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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 14 décembre 1866

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboomµ.)

(

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 171) M. Thienpont, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpontµ présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Des bateliers naviguant sur le canal de Charleroi à Bruxelles demandent le rachat par l'Etat des canaux-embranchements de celle voie navigable. »

M. Jouretµ. - Il est arrivé à la Chambre un grand nombre de pétitions dans le même sens ; je demande, que la commission soit priée d'en faire l'objet, d'un seul rapport et de nous présenter ce rapport le plus tôt possible.

- Adopté.


« Les instituteurs primaires des communes rurales du canton de Fontaine-l’Evêque demandent que les dispositions qui règlent la pension des instituteurs urbains leur soient rendues applicables. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« La veuve du sieur de Neefs, ancien ouvrier au chemin de fer de l'Etat, demande l'accroissement de pension à raison de l'existence d'un enfant âgé de moins de 13 ans. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Wardin se plaignent du retard mis par la compagnie du Luxembourg à la construction de l'embranchement de Bastogne. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.


« Des facteurs ruraux attachés au bureau de Gavere demandent une augmentation de traitement. »

- Même renvoi.


« Le sieur Lesuisse, ancien facteur au bureau de Liège, demande une augmentation de pension ou du moins un subside annuel et permanent. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Bruxelles demandent la révision de la loi sur la .garde civique. »

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« M. Preud'homme, obligé de s'absenter pour affaires urgentes, demande un congé de deux jours. »

- Accordé.

Prompts rapports de pétitions

M. Bouvier, rapporteurµ. - Par pétition datée de Jodoigne, le 20 novembre 1866, l'administration communale de Jodoigne demande qu'il soit pris des mesures pour mettre un terme au retard apporté dans l'ouverture de l'embranchement du chemin de fer de Ramillies-Offus à Tirlemont par Jodoigne.

L'administration communale de Jodoigne se plaint, non sans raison, du retard qu'apporte la société concessionnaire du chemin de fer de Tamines à Landen, à la mise en exploitation de la section de Ramillies-Offus à Tirlemont, près Jodoigne. La ligne principale est livrée à la circulation sans que rien fasse prévoir l'époque à laquelle la ligne secondaire, qui est l'objet des légitimes réclamations de cette administration, pourra être ouverte. Il résulte cependant d'une pétition parvenue d'Huppaye, et sur laquelle nous allons vous communiquer notre rapport que les travaux de la ligne dont il s'agit sont complètement terminés. Lors de la discussion, devant cette assemblée du projet de. loi portant concession de la ligne principale, il avait été entendu que la mise en exploitation de celle-ci coïnciderait avec celle de la ligne secondaire. Il n'en est rien pourtant. Cet état de choses est grave et porte un préjudice très considérable aux intérêts industriels et commerciaux de la ville de Jodoigne et des localités que cette voie ferrée est appelée à desservir.

Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics, avec demande d'explications.

M. Moucheurµ. - J'appuie la pétition de Jodoigne et je demande, avec cette ville, que si l'embranchement du chemin de fer de Ramillies-Offus vers Jodoigne est terminé, il puisse être livré de suite à la circulation. Mais, messieurs, à ce propos, je demande à la Chambre la permission d'adresser une interpellation spéciale à M. le ministre des travaux publics ; c'est sur un objet qui est intimement lié à celui-là, je veux parler de l'embranchement de Namur à Geest-Gérompont. Je demanderai donc à l'honorable ministre des travaux publics pourquoi les travaux sont complètement interrompus sur cette ligne, et cela depuis un temps considérable, et je lui demanderai s'il n'a aucune mesure à prendre pour les faire recommencer immédiatement.

Messieurs, l'embranchement du chemin de fer de Namur à Geest-Gérompont devait être terminé avant le 1er octobre 1865, aux termes du cahier des charges ; mais comme à cette époque les travaux étaient encore extrêmement peu avancés, la compagnie demanda et obtint du gouvernement une prolongation de délai d'un an.

Je fais observer qu'avant le 1er octobre 1865, époque à laquelle, d'après le contrat, cet embranchement devait être achevé, aucune circonstance politique extraordinaire, aucune crise financière n'étaient venues entraver les affaires,

Quoiqu'il en soit, les travaux devaient donc être complètement achevés après la prolongation d'un an, c'est-à-dire avant le 1er octobre 1866. Il est vrai que, pendant les derniers mois de ce terme de prolongation, des événements extraordinaires se sont produits et qu'une crise financière intense a pu gêner très fort l'entrepreneur, mais outre que ses travaux auraient dû être terminés avant cette crise, la compagnie et lui ont obtenu un nouveau délai de six mois ; ce délai expirera le 1er avril 1867, mais la compagnie et son entrepreneur se comportent précisément comme s'ils avaient encore devant eux un délai indéfini, c'est-à-dire qu'ils ne font absolument rien. De sorte que la nouvelle prolongation expirera bien certainement sans que les travaux soient exécutés.

Or, pendant ce temps le public en général et l'industrie en particulier éprouvent un préjudice très considérable.

Je prie donc l'honorable ministre des travaux publics de vouloir bien donner sur cet objet important, des explications à la Chambre et lui dire quels sont les moyens qu'il compte employer pour faire exécuter le contrat qui existe entre lui et la compagnie de Tamines à Landen.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - La pétition dont vous venez d'entendre le résumé a une importance toute spéciale pour plusieurs communes de mon arrondissement.

Le chemin de fer dont les pétitionnaires réclament la mise en exploitation est terminé depuis le mois de juin ; le matériel se trouve sur la ligne, les rails sont posés, les stations sont faites et cependant le chemin de fer n'ont pas exploité.

L'obstacle vient de ce que, pour entrer dans la station de Tirlemont, l'un des aboutissants de l'embranchement de Geest-Gérompont réclame des travaux qui exigent des sommes considérables. Ces travaux sont nécessaires ; il n'y a pas à le contester. Cependant la compagnie, par suite des circonstances politiques et financières, est dans l'impossibilité d'y faire face. Cette compagnie, si je suis bien informé, a traité à forfait avec un entrepreneur qui, moyennant la cession de toutes les actions et de toutes les obligations, c'est-à-dire du capital entier de la société concessionnaire, s'est engagé à terminer le chemin de fer. Par suite des événements que vous connaissez tous, messieurs, l'entrepreneur n'a pu placer (page 172) ni les actions, ni les obligations ; de sorte que lui-même se trouve dans une position très difficile.

Il est donc pour le moment incapable de verser la somme demandée par l’Etat pour faire, dans la station de Tirlemont, les travaux réclamés pour la mise en exploitation du chemin de fer concédé.

Si cette situation se prolonge, il est évident que cette exploitation sera retardée indéfiniment et que tous les frais faits pour la construction de ce chemin de fer seront en quelque sorte perdus, c'est-à-dire que les déblais et les remblais se détruiront, les rails s'oxyderont, les billes se pourriront et que, finalement, il n'y aura plus de chemin de fer.

Cependant de nombreux propriétaires ont été obligés, pour cause d'utilité publique, c'est-à-dire pour arriver à améliorer les moyens de transport, à céder malgré eux tout ou partie de leurs propriétés. Ces propriétés ont été morcelées, des communes ont été traversées par la voie établie et les voies de communication existantes ont été plus ou moins dérangées ; tout cela pour arriver à établir une nouvelle voie de communication plus facile avec les autres parties du pays ; et ce sera en vain qu'on aura subi tous ces inconvénients.

Il est donc évident qu'il faut trouver un moyen de sortir de cette situation. Dans d'autres circonstances l’Etat, qui est propriétaire des lignes principales de chemins de fer, qui est également propriétaire, sauf usufruit pendant 90 ans, de toutes les lignes concédées, l'Etat, dis-je, a accordé à certaines compagnies des facilités pour entrer dans ses stations ; moyennant une rente représentant l'intérêt et l'amortissement du capital qui avait été employé pour les travaux nécessaires, soit à laisser jouir, l'Etat a consenti, soit à terminer lui-même des travaux qui restaient encore à y exécuter.

Dans le cas qui nous occupe, l'Etat, parlant par la bouche de l'honorable ministre des travaux publics, dit que la situation n'est pas la même parce que les travaux de raccordement avec la station sont tous à exécuter, et que c'est, par conséquent, le concessionnaire lui-même qui doit faire les travaux nécessaires pour l'entrée dans la station.

Vous le voyez, messieurs, nous tournons dans un véritable cercle vicieux. Si l'Etat maintient intactes ses prétentions, et si la compagnie ne trouve pas le moyen de se procurer les fonds, un chemin de fer qui a été construit pour l'utilité des propriétaires et habitants riverains sur un parcours assez long et du public en général se trouvera forcément annihilé.

Les pétitionnaires, messieurs, ne demandent qu'une chose, c'est que l'Etat représenté par l'honorable ministre des travaux publics soit engagé à chercher le moyen de sortir de cette difficulté, c'est-à-dire, s'il le faut, de faire lui-même les travaux restant à exécuter, sauf à chercher une combinaison qui lui garantisse le remboursement de ses avances.

Il est évident que dès que l'embranchement de Geest-Gérompont à Tirlemont sera fait, il produira toute son utilité ; les moyens de transports seront améliorés et l'Etat lui-même, comme entrepreneur des transport, verra ses affaires s'agrandir. Ce sera un affluent important qui viendra s'adjoindre au réseau de l'Etat et y verser ses produits ; de sorte que tout le monde, l'Etat compris, y trouvera son compte.

C'est donc une difficulté matérielle qui nous arrête, celle de la constitution même du capital de la compagnie qui se trouve complètement absorbé ou paralysé par les circonstances.

La compagnie se trouve donc dans l'impossibilité matérielle d'augmenter son capital et par suite de fournir l'argent réclamé d'elle.

Cette difficulté n'est pas la seule qui existe ; comme vient de le dire l'honorable M. Moncheur, la ligne de Geest-Géromponl vers Namur n'est pas terminée, et lorsqu'il s'agira d'entrer dans la station de Namur, les mêmes exigences de l'Etat s'y reproduiront, et la compagnie se trouvera de nouveau en face d'une dépense considérable à faire.

Il y a plus : dans ce moment on exécute des travaux de Fleurus vers Tamines qui est l'origine de ce chemin de fer, et lorsqu'il s'agira d'entrer dans la station de Tamines, que l'Etat, si je suis bien informé, se propose d'agrandir considérablement, la compagnie va se trouver en présence d'une nouvelle mise de fonds considérable. Ce n'est donc pas une faible somme de 125,000 francs qu'il faudra trouver.

Il y a donc une difficulté à résoudre, je le reconnais ; j'engage vivement M. le ministre des travaux publics, qui en a résolu beaucoup d'autres, à porter toute son attention sur celle qui lui est signalée aujourd'hui.

M. Woutersµ. - Messieurs, aux observations qui viennent de vous être présentées, j'ajouterai quelques mots. Si la pétition n'avait pour objet que d'imposer au trésor des charges nouvelles dans le but de favoriser une entreprise privée, je jugerais le moment peu opportun de lui venir en aide. Je n'hésite pas à reconnaître que la société de Tamines à Landen, concessionnaire de l'embranchement sur Tirlemont, se trouve dans une position spéciale, qui doit lui mériter la bienveillance de la Chambre et du gouvernement. Vous n'ignorez pas, messieurs, les circonstances fâcheuses et imprévues, qui la mettent aujourd'hui dans l'impossibilité de payer au trésor la somme qui lui est réclamée. S'il ne s'agissait pourtant dans le débat que du différend entre Tamines et Landen et l'Etat, je n'y serais pas intervenu, car je ne doute pas que le veto de M. le ministre ne se justifie par d'excellentes raisons, et notamment par la bonne gestion des finances publiques. Sans doute les intérêts du trésor sont très respectables, mais il ne faut pas qu'ils l'emportent sur l'intérêt général.

Or, messieurs, vous comprenez la légitime impatience des populations desservies par la nouvelle ligne à retirer au plus tôt les avantages qu'elle leur promet. Un grand nombre d'habitants notables se sont imposé dans ce but de grands sacrifices, ont encouru des chances de perte considérables. Tous les motifs qui ont fait accorder la concession militent et d'une manière plus pressante encore pour que l'exploitation de la ligne ne soit plus retardée. Sans parler de la ville de Jodoigne, de la riche et populeuse commune de Hougaerde, qui trouveront un débouché à leurs produits et se verront reliés au réseau national, Tirlemont, Louvain même verront augmenter leurs relations avec les pays traversés.

Car ce chemin de fer forme le trait d'union entre le Brabant wallon et le Brabant flamand ; c'est le lien de correspondance entre des localités extrêmes des centres d'affaires, et les chefs-lieux de la province et de l'arrondissement.

Abstraction faite de l'intérêt général, l'Etat lui-même est directement intéressé à l'exploitation immédiate de cette voie, qui, traversant un pays fertile et industriel, est destiné à augmenter considérablement le trafic de son railway.

