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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 8 mai 1866

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1865-1866)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboomµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 735) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Van Humbeeck, secrétaireµ, lit le procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moorµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants de Bruxelles demandent le suffrage universel pour les élections communales et provinciales. »

« Même demande d'habitants de Saint-Gilles et de Saint-Josse-ten-Noode. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la réforme électorale.


« Des habitants de Villers-en-Waret, Houssois, demandent que ces hameaux de la commune de Vezin soient érigés en commune distincte.»

M. Lelièvreµ. - J'appuie la pétition qui est fondée sur de justes motifs, et comme elle a un caractère d'urgence, je demande qu'elle soit renvoyée à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

-Adopté.


« Les membres de l'administration communale et des habitants de Looz demandent la création d'un chemin de fer qui relie Hasselt à Ans par Looz. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des propriétaires et cultivateurs d'Overpelt demandent qu'il soit ordonné une enquête sur la nécessité de maintenir les chemins vicinaux ou de grande communication qui doivent traverser le chemin de fer de Hasselt à Eindhoven. »

- Même renvoi.


« Par messages du 5 mai, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté :

« Le projet de loi qui approuve la convention conclue entre la Belgique et le duché d'Anhalt pour la garantie réciproque de la propriété des œuvres d'esprit et d'art, des dessins et marques de fabrique ;

« Le projet de loi qui approuve l'acte d'accession du duché de Saxe-Meiningen à la convention conclue entre la Belgique et le royaume de Saxe, relative au même objet ;

« Le projet de loi qui approuve la convention conclue entre la Belgique et le Hanovre, relative au même objet ;

« Le projet de loi qui proroge l'article premier de la loi du 12 avril 1835 concernant les péages sur les chemins de fer de l'Etat ;

« Le projet de loi qui alloue au département des travaux publics un crédit spécial de 150,000 fr. pour achat du mobilier, du matériel et de l'outillage nécessaires à l'exploitation des lignes de Hal à Ath, Tournai à Blandain, Braine-le-Comte à Gand et Bruxelles à Louvain. »

- Pris pour notification.


« MM. Couvreur et de Florisone, retenus pour affaires urgentes, demandent un congé d'un jour. »

« M. Rodenbach, obligé pour motifs de santé de s'absenter, demande un congé. »

- Ces congés sont accordés.

Projet de loi autorisant le gouvernement à concéder des chemins de fer d’extension et de raccordement dans le Hainaut

Rapport de la section centrale

M. de Brouckereµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi ayant pour objet d'autoriser le gouvernement à concéder dans le Hainaut divers chemins de fer d'extension et de raccordement.

La section centrale conclut, à l'unanimité, à l'adoption du projet de loi.

Projet de loi relatif à la création de quatre écoles normales nouvelles

Rapport de la section centrale

M. Dupontµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à la création de quatre écoles normales nouvelles.

- Ces rapports sont imprimés et distribués et les projets de lois qu'ils concernent mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi autorisant le gouvernement à concéder un chemin de fer industriel de Tournai à Antoing

Dépôt

MtpVSµ. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau les projets de lois suivants :

1° portant concession d'un chemin de fer industriel de Tournai à Antoing ;

Projet de loi autorisant le gouvernement à concéder diverses lignes secondaires et des chemins de fer vicinaux dans les Flandres

Dépôt

2° portant concession de diverses lignes secondaires et de chemins de fer vicinaux dans les Flandres.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces projets de loi.

M. Allardµ. - La session finira bientôt, et je désire vivement que ces projets puissent être votés avant notre séparation. Je demande en conséquence à la Chambre de vouloir les renvoyer à l'examen d'une commission spéciale. (Interruption)... On pourrait les renvoyer à la section centrale au nom de laquelle M. de Brouckere vient de vous faire rapport sur un projet identique.

- Cette proposition est adoptée.

Proposition d’allouant un crédit d’un million de francs au budget du ministère de l’intérieur, pour élever une statue à feu S. M. le Roi Léopold Ier

Rapport de la commission

M. Mullerµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission spéciale, sur une proposition déposée par un grand nombre de membres de cette assemblée, tendante à élever un monument à feu S. M. le Roi Léopold Ier.

- Des membres. - La lecture !

M. Mullerµ donne lecture du rapport suivant :

« Plusieurs membres de la Chambre, sûrs d'être les interprètes fidèles de l'unanimité de leurs collègues, vous ont proposé le vote d'un crédit d'un million de francs pour concourir, au nom de la représentation nationale, à l'érection d'un monument qui soit à la fois un souvenir des bienfaits de feu S. M. le roi Léopold Ier, et un témoignage éclatant de la reconnaissance du peuple belge envers sa mémoire.

« C'est, en effet, le peuple lui-même qui, par des souscriptions spontanément, ouvertes dans toutes nos communes, a pris l'initiative d'un hommage solennel à rendre à un prince qui, par son attachement inaltérable à la Constitution qu'il avait jurée, par sa sagesse reconnue et sa haute raison, a consolidé la nationalité et l'indépendance de la Belgique, l'a fait respecter dans toute l'Europe, et l'a élevée à un degré de liberté et d'ordre, de bien-être et de prospérité, que d'autres nations nous envient.

« La commission à l'examen de laquelle le projet de loi a été renvoyé, l'a donc adopté unanimement, avec empressement et bonheur. La tache de son rapporteur est facile : il se borne, de crainte de les affaiblir, à s'en référer aux développements éloquents donnés à la proposition qui vous est soumise par l'honorable M. de Brouckere. »

MpVµ. - A quel jour la Chambre entend-elle fixer la discussion de cette proposition ?

- De toutes parts. - Immédiatement, votons !

- Cette proposition est adoptée.

Discussion des articles

MpVµ. - La discussion générale est ouverte.

- Personne ne demandant la parole, cette discussion est close. L'assemblée passe à la discussion des articles.

Articles 1 et 2

« Art. 1er. Il est ouvert au département de l'intérieur un crédit d'un million de francs (fr. 1,000,000), pour être employé, avec le produit à provenir de la souscription publique, à l'érection d'un monument, en témoignage de la reconnaissance de la nation belge envers feu Sa Majesté le Roi Léopold Ier. »

- Adopté.


(page 736) « Art. 2. Ce crédit sera prélevé sur les ressources ordinaires. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé à l'appel nominal ; le projet de loi est adopté à l'unanimité des 66 membres présents.

Ont répondu à l'appel nominal :

MM. de Theux, de Woelmont, Dumortier, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Grosfils, Guillery, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Le Bailly de Tilleghem, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Magherman, Moreau, Muller, Notelteirs, Nothomb, Orban, Orts, Sabatier, Tack, Tesch, Thienpont, Thonissen, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Vilain XIIII, Vleminckx, Warocqué, Wasseige, Allard, Ansiau, Bara, Bouvier, Braconier, Carlier, Coomans, Crombez, David, de Brouckere, de Haerne, de Kerchove, Delcour, de Liedekerke, de Moor, de Naeyer, de Rongé, de Ruddere de te Lokeren, de Terbecq et Ernest Vandenpeereboom.

Projets allouant des crédits au budget du ministère des travaux publics

Dépôt

MfFOµ. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre :

1° Un projet de loi qui alloue au ministère des travaux publics un crédit de 106,000 fr. destiné à solder le montant des sommes dues en vertu d'un arrêt rendu par la cour d'appel de Bruxelles ;

2° Un projet de loi qui alloue au même département des crédits spéciaux à concurrence de 1,160,000 francs.

MpVµ. - Il est donné acte à M. le ministre des finances du dépôt de ces projets de lois, qui seront imprimés et distribués et renvoyés à l'examen des sections.

Motions d’ordre

M. Dumortierµ. - Messieurs, dans la séance de vendredi, répondant à l'honorable M. Bara, relativement au reproche qu'il avait adressé à certains boursiers d'avoir joui de deux bourses de fondations différentes, et, me fiant à une note qui m'avait été remise par un membre de cette assemblée ; j'ai dit que M. Marguery de Louvain avait obtenu deux bourses, l'une de fondation, l'autre du gouvernement.

Il paraît que M. Marguery n'a pas joui de cet avantage et que le fait qui m'avait été communiqué n'est pas exact ; je me hâte de le déclarer à la Chambre, parce qu'en définitive, il n'y a rien de tel que de dire la vérité,

- Des membres. - Très bien !


M. Coomansµ. - Messieurs, dans ces derniers temps, nous avons voté plusieurs crédits extraordinaires très importants ; on nous en demande encore un qui est très élevé. Or, le bruit court que si les circonstances extraordinaires venaient à s'aggraver encore, ce qui est malheureusement à craindre, le gouvernement aurait pris la résolution de venir nous demander sans retard, dans peu de jours peut-être, des crédits de 10 à 20 millions, pour prendre certaines précautions militaires.

Dans cet état de choses, je désirerais savoir de M le ministre des affaires étrangères s'il pense... (Interruption.) Ce n'est pas à M. Bouvier que j'adresse ma demande...

M. Bouvierµ. - Je n'ai pas dit un mot.

M. Coomansµ. - Alors mon interruption s'adresse au membre qui a dit : Oh ! oh !

Je désirerais, dis-je, savoir de l'honorable ministre des affaires étra gères quelles sont ses prévisions à cet égard, et dé l'honorable ministre des finances à quelle source il compte puiser les lfonds qui pourraient devenir nécessaires.

Messieurs, dans la situation troublée où l'Europe se trouve et où la Belgique aura fatalement à jouer un rôle de solidarité, je craints deux choses particulièrement, des discussions clérico-libérales et de grandes dépenses non obligatoires.

Je me borne à ce peu de mots pour justifier mon interpellation.

MfFOµ. - Messieurs, si par malheur nous étions obligés de prendre des mesures pour assurer la défense nationale, nous indiquerions alors les moyens auxquels il y aurait lieu de recourir pour y faire face.

Jusqu'à présent nous n'avons rien à demander. Je n'ai pas d'autre réponse à faire à l'honorable M. Coomans.

Projet de loi accordant des crédits pour les travaux d’assainissement de la Senne et l’érection d’une salle d’exposition des beaux-arts

Discussion générale

MpVµ. - La discussion générale est ouverte.

M. Funckµ. - Messieurs, en examinant avec attention le projet de loi qui vous est présenté, en considérant les motifs graves qui ont déterminé le. gouvernement à le soumettre à voire approbation, j'ai acquis la conviction qu'il ne rencontrera aucune opposition sérieuse dans la Chambre.

De quoi s'agit-il, en effet ? Si l'on vous demandait votre concours pour augmenter la splendeur de la ville de Bruxelles ; si l'on vous demandait de lui venir en aide pour ses nouveaux embellissements ; si l'on venait vous dire que la capitale du pays étant l'expression la plus vivace de notre nationalité, il faut faire pour elle un grand sacrifice d'argent, eh bien, messieurs, j'ai assez de confiance dans votre patriotisme pour être convaincu que pas un d'entre vous ne reculerait devant ce sacrifice. J'ai une assez haute opinion de votre jugement pour être certain d'avance que tous vous comprendriez la nécessité, l'indispensable nécessité de donner à votre capitale le moyen de maintenir dignement le rang élevé qu'elle occupe parmi les grandes villes de l'Europe.

