur !

Et vous, messieurs, qui à chaque occasion solennelle avez fait retentir bien haut l'esprit libéral, progressif, intelligent des villes ; qui avez représenté ces populations comme étant des centres de lumière et de science ; vous, messieurs, qui prétendez que, seules en quelque sorte, elles ont le monopole des vertus civiques, de la liberté et de l'indépendance de caractère, aujourd'hui que faites-vous ?

Vous venez donner à vos parole d'hier le plus éclatant démenti et vous venez, en un jour, détruire vos longues accusations d'autrefois, dirigées contre ces braves paysans, ces charrues qui croient en Dieu, comme dédaigneusement on les a appelés quelquefois. Eux seuls, d'après vous, offrent aujourd'hui toutes les garanties d'ordre et d'intelligence pour être électeurs à 15 francs sans condition. Au nom de ces braves et honnêtes fermiers, au nom de ces bons campagnards, je vous remercie, messieurs.

Cette réhabilitation leur était due, et je suis heureux qu'elle soit faite par ceux-là mêmes qui trop longtemps ont méconnu leur intelligence, leur indépendance et leurs vertus civiques.

Ce revirement inattendu m'a surpris et, je dois le dire, il m'a étonné davantage encore quand, après l'examen attentif du projet de loi dû à l'initiative de notre honorable collègue M. Guillery, j'ai pu apprécier le conséquences de la réforme qu'il propose.

Ce qui semble surtout effrayer les adversaires de la proposition de M. Guillery, c'est, dit-on, qu'elle renferme implicitement le suffrage universel et même la révision de la Constitution. Si telle devait être la conséquence de cette réforme, j'hésiterais à la voter aujourd'hui, et c'est au contraire parce que je vois dans l'octroi de cette extension importante du droit électoral une satisfaction sage et prudente donnée à l'opinion publique, que je suis persuadé que cette réforme retardera considérablement l'avènement de ce suffrage universel, qui, d'après moi, dans l'état d'avancement où se trouve la civilisation actuelle, ne pourrait être utile à personne, pas même à ceux qui la réclament. Et si un jour force nous est de passer par là, nous y arriverons du moins sans secousses et après avoir permis aux aînés de ce privilège et de cette charge de faire leur éducation politique. Ceux-là seront à même d'enseigner plus tard à ceux de leurs concitoyens qui viendraient à partager ce droit avec eux, le moyen d'en faire un emploi sage et judicieux. Mais ce n'en est pas moins l'épouvantail dont on se sert pour effrayer ceux qui auraient des velléités de voter la proposition Guillery.

On insinue très habilement que cette réduction, assez forte pour certaines villes surtout, conduira fatalement à des réductions successives jusqu'à l'abolition de tout cens, c'est-à-dire jusqu'au suffrage universel, et à ce point de vue on exploite le mieux que l'on peut, on fomente peut-être une certaine agitation dans le pays et dans ce but. Aussi l'honorable rapporteur de la section centrale s'empresse-t-il de faire étalage de quelques prétentions incontestablement exagérées et sans grandes conséquences, afin d'avoir mieux le droit d'insérer dans son rapport une phrase évidemment à l'adresse de l'honorable auteur de la vraie réforme électorale. D'après l'honorable membre, cette réforme est une « mesure inconsidérée qui abandonnerait le gouvernement du pays aux caprices de la multitude. » A en croire l'honorable rapporteur, adopter la proposition Guillery, c'est saper nos institutions nationales dans leur base ; pour voter cela, il faudrait être barbare ou « sauvage, » ce serait « abattre l’ arbre pour mieux en cueillir les fruits. »

Et, comme il y a certains fruits qui, pour M. Hymans, sont trop verts et... je passe la qualification de la fable, il ne faut pas y toucher, alors même qu'on pourrait les cueillir sans nuire le moins du monde à l'arbre. Exploiter la crainte du suffrage universel, voilà la tactique pour empêcher le succès de la proposition Guillery.

Ce stratagème, bien qu'assez vulgaire, semble avoir réussi, et grâce aux efforts du gouvernement d'une part, de quelques associations libres quoique assermentées et surtout de la presse doctrinaire, on a organisé la panique, et nous assisterons à un étrange spectacle : nous verrons les membres de cette Chambre qui représentent spécialement les grands centres de population refuser à ces foyers de la lumière et de la civilisation les avantages et les droits politiques accordés au plus petit de nos villages ! Mettre les citoyens des villes au niveau des citoyens des campagnes, y a-t-on suffisamment réfléchi ? Permettre à un citoyen ne payant que 15 francs d'impôts directs, d'intervenir dans les affaires des grandes communes et des villes, alors que ce droit lui est accordé quand il habite un village ! Quelle énormité ! Où allons-nous ? dirait M. Bouvier. (Interruption.)

