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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 12 mars 1867

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboomµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 601) M. de Florisone, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Moor, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction du procès-verbal est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisoneµ présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur J.-B. Van Snick, ancien officier d'artillerie, demande une augmentation de pension ou un subside. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Verviers prie la Chambre de discuter, dans la présente session, le projet de loi sur la péréquation cadastrale. »

M. Davidµ. - Cette pétition présentant un certain caractère d'urgence, j'en demande le renvoi à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

- Adopté.


« Des habitants d'Anvers prient la Chambre d'adopter la proposition de loi de M. Guillery relative à la réforme électorale. »

« Même demande d'habitants de Contich. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Des habitants de Bruxelles demandent la révision de la loi sur la garde civique. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Molenbeek-Saint-Jean prient la Chambre de discuter, le 19 mars, toute affaire cessante, la loi sur la reforme électorale. »

« Même demande d'habitants de Cureghem et d'Anderlecht. ».

- Même renvoi.


« Les administrations communales de Nettinne, Heure et Sinsin demandent que ces communes soient replacées sous la dépendance du bureau des postes de Marche et qu'on supprime le bureau de Haversin. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Hamoir se plaignent de l'administration de cette commune. »

M. Bouvierµ. - Je demande le renvoi, à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

- Adopté.


« Des habitants de Molenbeek-Saint-Jean prient la Chambre de discuter le projet de loi sur l'expropriation forcée pour cause d'utilité publique. »

« Même demande du conseil communal de Molenbeek-Saint-Jean. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Termonde demande que les tribunaux soient chargés de la connaissance, en dernier ressort, des contestations en matière électorale. » .

- Même renvoi.


« Le secrétaire communal de Velm prie la Chambre de prendre les mesures nécessaires pour améliorer la position des secrétaires communaux. »

- Même renvoi.


« Le sieur Van Duyck, greffier de la justice de paix du canton de Frasnes, demande le retrait de l'article 13 de la loi sur l'organisation judiciaire. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l'organisation judiciaire.


« Le sieur Loizelier, juge d'instruction au tribunal de Mons, propose d'insérer dans le projet de loi sur l'organisation judiciaire une disposition relative à l'éméritat des membres inamovibles d'un tribunal supprimé qui, n'ayant pu être replacé dans leur emploi, ont accepté une position inférieure. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Le sieur Latour, sergent pensionné, demande l'augmentation de la pension des sous-officiers et soldats. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la guerre.


« Le sieur Van Elegem, greffier de la justice de paix du canton de Flobecq, demande que le projet de loi sur l'organisation judiciaire accorde aux greffiers la faculté de continuer à faire à terme des ventes publiques mobilières. »

- Dépôt sur le bureau pendant le second voie du projet de loi.


« Le sieur Goffinet réclame contre la solution négative donnée par le département de l'intérieur à la question de savoir si la substitution réciproque est permise entre les miliciens de deux arrondissements, réunis en vertu de la loi de 1848. »

M. Bouvierµ. - Je demande le renvoi à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

- Adopté.


« Le sieur Schoonheyt demande que la garde civique soit organisée en deux bans, et que le service du premier ban cesse d'être obligatoire à trente ans. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Thiery, président de la section agricole de Herck-la-Ville, appelant l'attention de la Chambre sur l'article 2 de l'arrêté royal du 11 mars 1866, relatif à l'indemnité pour abattage dans le cas de peste bovine, demande que cet arrêté soit rapporté et que le terme d'un mois qu'il fixe soit réduit à quatorze jours. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Par messages en date des 6, 7, 8 et 9 mars, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion :

« 1° Au projet de loi ouvrant au ministère de l'intérieur des crédits destinés à rembourser à la caisse des pensions des veuves et des orphelins des professeurs de l'enseignement supérieur, des sommes à charge du trésor public payées indûment par la caisse ;

« 2° Le projet de loi qui ouvre au département des finances un crédit de 229,213 fr. 38 c. ;

« 3° Le projet de loi qui approuve le traité de commerce et de navigation entre la Belgique et l'Autriche ;

« 4° Le projet de loi qui alloue au budget de l'intérieur, des crédits supplémentaires à concurrence de 660,000 francs ;

« 5° Le projet de loi contenant des mesures transitoires en faveur des élèves en médecine du 1er et du 2ème doctorat, qui ont été charges d'un service public en 1866, à l'occasion de l'épidémie.

« 6° Le projet de loi qui ouvre au département des travaux publics un crédit de 120,000 fr. pour l'acquisition et l'appropriation d'un immeuble destiné au logement et aux bureaux du directeur des contributions directes, douanes et accises à Namur.

« 7° Le projet de loi qui porte à 200,000 fr. la dotation annuelle de S. A. R. le Comte de Flandre. »


« Par message du 2 mars, le Sénat informe la Chambre qu'il a pris en considération deux demandes de grande naturalisation. »

- Pris pour notification.


« Il est fait hommage à la Chambre, par la société des Mélophiles de Hasselt, d'un exemplaire du 3ème volume du bulletin littéraire de cette société. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« MM. Lange, Mascart et Thonissen demandent un congé pour cause d'indisposition. »

- Ces congés sont accordés.

Composition des bureaux des sections

(page 602) Les sections de mars se sont constituées comme suit.

Première section

Président : M. Vleminckx

Vice-président : M. Jonet

Secrétaire : M. de Rossius

Rapporteur de pétitions : M. Van Cromphaut


Deuxième section

Président : M. Julliot

Vice-président : M. Jamar

Secrétaire : M. Wouters

Rapporteur de pétitions : M. de Macar


Troisième section

Président : M. d’Hane-Steenhuyse

Vice-président : M. Delcour

Secrétaire : M. Thibaut

Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt


Quatrième section

Président : M. Broustin

Vice-président : M. Lippens

Secrétaire : M. Hagemans

Rapporteur de pétitions : M. Vandermaesen


Cinquième section

Président : M. David

Vice-président : M. Hayez

Secrétaire : M. Van Hoorde

Rapporteur de pétitions : M. Descamps


Sixième section

Président : M. Lelièvre

Vice-président : M. Warocqué

Secrétaire : M. Van Humbeeck

Rapporteur de pétitions : M. Bouvier


Projet de loi relatif à la révision cadastrale

Rapport de la section centrale

M. de Vrièreµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi sur la révision des évaluations cadastrales.

Projet de loi relatif aux expropriation pour cause d’utilité publique

Rapport de la section centrale

M. d'Elhoungneµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi sur les expropriations pour cause d'utilité publique.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et met les lois qu'ils concernent à la suite des objets à l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l’exercice 1867

Discussion générale

MpMoreauµ. - La discussion générale est ouverte.

M. Vleminckxµ. - Messieurs, le budget de la guerre pour 1867 se présente à nos délibérations dans des conditions exceptionnelles. Ce sont bien les mêmes chiffres ou à peu près que ceux des budgets précédents ; ils répondent, à la vérité, comme ces derniers, à la loi d'organisation de 1853, mais ce ne sont que des chiffres provisoires qu'une loi nouvelle doit faire modifier bientôt.

Cette situation doit nécessairement apporter quelque changement aux déterminations des membres de cette Chambre qui, comme moi, ne se sont montrés opposés jusqu'ici au budget de la guerre, que parce qu'il était, d'après eux, l'expression d'une organisation qui n'était pas faite pour la stratégie adoptée en 1859 ; parce que, d'autre part, le gouvernement, par l'organe du ministre de la guerre, avait déclaré nettement naguère à cette Chambre, qu'il n'entendait apporter à l'organisation de 1855 aucune modification.

Les choses ont bien changé de face aujourd'hui ; le gouvernement ne soutient plus l'immutabilité de l'organisation de 1853 ; il veut, au contraire, que cette organisation soit soumise à un nouvel et sérieux examen.

Je n'ai plus dès lors, quant à moi, à refuser mon vote approbatif au budget qui nous est présenté pour 1867 ; nous sommes dans une situation transitoire, or une semblable situation commande l'emploi de mesures conservatrices, et, j'ai déjà eu l'honneur de vous le dire, jamais je ne consentirai à détruire, avant d'avoir recueilli et mis en ordre les éléments de reconstruction.

Au surplus, j'aime à croire que le budget de 1868 ne sera mis en discussion qu'en présence d'une organisation nouvelle.

S'il devait en être autrement, je déclare, dès à présent, que je ne me considérerais nullement comme engagé.

Je comprends, et je suis le premier à le reconnaître, les difficultés que doit rencontrer sur son chemin la commission de réorganisation ; mais j'ai foi dans son patriotisme, et je ne puis pas ne pas me persuader qu'en se mettant résolument à l'œuvre, elle ne pourrait pas résoudre d'ici à quelque temps les importantes questions qui lui sont déférées.

Aussi bien la chose presse ; l'état de l'Europe n'est pas tellement rassurant qu'il doive ne pas imposer de certaines alarmes. Préparons-nous donc pendant qu'il en est temps encore, achevons et achevons promptement, résolument, de finir définitivement ce qui est resté incomplet et insuffisant ; c'est notre devoir à tous, chambres et gouvernement, et la commission de réorganisation, convaincue de l'immense responsabilité qui pèse sur elle, ne manquera pas, j'en suis convaincu, de nous y aider puissamment, en imprimant à ses travaux une énergique impulsion.

Qu'il y ait d'importantes réformes à introduire dans l'organisation de la défense nationale, cela ne fait pas l'ombre d'un doute pour une grande partie de cette Chambre ; qu'il y ait des abus à extirper, cela n'est plus contesté par personne.

Il serait prématuré de vous entretenir aujourd'hui des conditions essentielles d'une bonne organisation militaire pour la Belgique. Cet examen viendra mieux à sa place lorsque nous serons en présence du nouveau projet du gouvernement, mais il n'en est pas de même de certaines choses qui ne touchent pas à l'organisation et qu'il est toujours l bonde signaler, quel que soit le système qui fonctionne. ! Il est un. abus, messieurs, le plus déplorable de tous, qui semble avoir pris droit de domicile dans l'armée. Il porte le nom de favoritisme.

C'est une plaie dans quelques armées qu'il se montre, mais dans celle d'un petit pays surtout, c'est le plus insupportable des griefs. Il faut bien que chez nous le mal ait atteint un haut degré de gravité, pour qu'un officier supérieur distingué, longtemps attaché au département de la guerre et je dirai presque à la personne du ministre, ait cru devoir jeter le cri d'alarme et le dénoncer au pays et au gouvernement.

Vous connaissez, messieurs, l'écrit auquel je fais allusion : il a fait assez de bruit dans le monde pour n'avoir pas échappé à votre attention. Permettez-moi cependant de vous en rappeler un passage. Vous savez que l'honorable officier, après avoir indiqué avec le plus grand soin toutes les mesures à prendre pour réorganiser notre système militaire, couronne son œuvre par les recommandations suivantes :

« Mettre un frein à l'esprit d'intrigue qui, dans les Etats constitutionnels, porte les militaires à chercher des appuis en dehors de l'armée et particulièrement dans les Chambres législatives.

« Bannir le favoritisme, n'avoir plus ni régiments ni officiers privilégiés ; donner en toute circonstance la priorité au mérite et aux services rendus, tenir tête aux coteries et résister aux influences parlementaires, toutes les fois qu'elles n'agissent pas dans l'intérêt de l'armée.

