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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 16 janvier 1867

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboomµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 235) M. de Florisone, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisoneµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Onghena, brigadier de gendarmerie pensionné, demande que ses huit années et neuf mois de grade lui comptent pour sa pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Verdoncken demande que le gouvernement ordonne la mise en vente publique des bâtisses et parcelles expropriées qui n'ont pu être comprises dans les travaux des fortifications d'Anvers. »

M. Delaetµ. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.

- Adopté.


« Le sieur P.-A. Cattier, statuaire, à Ixelles, né à Charleville (France), demande la naturalisation. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur Em, Fendius, ingénieur honoraire des ponts et chaussées, à Gand, né à Luxembourg, demande la naturalisation. »

- Même renvoi.


« Le sieur Cafler, blessé de septembre, ancien officier de police au chemin de fer, demande un secours. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des ouvriers bijoutiers à Bruxelles, Malines, Liège et Anvers présentent des observations contre le projet de loi relatif à la liberté du travail des matières d'or et d'argent. »

M. Moreauµ. - La section centrale chargée d'examiner le projet de loi a terminé ses travaux aujourd'hui ; je crois donc qu'il conviendrait d'ordonner le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion.

- Ce dépôt est ordonné.


« Le sieur Theunis, commissaire de police à Lessines, demande une indemnité pour les commissaires de police qui remplissent les fonctions de ministère public près des tribunaux de simple police. »

« Même demande des commissaires de police de Malines, Thourout. Marche, Tirlemont, Nazareth, Iseghem, Renais, Péruwelz, Seraing, Sottegem, Soignies, Tongres, Hasselt, Ostende, Grammont, Dinant. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi sur l'organisation judiciaire.


« Des habitants de Liedekerke demandent la révision de la loi sur la garde civique. »

- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


« M. David, retenu par une indisposition, demande un congé de huit à dix jours. »

- Accordé.

Composition des bureaux des sections

Les bureaux des sections du mois de janvier ont été constitués ainsi qu'il suit :

Première section

Président : M. Broustin

Vice-président : M. Le Hardy de Beaulieu

Secrétaire : M. de Rossius

Rapporteur de pétitions : M. Preud’homme


Deuxième section

Président : M. Magherman

Vice-président : M. Delcour

Secrétaire : M. Van Renynghe

Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt


Troisième section

Président : M. Vander Maesen

Vice-président : M. Hagemans

Secrétaire : M. T’Serstevens

Rapporteur de pétitions : M. de Macar


Quatrième section

Président : M. Thiebaut

Vice-président : M. Thonissen

Secrétaire : M. Liénart

Rapporteur de pétitions : M. d’Hane-Steenhuysse


Cinquième section

Président : M. Lesoinne

Vice-président : M. Van Nieuwenhuyse

Secrétaire : M. Elias

Rapporteur de pétitions : M. de Kerchove


Sixième section

Président : M. Allard

Vice-président : M. Julliot

Secrétaire : M. Mouton

Rapporteur de pétitions : M. Descamps.

Projet de loi modifiant le code pénal

Discussion des articles (Livre I. Des infractions)

Chapitre II. Des peines

Section I. Des diverses espèces de peines
Article 7

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Messieurs, je viens soutenir l'amendement qui est aujourd'hui soumis à vos délibérations. Je crois devoir intervenir dans ce grand et grave débat, d'abord parce que je n'avais pas l'honneur de siéger dans cette enceinte lorsque la Chambre s'est occupée de la révision du code pénal et surtout parce qu'il me semble impossible de garder le silence lorsqu'on se trouve en présence d'une question aussi importante et aussi sérieuse. Si pour les membres de cette assemblée qui croient à l'efficacité de la peine de mort il y a un devoir incontestable à remplir, en la maintenant dans notre législation criminelle, un devoir non moins impérieux oblige ceux qui ne partagent pas cette conviction à se dégager de la responsabilité qui, en vertu du vote de la législature, naîtrait de l'application de cette peine, terrible entre toutes les peines et la seule irréparable.

Le discours si savant, si complet de l'honorable M. Thonissen me permettra de ne pas reproduire une longue série de chiffres et de ne pas insister sur les résultats de la statistique. Je me bornerai à faire remarquer que trois points sont, acquis dès maintenant à la discussion.

Le premier point, c'est que dans les pays où la peine de mort n'est plus appliquée, le nombre de crimes n'a pas augmenté.

Assurément, lorsqu'on recherche quels sont les éléments qui influent sur la criminalité d'une nation, on arrive aisément à reconnaître qu'il faut les placer ailleurs que dans la législation pénale : c'est, avant tout, l'éducation religieuse et morale des populations ; c'est le soin avec lequel on veille à leur instruction ; c'est la sollicitude des conseils qui entourent les premiers pas dans la carrière de la vie, c'est l'application constante des classes laborieuses à rester dans la voie de la probité et du travail, c'est la fidélité au sentiment du devoir consacré par une sanction supérieure. A ces seules conditions, on peut éloigner les délits et restreindre la criminalité.

Soyons-en bien convaincus, messieurs, la moralité d'une société nt repose pas sur la terreur de l'échafaud.

Il est un autre point établi par l'honorable M. Thonissen, c'est que dans tous les pays de l'Europe, on s'est occupé de l'abolition de la peina de mort. Dans les uns, on ne l'applique plus, dans les autres, on examine s'il n'y a pas lieu de la faire disparaître ; de sorte que l'on peut dire qu'à l'heure où je parle la peine de mort est suspendue ou ébranlée par le doute même qui préside aux discussions ; et cette peine, qui par son caractère exceptionnel, se place au-dessus de toutes les autres, se trouve ainsi privée de l'autorité qui seule peut la rendre efficace, qui seule peut la faire accepter.

Il est enfin un troisième point sur lequel l'honorable M. Thonissen a déjà appelé l'attention de la Chambre, c'est que l'erreur judiciaire n'est ni moins fréquente, ni moins regrettable qu'elle l'a jamais été.

Ce qui peut y contribuer en effet, ce sont les garanties mêmes dont on a cherché à entourer le jugement de l'accusé, c'est peut-être cette institution protectrice du jury qui appelle des hommes impartiaux et honorables, mais manquant parfois de lumières, à écouter tour à tour le (page 236) réquisitoire du ministère public, éloquent et habile, et la plaidoirie d'un jeune avocat désigné d'office et dépourvu d'expérience. On comprend aisément qu'à l'ombre même des garanties que lui offre la loi, l'erreur judiciaire se produise contre l'accusé.

L'honorable représentant de Louvain a cité, à ce sujet, des chiffres et des faits.

Permettez-moi, messieurs, d'ajouter à ces faits un seul fait. Il y a quelques années, je visitais la maison de détention de Gand et j'interrogeais le directeur de cet établissement sur son opinion en ce qui touche les erreurs judiciaires.

Le directeur de cette maison, homme fort honorable, me répondit en me citant un fait qui produisit sur moi la plus vive impression et qui sans doute mérite d'exercer aussi quelque influence sur l'esprit de la Chambre. Il me rapporta que peu de temps auparavant il y avait dans cette maison un individu, un vieillard, qui y avait fait un long séjour et qui y était entré en vertu d'une commutation de peine après avoir été condamné à mort pour assassinat. Un jour vint où un autre condamné atteint d'une maladie grave et près d'expirer fit appeler le directeur et lui déclara que le véritable auteur du crime pour lequel un de ses codétenus avait été condamné, c'était lui. Il donnait les renseignements les plus précis.

Une enquête fut faite et il fut établi que celui qui avait revendiqué la responsabilité du crime était le vrai coupable et d'autre part que celui qui subissait la détention dans la maison de Gand était complètement innocent ; et, lorsque le directeur fit comparaître devant lui cet homme qui ne s'était jamais plaint (il était à peu près dépourvu d'intelligence) et qu'il lui demanda pourquoi, pendant de longues années de détention, il n'avait pas élevé une réclamation, celui-ci se borna à répliquer : « Lorsque j'ai été appelé à comparaître en cour d'assises, j'ai dit que j'étais innocent et personne n'a voulu me. croire Je pensais qu'en m'adressant à vous, je n'aurais pas été cru davantage. »

Que serait-il arrivé s'il n'y avait pas eu de commutation de peine ?

Je livre, messieurs, ce fait à votre appréciation. Il me semble ajouter un argument de plus à tous ceux qu'a produits notre honorable collègue M. Thonissen.

Ne croyez pas, messieurs, que, pour ceux qui réclament l'abolition de la peine de mort, il ne s'agisse que d'une sympathie irréfléchie, d'une étroite commisération, d'une pitié que vous pourriez blâmer et flétrir si elle devait avoir le résultat de protéger les existences coupables en sacrifiant des existences honnêtes.

Ce reproche, messieurs, nous ne pouvons pas l'accepter. C'est sous les auspices les plus sérieux, c'est en invoquant, les autorités les plus graves que nous venons aujourd'hui renouveler une discussion dont il est inutile de signaler l'extrême gravité à l'attention de la Chambre.

Il y a quelque mois à peine, au moment de la réouverture des cours de l'université de Gand, le recteur de cette université, l'honorable M. Haus, qui a pris la plus grande part à la rédaction du code pénal dont nous nous occupons en ce moment, crut devoir revenir sur ses opinions anciennes et déclarer qu'à son avis la peine de mort ne devait plus être appliquée. L'honorable M. Haus, en prenant la parole dans cette circonstance solennelle, prévoyait précisément la réunion prochaine de la Chambre. Il disait : « cette question me paraît offrir un intérêt d'actualité car elle ne tardera pas à soulever de vifs débats dans la Chambre des représentants saisie du projet de code pénal adopté par le Sénat. »

Dans un mémoire qui a été soumis à la Chambre, qui a été distribué a tous ses membres, l'honorable M. Haus développait, avec l'autorité de son talent et de sa science, tous les motifs qui lui paraissent devoir faire repousser l'exécution capitale, et de nature à ne plus permettre que l'échafaud s'élève encore sur nos places publiques. Tous les moyens, tous les arguments qui militent en faveur de cette thèse se trouvent reproduit dans ce travail. Pour ma part, je les approuve tous, sauf la conclusion lorsque l'honorable M. Haus propose de ne plus appliquer la peine de mort, mais de la maintenir néanmoins dans le Codé pénal. Je ne puis me rallier à cette conclusion, car il me paraît qu'il n'est pas conforme à la dignité de la loi de comminer une peine et de ne point l'appliquer, comme il n'est point de la dignité de la législature de la maintenir si elle la juge inutile et superflue.

Presque au moment où l'honorable M. Haus s'exprimait ainsi à l'ouverture des cours de l'université de Gand, un autre de mes confrères à l'Académie, l'honorable M. Ducpetiaux, qui a passé toute sa vie à rendre d'éminents services, à introduire d'utiles améliorations dans les établissements pénitentiaires, qui, plus que personne, s'est occupé de cette question, qui la connaît pour avoir interrogé bien des criminels, et qui, sur ces matières, jouit en Europe d'une autorité que personne ne contestera, publiait un autre mémoire où il s'élève énergiquement contre la peine de mort, où il persiste dans les conclusions qu'il avait précédemment présentées, quand il déclarait qu'il y avait là « une pénalité barbare, inutile, féconde en funestes conséquences, devenue indigne de figurer plus longtemps dans les codes des nations civilisées et chrétiennes. »

Voilà, messieurs, sous la protection de quelles autorités nous venons réclamer l'abolition de la peine de mort. Ces autorités sont graves, elles sont sérieuses, elles justifient la mission que nous venons remplir en demandant à la législature d'effacer de notre code une peine sanglante, une peine qui, selon nous, n'appartient ni à notre siècle, ni à notre civilisation.

Le temps est passé, messieurs, où l'on considérait la peine de mort comme une expiation : la doctrine de l'expiation est aujourd'hui abandonnée par tous les criminalistes et par tous les économistes. Je n'ai donc pas à la combattre. On comprend que l'expiation doit être abandonnée à un autre arbitre, à un autre juge.