M. Bouvierµ. - On vous montrera où vous allez, vous ne perdrez rien pour attendre.

M. de Smedtµ. - Je vous attends.

Tout est perdu, sauf l'honneur de ceux qui ont eu le courage de résister à ces séduisantes mais fatales théories qui doivent nécessairement un jour ébranler notre édifice social.

Et moi aussi je dirai : Où allez-vous, vous, parti libéral, vous, hommes de la peur, vous si fiers de représenter les villes et d'avoir leur appui, et si timides quand il s'agit d'étendre quelque peu les droits politiques de ces mêmes villes ?

Mais en voilà assez, messieurs, pour expliquer mon étonnement, ma surprise de voir, sur les bancs soi-disant libéraux de cette Chambre, une opposition aussi radicale au projet de M. Guillery.

Que ce projet réponde à toutes les nécessités de la situation actuelle, qu'il soit à l'abri de toute critique, qu'il soit jugé suffisamment complet, ce sont là toutes matières à discussion et que l'on peut résoudre. Mais que le parti soi-disant libéral surtout s'oppose à l'adoption du principe de cette réforme, c'est-à dire, à l'abaissement à au moins 15 francs pour les villes comme pour les communes rurales, c'est ce qui doit paraître singulièrement étrange aux vrais libéraux.

Mais, pour déguiser la fin de non-recevoir d'une extension complète et sérieuse du droit de vote dans les grandes villes et les communes importantes, on nous dit qu'on veut surtout le vote intelligent, et pour cela on entre dans un système qui, d'après le journal l’Indépendance elle-même, « est l'alliance du compliqué avec le mesquin.» On fait l'adjonction des capacités et on entre dans un vaste système de catégories, assez arbitrairement choisies qui, cette fois, donnant le droit de vote à des citoyens ne payant réellement aucun cens électoral, ouvre par là même une porte à travers laquelle le suffrage universel trouvera à se faufiler d'une manière bien plus immédiate et plus logique qu'avec le système proposé par M. Guillery.

M. Guillery maintient un cens réel pour toutes les catégories d'électeurs, quels qu'ils soient, et il comprend toutes les capacités introduites par le projet du gouvernement, car avec un cens réduit à 15 fr., il n'y aura certes pas deux capacités véritables sur 100 qui seront exclues de la participation aux affaires publiques.

Pour ces motifs, je crois que la proposition de l'honorable M. Guillery est plus large, plus juste, moins dangereuse et plus sincèrement libérale.

Elle donne des garanties et des droits plus étendus à la souveraineté populaire, qu'elle fortifie de ce chef, tandis que le projet du gouvernement (page 668) aura pour principale conséquence d'étendre et d'accroître les forces et les prérogatives du pouvoir central, qui en usera pour continuer à absorber de plus en plus à son profit les droits individuels. C'est toujours et partout cette même tendance à la centralisation que les hommes sincèrement indépendants font bien de combattre.

Comme probablement un grand nombre d'orateurs désireront prendre part à la discussion de cet important projet de loi, je n'entrerai pas plus avant dans l'examen critique du projet du gouvernement. Mais je voudrais cependant faire connaître à la Chambre quelles seraient, quant à l'augmentation des électeurs communaux, les conséquences probables de l'adoption de la proposition Guillery. Cet exposé rapide fera voir d'une part, qu'on a eu tort de s'en effrayer et de l'écarter ; et d'autre part, il indiquera les lacunes regrettables que le projet de réforme renferme.

J'ai pris, messieurs, pour base de nies calculs la statistique officielle de 1865, fournie par le département de l'intérieur. D'après ce document, nous avions à cette date en Belgique 2,514 communes, aujourd'hui ce chiffre est de 2,538, mais comme je n'avais pas de statistiques officielles plus récentes que 1865, j'ai dû opérer avec les documents qui étaient à ma disposition. Cela changera d'ailleurs peu ou rien au résultat général et aux conséquences de la proposition Guillery que je vais énumérer.