Si donc il devait en résulter un léger préjudice pour le trésor, l'Etat trouverait une ample compensation dans l'augmentation du bien-être et de la prospérité publics, que l'ouverture de la ligne ne manquerait pas de produire. Ce préjudice serait d'ailleurs plus apparent que réel, et ne tarderait pas à disparaître par l'emploi de certaines mesures, laissées à l'appréciation de M. le ministre, telles que le payement d'une rente annuelle, comme cela a eu lieu pour d'autres lignes, ou l'acceptation d'actions et d'obligations en garantie, ou l'imposition d'une redevance fixe par chaque convoi entrant et sortant, comme l'Etat le fait à Longdoz (Liège), par suite d'une convention avec le Nord-Belge. La Chambre comprendra que cette situation, qui cause au commerce et à l'industrie un tort considérable, ne peut indéfiniment se prolonger, et j'ose espérer, de la sollicitude de M. le ministre, une solution conforme aux divers intérêts engagés.

MtpVSµ. - L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu a bien voulu donner par anticipation les explications qui me sont demandées par la commission des pétitions. Voici de quoi il s'agit.

La société de Tamines à Landen a assumé entre autres cette obligation de construire, outre sa ligne principale de Tamines à Landen, une ligne de Namur à Tirlemont par Ramillies. Cette ligne de Namur à Tirlemont se compose de deux sections : la section de Namur à Ramillies et. la section de Ramillies à Tirlemont ; Ramillies est le point d'intersection avec la ligne principale de Tamines à Landen.

La section de Namur à Ramillies est commencée, mais n'est que commencée. Pour atteindre à un certain point indiqué par l'honorable M. Moncheur, il faudrait encore, paraît-il, une dépense d'environ 300,000 francs. La section ne serait pas intégralement construite, mais elle arriverait à un point où l'on rencontre un gisement important de minerais.

L'honorable M Moncheur demande que le gouvernement avise aux moyens d'aider la compagnie, dans la mesure qu'il faudrait pour lui permettre d'atteindre ce point où se trouvent les minerais.

La seconde section, celle de Ramillies à Tirlemont est intégralement terminée depuis plusieurs mois, sauf certains travaux qu'a indiqués l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu. La section est terminée, mais il est matériellement impossible aux convois qui circuleraient sur la section de Ramillies à Tirlemont d'entrer dans la station de Tirlemont, avant que la société n'exécute certains travaux dans cette même station. Ces travaux sont évalués à 125,000 francs.

L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu demande à son tour que le gouvernement avise aux moyens de permettre à la société non pas de faire ces travaux, mais de ne pas les faire.

Messieurs, les honorables orateurs qui ont pris la parole n'ont pas dit (page 173) ce qu'ils désiraient, ce qu'ils suggéraient au gouvernement. Ils se sont bornés à l'insinuer, et pour se borner à l'insinuer, ils avaient cette excellente raison que ce qu'ils avaient à demander, ce qu'ils désirent au fond, est une chose exorbitante et que le gouvernement ne peut pas accorder. Ce qu'ils ont insinué, ce qu'ils désirent, c'est que le gouvernement se substitue à la société pour exécuter les travaux qui restent à faire.

Messieurs, il me suffit d'énoncer l'objet précis de la demande des honorables membres, pour faire apprécier à la Chambre ce que vaut cette demande. Une société concessionnaire de chemin de fer a pris certains engagements ; elle doit exécuter à ses risques et périls certaines obligations. C'est là un objet d'industrie privée, dont l'industrie privée doit s'acquitter. Mais si le gouvernement avait à se substituer à des sociétés qui ne parviennent pas, faute de ressources, à remplir leurs engagements, tous les revenus du trésor n'y suffiraient pas, car je le demande, le gouvernement peut-il faire pour l'un et refuser à tous les autres ?

Evidemment, messieurs, cela n'est pas possible. Il s'oppose donc ici, à l'intervention du gouvernement, des considérations de principe au-dessus desquelles il ne m'est pas permis de me placer. Une section de chemin de fer pourrait être livrée à l'exploitation et on doit l'arrêter à la porte d'une station. Ceci est fort regrettable, mais ce qui serait plus regrettable encore, c'est, permettez-moi le mot, que le gouvernement fît du tripotage en se mêlant de travaux qui ne le regardent pas.

.le vais cependant suggérer un moyen. Comment les choses se sont-elles passées entre la société et l'entrepreneur ? La société a émis un capital en actions et obligations ; un entrepreneur s'est présenté quia accepté tout ce papier, à charge de le négocier à ses risques, et qui s'est engagé à exécuter tous les travaux dans un temps donné. Cet entrepreneur ne remplit pas ses engagements ; la société a son recours contre lui, qu'elle se fasse remettre une partie du papier qu'elle a fourni à l'entrepreneur, et qu'elle cherche à négocier cette valeur elle-même.

Elle pourra le faire d'autant plus aisément qu'il s'agit d'une somme relativement minime, d'une somme de 125,000 fr. Il en serait du reste autrement et la société ne parviendrait par aucun moyen à se procurer la somme nécessaire à l'exécution des travaux, je le répète, le gouvernement ne peut et ne doit pas intervenir. Mais, messieurs, les temps deviennent un peu meilleurs pour une opération financière, et j'espère que la société réussira, au moyen d'une combinaison quelconque, à se procurer les fonds dont elle a besoin.

M. Moncheurµ. - Messieurs, il y a dans les premières paroles prononcées par M. le ministre des travaux publics une erreur de fait que je tiens à rectifier. Cette erreur est relative à la somme qui serait nécessaire pour que le chemin de fer arrivât de Namur aux gisements des minerais de fer.

MtpVSµ. - C'est vous qui m'avez indiqué cette somme, l'autre jour, dans une conversation.

M. Moncheurµ. - J'aurai été mal compris par M. le ministre. J'ai dit qu'une somme d'environ 300,000 fr. était encore nécessaire pour terminer l'embranchement de Namur à Geest-Gérompont, mais j'ai ajouté qu'une somme de 70,000 à 80,000 fr. seulement serait suffisante pour achever le petit tronçon depuis Namur jusqu'aux gîtes de minerais de fer qui se trouvent à Vedrin et Champion, c'est-à-dire, à trois ou quatre kilomètres de la ville de Namur.

Ce qui prouve, messieurs, que les industriels surtout souffrent énormément de l'état de choses actuel, c'est qu'ils avaient consenti, dans une réunion qui eut lieu avec les mandataires de la compagnie, à prendre des obligations pour les 70,000 ou 80,000 fr. qu'il fallait encore pour terminer cette petite partie, mais dans l'espoir qu'on eût mis la main à l'œuvre immédiatement et qu'on leur eût permis de l'exploiter sinon par des locomotives, au moins par des chevaux. Vous voyez donc messieurs, quels intérêts se rattachent à ces travaux si malheureusement interrompus.

Je répondrai ensuite à M. le ministre des travaux publics que je n'ai rien insinué du tout quant à la manière dont le gouvernement pourrait agir dans cette circonstance.

Je ne pense pas, notamment, qu'il puisse immédiatement se substituer à la compagnie et agir en son lieu et place, mais j'ai demandé à M. le ministre s'il ne trouvait pas dans le contrat un moyen quelconque de le faire exécuter.

N'y a-t-il pas par exemple un cautionnement, et ce seul moyen n'est-il déjà pas d'une certaine efficacité ? N'y a-t-il pas, en second lieu, le moyen de la déchéance ? IL est vrai que ce moyen est héroïque et d'une application difficile et longue. Cependant si le chemin de fer ne se terminait pas par la compagnie (et je souhaite qu'elle le fasse et qu'elle y trouve son bénéfice comme l'entrepreneur lui-même), mais enfin si la compagnie ne l'exécutait pas, il faudrait bien que l'Etat fît prononcer sa déchéance et pourvût à ce que la loi de concession de ce chemin de fer fut exécutée ; car un travail d'intérêt général comme celui-là ne peut rester ébauché ou à l’état de projet.

Je voudrais donc que le gouvernement nous fît sortir le plus tôt possible du cercle vicieux dans lequel nous sommes.

Ainsi, lorsque le premier terme endéans lequel les travaux devaient être achevés est arrivé, c'est-à-dire au premier octobre 1865, le gouvernement a accordé à la compagnie une prolongation de délai d'un an parce que ces travaux étaient très peu avancés et exigeaient bien ce terme pour être achevés ; mais ce terme étant expiré, un nouveau délai de 6 mois a été accordé par le même motif, tandis que rien ne se fait encore en ce moment.

Or, si au 1er avril prochain, la compagnie demande encore un troisième délai de 6 mois on d'un an et si le gouvernement le lui accordait de nouveau et. ainsi de suite, il est clair que l'œuvre de la législature resterait une lettre morte.

Je demande donc que M. le ministre veuille bien aviser aux moyens de sortir de cette impasse et d'arriver, par ceux que lui suggérera sa sagesse, à l'exécution d'un chemin de fer qui est de la plus haute utilité et dont tout le monde attend l'ouverture avec la plus grande impatience.

MtpVSµ. - Je ne prolongerai pas la discussion, mais je m'aperçois que j'ai oublié de répondre à une question de l'honorable membre. Il demande s'il n'y a pas moyen de forcer la compagnie de s'exécuter et. il dit que ce moyen doit exister dans le cahier des charges. Il y en a un, en effet, c'est de prononcer la déchéance de la compagnie.

Messieurs, on peut,conseiller un pareil moyen sous forme de conversation parlementaire, mais certainement si l'honorable M, Moncheur avait à décréter une mesure de cette nature dans les circonstances qui se présentent, il ne le ferait pas.

Il s'agit d'une société qui a exécuté les 9/10 de ses obligations, contrairement à beaucoup de sociétés qui ne l'ont pas fait dans la même mesure, ou qui ne se sont pas même exécutées du tout ; d'une société qui s'est trouvée, comme l'Etat pour ses propres travaux, au milieu des circonstances extérieures les plus désastreuses. Je dis qu'il y aurait plus que de l'inhumanité, qu'il y aurait une profonde iniquité à prononcer aujourd'hui la déchéance de la compagnie.

Il faut donc aviser à autre chose et c'est, la société elle-même qui doit s'en charger.

L'honorable membre indique aussi l'usage que l'on peut faire du cautionnement. Il peut y avoir quelque chose à examiner sous ce rapport.Je ne sais pas de mémoire quelle est la portion du cautionnement qui se trouve encore déposée dans les caisses de l'Etal. C'est à vérifier, mais s'il y avait encore une somme suffisante pour achever, par exemple, sur le parcours indiqué par l'honorable M. Moncheur, la section de Namur à Ramillies, ou pour exécuter dans la station de Tirlemont les travaux indispensables, je crois que ce serait par ces derniers travaux qu'il faudrait commencer plutôt que du côté de Namur. Je procéderai à cette vérification et je ferai, dans cet ordre d'idées, ce qu'il me sera possible de faire.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - J'ai été excessivement sensible au reproche que m'a fait M. le ministre des travaux publics d'avoir proposé de faire exécuter, par l'Etat, des travaux qui incombent à l'industrie privée.

Je pense que, sous ce rapport, mes principes sont assez connus pour que je n'aie pas besoin de me défendre. Les difficultés dont on se plaint, viennent précisément de l'intervention de l'Etat dans l'industrie des transports ; c'est parce que l'Etat est entré dans cette voie que nous rencontrons ces difficultés qui ont amené les pétitionnaires à réclamer notre intervention. Supposons qu'à Tirlemont, au lieu de l'Etat ce soit une compagnie aussi puissante et aussi riche qu'il l'est qui se trouve à sa place, et que la compagnie qui a entrepris le chemin de fer de Tamines à Landen avec ses embranchements soit dans la position où elle se trouve actuellement ; il est évident que la compagnie puissante viendrait au secours de la compagnie momentanément impuissante.

Eh bien, messieurs, ce que nous avons demandé et ce que les pétitionnaires demandent, c'est que l'Etat agisse comme agirait une compagnie privée. C'est non pour qu'il agisse au lieu et place des concessionnaires, mais qu'il vienne à leur secours dans des circonstances aussi exceptionnelles que celles que nous avons traversées.

L'honorable M. Moncheur a indiqué un moyen et M. le ministre a (page 174) promis de l'examiner ; j'espère que son examen lui fournira une issue pour nous faire sortir du cercle vicieux où nous sommes enfermés et qui est préjudiciable aux intérêts très graves et très sérieux des localités qui nous ont adressé les pétitions dont le rapport vient d'être présenté.

M. Bouvierµ. - Les explications ayant été données, je demande le renvoi pur et simple de la pétition à M. le ministre des travaux publics.

- Ce renvoi est ordonné.


M. Bouvier, rapporteurµ. - Par pétition datée de Huppaye, le 18 novembre 1860, des propriétaires, agriculteurs et industriels de Huppaye réclament l'intervention de la Chambre pour, obtenir la mise en exploitation du chemin de fer de Ramillies à Tirlemont et l'établissement d'une station à Huppaye. »

Des habitants d'Huppaye élèvent les mêmes réclamations que celles qui font l'objet de la pétition précédente. Les considérations que nous venons de vous présenter peuvent s'y appliquer. Il nous paraît inutile de les répéter. Les pétitionnaires désireraient obtenir une station dans leur commune. Votre commission a l'honneur de vous proposer, en présence des explications qui viennent d'être données par l'honorable ministre, de lui renvoyer la pétition en ce qui concerne l'établissement d'une station à Huppaye.