Il y a eu des criminalistes qui ont prétendu que la peine de mort est juste ; ils n'ont pas remarqué toutefois que la justice, en matière criminelle, repose sur un rapport exact entre le délit et la peine.

Or, cela n'est pas vrai, quant à la peine de mort, ni au point de vue spécial du condamné, ni au point de vue général de la société.

Cela n'existe pas pour les condamnés, parce qu'on punit le crime, résultat d'un égarement momentané, par une peine éternelle. Cela n'existe pas non plus pour la société, parce que la société n'ayant qu'une action bornée, ne jouissant que de lumières bornées, ne peut pas prononcer une peine éternelle ; et lorsqu'elle prive de la vie, elle enlève ce qu'elle n'a pas donné et ce qu'elle ne peut pas rendre.

Mais il est un autre argument qui est reproduit plus souvent et qui dispense de tous les autres ; c'est que. la peine de mort est nécessaire. Si elle est nécessaire, elle est juste, elle est légitime. La société n'existe qu'à la condition de garantir la sécurité à tous ses membres. Si la peine de mort est un élément nécessaire de sécurité pour la société, la société ne manquerait-elle pas à ses premiers devoirs envers tous les individus qui la composent, en abolissant cette peine ? Aussi cette question de la nécessité de la peine de mort a-t-elle été sans cesse débattue.

La peine de mort est-elle donc nécessaire ? Si elle n'est pas nécessaire, il faut la rayer de la législation.

C'est là, messieurs, la question qui domine tout le débat.

Messieurs, lorsqu'on examine cette nécessité, lorsqu'on recherche sous quels aspects divers on peut l'examiner et la discuter, on reconnaît presque immédiatement que cette nécessité ne peut se présenter que dans deux ordres différents : la défense de la société et l'exemple ; la défense de la société, c'est-à-dire la nécessité que la société reste armée contre les criminels ; l'exemple, c'est-à-dire la nécessité que la société montre, à tous ceux qui ne sont pas encore arrivés jusqu'au crime le châtiment qui les attend, s'ils persistent dans la voie du vice et si un jour ils troublent la société.

Voyons d'abord, messieurs, ce qu'est aujourd'hui la nécessité de la défense pour la société ; nous verrons ensuite ce qu'est la nécessité de l'exemple.

La nécessité de la défense de la société, je la comprends à certaines époques et dans certaines contrées. Sans doute, la défense de la société est une chose nécessaire, lorsqu'elle se trouve dans un état de guerre et de barbarie, lorsqu'elle se voit assaillie de toutes parts ; lorsque dans un pays couvert d'épaisses forêts, privé de communications faciles et rapides, toutes les routes sont infestées de brigands, et que chaque forêt recèle des bandes armées prêtes à aller chaque nuit attaquer les fermes, les hameaux, les villages. La peine de mort est alors nécessaire.

Et sans doute c'était à cet état de choses que se référait hier l'honorable M. Guillery lorsqu'il parlait de ces époques de terreur, où la peine de mort pouvait seule assurer le salut de la société, et mon honorable ami, M. Dumortier, l'a mal compris, lorsqu'il a cru découvrir dans cette phrase une allusion à une autre époque pendant laquelle la terreur s'exerçait contre la société, et où le condamné n'était plus qu'une victime.

Messieurs, qu'il me soit permis de le dire en passant, à cette époque aussi la question de la peine de mort fut soulevée dans les assemblées législatives. Parmi les orateurs qui prirent la parole pour en proposer la suppression, se trouvait Robespierre ; si on l'avait écouté, on eût épargné à son nom et à la fin du XVIIIème siècle la trace sanglante qu'ils ont laissée dans l’histoire.

(page 237) Mais dans notre pensée, dans la pensée de l'honorable M. Guillery comme dans la mienne, lorsque nous soutenons qu'il est des époques où la peine de mort a pu être nécessaire, nous voulons parler de ces temps éloignés où il y avait lutte ouverte engagée contre la société, où ses ennemis étaient assez puissants et assez redoutables pour qu'elle eût à les craindre.

Il n'en est plus ainsi aujourd'hui. Les criminels ne sont plus, à notre époque, ni assez nombreux, ni assez forts pour renouveler la lutte contre la société. Il y a un changement évident dans la situation des choses.

Ce ne sont plus des actes de violences et de brutalité qui se produisent dans les bas-fonds de la société ; ce sont plutôt des actes de dol, de fraude, de corruption, ce sont des passions plus méprisables peut-être, mais moins féroces, qui alimentent la criminalité ; et pour ne jeter, en passant, qu'un coup d'œil sur la statistique, permettez-moi de faire remarquer que, dans la dernière année qui figure sur le tableau que j'ai tous les yeux, pendant l'année 1862, sur 25,488 accusés qui ont été traduits, soit devant les cours d'assises, soit devant les tribunaux correctionnels, la peine de mort n'a été prononcée que contre 19 personnes, c'est-à-dire que la proportion des crimes les plus graves est devenue en quelque sorte insignifiante, en comparaison des autres délits.

Le caractère prédominant de la criminalité est donc complètement modifié ; et si nous ne voyous plus se multiplier ces graves attentats qui entraînent l'effusion du sang, nous sommes tenus de reconnaître qu'à mesure que des passions humaines se transforment, nous avons à en tenir compte dans notre système de répression pénale.

J'arrive, messieurs, à la nécessité de l'exemple.

Il y eut certes une époque où l'exemple avait toute sa force, toute son éloquence. C'était celle où l'on entourait la peine de mort de tout ce qui pouvait impressionner vivement l'esprit des populations, alors que la charrette fatale s'acheminait à travers les rues des villes, précédée du bourreau qui portait la hache à la main, alors que l'instrument du supplice s'élevait sur la plus grande des places publiques, alors que toutes les cloches faisaient entendre le glas funèbre, alors qu'aux rigueurs du supplice s'ajoutait l'horreur des tortures. L'exemple, en ce temps, brillait de sa sinistre splendeur.

Mais aujourd'hui qu'est devenu l'exemple ? Lorsqu'une exécution doit avoir lieu, on choisit la place la plus reculée ; c'est pendant la nuit qu'on en dresse l'instrument. Le bourreau n'ose pas se montrer et l'heure désignée pour l'exécution capitale est la moins avancée du jour, alors que la lumière, est encore mêlée d'ombre. Il semble que la société rougisse de ce qu'elle va faire ; et c'est dans cette exécution, où sa force devrait se montrer, que nous découvrons plutôt toute sa faiblesse.

Cependant l'heure du supplice arrive, et que voyons-nous alors ? Nous nous trouvons bientôt devant un redoutable dilemme, Le condamné est arrivé sur la fatale plate-forme. Ou bien il gémira, il pleurera ; il sera brisé par la douleur et alors la pitié du peuple sera de son côté, et l'indignation s'élèvera moins contre l'homme qui meurt que contre la société qui punit ; ou bien le coupable verra dans l'échafaud un dernier théâtre ouvert à son orgueil ; il s'insurgera, il blasphémera et la foule groupée autour de l'échafaud recueillera dans la résistance du condamné, je ne sais quelle leçon fatale de cynisme et d'impiété.

Ce n'est pas ainsi que la loi enseignera le respect de la vie et s'il y avait un coupable qui a versé le sang, il y aura, à partir de ce moment, je n'hésite pas à le dire, 10 mille à 20 mille coupables qui ont trouvé plaisir à le voir répandre. La fatale leçon descendra de l'échafaud, engendrera sans doute de nouveaux criminels. Tel est, du reste, le résultat constaté par tous les criminalistes. Il est certain que, dans cette plèbe qui entoure l'échafaud, il y a un sentiment pervers qui s'alimente et qui apprend à mépriser la mort. Car pour le criminel endurci et matérialisé par le vice, le supplice n'est qu'un court instant qui sépare l'abîme du crime de l'abîme du néant.

Tel est l’enseignement de la peine de mort, tel est l'exemple qu'on appellerait nécessaire et qui n'est que dangereux et funeste.

Mais à côté de cette foule qui se dégrade à un triste et honteux spectacle, il y a une population honnête, et lorsque, une heure après, elle trouve les traces du sang sur le sol, cette population honnête proteste et a horreur du châtiment autant que du crime ; et j'ai le droit de dire que nos mœurs doutes et policées s'élèvent contre une peine qui ne peut être exécutée publiquement sans froisser la conscience publique et qui, le jour où elle sera reléguée dans l'enceinte d'une prison, aura perdu ce caractère d'intimidation qu'on cherche à lui attribuer. N’est-ce pas à l’échafaud que se lie étroitement une existence isolée, injustifiable, presque impossible contre laquelle les mœurs protesteront toujours ? Je veux parler, messieurs, de celle du bourreau. Quelle que soit l’honorabilité de l’exécuteur des basses œuvres, quelle que soit sa vertu comme père de famille, comme citoyen, il reste le seul homme auquel nul d’entre nous ne donnerait la main. C'est que la société voit dans l'agent du supplice, le supplice même, et son horreur pour la peine de mort se révèle dans celle qu'elle témoigne au bourreau.

Ainsi, messieurs, soit que nous examinions la nécessite de la défense de la société, soit que nous appréciions la nécessité de l'exemple, de l'avertissement, nous trouvons que cette nécessité n'existe nulle part, que la société n'a plus besoin de cette défense, que l’exemple lui-même est devenu tout au moins impuissant, et l'on ne va pas jusqu'à reconnaître qu'au lieu de servir de frein, il peut multiplier les crimes.

Que devient donc, messieurs, la nécessité de la peine de mort ?

Ce qu'il nous faut aujourd’hui, c'est un autre système de répression, conforme au but qu'il doit atteindre. Il ne faut pas perdre de vue que toute loi pénale se propose l'amendement et que précisément la peine de mort exclut tout amendement. D'un autre côté, nous ne devons pas oublier que par de longs efforts et des dépenses considérables nous sommes parvenus à établir un système pénitentiaire qui peut dispenser de la peine de mort.

C'est par la cellule qu'il faut remplacer l'échafaud. La cellule moins hideuse, moins opposée à nos mœurs, servira mieux les intérêts de la société que l'échafaud.

Vis-à-vis du coupable, la cellule possédera un caractère non moins puissant d'intimidation. Si le criminel ne voit souvent dans le supplice qu'un instant de souffrance à franchir, combien il redoutera davantage cette longue carrière d'isolement et de silence où chaque jour il se trouvera en présence de ses remords, où chaque nuit il verra se lever du milieu des ténèbres l'ombre sanglante de sa victime, où il sera non pas lié une minute sous le fer de l'échafaud, mais perpétuellement livré à sa conscience !

Et pour la société aussi, la réhabilitation du condamné par le repentir n'offre-t-elle pas un spectacle plus noble, un spectacle qui atteste davantage sa force et sa puissance, que la lutte du bourreau contre un malheureux sans défense ? Si le crime a son enseignement pervers, n’y a-t-il pas dans le repentir une leçon qui parle plus haut encore, et qui, bien différente de celle qui descend de l'échafaud, est toute consolante et toute morale ?

Permettez-moi, messieurs, avant d'achever ces paroles peut-être trop longues, de rappeler un souvenir tout personnel. Au mois d'avril 1838, j'assistais à une séance de la chambre des députés de France, où l'on s'occupait de pétitions revêtues de nombreuses signatures, qui demandaient l'abolition de la peine de mort. Un orateur invoqua la plupart des considérations que je présentais tout à l'heure.

Il insista précisément sur l'inutilité de la peine de mort et sur l'utilité qu'il y aurait à la remplacer par la rigueur du système cellulaire.

Lorsque l'orateur descendit de la tribune (c'était M. de Lamartine) j'entendais répéter autour de moi comme sur les bancs de l'assemblée : O poète !

Dix ans après, presque jour pour jour, sur la place de l'Hôtel de ville, M. de Lamartine empêchait en même temps l'érection de l'échafaud et l'adoption du drapeau qui devait en être le signal.