« Il faut, en un mot, que tout le monde sache, dans l'armée comme au dehors, que les seuls titres à l'avancement seront désormais ceux que l'on acquiert par le travail, que la fortune, le nom et la famille, les amis et les protecteurs quels qu'ils soient, n'exerceront aucune influence, et que la règle fondée sur la loi et l'équité sera le seul arbitre du sort des (militaires. »

C'est clair n'est-ce pas ? C'est positif. Celui qui parle d'une manière aussi catégorique est un témoin de visu et de auditu. Il n'est donc pas permis de douter. Il y a des intrigues, il y a des coteries, il y a des influences mauvaises et même des influences parlementaires (j’aime à croire qu'il n'en est rien) ; il y a des régiments, et des officiers privilégiés ; la priorité n'est pas donnée en toute circonstance au mérite et aux services rendus ; la fortune, le nom, la famille, les amis et les protecteurs pèsent sur les déterminations du pouvoir. Qu'est-ce cela, messieurs, sinon le régime du favoritisme ?

Je tiens à ce qu'on ne se méprenne pas sur mes intentions. Je n'entends accuser personne, et moins encore l'honorable général Goethals que qui que ce soit.

J'expose une situation que l'honorable ministre n'a pas faite ; je signale un mal chronique qui remonte bien haut ; je dénonce des habitudes invétérées qui se sont glissées petit à petit, et un peu par la faute de tous, dans l'administration de l'armée et qui, si on ne se décidait à le extirper radicalement, finiraient par y compromettre notre établissement militaire.

Je n'ai en vue que d'encourager l'honorable général Goethals à résister et à résister énergiquement aux obsessions dont il pourrait être l'objet, d'où qu'elles viennent. Il faut qu'il se décide à les repousser, si l'équité, si l'intérêt de l'armée le commandent. Justice et fermeté, telle doit être sa devise. C'est à ce prix et à ce prix seulement qu'il ramènera la confiance, et qu'il pourra maintenir le sentiment du devoir et l'attachement au drapeau.

Plus de ces faiblesses qui retiennent à Bruxelles un grand nombre d'officiers uniquement pour les faire jouir des délices de la capitale ; plus de positions que les besoins du service ne commandent pas ; plus d'emplois inutiles, plus de privilèges de quelque nature qu'ils puissent être ; non, non, plus rien de tout cela, mais égalité en tout et pour tous sans exception.

(page 603) Le département de la guerre sent bien lui-même que c'est là que le bât le blesse ; je n'en veux pour preuve que l'embarras qu'il éprouve lorsque, par aventure, il est obligé de s'expliquer sur des faits qui touchent à cet ordre d'idées.

La première section et, après elle, la section centrale lui avaient demandé pour quels motifs on employait en 1867 en service actif sédentaire deux lieutenants généraux de la section de réserve ?

Et le département de répondre à peu près ceci : « Cela s'est fait déjà ; seulement pour 1867, nous régularisons la dépense. »

Eh ! mon Dieu oui ! Cela s'est fait encore, nous le savions bien, mais très rarement pourtant, on ne devrait pas l'oublier, et uniquement pour être agréable à quelques-uns. Mais pourquoi donc cela se fait-il encore aujourd'hui ? Voilà ce que l'on a désiré savoir, et voilà ce qu'on ne nous a pas dit. Qu'est-ce d'abord que ce service actif sédentaire pour lequel on fait sortir un officier général à la réserve,edes doux loisirs que lui ménage sa position ? Ensuite, n'est-il pas vrai que la loi d'organisation a entendu que tout ce qui constitue le service actif serait confié à 9 lieutenants généraux seulement ? Pourquoi donc dépasse-t-on en réalité ce chiffre en pleine paix ? On a pu s'en dispenser pendant de longues années, pourquoi ne plus tenir la même ligne de conduite ? En en déviant, ne cède-t-on pas à d'importunes obsessions ? N'accorde-t-on pas d'inutiles faveurs ?

C'est, messieurs, au fond peu de chose que cela ; je suis le premier à le reconnaître, mais c'est toujours le même système que l'intérêt même de l'armée nous commande de combattre et de condamner. L'exagération nuit et compromet en toutes choses ; il est dangereux de ne pas s'en ressouvenir, lorsqu'il s'agit de celles qui concernent l'armée.

Et ceci m'amène tout naturellement à vous dire, en passant, quelques mots sur cette section de réserve d'officiers généraux que la loi de 1845 a créée. Savez-vous, messieurs, ce que c'est en réalité que cette section ? C'est une création hybride, qui a le mérite de permettre la collation de grades sans emploi, ou l'institution d’emplois d'une très contestable utilité, et je me hâte de dire que je place parmi ces derniers et les commandements territoriaux spéciaux et les commandements provinciaux et jusques et y compris ces commandements en service actif sédentaire dont je viens de vous parler il n'y a qu'un instant.

J'appelle sur cette création toute l'attention du gouvernement et de mes honorables collègues de la commission de réorganisation. En somme, sous le nom d'officiers généraux de la réserve, nous avons véritablement un supplément au cadre des officiers généraux en service actif. Est-ce là ce que la loi a entendu instituer ? Qu'on me permette d'en douter. De deux choses l'une, ou les généraux de la réserve sont en tout temps indispensables pour le service actif, et alors pourquoi ne vient-on pas franchement demander à la législature l'extension du cadre d'activité ? Ou le besoin ne s'en fait pas absolument sentir, et alors pourquoi les emploie-t-on ?

A mon avis, s'il faut décidément une réserve de généraux, elle ne devrait être composée que d'officiers ayant déjà commandé comme tels et pouvant, en cas de nécessité, être rappelés au commandement qu'ils ont exercé. Je comprendrais une semblable réserve, mais je ne la comprends plus ou plutôt je la trouve mauvaise, insuffisante, compromettante, si elle n'est destinée à fournir, dans de grandes éventualités, que des généraux inexpérimentés, n'ayant jamais exercé le commandement du grade dans lequel on les y a placés.

Du reste tout, ce qui se rattache aux cadres de la réserve mérite, à juste titre, d'être mûrement examiné. Je n'hésite pas à dire dès aujourd'hui que ce que l'on a fait en 1853 est complètement insuffisant. Je défie que telle qu'elle est organisée, on puisse, au moment de la guerre, tirer de la réserve un parti convenable et utile aux intérêts du pays.

La cinquième section avait, de son côté, demandé au département de la guerre, en vertu de quelle disposition des généraux-majors peuvent être nommés commandants de place ?

Et voici l'explication qui a été fournie :

« Il y a lieu de faire remarquer que la loi sur l'organisation de l'armée établit trois classes de commandants de place, sans se préoccuper des grades correspondants à chacune de ces classes. Il en résulte que le gouvernement peut nommer à ces emplois des officiers de tous grades.

« C'est ainsi que la première classe a compris jusqu'ici des officiers du grade de général-major et de colonel ; que la deuxième classe comprend des officiers du grade de colonel et de lieutenant-colonel ; la troisième classe ne comprend que des majors.

« Les officiers de l'état-major des places, quel que soit leur grade, ne sont considérés que par rapport à la classe dans laquelle ils comptent ; dans l'état-major des places, le traitement n'est pas afférent au grade, mais bien à la classe.

« D'un autre côté, l'existence de l'état-major des places est indépendante de l'existence des diverses parties de l'armée qui constituent la section d'activité et la section de réserve, de sorte que les officiers de place n'ont absolument rien de commun avec les officiers de ces deux sections de l'armée. En d'autres termes, un général-major faisant partie de l'état-major des places comme commandant de première classe, n'appartient pas à l’état-major général de l'armée, ni même à l'état-major des provinces dont les cadres sont déterminés, en ce qui concerne les grades ; il n'a pas le traitement affecté au grade de général-major dans la section d'activité ou de réserve, ou dans l'état-major provincial. Il ne reçoit que le traitement afférent aux commandants de première classe. La nomination d'un général-major dans l'état-major des places ne constitue dès lors aucune augmentation de charges pour le budget.

« Le gouvernement a lieu de se féliciter de cette situation qui permet d'accorder à un ancien colonel qui est arrivé au terme de sa carrière et qui a exercé avec distinction le commandement si laborieux et si important d'un régiment, un grade supérieur comme récompense de ses excellents services. Ce cas est à la vérité très rare, puisqu'une semblable combinaison ne peut se réaliser que lorsque la mise à la retraite d'un colonel, chef de corps, va se produire au moment d'une vacance dans le personnel si restreint des commandants de première classe, qui ne sont qu'au nombre de trois. »

Cela veut dire ceci, messieurs : « Les généraux que je nomme commandants de place n'ont du généralat que les insignes ; ils n'en ont ni le commandement ni le traitement ; ce ne sont pas de vrais généraux ; de quoi donc vous plaignez-vous ? J'ai le droit de faire de pareilles nominations et je m'applaudis d'en être investi. »

De quoi l'on se plaint ? Mais je vais vous le dire. De ce qu'ici, encore une fois, on crée un privilège en faveur de protégés. En fait voici ce qui se pratique. Le colonel d'un régiment qu'on veut favoriser, on le fait, ne pouvant, sans trop faire crier, le placer dans l'état-major général, on le fait, dis-je, général-major commandant de place. On le met ainsi exceptionnellement dans la position de pouvoir servir au delà de la limite d'âge assignée à ses collègues ; puis s'il vient à vaquer au commandement de province, on ne manque pas de le lui conférer, pour le faire jouir de tous les avantages du généralat, auxquels ne peuvent prétendre les colonels qui, bien plus anciens que lui, n'ont pu obtenir, comme lui, un commandement de place, avec le grade de général.

Cela ne s'est jamais fait autrement. Est-ce clair ?

On colorera cela comme on voudra, mais pour moi, c'est du favoritisme, et du favoritisme le plus accentué. C'est, de plus, un mauvais acte d'administration, car pour favoriser un seul, on froisse vivement toute une catégorie, et j'avoue très ingénument ne pas comprendre que le département de la guerre s'applaudisse d'une situation qui lui permet de faire de ces sortes de gracieusetés.

Il serait plus correct de suivre une autre voie, de dire, par exemple, en s'appuyant d'ailleurs sur l'article 3 de l'arrêté du 18 avril 1855 (puisque cet article existe toujours) : Tel colonel est à mes yeux un homme rare, exceptionnel, indispensable, en un mot ; je le garde, bien qu'il ait dépassé la limite d'âge réglementaire, ou qu'il soit sur le point d'y arriver ; je le garde, en attendant que je puisse en faire un vrai général, un général dans toute l'acception du mot. Cela paraîtrait singulier très souvent, mais du moins ce serait plus net et plus franc.

Et puis, s'il faut absolument doter l'état-major des places, d'officiers ayant le grade de général, pourquoi ne les choisit-on pas parmi les colonels commandants de place de 1er classe qui, d'après les explications qui nous ont été fournies, paraissent devoir être à tout jamais exclus de celle faveur ?

J'ai eu trop longtemps l'honneur d'appartenir à l'armée, messieurs ; j'ai eu trop de rapports avec elle, pour ne pas savoir combien toutes ces choses découragent et démoralisent ; combien elles portent atteinte au bon esprit dont elle doit toujours être animée.

J'aurais encore bien d'autres observations à produire, mais j'ai jugé plus opportun de ne vous les soumettre qu'à l'occasion de la discussion du projet de réorganisation. Je vous avoue même que je ne comptais pas vous entretenir aujourd'hui des faits dont il vient d'être question. Les interpellations des sections m'y ont déterminé.