M. Woutersµ. - La demande des pétitionnaires me paraît se concilier avec les intérêts de l'Etat et avec ceux de la ligne concédée, car des renseignements pris à bonne source me permettent d'affirmer que le trafic annuel de la nouvelle station serait de 10,000 à 11,000 tonnes. Il serait aisé au gouvernement de faire vérifier par ses ingénieurs si les calculs sont exacts. Ce mouvement considérable est dû à la présence dans la commune de Huy de carrières à pavés, dont la prospérité a été contrariée, jusqu'à ce jour, par la difficulté des transports, mais qui ne tarderait pas à prendre, grâce au nouveau chemin de fer, un développement considérable.

Je soumets ces observations à l'honorable ministre des travaux publics, en le priant d'y avoir égard.

- Les conclusions, qui sont le renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics, sont mises aux voix et adoptées.


M. Bouvier, rapporteurµ. - Par pétition datée de Sart-Barnard, le 8 novembre 1866, des habitants de Sart-Bernard demandent que ce hameau soit séparé de Wierde et forme une commune spéciale.

Les habitants de Sart-Bernard, commune de Wierde, réclament l'intervention de la Chambre pour obtenir la séparation de leur section de la commune de Wierde. Ils fondent leur demande sur les motifs suivants :

1° La section de Sart-Bernard, en 1807, formait une commune distincte ;

2° Elle est propriétaire de biens communaux dont le produit annuel s'élève à environ 3,000 francs ;

3° Le nombre des feux de cette section est de 118, celui de ses habitants de 603 sur une étendue territoriale de 775 hectares.

4° Elle possède une église, un presbytère, un cimetière, un local pouvant servir aux séances de 1'administration communale, enfin tous les éléments propres à établir une commune séparée.

Votre commission a pensé qu'en présence des ressources indiquées et du chiffre élevé des habitants de la section de Sart-Bernard, de la distance de celle-ci à la section principale (4 kilomètres), il y avait lieu de prendre en très sérieuse considération la pétition signée par un très grand nombre d'habitants de la section de Sart-Bernard. Elle a, en conséquence, l'honneur de vous en proposer le renvoi à M. le ministre de l'intérieur.

- Adopté.

Projet de loi approuvant le protocole contenant la législation relative aux sucres et ouvrant un crédit au budget du ministère des finances

Rapport de la section centrale

M. Valckenaereµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi approuvant le protocole contenant la législation relative aux sucres et ouvrant un crédit au département des finances.

- Impression, distribution et renvoi à l'examen des sections.

Ordre des travaux de la chambre

M. Couvreurµ (pour une motion d’ordre). - Les sections ont examiné hier le projet de loi portant abolition de l'article 1781 du Code civil, et nous avons reçu, depuis une huitaine de jours, l'exposé des motifs du projet de loi qui abolit la contrainte par corps.

Je demanderai à la Chambre si elle verrait des inconvénients à hâter l'examen de ces deux projets de telle sorte que l'un puisse être voté avant le 1er janvier et l'autre, celui relatif à la contrainte par corps, dans le courant du mois de janvier.

Ce que je demande est peut-être difficile ; mais en y mettant un peu de bonne volonté, nous pourrions arriver au résultat que j'indique ; il mérite bien un petit surcroît d'activité.

En effet, messieurs, les deux lois en question sont attendues avec une égale impatience par les intéressés, qui souffrent, les uns dans leur dignité d'hommes et de citoyens, les autres dans leur liberté : je veux parler des ouvriers et des prisonniers.

On peut différer beaucoup d'opinion sur ce qu'il y a à faire pour les classes laborieuses ; mais à coup sûr, parmi les mesures à prendre en leur faveur, celle qui les délivre de l'iniquité de l'article 1781 rencontrera une approbation unanime, et je ne serai pas démenti en affirmant que le projet qui permet d'affranchir les ouvriers de la suspicion qui pèse sur leur honnêteté, a été accueilli par eux avec reconnaissance.

Je saisis cette occasion pour remercier l'honorable ministre de la justice de l'initiative qu'il a prise à cet égard.

Je pourrais présenter d'autres considérations à l'égard des prisonniers, mais la Chambre les sent mieux que je ne pourrais les exprimer. Je me bornerai à une simple observation : lorsqu'il s'agit d'intérêts industriels ou commerciaux, on évite, à juste titre, les situations transitoires ; à plus forte raison ne faut-il pas prolonger ces situations lorsqu'il s'agit de prisonniers à la veille d'être rendus à la liberté. Un bienfait se double par l'opportunité de son application. Ce serait, ce me semble, un excellent cadeau d'étrennes à faire à un million de nos concitoyens que de leur annoncer au 1er janvier qu'ils sont affranchis de toute indignité, qu'ils sont mis sur la même ligne que les autres citoyens, et nous commencerions également bien l'année en mettant nos destinées futures sous les bénédictions d'infortunés prisonniers rendus à leurs familles.

J'apprends que la section centrale, chargée de l'examen du projet abrogeant l'article 1781 du Code civil, l'a adopté à l'unanimité et que le rapporteur a été nommé. Il ferait une bonne œuvre en déposant son rapport le plus tôt possible, afin que la Chambre puisse aborder l'examen de la loi avant d'aller en vacances.

Quant au projet abolissant la contrainte par corps, je demande qu'il soit renvoyé le plus tôt possible à l'examen des sections, afin que le rapport puisse être fait pendant les vacances et le projet porté à l'ordre du jour dès le mois de janvier.

M. Crombezµ. - On pourrait fixer un jour pour la discussion en sections.

M. Couvreurµ. - Je propose de fixer à jeudi l'examen en sections du projet de loi sur la contrainte par corps.

- Adopté.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l’exercice 1867

Discussion du tableau des crédits

Chapitre X. Prisons

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Messieurs, il n'est pas de questions plus importantes, plus dignes de l'attention du gouvernement et de la législature que celles qui se lient à l'efficacité du droit de répression, à la juste application des peines, à l'amendement des condamnés, à leur rentrée dans la société.

Il y a deux ans, j'ai eu l'honneur de soumettre à la Chambre, sur cette grave matière, des considérations très étendues qu'elle me permettra de ne pas reproduire aujourd'hui. L'année dernière, j'ai eu l'honneur de renouveler ces observations, et tout récemment, à propos de l'examen du budget de la justice par les sections, j'ai cru devoir insister sur quelques-unes de ces questions.

C'est même à ma demande que la seconde section de la Chambre a appelé l'attention de la section centrale sur deux points principaux que je rappellerai en peu de mots.

Le premier, messieurs, tendait à réclamer un rapport complet sur les résultats et sur l'application du système cellulaire. Le second point touchait à une autre question non moins intéressante en matière pénale ; à l'organisation plus régulière et plus complète du système de patronage.

La section centrale a bien voulu appuyer une partie de ces observations ; il en est d'autres qui n'ont pas eu le même succès auprès d'elle.

Ainsi, la section centrale a cru que le moment n'était pas venu de solliciter du département de la justice un rapport complet sur le système cellulaire.

Je ne sais pas si j'ai été parfaitement compris de la section centrale, mais même au point de vue où elle s'est placée, je crois qu'il est possible (page 175) d’obtenir aujourd'hui un rapport sur les résultats du système cellulaire.

En effet, messieurs, l'introduction de ce système en Belgique remonte à 1850 ; il compte donc déjà une durée de 16 ans et en 1860 il y avait déjà plus de 2,900 condamnés assujettis au régime cellulaire ; de sorte que, depuis cette époque, un grand nombre d'entre eux sont rentrés dans la société.

On peut donc déjà apprécier aujourd'hui quels résultats a produits pour l'amendement des condamnés le régime auquel ils ont été soumis.

Néanmoins le vœu que j'exprimais se rattachait surtout à un autre ordre d'idées.

Je crois qu'il est bon que nous sachions comment le système cellulaire est appliqué. Je voudrais savoir si le même système fonctionne dans toutes les maisons pénitentiaires, quelles en sont les différences et apprendre par cela même quelles mesures ont été les plus utiles, les plus efficaces.

Je voudrais que le gouvernement nous fît connaître, dans les diverses catégories de condamnés, quels sont ceux qui subissent le régime cellulaire ; si ce sont des condamnés pour crimes, pour délits ou pour contraventions.

Je désirerais apprendre quel est leur âge, quel est leur sexe, si parmi les reclus il y a un grand nombre de récidivistes ; et je serais arrivé ainsi à pouvoir comparer les résultats du système tel qu'il est appliqué dans les différentes maisons pénitentiaires

Ces questions sont si graves, messieurs, que je crois devoir y insister afin d'assurer l'égalité des peines à la similitude des délits, et aussi afin d'arriver à ce résultat important que nous nous proposons tous : l'amendement le plus sérieux et le plus complet des condamnés.

Sur ce point, la section centrale n'a pas jugé utile d'appuyer mes observations ; je crois cependant devoir les renouveler aujourd'hui en les signalant à la sérieuse attention du gouvernement.

Il est un autre point que la section centrale a approuvé, et sur lequel elle a fait sienne l'opinion que j'avais eu l'honneur d'exprimer ; déjà il en a été question hier à la fin de la séance, mais la Chambre me permettra d'y revenir quelques instants.

Je veux parler, messieurs, de l'organisation sérieuse, utile, efficace, des comités de patronage.

La section centrale, dans le rapport qu'elle a présenté sur le budget de la justice, s'exprime à cet égard en ces termes :

« La section centrale appelle la sollicitude la plus active du gouvernement sur la nécessité d'organiser, d'une manière efficace, le patronage des condamnés libérés. »

Dans la séance d'hier, M. le ministre de la justice a paru faire peu de cas de ce patronage. Il nous a appris que, dans la plupart des cas, il servait à fort peu de chose et nous en a signalé les inconvénients. Le grand inconvénient, d'après M. le ministre de la justice, c'est que les comités de patronage, en établissant une correspondance officielle avec le condamné, perpétuent pour celui-ci un état de dégradation qui n'est que la conséquence même de la condamnation qu'il a subie.

D'un autre côté, M. le ministre de la justice a ajouté que, dans la plupart des cas, c'était aux bureaux de bienfaisance à venir à l'aide des condamnés qui rentrent dans la catégorie ordinaire de tous ceux qui souffrent et qui ont besoin de secours.

Je ne puis pas, messieurs, examiner la question à ce point de vue. Je ne crois pas qu'il s'agisse de secours matériel, il s'agit, avant tout, de secours moral. Je ne crois pas qu'il s'agisse seulement de comités officiels qui perpétuent, comme l'a dit M. le ministre de la justice, un état d'humiliation et de dégradation ; je suis convaincu que c'est un système différent qu'il faut préconiser, qu'il faut introduire.

Ce système, c'est l'intervention d'une sympathie charitable qui dépouille le caractère officiel, qui n'humilie pas le condamné, mais qui l'aide à rentrer dans cette carrière de la probité et de l'honneur dont il s'est malheureusement écarté.

Je comprends très bien qu'il faille soustraire le condamné à des besoins qui pourraient l'obliger à rentrer dans la voie du crime ; mais ce que je veux éviter surtout, ce sont les mauvais conseils, pires encore que la détresse et qui, bien plus que la nécessité même, peuvent le rejeter dans la voie fatale qu'il était peut-être disposé à abandonner.

Lorsqu'un honorable député de Turnhout, reproduisant à peu près les idées que j'ai en ce moment l'honneur de soumettre à la Chambre, appelait hier sur ce point l'attention de M. le ministre de la justice, l'honorable ministre s'est borné à répondre par une interruption que je trouve aux Annales parlementaires.

Voici comment s'exprimait l'honorable M. Coomans : « Il est à la connaissance de beaucoup de membres de cette assemblée que des associations privées ont réussi et très bien réussi dans les tentatives éminemment chrétiennes et si noblement libérales qu'elles ont faites. »

Et M. le ministre de, la justice interrompait en disant :

« Nous ne les empêchons pas ; si elles réussissent, tant mieux ! »

Je pense, messieurs, que ce langage dédaigneux, il faut bien le dire, ne répond pas aux devoirs de la société et du gouvernement ; il y a quelque chose de plus à faire et c'est par ce motif que nous voulons qu'on maintienne dans le régime pénitentiaire l’enseignement religieux et moral ; et que cet enseignement suive le condamné après sa libération.

C'est par les heureuses conséquences de ce système, c'est par la persévérance dans cette voie, c'est par ces exhortations sans cesse renouvelées, qu'on peut espérer de couronner l'œuvre de l'amendement des condamnés, que nous voulons tous poursuivre, et pour le succès de laquelle nous formons, tous, les mêmes vœux.

L'opinion de M. le ministre de la justice, si je l'ai bien compris, me paraît nouvelle.

En effet, dans un document statistique très important qui est sous les yeux de tous les membres de la Chambre, dans l'exposé de la situation du royaume, cette question a été examinée, et l'on y a reproduit à peu près d'une manière complète les conclusions qui avaient été votées dans une assemblée à laquelle appartiennent plusieurs membres de cette Chambre, je veux parler de l'association pour le progrès des sciences sociales.