Ainsi il lui était donné de protéger ceux-là qui dix ans auparavant refusaient de l'écouter quand il demandait l'abolition de la peine de mort.

Ne l'oublions pas, messieurs, nous vivons dans un temps de révolutions, de bouleversements, de ruines. N'habituons pas les populations à la vue du sang. Aujourd'hui les sentences capitales sont prononcées avec les garanties les plus solennelles par une magistrature, par un jury que nous respectons tous. Demain peut-être, il y aura des sentences iniques dictées par la force, des sentences prononcées par les vainqueurs contre les vaincus. N'habituons donc pas les populations au spectacle du sang et quelque ardentes que soient les luttes, plaçons au-dessus et bien plus haut, ce grand principe qu'a voilé trop longtemps le système fatal de la nécessité, le principe de l'inviolabilité de la vie humaine.

Il y a 40 ans, messieurs je le relisais ce matin dans un travail rédigé par un ancien membre des états généraux, les représentants des provinces méridionales dans cette enceinte crurent devoir prendre l'initiative de l'abolition de la peine de mort. C’étaient M. Charles de Brouckere, M. de Celles, M. Le Hon, qui en 1287 et 1828 demandèrent aux états généraux des Pays-Bas d'effacer du code la peine de mort.

40 ans se sont écoulés depuis lors. La Belgique aujourd'hui libre et indépendante n'a-t-elle pas à proclamer et à faire triompher ce vœu (page 238) qu'elle exprimait déjà dans l'assemblée des états généraux par la voix de ses plus zélés mandataires ?

Messieurs, il existe, pour les peuples dont les frontières sont peu étendues, un plus profond devoir de résoudre toutes les questions qu’ils peuvent témoigner de leurs progrès et de leur civilisation.

C’est ainsi qu'ils s'honorent et s'assurent l'estime des grandes nations qui les entourent. C'est surtout aux peuples placés en dehors des faits qui agitent l'Europe qu'il appartient de se dévouer à toutes les idées généreuses.

L'abolition de la peine de mort a été prononcée dans plusieurs pays. Que, pour l'honneur de la Belgique, il lui soit donné de ne pas être la dernière à entrer dans cette voie.

Souvenons-nous, messieurs, des vœux de nos représentants de 1828, des méditations de nos jurisconsultes, des travaux de nos savants, tenons compte de nos mœurs, rendons hommage au sentiment qui nous porte aux bienfaits de la paix, et, comme législateurs, apprenons aux populations de quel respect il faut entourer la vie humaine, puisque désormais, dans le sanctuaire même de la justice, nous en proclamerons l'inviolabilité.

M. Pirmezµ. - Messieurs, la question qui se débat en ce moment a été, à plusieurs reprise*, décidée par la Chambre ; elle l'a été récemment encore par le Sénat. Si des éléments nouveaux de succès n'existaient pas pour les partisans de l'abolition de la peine de mort, je pourrais me dispenser de prendre la parole, mais je ne dois pas me dissimuler que le concours donné par le gouvernement à l'amendement qui nous est présenté lui donne des chances d'être adopté que n'avaient pas les mêmes idées précédemment.

Le gouvernement qui non seulement a maintenu le principe de la peine de mort, mais qui l'a appliquée dans les faits d'une manière rigoureuse, appuie la suppression du fondement même des exécutions capitales qui ont eu lieu depuis son avènement au pouvoir.

Cette circonstance, en rendant plus incertain le résultat du vote, m'oblige à entrer dans quelques développements. Je dois répondre aux discours que vous avez entendus hier et aujourd'hui.

Avant d'aborder la question elle-même, je dois dire deux mots des circonstances extérieures dans lesquelles elle se présente.

On paraît supposer tout à la fois que l'abolition de la peine de mort est nécessairement un progrès et qu'il y a dans l'opinion publique un mouvement énergique tendant à cette abolition.

Je nie, messieurs, que cette abolition soit un progrès, je nie que le mouvement que l'on signale existe.

Le progrès en matière pénale est la juste proportion de la peine avec le délit, c'est la mesure exacte de la répression au point de vue de la justice et des nécessités sociales.

Si la peine de mort n'est ni juste dans ses applications ni nécessaire à l'ordre social, ce n'est pas un progrès de l'abolir ; mais si elle est établie dans de justes mesures, si elle est nécessaire au maintien de l'ordre social, ce n'est pas un progrès que de la supprimer.

On n'a donc rien prouvé quand on a parlé de ce mot « progrès » et il faut avant tout examiner la question en elle-même. De sa solution vraie découle le progrès.

Le mouvement dont on parle, j'ose le dire, est plutôt factice que réel.

Sans doute il s'est fait un certain bruit autour de la question de l'abolition de la peine de mort ; mais il ne faut pas oublier que lorsqu'une question se produit devant l'opinion publique et que cette question est de celles qui excitent les sentiments généreux, l'opinion non seulement risque de s'égarer, niais on risque de s'égarer en cherchant à la constater.

Presque toujours la solution qui paraît prédominer n'est pas conforme aux vœux de la masse de la population.

Dans ces circonstances les questions ont souvent une solution agréable et une solution désagréable ; il y a une thèse qui a du charme, une thèse qu'on aime à soutenir ; il y a, au contraire, une thèse qui est toujours pénible à défendre.

Dans ces conjonctures, tout ceux qui sont partisans de l'opinion désagréable et que leur devoir n'oblige pas à parler, se taisent ; tous ceux au contraire qui partagent l'opinion agréable à défendre, ceux-là se produisent, écrivent et parlent dans les réunions publiques.

M. Thonissenµ. - Je demande la parole.

M. Pirmezµ. - Ainsi l'on arrive à trouver le bruit d'un côté, le silence de l’autre.

Et ce n’est que lorsqu’une question comme celle qui nous occupe en ce moment arrive dans une assemblée où chacun est obligé par son devoir de se prononcer, on voit souvent intervenir une solution contraire à celle qui s'était produite au dehors.

J'éprouve aujourd'hui quelle différence il y a entre les deux thèses en présence. Si je n'écoutais que mon entraînement, il me serait bien plus agréable d'exhiber des sentiments généreux contre l'horreur de l'échafaud que de venir en demander le maintien.

Mais je dois remplir mon devoir et je sais que c'est en n'écoutant que le vôtre que vous résoudrez la question.

J'aborde maintenant la question même.

Et tout d'abord il est un point important, c'est de bien poser cette question. Il faut que l'on sache bien ce que nous voulons, il faut que l'on n'exagère pas notre thèse ; il faut qu'elle soit circonscrite dans les limites que nous lui donnons.

Quand j'aurai bien fait voir à quoi elle se borne, les trois quarts du discours de M. Thonissen seront réfutés. Ce discours restera comme un document utile, contenant les faits les plus intéressants, mais passant à côté de la question qui nous est soumise.

On a beaucoup parlé de la peine de mort sous les anciennes législations ; l'honorable M. Thonissen nous a détaillé les supplices horribles qui l'accompagnaient autrefois. Ai-je besoin de dire que c'est là un point étranger au débat ; ai-je besoin de vous dire que personne de nous ne pense à rétablir les dispositions cruelles des anciennes lois ?

Quand l'honorable M. Thonissen nous dit que la suppression de ces peines rigoureuses, horribles n'a eu aucun effet sur la criminalité, je suis d'accord avec l'honorable membre ; je vais même plus loin et je dis que la suppression de ces peines a pu amener une répression plus efficace.

Lorsque M. Thonissen nous parle de tous les cas que la législation en vigueur punit de mort et pour lesquels cette peine n'est plus appliquée, lorsqu'il nous dit que la suppression de fait de cette peine pour la fabrication de fausse monnaie n'a pas produit un accroissement de crimes, je suis encore d'accord avec lui ; nous-mêmes nous avons consacré cette réforme.

Enfin, lorsque l'honorable M. Thonissen nous dit que dans les pays où la peine de mort a été supprimée, la répression est plus efficace et le nombre de crimes n'a pas augmenté, nous pouvons encore être d'accord avec l'honorable membre.

Une meilleure organisation de la justice, une police mieux organisée, peuvent, en l'absence de la peine de mort, amener une notable amélioration dans la répression des crimes. La Toscane a pu, par une bonne organisation judiciaire, avoir une répression plus énergique en appliquant peu la peine de mort, que des pays voisins qui avec une mauvaise justice l'appliquaient davantage.

Notre thèse est celle-ci : La peine de mort doit être maintenue pour certains crimes, mais seulement pour certains crimes exceptionnellement graves.

M. Lambertµ. - Je demande la parole.

M. Pirmezµ. - Qu'il ne soit donc plus question de l'ancienne législation, à laquelle personne de nous ne pense ; qu'il ne soit pas question de la peine de mort appliquée aux crimes qui ne sont pas d'une extrême gravité et pour lesquels nous voulons la supprimer comme vous. Nous ne voulons la peine de mort que pour des crimes énormes.

En définissant ainsi notre thèse, nous prétendons appliquer les principes vrais du droit pénal.

Pour qu'une peine soit efficace, il faut qu'elle soit proportionnée au crime. Si la peine va au delà, elle empêche la répression par l'impunité qu'elle engendre ; si elle reste en deçà, elle manque son effet.

Si vous vouliez appliquer la peine de mort à des délits correctionnels, par exemple, vous empêcheriez toute répression.

M. Thonissen a cité l'exemple de l'Angleterre, il vous a dit que dans ce pays, où une multitude de crimes emportent la peine de mort, la suppression de la peine de mort dans un grand nombre de ces crimes n'a pas eu pour effet d'augmenter la criminalité. Elle doit l'avoir diminué, parce que, pour ces crimes, elle était excessive. Mais de ce qu'il est mauvais de punir de la peine de mort un faussaire, en résulte-t-il que pour l'assassinat, la peine de mort soit excessive ? Non ; lorsqu'il s'agit d'un grave assassinat, loin que la peine de mort attire l'intérêt sur le condamné, elle ne paraît à tous que la juste punition de son crime, et l'impunité n'est pas à redouter.

Ecartons donc ces statistiques sur les résultats des peines excessives abaissées. Qu'on ne vienne pas dire à nous qui pratiquons ce système de la proportionnalité de la peine et du crime, comme la mesure de la répression efficace, que la réalisation de ce système en Angleterre ou en France prouve contre nous.

(page 239) Je le répète, ce que nous voulons, c'est la peine de mort appliquée aux crimes d'une extrême gravité.

Il s’est commis dans ces derniers temps, comme dans tous les temps, des crimes horribles, soulevant l’indignation publique et jetant l'effroi au milieu des populations. L'affaire Dumolard, qui assassinait régulièrement de malheureuses filles ; l'affaire du 1er avril, où sept ou huit personnes ont succombé sous les coups d'un forcené ; un peu plus anciennement l’affaire Lacquemant, qui assassinait pour quelques francs.

Il s'agit de savoir si dans des cas semblables la société ne doit pas être armée du glaive. Telle est la question, telle est essentiellement la question.

C'est contre ces crimes que nous demandons le maintien de la peine de mort, et quand vous en demandez la suppression, vous défendez les criminels. (Interruption.)

Permettez ; je dis que la question est posée, par moi, dans ses vrais termes et je le prouve.

Sans doute vous pouvez prétendre que le code pénal renferme encore trop de faits contre lesquels la peine de test prononcée. C'est la question secondaire d'application ; mais vous proposez aujourd'hui l'abolition complète de la peine de mort. Or, en le faisant, vous demandez cette abolition même pour les faits les plus graves ; vous voulez soustraire à cette peine les auteurs de crimes de la nature de ceux dont je viens de parler.

Si vous admettez que la peine de mort doive être appliquée dans un seul cas, dans le cas le plus grave que j'ai cité, vous devez soutenir non pas l'abolition complète de la peine de mort, mais vous devez restreindre cette peine à un ou plusieurs cas.