Depuis la mise en exécution de la loi du 31 mars 1848, nous avons cinq catégories de communes où le cens électoral varie entre 15 fr. et 42 fr. 53 c. M. Guillery propose d'établir un sens unique pour toutes les communes du pays. Ce cens serait de 15 fr.

Voici, messieurs, la statistique du nombre des électeurs communaux d'après les catégories fixées par l'article 7 de la loi du 31 mars 1848. J'y ai ajouté les chiffres de l'augmentation probable du nombre des électeurs communaux, après l'adoption de la proposition due à l'initiative de l'honorable M. Guillery.

L'énumération complète de ces chiffres fatiguerait, je le crains, l'attention de la Chambre, je n'en donnerai que le résumé, et je lui demanderai la permission d'insérer ce tableau aux Annales parlementaires, afin que chacun puisse contrôler mes calculs et mes appréciations.

Je dois dire cependant, pour l'interprétation de ce tableau, que la colonne de l'augmentation probable du nombre des électeurs communaux après l'adoption de la proposition Guillery est formée de la manière suivante : j'ai supposé que, dans les communes où la réduction du cens ne sera que de 5 fr. le nombre des électeurs sera augmenté d'un tiers ; dans les communes où la réduction sera de moitié, le nombre des électeurs de ces communes augmenterait de moitié et les électeurs communaux doubleraient seulement dans les villes et communes qui ont une population supérieure à 10,000 habitants. En faisant d'après ces bases mes calculs sur l'augmentation probable du nombre des électeurs, je crois avoir dépassé de beaucoup la vérité des choses, mais j'ai préféré exagérer les conséquences de la proposition de M. Guillery plutôt que d'encourir le reproche de les déguiser. Malgré ces calculs, je n'arrive, pour tout le pays, qu'à une augmentation globale de 75,000 électeurs. (Note du webmaster : ce tableau, inséré à la page 671, n’est pas repris dans la présente version numérisée.)

Ainsi, messieurs, d'après ce tableau, vous pourrez voir que : 1

° sur 2,514 communes, 573 seront presque seules à profiter de la réduction du cens proposée par l'honorable membre, soit un peu plus de 25 p. c.

2° Sur ce nombre de 573 communes qui bénéficieront plus ou moins de la réforme, il y en a 445 où le cens électoral, fixé aujourd'hui à 20 fr., ne subira qu'une réduction de 5 fr. Reste donc 128 communes où la réduction du cens actuel sera de moitié et au delà. Dans 88 de ces communes, le cens électoral descendra de 30 fr. à 15 fr., et dans les 40 dernières, d'une population supérieure à 10,000 âmes, le cens électoral sera abaissé de 40 et 42 fr. 52 c. à 15 fr.

Ainsi en résumé, nous voyons près de 2,000 communes où les choses resteront à peu près dans le statu que ; 445 où il y aura une diminution de 5 fr., et sans doute ce n'est pas là qu'est le danger de la réforme.

Enfin 128 villes ou grandes communes où seules l'augmentation du nombre des électeurs sera sérieusement importante, puisque le cens électoral y sera diminué de 15 francs pour 88 d'entre elles et de 25 ou 27 francs 32 c. pour les 40 restantes.

J'avais donc raison de dire, comme je l'ai fait en commençant, que tout le bénéfice de la réforme de M. Guillery tournerait presque à l'avantage exclusif des grands centres de populations, surtout des communes qui ont une population supérieure à 10,000 habitants. Et dès lors avais-je le droit de m'étonner que ceux qui se vantent d'être les élus de ces grands centres de lumière et de progrès aient si peur d'une réforme qui conférerait à leurs habitants les mêmes avantages, les mêmes droits dont jouissent depuis 1836 les populations des communes de moins de 2,000 âmes ?

Dans le rapport de l'honorable M. Hymans, il est beaucoup parlé du suffrage universel et on y dit que le système de M. Guillery y conduit. Voyons si cette insinuation est fondée. D'après mes appréciations, et je crois aller au delà de la vérité, si la réforme que propose M. Guillery est adoptée, le nombre des électeurs communaux sera augmenté d'un peu plus de 75,000 électeurs. Nous avons aujourd'hui en chiffres ronds 225,000 électeurs communaux et 103,000 électeurs provinciaux, Cela fait un habitant ayant droit de vote pour les élections provinciales, sui-14 citoyens majeurs ; après la réforme, il y en aurait trois. Aujourd'hui pour la commune nous n'avons que 2 électeurs sur 14 citoyens majeurs après la réforme il y en aurait 3. Nous voilà donc bien loin encore du suffrage universel pour la commune et pour la province.