Je demande à la Chambre la permission de mettre sous ses yeux les conclusions votées par cette association et reproduites sous les auspices du gouvernement dans l'exposé de la situation du royaume :

« Les principales causes qui s'opposent à la réhabilitation des condamnés libérés et donnent lieu à tant de récidives, se trouvent à la fois dans les vices de la société, des lois pénales, des pénitenciers, du mode de libération. La réforme des prisons basée sur l'expiation et l'amendement, l'organisation du travail des condamnés, l'éducation, l'enseignement religieux, élémentaire et industriel, l'isolement des condamnés de jour et de nuit, peuvent seuls préparer leur régénération... Il est reconnu que le patronage des condamnés libérés est le complément d'un bon système pénitentiaire... Il faut donc non seulement régénérer ces condamnés, mais encore donner à l'institution du patronage des bases qui la recommandent à la confiance publique.

« Ces bases sont les suivantes :

« 1° Attacher à chaque prison un comité pour l'amélioration morale des détenus et le patronage des condamnés libérés.

« 2° Les comités officiellement attachés à chaque établissement formeraient des sous-comités correspondants dans les diverses localités avec le concours des personnes charitables qui consentiraient à s'associer à l'œuvre du patronage ; ces personnes, patrons occultes, ne recevraient ni nomination, ni délégation officielle, et rempliraient en quelque sorte une mission confidentielle, afin de conserver au libéré cet incognito si nécessaire à sa réhabilitation.

« 3° Le patronage doit s'exercer sans autre responsabilité que celle d'un zèle charitable et d'une surveillance bienveillante sur les actions des patronnés. »

Voilà, messieurs, des idées qui répondent aux objections que soulevé le patronage officiel ; voilà des idées qui démontrent que l'association pour le progrès des sciences sociales a parfaitement compris le véritable caractère des comités de patronage.

Du reste, messieurs, tous les criminalistes ont exprimé la même opinion ; et j'ai ici un ouvrage qui est certainement connu de tous les membres de la Chambre, puisqu'il appartient à un des plus illustres criminalistes de notre époque ; c'est le traité de la répression pénale, par M. Bérenger, membre de l'Académie des sciences morales et politiques, et président de la cour de cassation ; il a exprimé exactement les mêmes vues que celles qui ont été adoptées par le congrès des sciences sociales. L'honorable M. Bérengcr s'énonce ainsi dans son livre : (L'honorable membre n'a pas remis à la sténographie le copie du passage dont il a donné lecture.)

(page 175) L'honorable M. Bérenger admet, en s'appuyant sur l'exemple de la France et de l'Angleterre, que le devoir de tout gouvernement, de toute société est de coopérer par des subsides à la création et au développement de sociétés de patronage.

(page 176) Messieurs, je croîs que l'article spécial du budget de la justice sur lequel la Chambre délibère me permet de dire ici quelques mots d'une circulaire de M. le ministre de la justice qui se rapporte au même objet et qui a paru au Moniteur au mois de juillet dernier.

Cette circulaire touche deux questions principales dont j'aurai l'honneur d'entretenir la Chambre ; l'envoi de militaires condamnés dans la prison cellulaire de Louvain, et l'envoi, dans une maison de détention commune, de délinquants condamnés à un emprisonnement de moins de six mois.

Je demande à la Chambre la permission d'entrer à ce sujet dans quelques détails.

Lors de la discussion du budget de la justice en 1864, j'ai eu l'honneur, comme je l'ai déjà rappelé, de présenter à la Chambre d'assez longues observations que le ministre de la justice, alors l'honorable M. Tesch, avait bien voulu me promettre de soumettre à un sérieux examen. J'insistais notamment sur le caractère extraordinaire et peu justifiable, de l'organisation intérieure de la maison cellulaire de Louvain, au point de vue des détenus qui y étaient enfermés. J'ai fait remarquer à cette époque que sur 1,051 condamnas aux travaux forcés, il y en avait à peine 80 soumis dans toute la Belgique à la réclusion cellulaire, de sorte que la peine la plus sévère n'était pas appliquée aux délits les plus graves.

Je faisais observer que dans la maison de Louvain, qui compte le plus de cellules, on ne rencontrait que 68 condamnés aux travaux forcés. Et puisque nous parlons en ce moment de la maison cellulaire de Louvain, il est bon de mettre sous les yeux de la Chambre quelques chiffres qui certainement ont leur éloquence.

À cette époque, il y avait dans la maison de Louvain 68 condamnés aux travaux forcés et 39 condamnés à la réclusion ; et sur 2,229 condamnés à un emprisonnement de plus de 6 mois, il ne s'en trouvait que 183 dans la maison cellulaire de Louvain.

Quels étaient donc les condamnés qui y étaient réunis en grand nombre, ceux qui occupaient les cellules dont on pouvait disposer ? C'étaient les condamnés militaires ; il y avait plus de condamnés militaires que de condamnés à la peine de l'emprisonnement, que de condamnés à la réclusion, que de condamnés aux travaux forcés. Il s'y trouvait 240 condamnés militaires.

Cette position, je la signalai en 1864 et j'appelai l'attention de M. le ministre à ce sujet, en exprimant l'opinion que lorsque des militaires ne sont pas condamnés à une peine qui entraîne la déchéance de la profession des armes, il est regrettable de les condamner à cette immobilité forcée, qui est complètement en opposition avec le rôle qu'ils sont appelés à remplir.

Il y a d'ailleurs une autre observation qu'il convient de présenter ; c'est que les délits militaires sont souvent des délits sui generis. Nous savons que parfois, fréquemment même, des militaires commettent certain délit, parce qu'ils espèrent arriver ainsi à quitter l'armée. Ce sont de mauvais militaires ; mais enfin il y en a, et ce cas se présente souvent.

D'autre part, il y a un Code pénal militaire tout spécial, et je persiste à penser que lorsqu'on a dépensé 9 millions pour les maisons pénitentiaires, lorsqu'on a affecté la plus grande partie de cette somme à la maison de réclusion de Louvain, on a voulu faire un essai sur la généralité des condamnés pour délits de droit commun et non pas sur les militaires, qui appartiennent à une catégorie spéciale.

C'est ainsi qu'en 1864, j'appelais l'attention de M. le ministre de la justice sur ce fait, que dans la maison centrale de Louvain pour laquelle le pays s'était imposé tant de sacrifices et où l'essai le plus sérieux du régime cellulaire devait se faire sous la direction d'un homme fort instruit et fort distingué, c'étaient les condamnés militaires qui se trouvaient en grand nombre. Eh bien, qu'a fait la circulaire de M. le ministre de la justice du 20 juillet 1866 ? Elle a ordonné que les condamnés militaires seraient dirigés vers la maison centrale de Louvain.

Cette circulaire soulève une autre question beaucoup plus grave encore. Je veux parler de l'influence du régime des prisons sur les récidives. J'ai souvent appelé l'attention de la Chambre sur ce point ; mais je ne croirai jamais avoir fait assez, tant cette question est sérieuse et importante au point de vue général.

Il y a déjà un grand nombre d'années qu'un illustre économiste de notre époque, M. de Tocqueville, parlant comme rapporteur de la chambre des députés, s'exprimait en ces termes :

« Les chiffres que nous avons cru de notre devoir de mettre sous les yeux de la Chambre paraissent à la commission de nature à faire naître des craintes très sérieuses. Ils accusent un mal auquel il est urgent d’apporter un remède.

« Quelles sont les causes de ce mal ?... La commission sait que le développement plus ou moins rapide de l'industrie et de la richesse mobilière, les lois pénales, l'état des mœurs, et surtout l'affermissement ou la décadence des croyances religieuses, sont les principales causes auxquelles il faut toujours recourir pour expliquer la diminution ou l'augmentation des crimes chez un peuple.

« Il ne faut donc pas attribuer uniquement, ni même peut-être principalement à l’état de nos prisons l'accroissement du nombre des criminels parmi nous ; mais la commission est restée convaincue que l'état des prisons avait été une des causes efficaces de cet accroissemen., »

Et M. de Tocqueville ajoutait ces chiffres qui fixèrent toute l'attention des hommes de cette époque :

« Eu 1828, sur mille accusés, il y en avait cent huit en récidive.

« En 1841, on en comptait deux cent trente-sept ou plus du double.

« En 1828, sur mille prévenus, il y en avait soixante en récidive.

« En 1841, on en comptait cent quarante-quatre en récidive ou près du triple. »

Depuis, les choses en sont arrivées à ce point que, d'après la statistique criminelle, dans la seule année de 1862, les tribunaux français ont vu traduire à leur barre 47,500 récidivistes.

Quelle est la situation en Belgique, messieurs ? Elle mérite également votre attention.

De 1840 à 1849, parmi les accusés qui ont été traduits en cour d'assises, il y avait 31 p. c. de récidivistes.

De 1850 à 1855, cette proportion s'est élevée à 35 p. c.

De 1855 à 1860, à 46 p. c.

Je n'ai pas les chiffres de 1861, mais j'ai ceux de 1862. En 1862, sur 171 individus jugés en cour d'assises, 95 étaient des récidivistes.

Ainsi dans une période de cinq années, de 1855 à 1860, la proportion s'était élevée de 31 à 46 p. c, c'est-à-dire qu'il y avait un accroissement de moitié, et en 1862 on était arrivé à ce résultat que sur les accusés traduits en cour d'assises, il y avait 55 p. c. de récidivistes.

Voilà, messieurs, la situation, et je ne crois pas qu'elle se soit améliorée depuis 1862.

Il y a, messieurs, un fait attesté par tous les économistes, c'est que les récidives ne sont pas en général commises par des individus qui ont été longtemps en prison ; c'est le plus souvent par de jeunes condamnés prématurément dépravés. Les chiffres réunis par la statistique en Belgique confirment positivement ces données.

Ainsi dans des tableaux statistiques qui remontent à plusieurs années, on trouve que sur 1,251 récidivistes, il y en avait 1,008 qui n'avaient subi que des peines correctionnelles ; et parmi ceux qui avaient été récidivistes à diverses reprises, c'est-à-dire qui avaient subi deux ou plusieurs condamnations, sur 1,806, il y en avait 1,477 qui n'avaient également subi que des peines correctionnelles.

Il résulte de ces chiffres que c'est surtout parmi les condamnés à des peines correctionnelles que la récidive est la plus fréquente !

En 1862, le nombre des récidivistes devant les tribunaux correctionnels s'est élevé de 1,558 à 1,808.

Je ne cite ces chiffres que pour faire remarquer à la Chambre combien il importe d'arrêter et d'attendre la récidive à son premier degré, et lorsque en 1864 l'honorable M. Tesch m'a fait l'honneur de me répondre, il disait avec une haute autorité que c'était le régime cellulaire qui empêchait les mauvais instincts, les mauvais sentiments de se propager et qui devait amener une réduction dans le nombre des crimes et des délits. Eh bien, cela est surtout vrai pour les jeunes délinquants. Il faut, lorsque des circonstances peu graves souvent, lorsque des injures, des rixes, des coups, des blessures légères entraînent pour eux une condamnation à quelques mois de prison, il faut, dis-je, veiller avec soin à ce que ces jeunes gens, qui n'ont peut-être rien de bien sérieux à se reprocher, ne soient pas mis en rapport avec d'autres jeunes gens qui n'ont peut-être pas subi des peines bien fortes, mais qui les ont subies à raison de faits qui indiquent une dégradation plus profonde et plus menaçante.

Ces observations me paraissent fondamentales ; elles ont une grande importance et je ne comprends pas dès lors comment M. le ministre de la justice, dans sa circulaire du 20 juillet 1866, a pu prescrire le renvoi dans des maisons de détention commune, des délinquants condamnés à moins de six mois d'emprisonnement. Cette mesure me paraît aussi grave que déplorable.

Je crains, messieurs, d'abuser des moments de la Chambre, je me résume.

Je vois dans la circulaire de M. le ministre de la justice et dans le (page 177) langage qu'il a tenu à la séance d'hier deux graves dangers ; je vois d'une part la menace de la récidive au premier degré de la condamnation. Je vois d'autre part la vengeance des libérés à la sortie de la prison.

Ainsi, d'une part, la société ne fera pas ce qu'elle est tenue de faire pour empêcher les jeunes gens atteints d'une première condamnation, de se laisser séduire par de mauvais conseils et de funestes exemples. Elle ne fera pas ce qu'elle est tenue de faire pour les préserver d'une contagion fatale ; et, d'autre part, lorsque le condamné aura expié sa faute, elle ne fera pas non plus ce qui dépend d'elle pour l'empêcher, lorsque le dernier jour de sa peine sera arrivé, de retrouver ces mêmes conseils et ces mêmes exemples dont tous nos efforts doivent tendre à le détourner.

Ces considérations, messieurs, je les signale à l'attention de la Chambre, et je ne puis m'empêcher de dire que ce n'est pas ainsi que je comprends les utiles résultats qu'on attend du système pénitentiaire ; ce n'est pas dans ce but que la Chambre a voté des subsides considérables. Ce n'est pas en marchant dans cette voie qu'on trouvera dans l'amendement des condamnés une compensation aux sacrifices que le pays s'est imposés.