Je me trouve en présence d'un amendement tendant à la suppression complète de la peine de mort, j'ai le droit de dire que la question qui se présente est celle-ci : Voulez-vous la peine de mort pour les crimes d'une exceptionnelle et épouvantable gravité, oui ou non ? (Interruption.)

Vous ne le voulez pas, vous êtes logiques ; mais constatons bien que la question gît tout entière dans les termes où je la pose et qu'elle n'est pas ailleurs.

Ainsi, messieurs, c'est dans ces termes, dégagés des exagérations de l'ancien droit, dégagés des exagérations du code pénal de 1810, dégagés de toutes les autres circonstances, c'est dans ces termes, dis-je, que nous avons à discuter l'amendement qui nous est proposé.

El d'abord, je constate une chose, c'est que je trouve la société armée de la peine de mort, avec l'assentiment de tous les peuplés, dans tous les temps. Je la trouve armée de la peine de mort avec la reconnaissance de la légitimité de cette arme, par presque tous les jurisconsultes et presque tous les philosophes.

On a, à différentes reprises, il est vrai, attaqué la légitimité de la peine de mort ; mais cette thèse qui, comme l'honorable M. Thonissen l'a dit dans un de ses intéressants opuscules, a été soutenue d'abord par les Albigeois, cette thèse est aujourd'hui abandonnée et l'honorable membre lui-même nous a dit qu'il reconnaissait parfaitement la légitimité intrinsèque de la peine de mort.

L'honorable ministre de la justice a fait la même déclaration au Sénat.

Ainsi, constatons bien que la loi est armée, contre les crimes, d'une arme juste ;elle est armée d'une arme que tous les siècles lui ont confiée sans contestation.

Il s'agit de savoir si vous devez aujourd'hui la lui enlever.

Pourquoi, contrairement à cet enseignement de tous les pays, de tout les siècles, pourquoi veut-on faire décider par la législature l'abolition de la peine de mort ?

C'est, messieurs, il faut bien le dire, parce qu'on veut faire une expérience ; pas autre chose. On veut voir si la société, n'étant plus munie de cette arme séculaire, pourra encore, oui ou non, résister aux bandits et aux assassins.

El quand je pose la question dans ces termes, remarquez que je ne fais pas autre chose que prendre la formule donnée par M. le ministre de la justice lui-même lors de la discussion de la question au Sénat.

Je tiens, messieurs, à vous rappeler ses paroles parce qu'elles me paraissent donner son véritable caractère à l'amendement et en signaler en même temps tous les dangers.

« Je le déclare franchement, disait M. le ministre de la justice, comme je ne crois pas à l'inviolabilité de la vie humaine, lorsque cette vie est nécessaire à l'existence de la société, s'il m'est démontré par l'expérience que la peine de mort est nécessaire, je viendrai en demander le rétablissement avec autant d'énergie que j'en mets aujourd'hui à en poursuivre l'abolition.

« Je dis, messieurs, que cet essai de la réforme des institutions pénales dans le sens que nous indique la science, serait tout au profit de la société, car, il faut bien le dire, s'il est des hommes pratiques qui se prononcent pour le maintien de la peine de mort, il est d'autres hommes pratiques, et ils sont nombreux, qui en demandent la suppression, et de plus, les hommes de science, messieurs, sont presque unanimement contraires à cette peine et la condamnent.

« Ce serait une gloire pour notre pays de tenter cet essai. Nous pouvons le faire sans péril, car nous pouvons parfaitement rétablir la peine de mort si elle est démontrée utile à la société. Ce que je crois impossible, messieurs, c'est de la laisser maintenir sans protestation, lorsqu'on peut établir sur son efficacité les doutes les plus légitimes et les plus sincères. »

Ainsi, voilà ce qu'il s'agit de faire ; voilà, messieurs, ce qu'on vous demande, une expérience ; il s'agit de voir si on assassinera ou non davantage quand la peine de mort n'existera plus dans notre code ; au bout de quelque temps, on comptera le nombre de crimes qui se commettront encore sous le nouveau régime, on comparera l'addition de la période correspondante qui aura précédé l'abolition et on se prononcera alors définitivement pour ou contre la peine de mort.

Eh bien, pour ma part, c'est un essai que je ne veux pas faire. Je ne veux pas le faire parce que pour faire cet essai on opérerait sur la vie de gens que je suis chargé de défendre et de soustraire aux coups des criminels.

Ah ! messieurs, si, en faisant cette expérience on pouvait obtenir une compensation quelconque au mal qu'on peut redouter ; si l'abolition de la peine de mort pouvait nous procurer une diminution de la criminalité, je serais tout disposé à tenter l'expérience. Mais telle n'est pas la position : on reconnaît que la suppression de la peine de mort n'aurait pas pour effet de diminuer le nombre des crimes. De sorte que, dans cet essai, nous aurions tout à perdre et rien à gagner ; ce que nous avons à perdre, c'est la vie de citoyens que nous sommes chargés de protéger et que ma conscience se refuse à livrer aux hasards de l'expérimentation.

M. Guilleryµ. - Vous ne pouvez pas empêcher l'expérience puisque M. le ministre de la justice a dit qu'il la ferait.

MjBµ. - Vous êtes dans l'erreur ; je n'ai rien déclaré de semblable.

M. Pirmezµ. - Remarquez bien que M. le ministre de la justice n'a pu faire cette déclaration...

MjBµ. - Non, je ne l'ai pas faite ; elle serait inconstitutionnelle.

M. Guilleryµ. - Elle résulte implicitement de ce que vous avez dit au Sénat.

MjBµ. - C'est une erreur, mais j'ajoute que le conseil nous y a été donné.

M. Pirmezµ. - Je comprends parfaitement la position qu'a prise M. le ministre de la justice. L'honorable ministre est contraire en principe au maintien de la peine de mort et, partant de cette idée, il est disposé à ne point l'appliquer. Mais cependant il a déclaré que si la multiplicité des crimes exigeait l'application de la peint de mort, il en demanderait le rétablissement, même dans la supposition où on l'aurait supprimée. A plus forte raison donc l'appliquerait-il dans de semblables cas si elle était maintenue dans le code.

D'ailleurs, remarquez-le, messieurs, la position d'un ministre de la justice est toujours plus ou moins précaire, et les criminels se lieraient à une assez mauvaise corde s'ils comptaient sur l'impunité absolue en se liant aux intentions personnelles d'un ministre.

Le portefeuille de la justice peut tomber entre les mains d'un autre homme par lequel les criminels pourraient être traités beaucoup moins bien que par l'honorable ministre de la justice actuel.

M. Nothombµ. - Si la vie humaine est inviolable, la vie ministérielle ne l'est pas.

M. Pirmezµ. - Messieurs, je viens de dire que ce qu'on se proposa de faire, c'était une expérience ; je viens de dire également que dans cette expérience nous avions tout à perdre et rien à gagner,. Je tiens à constater que l'arme qu'on veut enlever à la société n'est pas une arme sans efficacité. L'honorable M. Thonissen a déclaré hier que les faits les plus constants établissaient l'efficacité de la peine de mort.

Permettez-moi de vous citer le passage dans lequel l'honorable membre a fait cette déclaration :

« Est-ce à dire que la peine de mort soit complètement dépourvus d'efficacité ; que, toujours inopérante et toujours dédaignée, elle n'arrête jamais le bras du coupable prêt à frapper sa victime ? Non, sans doute (page 240) il y aurait de la folie à le prétendre. Plus d'une fois on a vu une seule exécution meure un terme à des crimes qui, depuis plusieurs années, désolaient une commune populeuse.

M. Thonissenµ. - Continuez la citation.

M. Pirmezµ. - Tout à l'heure.

Ainsi, d'après l'honorable M. Thonissen, il y aurait folie à ne pas admettre que la peine de mort ait parfois servi à mettre un terme à une série de crimes qui désolaient nos communes populeuses.

Donc voilà l'efficacité de la peine de mort constatée de la manière la plus énergique et la plus complète par mon contradicteur.

Ainsi, l'expérience que l'on veut faire a pour but d'enlever à la société une arme d'une efficacité incontestable et que nos adversaires reconnaissent eux-mêmes.

M. Thonissenµ. - Continuez maintenant la citation.

M. Pirmezµ. - J'y viens ; mais je tiens à constater que cette déclaration de l'honorable membre, qui est un des partisans les plus distingués de l'abolition de la peine de mort, a une importance capitale pour ceux qui en sont les adversaires.

Maintenant pourquoi veut-on faire cette expérience ? pourquoi veut-on remplacer la peine de mort, qu'on reconnaît efficace, par autre chose ?

Le voici ; je continue la citation du discours de l'honorable membre.

« Mais là n'est pas le nœud du problème. Il s'agit de savoir si un autre châtiment, tel que l'emprisonnement perpétuel dans une cellule, ne produirait pas un effet analogue. »

C'est vrai, très vrai. C'est la question. J'ai aujourd'hui une arme qui fonctionne parfaitement ; il s'agit de savoir si je ne pourrai pas remplacer cette peine efficace par autre chose dont j'ignore au juste les effets.

J'ai parfaitement constaté la position.

La peine de mort protège aujourd'hui la société ; vous voulez remplacer cette peine par une autre dont vous ne connaissez pas les résultats. Vous voulez remplacer ce qui existe et que je connais, par ce qui n'existe pas et que je ne connais pas...

M. J. Jouretµ. - Ce qui existe est odieux.

M. Pirmezµ. - Sans doute. S'il n'y avait pas un immense intérêt engagé dans la question, je dirais avec l'honorable M. Jouret que la peine de mort est une peine horrible, odieuse. Mais on ne contestera pas sans doute non plus qu'il y a quelque chose d'horrible et d'odieux, de bien plus terrible et plus odieux dans les assassinats contre lesquels la peine de mort nous protège.

C'est à ces crimes terribles que nous nous bornons à opposer cette terrible peine de mort qui assure à notre pays une sécurité qu'on ne trouve point partout. C'est le plus grand intérêt social qui est en jeu, et je ne veux pas le compromette en privant la société d'une arme qui la protège efficacement aujourd'hui, de l'aveu même d'un de nos plus honorables adversaires.

El pourquoi nous engagerions-nous dans la voie d'aventures où l'on nous pousse ?

J'aborde les arguments de M. Thonissen.

L'honorable membre nous oppose des raisons de deux espèces ; des raisons de psychologie tirées de l'influence morale de la peine de mort et des raisons de fait tirées de la statistique. Voilà les deux ordres de raisons dans lesquelles s'est renfermé l'honorable membre.

Raisons de psychologie d'abord.

Que dit l'honorable membre ?

Il y a, dit-il, deux espèces de criminels ; des criminels qui agissent sous l'empire d'une violente passion qui leur ôte le moyen de réfléchir ; et des criminels qui agissent de sang-froid et avec préméditation. Pour les premiers, la passion sous l'empire de laquelle ils commettent un crime les empêche de calculer les conséquences de l'acte et de prévoir la peine.

Quant à ceux-là, je suis complètement d'accord avec l'honorable membre ; il n'est pas question d'appliquer la peine de mort aux criminels qui agissent, non de sang-froid, mais sous l'empire de la passion ; je fais à l'honorable membre complètement l'abandon de ces criminels.

Il n'est question que des criminels qui agissent de sang-froid et avec préméditation. A cet égard l'honorable M. Thonissen nous dit ceci : Les criminels qui commettent un crime, après y avoir bien réfléchi, n'agissent que parce qu'ils s'attendent à l'impunité ; s'ils pouvaient penser être découverts, ils se garderaient bien de commettre le crime ; c'est l'espérance de l'impunité qui les porte à agir et ce n'est pas la gravité de la peine qui les retient.