Je ltens pourtant, avant de finir, à renouveler encore une de mes plaintes de l'an dernier. Elle concerne le régime disciplinaire de l'armée.

(page 604) Je continue à être l'adversaire implacable des salles de discipline et des cachots ; aussi longtemps que j'aurai l'honneur de siéger parmi vous, je combattrai ces lieux d'insalubrité et de corruption.

M. Coomansµ. - Le cachot, c'est la torture.

M. Vleminckxµ. - Je les appelle, moi, des lieux d'insalubrité et de corruption. Il faut absolument qu'on cherche à y substituer le régime cellulaire dans les casernes des communes comme dans celles de l'Etat. Los salles de discipline et les cachots sont le vestibule de nos grandes prisons, et nous n'y avons déjà que trop de soldats.

Ce que je viens d'avoir l'honneur de vous dire, messieurs, vous prouvera que je ne suis pas de ceux qui n'attachent pas une très haute importance à une bonne organisation de la défense nationale. Non, non, Dieu m'en garde ! Je veux une armée ; mais je la veux organisée dans les meilleures conditions d'économie et de solidité, et conduite avec justice et fermeté. Il faut qu'elle vaille ce qu'elle nous coûte. Sinon, non.

L'organisation d'une solide défense est une nécessité de. notre position, et je ne comprends pas vraiment qu'il puisse y avoir là dessus deux avis.

Arrière les lâches conseils qui nous prêchent la résignation et l'abandon de nous-mêmes ! Nous mériterions le mépris des peuples qui ont applaudi à notre régénération, notre propre mépris, messieurs, si nous ne nous apprêtions pas à défendre avec la plus grande énergie notre nationalité et nos droits. En vain dira-t-on qu'accablés par le nombre, nous succomberions infailliblement dans la lutte, et que par conséquent nous n'avons pas besoin d'armée. Le peuple belge fut toujours un vaillant peuple. Nos ancêtres ne comptaient pas leurs ennemis, lorsqu'il s'agissait d'indépendance et de liberté. Nous, messieurs, leurs descendants, nous ne serons pas des fils dégénérés ; nous saurons en toute circonstance nous montrer à la hauteur de leur patriotisme et de leur dévouement, nous rappelant sans cesse que leurs efforts et leurs sacrifices ont préparé la résurrection de la patrie et la conquête inappréciable de nos libres institutions.

M. Lelièvreµ. - Le budget de la guerre me donne l'occasion de proposer quelques observations que je livre aux méditations du gouvernement.

Depuis longtemps, les officiers pensionnés demandent que les pensions militaires soient régies par les mêmes principes que ceux gouvernant la matière des pensions civiles.

Je considère cette réclamation comme parfaitement justifiée et fondée sur des considérations dont il est impossible de contester la justesse. Rien de plus équitable que d'assimiler les pensions les unes aux autres, et je ne vois pas à quel titre les officiers de l'armée seraient traités plus défavorablement que les fonctionnaires civils.

En attendant la révision du code militaire, travail attendu depuis longtemps avec une légitime impatience, je pense qu'il conviendrait de renvoyer à la connaissance des tribunaux ordinaires les délits du droit commun, commis par des militaires, en temps de paix. Il est certain que les juridictions exceptionnelles doivent disparaître de nos lois, parce qu'elles constituent un privilège qui n'est pas en harmonie avec nos institutions. Mais il est surtout exorbitant de déférer à une juridiction particulière des faits qui sont de la compétence des juges ordinaires. Un privilège, motivé sur la qualité du prévenu, est injustifiable à tous égards.

J'appelle donc sur ce point l'attention particulière de M. le ministre de la guerre.

Tout ce qui concerne les compagnies de discipline appelle également la sollicitude du gouvernement.

Il est certain que le régime établi sous ce rapport est en opposition directe avec la législation moderne, qui a pour but principal l'amendement des individus atteints par les lois pénales.

La création des compagnies de discipline, telles qu'elles sont organisées, produit des conséquences directement opposées au but qu'on se propose d'atteindre. L'état de choses en vigueur exige donc une réforme dont la nécessité est reconnue indispensable par tous les hommes d'expérience.

Depuis longtemps, on signale les inconvénients de la législation actuelle en ce qui concerne la position des officiers de l'armée, qui n'est pas suffisamment sauvegardée. La révision des lois réglant le mode de procéder contre les officiers, auxquels on prétend enlever les grades qu'ils ont conquis au prix de leur sang, est d'une nécessité qu'on ne peut méconnaître. Sous ce rapport, l'armée n'est pas régie par un ordre de chutes en harmonie avec nos institutions libérales.

Je terminerai par une observation à laquelle l'honorable baron Chazal avait promis de faire droit, c'est celle qui a pour objet de faire cesser toute assimilation des officiers mis à la réforme par suite de motifs indépendants de leur volonté à ceux se trouvant en semblable situation par l'effet d'une mesure disciplinaire. Dans ce dernier cas, la mise à la réforme est une peine, tandis que, dans l'autre hypothèse, c'est par suite d'un cas fortuit qu'il est fait au militaire une position inférieure résultant d'un accident non imputable à l'officier.

Il me paraît donc équitable d'apporter à la législation sur ce point des modifications conformes aux principes de justice.

Quant au budget de la guerre, je regrette que le rapport de la commission spéciale, qui s'occupe de cet objet, n'ait pu encore être communiqué à la Chambre. Jusqu'au moment où l'organisation de l'armée aura subi les changements qui seront jugés indispensables, force est bien de maintenir le statu quo en ce qui concerne le budget de la guerre. Je fais, toutefois, mes réserves pour l'avenir, et j'espère que l'année prochaine le gouvernement proposera un projet d'organisation qui sera en rapport avec nos ressources et n'affectera pas aussi notablement notre situation que le régime actuel.

M. Hayezµ. - Messieurs, la commission nommée à l'effet d'examiner notre état militaire apportera très probablement de nombreuses modifications à l'organisation actuelle créé en 1853 pour un état de choses qui n'existe plus aujourd'hui.

Le résultat de son travail devant être soumis sans de grands retards à votre approbation ; je crois en conséquence devoir considérer le budget qui vous est présenté pour l'année 1867, comme un budget provisoire seulement, pouvant être profondément transformé l'année prochaine. Ce serait abuser des moments de la Chambre que de l'engager dans des discussions qu'elle regarderait sans doute comme n'ayant ni but utile, ni opportunité.

Je me bornerai donc, messieurs, à quelques observations qui pourront, je pense, s'appliquer également aux budgets des années qui suivront celle-ci.

Ma première observation est relative au nombre des articles du budget de la guerre ; le chiffre de ce budget, est, après celui des travaux publics le plus élevé de tous ceux qui vous sont présentés, et cependant il ne comporte que 34 articles, tandis que celui des affaires étrangères, qui ne dépasse guère 3 millions, en comporte 45.

Cet état de choses, messieurs, permet au département de la guerre de disposer, à peu près comme il l'entend, de sommes considérables, et je pense qu'à cet égard il a été commis des abus que la Chambre ne voudra, sans doute, pas tolérer plus longtemps. Lors de la discussion de l'article 21, j'aurai l'honneur de développer ma pensée à la Chambre, et de lui présenter une proposition propre à remédier à l'inconvénient que je viens de signaler.

Je désirerais également trouver plus de clarté dans la rédaction du budget. Aujourd'hui il est impossible de connaître les dépenses occasionnées par certaines institutions. Je citerai notamment l'école d'équitation. Les éléments qui la composent se trouvent disséminés dans plusieurs articles, et le chiffre global de la dépense nous échappe.

A mon sens, le tout devrait être réuni en un article séparé qui contiendrait non seulement les dépenses occasionnées pour l'installation de l'école, mais encore la solde du personnel qui y est attaché. Ce chiffre étant connue je suis persuadé qu'on en viendrait à se demander si les résultats obtenus sont en rapport avec les frais occasionnés, et s'il est convenable de conserver cette institution, créée et supprimée à diverses reprises.

Quelle que soit la décision de l'honorable ministre, à cet égard, je lui ferai observer que la participation des officiers d'artillerie aux leçons d'équitation est au moins inutile ; qu'elle cause au contraire un préjudice réel aux jeunes officiers qu'on y détache pendant un an au moins, tandis que leur instruction pratique, comme artilleur, gagnerait par leur présence aux régiments, dans lesquels la pénurie d'officiers se fait sentir chaque jour davantage.

J'ai déjà eu plusieurs fois l'occasion de parler à la Chambre des sections d'études qui existaient, il y a peu d'années encore, soit dans le régiment soit à l'école militaire même. Je suis convaincu qu'il y a équité à les rétablir et de plus qu'elles pourraient l'être facilement si le département de la guerre le voulait ; je suis convaincu que le chef de ce département, dont la bienveillance pour l'armée est bien connue, arrivera à ce résultat, s'il considère que les sections d'études, pour les officiers sortant de la classe des sous-officiers, mettront sur un pied d'égalité eu harmonie avec nos institutions démocratiques, tous les jeunes gens, (page 605) riches ou pauvres, qui désireront consacrer leur vie à la défense du i pays.

Sans doute, messieurs, il est bon, utile, que tous nos officiers aient l'instruction la plus étendue possible ; mais il est un élément de cette instruction qu'il ne faut pas négliger, dont il doit même être tenu bon compte. Je veux parler de l'instruction pratique, de l'élément troupier, si j'ose m'exprimer ainsi ; dans les régiments, cet élément est d'une très grande utilité. Si l'on peut admettre, en général, que les officiers sortant de l'école militaire ont plus d'instruction théorique que ceux qui ont commencé leur carrière comme simple soldat, cette règle admet cependant de nombreuses exceptions, et je le répète, la connaissance plus grande des besoins de la troupe établit dans le service une compensation très suffisante.

Plusieurs officiers désirant être mis à même d'étendre leur instruction ont développé plus que je ne puis le faire ici les avantages qu'aurait pour eux et pour l'armée le rétablissement des sections dont je viens de parler. Je prie M. le ministre de fixer son attention sur cet objet ; je lui indiquerai tout à l'heure un moyen simple, équitable et économique de satisfaire à la demande qui lui est adressée.

J'ai eu l'honneur de parler à la Chambre des comités consultatifs des différentes armes composant l'armée, et j'ai témoigné le regret de les voir supprimer de fait.

L'annuaire de 1867 n'en fait aucune mention, c'est dans celui de 1864 qu'on les trouve pour la dernière fois.

Messieurs, il a été dit dans cette enceinte beaucoup de mal des comités en général et particulièrement de ceux de France. Comme je crois que le rétablissement de ces comités serait très avantageux au pays et à l'armée, je regarde comme un devoir de rétablir dans leur réalité les faits qui ont été présentés sous un jour défavorable à la Chambre ; si je n'ai pas fait cette rectification plus tôt, c'est que les renseignements certains me manquaient.

On a dit que les comités français s'opposaient toujours au progrès ; que les progrès se réalisaient malgré eux, lorsqu'une haute intervention leur forçait en quelque sorte la main. Cela se disait, messieurs, à propos de la transformation de notre artillerie et de la construction des fortifications d'Anvers. En réponse à cette assertion, que j'avais émise, que l'on se serait épargné bien des déceptions si, au lieu de confier la direction de ces immenses travaux à un seul, on avait eu recours aux lumières des comités institués, mais annihilés de fait aussi bien que les inspections générales.