MjBµ. - Messieurs, l'honorable M. Kervyn a présenté des observations de diverses natures. Il a commencé par demander au gouvernement un rapport sur les résultats du système cellulaire. Déjà l'honorable membre avait formulé cette demande dans sa section, et la section centrale nous fait connaître qu'il lui a été impossible d'y faire droit. En effet, messieurs, l'honorable membre se hâte trop ; on ne peut apprécier le système cellulaire à la suite de l'expérience très courte qui en a été faite.

L'honorable membre dit qu'on a commencé en 1850 à mettre en cellule les condamnés. Cela est vrai, mais de quelle manière ? D'une manière incomplète.

On avait quelques prisons où il y avait des cellules, mais ùn le système cellulaire n'était pas organisé, où le personnel n'était pas suffisant, où n'existaient pas les moyens qui plus tard ont été inaugurés à Louvain, et ce n'est que depuis la construction de la maison de Louvain qu'on a pu commencer une expérience sérieuse. C'est à partir de 1861 que le système a véritablement fonctionné Or, messieurs, si la législature s'est imposé tant de sacrifices pour tenter un essai, je demande si après 5 ans d'expérience on peut venir dire : On va conclure ! Il faut un délai beaucoup plus long. Le gouvernement a déjà communiqué des résultats dans un premier rapport triennal. Il présentera plus tard un autre rapport ; mais venir dire maintenant : Le système est bon ; le système est mauvais ; l'expérience est faite ; cela est complètement impossible, et les fonctionnaires du département de la justice qui s'occupent de ces questions ne sauraient pas formuler une conclusion définitive.

Toutes nos prisons ne sont pas cellulaires ; il y a des maisons où il y a des cellules, mais où le système cellulaire n'est pas organisé. On confond très souvent l'emprisonnement en cellules avec le système cellulaire. Ce sont deux choses différentes. Ainsi, les détenus politiques, les détenus pour dettes sont placés dans des cellules, mais le système cellulaire ne leur est pas appliqué ; ils ont des rapports avec le public, ils ne sont soumis à aucune des obligations qu'on impose aux détenus placés sous le régime cellulaire.

Le gouvernement a adressé aux directeurs des prisons une circulaire dans laquelle il leur a posé un certain nombre de questions, et il y a au département de la justice un grand nombre de documents qui seront employés pour rédiger le prochain rapport. Mais l'expérience n'est pas suffisante et il importe d'attendre encore quelques années avant de se prononcer.

Du reste, messieurs, on introduit encore tous les jours des réformes dans le système cellulaire. L'honorable membre, qui s'occupe beaucoup de ces questions, voudra bien reconnaître que l'emprisonnement cellulaire est une chose extrêmement difficile et que ce n'est pas du premier jour qu'on peut arriver à la perfection. Les hommes les plus compétents condamnent le lendemain ce qu'ils ont conseillé la veille.

Messieurs, le pays s'est imposé beaucoup de sacrifices pour construire des prisons cellulaires ; veut-on abandonner ce système, comme on l'a fait en France et en Angleterre ? Non, messieurs, mais il ne faut pas trop presser le gouvernement dans les études qu'il poursuit.

L'honorable membre a critiqué une mesure prise par mon département, c'est-à-dire l'emprisonnement à Louvain des condamnés militaires et le renvoi de la maison cellulaire des condamnés à moins de 6 mois. Quant à la question de savoir si les condamnés militaires doivent être mis en cellule, c'est encore une question qui ne peut être résolue à priori.

Il fait se placer au point de vue des prisons que nous avons, or ne vaut-il pas mieux pour les condamnés militaires d'être mis en cellule que d'être confondus avec les malfaiteurs ordinaires ?

M. Coomansµ. - C'est une aggravation de peine.

MjBµ. - Alors il faut engager le gouvernement à créer une colonie militaire, mais tant que je n'ai pas cette colonie, j'aime mieux envoyer les condamnés militaires à Louvain que de les enfermer avec des voleurs ou des assassins.

L'emprisonnement cellulaire infligé aux condamnés militaires paraît rigoureux ; et je suis de cet avis ; mais il vaut mieux que l'emprisonnement en commun.

Savez-vous, messieurs, ce qui arrive ? C'est que parmi les condamnés militaires, il y a 27 p. c. de récidivistes ; ces condamnés cherchent à ne plus servir et tant qu'ils n'ont pas encouru la déchéance du rang militaire, ils se font condamner.

M. Coomansµ. - Alors, commencez par leur accorder la déchéance.

MjBµ. - Et que devient alors le système militaire si tout déserteur est certain qu'après une couple de désertions il encourra la déchéance ? Il n'y aura plus moyen de tenir un homme sous les drapeaux. Cela cadre parfaitement, il est vrai, avec les idées de l'honorable membre, puisque, d'après lui, il ne faut pas d'armée.

M. Coomansµ. - C'est vous qui dites que vous ne réussissez jamais et qu'ils continuent jusqu'à ce qu'ils encourent la déchéance.

MjBµ. - J'ai dit qu'il y a 27 p. c. de récidivistes militaires. Il reste donc encore de la marge pour obtenir de bons résultats. J'explique la cause de ce grand nombre de récidives ; c'est le désir d'échapper au service militaire. C'est donc à tort, selon moi, que l'honorable M. Kervyn se plaint de ce que le gouvernement envoie les condamnés militaires à Louvain.

Il le fait parce qu'il n'a pas d'autre prison.

Si la Chambre veut dépenser une somme considérable pour créer une prison militaire spéciale, je ne dis pas qu'il n'en résulterait pas des avantages. C'est une question à examiner.

Si l'on pouvait soumettre ces condamnés à un régime spécial et surtout les obliger à servir après avoir terminé leur peine, on aurait peut-être moins de récidives.

Quant à la critique dont a été l'objet l'instruction donnée par le département de la justice de renvoyer dans les prisons communes les condamnés à moins de 6 mois de détention, je répondrai que d'après les rapports que nous envoyait constamment le directeur de la prison de Louvain, ces détenus ne pouvaient subir l'influence du régime cellulaire parce qu'ils ne séjournaient dans l'établissement que pendant quinze jours, un mois, deux mois au plus et que le système cellulaire ne produit ses effets que lorsque son action a pu s'exercer pendant un laps de temps suffisant.

Je crois que les explications que je viens d'avoir l'honneur de fournir, si elles ne satisfont pas complètement l'honorable M. Kervyn, auront du moins le mérite de lui prouver que le gouvernement fait ce qu'il peut avec les instruments dont il dispose. Quant à l'étude complète du résultat du système, elle ne pourra être faite que dans quelques années.

J'arrive maintenant à parler des condamnés libérés, dont il a été question dans la seconde partie du discours de M. Kervyn. L'honorable membre trouve que le langage que j'ai tenu hier au sujet des comités de patronage n'est point conforme à la vérité ni à l'attitude que doit tenir le gouvernement.

Mon langage est très simple. Je n'ai pas exprimé d'opinion personnelle, j'ai dit que l'expérience prouve que l'institution des comités de patronage avait échoué.

Effectivement, on a établi des comités dans tous les cantons et ils n'existent plus. Il n'y en a plus que quelques-uns qui fonctionnent encore auprès des grandes prisons.

L'honorable membre prétend que ce que j'ai dit est contraire à l'opinion du congrès des sciences politiques et sociales. Il se trompe. Dans cette assemblée, dont je fais partie, dont j'ai été membre du comité d'organisation, on ne prend aucune résolution.

Ce que l'honorable membre a lu est l'opinion individuelle d'un ou de plusieurs membres. Au surplus, cette opinion est conforme à l'avis que j'ai émis.

L'auteur de la note qu'a lue l'honorable M. Kervyn vent que les condamnés ne soient pas tenus de se soumettre à un patronage officiel.

(page 178) J'ai justement reproché à l'organisation de 1848 de mettre les condamnes en contact avec des personnes officiellement connues comme patronnant les condamnés.

J'ai dit que ceux-ci ne voulaient pas avoir de relations avec ces personnes. Aussi l'auteur de la note demande des comités occultes. Or, d'après moi, cela est impossible.

Comment voulez-vous instituer des comités occultes ? S'ils sont sérieux, s'ils sont régulièrement en rapport avec les condamnés libérés, ils ne seront pas occultes ; ils seront connus de tout le monde ; il leur manquera seulement la nomination du gouvernement.

La répugnance des condamnés libérés sera donc la même. On saura que vous êtes un patron de condamnés libérés et les condamnés libérés refuseront d'aller chez vous.

On a dit que des sociétés de ce genre avaient réussi. Je demande où et quand.

L'honorable membre a cité M. Bérenger. Il est possible qu'il y ait eu en France et en Angleterre des comités qui ont réussi, mais il faut voir dans quelles proportions.

Des comités s'imaginent parfois qu'ils ont réussi parce qu'ils ont secouru quelques condamnés libérés. Je n'ai, du reste, pas été aussi absolu que l'honorable membre l'a dit.

Je ne supprime pas tons les comités, puisque, d'après moi, il en faut auprès des prisons centrales et c'est ce qui est dit dans la note dont l'honorable M. Kervyn a donné lecture.

Pourquoi ces comités sont-ils utiles ? Parce qu'ils peuvent donner au condamné libéré des vêtements, des outils, au moment de sa sortie de prison.

Le gouvernement reconnaît l'utilité de ces institutions ; il aura seulement à examiner si la commission administrative des prisons ne peut remplir cette mission tout aussi bien qu'un comité spécial. J'ai ajouté que les bureaux de bienfaisance et les administrations communales devaient secourir les condamnés libérés, que c'était peut-être le meilleur moyen d'arriver à leur amendement.

L'honorable membre répond : Ce ne sont pas des secours matériels qu'il leur faut. Mais, messieurs, la mission des bureaux de bienfaisance ne se borne pas à procurer des secours matériels ; elle consiste aussi à donner aux malheureux un appui moral. Les bureaux de bienfaisance peuvent donc agir sur les condamnés libérés de la même manière que les comités de patronage.

J'ai dit encore que l'on ne saurait pas dans beaucoup de localités composer ces comités de patronage sans prendre les personnes qui font partie des bureaux de bienfaisance. Or, je me demande comment ces personnes ne pourraient pas, étant seulement membres du bureau de bienfaisance, donner aussi bien des secours et des conseils aux condamnés libérés.

Je pense donc qu'il est inutile que le gouvernement substitue aux bureaux de bienfaisance des sociétés qu'on ne connaît pas, des sociétés occultes qui, en définitive, rendraient des services ignorés.

Il faut ou créer des services publics et, pour ma part, je ne suis pas de cet avis, ou bien établir des comités auprès des maisons centrales seulement et donner des crédits aux administrations communales pour les condamnés libérés.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Je m'étais fait inscrire pour demander quelques explications à M. le ministre de la justice, concernant les mesures que son département se propose de prendre au sujet de la prison de Saint-Bernard.

Il s'agit ici du système pénitentiaire en général et de cette maison de détention en particulier.

Ma demande d'explications se trouve complètement justifiée par la première partie du discours de l'honorable M. Bara. Il a déclaré, d'une part, que le gouvernement n'était pas assez éclairé aujourd'hui sur le meilleur système de détention, et d'autre part, que tous les jours on découvrait des améliorations à apporter au régime cellulaire ; et cependant c'est dans cette situation d'incertitude et de doute que le département de la justice semble vouloir prendre une mesure radicale au sujet de la prison de Saint-Bernard.

Dans la session de 1864, le conseil provincial d'Anvers reçut des pétitions des communes d'Hemixem, Schelle, Aertselaer et Niel concernant le projet attribué au gouvernement de supprimer la maison de correction de Saint-Bernard. Ces pétitions demandaient le maintien de cet établissement. Le conseil provincial nomma une commission dont les conclusions portaient que des démarches seraient faites auprès du département de la justice et, au besoin, auprès des Chambres.

Sur ces entrefaites, le 8 août 1864, le ministre de la justice adressa au gouverneur de la province d'Anvers une note peu favorable quant aux résultats financiers du travail fait dans la prison de Saint-Bernard.

A la lecture de cette note, le gouverneur et la députation permanente crurent à une idée préméditée de la part du ministre de ne plus maintenir cet établissement ; aussi s'empressèrent-ils de lui demander son opinion à cet égard.

Ils étayaient leur manière de voir d'arguments irréfutables que leur avait fournis la commission administrative des prisons de la province d'Anvers. Cette commission, je tiens à le déclarer en passant, et M. le ministre ne me contredira pas, est certainement de toutes les commissions du même genre, celle qui s'est occupée le plus activement et le plus consciencieusement du système pénitentiaire en Belgique.

Le 7 mars, le ministre répondit que rien n'était fait ; qu'on examinait et que dès qu'une décision serait prise, il en donnerait connaissance à la députation.

Le 6 juillet 1865, le conseil provincial, réuni de nouveau en session ordinaire, vota à l'unanimité une proposition tendante à envoyer une pétition à la Chambre. Cette pétition est arrivée à sa destination le 16 novembre 1865 ; le 23, elle fut renvoyée à la commission des pétitions. Depuis lors il n'en a plus été question. Jusque-là tout est bien ou à peu près, car s'il n'est pas tout à fait régulier de n'avoir pas encore déposé le rapport sur une pétition entrée il y a plus d'un an, le fait n'est pas rare cependant. Mais dans la question qui nous occupe, il y a péril en la demeure.