En effet, messieurs, à tort ou à raison, c'est par la capitale que l'étranger juge votre pays. Composée d'une agglomération d'habitants dont un grand nombre vient de la province, c'est elle qui reflète le mieux votre civilisation ; c'est par elle que vous vous affirmez aux yeux de vos voisins ; c'est son degré de splendeur qui leur donne la mesure, le degré de confiance que vous avez dans vos forces, je pourrais dire aussi dans votre nationalité.

Toutefois la ville de Bruxelles ne vous demande rien pour ses travaux d'embellissement bien que tout le pays en profite. Elle a trouvé assez de dévouement et d'abnégation chez ses habitants pour en obtenir les ressources qui lui permissent de faire face à toutes les dépenses d'utilité. Elle n'a pas reculé devant les charges les plus lourdes pour maintenir dignement sa position de capitale ; elle ne demande rien à personne.

Cependant votre capitale se trouve dans une position exceptionnelle. Tandis que toutes les grandes villes du pays, ou la plupart du moins d'entre elles, ont autour d'elles une zone assez étendue de terrain, qui leur permet de s'agrandir, et de se développer, de trouver des ressources nouvelles dans l'accroissement de leurs habitants, la ville de Bruxelles se trouve au contraire restreinte dans les limites les plus étroites ; le territoire des communes limitrophes la resserre de toutes parts, et sauf un petit nombre de terrains encore disponibles, la ville de Bruxelles doit renoncer désormais à tout espoir d'agrandissement. Elle se trouve donc dans cette position fâcheuse de voir accroître sans cesse l'importance des services auxquels elle doit pourvoir, de faire face aux dépenses que nécessitent ses travaux d'embellissement, de voir sa population rester en quelque sorte stationnaire.

Malgré cette situation difficile, la ville de Bruxelles a fait les plus grands sacrifices pour maintenir dignement sa position de capitale. Elle a élevé des monuments qui sont dignes d'une grande ville ; elle a créé des promenades publiques qui peuvent rivaliser avec les plus belles de l'Europe ; elle a établi un système d'eaux qui fait l'admiration des étrangers ; elle a organisé son enseignement public sur les bases les plus larges et sans marchander la dépense ; elle encourage enfin les beaux-arts et elle subsidie un opéra qui ne craint pas la comparaison avec celui des premières villes du continent. Mais là doit s'arrêter le cercle de son initiative individuelle. Aujourd'hui il s'agit d'une question d'assainissement, et cette question n'intéresse pas seulement la ville de Bruxelles, elle intéresse aussi les communes suburbaines ; elle intéresse la province ; elle intéresse le pays tout entier.

Les travaux que nous avons à exécuter sont de deux natures : travaux d'utilité et d'embellissement d'une part ; travaux d'assainissement d'autre part.

La dépense totale, la dépense apparente au moins et indiquée en chiffres, s'élève à 26 millions. Les travaux extérieurs, comme vous le savez doivent coûter 6 millions ; les travaux intérieurs d'assainissement : 12 millions ; les travaux d utilité et d'embellissement : 8 millions.

Je néglige la dépense supplémentaire nécessitée par l'établissement de la grande artère et par l'usine de décantation, ainsi que la dépense supplémentaire pour élargir la Senne en aval de Bruxelles ; de telle sorte que nous pouvons dire avec raison que la dépense totale s'élèvera à environ 36 millions.

Voici comment on fera face à cette dépense.

Nous demandons à la province un subside de 5 millions et au gouvernement un subside de 7 millions, total 10 millions.

(page 737) Si vous retranchez de ces subsides les 6 millions de travaux extérieurs qui n'incombent certainement pas, au moins pour la plus grande partie, à la ville de Bruxelles, il en résulte que celle-ci reçoit 4 millions.

Pour ces 4 millions, la ville de Bruxelles fait des travaux d'utilité et d'embellissement qui s'élèveront au chiffre de 8 millions, et des travaux d'assainissement pour une somme de 12 millions, auxquels il faut ajouter encore une somme de 8 à 10 millions que les entrepreneurs doivent retrouver dans la plus-value des terrains qu'il s'agit d'exproprier.

Quant aux travaux d'utilité, messieurs, la ville de Bruxelles en supporte seule la dépense. Ces travaux nécessitent la suppression de divers marchés ; d'autres marchés se tiennent encore dans les rues et sur les places publiques, où acheteurs et vendeurs sont en butte aux intempéries de l'air et des saisons. Il faut remplacer ces marchés, et c'est pour cela que nous nous sommes proposé de créer des halles centrales dont l'importance soit en rapport dans l'avenir comme dans le présent avec les nécessités auxquelles elles doivent pourvoir.

Une bourse de commerce est indispensable dans une ville où se manifeste une grande activité commerciale ; nous avons projeté un monument qui soit en rapport non seulement avec la population actuelle, mais encore avec la population future.

On a fait, messieurs, contre l'établissement de cette bourse, quelques objections qui ne résistent pas à l'examen le plus superficiel. On a dit qu'elle était inutile ; mais que l'on parcoure l'Europe, qu'on parcoure non seulement les capitales, mais encore les grandes villes et l'on verra que partout il existe des établissements publics de ce genre. On a dit que le caractère en est trop monumental, mais cette observation ne se conçoit pas alors qu'il s'agit d'un grand travail entrepris par une capitale, alors surtout que l'on voit un établissement privé, la Banque Nationale, élever un monument grandiose et splendide pour y placer le siège de son institution.

Je ne parle pas de la fontaine monumentale, parce que la plus-value qu'elle donne aux terrains voisins suffit pour en couvrir la dépense.

Restent maintenant les travaux d'assainissement. Toutes les questions relatives à l'assainissement de la Senne ont été l'objet de longues éludes et de nombreuses recherches ; les hommes de l'art s'en sont occupés ; des plans nombreux ont été soumis à l'administration et au contrôle de la discussion publique. Il y a eu, si je ne me trompe, 42 plans divers relatifs à l'assainissement, qui nous sont parvenus ; dès lors on peut dire avec raison qu'un appel indirect, parfaitement connu de tous les intéressés, a été fait à tous les auteurs de projets.

L'autorité provinciale, à son tour, a pris, en 1860, l'initiative de l'institution d'une commission dite des trois pouvoirs.

Celte commission a compris son mandat et l'a rempli avec un zèle et un dévouement dignes des plus grands éloges ; elle a examiné tous les projets, elle les a étudiés, elle a fait divers voyages pour étudier ce qui se faisait à l'étranger, et elle a fini par conclure, sans adopter un système, et en laissant aux administrations intéressées, le soin de faire ce choix. Il ne sera pas inutile de vous faire connaître ces conclusions ; elles ne sont pas bien longues, elles vous prouveront que le projet adopté répond parfaitement aux vœux de la commission des trois pouvoirs. Voici ce que disait cette commission ;

« Tels sont, messieurs, les résultats de nos études et de nos investigations sur les différents projets qui nous ont été soumis.

« La corruption des eaux de la Senne à partir d'Anderlecht à l'amont de Bruxelles, et les dangers que présente la rivière, en cet état, pour la salubrité publique, depuis ce point jusqu'à l'aval extrême, sont aujourd'hui des faits incontestablement établis, auxquels il s'agit d'apporter un très prompt remède.

« Il ne rentre pas dans notre mission de désigner quel est celui des projets mis en avant qu'il faut exécuter : leur examen détaillé doit être abandonné, nous l'avons déjà dit, à des hommes spéciaux versés dans la science des travaux publics. Le choix du projet dépend, en outre, du taux des sacrifices qu'il sera possible d'affecter à la gigantesque entreprise de l'assainissement de la Senne.

« Qu'il nous soit permis toutefois de tenir tout le monde en garde contre les demi-mesures : elles sont toujours les plus coûteuses et les ennemies des projets bien conçus. Les administrateurs habiles, qui doivent examiner la question après nous, apprécieront si, indépendamment de ce qu'exige l'assainissement de la Senne, l'embellissement, disons plutôt l'amélioration de la partie basse de Bruxelles ne réclame pas quelques sacrifices, et si la loi spéciale d'expropriation pour l'assainissement des quartiers insalubres ne trouverait pas une utile application dans le cas qui se présente,

« Nous tenons aussi à bien constater que l'insalubrité de la Senne n'est pas due seulement à l'industrie et au déversement des égouts de Bruxelles et des faubourgs, mais qu'elle est aussi causée par la diminution trop sensible des eaux de cette rivière. Ces pertes d'eau, il faut les attribuer à l'alimentation du canal de Charleroi, lequel absorbe aujourd’'hui presque toutes les eaux d'amont qui s'écoulaient autrefois par la Senne.

« Si l'on tient compte, d'une part, de l'accroissement rapide de la population de Bruxelles et du développement plus rapide encore des faubourgs ; d'autre part, de l'absorption des eaux, on comprendra aisément que l'équilibre qui existait autrefois entre les quantités d'eaux pures et d'eaux viciées, a disparu depuis longtemps et que le mal ira toujours en augmentant.

« Nous avons recherché avec soin ces causes de la corruption de là Senne, parce que plus d'une caisse publique se verra obligée de contribuer dans les dépenses à faire pour y apporter remède, et qu'il est de toute équité que ceux qui contribuent au dommage interviennent quand il s'agit de le réparer. »

Il fallait cependant en finir.

Un de nos honorables collègues proposa à l'administration communale de faire appel aux lumières du gouvernement, et le gouvernement, avec une obligeance que je me plais à reconnaître, et dont je le remercie, répondit à cet appel en désignant ses ingénieurs les plus distingués pour étudier la question de la Senne.

Vous connaissez le résultat du travail consciencieux de cette commission. Je ne vous en entretiendrai pas longuement ; il consiste en quatre points principaux :

1° Rectification du lit de la rivière ;

2° Etablissement de grands égouts collecteurs ;

3° Construction d'une large artère destinée à répandre la vie et la lumière au milieu des populations agglomérées ;

4° Utilisation des engrais.

Les travaux de rectification de la Senne ont pour but de donner à la rivière un cours plus régulier. En faisant disparaître les usines qui constituent autant d'entraves et qui embarrassent la marche de la rivière, on pare aux inconvénients des inondations qui viennent périodiquement désoler tout le bassin de la Senne. Les ingénieurs ont calculé que, pour obvier aux plus fortes crues d'eau connues, il faut pouvoir donner à la rivière un débit de 120 mètres cubes d'eau par seconde.

Les travaux qu'on se propose d'effectuer sont combinés de telle façon que la rivière puisse débiter 125 mètres cubes par seconde, et alors le niveau de la rivière se trouve encore à 15 centimètres de la clef de voûte. De telle sorte qu'en y ajoutant les travaux complémentaires auxquels la ville s'est engagée, la question des inondations reçoit la solution la plus complète et la plus parfaite que la prévision humaine puisse donner à une pareille question.

La construction d'égouts collecteurs est la base du projet de travaux pour lequel ou vous demande un crédit. La première condition de l'assainissement de la Senne réside dans la séparation de l'eau des matières nuisibles qui la corrompent. Dégagée des immondices qui en font un cloaque, la Senne redeviendra un coups d'eau salubre dont on n'aura plus rien à redouter pour la salubrité publique, et qu'on peut voûter impunément.