Je craindrais, messieurs, d'abuser des moments de la Chambre si je réfutais tout ce qui a été dit contre les comités ; je me bornerai à affirmer, malgré l'assertion contraire, que ces comités existent chez les principales puissances militaires de l'Europe ; mais je m'étendrai un peu sur ce qui a été dit relativement à la transformation de l'artillerie en France.

Voici ce que M. le ministre de la guerre disait à la séance du 27 janvier 1865 (Annales parlementaires, p. 386, 2ème colonne) :

« Quand, il y a 20 ans, M. Treuille de Beaulieu présenta son système de canons rayés au comité d'artillerie, celui-ci n'y fit aucune attention et le mit de côté.

« Vers 1858 l'empereur Napoléon, allant visiter la manufacture d'armes de Saint-Thomas d'Aquin, demanda à M. Trouille de Beaulieu, ce qu'il y avait de nouveau dans le domaine de l'artillerie. Celui-ci répondit, assure-t-on, qu'il ne pouvait rien y avoir de nouveau, par la raison bien simple que le comité de l'arme était hostile ou indifférent aux idées nouvelles. Il raconta à l'empereur ce qui était arrivé à son mémoire sur les canons rayés et celui-ci prit, dès lors, la résolution de s'occuper personnellement de cette importante question. Grâce à ses efforts persévérants, l'armée française fut mise en possession d'une arme redoutable au moment où éclata la guerre d'Italie... L'invention de la carabine et du fusil rayés ne fut pas mieux accueillie et chacun sait qu'il a fallu 20 ans d'efforts à M. Delvigne pour faire accepter son invention, dont nous avons fait une application plusieurs années avant que son propre pays l'eût admise. »

Maintenant, messieurs, voici les faits en peu de mots :

Deux systèmes étaient en présence : M. Tamisier croyait qu'il fallait forcer le projectile dans l'âme du canon ; M. Treuille de Beaulieu voulait seulement l'y centrer.

Le comité, croyant que c'est dans le principe du forcement que gisait la vérité, refusa les expériences demandées par M. Treuille pour constater la réalité de ces principes.

Sans se laisser décourager, M. Treuille adressa un mémoire au président du comité (le général La Hitte), pour démontrer que l'artillerie faisait fausse route dans l'étude des canons rayés en suivant la voie tracée par M. Tamisier. En effet, les recherches faites dans cette direction n'aboutirent à rien de pratique, et l'empereur Napoléon III, tenu au courant par le général La Hitte, donna, en 1855, l'ordre de mettre M. Treuille de Beaulieu en situation d'appliquer ses théories ; cet officier reçut donc l'autorisation d'entreprendre les essais indispensables pour arriver à la solution du problème.

Les essais durèrent deux ans et deux membres du comité d'artillerie y prirent part : le général La Hitte, président, et le général Lebœuf.

Plus tard, les résultats furent soumis au comité d'artillerie qui en constata la portée et y donna son approbation. De sorte que, quand l'empereur alla visiter, au mois de mai 1837, l'atelier de précision de Saint-Thomas d'Aquin (et non pas la manufacture d'armes, comme on l'a dit, car il n'y a pas d'établissement de ce genre à Paris), sa démarche n'avait d'autre objet que d'examiner le modèle de canon de campagne exécuté par le commandant Treuille qui, séance tenante, fut promu au grade de lieutenant-colonel.

Le système fut adopté par décret du 8 mars 1858, et il avait déjà reçu, auparavant, dans la pièce de montagne, la consécration de la guerre, lors de l'expédition de Kabylie en 1857.

Partisan des comités, j'ai cru, messieurs, devoir prendre leur défense dans cette enceinte, un peu tard sans doute, mais assez tôt cependant pour prémunir la Chambre, à la veille peut-être de la présentation de projets tendants à modifier notre organisation militaire et l'armement de l'infanterie, contre des engouements peu réfléchis, des précipitations regrettables qui se traduisent presque toujours, malheureusement, en dépenses ruineuses.

J'invite donc l'honorable ministre de la guerre à porter son attention sur les bons résultats que peuvent produire les comités d'armes, et j'ose espérer qu'il n'hésitera pas à les rétablir sur les bases adoptées en France. D'après leur organisation dans ce pays essentiellement militaire, qui possède un génie particulier pour tout ce qui se rapporte aux choses de la guerre, les membres des comités sont renouvelés assez souvent pour ne pas craindre l'immobilisme de leurs idées, mais pas assez cependant pour ne pas leur donner le temps d'examiner mûrement les propositions nouvelles.

Les comités d'armes rétablis partageront avec M. le ministre, dans certaines décisions, une responsabilité absolument trop lourde pour un seul homme.

Messieurs, depuis bien des années déjà, on se plaint généralement de nos dépenses militaires que l'on trouve trop élevées. Nous avons donc un devoir à remplir, c'est de supprimer toute dépense qui n'ajoute rien à la force de notre armée.

Rappelons-nous ce que disait il y a peu de jours M. le ministre des finances, les petits ruisseaux font les grandes rivières ; élaguons du budget toutes les allocations qui ne constituent que des faveurs souvent imméritées.

Dans cette catégorie je range les indemnités accordées, en dehors de leur traitement, à des officiers occupant certaines positions spéciales.

Ces indemnités constituent à mes yeux une véritable injustice, parce qu'elles sont données à des officiers jouissant déjà de beaucoup d'autres avantages ; ne sont-elles pas en presque totalité le partage des officiers détachés au ministère, à l'école militaire, et d'autres encore ?

Or, messieurs, ces officiers vivent dans la plus belle garnison du pays ; ils sont peu ou point soumis aux frais de déplacement, parce que leur séjour dans la capitale se prolonge indéfiniment pour beaucoup d'entre eux ; ils se trouvent plus près du soleil et se ressentent largement de l'influence de ses rayons. Contrairement à ce qui se passe dans d'autres armées, ils ont presque toujours le pas, pour l'avancement, sur les officiers employés avec la troupe, et avec l'avancement ils conservent leur ancienne position.

Ont-ils plus d'occupations, ou des occupations plus ingrates ? En aucune manière ; la vie des officiers attachés à la troupe est plus pénible, leur besogne infiniment moins agréable, et, en outre, ils sont obligés à. de fréquents déplacements dont les frais pèsent lourdement sur leur bien-être.

Une autre raison m'engage encore à demander la suppression de toutes les indemnités, c'est qu'elles ressemblent à une opération commerciale et que j'estime que toute idée semblable est incompatible avec l'état militaire.

(page 606) J'admets cependant deux genres d'indemnités : 1° celle qu'on donne aux sous-officiers promus au grade d'officier ; 2° celle qui est allouée pour frais extraordinaires et inhérents à la position ; ainsi, un officier non monté étant obligé par sa nouvelle position de s'acheter un cheval, pourrait recevoir une indemnité du chef de cette dépense ; ainsi en est-il des indemnités de représentation dans certains cas.

Si l'indemnité accordée à un général-major (page 12) chargé provisoirement des fonctions attribuées à un lieutenant-général, paraît pouvoir être justifiée, pour être logique, il faudrait cependant indemniser les autres officiers qui remplissent les fonctions d'officiers d'un grade, supérieur à celui dont ils sont revêtus, et ce système conduirait fort loin.

Lors de la discussion des articles, je donnerai les développements que comporte ma proposition, quand elle s'appliquera à ces articles.

J'arrive maintenant à l'école militaire. Je suis très loin, messieurs, de méconnaître l'importance de cette institution ; cependant je pense que son personnel est établi sur une échelle beaucoup trop grande et tout à fait en indisproportion avec les résultats obtenus.

L'allocation portée au budget s'élève à 329,417 fr., mais ce chiffre n'est que fictif. En effet on n'y a pas compris les appointements que touchent, d'après leur grade, les officiers attachés à cet établissement, mais, seulement, les indemnités qu'ils reçoivent du chef des fonctions qu'ils y remplissent. Or d'après un calcul approximatif que j'ai fait, l'annuaire à la main, je crois pouvoir affirmer que le coût de l'école militaire se rapproche plus de 400,000 fr. que de 229,000.

Il est sorti cette année 14 sous-lieutenants qui ont par conséquent coûté au moins 25,000 fr. chacun à l'Etat, 3 ou 6 mille fr. par an, et je crois cette estimation fort au-dessous de la vérité.

Lorsque nous arriverons à l'article 17, j'aurai l'honneur de montrer à la Chambre les nombreux abus d'indemnités distribuées pour des fonctions sans aucune importance.

L'Annuaire, messieurs, pour cette année, indique qu'il se trouve 12 officiers en non activité par mesure d'ordre, c'est-à-dire sans jugement suffisant, et 30 pour motifs de santé.

Je rappellerai à M. le ministre que le traitement de tous ces officiers est réglé d'après un tarif semblable, c'est-à-dire que les innocents sont traités comme les coupables. J'ose espérer que M. le ministre portera une bienveillante attention sur cet état de choses, et qu'il consentira à la modification de la loi de 1836, sur la position des officiers. Un projet de loi a été présenté à la Chambre, il y a plusieurs années déjà, pourquoi ne pas le soumettre à la discussion ? Je ne pense pas que l'honorable ministre de la guerre y mette de l'opposition ; il sait combien il règne forcément d'arbitraire dans la carrière militaire, et il ne voudra pas aggraver encore cette situation par le maintien d'une loi qui livre pieds et poings liés à l'arbitraire, une classe d'hommes dont la vie active est toute d'abnégation, et la vieillesse vouée à un état voisin de l'indigence.

Un des officiers actuellement en non-activité avait été frappé d'une condamnation à un an d'emprisonnement, par un tribunal régulier ; cet officier était resté en non-activité jusqu'au 13 septembre 1865 ; peu de temps après il se fit condamner, et le 18 juin 1866, il fut de nouveau remis en non-activité.

Je fais ici abstraction de toute personnalité ; mais je pense qu'il y a ici aggravation illégale de peine ; je prie M. le ministre de donner à la Chambre des explications à cet égard.

J'appellerai également l'attention de M. le ministre, sur les pensions militaires. Une loi a décrété l'augmentation des traitements d'activité parce que cette mesure a paru équitable et urgente. Mais il n'en a pas été ainsi pour les pensions, qui sont encore réglées d'après la loi de 1838, et tout le monde sait qu'elles sont généralement insuffisantes aujourd'hui pour subvenir aux besoins les plus essentiels de la vie.

Il a été dit dans cette Chambre, que les pensions militaires sont plus fortes que les pensions civiles ; c'est une erreur. N'avons-nous pas vu dernièrement une pension de 10,000 fr. allouée à un ancien professeur, une autre de près de 7,000 fr. à un second professeur ? Combien y a-t il de généraux qui ont une pension aussi forte que cette dernière, et, pour un nombre très restreint de généraux qui touchent une pension dont le chiffre varie de 5 à 7 mille francs, combien n'y a-t-il pas d'officiers qui doivent subvenir à tous leurs besoins avec 1,700 francs, pension d'un capitaine, dans les meilleures conditions ? Mais il y a des officiers pensionnés qui ne reçoivent pas 1,000 francs.

Ne devrait-on pas, en toute justice, mettre ces espèces de parias à même de vivre, en reversant sur eux ce que l'on prodigue si inutilement à d'autres ?

On a dit aussi que la manière de régler les pensions civiles n'était pas aussi favorable aux pensionnés que les stipulations de la loi de 1838 pour les militaires. C'est là encore une erreur.