Il est arrivé que, le rapport sur la pétition du conseil provincial n'étant pas déposé, la Chambre n'ayant pas connaissance des conclusions de ce rapport et n'ayant pas été à même, par conséquent, de discuter la question très grave que soulève la pétition, l'honorable ministre de la justice semble vouloir cependant aller au-devant d'une décision, ignorée encore de la Chambre, de ne plus maintenir la maison de détention de Saint-Bernard.

Si mes renseignements sont exacts et j'ai lieu de les croire tels, il ne reste plus dans la prison de Saint-Bernard que 60 à 80 détenus, alors qu'il y en a eu jusqu'à 1,300 et au delà.

Et cependant, il se présente ici une très grave question que l'honorable ministre a traitée en partie en répondant à M. Kervyn. Il a déclaré que le meilleur système pénitentiaire à introduire en Belgique n'est pas encore trouvé et qu'il ignore encore lui-même lequel des deux est préférable, du système cellulaire ou du système du travail en commun.

Eh bien, la commission administrative des prisons de la province d'Anvers, l'une de celles, je le répète, qui se sont le plus occupées de ces intéressantes questions a, dans un rapport très étendu, formulé une opinion sérieuse, consciencieuse et fortement motivée en faveur du système en commun, tout en ne repoussant pas d'une manière absolue le système cellulaire.

Cette commission préconise le régime cellulaire pour une certaine catégorie de détenus, mais elle veut le système en commun pour tous les détenus condamnés correctionnellement.

Elle fait remarquer très justement, que la plupart des détenus de cette dernière catégorie ne doivent ordinairement pas leur triste sort à de mauvais instincts ; qu'il y a parmi eux beaucoup de campagnards et que, ne connaissant en général aucun métier, ils n'ont aucun moyen d'éviter la misère et ses tristes conséquences.

Il est donc utile de leur enseigner un état. C'est ce qui se fait à Saint-Bernard, et ce qui ne peut se faire efficacement dans les prisons cellulaires. Les heureux résultats d'une pareille mesure sont faciles à saisir. Ces hommes rentrés dans la société ont à leur disposition un moyen de gagner honorablement leur vie et ne sont plus disposés, par conséquent, à reprendre la mauvaise voie qui les avait conduits en prison...

Quels sont donc les griefs que peut avoir l'honorable ministre contre la maison de détention de Saint-Bernard ?

N'est-elle pas salubre ? l'hygiène publique y est-elle compromise ?

Il fut un temps, messieurs, où la prison de Saint-Bernard manquait d'eau potable ; mais dès que la commission administrative des prisons eut constaté cet inconvénient, elle y établit un puits artésien qui 'a donné les meilleurs résultats.

Sont-ce les émanations provenant d'établissements industriels situés dans le voisinage, qui exercent une fâcheuse influence sur la santé des détenus ? Mais il a été constaté par les attestations de médecins les plus expérimentés, que ces émanations sont complètement inoffensives ; ce qui le prouve, c'est que la mortalité qui, de 1840 à 1848, avait été en moyenne de 6 p. c, est tombée depuis à moins de 2 p. c. Il y a donc sous (page 179) le rapport un progrès immense qui prouve surabondamment que la prison de Saint-Bernard n'est nullement malsaine pour les détenus qui s'y trouvent renfermés.

Est-ce la question de l'influence du système pénitentiaire en vigueur à Saint-Bernard sur le moral des détenus ? Ici encore il y a une preuve évidente que le système du travail en commun vaut mieux que le système cellulaire. Voici, en effet, ce qu'on lit à ce sujet dans l'Exposé administratif de la province d'Anvers :

« Dans la maison de correction de Saint-Bernard, de 1851 à 1864, sur 29,164 détenus il y a eu 7 suicidés, soit une proportion de 1 sur 4,166, et 10 aliénés soit une proportion de 1 sur 2,916.

« A Louvain, dans la prison cellulaire, du 1er octobre 1860 au 14 juin 1864, sur 1,340 détenus, on a constaté 7 suicidés, soit une proportion de 1 sur 191, et 9 aliénés soit une proportion de 1 sur 149. »

Voilà, messieurs, des chiffres officiels et qui démontrent à l'évidence que le système cellulaire exerce une influence beaucoup plus nuisible que le système en commun sur l'état mental des détenus.

Serait-ce enfin au point de vue des résultats financiers du travail opéré à Saint-Bernard que M. le ministre croit devoir fermer cet établissement ?

Tout le monde sait que depuis 1848 on a commencé à y travailler pour l'exportation et que les efforts faits dans ce sens ont été couronnés d'un immense succès.

Ici encore, je puis citer, à l'appui de mon assertion, des documents tout à fait officiels. Nous trouvons en effet, dans l'Exposé de la situation administrative de la province d'Anvers pour l'année 1864, le passage suivant :

« Le travail pour l'exportation qui a été introduit à la prison de Saint-Bernard en 1848 et plus tard dans d'autres établissements, continue à donner de bons résultats.

« De 1844 à 1848, lorsque la prison de Saint-Bernard travaillait encore pour l'armée, le nombre moyen des hommes employés au service de la fabrique était de 1,120 et le chiffre moyen des bénéfices annuels de 22 mille francs.

« L'entretien d'un détenu à Saint-Bernard a coûté en 1863 fr. 0 60.16.53 par jour ou fr. 219,60 par an, en ne tenant pas compte des bénéfices réalisés sur le travail.

« Prenant par base le chiffre de fr. 0.60.16.53, on trouve que de 1844 à 1848, avec un bénéfice moyen de 22,000 fr. par an les fr. 219,60 de frais d'entretien ont diminué de 20 fr. Restait fr. 199.10 ou environ fr. 0.55 par jour et par homme.

« Depuis l'introduction du travail pour l'exportation, le nombre moyen des détenus que l'on y occupe peut être évalué à 1,130 (710 pour Saint-Bernard et 420 pour les autres prisons).

« De 1849 à 1860 le travail de ces détenus a produit un bénéfice moyen de 67,425 fr., par an, et les frais d'entretien ont été réduits de 60 fr. Restent fr. 159.60 ou environ fr. 0.44 par homme et par jour.

« De 1861 à 1865 la moyenne des bénéfices annuels a été de 164.333 fr. Les frais d'entretien par homme et par an ont été diminués de fr. 145,50. Restait fr. 74.10 ou environ fr. 0.20.50 par homme et par jour.

« Pour 1865 les bénéfices sont de fr. 200,859 35. Les frais d'entretien ont par conséquent diminué de fr. 177,75. Reste fr. 41.85 par an ou fr. 0.11.50 par homme et par jour.

« Lorsqu'on considère que les fr. 0.60.16 de la journée d'entretien comprennent tous les frais du culte, de l'instruction, de l'entretien, des malades, des bâtiments et du mobilier, on peut affirmer que les détenus travaillant pour l'exportation couvrent largement leurs frais d'entretien et ne coûtent plus rien à l'Etat. Le tout est payé par le consommateur étranger.

« Au 31 décembre 1863, le chiffre total des bénéfices réalisés par le travail pour l'exportation était de fr. 1,270,511.36. »

Je pense, messieurs, qu'après cette lecture, il devient inutile que j'en dise plus long sur les résultats financiers du travail qui se fait dans la prison de Saint-Bernard.

Je ne reviendrai pas non plus sur la question que j'ai traitée tout à l'heure relativement à la supériorité du travail en commun pour certaines catégories de détenus.

Il en est d'autres évidemment auxquelles le système cellulaire convient mieux, et je suis d'accord qu'il faut éviter soigneusement le contact d'hommes corrompus et incorrigibles avec des détenus qu'un moment d'erreur ou la misère a placés sous la main de la justice.

Je demande à M. le ministre de la justice de vouloir bien me fournir les explications que j'ai réclamées de lui. J'insiste fortement, en présence surtout de la déclaration qu'il a faite tantôt, relativement à l'incertitude dans laquelle il se trouve quant au choix du meilleur système de détention.

Je lui demanderai enfin comment il se fait que, dans de pareilles conditions, il nourrisse l'idée de supprimer la maison de correction de Saint-Bernard.

MjBµ. - Le gouvernement n'a nullement avancé comme semble le prétendre l'honorable membre, qu'il n'avait pas d'opinion sur le système cellulaire. J'ai dit que l'expérience n'était pas assez complète pour arriver à des conclusions qui établissent d'une manière parfaite les résultats du système cellulaire. Mais j'ai ajouté que, dans la pensée du gouvernement, le système cellulaire l'emportait sur le système de l'emprisonnement en commun. Dans mon opinion personnelle, l'amendement obtenu par le système cellulaire est beaucoup plus rapide, plus efficace.

Mais, messieurs, la question de la suppression de la prison de Saint-Bernard est complètement étrangère au débat qui s'agite relativement à la question de la supériorité d'un système sur l'autre.

En effet, les détenus de Saint-Bernard ont été transférés dans les prisons de Gand et de Vilvorde.

Pourquoi dès lors maintenir la prison de Saint-Bernard, puisqu'elle est devenue inutile ? Evidemment il est impossible de maintenir une prison pour le plaisir de la maintenir ; d'y avoir tout un personnel qu'il faut payer alors qu'il y a suffisamment de place dans d'autres prisons. Or, avec les autres prisons qui ont été construites et avec les maisons de Gand et de Vilvorde, nous pouvons renfermer tous les détenus. Nous avons des places vacantes. Le nombre des criminels diminue ; voyez la progression :

En 1861 6,221, 1862 6,616, 1863 6,317, 1864 5,633, 1865 5,550, 1866 5,165.

Ainsi, le nombre des individus qui passent par les prisons diminue ; dès lors nous ne pouvions pas conserver une prison dont nous ne saurions que faire.

Maintenant, l'honorable membre soutiendra-t-il que nous n'avons pas de places vacantes dans les prisons communes ? Ce serait une erreur complète. Le système commun l'emporte encore dans l'application sur le système cellulaire. En 1862, il y avait 67 p. c. dans le système de l'emprisonnement en commun, et en 1866 il y a encore 58 p. c.

Il y a donc en ce moment plus d'individus détenus dans les prisons communes que d'individus soumis au régime cellulaire. (Interruption.)

Oui, il y a tendance à faire disparaître le système de l'emprisonnement en commun. La Chambre a voulu constamment que l'emprisonnement cellulaire devînt la règle ; elle a décidé dans le Code pénal que tous les condamnés seraient soumis au régime de la séparation.

En présence du système qui a été inauguré en 1860 et continué depuis lors, faut-il maintenir la prison de Saint-Bernard ? Evidemment non, le 1er janvier 1867, la prison de Saint-Bernard devra être fermée ; ainsi que l'a dit l'honorable préopinant, il n'y reste plus aujourd'hui que 60 à 80 détenus ; la peine de ces 60 à 80 détenus sera terminée au 1er janvier prochain.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Messieurs, je me déclare hautement, pour ma part, partisan du système cellulaire.

Je n'ai pas demandé que dès à présent le gouvernement fît à la Chambre un rapport complet sur les résultats de l'application de ce système, ma pensée n'allait pas si loin. Mais il me semblait utile de connaître exactement ce qui se pratique dans les différentes maisons cellulaires, afin d'arriver à un règlement uniforme. Ce règlement doit être uniforme, car il est juste que des condamnés soumis aux mêmes peines ne soient pas traités avec plus de rigueur les uns que les autres. D'ailleurs, je ne crois pas qu'il soit impossible d'arriver à ce règlement, ou du moins de s'y préparer, à l'aide de rapports qui seraient présentés par les directeurs des maisons cellulaires.

M. le ministre de la justice a cité un rapport de M. Stevens, directeur de la maison de Louvain. Ce rapport remarquable est un excellent élément d'appréciation ; je souhaiterais que des rapports semblables fussent présentés par les directeurs des autres maisons cellulaires.

Il ne faut pas croire d'ailleurs que ce système n'ait été introduit que récemment, ainsi que l'a dit M. le ministre de la justice. L'honorable ministre s'est servi de cette expression : système inauguré en 1860. Et cependant j'ai sous les yeux un travail d'un de ses honorables prédécesseurs, (page 180) M. Faider, qui constate qu'au 31 décembre 1860 il y avait 2,915 détenus en cellules. Ce système fonctionnait donc à cette époque d'une manière déjà complète.

Il est un autre point sur lequel je crois devoir insister, je veux parler de la critique que j'ai adressée à la circulaire de M. le ministre de la justice, du 20 juillet dernier, en ce qui touche la réclusion, dans des maisons communes, des condamnés à moins de 6 mois d'emprisonnement

M. le ministre de la justice m'a fait remarquer que soumettre au système cellulaire les condamnés qui doivent y passer 6 mois et le plus souvent moins de 6 mois, ce serait faire un essai sans aucun résultat possible, car le système cellulaire ne produit certains fruits qu'après une application plus ou moins longue.