En redressant le cours de la rivière, en établissant sur ses deux rives des égouts collecteurs, il y avait, plusieurs partis à prendre : ou bien laisser couler la Senne à ciel ouvert et utiliser les terrains qui la bordent pour y construire des habitations. Ce système était le moins coûteux ; mais il eût été bien certainement le plus défectueux, car il eût été difficile d'empêcher les riverains de jeter à chaque instant, dans la rivière, des immondices ou des eaux ménagères.

On pouvait aussi maintenir la Senne à ciel ouvert, et la border de chaque côté d'un quai, mais alors encore la surveillance devenait fort difficile, on devait construire plusieurs ponts, et il ne fallait pas s'attendre à une bien grande animation dans des rues qui n »auraient des maisons que d'un seul côté et qui auraient été limitées d'un autre côté par un parapet bordant une rivière non navigable. Restait un troisième moyen ; c'est celui qui fait l'objet du projet qui vous est soumis. Il consiste à voûter la Senne, et à établir, au-dessus de cette voûte et des. collecteurs, une grande voie destinée à répandre la vie et la lumière au milieu de populations agglomérées et de quartiers pour la plupart insalubres. Ce boulevard était indiqué du reste indirectement dans les conclusions de la commission des trois pouvoirs, et il offre en outre ce grand avantage de mettre constamment et sur tout leur parcours les collecteurs et les voûtes de la Senne sous la main de l'administration.

(page 738) On a dit souvent qu'il fallait utiliser les matières fertilisantes provenant des déjections d'une agglomération de 300,000 habitants et on avait raison. Seulement on perdait de vue que l'utilisation de ces matières n’état que l'accessoire et que l'assainissement était la question principale. Certes, l'intérêt de l'agriculture est respectable, mais il ne peut venir qu'en second ordre quand il s'agit d'une question d'assainissement.

Nous avons donc repoussé tous les systèmes qui étaient de nature à compromettre la salubrité publique, et nous avons accepté avec empressement les moyens que nous offrait l'usine de décantation et le sewage pratiqués avec succès en Angleterre. Mon honorable collègue, M. Vleminckx, plus compétent que moi lorsqu'il s'agit de questions d'hygiène, vous dira quels sont les bienfaits que nous pouvons attendre du système proposé pour l'utilisation des engrais.

Voilà, messieurs, le projet lel qu'il vous est présenté. Je ne répondrai pas à toutes les objections de détail qu'il a soulevées ; elles ont été victorieusement réfutées déjà dans les sections et vous avez sous les yeux les pièces contenant toutes ces réfutations. Il est constant dans tous les cas qu'elles ont paru suffisantes au gouvernement, puisqu'il vient vous proposer de voter un crédit pour nous aider à exécuter le grand travail proposé.

Avant de terminer, il me reste à répondre non pas à une objection, mais à un reproche qui nous a été adressé. On nous a demandé pourquoi nous n'avions pas mis les travaux en adjudication. Le motif en est bien simple : nous n'avons pas mis ces travaux en adjudication parce qu'ils ne sont pas de la nature de ceux qu'on peut mettre en adjudication publique. En effet, toute adjudication présuppose un devis et par suite un travail clairement et nettement déterminé. L'administration ne peut adjuger un travail qu'après en avoir obtenu l'autorisation du conseil communal, et le conseil communal ne peut accorder une pareille autorisation que sur un devis contenant l'estimation exacte du travail à faire.

Or, il était impossible de faire ce devis. Ainsi pour ne parler que des collecteurs et du voûtement de la Senne, on peut rencontrer en creusant le sol un terrain propre à la construction, mais on peut aussi rencontrer des boulants ou des sables mouvants qui nécessitent des pilotis, des grillages, etc., en un mot un tout autre mode de construction, que celui qu'on suit ordinairement.

Il se présentait en outre des difficultés bien plus grandes pour la rémunération des travaux. La compagnie entreprend un travail qui nécessite l'emprise de plus de neuf cents maisons ; les indemnités à payer aux propriétaires et aux locataires peuvent-elles être calculées exactement d'avance ? D'autre part la Compagnie reçoit-26 millions pour des travaux qui s'élèvent en réalité à un chiffre beaucoup plus considérable. Il faut trouver le surplus dans la revente des terrains. Etait-il possible de faire figurer une estimation aussi aléatoire dans un devis fait par une administration sous peine de se tromper énormément en plus ou en moins ?

Et quels servent les capitalistes qui auraient entrepris les études préliminaires à un pareil travail et qui auraient déposé un cautionnement de 4,250,000 fr. s'ils n'avaient l'assurance que l'autorité avec laquelle ils traitent prenait vis-à-vis d'eux un engagement sérieux ?

D'autre part, la province et les Chambres auraient-elles voté des subsides, si la ville n'avait pu leur donner l'assurance formelle que le chiffre fixé pour les travaux ne serait pas dépassé, et qu'un entrepreneur sérieux se chargeait du forfait ? Et cependant, une adjudication publique ne pouvait se faire qu'après que tous les fonds eussent été votés. C'est là un cercle vicieux dont on ne pouvait sortir que par un marché provisoire à main ferme.

Certes, pendant les négociations, et elles ont été longues, on pouvait accepter des propositions nouvelles, et c'est ce qui est arrivé. La ville de Bruxelles a été longtemps en pourparlers avec une société financière fort importante, et elle était sur le point de conclure avec celle-ci quand des offres meilleures lui ont été faites par la compagnie concessionnaire. Ces offres, elle les a acceptées, et dès ce moment elle se trouvait liée, il n'y avait plus à en revenir : il fallait maintenir les conventions loyalement consenties.

Tous les jours, le gouvernement, la province, les communes contractent des emprunts à main ferme.

Quels sont donc les capitalistes qui traiteraient avec eux, s'ils n'étaient pas certains de faire une affaire sérieuse, et si le premier venu, offrant un rabais quelconque, pouvait venir les déposséder ? C'est une question d'honnêteté et de moralité que vous avez à apprécier ; la solution n'est pas douteuse pour moi.

Dans tous les cas, l'affaire est-elle mauvaise pour l'administration communale ? Si j'avais, messieurs, jamais eu quelques doutes sur cette question, ces doutes seraient complètement dissipés aujourd'hui.

En effet, un journal de cette ville a, pendant longtemps, combattu les travaux proposés ; il a attaqué surtout l'absence d'adjudication ; et il y a quatre jours à peine il déclarait encore d'une manière formelle que cette absence d'adjudication lésait d'une manière grave les intérêts de la ville de Bruxelles, Je ne me plains pas de ces attaques, je les crois consciencieuses.

Eh bien, messieurs, aujourd'hui même ce journal revient de son opinion première ; ce même journal qui nous reprochait de payer les travaux plus chers que nous ne les aurions payés a la suite d'une adjudication publique, qui nous reprochait d'avoir préféré des concessionnaires étrangers à des concessionnaires belges, ce même journal s'applique à démontrer, dans le numéro qu'il publie ce matin, que les travaux projetés constituent une très mauvaise affaire pour ceux qui les entreprennent et que les concessionnaires y perdront nécessairement des sommes fabuleuses.

Certainement, il y a des exagérations, involontaires sans doute, dans les calculs de l'auteur de cet article ; mais il n'est pas moins vrai qu'en soutenant aujourd'hui que le prix consigné au contrat pour les travaux projetés ne sont pas rémunérateur pour les entrepreneurs, et que ceux-ci doivent nécessairement trouver dans cette opération une cause de ruine, ce journal justifie de la manière la plus complète et la plus éclatante ce que l'administration communale a fait, et démontre d'une manière irréfutable que dans tous les cas le contrai fait à main ferme est excessivement avantageux aux intérêts de la ville de Bruxelles.

Je termine ces courtes observations, messieurs, en vous rappelant, comme je le disais en commençant, qu'il s'agit ici non pas d'un intérêt local ou communal, mais bien d'un grand intérêt public, d'une question qui intéresse le pays tout entier.

Oui, messieurs, la Belgique entière est intéressée à voir disparaître ce foyer d'infection qu'on appelle la Senne ; le pays tout entier est intéressé à empêcher les épidémies de naître, de grandir, de prendre de la consistance, et de se répandre au dehors.

Et lorsque la ville de Bruxelles fait des efforts inouïs pour se défendre contre un pareil fléau, il est juste que le pays tout entier lui vienne en aide. C'est ce que le gouvernement a compris en vous soumettant ce projet de loi et c'est ce que vous sanctionnerez, je l'espère, en votant le crédit qui vous est demandé,

M. Julliotµ. - Messieurs, l'honorable M. Funck se trompe, quand il dit qu'il n'y aura pas une voix discordante.

J'ai volé en section contre le projet de ces travaux et je resterai conséquent dans le vote définitif. Je demande à motiver ma détermination. Je désire, du fond du cœur, le bien-être de mes semblables ; seulement c'est sur le mode d'y parvenir que le désaccord se produit.

Jl y a, pour moi, deux solidarités, la solidarité volontaire et la solidarité forcée ; je suis partisan de la première, mais le grand nombre ne reconnaît que la seconde.

Vous allez assainir et embellir une partie de la capitale pour prolonger d'une manière factice la vie à un groupe de population que vous voyez vivre et s'agiter sur les deux rives de la Senne ; en effet, quand on se promène dans ces parages on reconnaît que la rivière n'a pas assez d'eau, qu'elle est sale et qu'il doit être nuisible à la santé de séjourner sur ses bords ; puis, on rentre en ville, on communique ses observations à d'autres qui les colportent à leur tour ; l'Académie s'en mêle et, coûte que coûte, il faut y porter remède quelque soit le moyen d'y arriver, et alors le recours à l'impôt est l'idée corollaire de la première ; car en Belgique on ne connaît que cela. Cette découverte n'est pas très ancienne, car pendant les premières années de ma présence au parlement on ne s'occupait pas plus de la Senne que du Jaer, du Zwartwater ou de la Zwael, toutes rivières non navigables dont l'Etat ne s'attirait pas le passif. Là où on ne voulait pas infecter les cours d'eau, on défendait, par mesure de police, d'y porter les immondices.

Messieurs, quand vous aurez assaini et embelli le bas de la ville, n'y aurait-il rien à faire dans le haut ? Que vont dire les Marolles et tous ceux qui grouillent dans ces centaines d'impasses infectes où il n'y a pas un mètre cube de bon air à respirer ?

Notons que la section centrale se compose de quatre honorables collègues de Bruxelles.

Quand le conseil communal de la capitale, au nombre d'une quarantaine de personnes, entretiennent l'opinion publique de leur ménage communal ; quand ils sont soutenus par autant de conseillers provinciaux du Brabant, et que onze voix dans cette enceinte chantent la même gamme, (page 739), il est difficile à un ministère, quelle que soit sa vigueur, de ne pas se croire obligé à composer, et c'est ce qui est arrivé. Nouvelle preuve des dangers que présentent les collèges électoraux dont le nombre d'élus n'est pas borné au nombre de la moyenne des autres collèges du pays.

Ces onze représentants font de cette sale petite rivière un fleuve destiné à la dérivation du budget. Et à l'avenir chaque ruisseau aura une importance appropriée au nombre des représentants qui habitent cette contrée.