Tout est défavorable au pensionné militaire : les exigences de sa position d'activité lui ôtent presque absolument la possibilité de faire des économies ; de fréquents déplacements lui occasionnent des dépenses considérables ; les changements de tenue sont aussi une cause de ruine ; enfin lorsqu'il est pensionné à l'âge voulu par la loi, c'est-à-dire à 55 ans pour la très grande majorité, il aurait pu continuer à remplir son emploi pendant 15 ans encore s'il avait été fonctionnaire civil.

Pourquoi donc y aurait-il deux manières de récompenser les services rendus au pays, pourquoi donner lieu de croire que la carrière militaire est en moindre estime que celle des emplois civils ? N'oublions pas, messieurs, que l'enjeu du soldat est celui que l'on regarde généralement comme le plus gros de tous les enjeux, la vie. Des discussions toutes récentes l'ont prouvé une fois de plus.

Je crois également que tout officier doit être pensionné à l'heure même où il atteint l'âge fatal : en le prolongeant en activité, on fait nécessairement tort à celui qui doit le remplacer et que l'on met ainsi, quelquefois, hors d'état d'arriver à obtenir les dix années de grade exigées pour avoir droit au maximum de la pension.

Cette dernière condition exigée par la loi, est-elle rationnelle, est-elle équitable ? Certes non. Comment donc, il suffirait, pour perdre l'avantage attribué aux dix années d'exercice du même grade, d'avoir quitté ce grade quelques jours seulement avant le terme voulu ! Il semblerait beaucoup plus juste de partager en dix la majoration que reçoit la pension après dix ans de grade et d'en donner un dixième pour chaque année d'exercice dans ce grade : avec cette restriction, toutefois, si elle paraît nécessaire, que le pensionné n'aura droit à ces dixièmes qu'après un minimum d'années d'exercice de son grade. La loi déterminerait ce minimum.

La publication de la loi qui règle l'avancement dans l'armée a donné lieu à des mécontentements que je regarde comme fondés.

L'abus du choix dans l'avancement a été si grand depuis quelques années que le découragement s'est emparé d'un grand nombre d'officiers dont le cœur est trop haut placé pour solliciter ou faire solliciter en leur faveur ; maintenant on est arrivé généralement au point de croire que si l'ancienneté seule réglait l'avancement, le moral de l'armée y gagnerait,, ainsi que la discipline et l'esprit de camaraderie, sans lequel la meilleure armée ne peut vivre.

Et cette manière de voir s'explique et se comprend facilement. Combien n'est-il pas difficile de porter un jugement impartial, entre deux officiers d'un mérite à peu près égal ? Le ministre, le plus souvent, ne les connaît pas assez pour qu'il s'en rapporte à son appréciation ; il demande des renseignements aux chefs de corps, qui n'ont pas tous la même manière de juger le mérite militaire ; les uns ne prisent que les services du soldat proprement dits, les autres ne voient que les connaissances théoriques.

Il y a des officiers qui ne négligent aucune occasion de se mettre en évidence ; d'autres, d'un caractère plus modeste, plus élevé, plus soldat, consacrent tout leur temps à l'accomplissement de leurs devoirs et s'en remettent, pour leur avancement, à l'équité de leurs supérieurs.

Et puis, messieurs, les renseignements fournis par les chefs doivent encore passer par les bureaux du ministère. Il y a donc une vaste carrière ouverte ou à l'erreur ou à l'injustice, une cause sérieuse de découragement.

Que deviennent, après avoir été dépassés, les officiers qui se sentent une valeur réelle ? Je ne crains pas de dire qu'ils sont perdus pour l'armée, dans laquelle ils ne restent que si la nécessité les y oblige.

Le choix peut, cependant, être admis dans certains cas ; c'est lorsqu'il porte sur une personnalité tellement hors ligne qu'elle laisse loin derrière elle tous les concurrents ; c'est lorsqu'il favorise un homme dont les travaux sont plus utiles au pays qu'à lui-même. Dans ce cas, il ne s'élèvera aucune réclamation ; l'heureux sera accueilli par ses camarades aussi bien que s'il n'était parvenu qu'en suivant la filière hiérarchique. Il est dans le cœur du vrai soldat un sentiment de justice qui parle beaucoup plus haut que l'intérêt personnel.

Je le répète, dans de telles conditions, le choix est acceptable ; mais il existe beaucoup moins de génies transcendants que, sans doute pour flatter notre autour-propre national, on a cherché aie faire croire depuis quelque temps, et, franchement, je ne sais s'il faut beaucoup s'en plaindre.

(page 607) Il est encore un point sur lequel je crois devoir appeler l'attention de l'honorable ministre de la guerre.

Il s'agit des nominations qui se font parfois en nombre très considérable dans un même arrêté, ou dans des arrêtés d'une date très rapprochée. L'organisation de l'armée et les arrêtés royaux qui s'y rapportent prescrivent le nombre des officiers de chaque corps et désignent leur grade. Il me semble qu'autant que possible, et ce sera presque toujours, tous les postes doivent être remplis, dans chaque grade, et qu'un officier venant à manquer, il faut le remplacer immédiatement ; autrement dit, une vacance, une nomination.

Cette manière de faire me paraît être juste et constituer, pour ainsi dire, un droit pour le corps d'officiers ; agir autrement, c'est donner à entendre que l'organisation renferme des inutilités qu'il faut supprimer.

En suivant cette marche, le département de la guerre se soustrairait en même temps à bien des sollicitations auxquelles je comprends qu'il lui est souvent difficile de résister ; il prouverait, en outre qu'il est en mesure de pourvoir, sans retard, aux vacances qui se produisent.

L'examen de l'article de l'annuaire militaire (page 30) qui concerne l’état-major conduit à cette réflexion que ce corps est beaucoup trop nombreux pour qu'on puisse l'employer aux fonctions qui lui sont dévolues d'après sa spécialité. En effet, je trouve que la moitié seulement des officiers remplissent les fonctions assignées à leur arme.

Il me semble qu'il y a des modifications à apporter à cet état de choses.

Je regrette, messieurs, que le rapport exigé par la loi du 8 mai 1861 ne fournisse pas plus que ceux des années précédentes, les indications propres à renseigner la Chambre sur les progrès d'avancement de la transformation de notre artillerie ; ce qui reste encore du crédit de 15 millions n'est pas même mentionné, et tout le document est tellement vague, que les initiés seuls peuvent avoir la prétention de le comprendre ; cependant, je ne pense pas que ce soit pour leur usage qu'il ait été rédigé.

Ne serait-il pas possible, convenable même, de renseigner la Chambre et de lui prouver qu'elle n'a pas commis une imprudence en accordant son vote de confiance de 1861 ?

Je ne pense pas, messieurs, que l'on veuille faire revivre le secret d'Etat, dont la mode a passé. Nos voisins du Midi ont publié un petit aide mémoire, comprenant tout leur matériel ; ne pourrions-nous les imiter sans compromettre la sûreté du pays ?

Nous avons dévoilé aux curieux de l'univers entier tous les secrets des fortifications d'Anvers ; y aurait-il plus d'inconvénient à faire savoir ce que nous avons en artillerie ? Si l'on a cru faire entendre des paroles patriotiques en disant qu'Anvers était imprenable, ou à peu près, serait-il imprudent ou impolitique de proclamer bien haut la force et la nature de notre artillerie ? Sans elle, on le sait, des fortifications, quelque formidables qu'on les ait faites, ne sont qu'une masse inerte et sans valeur.

On a reproché aux organisateurs de notre artillerie d'agir dans le vague et d'en être encore aux essais pour bien des choses ; la meilleure manière de répondre à cette accusation, est de produire un petit traité dont quelques profanes prendront peut-être connaissance, mais qui, bien certainement, sera d'un grand secours à tous les officiers d'artillerie, privés jusqu'à présent d'un document officiel concernant leur arme.

En définitive, je crois, messieurs, que la Chambre a le droit de réclamer des comptes rendus qui rendent réellement compte de quelque chose ; les exiger même me semble pour elle un devoir.

Pourquoi, en effet, refuserait-on de lui faire connaître le nombre des bouches à feu et des votlures fabriquées avec le crédit de 15 millions, leur prix de revient, par pièce et par espèce ?

En quatre lignes, la Chambre pourrait être mieux renseignée qu'elle ne l'est par les deux pages qui lui sont délivrées chaque année.

Depuis quelques années on a créé, en dehors de l'organisation de 1853, un nouveau grade, celui de capitaine de troisième classe ; je prie l'honorable ministre de la guerre d'examiner, lors de la réorganisation de l'armée, si le grade de capitaine de troisième classe a sa raison d'être ; on comprend que le grade de capitaine de deuxième classe existe, il est une espèce de stage pendant lequel l'officier peut montrer son aptitude au commandement déjà important d'une compagnie. Mais le capitaine de troisième classe qu'est-il de plus que le lieutenant ? Pourquoi, en poursuivant cette création, ne pas faire des capitaines de 7 classes différentes dont la dernière remplacerait les caporaux ? Si l'on s'arrêtait aux sous-lieutenants, ils deviendraient capitaines de quatrième classe.

Il est bien entendu que les capitaines de troisième classe existant aujourd'hui resteraient dans leur position, mais il n'en serait plus nommé à l'avenir.

Je pense qu'on ferait bien en rétablissant ce qui existait, il y a peu d'années encore ; les capitaines de deuxième classe faisaient, dans l'annuaire, une catégorie séparée des capitaines de première classe ; aujourd'hui cela n'existe que pour les armes autres que l'infanterie et l'état-major, dont les capitaines sont revêtus de plus ou moins d'étoiles suivant leur classe et leur état civil.

Dans l'annuaire encore ; la date de la nomination au grade de capitaine de troisième classe d'infanterie et d'état-major est celle qui accompagne l'officier aussi longtemps qu'il n'obtient pas le grade de major, et ce grade de capitaine de troisième classe n'existe cependant pas dans l'organisation.

Dans les autres armes, cette date change au moins pour la première classe. N'existe-t-il pas une anomalie assez étrange dans cette annotation ? Supposons, en effet, deux capitaines de deuxième classe, l'un d'infanterie, l'autre du génie ; le premier a reçu son grade en 1862, le second en 1859 ; ce dernier doit avoir le pas sur l'autre.

Mais il arrive qu'en 1863 le capitaine du génie est promu à la première classe de son grade ; d'après le système adopté, l'annuaire ne mentionnera plus que la dernière date de 1863 pour le capitaine du génie, qui deviendra ainsi moins ancien capitaine que l'autre. Faut-il laisser subsister cet état de choses ? Je n'en vois pas la raison.

Messieurs, les observations que notre honorable collègue, M. Vleminckx, a faites sur les réponses du département de la guerre aux questions que la section centrale lui avait adressées, me dispensent de présenter celles que j'avais préparées. Le département de la guerre ayant annoncé, dans sa première réponse, qu'il présentera une demande de crédit supplémentaire pour dépenses extraordinaires, faites en 1866, en dehors des prévisions du budget, j'espère que cette demande fera connaître la nature de ces dépenses et je réserve pour lors, les observations que je croirai devoir présenter à la Chambre.

Messieurs, lors de la discussion de l'adresse, la députation anversoise exprimait l'espoir de voir le futur ministre de la guerre parvenir à concilier la sécurité d'Anvers avec les nécessités de la défense nationale.

Depuis, l'honorable général Goethals a été appelé à la tête du département de la guerre ; son caractère loyal et conciliant est de nature à confirmer ces espérances.