Ainsi, en supposant le projet de M. Guillery adopté, nous n'aurions encore sur 140 citoyens majeurs que 30 électeurs ayant le droit de prendre part aux affaires de leur commune et de leur province. Reste donc sur ces 140 citoyens, 110 qui en resteraient complétement privés.

Il me semble qu'il y a dans ce fait de quoi rassurer les plus timides, ceux surtout qui croient voir dans l'adoption de la réduction proposée par M. Guillery un acheminement rapide vers le suffrage universel.

Supposant donc que l'adoption du cens uniforme à 15 fr. pour toutes les communes de Belgique donnerait 75,000 électeurs nouveaux, nous aurions dès lors pour les élections communales et provinciales 61 citoyens sur 1,000 qui auraient droit d'y prendre part.

Mais je suis d'avis, messieurs, avec la minorité de la section centrale, qu'il y a lieu de compléter la réforme proposée par notre honorable collègue M. Guillery et qu'il faut faire participer toutes les communes du pays à l'abaissement du cens. En conséquence je me rallie à la modification préposée par mes honorables amis de réduire de 15 à 10 fr. le cens électoral dans les communes de moins de 2,000 habitants.

Depuis 1836 le cens électoral, pour les communes d'une population inférieure à deux mille âmes, est irrévocablement resté le même. Pour les grandes villes on a abaissé le cens en 1848 ; aujourd'hui ce sont encore les grandes villes et les communes importantes qui emporteront tous les bénéfices de la réforme électorale, soit qu'on adopte le projet du gouvernement, soit même que l'on vote la proposition Guillery. Cependant, messieurs, le gouvernement, le rapporteur de la section centrale, la minorité de cette section et l'honorable membre qui a pris l'initiative de la réforme électorale, tous enfin nous semblons d'accord en un point, c'est que l'on a trouvé bon, par une modification à nos lois électorales, d'appeler un plus grand nombre de citoyens à prendre part aux affaires communales et provinciales ; cette mesure est principalement justifiée par la diffusion considérable de l'instruction, instruction que l'enseignement à tous les degrés a répandue partout et que la presse et les associations de toute nature ont puissamment aidé à développer.

Ce mouvement intellectuel a été général, les villes n'en ont pas profité seules, il s'est étendu à toutes les communes du pays. Celui qui nierait ce fait, nierait l'évidence. Dès lors n'est-il pas juste aussi que l'on fasse quelque chose pour nos communes rurales, qui, depuis 1836, n'ont pas vu un seul de leurs habitants porté sur les listes électorales du chef d'une diminution de cens quelconque, et cela depuis plus de 30 années ?

Mais, dit-on, c'est établir un cens différentiel ; vous faites deux catégories d'électeurs pour la commune. Le cens différentiel, dit-on, est condamné depuis longtemps, on en a fait justice. Notons d'abord que le projet du gouvernement le maintient, il établit non pas deux catégories d'électeurs pour la commune, mais cinq et entre les classes qu'il conserve il y en a dont l'écart pour le cens électoral n'est que de 1 fr. 16 c.

Le cens différentiel n'est donc pas condamné ; mais bien au contraire il se justifie de tout point. Que l'on abolisse le cens différentiel dans un seul et même collège électoral, cela me paraît éminemment juste ; mais qu'on l'écarte complètement pour des élections qui incontestablement ont des degrés d'importance bien différents, cela me paraît peu justifiable. Peut-on, par exemple, comparer l'importance des affaires sur lesquelles est appelé à délibérer un conseil communal d'un petit village avec celles que traite habituellement l'administration des grandes villes et des communes très populeuses ? Evidemment non, messieurs. Ensuite les affaires d'une petite commune sont généralement plus connues et mieux comprises par la généralité de ses habitants que les affaires multiples et considérables des grands centres de population. Il faut donc pour la bonne administration des premières, moins de garanties de capacité que pour celles des secondes. D'autant plus que presque tous les actes administratifs des petites communes sont contrôlés par le commissaire d'arrondissement, le gouverneur, la députation permanente et le pouvoir central.

(page 669) Abaisser le cens électoral dans les petites communes, dans celles qui ont moins de 2,000 habitants, sera donc une mesure non seulement de bonne justice distributive ; mais de plus cet abaissement de 5 francs ne présentera aucun danger sérieux pour la bonne administration de leurs affaires.