Je suis tenté de remercier la capitale de se contenter de si peu pour le moment.

Mais la ville de Liège, qui surtout a mes sympathies, celles de Gand, Anvers, Mons, Tournai, Louvain, Namur, etc., ne vont-elles pas acclamer leur part à bon droit, et alors que ferons-nous ?

Messieurs, il est de bons esprits qui soutiennent que ne pouvez prolonger artificiellement, par l'impôt, la vie d'un homme que vous voyez, sans raccourcir en proportion la vie d'un antre que vous ne voyez pas, et j'ai des tendances à admettre cet aphorisme, mais je me garderai de développer ce principe, car l'école sociétaire toute entière comme les jourdains partageux se rueraient à la fin sur moi.

Messieurs, quand la population d'une ville non fortifiée manque d'espace et d'air, c'est que le terrain y a une grande valeur et alors à l'aide d'une bonne loi d'expropriation par zones, vous obtenez que l'assainissement et l'embellissement se payent eux-mêmes et c'est sous cette forme que j'entends concourir à ces améliorations et pas autrement, mais je me refuse à demander 26 millions à l'impôt aux contribuables que je vais pour en doter, sous forme de plus value, un groupe d'individus que je puis bien plus ou moins apercevoir, mais que je ne vois pas assez pour les désigner, je crois donc pouvoir me dire que, quand des réclamations pareilles surgissent de tous les points à assainir, vous serez obligés à adopter mon principe sous peine d'appliquer les injustices les plus révoltantes, sans obtenir de résultats.

En voilà assez pour le fond.

Maintenant, messieurs, en ce qui concerne la forme, a t-on choisi la meilleurs, je dis non, on a donné la préférence à la plus mauvaise.

On a repoussé toute concurrence et toute adjudication.

Il y a quinze jours à .propos du Flénu, on nous a démontré qu'un marché fait à la main était suspect et mauvais, que l'adjudication seule donnait des garanties.

Aujourd'hui l'honorable rapporteur, employant le même talent, veut nous prouver le contraire et cela sera admis. Ce qui démontre qu'un avocat habile peut impunément torturer la logique, quand cela lui plaît.

Ou souffle le chaud et le froid, sempre bene, mais on se dit tout bas : Votons vite la chose. Il n'y a pas à s'y arrêter, car la Senne peu libérale en moyenne n'est pas cléricale et ne se prête pas au truc électoral.

Nous allons donc nous associer à un marché conclu sous le manteau de la cheminée communale.

C'est une imitation de l'entreprise de l'église de Laeken, et quand ces travaux seront aux trois quarts de l'exécution, il faudra à nouveau les arroser et on nous prouvera que, pour achever l'œuvre, la commune, la province et l'Etat doivent concourir dans la mesure adoptée primitivement.

M. Bouvierµ. - Qu'a l'église de Laeken de commun avec cela ?

M. Julliotµ. - Par exemple ! qui me défendra de faire des comparaisons ? Je suis très indulgent de mon côté, mais je n'entends pas qu'on me dicte ma conduite.

Messieurs, en ce qui concerne la garantie, vous vous reposez sur le vote de la province et de la commune, laquelle s'en réfère à ses ingénieurs, contredits par un plus grand nombre d'hommes capables.

Or quel que soit le talent d'un homme, il est exposé à se tromper dans le calcul de ce travail immense et compliqué.

Encore une fois, l'état de l'église de Laeken n'est-il pas apprécié d'autant de façons qu'il y a d'examinateurs, et la tour qui reste à élever, comme celle de Babel, elle ne sera pas achevée. A Laeken les fondations sont insuffisantes pour porter le corps du bâtiment.

Vous allez enfermer les eaux de la Senne dans une caisse d'une longueur démesurée.

Qui nous dit que cette voûte sera suffisante pour digérer les eaux d'une crue exceptionnelle que vous ne pouvez ni prévoir, ni conjurer ? Et si un sinistre pareil arrive, ce ne seront plus les campagnes qui seront inondées, c'est le centre de Bruxelles qui sera bouleversé et vous aurez des noyades.

Ce travail a la prétention de commander aux éléments, c'est un orgueil démesuré pour une époque où on ne sait construire ni tunnel ni église sans qu'ils s'écroulent.

Eu section centrale on a posé plusieurs questions et M. le rapporteur, d'accord avec le gouvernement, nous dit qu'il y a été répondu dans l'exposé des motifs.

Bref, on a agi de parti pris, on a écarté toutes les offres quelque avantageuses qu'elles fussent.

La section centrale affecte de prendre une grande responsabilité, quand elle insère dans son rapport qu'elle répond de l'efficacité du travail et de la question financière ; mais ce n'est qu'une bravade des bords de la Garonne, car il n'y a pas la moindre sanction à la responsabilité de la section centrale.

On veut imiter Paris sans en avoir les éléments ; aussi je ne crois pas du tout à l'exécution de ces travaux. C'est mon appréciation.

Dans ces conditions, je ne vote pas le crédit pour la Senne.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, je me suis abstenu eu section centrale, d'abord parce que je ne voulais pas, par un vote négatif, démentir mes antécédents sur la question qui nous occupe, et parce que, d'autre part, je ne voulais pas, par un vote approbatif, diminuer d'avance les observations très graves que je vais avoir l'honneur de vous soumettre.

La question de l'assainissement de la Senne, messieurs, n'est pas neuve : depuis longtemps il a été reconnu que des mesures devaient être prises pour empêcher cette rivière de devenir une cause d'insalubrité et de miasmes au lieu d'être une cause de salubrité et un moyen d'assainissement pour les populations riveraines.

Dès 1844, lorsque j'avais l'honneur de proposer des moyens de distribution d'eau dans la ville de Bruxelles, j'étais naturellement obligé d'examiner quels seraient les moyens d'écoulement pour ces eaux. La question de l'assainissement de la Senne était dès lors posée.

En 1845, le conseil central de salubrité publique m'ayant appelé dans son sein, j'y trouvais la question déjà à l'état d'examen et de discussion depuis plusieurs années.

En 1846, j'étais chargé par l'administration communale de Bruxelles de faire un nivellement préparatoire aux travaux publics et d'assainissement ; dans les conditions de ce travail, figurait un article spécial relatif à la Senne.

Au conseil provincial j'étais à peine assis sur les bancs, que j'étais provoqué à examiner cette question, et de la discussion qui s'en est suivie, est sortie ce qu'on a appelé la commission des trois pouvoirs dont j'ai été appelé à faire partie.

Si je fais cette énumération, messieurs, c'est pour vous prouver que la question de la Senne m'est parfaitement connue, qu'elle m'est connue depuis très longtemps et qu'aucun de ses détails ne m'est étranger.

Ma compétence établie, je crois pouvoir entrer sans plus tarder dans les observations que j'ai à vous soumettre.

Il est évident, messieurs, que la nécessité de. l'assainissement de la Senne n'a pas été exagérée et que des travaux considérables doivent être exécutés pour arriver à ce résultat. Aussi ai-je vu avec satisfaction qu'après de long débats l'administration communale est arrivée à la solution indiquée par la commission des trois pouvoirs, et qui se trouvait déjà décrite dans le rapport déposé au Conseil communal en 1848 à la suite du nivellement général dont j'avais été chargé.

Mais, messieurs, après avoir posé et accepté ces prémisses, après avoir adopté les moyens pratiques de les réaliser, on abandonne tout à coup la voie qu'on semblait vouloir suivre ; on s'empresse de détruire, au prix d'une dépense considérable, précisément l'objet qu'on semblait vouloir atteindre ; l'assainissement de la Senne qu'on a voulu obtenir on l'annihile complètement en supprimant la rivière en ville et en la cachant à tous les yeux.

Celle solution est-elle logique ? rentre-t-elle dans le programme qui a été tracé par la science et par les hommes de l'art ? n'en est-elle pas, au contraire, la négation la plus formelle ? Vous voulez de l'eau pure, on vous la donne, et c'est pour la cacher, pour la rendre inutile.

Je pourrais m'étendre longuement sur ce premier point. Mais vous êtes pressés d'arriver à une solution.

Celte question si compliquée nous a été soumise dans un moment où nous n'avons plus le temps de l'examiner avec maturité. Il faut donc bien écourter le débat et en retrancher tout ce qui n'est pas nécessaire.

J'ai d'ailleurs des observations beaucoup plus graves à vous formuler et votre expérience des affaires suffira pour vous faire trouver sur ce point ce que je n'ai pas le temps de dire.

On va donc voûter la Senne en ville. Il s'agit de construire une voûte (page 740) d'une très grande longueur sur une rivière qui n'est pas toujours très calme, qui a quelquefois des débordements inattendus et qui est exposée, nous l'avons vu à plusieurs reprises, à produire des inondations considérables, donnant un volume d'eau qu'on a évalué à 125 mètres cubes par seconde.

Qu'arrivera-t-ii, si, pendant la construction, un débordement de cette nature se produit ?

Si vous voulez éviter cette éventualité qui peut être désastreuse, vous serez obligés de faire d'avance une dérivation qui vous permette de détourner les eaux loin de vos travaux ; si vous ne le faites pas, vous vous exposez à perdre en quelques minutes tous les travaux que vous aurez déjà faits.

Vous voilà donc en présence d'une première difficulté.

Vous n'avez pas, comme en plein champ, le moyen de vous jeter à droite ou à gauche ; vous êtes enfermés dans une agglomération de population et dans des terrains bâtis et qui ont une valeur très grande, vous êtes donc forcés de rester sur la ligne qui vous est tracée. Par conséquent, s'il vient, non pas même une de ces grandes crues, un de ces cataclysmes atmosphériques dont nous avons eu un exemple en 1850, mais une simple inondation ordinaire, vous êtes forcés de diriger toutes ces eaux vers les siphons sous le canal et vous courez le risque de voir emporter vos travaux.

Voilà donc une première difficulté.

Mais supposons un instant que le hasard soit tellement favorable que pendant les trois, quatre ou cinq années de l'exécution des travaux de construction, aucun accident de ce genre n'arrive ; et que les voûtes soient construites comme vous l'entendez, de manière à donner passage à 75 mètres cubes d'eau par seconde ; dans certaines circonstances, on reconnaît qu'il a fallu trouver l'écoulement pour 125 mètres.

Mais ce n'est évidemment pas là une limite extrême et qui ne sera jamais dépassée. Nous avons vu, il y a vingt ans, près de Bruxelles, un aqueduc qui avait été jugé suffisant par les hommes de l'art, pour donner passage à toutes les eaux qui pouvaient s'y présenter ; or, à la suite d'un orage, cet aqueduc n'a pas donné passage à ces eaux, mais par suite de cette insuffisance, une commune a été engloutie et 50 à 60 personnes ont perdu la vie.

Ce n'est donc pas exagérer que de dire qu'il y a, dans la série des phénomènes atmosphériques, des extrêmes qu'il faut prévoir et qu'il ne faut pas braver.