Je comprends qu'à peine entré en fonctions, il ne lui a pas été possible d'étudier la question d'Anvers dans ses détails et de s'arrêter à une solution qui satisfasse à la fois les intérêts civils, commerciaux et militaires ; je recommande particulièrement cet objet à sa sollicitude, persuadé qu'il continuera à l'examiner avec le désir d'aboutir.

En terminant, messieurs, je crois devoir faire la déclaration suivante :

Depuis le peu de temps que l'honorable ministre dirige le département de la guerre, il a dû lui être impossible de porter remède à tous les abus qui s'y sont glissés : je dirai même qu'il n'a pu les connaître tous. Les observations que je viens de formuler sont donc plutôt faites dans le but d'attirer son attention, que de critiquer un état de choses dont la responsabilité ne peut légitimement lui être attribuée.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, je ne puis partager l'avis émis par deux honorables préopinants que la nomination d'une commission chargée de réorganiser l'armée nous dispense d'examiner le budget de la guerre et nous oblige à le voter en quelque sorte en aveugles et sans le discuter. Je pense, au contraire, que la nomination de cette commission, préjugeant des questions qui, d'après l'article 27 de la Constitution, appartiennent exclusivement à l'initiative de cette Chambre, nous oblige plutôt à exprimer notre opinion sur ces questions d'une manière nette et catégorique, afin de ne laisser place à aucune équivoque ou fausse interprétation.

Dans la discussion des budgets précédents, je me suis attaché, messieurs, à vous démontrer que l'organisation de l'armée, telle qu'elle existe depuis 1853, ou plutôt les dépenses qu'elle nécessite attaque, jusque dans leur source, les forces économiques du pays.

Aujourd'hui je vais examiner la question au point de vue de nos relations internationales. Je me réserve, lors de la présentation du projet d'organisation qui nous est promis, de vous démontrer que, comme organisation de forces physiques, les armées permanentes sont un obstacle permanent aussi aux progrès incessants qui se réalisent dans cette branche de l'activité humaines comme dans toutes les autres, de telle sorte que de tout temps il est arrivé et il arrivera toujours que les armées le plus anciennement, les plus fortement organisées ont été et (page 608) seront toujours vaincues par des armées nouvelles et jeunes qui ont pu s'approprier dans le moment même les inventions nouvelles et les progrès réalisés dans l'industrie et les autres branches des connaissances humaines.

Quelle est notre position dans l'organisation de l'Europe ?

Nous sommes une nation perpétuellement neutre. Cette neutralité nous est garantie par les cinq grandes puissances qui ont pris part aux conférences de Londres.

Par réciprocité, nous devons observer cette neutralité envers toutes les nations.

Quels sont les devoirs des neutres ? C'est ce que je me propose d'examiner aujourd'hui. Il y a, messieurs, deux sortes de neutralité.

Lorsque des hostilités s'engagent entre deux nations étrangères, le gouvernement, par une proclamation, déclare qu'il entend conserver sa neutralité et il engage tous les citoyens à l'observer. Il se rend par là responsable vis-à-vis des belligérants de toute infraction à cette proclamation.

C'est ce qui est arrivé il y a peu d'années lorsque la guerre a éclaté entre les deux sections des Etats-Unis, les Etats du Sud et les Etats du Nord, et plus récemment encore lorsque la guerre a désolé l'Allemagne. L'Angleterre, la France et les autres puissances qui n'étaient pas engagées dans le conflit ont proclamé leur neutralité et ont engagé tous leurs citoyens à observer cette neutralité, les avertissant des dangers auxquels ils s'exposaient s'ils enfreignaient celle neutralité.

Ce genre de neutralité comporte des devoirs parfaitement clairs et définis dans les ouvrages qui traitent de ces questions, bien qu'elles aient été sujettes, comme beaucoup d'autres, à des interprétations diverses.

Ainsi, dans la dernière guerre des Etats-Unis, des citoyens anglais ayant été accusés d'avoir armé des corsaires, leur gouvernement est encore actuellement en discussion à ce sujet avec celui des Etats-Unis qui prétend que l'Angleterre, comme nation, est responsable des dégâts que les corsaires armés sur son territoire ont occasionnés à leur commerce et à leur marine.

Cela vous démontre, messieurs, que la responsabilité des neutres est très sérieuse même lorsque la neutralité est volontaire et qu'elle dérive de la déclaration spontanée du gouvernement.

Notre neutralité, messieurs, quoiqu'elle n'appartienne pas à cette catégorie, est-elle moins précise et moins sérieuse ? Nous sommes neutres de par nos engagements vis-à-vis de l'Europe. Cette neutralité est une des conditions imposées à la reconnaissance de notre indépendance nationale par les autres nations.

Je vais rechercher quels sont les devoirs que cette neutralité nous impose.

A cet égard, messieurs, je pense qu'un court examen des faits et des textes ne sera pas inutile.

Vous savez tous, messieurs, qu'au mois d'octobre 1830, lorsque le gouvernement du roi Guillaume Ier avait été expulsé avec ses armées de ce pays, il eut recours aux puissances garantes des traités de 1815, qui formaient alors encore la Sainte-Alliance, afin d'être réintégré dans son autorité sur les provinces méridionales qu'il qualifiait d'insurgées.

Les représentants de ces puissances se réunirent à Londres et, après un examen sérieux des faits, ils déclarèrent que la situation leur paraissait telle, qu'il était impossible de songer désormais à réunir sous le même gouvernement les provinces méridionales et les provinces septentrionales des Pays-Bas, et dès le mois d'octobre de l'année 1830, c'est-à-dire très peu de jours après les journées de Bruxelles et d'Anvers, ils formulèrent un projet de séparation entre les deux parties du pays, dans lequel ils disaient, article 5 du protocole n°11 : « La Belgique, dans les limites telles qu'elles seront tracées d'après les bases indiquées dans les articles 1, 2 et 4 du présent protocole, formera un Etat perpétuellement neutre. »

De sorte que, dès le premier pas fait dans la voie de notre reconnaissance, les puissances indiquaient notre neutralité perpétuelle comme la condition essentielle de notre indépendance.

Ils ajoutaient :

« Les cinq puissances lui garantissent cette neutralité perpétuelle ainsi que l'intégralité et l'inviolabilité de son territoire dans les limites ci-dessus. »

Le roi Guillaume Ier ne voulut pas accepter ces propositions. De longues négociations furent entamées dans lesquelles le gouvernement provisoire d'abord, le régent ensuite, et le roi Léopold Ier subséquemment ont dû déployer successivement toute leur énergie et tout leur talent diplomatique.

Un peu plus tard, par suite de ces négociations, les représentants des cinq puissances ayant entendu les réclamations et les raisons des deux parties en cause, formulèrent des propositions plus précises, et parmi celles mentionnées dans le protocole n° 2, se trouve entre autres celle-ci :

« Le port d'Anvers, conformément aux stipulations de l'article 15 du traité de Paris du 30 mai 1814 ,continuera d'être uniquement un port de commerce. »

Quel est cet article 15 du traité de Paris auquel on se rapporte ? Il est ainsi conçu :

« Dorénavant le port d'Anvers sera uniquement un port de commerce.»

Sur quels principes se basaient les représentants des puissances pour nous imposer ces conditions ?

Voici ce que. je lis dans le protocole au n°8 :

« Occupées à maintenir la paix générale, les cinq puissances... que de lui assigner (à la Belgique) dans le système européen une place inoffensive, que de lui offrir une existence qui garantit à la fois son propre bonheur et la sécurité des autres Etats. »

Ceci est du 27 janvier 1831,

Ainsi donc, le but que les puissances avaient en vue en nous proposant de nous reconnaître comme Etat indépendant, c'était de nous donner par la neutralité les moyens de nous assurer une place inoffensive qui nous permît de prendre, sans préoccupation intérieure, tout notre développement national et qui assurât, en même temps, la sécurité de tous nos voisins.

Le roi Guillaume continuant à ne pas accepter la proposition des cinq puissances, le gouvernement provisoire, d'un autre côté, pas plus que le Congrès, n'étant très disposé à accepter certaines des conditions qui nous étaient proposées, les représentants des cinq puissances formulèrent un traité qui est mieux connu sous le nom de Traité des dix-huit articles, en date du 27 janvier 1831.

Par cette convention les puissances voulaient mettre un terme aux chances de guerre ou de rupture de l'armistice qu'elles avaient imposé aux deux parties. Dans ce traité des 18 articles qui fut déclaré irrévocable, auquel aucune dos deux parties ne pouvait plus porter d'amendement, voici ce que stipule l'art. 6 :

« La Belgique, dans ses limites telles qu'elles seront tracées, etc., formera un Etat perpétuellement neutre. Les cinq puissances lui garantissent cette neutralité ainsi que l'intégrité et l'inviolabilité de son territoire. »

L'article 8 stipule de nouveau que le port d'Anvers, conformément à l'article 15 du traité de Paris, continuera à être uniquement un port de commerce.

Maintenant pour expliquer le sens des négociations qui eurent lieu entre les diverses parties pour l'adoption de ces 18 articles, la conférence indique de nouveau, dans le protocole du 19 février 1831, quels étaient les principes qui l'avaient guidée dans ces stipulations.

« Chaque nation a ses droits particuliers. Mais l'Europe aussi a son droit, c'est l'ordre social qui le lui a donné.....En conséquence, les plénipotentiaires des cinq cours déclarent... 1°..., 2°..., 3° que le principe de la neutralité et de l'inviolabilité du territoire belge dans les limites indiquées, reste en vigueur et est obligatoire pour les cinq puissances. »

J'abrège de beaucoup cet examen des faits et des textes quelque intéressants qu'ils soient ; ceux que je viens de citer suffisent pour indiquer quelle est la suite des idées qui ont présidé à la reconnaissance de notre indépendance par les puissances. Elles ont voulu établir de la façon la plus nette, la plus précise, non seulement notre droit à la neutralité, mais encore l'obligation pour l'Europe de nous la conserver, et de nous la garantir à perpétuité.

Dans le courant de la même année, lorsque la couronne fut offerte au prince Léopold de Saxe-Cobourg, celui-ci mit pour condition expresse de son acceptation l'adoption par le Congrès des 18 articles, dont je viens donner les articles relatifs à notre neutralité.

Le Congrès, après une longue et mémorable discussion, accepta ces articles qui devinrent ainsi le lien formel entre la Belgique et l'Europe.

Jusqu'alors les stipulations n'avaient été que des propositions acceptées conditionnellement ou provisoirement, tandis que les 18 articles du 26 juin 1831 qui reproduisent, à quelques nuances près, les stipulations que je vous ai cités tantôt, devinrent, par la ratification de (page 609) notre gouvernement, suivie de cette des puissances, un traité définitif qui nous liait vis-à-vis de l'Europe comme l'Europe se trouvait liée vis-à-vis de nous. La seule modification aux propositions antérieures que, j'ai citées était contenue dans l'article 10, ainsi conçu :

« Par une juste réciprocité, la Belgique sera tenue d'observer cette même neutralité envers tous les autres Etats. »

Cette stipulation fut insérée dans le traité, parce que les représentants des trois puissances du Nord faisaient remarquer que la Belgique pouvant ne se considérer neutre que vis à-vis des cinq grandes puissances, elle aurait pu rompre l'armistice avec la Hollande et commencer les hostilités contre ce pays, si elle n'avait pas obtenu satisfaction contre lui dans un temps donné. C'est pour couper court à cette interprétation et mieux assurer la paix que cette clause fui insérée dans le traité soumis à l'acceptation du nouveau gouvernement belge.

