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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 16 mars 1867

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboomµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 651) M. de Florisone, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. de Moor, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction du procès-verbal est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisoneµ présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Des habitants d'Anvers prient la Chambre d'adopter la proposition de loi de M. Guillery relative à la réforme électorale. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la réforme électorale.


« Des habitants d'Ixelles demandent l'abaissement du cens électoral pour la province et pour la commune et que toute contribution pouvant être considérée comme impôt direct soit admise dans la formation du cens minimum fixé par l'article 47 de la Constitution. »

- Même dépôt.


« Des habitants d'Esschene proposent des modifications au projet de loi relatif à la réforme électorale. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


a Des habitants de Becelaere prient la Chambre de mettre immédiatement à l'ordre du jour la discussion de la loi sur la péréquation cadastrale. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« La section agricole de Neerpelt pour le canton d'Achel déclare appuyer la pétition présentée le 11 février dernier par la section agricole de Moll. »

- Même renvoi.


MpVµ. - J'ai reçu de notre honorable collègue M. Nélis la lettre suivante :

« Hever, le 15 mars 1867.

« Monsieur le président,

« Empêché d'assister à la séance de demain samedi, à cause d'affaires urgentes, je vous prie de demander à la Chambre de m'accorder un congé d'un jour.

Veuillez en même temps, M. le président, faire connaître à mes honorables collègues que mon vote aurait été favorable au budget de la guerre, si j'avais pu demeurer à la Chambre jusqu'à la fin de la séance de ce jour.

« Agréez, etc. G.-F. Nèlis. »


M. de Macarµ. - Messieurs, une erreur s'est glissée dans le travail de la première section.

Elle a nommé membre de la commission des pétitions un membre appartenant à la cinquième section. Je dois donc prier l'honorable président de vouloir bien convoquer de nouveau la première section pour qu'elle désigne un membre dans son sein.

Projet de loi d’organisation judiciaire

Discussion des articles

Chapitre III. Des tribunaux de commerce

Article 34

MpVµ. - Il reste à voter l'article 34 du projet de loi.

D'après le procès-verbal d'une de nos dernières séances, la discussion de l'article 34 a été close.

Cependant, l'on a peu discuté l'amendement proposé à cet article par la commission et qui est ainsi conçu :

« Néanmoins les juges de paix connaissent des affaires commerciales dans les limites de leur compétence.

« L'appel de leurs sentences, s'il y a lieu, sera porté devant le tribunal de commerce de l'arrondissement par un exploit contenant citation à jour fixe et élection de domicile dans le lieu où siège le tribunal. »

La Chambre pourrait donc, ce me semble, voter d'abord les deux premiers paragraphes de l'article 34 et rouvrir la discussion, sur le paragraphe additionnel proposé par la commission, si elle le juge convenable.

- Cette proposition est adoptée.

« Art. 34. Il y a des tribunaux de commerce. Le siège, le personnel et le ressort en sont déterminés par le tableau joint à la présente loi. »

- Adopté.

MpVµ. - Nous passons à l'amendement de la commission.

M. Reynaertµ. - Messieurs, je viens combattre la proposition de la commission, qui consiste à étendre la compétence des juges de paix aux affaires commerciales au-dessous de 200 fr.

Et d'abord je voudrais considérer la question au point de vue de la Constitution. Il n'est certes pas possible, messieurs, de soutenir, en présence du texte de l'article 105 de la Constitution, que la réforme soit inconstitutionnelle. Cet article place dans le domaine de la loi les attributions des tribunaux de commerce. Nous avons donc toute latitude soit pour étendre soit pour restreindre la compétence de ces tribunaux. Je pense néanmoins, messieurs, que la réforme n'est pas sans danger au point de vue de l'existence constitutionnelle de la juridiction consulaire ; il ne vous aura pas échappé que par des lois successives on pourrait en arriver à détruire en fait la prescription de l'article 105.

On enlève aujourd'hui aux tribunaux de commerce, pour les attribuer aux juges de paix, les affaires commerciales au-dessous de 200 fr.

Qui vous empêchera de décréter demain l'attribution des affaires commerciales au-dessous de 1,000 fr., je suppose, aux tribunaux de première instance ? qui vous empêchera d'aller plus loin et de rogner ainsi successivement la compétence des tribunaux consulaires ?

Ce serait un moyen détourné d'abolir les tribunaux de commerce, et sous ce rapport, je vous l'avoue, je suis quelque peu tenté de considérer la proposition de la commission comme la reproduction partielle, mais anticipée puisque la priorité du temps lui est acquise, de la proposition radicale de l'honorable M. Jacobs.