Dans l'ancien état de la vallée de la Senne, les eaux qui venaient en surplus dans les cas de trombe, de fontes de neiges subites ou de grand orages, trouvaient de vastes réservoirs naturels pour s'épandre dans les prairies de Cureghem ; là les eaux pouvaient s'accumuler en volume considérable ; mais maintenant ces réservoirs naturels disparaissent les uns après les autres ; on a construit la station du Midi dans ces prairies, des quartiers nouveaux s'y établissent, on remblaye petit à petit tous les emplacements où les eaux pouvaient se concentrer et où elles attendaient le moment de s'écouler vers l'aval ; mais quand ces réservoirs auront disparu, qu'arrivera-t-il s'il y a une crue comme en 1850, ou une fonte de neige subite ? Les eaux devront trouver une issue assez large pour pouvoir traverser sans obstacle la ville, sans cela elles sortiront du lit tracé et y occasionneront les plus grands dégâts.

Supposez le moindre accident, et c'est toujours ainsi que les malheurs arrivent : un arbre qui tombe dans le courant, une porte de grange, un toit qui dérivent sur les eaux gonflées, un obstacle se produit, les voûtes sont rétrécies, fermées peut-être, l'eau s'accumule, et comme elles ne s'arrêtent pas, et ne peuvent être arrêtées, les voûtes seront soulevées, tous vos travaux seront anéantis, et la Senne coulera de nouveau à l'air libre.

J'appelle, messieurs, toute votre attention sur cette éventualité que je pourrais aussi développer plus longuement. Et je vous demande si c'est un acte de bonne administration et s'il est permis à des personnes irresponsables puisqu'elles ne pourront réparer les conséquences de leurs actes, de se soumettre à des chances aussi graves quand on peut l'éviter !

Est-il sage de risquer ainsi 26 millions sur la chance d'échapper à des accidents possibles s'ils ne sont probables, alors qu'on peut, à moindres frais, sans courir aucun risque, sans avoir aucune des difficultés, que j'ai fait entrevoir, arriver à une solution meilleure et logique, du problème d'assainissement qui est posé ?

Voilà, messieurs, la question que je soumets à l'appréciation de cette Chambre, parce que j'aurai tantôt l'honneur de déposer des amendements qui permettront de rechercher avec maturité les solutions qui, après une étude sérieuse des faits et des lieux, seront trouvées les meilleures.

Messieurs, tout n'est pas résolu dans les solutions qui ont été données par le conseil communal au problème de l'assainissement de la Senne. Des questions excessivement graves, excessivement importantes pour l'intérêt et la prospérité de la capitale ont été complètement négligeas et, pour moi du moins, si j'en juge d'après les pièces qui nous ont été soumises, ont été pour ainsi dire ignorées.

La première de ces questions est celle de l'augmentation du volume des eaux de la Senne. Cette rivière perd successivement une partie de son débit, et l'on peut prévoir le moment où elle ne sera plus, pour ainsi dire, qu'un simple filet d'eau, qu'un ruisseau.

A-t-on rien prévu pour contrebalancer cette déperdition constante ? A-t-on rien fait, dans les projets qui ont été admis, pour arriver à remédier à un état de choses qui n'est pas contesté ? Cependant, une population de 300,000 âmes et qui s’accroît ne peut se passer d’eau. Plus la population grandit, plus elle devient importante, active et plus elle a besoin d’eau pour ses industries et pour tous les usages journaliers.

Si vous ne prenez pas des mesures pour mettre le volume d'eau en proportion avec la population, vous pouvez être certains du résultat final ; c'est que la population ne pourra plus s’accroître et que, si elle s'accroissait, ce serait en cournt les plus grands dangers au point de vue de la salubrité.

Il y a une corrélation naturelle, nécessaire, entre le volume d'eau dont une population doit disposer, non pas seulement l'eau distribuée dans les maisons, mais surtout le volume d'eau nécessaire à la salubrité publique et à l'industrie, et la quantum de la population. Jamais vous n'avez vu une grande ville, dans aucun Etal et dans aucune partie du monde, s'établir dans des places où il n'y avait pas d'eau. Partout où de grandes populations se sont établies, il s'est toujours trouvé un volume d'eau plutôt supérieur qu'inférieur aux nécessités hygiéniques et industrielles de ces populations.

M. Vleminckxµ. - Cela est vrai pour lès habitations, mais cela n'a rien de commun avec la Senne.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Pardon. La Senne perd tous les ans une partie de ses eaux. Vôtre population est alimentée par un système artificiel.

Cè système artificiel peut, au moindre accident, être interrompu, ne fût-ce que momentanément. Si vous n'avez pas naturellement, à l'abri de tout accident possible, un certain volume d'eau, pour suppléer, ne fût-ce que pendant quinze jours à l'interruption possible de votre système artificiel, il est évident que votre population est exposée aux plus grands dangers ; elle est exposée à devoir fuir la ville pour n'y pas périr. Vous ne pouvez donc pas perdre de vue ce point important, parce que si vous le négligez un instant et si un accident survient, votre ville serait exposée à la dépopulation et à la ruine.

M. Vleminckxµ. - Vous oubliez la grande quantité de puits répandus sur toute la surface.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Un second point qui paraît avoir été perdu complètement de vue dans la solution du problème posé à l'administration centrale, c'est celui de la circulation.

La circulation pour une grande ville est tout aussi nécessaire, tout aussi indispensable que l'eau ; ce n'est qu'avec des moyens de circulation proportionnés au trafic, aux affaires, au commerce, à l'industrie et à la population, qu'une grande ville peut prospérer et s'accroître.

Si ces moyens lui font défaut, il arrive un moment où l'accroissement est forcément arrêté, faute de moyens de circulation et de transport et où par conséquent la prospérité et la richesse même de la population sont compromises.

En effet, messieurs, voyons ce qui se passé à Londres.

Depuis cinquante à soixante ans, la circulation s'était établie dans les rues comme à Bruxelles, tous ces transports se faisaient par ces voies.

Seulement comme la population était beaucoup plus grande qu'à Bruxelles, même, il y a cinquante ans, on avait été forcé d'élargir les voies de circulation et dès le commencement de ce siècle, il y avait déjà dans Londres des rues très larges.

Ces rues cependant sont devenues insuffisantes pour les transports comme pour la circulation, et les habitants de Londres ont dépensé des sommes considérables pour leur élargissement et l'amélioration de la circulation. Cependant un moment est arrivé où tous ces moyens ne suffisaient plus et où l'industrie privée a reconnu qu'elle pouvait faire quelque chose, qu'elle pouvait aider à faciliter la circulation générale, à mettre en quelque sorte tous les quartiers de Londres en communication (page 741) directe avec le pays entier. De cette nécessité reconnue sont sortis, dans ces dernières années, tous ces chemins de fer intérieurs qui ont établi .sur tous les points de Londres, au nombre de 69 ou 70, des stations par lesquelles la population peut se faire transporter partout, soit dans la ville soit en dehors, en dégageant considérablement la voie publique.

Il est évident, messieurs, que pour la population de Bruxelles qui n'est actuellement que de 300,000 habitants, y compris les faubourgs, les moyens de circulation sont encore plus ou moins suffisants. Cependant il ne faut pas parcourir longtemps la ville pour y être arrêté tantôt dans une rue, tantôt dans un carrefour par des embarras de voitures, par des obstructions de circulation, il est certain que si cet état de choses s'aggrave encore, l'accroissement du commerce, de l'industrie, de la richesse, de la population sera entravé, sera arrêté et qu'il est indispensable que l'on y porte remède.

M. Bouvierµ. - Eh bien, il y aura trois rues nouvelles.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Maintenant qu'est-ce qu'une ville ? C'es tun établissement commercial et industriel qui, pour prospérer, doit être pourvu de tous les engins, de tous les moyens d'action dont sont pourvus les établissements rivaux et concurrents.

Dès lors, est-il possible qu'une population comme celle de la ville de Bruxelles puisse continuer à prospérer, à s'agrandir, à s'enrichir si les moyens de transport économiques lui font défaut ? Les moyens de circulation inventés dans ces dernières années, les chemins de fer ont une importance que personne ne pourra nier. Or, au point de vue des chemins de fer, la ville de Bruxelles est menacée de se trouver bientôt en dehors du réseau de la circulation générale du pays. Lorsque le chemin de fer circulaire sera construit, lorsque la station extérieure de Molenbeek sera établie, l'étranger pourra passer tout à côté de Bruxelles, sans même se douter qu'il y a là une grande ville. D'autre part, les habitants d'Ixelles, par exemple, seront obligés de traverser toute la ville pour aller chercher des moyens de transport et passeront plus de temps à faire cette demi-lieue dans les rues qu'il ne leur en faudra pour faire vingt lieues sur le chemin de fer.

Il est donc indispensable, si la ville de Bruxelles veut continuer à prospérer, qu'elle se mette au niveau des moyens de circulation établis ailleurs chez ses concurrentes ; il est indispensable qu'elle songe le plus tôt possible à avoir dans son sein une station centrale qui serve à améliorer ses moyens de transport intérieurs et en même temps à activer ses rapports avec la province.

Je le demande, messieurs, le projet adopté par le conseil communal n'est-il pas tout à fait contraire à la solution économique oe cette partie du programme ? Ne faudra-t-il pas, si on veut le résoudre, démolir une partie des travaux qui auront été exécutés pour l'assainissement si l'on ne prévoit pas d'avance la solution qu'il faudra donner plus lard à la question de l'établissement d'une station centrale.

Vous le voyez, messieurs, par ces quelques remarques, la question telle qu'elle a été posée devant la Chambre et devant la section centrale mérite encore d'être discutée et pour arriver à être résolues complètement, il faudra encore la revoir de très près. (Interruption.)

Messieurs, on me dit qu'il y a longtemps que là question est posée, Qu'elle a été beaucoup discutée. Je ne le nie pas, mais, messieurs, est-ce là une raison pour que, à un moment donné, on la fasse résoudre à la hâte par les corps publics responsables qui n'ont été saisis de cette question qu'au dernier moment, à là fin d'une session ? Ne faut-il pas que ces corps prennent au moins quelques jours, quelques mois s'il le faut, pour arriver à une solution qui ne laisse plus rien à désirer ? Ne sera-ce pas là gagner du temps ?

On dit qu'il n'y a plus lieu d'examiner, qu'il faut voter de confiance, que nous devons économiser le peu de temps qui nous reste. Puisqu'on m'appelle sur ce terrain,je me propose de vous démontrer en quelques mois que le temps que nous consacrerons à cet examen ne sera pas du temps perdu.

Messieurs, comme vient de vous le dire un honorable échevin de Bruxelles et comme, du reste, plusieurs documents le démontrent, la solution donnée à la grave question que je viens d'exposer aussi brièvement que possible a été donnée sans plans, sans études pratiques. Voici, messieurs, les paroles prononcés par l'honorable bourgmestre de Bruxelles dans la séance du 24 mars 1866 : (L'orateur donne lecture de ce discours).

Pourquoi ne pouvait-on pas avoir ces plans ? En 1860, sur ma proposition le conseil provincial a bien voulu voter une somme de 5,000 fr. pour la part de la province dans la confection des plans qui devaient servir de base à la solution des questions multiples et compliquées que soulève l'assainissement de la Senne. Or, bien que j'aie renouvelé l'année suivante cette proposition et que le conseil provincial ait continué à voter les fonds, comme ni l'administration communale de Bruxelles, ni le gouvernement n'ont admis ce moyen, il est arrivé que ce plan indispensable n'a jamais été exécuté.