J'admets parfaitement cette observation, mais lorsque j'insiste pour que les condamnés à moins de 6 mois soient soumis au régime cellulaire, ce n'est pas que je veuille leur appliquer ce régime dans toute sa rigueur Je demande avant tout le système de séparation. Il me paraît impossible de maintenir la détention en commun pour des jeunes gens qui bien souvent n'ont pas commis un délit bien grave et qui peuvent se pervertir au contact le plus pernicieux. J'ai cité des chiffres qui établissent que c'est parmi les condamnés à des peines correctionnelles que la récidive se multiplie davantage.

Il me semble qu'en présence de cet état de choses, il y a une règle à proclamer, et cette règle est celle-ci : C'est que toutes les fois qu'une première condamnation est prononcée, il faut que le condamné ne soit pas soumis au régime de la détention en commun ; c'est surtout dans ce cas que le régime de la séparation peut être utile, pour prévenir ce grand nombre de récidives qui est le fléau de la société.

A ce sujet, j'appellerai l'attention du gouvernement sur une autre mesure dont j'ai déjà entretenu la Chambre ; je veux parler du système de libération provisoire que les Anglais appellent le système des tickets of leave, qui a été appliqué en Angleterre avec beaucoup de succès et qui a fait l'objet d'un projet de loi formulé en 1865 par le gouvernement français. Cette matière me paraît très importante, et en ce moment je me borne à la signaler à l'attention de M. le ministre de la justice.

Je répondrai quelques mots à l'honorable ministre sur la question des comités de patronage. Je n'ai pas été bien compris sur ce point.

Lorsque j'ai invoqué l'opinion du congrès pour le progrès des sciences sociales, opinion individuelle d'un membre de cette assemblée, d'après M. le ministre, j'ai dit que cette opinion avait été reproduite dans l'exposé de la situation du royaume, et qu'à ce titre elle prenait un caractère plus ou moins officiel, ou tout au moins un caractère de recommandation officielle. Dans ce rapport, on ne demandait pas l'institution des comités actifs de patronage par arrêté royal, mais on parlait de sociétés formées spontanément, inspirées par la charité et dont les membres consacreraient leur intelligence, leur cœur et leur âme à la rude tâche d'adoucir la position de cette classe de malheureux.

Voilà ce qu'on demandait au congrès des sciences sociales ; voilà ce que demandait également M. Bérenger ; voilà ce qui se fait en France et en Angleterre ; et c'est sur ces idées et sur ces exemples que j'appelle l'attention de la Chambre et de M. le ministre de la justice. Ce n'est que par l’enseignement religieux et moral qu'on peut préparer le condamné à rentrer dans la société ; et ici je terminerai, en rappelant les paroles de M. de Tocqueville : « C'est sur la religion surtout que repose l'avenir de la réforme pénitentiaire. »

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Il y a lieu pour la Chambre de se féliciter avec M. le ministre de la justice de ce que la criminalité diminue en Belgique au point de pouvoir fermer les prisons.

Seulement, l'honorable M. Bara commence par celle de Saint-Bernard, et je lui demande les raisons de cette sollicitude toute particulière pour cet établissement.

Je lui demanderai aussi ce que rapportent les autres maisons centrales, à Gand et à Vilvorde, et s'il est possible d'établir, sous ce rapport, un parallèle entre elles et la maison de Saint-Bernard. Je lui demande enfin, si dans la prison de Vilvorde et dans celle de Gand, on peut constater les résultats que voici :

Avant l'introduction de la fabrication des russias dans la prison de Saint-Bernard, travail qui a fait à la Belgique une réputation universelle et qui a rapporté de grosses sommes au trésor, les frais de la prison de Saint-Bernard s'élevaient à 142,316 francs ; après l'introduction de ce travail, ils sont descendus à 31,481 fr., soit une différence de 110,835 francs.

Que M. le ministre veuille bien nous dire s'il a obtenu à Vilvorde et à Gand des résultats analogues qui justifient la mesure qu'il compte prendre à l'égard de Saint-Bernard le 1er janvier prochain,

MjBµ. - Messieurs, l'honorable membre a demandé pourquoi je supprimais d'abord Saint-Bernard plutôt que de supprimer Gand ou Vilvorde. Par une raison bien simple ; c'est que Saint-Bernard ne se trouve pas dans les conditions de Gand et de Vilvorde ; c'est que les prisons de Gand et de Vilvorde sont, sous tous les rapports, supérieures à celle de Saint-Bernard, et cela a été tellement bien compris, qu'à Gand et à Vilvorde on a créé des quartiers spéciaux où le système cellulaire est appliqué.

M. Jacobsµ. - Elles sont supérieures, sauf sous le rapport du rapport.

MjBµ. - Il ne faut pas croire que ce que Saint-Bernard a produit au point de vue du tissage, on ne puisse l'obtenir dans les autres prisons. L'industrie de Saint-Bernard peut être introduite dans d'autres prisons ; si on ne le fait pas, c'est qu'on a des raisons spéciales, des raisons économiques.

M. de Haerneµ. - L'industrie privée réclame depuis longtemps contre la fabrication des toiles à Saint-Bernard.

MjBµ. - Raison de plus pour le» supprimer.

M. de Haerneµ. - A mon point de vue, oui.

MjBµ. - Ce n'est, du reste, pas une question d'argent qui a fait supprimer Saint-Bernard, et les honorables membres ne voudraient pas porter le débat sur le terrain de la question pécuniaire ; ce n'est pas parce qu'on gagne plus dans une prison que dans une autre que l'une est maintenue et l'autre supprimée.

On supprime Saint-Bernard, parce que Saint-Bernard est devenu inutile.

- La discussion est close.

Section première. Service économique
Articles 45 à 48

« Art. 45. Frais d'entretien, d'habillement, de couchage et de nourriture des détenus. Achat et entretien du mobilier des prisons : fr. 1,300,000. »

- Adopté.


« Art. 46. Gratifications aux détenus : fr. 34,000. »

- Adopté.


« Art. 47. Frais d'habillement des gardiens : fr. 30,000. »

- Adopté.


« Art. 48. Frais de voyage des membres des commissions, des fonctionnaires et employés : fr. 11,000. »

- Adopté.

Article 49

« Art. 49. Traitement des fonctionnaires et employés : fr. 712,000. »

M. Delcourµ. - Je demande la parole sur l'article 49 pour faire une simple observation.

Les traitements sont réglés par l'arrêté royal du 10 mars 1857 ; ils n'ont point été augmentés jusqu'à présent. Le gouvernement propose de les augmenter ; la Chambre a sous les yeux le tableau des augmentations proposées.

Il est une catégorie des, employés des prisons qui ne me semble pas traitée comme elle le mérite. Je veux parler des instituteurs des maisons centrales et des instituteurs adjoints.

Le traitement de l'instituteur principal est inférieur à celui du premier commis et celui de l'instituteur adjoint n'est pas même égal au traitement d'un magasinier. Cette répartition des traitements est inique. Elle n'est en rapport ni avec les services que rendent ces employés, ni avec l'importance de leur mission.

Dans les prisons cellulaires, les instituteurs ont une mission dont probablement peu de membres de la Chambre se sont rendu compte.

Le gouvernement a fait quelque chose pour eux. Les augmentations de traitement proposées sont sérieuses ; mais sont-elles suffisantes ? Je ne le pense pas. Je demande à M. le ministre de faire à ces fonctionnaires une position qui réponde aux services signalés qu'ils rendent dans nos prisons. L'instituteur principal, dans une maison cellulaire, ne se borne pas à enseigner à lire et à écrire ; il travaille surtout à l'amendement des condamnés, en les rappelant à leurs devoirs et en les préparant à faire leur rentrée dans la société.

J'espère que M. le ministre voudra bien prendre ma demande en considération. Je ne sollicite pas une augmentation de crédit. Je pense qu'avec le crédit proposé le gouvernement pourra faire droit à ma réclamation.

(page 181) MjBµ. - Les observations de l'honorable membre sont certainement fondées.

Le gouvernement a fait des propositions pour augmenter les traitements de tout le personnel des prisons et les instituteurs participent aussi à cette mesure. Car leur traitement, qui était auparavant de 1,300 à 1,700 francs dans les maisons centrales, sera porté de 1,800 à 2,200 francs ; les instituteurs des autres prisons auront également une augmentation de traitement. Je ferai remarquer que l'annexe que l'honorable M. Delcour a invoquée n'a été donnée que comme indication ; l'administration s'est réservé de remanier les chiffres sans dépasser le crédit.

Je crois qu'effectivement il y a quelque chose à faire pour les instituteurs des maisons pénitentiaires et surtout des maisons centrales ; dans les maisons centrales pénitentiaires, l'instituteur n'a pas le loisir de s'occuper ailleurs. Il y aura donc lieu de voir s'il n'est pas possible d'augmenter un peu les traitements dont il est fait mention dans l'annexe dont a parlé l'honorable membre.

- L'article 49 est adopté.

Articles 50 à 54

« Art. 50. Frais d'impression et de bureau : fr. 10,000. »

- Adopté.


« Art. 51. Prisons. Entretien et travaux d'amélioration des bâtiments : fr. 155,000. »

- Adopté.


« Art. 52. Maison de sûreté cellulaire à Mons. Achèvement des travaux de construction ; charge extraordinaire : fr. 30,000. »

- Adopté.


« Art. 53. Maison d'arrêt cellulaire à Louvain. Continuation des travaux de construction ; charge extraordinaire : fr. 200,000. »

- Adopté.


« Art. 54. Maison de sûreté cellulaire d'Arlon. Continuation des travaux de construction ; charge extraordinaire : fr. 110,000. »

- Adopté.

Articles 55 et 55bis

« Art. 55. Maison d'arrêt cellulaire à Huy. Continuation des travaux de construction ; charge extraordinaire : fr. 112,000. »

MjBµ. - Je prie la Chambre de réduire ce chiffre à 100,000 fr. Les travaux de la prison de Huy ne sauraient pas absorber en 1867 la somme de 112,000 fr. Je dois déclarer que la réduction ne retardera en rien ces travaux.

Je propose ensuite, messieurs, de faire des 12,000 francs retranchés de l'article 55, l'objet d'un article 55bis : Travaux de la prison centrale de Gand, 12,000 fr. »

M. de Macarµ. - Je regrette que M. le ministre de la justice ait cru devoir retirer de la maison d'arrêt de Huy, une somme de 12,000 francs. Cependant comme il veut bien déclarer que cette réduction ne retardera en rien l'exécution des travaux, je n'insisterai pas.

MjBµ. - Je ne puis pas comprendre les regrets de l'honorable membre, attendu que le gouvernement déclare qu'il est impossible de dépenser le crédit ; c'est d'autant plus impossible que la question de la prison de Huy se complique de la question de la construction d'un palais de justice, qui n'est guère avancée. Je prie l'honorable M. de Macar d'insister sous ce rapport auprès du conseil provincial de Liège.

- Le chiffre de 100,000 francs est mis aux voix et adopté.

L'article 55bis proposé par M. le ministre de la justice, est également mis aux voix et adopté.

Articles 56 et 57

« Art. 56. Maison de sûreté cellulaire d'Anvers. Agrandissement ; charge extraordinaire : fr. 200,000. »

- Adopté.


« Art. 57. Honoraires et indemnités de route aux architectes, pour la rédaction de projets de prisons, la direction et la surveillance journalière des constructions ; charge extraordinaire : fr. 26,000. »

- Adopté.

Section II. Service des travaux
Articles 58 à 61

« Art. 58. Achat de matières premières et ingrédients pour la fabrication : fr. 1,000,000. »

- Adopté.


« Art. 59. Gratifications aux détenus : fr. 150,000. »

- Adopté.


« Art. 60. Frais d'impression et de bureau : fr. 5,000.

« Charge extraordinaire : fr. 5,000. »

- Adopté.


« Art. 61. Traitements et tantièmes des fonctionnaires et employés : fr. 100,000. »

- Adopté.

Chapitre XI. Frais de police

Article 62

« Art. 62. Mesures de sûreté publique : fr. 80,000. »

- Adopté.

Chapitre XII. Dépenses imprévues

Article 65

« Art. 65. Dépenses imprévues non libellées au budget : fr. 5,000.

« Charge extraordinaire : fr. 1,800. »

- Adopté.

Second vote des articles

La Chambre décide qu'elle procédera immédiatement au vote définitif.

Articles 1 à 18

Les amendements introduits dans les premiers articles du budget sont successivement mis aux voix et définitivement adoptés.

Article 19

« Art. 19. Impression du Recueil des lois, du Moniteur et des Annales parlementaires : fr. 180,000. »

MpVµ. - Au premier vote, ce crédit a été porté à 220,000.

M. Coomansµ. - Messieurs, pour dégager ma responsabilité et laisser entière celle de la Chambre, j'ai deux déclarations à faire qui me semblent assez intéressantes. Deux points sont restés hier dans le vague, et je le regrette beaucoup, car si l'on avait précisé, j'aime à croire que la Chambre aurait pris une autre décision.

Du reste, l'assemblée fera ce qu'elle voudra, après m'avoir entendu.

J'ai fait depuis hier des calculs approximatifs très exacts, d'où il résulte, que la partie non-officielle du Moniteur remplit le tiers des pages de cette publication, c'est-à-dire absorbe le tiers de la dépense. Ainsi donc quand l'honorable ministre fixera la dépense du Moniteur, il pourra déduire le tiers et il aura la dépense désirée par la Chambre.