Cependant, messieurs, malgré l'acceptation par la Belgique du traité du 20 juin 1831, le gouvernement hollandais persistait à ne pas accepter les 18 articles. De longues négociations s'ensuivirent ; elles aboutirent enfin au traité du 13 octobre 1831, appelé le traité des 24 articles.

Dans le traité, les mêmes stipulations relatives à notre neutralité et à nos devoirs de neutres se trouvent exactement reproduites. On n'y a modifie que quelques dispositions relatives aux dettes et à d'autres détails peu importants.

Enfin, messieurs, lors du traité définitif accepté par la Hollande, le 27 avril 1839, les mêmes stipulations ont été reproduites sans aucune modification, de telle sorte que l'engagement contracté entre l'Europe et la Belgique comme entre la Belgique et la Hollande est celui-ci :

La Belgique forme un Etat perpétuellement neutre ; elle est obligée de maintenir cette neutralité envers toutes les nations ; enfin le port d'Anvers doit servir uniquement aux opérations du commerce.

Messieurs, que découle-t-il de-ces stipulations à l'égard de notre organisation militaire ?

Vous avez vu tantôt combien strictes étaient les obligations des neutres volontaires.

Vous avez vu que les Etats-Unis, entre autres, prétendent rendre l'Angleterre responsable des armements clandestins qui se sont faits dans ses ports, sous prétexte de commerce, et qui ont produit l’Alabama, la Florida et autres corsaires qui ont occasionné des dommages énormes à leur commerce et à leur marine.

Pour nous, non seulement nous avons ces mêmes obligations, c'est-à-dire que nous ne pouvons rien faire qui puisse, en cas de guerre entre les nations étrangères, nuire ou influer sur l'issue de la lutte ; mais nous avons en plus la garantie, et nous avons le droit de la réclamer de l'Europe que celle neutralité nous sera assurée par l'action positive des puissances...

M. Bouvierµ. - Et si l'on nous attaque, est-ce que nous resterons les bras croisés ? Je demande la parole.

M. le Hardy de Beaulieuµ. - Si vous voulez bien me le permettre, j'arriverai tout à l'heure à ce point et vous pourrez me répondre. Mais puisque l'honorable M. Bouvier m'en donne l'occasion immédiate, je vais lui répondre par des faits plutôt que par des paroles. Les faits en effet ont déjà répondu à la question posée par l'honorable membre.

Nous avons été attaqués en 1831. Le 4 août, l'armée hollandaise a franchi nos frontières et a envahi le territoire qui nous était garanti par l'Europe.

Qu'a fait la diplomatie belge ? Qu'ont fait les puissances garantes de notre indépendance et de notre neutralité ?

La diplomatie belge s'est immédiatement adressée aux puissances garantes, lesquelles, sans tarder et sans hésiter, ont appuyé par leurs armes la garantie qu'elle nous avaient donnée. L'Angleterre a mis l'embargo sur les navires hollandais et le blocus devant les ports de la Hollande. L'armée française a pénétré en Belgique et a repoussé les envahisseurs.

En 1832, le gouvernement hollandais persistant à refuser de sortir du territoire qui nous était assigné, et détenant encore la citadelle d'Anvers, de nouveau les deux puissances que je viens de citer sont entrées en action, une armée française est entrée (notez bien ceci) sur notre territoire, et la diplomatie n'a pas permis à notre armée impatiente de prendre aucune part à l'exécution, et cela pour rester dans les termes précis des traités qui garantissent notre neutralité.

La citadelle d'Anvers, après 23 jours de tranchée ouverte, a été évacuée et cette clef de l'Escaut remise entre nos mains. Tels ont été les actes posés en vertu des traités dont j'invoque la teneur et la protection pour mon pays.

Voilà, je crois, une réponse suffisante au cas que vient de poser l'honorable M. Bouvier.

Mais, messieurs, pour être attaqué, il faut avoir des ennemis. Pour avoir des ennemis, il faut que certaines nations ou que certains gouvernements soient amenés à croire que notre existence nationale est contraire à leurs intérêts ou à leur propre sûreté ou indépendance. Voilà le seul cas, je pense, qui puisse nous mettre dans le cas d'être attaqués par une puissance étrangère.

M. Bouvierµ. - Vous oubliez ce qui s'est passé en Allemagne.

M. Coomansµ. - Le Hanovre s'est perdu parce qu'il s'est trop battu, et le Danemark aussi.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Veuillez attendre, chaque chose viendra à son temps.

Voici dans quelles circonstances nous pourrions nous trouver menacés. C'est dans ces circonstances où, prenant une attitude hostile, une attitude forte, une attitude intervenante, nous pourrions être soupçonnés par une puissance en hostilité avec une autre, de vouloir, à un moment donné, prendre part à la lutte. Ce n'est absolument que dans le cas qu'une puissance quelconque puisse avoir à craindre que nos armements ne menacent ses intérêts et ne puissent leur devenir hostiles.

Or, messieurs, je vous le demande, la création d'un grand état militaire, dans un pays qui est déclaré neutre, qui a accepté cette neutralité, dont la neutralité et l'indépendance sont garanties par toutes les puissances de l'Europe, n'est-il pas le seul fait qui puisse amener l'une ou l'autre de ces puissances à nous craindre, et, par conséquent, à nous devenir hostile ? Il suffit de poser la question pour la résoudre.

Quant à ce qui s'est passé dans le courant de ces dernières années en Allemagne, je suis tout prêt à l'examiner, et vous allez voir dans quel sens ; les faits vont parler.

Le Danemark n’était pas tenu, comme nous le sommes, à aucune des obligations des neutres. Le Danemark n'était pas une puissance neutre. Le Danemark avait le droit, d'après les traités, d'avoir des flottes, des armées et les alliances qui lui convenaient, d'user, en un mot, de toute son indépendance.

Une partie des populations des provinces anciennement annexées, entraînée, soit par ses souvenirs, soit aussi par quelques intrigues souterraines, se déclara disposée à se soustraire à la constitution unitaire que le gouvernement danois voulait leur imposer, pour se soumettre au duc d'Augustenbourg.

Vous savez comment feu la Confédération germanique est intervenue dans le Holstein, qui appartenait à l'Allemagne confédérée. Le gouvernement du Danemark n'a mis aucun obstacle à cette intervention, qui s'est arrêtée aux frontières du Schleswig, qui jamais n'avait fait partie du territoire germanique.

Le Danemark, entraîné sans doute par l'idée qu'il n'était pas sérieusement attaqué et que l'Europe interviendrait, a cru pouvoir entrer en lutte avec la Prusse et l'Autriche alliées.

Eh bien, messieurs, le seul titre que la Prusse invoque aujourd'hui, et qu'elle puisse invoquer pour justifier la conquête du Schleswig, c'est précisément et uniquement la lutte que l'armée danoise a soutenue contre elle, et sans le siège de Duffel et sans la résistance d'Alsen, jamais la Prusse n'aurait, en face de l'Europe civilisée, osé envahir et retenir le Schleswig. C'est parce que le Danemark a voulu résister et a accepté une lutte inégale qu'il a donné un prétexte à la conquête et l'a en quelque sorte justifiée. Quel est encore le titre, l’unique titre invoqué par le roi de Prusse pour retenir le Hanovre ? C'est la lutte, c'est cette petite escarmouche ou bataille dont je ne me rappelle plus le nom et où l'armée hanovrienne, personne ne le contestera, s'est parfaitement conduite.

Mais c'est précisément cette résistance qui sert de base à la conquête du Hanovre. La Prusse n'a jusqu'aujourd'hui aucun autre titre à invoquer, elle n'en invoque pas d'autre.

Opposons à ces exemples qu'on a cherché à m'opposer d'autres cas d'une nature différente. II y a en Europe plusieurs petites principautés ou républiques sans aucune force militaire et qui sont environnées des puissances les plus annexionnistes peut-être de l'Europe.

Je citerai San Marino en Italie, Monaco entre l'Italie et la France, la vallée d'Andorre entre la France et l'Espagne ; voilà des nationalités qui, si les idées annexionnistes, qui sont pour nous le prétexte de dépenses considérables, existaient, devraient certainement être annexées depuis très longtemps. Mais, je le répète, quand vous ne donnez pas vous-mêmes de prétexte à l'annexion, quand vous ne vous créez pas (page 610) d'ennemis, quand vous ne créez par des intérêts contraires à notre existence nationale, quand, au contraire, vous créez des intérêts qui favorisent cette existence, et qui en ont besoin, alors vous échappez nécessairement à toutes les idées d'annexion qui peuvent naître dans certains esprits.

Messieurs, la Belgique est-elle nécessaire à l'organisation de l'Europe, ou y est-elle nuisible ? Voilà la question que nous devons examiner. Si la Belgique, car je ne veux pas même employer le mot nécessaire, si la Belgique est seulement utile à l'organisation de l'Europe, cette utilité seule est une garantie suffisante que la Belgique ne sera ni attaquée ni annexée. Si, au contraire, son existence portait atteinte ou était une menace indirecte aux grands intérêts qui président à l'organisation européenne, tout ce qu'elle pourrait faire n'empêcherait pas que ces intérêts ne l'absorbent et ne la fassent disparaître.

Messieurs, je comprendrais qu'il se passât quelque chose dans le sens d'un désir d'annexion à l'égard de la Belgique, dans deux cas : ou bien qu'un parti se formât dans noire pays, qui désirât la fin de l'état de choses actuel et l'annexion à une nation étrangère, c'est ce qui a eu lieu dans une partie du Danemark. Depuis 1813, toute la nation allemande, tous les Allemands à quelque dénomination qu'ils appartinssent, holstenois, hambourgeois, prussiens, bavarois ou autrichiens, tous désiraient l'unité allemande, c'est-à-dire, l'annexion les uns aux autres de tous les territoires allemands.

Depuis la libération de l'Allemagne du joug du premier empire, cette grande pensée a constamment dirigé les aspirations vers la constitution de la patrie allemande ; en est-il de même ici ? Y a-t-il chez nous, je ne dirai pas un parti, je ne dirai pas une coterie, mais même un individu isolé, même parmi les nombreux étrangers qui habitent le pays, y en a-t-il un seul qui songe à une annexion quelconque ?

Nous sommes contents, nous sommes heureux et nous ne demandons qu'à rester dans la situation où nous sommes. Donc à quoi bon nous créer volontairement, sans que nous y soyons forcés, sans que rien nous y convie, nous créer, dis-je, le seul instrument qui puisse motiver de la part d'une nation quelconque une appréhension vraie ou simulée de notre puissance intervenant dans les luttes où elle pourrait s'engager ?

Si donc nous rencontrions des intérêts hostiles ou contraires chez nos voisins, c'est que nous les aurions créés nous-mêmes par l'organisation de forces militaires dont nous pourrions disposer dans certaines éventualités données.

Messieurs, les nations comme les individus ont un rôle à jouer dans le monde. Lorsqu'elles remplissent exactement et fidèlement ce rôle, elles grandissent ; lorsque au contraire elles le négligent, elles doivent périr, car elles sont dès lors inutiles. Quel est le rôle de la Belgique dans le monde et quels sont par conséquent ses devoirs ?

Jusqu’en 1848, la Belgique était, sans conteste, à la tête de la civilisation de l'Europe.

Tous les peuples tournaient leurs regards vers elle. On disait : libre comme en Belgique ; bien gouverné comme en Belgique ; peu imposé comme en Belgique.