Au lieu de cela, il y a deux ans, une nouvelle commission fut nommée, non pour faire des études sur le terrain et dresser des plans, mais pour examiner à nouveau ce que la commission des trois pouvoirs avait déjà résolu, c'est-à-dire le principe qui devait présider à la confection matérielle des projets.

La commission des trois pouvoirs, dont on vous a fait connaître les conclusions tout à l'heure, avait déclaré que ce n'était pas à elle de faire les plans, qu'elle n'avait ni mission, ni compétence pour les faire. Mais elle a indiqué, ce qui étaît son unique mission, sur quels principes les projets devaient être rédigés. Sa mission se bornait là.

Or, si au lieu de charger la commission dite des ingénieurs en chef, de refaire le travail de la commission des trois pouvoirs, de faire une étude basée sur les principes posés par elle, on serait aujourd'hui beaucoup plus avancé, et le conseil communal, au lieu de voter des millions pour l'exécution de plans à dresser, aurait pu voter des projets arrêtés et des devis détaillés qui eussent donné une base qui manque aux conventions arrêtées.

Or, messieurs, pendant que les ingénieurs étudiaient et délibéraient, un architecte propose une solution, c'est-à-dire qu'il adressé au conseil communal une espèce d'image coloriée qui figure un projet quelconque tracé sur un plan parcellaire, dans lequel aucune des difficultés nombreuses que présente la question n'est résolue ni même prévue. On s'imagine dès lors qu'il n'y a plus qu'à marcher de l'avant et c'est sur ce projet retiré d'ailleurs le lendemain par son auteur, que l'administration communale de Bruxelles a fait le premier contrat que vous connaissez. Il devait y avoir un plan de la commission des ingénieurs, néanmoins le contrat est fait sur le plan Suys...

M. Mullerµ. - Qui tient compte des conclusions de la commission des ingénieurs.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Du tout, je vais vous lire les articles du contrat qui prouveront à l'évidence que c'est bien le plan Suys qui est la base unique du contrat fait par la ville. Or, si ce plan est réellement un plan, je ne comprends pas que le bourgmestre ait pu dire les paroles que je vous ai lues tout à l'heure. Je vais donc vous lire l'article premier du contrat afin que vous sachiez bien à quoi la ville s'engage et pourquoi la section centrale a cru devoir prendre des précautions pour ne pas être entraînée pins loin que nous ne voulons aller. (L'orateur donne lecture de l'article.)

Il n'y a pas là d'équivoque possible, c'est du plan Suys seul qu'il s'agit.

MtpVSµ. - Mais le plan Suys repose sur le plan de la commission.

M. Ortsµ. - Lisez le contrat du 9 mars.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je le veux bien ; mais notez que le premier contrat a rapport aux seuls travaux intérieurs et le second contrat, au travaux extérieurs. Il ne faut donc pas faire de confusion entre les deux contrais, il s'agit dans le second des seuls travaux extérieurs.

Contrat du 9 mars article premier. « Les soussignés de seconde part... (L'orateur en donne lecture.)

Vous croyez qu'il y a des plans.

M. Bouvierµ. - Mais ils sont là.

M. Coomansµ. - Ce sont des papiers.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Il y a là des rouleaux de papiers, mais ce ne sont pas des plans.

M. Bouvierµ. - Qu'est-ce donc que des plans ?

MI. Le Hardy de Beaulieuµ. - Des plans véritables sont des documents dans lesquels toutes les difficultés d'exécution sont résolues et qui, une fois arrêtés, doivent être suivis, sans qu'on puisse s'en écarter, sous peine de ne plus savoir où l'on va. Quant aux plans que nous avons ici ce ne sont que des croquis, des avant-projets, qui ne peuvent servir que comme indications générales. Demandez-le au premier ingénieur venu, il vous dira que ce sont des croquis qui donnent une idée générale de l'ensemble, mais que ce ne sont pas des plans. Or, des travaux de la nature de ceux dont il s'agit ne peuvent être exécutés que sur des plans bien arrêtés.

C'est ce que l'on fait toujours lorsqu'il s'agit de grands travaux, ainsi à Londres quand on a voulu construire les grands égouts collecteurs, les travaux n'ont été commencés que lorsque toutes les difficultés furent résolues sur le papier et lorsque les moindres détails jusqu'aux regards (page 742) d'égout avaient été destinés, cotés et metrés, on savait exactement la quantité de matières qui devait entrer dans chaque partie du travail, la longueur des transports à faire, les excavations à opérer, tandis qu'ici on ne sait rien, absolument rien ; aussi c'est ce que justifie parfaitement l'honorable bourgmestre de Bruxelles lorsqu'il disait : Nous n'aurions pas su faire une adjudication, parce qu'il n'y avait pas de plans.

Il n'y a donc, je le répète, pas de plans et c'est sur de simples indications générales que la ville de Bruxelles a fait un contrat qui implique une dépense qui peut s'élever à vingt-six millions, on vient de dire à trente-six ; je répète donc la question que j'ai posée tantôt, je demande s'il est possible que nous, à qui on demande de contribuer à cette affaire pour une somme considérable, nous puissions voter sans nous assurer contre les conséquences ultérieures que peut entraîner notre vote. Pour ma part je pense que la ville de Bruxelles a l'intérêt le plus direct, le plus positif à ne pas dépenser un centime avant d'avoir fait résoudre par des ingénieurs toutes les questions que peut soulever l'assainissement de la Senne.

Si elle ne prend pas cette précaution, si elle se lance sans plans ni devis arrêtés à l'aventure dans des travaux aussi compliqués, je lui prédis qu'elle se lancera dans des difficultés inextricables et dont elle ne saura comment se tirer.

Ce n'est qu'en se renseignant sur toutes les difficultés, ce n'est qu'en faisant travailler sérieusement aux plans définitifs et en ne les mettant à exécution que lorsqu'ils seront complètement achevés et arrêtés, qu'on parviendra à une solution convenable du problème.

MtpVSµ. - Cela va de soi.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Pas autant qu'on le pense.

MtpVSµ. - Je vous demande bien pardon.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Aussi, pour être certain que les choses marcheront convenablement, j'ai l'honneur de proposer l'amendement suivant qui nous donnera la garantie qu'aucune partie du crédit ne sera dépensée avant que les plans aient été définitivement arrêtés.

Evidemment, messieurs, si j'étais seul à décider, je proposerais l'ajournement du vote du projet de loi jusqu'au mois de novembre prochain, c'est-à-dire à une époque où les plans pourront être définitivement arrêtés. Mais comme cette solution pourrait paraître à quelques-uns un acte de mauvais vouloir que mon intention n'est nullement de poser à l'égard de la ville de Bruxelles, et comme j'ai toute garantie en M. le ministre des travaux publics, exécutant la loi, je me borne à proposer d'ajouter au projet de loi les dispositions suivantes :

« Art. 3. Le gouvernement est autorisé à faire sur ce crédit une avance de 50,000 francs pour la confection des plans et devis définitifs.

« Art. 4. La présente loi, sera exécutoire aussitôt que des plans et devis complets et détaillés auront été remis à M. le ministre des travaux approuvés par lui.

« Il sera rendu compte annuellement à la législature de l'exécution des travaux. »

Voilà, messieurs, l'amendement que j'ai l'honneur de proposer à la Chambre afin de mettre la ville de Bruxelles en garde contre trop de précipitation.

- L'amendement est appuyé ; il fait partie de la discussion.

M. Orts, rapporteurµ. - Les critiques adressées, dans cette séance au projet de loi qui nous est présenté, ont trouvé déjà leur réfutation dans les documents mis à la disposition de la Chambre, pour ceux, bien entendu, qui se sont donné la peine de les lire.

Il n'y a, en effet, rien de neuf dans ces objections, si ce n'est peut-être une partie du discours de l'honorable M. Le Hardy. Cette circonstance, messieurs, rend la tâche de votre rapporteur beaucoup plus facile, car je n'entends pas revenir sur des considérations produites et débattues vingt fois au sein d'autres corps délibérants, dans des discussions imprimées et livrées à la publicité.

L'accueil que ces critiques ont rencontré non seulement au sein du conseil communal de Bruxelles, plus intéressé que personne à ne pas jeter son argent par la fenêtre sans en obtenir la contre-valeur, mais encore au sein du conseil provincial de Brabant, cet accueil, dis-je, prouve que ces critiques, en réalité, ne sont ni bien graves ni bien fondées.

Je n'ai pas, messieurs, à m'arrêter longtemps à une petite attaque personnelle qu'a envoyée à mon adresse l'honorable M. Julliot en prétendant que je viens ici affirmer le contraire de ce que j'ai eu l'honneur de défendre devant la Chambre il y a une quinzaine de jours.

M. Julliotµ. - C'est une affaire d'application,

M. Ortsµ. - Effectivement, tout est ici affaire d'application, et c'est pour cela que j'ai vanté les bienfaits de l'adjudication publique à propos de chemins de fer à concéder dans le Hainaut ; et c'est pour cela que je nie la possibilité d'application du principe de l'adjudication publique au projet d'assainissement de la Senne.

Eu principe, messieurs, tout le monde est partisan de l'adjudication publique, et partisan très sincère de ce mode d'exécution.

L'adjudication présente les garanties financières généralement les plus favorables ; elle garantit l'exécution la plus économique. Pour l'exécution d'un canal, d'un chemin de fer, d'une route, d'un travail en un mot parfaitement déterminé dans son tracé, dans son étendue, dans ses dimensions, dans les matériaux à employer, l'adjudication publique doit être la règle, et, je le dirai très franchement, la règle à laquelle je ne suis nullement disposé à apporter une exception quelconque.

Mais quand il s'agit d'un travail qui n'est ni déterminé ni déterminabie, quand il s'agit d'un projet qui consiste en une spéculation pour ceux qui le font, d'un projet qui a des chances d'avenir, qui peut s'étendre et qui peut s'amoindrir, l'adjudication n'est plus une chose possible.

A toute adjudication il faut une base solide, certaine, sur laquelle viennent s'appuyer des propositions aboutissant aux conditions les moins onéreuses pour celui qui met en adjudication.

Or, je le demande, est-il possible de mettre en adjudication, par exemple, un projet qui contient non seulement l'exécution de certains travaux d'art parfaitement appréciables et susceptibles d'être mis en adjudication, et qui seront très probablement mis en adjudication par la compagnie concessionnaire après le vote de la loi, mais qui comprend aussi une spéculation à réaliser par suite de l'expropriation par zones, laquelle n'est encore aujourd'hui ni déterminée ni déterminable et qui ne pourra l'être que plus tard par le gouvernement.

Dans des circonstances pareilles, les grands travaux d'autres villes n'ont pas été soumis à l'application du principe de l'adjudication publique. Je citerai par exemple les travaux qui s'exécutent à Anvers pour la transformation d'une partie de cette ville. (Interruption.) Le contrat Ibry n'a pas été mis en adjudication. (Nouvelle interruption.) Pour l'exécution partielle et en sous-œuvre des travaux, il y a eu ou il y aura adjudication ; c'est ce qui arrivera également pour les travaux de Bruxelles.