En second lieu, messieurs, j'ai lieu de croire que rien n'empêcherait la Chambre de prendre la résolution que j'avais l'honneur de lui proposer : il n'y a pas de contrat qui empêche la Chambre de modifier la composition du journal officiel.

Ainsi, mes honorables collègues, qui auraient voulu réaliser une économie d'une soixantaine de mille francs, mais qui n'ont pas jugé nécessaire d'en faire une de quelques milliers de francs, ces honorables collègues peuvent, aujourd'hui, sans se contredire le moins du monde, revenir sur leur vote d'hier. Quant à moi, je suis plus résolu que jamais, après les renseignements que j'ai pris, à repousser l'augmentation demandée par l'honorable ministre.

Voilà, messieurs, ce que j'avais à dire. La Chambre fera maintenant ce qu'elle voudra, mais on doit préciser bien les choses. En maintenant la partie non-officielle du Moniteur, vous maintenez une dépense de 60,000 à 70,000 francs.

MjBµ. - Quant à la deuxième déclaration de l'honorable membre, je ferai remarquer que ce n'est que comme considération subsidiaire que j'ai dit que toutes les clauses du contrat ne m'étaient pas présentes à la mémoire et que j'ignorais si l'une ou l'autre de ces clauses donnait un droit à l'imprimeur quant au maintien de la partie non-officielle. Je n'ai pas vérifié ce contrat, j'ai eu d'autres occupations et je n'ai pas pensé qu'on reviendrait aujourd'hui sur cet article.

Quant à la première observation de l'honorable membre, elle n'est nullement fondée. L'honorable membre a compté les pages du Moniteur et il dit que la partie non-officielle occupe environ le tiers. Or l'honorable membre ne sait pas ce que coûtent les Annales parlementaires et ce que coûte le Moniteur, car les chiffres ne sont pas divisés. L'honorable membre ne peut donc pas dire que la partie non-officielle du Moniteur absorbe le tiers de la dépense totale.

Ensuite, messieurs, son observation n'est pas fondée. Je lui ai dit hier ce dont il ne tient pas compte, que la dépense pour la partie non-officielle du Moniteur, quelle que soit l'étendue de cette partie, ne peut être comparée à la dépense qu'occasionne la partie officielle, parce qu'il faut toujours un matériel et un personnel considérables pour pouvoir imprimer en temps le Moniteur et les Annales parlementaires.

La thèse d« l'honorable membre a été du reste beaucoup ébréchée (page 182) hier, car sur tous les bancs de la Chambre on a reconnu la nécessité de publier un certain nombre de documents qui ne sont pas officiels.

Dans l'hypothèse même où la Chambre eût voté la suppression proposée par l'honorable membre, l'on n'aurait donc retiré du Moniteur que les matières dont a parlé l'honorable M. d'Hane, mais quant à d'autres documents, les rapports des académies, les comptes rendus des conseils provinciaux, les avis des conseils d'hygiène, les rapports du conseil d'industrie et du commerce, les rapports des chambres de commerce et des consuls auraient continué de figurer au Moniteur, de telle sorte que la différence serait devenue très légère, et la diminution des charges pour l'Etat très minime, et c'est le cas de dire : De minimis non curat praetor.

M. Bouvierµ. - La question a été décidée hier.

M. Coomansµ. - Si je n'entre pas dans plus de détails, c'est par respect pour la Chambre. Mais j'affirme que mes chiffres sont exacts et que toutes les explications que vient de donner l'honorable ministre ne le sont pas du tout.

A qui fera-t-on croire qu'il en coûte autant pour faire un petit journal qu'un grand et que le tiers du journal ne représente pas le tiers de la besogne, du papier et des frais d'impression ?

II y a une chose évidente : c'est le parti pris de la Chambre de conserver à un haut prix une publication complètement inutile. (Interruption.)

Devant cette évidence je me tais jusqu'à l'année prochaine.

- Le chiffre de 220,000 fr. est adopté.

Articles 32 et 37

Art. 32. Subsides pour frais du culte et dépenses diverses : fr. 13,000. »

- Adopté.


« Art. 37. Secours pour les ministres des cultes ; secours aux anciens religieux et religieuses : fr. 30,000. »

- Adopté.

Article 55bis

« Art. 55bis. Travaux de la prison centrale de Gand : fr. 12,000. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Je désire, messieurs, motiver en quelques mots le vote négatif que j'émettrai sur le budget du département de la justice.

MpVµ. - La discussion a été close.

M. Bouvierµ. - C'est un discours posthume.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Je désire motiver mon vote. C'est au ministère de la justice qu'ont été soulevées les questions qui, dans ces dernières années, ont provoqué la plus vive résistance sur les bancs de l'opposition. C'est au ministère de la justice qu'ont été préparées les mesures qui nous considérons comme inconciliables avec l'esprit de nos institutions et avec l'équité et, en même temps, avec ces grands intérêts de l'instruction et de la moralisation que nous ne pouvons ni ne voulons séparer.

L'instruction, pendant longtemps, avait été l'objet de bienfaits qui s'adressaient à la capacité en dehors de l'aisance et pour ma part, je ne sais rien de plus noble que cet exemple donné par des hommes qui devaient tout à la science et qui, du seuil de la tombe, tendaient la main à des jeunes gens zélés mais pauvres, afin qu'ils pussent un jour par le travail s'élever comme eux.

La loi du 19 décembre 1864 a frappé de stérilité les fondations de bourses d'étude.

Il y avait une autre catégorie de libéralités d'un ordre moins élevé, mais non moins utile, qui ne soutenaient pas exceptionnellement des capacités isolées, mais qui appelaient en grand nombre les jeunes intelligences à ces premières études qui préparent à toutes les autres.

N'en doutons pas, messieurs, l'arrêté du 31 octobre 1866 est venu aussi les frapper de stérilité.

Ainsi, dans ces temps où nous voulons répandre les lumières de l'instruction, nous voyons le monopole égoïste et étroit se substituer de toutes parts à la liberté qui seule est féconde, nous voyons repousser et décourager ceux qui veulent favoriser la science chez les esprits d'élite ou développer l'instruction dans les masses populaires ; et c'est par des mesures arbitraires qui reposent sur des subtilités juridiques et qui violent la volonté sacrée des testateurs, qu'on répond à ce qui mériterait un témoignage éclatant de la reconnaissance publique.

Ce que je constate en m'en affligeant vivement, c'est que cette hostilité est dirigée contre la première et la plus haute idée de moralisation, l'idée religieuse.

Cette préoccupation, je l'ai retrouvée aujourd'hui jusque dans cette question si intéressante du concours à apporter à la réhabilitation morale des condamnés libérés.

Ce système, messieurs, est selon moi mauvais pour le pays dont il ébranle les traditions honnêtes et loyales ; il est mauvais pour le gouvernement, car il affaiblit le respect dont je voudrais le voir entouré ; et, si dans la situation actuelle des choses, nous avons cru, de ce côté de la Chambre, remplir un devoir patriotique en nous abstenant de tout débat irritant...

M. Bouvierµ. - Vous provoquez un débat irritant.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - ... si, moi-même, lors du vote de l'adresse, j'ai renoncé à toute discussion pour faire appel à l'unanimité de cette assemblée, il est une limite que je ne saurais franchir, et cette limite je la trouve dans le système suivi invariablement par le département de la justice.

MjBµ. - Messieurs, la Chambre sera étonnée, tout autant que je le suis moi-même, du discours de l'honorable membre.

Il se pose comme un modèle de modération et il vient, dans les termes les plus doucereux possibles, d'attaquer avec la dernière violence non seulement la conduite du gouvernement, mais les actes de la Chambre,

M. Mullerµ. - Et du Sénat.

M. Coomansµ. - Ne parlez pas du Sénat.

MjBµ. - En effet, l'honorable membre prétend que la politique du gouvernement, approuvée par la majorité de la Chambre, a des tendances immorales, que nous nous opposons au développement des sentiments moraux et religieux du pays, et qu'il faut aller dans l'opposition pour trouver le véritable dépôt des sentiments religieux et des sentiments moraux.

Il est fort commode de faire ainsi son propre éloge et de blâmer ses adversaires ; mais il eût mieux valu, au lieu de se lancer dans une accusation aussi vague, de montrer les faits qui étaient de nature à étayer les reproches dont l'honorable membre s'est fait l'organe.

Il ne suffit pas, après un débat excessivement calme, dont on avait écarté toute espèce de question irritante, il ne suffit pas de se retourner, et de lancer la flèche du Parthe, en disant à ses adversaires : Vous êtes des hommes qui protégez l'immoralité et qui vous opposez, jusque dans la protection des condamnés libérés, à ce que les sentiments moraux et religieux pénètrent jusqu'à eux.

Eh bien, messieurs, je proteste non seulement contre la doctrine que l'honorable membre nous impute, mais contre le procédé de discussion dont il s'est servi.

Si l'honorable membre avait dès le début posé, le débat sur le terrain . où il vient de se placer, nous aurions examiné les actes du gouvernement et rencontré l'interprétation et les critiques sévères qu'il vient d'en faire. Comment ! l'honorable membre refuse son vote au budget de la justice à cause de la loi de 1864 sur les bourses d'étude et il a la témérité de dire que la loi de 1864 aura pour résultat de rendre stérile la charité !

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Les fondations de bourses d'étude.

MjBµ. - Eh bien, qu'y a-t-il de vrai dans un pareil langage ? Voudriez-vous prétendre que par la loi de 1864 on aurait tari la source des fondations ; en aviez-vous plus sous les arrêtés de 1818 et de 1825 ? Vous savez bien que l'on n'a plus fondé de bourses depuis 1818. Et au point de vue de la conservation du patrimoine, de la bonne administration, oseriez-vous prétendre encore après toutes les dilapidations après tous les abus que nous avons signalés... (Interruption.)

M. Bouvierµ. - Oui, oui.

MjBµ. - ... oseriez-vous prétendre encore que la loi de 1864 a stérilisé la charité ?

L'expérience prouvera que, sous l'administration nouvelle des bourses d'étude, le patrimoine des jeunes gens augmentera. Ce qui dans les mains d'administrateurs spéciaux disparaissait, était dilapidé, deviendra une véritable fortune pour ceux qui ont de l'intelligence sans avoir les moyens de faire des études.

Quoi ! c'est lorsqu'on applique à l'instruction le système qui a fait prospérer nos bureaux de bienfaisance et nos hospices, c'est lorsque nous voulons protéger le bien des pauvres et empêcher les administrateurs spéciaux de se l'approprier que l'on vient nous dire : Vous avez tari, vous avez rendu stérile la source de la bienfaisance.

Je demande pardon à la Chambre de la manière dont je m'exprime, mais je ne m'attendais pas à la discussion que M. Kervyn est venu (page 183) soulever d'une façon si imprévue, si regrettable. Je parle sous l'inspiration d'une indignation que la Chambre et le pays comprendront.

Après avoir conduit avec modération le débat du budget de la justice, je ne devais pas m'attendre à ce qu'un homme qui passe pour modéré vînt ici jeter l'insulte à tout ce qui a été fait au banc ministériel et sanctionné par les Chambres et le pays.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - M. le ministre de la justice a fait la glorification de son système. Pour répondre à ses paroles, je devrais contester et attaquer ce système et j'entrerais, par cela même, dans ces débats irritants que je persiste à repousser.

M. Bouvierµ. - C'est vous qui les provoquez.

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Toutefois, au moment où j'étais résolu à refuser mon vote au budget de la justice, je devais faire connaître les motifs qui m'engageaient à en agir ainsi, je me suis expliqué : je crois avoir fait mon devoir. (Interruption.)

MpVµ. - Je ferai remarquer à M. Kervyn qu'il n'est pas dans les habitudes de la Chambre de rouvrir une discussion générale à propos du vote des articles. C'est, je crois, la première fois que ce fait se produit.

- L'article unique est adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé à l'appel nominal sur l'ensemble de la loi.

78 membres y prennent part.

51 répondent oui.

27 répondent non.

En conséquence la Chambre adopte ; le projet de loi sera transmis au Sénat.

Ont voté pour :

MM. Frère-Orban, Funck, Guillery, Hagemans, Jacquemyns, Jamar, Jonet, Jouret, Le Hardy de Beaulieu, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Rogier, T' Serstevens, Valckenaere, Van Cromphaut, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Nieuwenhuyse, Warocqué, Allard, Anspach, Bara, Bouvier, Bricoult, Broustin, Bruneau, Carlier, Couvreur, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Brouckere, De Fré, de Kerchove, de Macar, de Maere, de Rongé, Descamps, de Terbecq, Dethuin, de Vrière, Dewandre, d'Ursel, Elias et Ernest Vandenpeereboom.

Ont voté contre :

MM. Gerrits, Hayez, Jacobs, Janssens, Kervyn de Lettenhove, Magherman, Moncheur, Notelteirs, Schollaert, Tack, Thibaut, Thienpont, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Renynghe, Van Wambeke, Verwilghen, Vilain XIIII, Coomans, de Haerne, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Mérode, de Naeyer, de Theux et d'Hane-Steenhuyse.

- La séance est levée à cinq heures et un quart.