Voilà à peu près l'opinion de l'honorable M. Thonissen. Voici, du reste, ce que disait l'honorable membre : « Quant aux seconds (ceux qui agissent de sang-froid) ils s'entourent de toutes les précautions qui se trouvent à leur portée, et, s'ils passent outre, c’est qu'ils nourrissent l'espoir que les investigations de la justice ne parviendront pas à établir leur culpabilité. S'ils conçoivent le moindre doute à cet égard, il s’abstiennent ou remettent la réalisation de leurs projets à une époque plus favorable. »

Mais, messieurs, si cet argument prouve contre la peine de mort, il prouve contre toutes les peines d'une certaine gravité ; il prouve contre les travaux forcés à perpétuité, et je vous défie de les maintenir dans votre législation. Il est évident que si toujours le coupable ne commet le crime que parce qu'il a la conviction que l'acte qu'il commet restera impuni, que si la gravité de la peine ne doit pas retenir son bras, la peine des travaux forcés est de toute inutilité, il suffit d'une peine légère. Pourquoi voulez-vous détenir un condamné toute sa vie dans une cellule. Bornez-vous à punir de quelques mois de détention les crimes les plus graves.

Evidemment un pareil raisonnement ne prouve rien.

Du reste, il me suffit de faire remarquer que l'honorable membre a constaté lui-même que la peine de mort avait parfois interrompu une série de crimes ; si cette peine a eu cet effet, c'est qu'elle agit sur l'esprit des coupables, et qu'elle a cet effet préventif que M. Thonissen méconnaît.

L'honorable ministre de la justice a fait à cet égard au Sénat une autre observation. II a constaté avec beaucoup de raison que la gravité du châtiment n'était pas le seul moyen qui eût pour effet d'arrêter les criminels ; qu'il y avait, à côté de ce moyen, un autre moyen très efficace, plus efficace peut-être : c'est la certitude de la répression.

Je suis parfaitement d'accord avec l'honorable ministre de la justice ; j'admets qu'il faut chercher la certitude de la répression, mais ce n'est pas un motif de renoncer à lui donner la gravité que réclame le fait.

M. le ministre, pour prouver que la peine de mort n'avait pas un effet d'intimidation, a constaté qu'on n'avait exécuté qu'un condamné à mort sur un certain nombre de condamnés, et il en a conclu qu'il y avait un tel espoir d'échapper à la peine capitale...

MjBµ. - 185 chances contre une.

M. Pirmezµ. - Admettons donc qu'il y a seulement une chance contre 185 d'être atteint. Je dis que cette proportion n'ôte pas son influence d'intimidation à la peine.

Et d'abord une exécution frappe plus que cent acquittements ou cent condamnations non suivies d'effets.

Les criminels sont peu statisticiens ; mais le fussent-ils, que la menace d'une peine aussi grave ferait toujours un effet sans proportion avec le danger signalé par le calcul.

Il se produit, lorsque le mal est très grave, ce qui se remarque lorsque le bien est très grand. Quand il y a un gros lot, on ne calcule pas les chances qu'on a de l'obtenir, pour se livrer à l'espérance ; quand on est menacé de perdre la vie, on ne se rassure pas par un calcul de chances, et les exécutions, bien que très rares, bien que se faisant dans une proportion bien moindre encore qu'aujourd'hui, auront encore un caractère d'intimidation très efficace.

La question psychologique que nous examinons me paraît résolue par le sentiment qui dirige même les auteurs de l'amendement. Pourquoi les voyons-nous proposer la suppression de la peine de mort ? Parce qu'ils trouvent la peine de mort tellement horrible, tellement affreuse, que leurs sentiments en sont profondément affectés. Mais si cette chose est si terrible, si affreuse, il me paraît qu'elle doit être surtout terrible, surtout affreuse pour ceux qui s'exposent à la subir ; si elle excite tant d'horreur chez les honorables membres qui ne sont pas exposés à s'en voir atteints, elle doit produire une impression bien forte sur les criminels qu'elle menace. Et s'il en est ainsi, peut-on nier qu'elle doive avoir un effet d'intimidation ?

M. Guilleryµ. - J'avoue que je ne comprends pas.

M. Pirmezµ. - Je crois que l'honorable M. Guillery est à peu près le seul ici qui ne m'ait pas compris.

M. Guilleryµ. - Je n'accuse que mon intelligence. Je n'accuse pas l'orateur.

M. Pirmezµ. - On peut ne pas partager ma manière de voir ; mais je crois avoir exprimé mon idée d'une manière très claire.

Je laisse donc la question psychologique, et j'aborde les arguments de faits qu'on a introduits dans la question.

Il y a deux espèces de faits à consulter : les faits qui sont constatés par le témoignage des condamnés eux-mêmes, et les faits, qui sont constatés par les documents statistiques.

(page 241) L'honorable membre auquel je réponds a complètement négligé les premiers ; ce sont cependant les plus explicites. Plusieurs personnes qui ont été admises à parler aux condamnés à mort, ont été frappées de la profonde impression produite sur les condamnés qui croyaient la peine supprimée en fait quand on leur annonçait qu'elle était encore quelquefois appliquée.

Plusieurs de ces condamnés ont déclaré, dans des circonstances où leur véracité ne peut être mise en doute, que s'ils avaient su que l'échafaud pouvait encore s'élever, ils n'auraient jamais commis le crime pour lequel ils avaient été condamnés.

MjBµ. - Ce sont des histoires.

M. Pirmezµ. - Permettez ; il y a deux membres de cette assemblée, l'honorable M. Van Overloop et l'honorable M. Orts, qui pourraient en témoigner. Lorsque la question s'est présentée en France en 1849, un orateur a fait exactement la même déclaration. L'honorable M. Nothomb a été à même de constater le même fait.

M. Schollaertµ. - Je l'ai constaté trois fois.

M. Pirmezµ. - Je crois que quand des personnes aussi éclairées, dont le témoignage est aussi désintéressé, peuvent vous affirmer ce fait d'une manière aussi convaincante, il y a là un élément qu'il ne faut pas négliger. Ce fait a une importance très grande parce qu'il se différencie complètement des statistiques, dont nous allons nous occuper.

Dans les statistiques, on constate des résultats, mais des résultats qui peuvent être produits par une multitude de causes. Tout ce que l'on peut faire avec une statistique, c'est d'en faire ce que les professeurs de philosophie appellent l'argument cum hoc, ergo propter hoc, et cet argument est généralement indiqué comme mauvais. En effet, il y a tant de faits concomitants aux résultats constatés par les statistiques, qu'on peut les attribuer aux causes les plus diverses. Dans les faits que l'honorable M. Van Overloop, que l'honorable M. Orts, que l'honorable M. Nothomb ont constatés, on a pu remonter directement à l'effet de la cause. On a constaté l'effet intimidatif de la peine.

On a constaté que si les condamnés avaient connu que la peine de mort pouvait encore être appliquée, jamais ils n'auraient commis les crimes pour lesquels ils ont été punis. Eh bien, si ces faits sont vrais, je dis qu'en supprimant la peine de mort, vous ferez naître un certain nombre de crimes capitaux qui, sans cela, n'auraient pas été commis.

Il est donc prouvé que la conviction de la suppression de la peine de mort a produit certains crimes ; je suis, dès lors, en droit de dire : si vous la supprimez, vous aurez des crimes de plus.

Mais si je dis que les éléments de la statistique sont peu probants, ce n'est pas que je veuille les rejeter.

Je vais au contraire les aborder et montrer que les chiffres mêmes, invoqués par l'honorable M. Thonissen sont la condamnation de sa proposition.

Il est d'abord un certain nombre de faits constatés qui ont été complètement négligés par l'honorable membre.

Ainsi, l'arrondissement de Tournai était désolé par une coutume plus que séculaire, et qui avait causé les crimes les plus graves, les plus nombreux, les plus révoltants. Déjà dans le siècle dernier, on avait vainement lutté contre ce qu'on appelait la haine de censé ou le mauvais gré.

Quelques exécutions capitales ont eu lieu ; le mauvais gré a disparu de l'arrondissement de Tournai ; il n'en est plus question.

MjBµ. - C'est une plaisanterie ; je l'ai démontré, et le procureur du roi de Tournai l'a démontré dans un rapport.

M. Pirmezµ. - L'honorable ministre de la justice n'envisage pas les faits à mon point de vue. Mais je constate une chose, c'est qu'après les exécutions capitales, le mauvais gré a complètement disparu. Niez-vous je fait ? Et ce fait n'est-il pas bien plus précis que toutes les statistiques que l'on invoque ?

Sans doute on ne peut conclure d'une manière absolue, de l'effet à la cause, mais n'est-ce pas un fait remarquable que de voir quelques exécutions capitales coïncider avec la fin des crimes qui se perpétuaient depuis si longtemps ? Il me paraît qu'il y a là un résultat très difficile à expliquer autrement que je ne le fais, et que quand on va dans tous les pays du monde pour procurer des statistiques sur la question, on ferait bien de ne pas négliger celui que je signale.

Après la révolution de 1830, on a cessé pendant plusieurs années d'appliquer la peine de mort, et l'honorable M. Thonissen a dû reconnaître lui-même qu'après trois ans passés sans exécution, les crimes capitaux se sont augmentés dans une proportion tout à fait anomale. Prenons la statistique de l'honorable membre et voyons ce qu'elle constate.

Sous le gouvernement hollandais d'abord, le chiffre des condamnations capitales n'était que de 7 en moyenne par année ; et remarquons bien que sous le gouvernement hollandais, le jury ne fonctionnait pas et les condamnations étaient beaucoup plus nombreuses. Le fait n'est ignoré de personne, les cours condamnent beaucoup plus souvent que les jurys.

La moyenne des condamnations à mort n'était cependant que de 7 par an. On reste trois ou quatre ans sans exécuter et tout d'un coup le chiffre s'élève à 21.

M. Thonissenµ. - Il y en avait quinze pour vols, et pour ce cas vous supprimez la peine de mort.

M. Pirmezµ. - Mais dans les sept condamnations sous le gouvernement hollandais, il y en avait aussi pour vol ; c'était la même législation.

Continuons l'examen de la statistique de l'honorable M. Thonissen.

Il produit un tableau constatant l'augmentation du nombre des condamnations après cette époque ; notons qu'elle a surtout eu lieu depuis la réforme du jury. On sait qu'avant la réforme de 1838, le jury était généralement mal composé, l'impunité était devenue presque la règle. La réforme a eu lieu et l'on a obtenu un beaucoup plus grand nombre de condamnations.

Ces condamnations devenant beaucoup plus nombreuses, on a exécuté dans une beaucoup plus forte proportion dans la période de 1845 à 1850 et de 1851 à 1855. Quel a été le résultat ? C'est de faire tomber le nombre des condamnations de 213, chiffre auquel elles s'élevaient de 1846 à 1850, à 100, chiffre auquel elles s'élevaient dix ans après. Suivez le tableau de l'honorable M. Thonissen et vous verrez qu'après les deux époques où l'on a appliqué le plus activement la peine de mort, on a obtenu une diminution considérable de la criminalité.

Je veux bien ne pas invoquer ces statistiques, mais je dis que si on veut les invoquer on y trouvera la condamnation de la thèse que l'on soutient.

Maintenant, quels sont les faits que l'on nous signale à l'étranger, comme ayant démontré l'inutilité de la peine de mort ?

J'ai été singulièrement étonné en entendant l'honorable M. Thonissen de voir qu'il avait si peu de chose à nous apprendre.

La Toscane a été le grand argument des abolitionnistes. Savez-vous combien de temps la peine de mort a été supprimée en Toscane ? Elle l'a été deux fois pendant quelques années ; elle l'a été de 1786 à 1790 et da 1847 à 1852.

M. Thonissenµ. - Continuez.

M. Pirmezµ. - Voici : « Mais à partir de 1765 les exécutions ont été tellement rares qu'on peut dire, sans exagération, que la peine de mort y est abolie de fait depuis près d'un siècle. »

Remarquez bien que vous reconnaissez vous-même qu'en Toscane la peine de mort n'a été supprimée légalement que deux fois pendant quatre ans, et après ces quatre ans on l'a rétablie.

Vous dites que c'est sans nécessité, mais je suis très étonné de voir supprimer une peine et après quatre ans la voir rétablir sans nécessité. (Interruption.)