Ce n'est pas seulement la ville d'Anvers qui se trouve dans le cas de ne pas appliquer le principe de l'adjudication publique ; c'est encore la ville de Bruges qui entreprend des travaux considérables pour sa transformation.

Messieurs, le rapport de la section centrale le constate, dans cette section, composée de membres appartenant à des villes où aucun antécédent de ce genre n'a été posé ; dans cette section où siégeait également l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, il ne s'est trouvé aucune voix pour reprocher à la ville de Bruxelles de n'avoir pas eu recours aujourd'hui à l'adjudication publique.

D'ailleurs la Chambre, sous ce rapport, a une garantie. Le projet a été vivement critiqué par un homme compétent, au point de vue de l'art et de la science, au sein du conseil communal de Bruxelles, par M. Splingard. M. Splingard a reconnu que pour l'exécution des travaux il était impossible d'arriver à un meilleur marché que le prix offert à la ville de Bruxelles pour les exécuter.

Maintenant quelles sont les objections que fait l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu ? Il critique le projet au point de vue de la science, au point de vue de l'art de l'ingénieur, et il lui fait deux reproches passablement contradictoires. Il croit d'abord que les travaux proposés avec les dimensions qu'on leur donne sont insuffisants pour faire face, dans certaines circonstances exceptionnelles, à l'évacuation des eaux, de manière à prévenir toute espèce de danger d'inondation à Bruxelles en amont et en aval.

En un mot, les voûtes ne présenteraient pas les garanties suffisantes à travers Bruxelles. et puis, partant de cette critique mais lui tournant le dos, après avoir supposé l'éventualité dans le lit de la Senne d'une quantité d'eau innombrable sans précédent dans l'histoire de Bruxelles, l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu immédiatement fait volte-face. Il dit : « Prenez garde à un danger que personne n'a prévu. Le volume d'eau de la Senne diminue. Il faut songer au jour où la rivière disparaîtra complètement. Vous n'y avez pas songé. »

La contradiction entre les deux allégations prouve que l'une d'elles au moins n'est pas sérieuse,

Quant à l'objection tirée de ce que les voûtes ne présenteraient pas (page 713) de garanties suffisantes pour l'évacuation des eaux en cas d'inondation, je ferai remarquer que les dimensions adoptées ont été indiquées par la commission des ingénieurs et en parfaite connaissance de cause. Quel a été le but principal de son travail à ce point de vue ? Préserver la ville de Bruxelles et ses abords des inondations. A qui s'est-on adressé pour atteindre ce but ? A cinq ingénieurs dont le mérite n'est contesté par personne, et dans lesquels l'Etat place sa confiance depuis longtemps pour l'exécution de la plupart des grands travaux publics dont nous nous sommes occupés et pour lesquels nous avons voté des sommes considérables.

Ces hommes éminents ont indiqué une solution en vue de parer aux dangers de l'inondation. Et quel a été leur point de départ ? Ils ont fait minutieusement l'étude des crues d'eau les plus considérables qui se sont produites dans le bassin de Bruxelles aux siècles précédents, s'arrêtant à l'inondation de 1850, la plus forte dont l'histoire de Bruxelles conserve le souvenir. Ces ingénieurs ont pris le maximum de ces crues et ils ont donné aux voûtes sous lesquelles la Senne doit traverser Bruxelles des dimensions plus que suffisantes, de l’aveu de tout le monde, pour écouler ce maximum atteint une seule fois.

Loin de s'en contenter, ils ont donné un excédant considérable à litre de prévision. Puis, ces ingénieurs ont fait observer, ce qui n'a été contesté par personne, qu'ils avaient arrêté ce chiffre, dépassant largement tout ce qui s'était produit, sans tenir compte des travaux importants fait depuis 1850, à la suite de l'inondation exceptionnelle de cette époque, pour évacuer déjà en amont une quantité considérable d'eaux qui aujourd'hui ne peuvent plus venir, comme elles sont venues en 1850, inonder la ville de Bruxelles en aval et en amont.

Depuis 1850, en effet, la situation a été considérablement améliorée. Des fonds importants ont été consacrés à cette destination par l'Etat, par la province et par la ville de Bruxelles. J'ajoute que le résultat a été atteint ; car depuis 1850 les crues d'eau dans le bassin de Bruxelles ont été insignifiantes.

Je sais que l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu n'est pas satisfait, qu'il admet comme une chose possible un cataclysme tel qu'il ne s'en est jamais vu dans les siècles passés. Avec des prévisions de cette espèce, il est impossible de s'arrêter à un système quelconque de travaux publics.

Passant de l'ensemble aux détails, l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu disait encore : « Les dimensions de ces voûtes sont insuffisantes comme moyen d'évacuation dans certaines circonstances. Il peut arriver qu'un arbre tombé dans la Senne, en amont de Bruxelles, entraîné par le courant, vienne s'engouffrer sous les voûtes. Voilà le passage des eaux barré, et l'inondation déborde faute d'issue. »

L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu n'a pas lu avec beaucoup d'attention les documents qui nous ont été distribués. L'objection qu'il fait : La chute d'un arbre tombant dans la Senne au-dessus de Bruxelles venant s'engouffrer sous les voûtes nouvelles et les retenir ; cette objection a été posée deux fois à M. le président de la commission des ingénieurs. Elle a été posée au sein du conseil communal de Bruxelles par M. Splingard, et au sein de la commission du conseil provincial dont les procès-verbaux imprimés se trouvent entre vos mains ; cela est à la page 36 du premier document, et à la page 12 de la brochure qui contient les procès-verbaux de la commission provinciale.

Et qu'a répondu à cela M. l'ingénieur en chef Maus, le président de la commission ?

Il a répondu que comme la dimension des voûtes a été calculée de façon à être plus large que le lit de la Senne rétréci par les usines et les barrages au-dessus de Bruxelles, il est impossible qu'un obstacle arrêté au-dessus de Bruxelles parvienne jusqu'aux voûtes et que, s'il y parvient, il y passera plus facilement encore.

La réponse a été trouvée suffisante par ceux qui l'ont entendue dans les deux assemblées dont je viens de parler, et personne n'a plus insisté.

Messieurs, je ne m'arrêterai pas longtemps sur l'hypothèse inverse créée par l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu et qui n'avait attiré l'attention de personne, l'hypothèse de la disparition de la Senne par suite de son affaiblissement progressif.

L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu affirme que progressivement ce cours d'eau perd de son importance. Il sait de combien la Senne diminue par année, par dix ans, par cinquante ans, et par conséquent, il peut trouver, à l'aide d'une formule mathématique, le jour précis où il n'y aura plus de Senne.

J'avoue que si un cataclysme de cette seconde catégorie se manifeste, la ville de Bruxelles se trouvera obligée de recourir à un autre moyen d'assainissement que celui qui consiste, pour assainir, à employer l'eau de la Senne. Mais remarquez que la ville de Bruxelles aura gagné quelque chose dans cette circonstance ; et le projet nouveau, s'il en faut un, pourra s'exécuter à beaucoup meilleur marché. Nous ferons l'économie de tous les millions qui vont être employés aujourd'hui pour prévenir les inondations.

M. Bouvierµ. - On pourra faire un chemin de fer souterrain.

M. Ortsµ. - D'ailleurs, nos arrière-neveux pourvoiront, si tant est que ce danger aperçu par M. Le Hardy de Beaulieu tout seul se réalise jamais.

La ville de Bruxelles, dit-on, a perdu de vue un troisième intérêt se rattachant à sa prospérité, et qui ne consiste pas précisément à débarasser de l'inondation ou des matières qui l'infectent la vallée de la Senne. Une ville qui se développe avec autant de rapidité que Bruxelles doit songer avant tout à assurer le mouvement et la circulation à l'intérieur. Or, le projet actuel ne donne, sous ce rapport, aucune espèce de satisfaction à l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu.

Ce projet peut assainir, il peut préserver de l'inondation, soit. Mais Bruxelles grandit tous les jours, et bientôt les rues, devenues trop étroites, ne pourront plus suffire à l'affluence des voitures et des piétons.

Messieurs, il suffit de jeter les yeux sur le plan qui vous a été distribué pour voir qu'il n'a jamais été fait, dans la ville de Bruxelles, au point de vue de la circulation intérieure, un travail plus important, plus capital que celui qui vous est soumis.

Jamais, à aucune époque, pas même à l'époque de cette grande transformation du siècle dernier qui nous a dotés du quartier du Parc, on n'a créé une voie aussi large et aussi longue que celle qui va s'établir à la suite du projet que nous vous demandons de voter.

Une rue, ou plutôt un boulevard de 28 mètres va pour ainsi dire traverser Bruxelles de part en part, et jouer, sous le rapport de la circulation, dans la capitale de la Belgique, le rôle que joue à Paris le boulevard Sébastopol et ses prolongements. Et où ce boulevard va-t-il se placer ? Mais tout juste à l'endroit où il faut le placer pour relier les deux points de départ de la circulation les plus importants : la station du Nord et la station du Midi.

Et vous dites qu'il n'y a rien dans le projet pour améliorer la circulation !

Ah ! je le sais, vous voulez dire par là autre chose que ce que vous dites. Vous ne rendez pas exactement votre pensée par votre objection.

Vous critiquez la ville de Bruxelles, parce que, au lieu d'un boulevard central, elle n'a pas créé, au cœur de la capitale, une station de chemin de fer qui a toujours été votre rêve et qui a été un peu le mien. Vous regrettez qu'au lieu d'un boulevard, on n'établisse pas un chemin de fer qui relie à cette station centrale les stations du Nord et du Midi.

Mais rappelez vous que nous devons compter avec les votes et les précédents législatifs, rappelez vous que des membres de cette Chambre, et j'en étais un, je ne sais pas si vous en étiez avec moi, ont demandé, lorsqu'un premier crédit a été octroyé pour l'assainissement de la Senne par la législature, que l'on créât à Bruxelles un raccordement intérieur des deux stations. Le gouvernement a répondu à ceux qui le demandaient, et j'en étais, ne pouvoir pas prêter les mains à l'exécution de ce projet. D'après le gouvernement il était inexécutable, si ce n'est à la condition d'abaisser le terre-plain des deux stations, condition qu'il se refusait de la manière la plus absolue à remplir.

La Chambre a donné raison au gouvernement contre les réclamations de la plupart des députés de Bruxelles. Et voudriez-vous que la ville de Bruxelles, par une vaine satisfaction d'amour-propre, vînt demander de nouveau à la législature ce que celle-ci a déjà refusé ? Pareille conduite serait une puérilité, un enfantillage. Elle ne serait pas digne des grands intérêts qu'administre le conseil communal de la capitale.

La Chambre, par conséquent le pays, a repoussé cette idée, la mienne et la vôtre. Il faut s'incliner.

Maintenant je réponds à l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu ce que je lui ai répondu en section centrale, lorsqu'il me disait, ce qu'il n'a pas dit ici, mais cela était dans sa pensée et celle de bien d'autres : Le gouvernement, c'est un ministre, et les ministres parlent. Je réponds à l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu que si, un jour, l'Etat change d'avis, le travail que nous demandons de voter est le moyen le plus rapide et le plus certain d'arriver à l'exécution d'un chemin de fer souterrain qui reliera nos deux stations. Le souterrain sera tout fait ; il n'y aura qu'à en changer la destination. Au lieu d'y mettre la Senne, on y mettra des (page 744) rails et l'on fera de la Senne ce que voulait en faire l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, on la dérivera.