Je voterai donc, messieurs, la proposition de loi de M. Guillery, amendé dans le sens de la minorité de la section centrale ; je voterai la réduction proposée sans enthousiasme comme sans crainte ; je la voterai parce qu'elle me paraît juste, et une conséquence logique de la diffusion de l'instruction dans toutes les communes du pays.

Projet de loi approuvant la convention artistique et littéraire conclu le 27 avril 1866 entre la Belgique et le duché d’Anhalt

Dépôt

MaeRµ. - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre une convention conclue le 27 avril 1866 entre la Belgique et le duché d'Anhalt pour la garantie réciproque de la propriété littéraire et artistique ainsi que des dessins et marques de fabrique.

Deux conventions ,messieurs, sont déjà à l'ordre du jour de la Chambre. Pour gagner du temps, on pourrait peut-être faire le rapport sur cette troisième convention, afin qu'elle fût votée dans la même séance que les autres.

Si la commission voulait bien se réunir demain et faire son rapport, les trois conventions pourraient être votées dans la séance de demain.

MpVµ. - La commission se réunira demain avant la séance.

- Il est donné acte à M. le ministre du dépôt de ce projet de loi.

Projet de loi apportant des modifications aux lois électorales

Discussion générale

M. Eliasµ. - Messieurs, avant d'entrer dans l'examen du projet de loi qui vous est soumis, permettez-moi de relever en quelques mots les paroles de l'honorable M. de Smedt. Il a dit qu'il était étonné de voir les députés représentant les grands centres de population, ces foyers de lumière, vouloir un suffrage plus élevé pour les grandes villes que pour les petites communes.

Il sera très facile de répondre à cette partie du discours de l'honorable M., de Smedt. Je n'ai pour cela qu'à rappeler la dernière partie de ce même discours, où, préconisant le système proposé par la minorité de la section centrale, il propose lui-même un cens différentiel, c'est-à-dire d'abaisser le cens de 15 à 10 francs pour les élections communales dans les localités dont la population ne dépasse pas 2,000 âmes.

Donc tout en attaquant le projet du gouvernement et de la section centrale sous ce rapport, il fait lui-même une proposition analogue. Le reproche qu'il venait d'adresser à ce projet tombe par là.

Maintenant, messieurs, avant d'entrer dans l'examen du projet qui vous est soumis, permettez-moi de déterminer la nature du droit de suffrage et ensuite de dire quelle extension il convient de donner à ce même droit.

Plusieurs fois dans cette Chambre, depuis quelque temps notamment, on a soutenu que c'est une fonction, un mandat.

Lorsqu'on relit avec attention les discussions qui ont eu lieu au congrès, il ne peut y avoir de doute, chacun doit reconnaître que les membres du Congrès ont toujours pensé que c'est un droit. Une seule fois cette opinion fut contestée et d'honorables orateurs se servirent du mot « fonction » pour déterminer le suffrage.

Immédiatement l'honorable M. de Robaulx protesta énergiquement contre cette définition, et personne ne lui répliqua. Depuis ce moment la nature du droit de vote ne fut plus contestée dans cette assemblée.

Ainsi donc en principe tous les citoyens ont le droit de vote. Mais tous ne sont pas également capables de l'exercer.

I a loi électorale a pour but de déterminer quels sont ceux qui possèdent cette capacité, et aujourd'hui, il s'agit de déterminer quelle extension il convient de donner à l'exercice de ce droit ; cette extension ne doit avoir d'autre limite que la capacité même des électeurs.

Pour réaliser ce but, nous sommes en présence de trois projets.

Nous avons d'abord le projet de la minorité de la section centrale, c'est celui qui s'éloigne le plus du projet du gouvernement. Ce projet diffère de celui de M. Guillery en ce qu'il admet le cens différentiel et ensuite en ce qu'au lieu d'exiger la connaissance de la lecture et de l'écriture, il n'exige que la fréquentation d'une école primaire pendant un temps déterminé ;

Une diffère que peu du projet de la section centrale en ce qui concerne l'abaissement du cens ; en effet comme le projet de la section centrale, il tend à établir un cens légèrement différentiel pour les élections communales.

Il m'est impossible d'admettre cette proposition.

Je ne puis croire, pour ma part, que la fréquentation de l'école primaire constitue une garantie sérieuse de capacité.