On a exécuté rarement, sans doute, mais il ne faut pas s'attacher seulement au nombre des condamnations ; il y a l'effet de l'intimidation et on ne peut pas conclure de la rareté des exécutions à l'abolition de la peine de mort. (Interruption.) C'est, comme on le dit à côté de moi, la différence de la certitude à la probabilité.

Mais si la Toscane, que l'on cite sans cesse, a maintenu la peine de mort sauf à l'appliquer rarement, suivez cet exemple, comme nous le proposons, et ne faites pas exactement le contraire de notre modèle.

Vous nous parlez de quelques Etats de l'Amérique. J'avoue que je ne connais pas assez ce qui se qui se passe dans ces Etats d'Amérique pour bien apprécier les réformes ; mais ce que je sais, c'est qu'en Amérique on se fait beaucoup justice à soi-même, et que la loi de Lynch y remplace parfois la loi ordinaire. Je crois qu'il est préférable de voir l'ordre social maintenu par la justice du pays que de voir les individus se rendre justice à eux-mêmes.

On cite encore la principauté d'Anhalt, où l'on a aboli la peine de mort depuis assez longtemps et quelques autres pays où on l'a supprimée depuis très peu de temps ; or, je demande si ce sont là des faits assez importants pour qu'on puisse les invoquer.

Mais on invoque ce qui s'est passé dans le ressort de la cour d'appel de Liège, et c'est là le grand argument des abolitionnistes.

Eh bien, j'avoue que je n'ai jamais vu faire de plus grand abus de la statistique.

Vous nous citez, pour prouver que la peine de mort peut être supprimée, (page 242) le ressort de la cour d'appel de Liège, où la peine de mort n'a pas été supprimée !

Elle n'y a pas plus été supprimée en fait qu'en droit.

Il est certain que si un crime avait été commis dans la province de Liège dans les circonstances de gravité au milieu desquelles certains crimes ont été perpétrés dans le Hainaut et dans la Flandre, le ministre de la justice n'aurait pas hésité... (Interruption.) Pourquoi y aurait-il deux poids et deux mesures, un poids et une mesure pour la province de Liège, un autre poids et une autre mesure pour les autres provinces ? (Interruption.)

Mais les statistiques que l'on nous cite pour le ressort de la cour d'appel de Liège sont encore, à un certain point de vue, bien plus singulières.

M. Thonissen nous a indiqué hier que pendant que la criminalité allait croissant dans certaines provinces, elle a été en diminuant dans le ressort de la cour d'appel de Liège, non seulement pour le nombre des crimes, mais aussi pour le nombre des délits. Car la peine de mort ne peut pas avoir d'influence sur le nombre des délits. Comment se fait-il donc qu'on nous cite le ressort de la cour d'appel de Liège comme un argument ? La diminution de la criminalité tient donc dans ce ressort à d'autres causes que l'abolition de la peine de mort, puisque nous voyons diminuer les délits qui n'ont aucun rapport avec cette peine.

Si l'on veut raisonner de cette manière, il faut aller beaucoup plus loin et il faut soutenir que la peine de mort diminue et le nombre des crimes et le nombre des délits. Qui l'osera ? et c'est cependant la conséquence de la statistique que l'on invoque.

La vérité, c'est que le ressort de la cour d'appel de Liège se compose d'abord de trois provinces peu peuplées et d'une province très peuplée, mais qui jouit d'une grande prospérité. IIlest arrivé que, dans les Flandres, il y a eu une grande recrudescence de criminalité, pourquoi ? Parce que les Flandres se sont trouvées dans des circonstances très malheureuses et parce que la misère n'engendre que trop la criminalité.

Si la province de Liège a vu décroître la criminalité, c'est grâce à la prospérité dont jouit la population.

Du reste, n'oublions pas que, dans la province de Liège même, la crainte de la peine de mort a dû agir absolument comme elle agit dans les autres provinces.

Mais si je voulais présenter des arguments comme ceux qu'on nous oppose, je pourrais dire que l'absence de la peine de mort dans le ressort de la cour d'appel de Liège a engendré la plus abominable bande de bandits que l'on ait vue dans notre pays depuis un demi-siècle.

En effet, la bande noire qui a désolé l'arrondissement de Charleroi se composait d'individus domiciliés dans le ressort de la cour d'appel de Liège. Boucher et Leclercq étaient de Sombreffe, qui se trouve dans ce ressort ; de là ils faisaient des excursions dans le Hainaut.

Si Leclercq et Boucher avaient été commettre leurs crimes dans la province de Namur de la même manière que dans le Hainaut, la terreur y eût été la même que dans l'arrondissement de Charleroi, et on les eût traités de la même manière. S'ils avaient pu croire le contraire, il se seraient bien gardés d'opérer ailleurs que dans la province de Namur.

J'avoue que je présente un assez mauvais argument, mais il a tout justement la même la valeur que ce fameux argument qui court partout, qui fait de la question de l'abolition de la peine de mort une question quasi-liégeoise et qui consiste à nous dire que la preuve qu'il faut abolir la peine de mort, c'est qu'on n'a presque pas exécuté dans la province de Liège, sans que la criminalité y augmente.

Si vous voulez reconnaître que votre argument est mauvais, je reconnaîtrai que le mien est mauvais.

Si vous voulez le maintenir, je dirai que cet état de choses dans la province de Liège a été la cause de cette abominable bande de malfaiteurs, et je détruirai votre raisonnement sans réplique par le mien.

J'ai, messieurs, rencontré tous les arguments produits par l'honorable M. Thonissen, sauf un : l'épouvantail des erreurs judiciaires.

On vous fait craindre sans cesse que le maintien de la peine de mort n'ait pour conséquence ce terrible résultat d'amener, tôt ou tard, un innocent sur l'échafaud.

Je reconnais bien volontiers que c'est là une des choses les plus terribles, les plus affreuses qu'on puisse concevoir ; la justice, faite pour protéger l'innocent, frappant elle-même l'innocent.

Mais, qu'on se rassure, il est un fait qui peut apaiser toutes les craintes. C'est que si des erreurs judiciaires ont amené la mort d'innocents, il n'y a pas, à ma connaissance du moins, un seul fait de ce genre dans ce siècle-ci.

MjBµ. - L'affaire Calas.

M. Thonissenµ. - Il y a eu trois cas dans ce siècle. Je vous les citerai si vous vous le voulez.

M. Pirmezµ. - Il n'y en a pas eu en Belgique dans ce siècle. Je n'en connais pas en France.

M. Guilleryµ. - Parce qu'on a fait grâce.

M. Pirmezµ. - C'est cela. On n'a pas exécuté parce qu'on n'a pas exécuté.

M. Thonissenµ. - Mais cela dépend des hommes.

MfFOµ. - C'est le hasard.

M. Pirmezµ. - Nous allons vous démontrer que ce n'est pas le hasard, à moins que votre justice ne soit une justice et votre gouvernement un gouvernement de hasard.

M. Crombezµ. - La justice avait condamné.

M. Pirmezµ. - Eh bien, je vous dirai que si le criminel n'était jugé que par une seule juridiction, par un seul tribunal, si le recours en grâce n'existait pas, je ne demanderais pas le maintien de la peine de mort. Mais quand je demande le maintien de la peine de. mort, j'ai le droit d'exiger que l'on considère son maintien comme se faisant avec les garanties d'application qui existent, aujourd'hui dans leur plénitude.

Sans doute, vous pouvez avoir une mauvaise organisation de la justice, une organisation telle, que les erreurs soient fréquentes. Mais est-ce la peine qu'il faut supprimer pour cela ? Non. Il faut alors réformer votre justice, ajouter des garanties à celles qui existent.

Je dis qu'avec les garanties que nous avons, les erreurs judiciaires sont impossibles et je le prouve par ce fait, le plus clair de toutes nos statistiques, que, dans ce siècle, pas un innocent n'est monté sur l'échafaud.

On me cite le cas de Bruges ; cet homme est condamné par une cour d'assises à la peine de mort ; l'arrêt est cassé et, l'individu est acquitté par le second jury.

Cela ne prouve pas que l'individu fût innocent, cela prouve uniquement qu'il a été acquitté.

M. Guilleryµ. - Vous n'avez pas le droit de dire qu'il n'est pas innocent.

MjBµ. - Il est innocent devant le pays et devant la loi.

M. Pirmezµ. - M. le ministre de la justice et M. le ministre des finances savent aussi bien que moi que le jury acquitte souvent des individus parfaitement coupables. Je dis que si cet homme avait été exécuté vous ne pourriez dire qu'on a exécuté un innocent.

M. Teschµ. - C'est évident.

MjBµ. - Et l'affaire Calas ?

M. Pirmezµ. - M. le ministre de la justice sait aussi bien que moi que ce fait remonte au siècle dernier,

MjBµ. - Qu'est-ce que cela fait ?

M. Pirmezµ. - L'affaire Lesurques remonte aussi aux dernières années du siècle. Les erreurs qui vous font trembler ont donc eu lieu sous des régimes judiciaires différents.

Vous avez déjà dans l'organisation de votre justice une très grande garantie contre les erreurs judiciaires. Mais, je le reconnais, cette garantie n'est pas suffisante. Les tribunaux ont commis des erreurs. L'affaire Bonne et Geens et celle de la femme Doize en sont des exemples.

Remarquez-le bien, messieurs, il est au-dessus des cours d'assises une garantie bien plus grande pour les innocents, c'est le droit de grâce. Comment s'exerce ce droit ? On n'examine même pas la culpabilité en elle-même ; il faut non seulement que les preuves soient bien convaincantes, mais qu'il n'y ait absolument aucun moyen de ne pas exécuter l'arrêt, que toute raison, tout prétexte manque, pour que la justice ait son cours.

M. Funckµ. - Si le curé de Cortenberg avait été assassiné, Bonne et Geens auraient été exécutés.

M. Pirmezµ. - Vous en êtes aux suppositions ; je parle des faits. J'ai le droit d'affirmer que, dans ce siècle-ci, on n'a pas fait monter un seul innocent sur l'échafaud.

Vous voulez raisonner sans le droit de grâce. Moi je raisonne avec ce droit parce qu'il fait partie intégrante de la question.

Et quand je constate que malgré la profusion de la peine de mort dans notre code, bien qu'elle soit prononcée pour trente-sept crimes dans le code de 1810, malgré les nombreuses condamnations qui ont eu lieu, pas un innocent n'est monté sur l'échafaud , j’ai (page 243) le droit de dire que la peine de mort, réduite comme elle l'est dans le code nouveau, appliquée seulement aux crimes les plus terribles, les plus constants, nous sommes désormais à l'abri des erreurs judiciaires.

Sous l'empire, messieurs, lorsque le code de 1810 a été promulgué et avant sa promulgation, on a exécuté sans pitié. Chaque arrêt de condamnation à mort était exécuté. Le droit de grâce appartenait bien à l'empereur Napoléon, mais les mœurs étaient rudes, et il avait bien autre chose à faire que des grâces.

Et les erreurs judiciaires cependant font défaut.

Lorsque vous venez invoquer la statistique, que vous analysez avec le sentiment et que sur les hypothèses que vous en déduisez, vous ne craignez pas pour la sécurité sociale, n'ai-je pas le droit de m'étonner que vous ayez peur des erreurs judiciaires, d'un fait qui ne s'est pas présenté une seule fois dans le siècle actuel ? N'ai-je pas le droit de vous dire : Ce dont vous devez avoir peur, c'est de voir les assassinats se multiplier par l'impunité et non de voir commettre des erreurs judiciaires alors que vous avez un jury bien organisé et un pouvoir qui ne s'abstient de faire grâce que dans les cas les plus extrêmes ?

Vous avez peur d'un mal chimérique et vous vous jetez, pour l'exécuter, dans un mal qui n'est que trop redoutable.

Permettez-moi, messieurs, de vous soumettre encore deux considérations avant de me résumer.