J'ajouterai pour l'honorable M. Le Hardy et pour les personnes qui partagent son opinion sur la création d'une station centrale à Bruxelles, que même après le vote de la Chambre qui a repoussé le projet Keller et avec la consécration du principe qui sort de base au projet actuel, rien n’empêche que Bruxelles ne soit dotée un jour d’une station centrale. La preuve, c’est que le conseil communal a été saisi, dans sa dernière séance, d'un nouveau projet de station centrale qui n'a rien de commun avec le projet actuel, dont l’exécution n'est gênée eu rien par lui, qui peut marcher parfaitement tout seul, sans être contrarié en quoique ce soit par le projet en discussion.

Ce projet de station centrale, l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu doit le connaître, est celui qui place cette station à peu près au bas de la Statue Belliard.

L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu est revenu sur les dangers qu'il y a, selon lui, à n'avoir ni plans ni devis, pas autre chose qu'un croquis, une image désavouée par son propre auteur. L'honorable membre s'est là placé en face d'un danger imaginaire et encore une fois il ne se rend pas un compte exact de la situation.

La ville de Bruxelles fait un travail triple. Il a trois objets ; l'assainissement, la protection à donner à la ville, à l'amont et à l'aval contre les inondations ; les travaux intérieurs d'embellissement, d'utilité, si vous voulez. Quant à l'assainissement, quant aux travaux qui doivent protéger contre les inondations, avons-nous des plans ? avons-nous des avis ? avons-nous quelque chose de parfaitement étudié ? Nous avons, messieurs, les travaux de la commission des ingénieurs ; ces travaux comportent des plans et des devis dont M. le président de la commission, M. l'ingénieur Maus faisait connaître les bases à l'honorable M. Splingard dans une des séances du conseil communal de Bruxelles, comme l'indiquent les paroles rapportées à la page 44 de la même petite brochure bleue que voici.

Et ces données semblaient si parfaitement étudiées à M. Splingard. quoiqu'il en critiquât énergiquement le principe, qu'il affirmait ce qu'il n'eût pu affirmer en l'absence des plans et des devis, que les conditions financières auxquelles les concessionnaires promettaient d'exécuter ces mêmes plans, étaient les conditions les plus favorables que pourrait jamais offrir à la ville de Bruxelles un entrepreneur sérieux.

Voilà, messieurs, l'opinion des adversaires convaincus du projet sur l'objection de détail soulevée par l'honorable membre.

Mais, poursuit-on, le bourgmestre de Bruxelles a dit : « Nous n'avons pas pu mettre les travaux en adjudication parce que nous n'avions ni plans ni devis. » Oui, messieurs, ces mots ou des paroles équivalentes sont matériellement au milieu d'un discours de l'honorable bourgmestre de Bruxelles, mais qu'a voulu dire ce magistrat ? Ou plutôt qu'a-t-il dit ? Car il suffit de lire ses paroles en entier pour les comprendre. Elles n'exigent ni explication, ni interprétation lorsqu'elles sont complètement citées. Il a dit : Nous n'avons pas pu mettre une spéculation en adjudication publique parce que nous n'avions pas encore de plans, de devis arrêtés qui la concernaient ; parce que nous ne savions pas quelle pourrait être la zone qu'il nous serait permis d'exproprier ni quelle pourrait être la valeur des terrains à revendre ou des constructions à édifier.

Mais croyez vous que le conseil communal de Bruxelles composé, je ne me compte pas, de 30 personnes qui ne sont pas dépourvues de toute intelligence, croyez-vous que le conseil provincial, croyez-vous que ces deux assemblées auraient donné leur approbation, au point de vue même purement scientifique, à un projet qui n'aurait eu aucun caractère sérieux, dont, faute de plans et de certains devis, il n'eût pas été possible déjuger l'efficacité théorique ?

Croyez-vous, messieurs, que la surveillance de M. le ministre des travaux publics ne soit pas intervenue ? Croyez-vous que le gouvernement se soit croisé les bras et qu'il vienne à l'aveugle demander sans études préalables le concours du pays ? Mais si le ministre des travaux publics demande ce concours, c'est qu'il a apprécié la valeur du projet.

MtpVSµ. - Il y a de plus un complément qui va suivre.

M. Ortsµ. - Maintenant qu'a-t-on fait pour assurer la position financière de la ville de Bruxelles et la position de l'Etat ? On a fait avec une compagnie connue, dont la solvabilité n'a jamais été mise en doute par personne, un contrat en vertu duquel un forfait absolu oblige le concessionnaire à exécuter tout ce que l'Etat exigera, commandera sans que lui, ni la ville ni la province soient engagés à se mettre à découvert.

Dans de pareilles conditions, messieurs, j'estime impossible de trouver plus de bonnes garanties que,1a ville de Bruxelles n'en a obtenu, et je crois que h Chambre n'hésitera pas plus que le conseil provincial n'a hésité, à lui donner son concours.

MtpVSµ. - Messieurs, je ne veux pas entrer dans la discussion générale, car il me paraît que le projet que le gouvernement a soumis à la législature, n'est pas l'objet de contestations sérieuses. Je viens simplement déclarer que le gouvernement ne peut pas se rallier à l'amendement de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu.

Je ne sais vraiment pas comment l'honorable membre s'imagine que le gouvernement va procéder. Pense-t--il que le gouvernement va mettre à la disposition de la société ou de la ville, intermédiaire entre l'Etat et la société, la somme de 7 millions pour que la société fasse ce qu'elle veut ?

Il est évident que le gouvernement prendra les plus minutieuses précautions pour que l'argent du trésor soit bien employé. Il commencera par faire dresser par la ville un cahier des charges dont il se réservera l'approbation et dont il aura soin de faire rigoureusement observer toutes les prescriptions.

Je le répète, le gouvernement ne payera pas un centime du crédit demandé sans avoir toutes les garanties que l'argent sera bien dépensé. En second lieu (et c'est un point sur lequel j'appelle toute l'attention de la Chambre) le gouvernement ne consentira jamais à payer sa quote-part de telle façon que ce soit avec l'argent du trésor que les entrepreneurs exécutent les travaux. Il faudra que les entrepreneurs commencent les travaux avec leurs propres fonds et le gouvernement ne payera jamais qu'une partie des travaux exécutés. Il faudra que la société possède un capital plus ou moins important pour commencer les travaux et ce n'est que dans une certaine mesure qu'elle pourra, en cours d'exécution, rentrer dans les dépenses faites, partie au moyen des fonds de la ville, partie au moyen des fonds de la province et de l'Etat.

Il y a donc toute certitude que les fonds demandés à la Chambre seront employés avec intelligence et comme la Chambre l'aura voulu.

Je crois, messieurs, qu'en présence de ces explications la Chambre sera à peu près unanime pour reconnaître que l'amendement de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu n'a pas d'objet.

M. Jacobsµ. - Messieurs, je suis un partisan moins platonique que l'honorable M. Orts du principe de l'adjudication publique. J'ai demandé la parole lorsque l'honorable membre citait, à l'appui de l'exception qu'il y veut apporter, l'exemple de la ville d'Auvers. Le conseil communal d'Anvers a commence par adopter un plan d'ensemble des terrains des anciennes fortifications ; il a procédé ensuite à une adjudication publique. Un seul soumissionnaire s'est présenté, mais il n'a pas dépendu de la ville qu'il ne s'en présentât d'autres ; on n'a réglé avec lui à l'amiable que les détails du contrat.

En ce qui concerne les travaux destinés à assainir la Senne, on a invoqué cette circonstance qu'ils n'étaient ni déterminés ni déterminantes parce qu'on ignore l'étendue que le gouvernement est disposé à donner au rayon de l'expropriation par zones ; mais si cette incertitude rend une adjudication publique impossible, il en est de même d'un marché de la main à la main.

Cependant on a traité avec un entrepreneur, et dès lors, il faut bien reconnaître qu'on pouvait faire un appel à la concurrence : ce qu'un homme est disposé à faire, un autre peut être prêt à l'entreprendre aussi et même plusieurs autres. J'imiterai ici la preuve du mouvement que donnait un philosophe de l'antiquité : l'adjudication publique était si bien possible qu'il y a plusieurs concurrents.

M. Orts, rapporteurµ. - Sérieux ?

M. Jacobsµ. - Pour moi le caractère sérieux des offres réside dans le cautionnement qui les accompagne. Vous avez reçu une pétition de personnes qui se disent prêtes à déposer un cautionnement de 1,250,000 fr.

M. Guilleryµ. - Avez-vous vu le cautionnement ?

M. Coomansµ. - On vous l'a offert.

M. Jacobsµ. - Il a été offert au gouverneur du Brabant qui n'a pu l'accepter ; mais que M. le ministre des finances veuille avoir l'obligeance de lui ouvrir sa caisse pendant un délai suffisant, et nous verrons si ee concurrent est sérieux.

MtpVSµ. - Il y a aussi la propriété de l'idée. C'est un côté très grave.

M. Jacobsµ. - C'est un côté très grave, d'accord ; mais à qui appartient cette idée ? Elle appartient à M. Suys, qui renie son projet et qui n'est plus d'accord avec la compagnie anglaise.

MtpVSµ. - Il y a eu un moment où ils étaient d'accord.

M. Coomansµ. - Le premier père de l'idée, c'est M. Splingard.

(page 745) M. Jacobsµ. - On dit que M. Suys et la compagnie ont été d'accord un moment, mais je ne sache pas qu'il ait abdiqué ses droits paternels en sa faveur.

Un cas analogue à celui dont je parle vient de se présenter pour la ville que je représente. Cette ville, pour subvenir aux frais des grands travaux d'utilité publique qu'elle exécute, avait conclu un emprunt qui devait être amorti au moyen de 66 annuités de cinq pour cent.

Il y avait aussi un concurrent qui prétendait offrir des conditions plus avantageuses, mais qui n'avait pas même parlé de cautionnement ; et cependant l'emprunt de la ville n'a pas été approuvé, elle a dû recourir à une adjudication, qui, par suite des craintes de guerre, a échoué.

Je sais que le gouvernement peut s'abriter derrière l'avis de la députation permanente, mais lorsqu'il s'agit d'emprunts de treize millions, quelque compétente que soit une députation, c'est en réalité le gouvernement seul qui décide sans prendre en considération l'avis de cette députation.

M. Bouvierµ. - C'est vous qui dites cela.

M. Jacobsµ. - Or si le gouvernement qui est le tuteur des communes, qui connaît par sa diplomatie la situation de l'Europe, a cru devoir respecter le principe de l'adjudication publique jusqu'à mettre la ville d'Anvers dans la situation critique où elle se trouve faute d'emprunt, je m'étonne qu'il n'agisse pas de même à l'égard des travaux relatifs à l'assainissement de la Senne.

- Plusieurs voix. - A demain !

M. Wasseigeµ. - Je demande que les amendements de M. Le Hardy soient imprimés et distribués encore ce soir même ; ils sont assez importants pour qu'on nous donne le temps de les examiner.

MpVµ. - C'est de droit.

- La séance est levée à 5 heures.