Les peuples considéraient le gouvernement belge comme le modèle des gouvernements.

Cette opinion des peuples nous indique, messieurs, ce que nous avons encore à faire.

Tant que les nations tourneront vers nous leurs regards pour chercher chez nous des exemples et nous présenter comme les modèles à suivre à leurs gouvernements, soyons sans inquiétude. Les gouvernements même hostiles ne pourront pas nous nuire parce que nous aurons notre appui au sein de leurs propres peuples. Il y a une opinion publique avec laquelle tous les gouvernements, quels qu'ils soient, doivent compter et comptent en réalité. Là est notre garantie plus encore que dans les traités.

Notre devoir, messieurs, est de poursuivre la tâche commencée par nos devanciers, de perfectionner sans cesse nos institutions, de diminuer les charges publiques, surtout d'enlever aux classes les plus nombreuses de la société cette charge écrasante qu'elles portent à elles seules, c'est-à-dire : le fardeau de notre organisation militaire.

En réduisant ce fardeau à ce qui est strictement indispensable, je vous l'ai démontré dans la discussion des budgets précédents, vous enlèverez une des causes les plus persistantes et les plus agissantes qui produisent chez nous le paupérisme, et vous rentrerez dans la voie qui vous a été tracée d'un gouvernement simple, facile et à bon marché, qui permet à toutes les classes de la société de prospérer, de grandir, sans avoir besoin de se prémunir contre des dangers imaginaires.

Messieurs, est-ce que cela implique forcément l'idée qu'il faille mettre tous nos fusils, tous nos sabres, toutes nos baïonnettes sous la forge et les transformer en charrues ?

M. Dumortierµ. - En rails.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je dois le dire, je \eux rester dans les idées pratiques. Je dis donc que nous devons garder, non parce que nous en aurons besoin, mais pour consacrer à la nation celle confiance morale, qui fait naître la sécurité, une organisation qui nous permette, dans certaines éventualités qui peuvent encore se présenter, de résistera des attaques qui, dans l’état actuel de l'Europe, ne sont pas tout à fait impossibles. Cette organisation ne peut nous compromettre en aucune façon vis-à-vis des autres nations, pas plus que je ne suis compromis vis-à-vis de mon voisin en fermant ma porte à clef.

D'après moi, l'Europe n'est pas encore arrivée à ce degré de civilisation qui permettra aux peuples d'empêcher les mauvais gouvernements de les entraîner dans des entreprises téméraires ou hasardeuses, car, messieurs, je vous prie de remarquer que ce ne sont pas les peuples, mais les gouvernements seuls qui tentent ces entreprises. Les peuples n'ont pas besoin de conquêtes ; s'ils étaient consultés, ils sauraient toujours empêcher ces grandes boucheries, dont seuls ils fournissent les victimes. Mais comme tous les gouvernements ne sont pas encore soumis au contrôle des nations, il est évident que nous ne pouvons pas prétendre que l'un ou l'autre ne commencera pas une guerre, même injuste, même impolitique, même désastreuse pour celui qui l'entreprend.

J'aurai l'honneur de démontrer, lorsque le projet d'organisation militaire nous sera soumis, qu'il est possible de mettre la nation, sans dépenses excessives ou au moins sans dépenser plus de la moitié de ce que nous dépensons aujourd'hui, à même d'être prête en toute circonstance à repousser une agression injuste, avec plus de succès qu'en nous épuisant en armements et en dépenses inutiles.

En résumé, voici donc notre position vis-à-vis de l'Europe :

Obligation pour nous d'être neutres en toute circonstance et vis-à-vis de toutes les nations.

Garantie de cette neutralité par les grandes puissances européennes.

Obligation pour nous de ne faire servir le port d'Anvers qu'aux opérations de commerce.

Devoir pour nous d'être en quelque sorte toujours à la tète de la civilisation.

Devoir pour nous de perfectionner nos institutions, de réduire sans cesse les charges qui pèsent sur les populations et qui sont un obstacle à ses progrès.

En suivant cette voie, nous sommes certains de ne pas nous tromper, nous ne nous créerons pas d'ennemis ; et par conséquent nous ne serons jamais exposés à des envahissements motivés même sous des prétextes plus ou moins spéciaux.

De plus par la prospérité générale qui se répandra dans toutes les classes de la population, nous serons cités de plus en plus comme des modèles à suivre et nous démontrerons, par notre fait, que ce n'est pas la guerre et la conquête, mais bien la paix et le travail qui fout la prospérité et le bonheur des nations.

M. Bouvierµ. - Messieurs, vous venez d'entendre un discours dont le commencement ne justifie en aucune façon la fin.

En effet, au début de son discours, l'honorable membre nous a dit ; l'organisation de l'armée et les dépenses qu'elle nécessite, attaquent les forces économiques du pays.

Je croyais, messieurs, qu'en présence de renonciation de cette formule économique l'honorable membre allait conclure à la suppression totale de l'armée.

Et quel n'a pas été mon étonnement lorsque l'honorable membre, en finissant son discours vous a dit : Je crains la commission organisatrice, je la crains parce qu'elle élèvera nos dépenses militaires. Avec la moitié de ce que nous dépensons aujourd'hui nous pouvons être assez forts pour maintenir notre neutralité garantie par les grandes puissances.

Ainsi, avec la moitié de la. dépense actuelle, l'honorable orateur est satisfait. Mais alors je me demande ce qu'il fait de son principe économique qu'il sape dans sa base.

L'année dernière, l'honorable membre ne demandait pas la suppression de la moitié de la dépense, il était plus large ; il disait : Du moment que vous ne demandez que 25 millions, je vous les accorde. Mais, encore une fois, que devient alors le principe économique de l'honorable membre en présence d'une pareille prodigalité des deniers publics ? De deux choses l'une : ou son principe économique est vrai, et alors il faut qu'il conclue d'une manière logique, c'est-à-dire à la suppression de nos force défensives ; on bien il est faux. Dans cette dernière hypothèse, il faut (page 611) nécessairement que l'argent que nous avons voté et que nous voterons encore puisse satisfaire d'une manière complète à ce que moi j'appelle la force défensive du pays ; sinon, c'est de l'argent inutilement dépensé. S'il nous faut une armée, et c'est mon opinion, il faut une armée telle qu'elle ait confiance en elle-même qu'elle soit placée, je ne dirai pas au niveau, mais à la hauteur des autres armées européennes, il nous faut une armée et capable de maintenir le courage de nos officiers ou il n'en faut pas du tout, car pour avoir une armée boiteuse, autant n'en avoir pas du tout.

L'honorable membre, avec son système qu'il préconise arrive fatalement à la création d'une armée boiteuse ; eh bien, moi, je n'en veux pas. Une bonne armée ou pas d'armée, voilà ma logique.

Mais, dit l'honorable membre, vous avez des traités qui garantissent votre neutralité, vous avez des protocoles qui établissent de la manière la plus complète que votre neutralité est garantie par les puissances étrangères. Eh bien, messieurs, ce sont des garanties sur le papier, mais je préfère de beaucoup des garanties positives, et ces garanties positives, je les trouve dans la constitution d'une bonne armée, d'une armée que les bonnes finances du pays, la richesse du pays peuvent parfaitement supporter.

L'honorable membre nous dit encore : Restez donc dans le statu quo, c'est-à-dire en présence de ces protocoles qui sont vos garanties. Eh bien, je le répète, je n'ai pas une robuste confiance dans ces prétendues garanties, surtout en présence de ce que nous voyons autour de nous. En France, la force militaire s'élèvera à un chiffre extrêmement élevé. Il atteindra celui de plus de 1,200,000 hommes.

M. Coomansµ. - A 1,500,000.

M. Bouvierµ. - Non, à 1,258,000 hommes, qui se décomposent de la manière suivante : 830.000 hommes composant l'armée active et la réserve et 408,000 hommes formant la garde nationale mobile.

M. Coomansµ. - Voulez-vous autant d'hommes qu'en France ?

M. Bouvierµ. - Permettez ; vous avez la même logique que l'honorable M. Le Hardy ; vous allez toujours aux extrêmes ; moi, je reste dans le juste milieu. (Interruption.) Ennemi de vos exagérations, je reste dans la réalité des choses que je considère comme seule bonne et praticable.

Nous n'avons pas la ridicule prétention d'attaquer les nations étrangères. Ce serait, permettez-moi le mot, faire du don-quichottisme, mais je soutiens que dans un pays riche et prospère comme le nôtre, ne pas faire les dépenses nécessaires pour pouvoir, en cas d'attaque, fournir notre contingent d'hommes d'honneur et surtout de patriotisme, ce serait une lâcheté nationale et nous rendrait indignes de jouir de la juste considération dont notre patrie est entourée.

Ce que je désire, moi, et en cela je suis de l'avis de l'honorable M. Vleminckx, c'est qu'en présence des événements et des transformations qui s'accomplissent autour de nous, la commission de notre réorganisation militaire se presse et qu'elle présente son rapport le plus tôt possible.

Voilà ce que je demande et voilà ce que réclame le pays, car le pays est avec ceux qui veulent la conservation de nos précieuses libertés ; ce qu'il veut, ce ne sont pas des paroles mais des actes. C'est par des actes seulement qu'une nation est vraiment grande et ce n'est pas l'étendue du territoire qui fait les nations respectées, mais le courage et la ferme volonté des citoyens à supporter les sacrifices nécessaires pour conserver leur indépendance et leur nationalité.

Puisque nous avons de grandes et belles institutions dont nous sommes fiers, à juste titre, notre premier devoir est de les maintenir intactes et de ne pas donner à nos voisins le déplorable spectacle d'un peuple riche qui ne sait pas même faire les dépenses nécessaires pour défendre, en cas d'attaque, ces grandes libertés qu'on préconise partout mais auxquelles quelques rares collègues ne semblent tenir que pour autant qu'elles ne coûtent rien à la nation. Eh bien, ces libertés ne valent que pour autant qu'on sache les défendre vigoureusement, énergiquement et efficacement.

C'est pourquoi je ne veux pas du système de l'honorable préopinant, parce qu'en entrant dans la voie qu'il nous a tracée, nous perdrions la grande, belle et noble attitude que la nation belge a su prendre et conserver jusqu'ici devant les nations étrangères.

Je n'entrerai pas davantage dans l'examen des idées développées par l'honorable membre. Je me bornerai, en terminant, à demander à l'honorable ministre de la guerre de vouloir bien nous donner quelques renseignements sur l'état de l'instruction militaire de notre armée et ce que deviennent dans l'armée les trente pour cent d'illettrés qui y entrent.

Je sais qu'il y a des écoles régimentaires, mais ce que je désire connaître, c'est le degré d'instruction que nos jeunes miliciens y reçoivent. L'augmentation de l'intelligence dans l'armée favorise, en même temps, d'une manière générale l'instruction populaire. L'armée prussienne a donné au monde militaire le spectacle d'un peuple vigoureux, actif, intelligent, instruit, plus capable d'accomplir de grandes choses que celui où la force intellectuelle fait défaut.

En Prusse, on ne rencontre pas deux p. c. d'ignorants, et je n'hésite pas à dire que cette heureuse situation a plus contribué que les fusils à aiguille à leur donner le triomphe sur les champs de bataille. J'appelle donc toute la sérieuse et bienveillante attention de l'honorable ministre sur la déplorable ignorance de près d'un tiers de nos miliciens.

- La séance est levée.