En effet, la fréquentation de l'école primaire n'exige la possession préalable d'aucune connaissance et on ne verra que trop souvent un enfant suivre pendant longtemps les classes d'une école primaire, su tout d'une école privée, sans avoir acquis aucune connaissance.

Il m'est impossible de me rallier au projet de M. Guillery ; ce projet contient trois principes ; d'abord il exige la connaissance de la lecture et de l'écriture, il établit un cens uniforme et enfin il fait compter les centimes additionnels payés à la province et même à la commune pou la formation du cens.

Vous remarquerez d'abord que la loi provinciale avait adopté le même cens pour les élections à la province et pour les élections générales.

M. Guillery propose au contraire de rapprocher le cens exigé pour les élections provinciales de celui exigé pour les élections communales. Cette proposition ne me semble pas heureuse.

Les conseils provinciaux s'occupent d'affaires plus générales que les communes, il importe donc que les collèges électoraux qui les nomment soient composés d'hommes ayant des connaissances plus approfondies que les collèges électoraux pour les conseils communaux. Il vaudrait donc mieux, selon moi, laisser le cens exigé pour la province plus rapproché du cens exigé pour les élections générales.

Ensuite M. Guillery propose de compter les centimes additionnels payés à la province et à la commune pour parfaire le cens électoral. Cette proposition me paraît inadmissible ; en effet, la computation des centimes additionnels établirait des différences considérables entre les électeurs des différentes communes d'un même canton ; par là, dans les communes où il y aurait, par exemple, 50 centimes additionnels, on serait électeur au moyen de dix francs de contribution en principal et pour les élections provinciales ces électeurs concourraient avec ceux des communes où il faudrait payer 15 francs à peu près, parce qu'il n'y aurait pas d'additionnels.

Les communes pauvres cependant consacrent moins d'argent à l'enseignement que les communes riches, l'instruction y est moins répandue que dans celles-ci ; le système qu'on préconise tendrait ainsi à faire faire le contraire de ce qui serait logique, c'est-à-dire favoriser les habitants des communes pauvres au lieu de ceux des communes riches à qui on a offert plus de facilités d'instruction.

Un tel système n'est évidemment pas admissible ; il serait d'ailleurs contraire au but même de la proposition de M. Guillery, puisque M. Guillery veut l'uniformité du cens pour toutes les élections autres que les élections générales.

Quant à la condition de savoir lire et écrire, elle n'est pas nouvelle ; il en a déjà été question au Congrès national. M. Seron avait proposé de l'inscrire dans la loi électorale. Mais sa proposition n'a pas été adoptée par les mêmes motifs qui ont empêché dernièrement la Chambre d'adopter une proposition analogue de M. Orts.

Il est vrai que M. Guillery ne prétend pas organiser par la loi les moyens de constater si le citoyen qui réclame le droit électoral sait lire et écrire ; il laisse aux communes le soin de faire cette constatation. -Mais les communes seront-elles à même de la faire ?

Pourront-elles, mieux que vous, organiser un moyen de faire cette constatation sans tomber dans l'arbitraire ? Nous ne le pensons pas.

Le projet du gouvernement ne présente pas les mêmes inconvénients. La section centrale l'a du reste considérablement amélioré.

On pourrait regretter qu'elle ne soit pas allée plus loin, surtout en ce qui concerne l'adjonction des capacités. Cependant je n'hésite pas à lu accorder la préférence sur les deux autres projets.

M. Lelièvreµ. - Il s'agit d'abord de régler l'ordre de la discussion. Il existe deux projets sur lesquels la Chambre doit être appelée à délibérer, l'un émane de l'honorable M. Guillery, l'autre est proposé par le gouvernement. M. le président a annoncé que la discussion était ouverte sur le projet du gouvernement, amendé par la section centrale. Je présume que la discussion est également ouverte sur la proposition de M. Guillery. Je prie la Chambre de vouloir se prononcer à cet égard.

(page 670) MpVµ. - J'ai demandé au ministre s'il se ralliait aux amendements proposés par la section centrale ainsi que je le fais pour tous les projets présentés par le gouvernement, mais puisque le projet du gouvernement est connexe à celui de M. Guillery, la discussion est ouverte sur les deux.

M. Coomansµ. - Et sur d'autres, s'il en vient.

M. Nothombµ. - Je présenterai et je développerai demain des amendements dans le sens de l'opinion de la minorité de la section centrale.

Je demande le renvoi de la séance à demain.

- La séance est levée à 4 1/4 heures.