La peine a certainement pour effet principal d'empêcher le renouvellement des crimes ; mais il ne faut pas oublier non plus que si la peine qui n'est pas une vengeance, elle est une satisfaction donnée à un sentiment de justice qui doit exister dans le peuple.

II y a, dans les masses, un sentiment profond de justice qui doit être satisfait, non pas par des cruautés, mais par une réparation qui montre la force de protection du pouvoir et rassure contre le crime.

Je ne crains pas de le dire, si pour des crimes comme ceux que j'ai cités, ces crimes terribles, abominables, qui jettent l'indignation, la terreur et la désolation dans les populations, vous n'avez pas d'autre satisfaction à donner que le confinement dans une maison cellulaire, vous affaiblirez et le sentiment de justice et la foi dans le pouvoir. Vous aurez énervé dans les masses un sentiment qu'il faut y maintenir, la confiance dans la justice sociale.

Messieurs, il est un autre point aussi qu'il ne faut pas oublier, c'est que la société, qui a de grands devoirs, a aussi de grands droits.

Elle a le droit d'être toujours au-dessus de l'individu, de pouvoir toujours être plus que lui. Si vous abolissez la peine de mort, vous rendez l'individu, à un moment donné, maître de la société. Celui qui, ayant commis un crime, sera condamné aux travaux forcés, pourra assassiner soit son gardien, soit un de ses codétenus sans que vous puissiez aggraver la peine.

Dans une pareille situation, c'est la société qui est vaincue par le malfaiteur, et c'est ce que je ne veux pas.

El, prenez-y garde, messieurs, il est des crimes nombreux pour lesquels l'assassinat n'est pas le but mais seulement le moyen ; le moyen de consommer le crime ou d'en assurer l'impunité.

Lorsque vous aurez supprimé la peine de mort, n'est-il pas à craindre que les auteurs de ces vols à main armée qui désolent surtout les campagnes n'hésiteront pas à recourir à l'assassinat pour s'assurer l'impunité de leur crime ? Celui qui, la peine de mort étant abolie, n'assassinera pas pour cacher son vol jouera un rôle de dupe, parce qu'il s'exposera à subir une peine alors qu'il aurait pu l'éviter en faisant disparaître les seuls témoins qui peuvent le découvrir.

Oh ! je comprends très bien les sentiments généreux qui animent mes honorables adversaires ; qu'ils en soient bien convaincus, je leur rends pleine justice sous ce rapport. Mais je constate une chose, c'est que la plupart d'entre eux habitent les villes, où avec une police bien organisée, avec une population nombreuse, ils sont à peu près à l'abri des crimes terribles qui jettent l'effroi dans les populations des campagnes.

Mais je leur demande aussi de penser un peu à ceux qui ne sont pas dans la même position ; je leur demande, lorsqu'ils parlent du mouvement qui se produit en faveur de l'abolition de la peine de mort, je leur demande de consulter les habitants des demeures isolées, pour savoir s'ils se croiront suffisamment protégés lorsqu'on aura supprimé la garantie la plus puissante contre les crimes dont ils peuvent être victimes.

Qu'ils y pensent bien, qu'ils consultent, qu'ils interrogent et qu'ils nous apportent le résultat de leurs recherches. De mon côté, j'ai consulté sur l'abolition de la peine de mort ; j'ai voulu m'assurer de l’état de l'opinion de beaucoup de personnes n'écrivant pas, ne faisant pas de discours ; et je puis affirmer que la plupart d'entre elles se sont prononcées pour le maintien de cette peine. (Interruption.)

Messieurs, je n'ai point peur de réformes ; mais puisqu'on invoque, contre nous ce grand mouvement dont on parle (et notez que ce sont précisément les partisans de l'amendement qui en parlent), j'ai bien le droit de dire ce qui est. Si on veut s'abstenir de l'invoquer encore, je consentirai volontiers à n'en plus parler non plus. (Nouvelle interruption.) Je constate que les partisans de l'abolition de la peine de mort parlent tous de ce prétendu mouvement...

M. Guilleryµ. - Ce mouvement est incontestable. La première fois que le Sénat s'est occupé de cette question, il s'est prononcé à l'unanimité pour le maintien de la peine de mort ; en dernier lieu, il y a eu un tiers de membres qui ont voté l'abolition de cette peine. Ici, je l'espère, nous constaterons le même progrès.

M. Pirmezµ. - Je ne prétends certes pas qu'il n'y a pas dans cette Chambre plusieurs membres qui partagent les sentiments des auteurs de l'amendement ; je crois, et je le regrette, qu'il y a des membres qui se laissent impressionner et par le nombre des écrits et par le nombre des discours que l'on fait au dehors, et qui croient ainsi suivre un courant profond, tandis que le mouvement n'est qu'à la surface et c'est précisément pour eux que je signale ce qu'il y a de superficiel dans ces apparences. Je leur demande, s'ils appartiennent à des arrondissements de province, de consulter leurs électeurs et de nous dire s'ils sont bien, en votant l'amendement, les fidèles représentants de l'opinion publique dans leur arrondissement.

Messieurs, je me résume.

On vous convie à faire une expérience ; on vous demande de désarmer la société. Je vous demande, moi, au contraire, de lui conserver l'arme séculaire qu'elle a entre les mains. Qu'elle la laisse dans le fourreau si elle est inutile, j'y consens ; mais au moins faites que la société continue à tenir ce glaive pour qu'elle puisse en frapper au besoin ceux qui jetteraient la terreur et la désolation dans le pays.

Je ne veux pas de votre expérience parce qu'elle se ferait sur des existences que j'ai charge de protéger, et je ne veux pas que si de nouveaux assassinats se commettaient après la suppression de la peine de mort, les parents des victimes pussent m'imputer le sang versé, et me dire : En désarmant la société, vous avez favorisé des assassins ; votre faiblesse a été leur complice.

M. Thonissenµ. - Messieurs, je. veux répondre, à l'instant même, à l'argumentation éloquente et habile de l'honorable M. Pirmez.

L'honorable préopinant a commencé par nous entretenir des tendances de l'opinion publique, et je reconnais que, sous ce rapport, il a placé la question sur son véritable terrain. Certainement, je le dis sans détour, je n'oserais pas affirmer que, dans le moment actuel, l'opinion publique en Belgique soit, en majorité, partisan de la suppression de la peine de mort ; je crois même que, si l'on faisait voter sur cette question, par la voie du suffrage universel, tous les habitants majeurs du royaume, il y aurait une majorité considérable pour la conservation de l'échafaud. Je n'ai, du reste, jamais affirmé le contraire.

Mais, messieurs, ne l'oubliez pas, c'est là un argument qui ne doit pas nous toucher outre mesure. Je pourrais prouver, de la manière la plus irrécusable, que, depuis vingt siècles, la plupart des progrès réalisés dans la législation criminelle ont été accomplis malgré les tendances contraires de l'opinion publique.

En 1763, Beccaria prit la plume du publiciste pour demander que la peine de mort ne fût plus désormais que la simple privation de la vie. Avec une éloquence généreuse, il proposa de renoncer à la roue, au bûcher, à l'écartèlement, à la déchirure des membres, à toutes ces atrocités qui. dans une foule de cas, étaient les préliminaires obligés de la mort. Supprimez tout cela, disait-il ; si vous voulez conserver la peine de mort, faites au moins qu'elle ne soit plus que la seule suppression de la vie. Qui oserait dire aujourd'hui que Beccaria avait tort ? A coup sûr, ce ne sera pas l'honorable M. Pirmez. Et cependant, messieurs, lorsque celle pensée humanitaire fut mise en avant, dans l'Europe entière, depuis Naples jusqu'à Pétersbourg, à peu près tous les magistrats se levèrent contre elle ; ils déclarèrent que Beccaria avait tort, et les populations, à leur tour, se plaignirent de ce qu'on voulait désarmer la justice au profit des assassins.

Ceci se passait en 1763. Deux ans après, un autre grand mouvement se manifesta dans le pays les plus civilisés de l'Europe, contre l'emploi de la torture préparatoire. Les hommes les plus éminents usèrent de toute leur influence pour écarter de la procédure criminelle cette (page 241) pratique barbare, qui datait, non pas seulement du moyen âge, mais des temps antiques.

Eh bien, cette fois encore, que répondirent les magistrats et les hommes pratiques ? Que l'honorable M. Pirmez aille consulter les archives des greffes du temps, il y verra que les magistrats consultés invoquaient, eux aussi, l'état de l'opinion publique pour demander le maintien de la torture préparatoire ; ils disaient : N'écoutez pas les théoriciens, comme le dit encore aujourd'hui l'honorable M. Dumortier. La torture, ajoutaient-ils, n'est employée que contre les malfaiteurs ; que les malfaiteurs cessent de faire le mal et nous pourrons alors supprimer la torture.

Oui, à cette époque, l'opinion publique était généralement favorable au maintien de la torture, et, en Belgique, un magistral célèbre alla plus loin. Il prétendait que l'introduction des réformes réclamées par l'école de Beccaria aurait pour conséquence de faire de Bruxelles une forêt de Bondy !

Que l'on n'invoque donc pas toujours l'opinion publique. J'ai pour elle un très grand respect ; mais j'ai scrupuleusement étudié l'histoire du droit criminel, et cette étude m'a appris que, depuis vingt siècles, presque tous les progrès réalisés dans les matières pénales se sont accomplis malgré l'opinion publique.

J'arrive maintenant aux faits allégués par l'honorable préopinant.

Il m'a d'abord reproché d'avoir passé à côté de la véritable thèse que je devais combattre. Il a dit, en premier lieu : Pourquoi parlez-vous de torture ? pensez-vous que nous voulions rétablir la torture ?

Je n'ai nullement eu l'intention d'insinuer que l'honorable M. Pirmez ou tout autre membre de la Chambre eut la pensée secrète de rétablir la torture. Le sens réel de mon argumentation était celui-ci : Quand on a demandé l'abolition de la torture, on disait aussi qu'il ne fallait pas enlever à la magistrature une arme utile pour agir contre les malfaiteurs ; alors aussi on invoquait l'argument de la nécessité : d'où je concluais que l'affirmation de la nécessité d'un moyen de répression n'est pas toujours un argument solide. Je rappelais que ce qu'on dit aujourd'hui de la peine de mort, ou le disait alors de la torture.

L'honorable M. Pirmez a parlé ensuite du fait important de la réduction considérable, du nombre des crimes capitaux dans la plupart des législations de l'Europe ; et il a dit de nouveau : De quoi vous plaignez-vous ? Nous aussi, nous avons réduit considérablement le nombre des crimes capitaux ; nous avons supprimé la peine de mort pour la contrefaçon des billets de banque, pour 1a fabrication de la fausse monnaie et pour d'autres crimes encore ; nous n'avons conservé la peine de mort que pour les crimes les plus graves. Pourquoi donc parlez-vous de cette réduction ?

Encore une fois, si je parle de cette réduction, c'est parce qu'elle constitue un phénomène considérable sur lequel je ne saurais trop appeler l'attention de la Chambre.

En Angleterre, il y avait, au dernier siècle, 242 crimes capitaux ; ce nombre y est aujourd'hui réduit à 2 ; et, pour les 240 crimes désormais affranchis du dernier supplice, il n'y a eu aucune augmentation de criminalité qu'on puisse attribuer à ce changement de système.

Or, je demanderai à l'honorable M. Pirmez, s'il oserait répondre affirmativement à la question suivante : Etes-vous certain que le résultat qui s'est manifesté pour 240 cas sur 242 ne se serait pas également produit pour les deux seuls cas qui ont continué à être passibles de la potence ? Ce raisonnement entrait donc évidemment dans ma thèse.

L'honorable M. Pirmez s'étonne que j'aie cité un nombre très restreint de pays où la peine de mort a cessé de figurer dans les codes. Bien de plus simple. Je ne vous ai cité qu'une dizaine de pays où la répulsion que la peine, de mort inspirait, soit aux classes supérieures, soit aux souverains, avait amené le renversement de l'échafaud ; mais je vous ai prouvé, en même temps, que, dans tous ces pays, cette grande réforme n'avait produit aucune augmentation dans le nombre des crimes capitaux. et l'honorable membre me demande pourquoi j'en ai parlé ! Si ces pays ne sont pas plus nombreux, il n'y a pas de ma faute !

L'honorable M. Pirmez, continuant à développer habilement son opinion, a ajouté que, dans l'état actuel des choses, la peine de mort n'étant comminée que contre les crimes les plus graves, il fallait conserver l'échafaud comme moyen d'effrayer les grands coupables ; et à cet égard, il a cité la France.

Messieurs, j'ai étudié attentivement la statistique judiciaire de la France ; je pourrais répondre longuement à l'honorable M. Pirmez ; mais je me bornerai, pour le moment, à rappeler les faits suivants :

Il y avait eu en France, en 1824, un grand nombre de condamnations du chef d'assassinat. Le roi avant très largement usé de son droit de grâce, on se mit à dire : « Vous désarmez la société, vous accordez trop de grâces ; vous êtes trop indulgent pour les assassins. » Et les faits semblaient justifier ces plaintes, car, en 1825, il y eut 60 condamnations pour assassinat.

Le gouvernement français fut sensible aux reproches qu'on lui adressait. Des 60 condamnations du chef d'assassinat, prononcées en 1825, 59 reçurent leur exécution. Assurément, on ne pouvait plus se plaindre du petit nombre des exécutions capitales ; on ne pouvait plus dire que le gouvernement français n'avait pas été assez sévère ; car, sur 60 condamnés, 59 furent conduits à la guillotine !

Quel fui le résultat de ce système de rigueur ? En 1825, il y avait eu 59 condamnations du chef d'assassinat : il y en eut 84 en 1826 ! Ces chiffres ne viennent-ils pas à l'appui de la thèse que j'ai soutenue hier ?

Il y a des jurisconsultes qui prétendent que l'échafaud est pernicieux en lui-même ; que sa vue seule fait naître, en quelque sorte, la pensée du crime. Moi, je n'ai soutenu rien de semblable ; c'est une thèse que je repousse, parce qu'elle n'est pas vraie. La vérité, la voici : c'est qu'indépendamment des exécutions capitales, et ici l'honorable M. Pirmez a raison, il y a une foule de causes, telles que l'orgueil, la vengeance, l'ambition déçue, l'ignorance, la paresse, le mauvais exemple, l'absence d'éducation religieuse et morale, qui influent sur la criminalité et multiplient les méfaits. Mais c'est précisément à cause de cette vérité qu'on a tort d'attribuer une efficacité souveraine à la peine de mort.

L'honorable M. Pirmez a déclaré qu'à ses yeux, il y aurait un progrès réel dans la suppression de la peine de mort, s'il était bien constaté que cette peine n'est plus nécessaire.

Ici l'honorable membre a de nouveau posé la question sur son véritable terrain. Sans doute, nous ne devons pas désarmer la société ; j'avoue que la société doit être armée, qu'elle doit avoir le droit de punir ; mais je soutiens, en même temps, qu'elle ne doit punir qu'autant que la punition est nécessaire, et que dès l'instant qu'un châtiment moins sévère suffit, on n'a pas le droit d'appliquer une peine plus rigoureuse que ce châtiment.

Or, messieurs, j'ai cité trois classes de faits qui prouvent, de la manière la plus complète, que la suppression de la peine de mort, quand elle est effectuée en fait ou en droit, ne produit pas un accroissement de crimes. C'est en m'appuyant sur ces faits nombreux et irrécusables que j'ai prétendu que le renversement de l'échafaud serait un progrès et que je viens vous prier de réaliser ce progrès.

Il y a dans les observations de l'honorable membre quelque chose qui, je l'avoue, m'a péniblement affecté : l'honorable M. Pirmez ne s'est pas borné à dire que je voulais désarmer la société ; il a ajouté que j'allais jusqu'à défendre les assassins.

Messieurs, je ne défends pas les assassins ; je ne veux pas leur sacrifier les honnêtes gens. Mais il est cependant un aveu que je ne crains pas de faire. Oui, dans une certaine mesure, je m'intéresse même aux assassins, parce que l'étude approfondie du droit pénal m'a prouvé que la moitié peut-être d'entre eux sont devenus criminels par l'éducation vicieuse qu'ils ont reçue. Je m'y intéresse encore, sans les excuser, parce, que, par mes études, j'ai acquis la conviction que, dans l'homme le plus corrompu, il y a toujours un germe d'amélioration qui se développe à son heure et amène l'amendement moral du malheureux qui a foulé aux pieds les lois de son pays ; je m'y intéresse enfin, parce que je suis chrétien, et que ma religion m'ordonne de voir un frère dans le misérable qui languit dans les cachots.

L'honorable M. Pirmez a encore allégué que la peine de mort a existé dans tous les temps et dans tous les pays.

Je l'avoue, messieurs, c'est un de ces faits universels qui se produisent dans l'histoire avec un incontestable caractère de permanence et d'universalité. Mais l'honorable M. Pirmez n'ignore pas que la peine de mort n'a pas existé partout et toujours comme aujourd'hui. L'histoire de la peine de mort est une lamentable histoire. Commencez par l'Inde, passez par l'Egypte, traversez l'Asie Mineure, ouvrez les annales de la Grèce et à Rome, partout vous trouverez des supplices atroces, et chaque fois qu'on a voulu les adoucir, on s'est écrié, comme aujourd'hui : Tout cela est nécessaire ; il faut défendre les honnêtes gens et frapper les assassins ! Et l'on ajoutait : Si les assassins ne veulent pas qu'on les torture, qu'on les lacère, qu'on les brûle, qu'ils commencent par ne pas tuer !

L'honorable membre m'a étonné profondément, je dois le dire, quand il a demandé quelle compensation j'avais à offrir en échange du (page 245) renversement de l'échafaud. Si l'honorable membre parle d'une compensation pécuniaire ou matérielle, je l'avoue, je n'ai absolument rien à lui présenter. Au contraire, dans mon système, il y aura perte pour le trésor public ; car il faudra nourrir les assassins, tandis que, si on leur coupe la tête, on fait évidemment une économie. Mais parlons sérieusement.

Vous demandez une compensation ? Eh bien, je vous en offre une qui est supérieure à beaucoup d'autres. C'est celle d'éviter à mon pays, aux magistrats de mon pays, l'horrible alternative de l'exécution d'un innocent ; c'est l'avantage immense de ne plus faire prononcer une peine irréparable par des juges faillibles. N'est-ce pas là un avantage considérable pour un peuple généreux et loyal ?

L'honorable M. Pirmez, voulant me mettre en contradiction avec moi-même, a cité un passage de mon discours dans lequel je disais qu'il y aurait erreur à prétendre que la peine de mort a toujours été inefficace et stérile pour prévenir les grands crimes. Il n'y a pas là de contradiction. J'ai voulu me séparer ici de certains jurisconsultes, de certains auteurs, qui prétendent que la peine de mort a toujours été inefficace. Je pense, moi, qu'il en est de la peine de mort comme de tous les grands châtiments, il est évident que le coupable qui se dispose à commettre un crime punissable d'un grand châtiment, commence par réfléchir, par s'entourer de toutes les précautions possibles pour ne pas être découvert, et que, s'il craint d'être découvert, il s'arrête. A ce point de vue, on ne saurait pas dire que la peine de mort est inopérante ; mais je soutiens que lorsqu'un coupable veut commettre un crime frappé de réclusion perpétuelle, il fait les mêmes réflexions et qu'il n'agit également que s'il a l'espoir d'échapper aux investigations de la justice.

Je le répète, il n'y a aucune contradiction dans mes paroles, Si cette pensée de l'honorable M. Pirmez était poussée jusqu'à ses dernières conséquences, on devrait en revenir à la mort dite qualifiée, appliquée dans les derniers siècles ; on devrait dire que cette mort qualifiée était une peine plus efficace, plus terrifiante, plus préventive que la mort actuelle.

L'honorable membre a ajouté que, dans son opinion, l'argument que je produis contre la peine de mort pourrait se produire contre toute espèce de peines, même contre les peines temporaires qui n'ont pas une longue durée. C'est une exagération. Il faut des peines, même des peines sévères. Mais, encore une fois, dès l'instant qu'il est prouvé qu'une peine est assez sévère, il ne faut pas, pour avoir le plaisir de frapper plus rudement, recourir à une punition plus rigoureuse. Il faut s'arrêter aux limites de la nécessité, et c'est parce que je suis convaincu que des peines moins cruelles que la peine de mort pourvoient suffisamment aux besoins réels du corps social, que je veux qu'on s'y arrête.

L'honorable membre a encore parlé d'un fait que je regardais comme douteux, parce que toutes mes recherches pour le constater m'avaient conduit à un résultat complètement négatif ; je fais allusion à la déclaration de certains criminels qui, menacés d'une exécution, avouaient qu'ils n'auraient pas commis le crime, s'ils n'avaient pas cru que la peine de mort était supprimée de fait.

L'honorable M. Nothomb, confirmant les paroles de mon honorable adversaire, a dit avoir eu connaissance d'un fait de ce genre. L'honorable M. Van Overloop a cité un cas semblable ; l'honorable M. Schollaert s'est écrié qu'il en connaissait trois.

Voilà cinq faits ! J'ai été moins heureux dans mes investigations. On m'avait indiqué un assassin de Tirlemont qui aurait tenu ce langage. J'en ai parlé au juge d'instruction qui l'avait interrogé, au procureur du roi qui avait requis sa condamnation ; ni l'un ni l'autre n'en savaient un seul mot. Cependant, l'affirmation de mes honorables collègues suffit pour me faire pleinement admettre ces faits. Mais n'y a-t-il pas ici quelque chose de bien facile à comprendre ? Des individus condamnés à la peine de mort entendent parler d'exécution ; ils demandent grâce, et que disent-ils ? « Nous ne savions pas que nous serions soumis à cette peine ; nous avons commis le crime, parce que nous pensions que la peine de mort était une peine qu'on n'appliquait plus. Il ne faut donc pas nous en frapper. » Les faits attestés par les honorables membres sont des manœuvres de condamnés, rien de plus, et ces manœuvres s'expliquent de la manière la plus simple et la plus naturelle.

Du reste, permettez-moi, messieurs, de vous citer ici d'autres faits dont je n'ai pas parlé hier et qui sont excessivement intéressants. L'honorable M. Pirmez prétend que nous devons tenir compte du langage des criminels eux-mêmes. C'est ce langage que je vais invoquer.

L'illustre professeur Mittermaïer, qui se livre depuis cinquante ans à une enquête scrupuleuse et complète sur l’efficacité de l'application de la peine de mort, s'est rendu dans les prisons d'Edimbourg et de Londres. Il s'est mis en rapport avec les aumôniers et avec les directeurs de ces prisons, et ces hommes honorables ont fait subir, à sa demande, pendant plusieurs années, un interrogatoire à tous les condamnés à mort.

Ces interrogatoires s'élèvent à plusieurs centaines. Or, voici les questions posées à tous les condamnés indistinctement : « Mon ami, vous n'avez donc jamais vu pendre ? » Ils répondent : « Je l'ai vu une fois, deux fois, dix fois, quinze fois, cent fois. » Il y en a qui ont été jusque-là. L'aumônier continue : « Vous saviez cependant que le crime que vous avez commis était puni de mort ? » Le condamné répond : « Je le savais ; mais je me disais : Mes précautions sont si bien prises qu'on ne saura pas que je suis le coupable. »

N'est-ce pas la continuation de tout ce que j'ai dit ?

Maintenant, citez trois ou quatre cas plus ou moins authentiques, et voyez ce qu'ils sont à côté des interrogatoires que je viens de rappeler.

Messieurs, j'en ai encore pour près d'une heure ; je demande à pouvoir continuer demain.

- La séance est levée à cinq heures.