Cette suppression indirecte et pratique est le résultat possible que j'ai voulu signaler à la Chambre.

D'un autre côté, est-il conforme à l'esprit de la Constitution, qui, dans son article 105, décrète l'existence d'une juridiction exclusive au profit du commerce en général, d'établir une distinction entre le grand et le petit commerce, de créer deux catégories de négociants, les uns justiciables de leurs pairs, les autres justiciables d'un juge civil ?

J'exprime à cet égard un doute que j'abandonne également à la sagesse de la Chambre.

Maintenant, messieurs, je passe aux arguments qui ont été produits jusqu'à ce jour.

M. Jacobs, qui a traité incidemment la question dans les développements qu'il a donnés à sa proposition, approuve la réforme, parce que, d'après lui, toute juridiction transférée d'un juge d'exception au juge ordinaire est une bonne mesure.

Je ne puis pas partager à cet égard l'opinion de l'honorable M. Jacobs.

Les juges de paix sont des juges extraordinaires et d'exception au même titre que les juges des tribunaux de commerce ; leur compétence, comme celle de ces tribunaux, est une compétence d'attributions ; ils ne peuvent connaître que des affaires qui leur ont été spécialement déléguées (page 652) par la loi ; la juridiction universelle n'appartient qu'aux tribunaux de première instance. Il suffît de lire à cet égard l’article 4 du titre IV de la loi du 20 août 1790 sur l'organisation judiciaire.

Du reste, messieurs, tous les auteurs de procédure sont unanimes à cet égard.

Un autre argument a été invoqué par l'honorable M. Jacobs. L'honorable membre pense que l'extension de compétence des juges de paix aurait pour conséquence de faire disparaître toutes les questions de compétence. Si c'est le même tribunal, dit l'honorable membre, qui décide des unes et des autres questions, il en résultera une diminution de procès à laquelle les avocats ne gagneront certainement pas.

Ici encore, je m'écarte de l'opinion de l'honorable M. Jacobs, bien entendu en ce qui concerne le premier point.

Je ne pense pas que l'attribution aux juges de paix des affaires commerciales ait pour résultat de supprimer une seule question de compétence ; je pense, au contraire, que ces questions seront tout aussi nombreuses et tout aussi délicates que sous le régime actuel. La raison en est simple : la juridiction consulaire est entièrement distincte de la juridiction civile : ces deux juridictions sont établies d'après des règles différentes de compétence et de procédure. Le juge de paix qui aura à connaître d'une affaire commerciale jugera, non comme juge civil, mais comme juge consulaire ; en un mot, si la réforme vient à passer, il y aura dans la personnalité du juge de paix trois magistrats distincts : le juge civil, le juge consulaire et le juge de police, et de même que le juge civil ne peut connaître comme juge de police, de même le juge consulaire ne pourra connaître comme juge civil, ni réciproquement.

Il y aura entre les deux juridictions, quoique réunies dans le même individu, une barrière tout aussi forte que celle qui les sépare aujourd'hui. Il faudra du reste appliquer au juge de paix les articles 640 et 641 du code de commerce.

Ces articles sont relatifs aux tribunaux de première instance jugeant consulairement.

L'article 641 est conçu comme suit : « L'instruction, dans ce cas, aura lieu dans la même forme que devant les tribunaux de commerce et les jugements produiront les mêmes effets. »

Ainsi, messieurs, autre juridiction, autres règles de procédure et jusqu'à un certain point au moins, pour ce qui concerne l'exécution provisoire du jugement, autres effets du jugement.

Je ne fatiguerai pas la Chambre en lui donnant lecture de tous les articles du code que je pourrais invoquer à l'appui de ma thèse ! Je me bornerai à rappeler à sa mémoire les articles 2, 3, 17, 109, 118, 417, 420, 459 du code de procédure civile et l'article 1341 du code civil. Ces articles sont relatifs soit à la compétence elle-même, soit aux formalités d'instruction, soit enfin à l'effet du jugement.

Je le répète, messieurs, il y aura toujours une question qui dominera les deux juridictions, et cette question est la question de compétence.

Il faudra toujours se demander si l'affaire a un caractère commercial on civil, si les parties en cause ont la qualité de négociants ou nom. Car cette question décidera toujours du juge qui aura à connaître, des formalités de procédure qu'il faudra suivre et de l'effet qu'il faudra donner au jugement.

Maintenant, messieurs, je me demande s'il est vrai de dire avec le rapport de la commission, que la réforme aurait pour conséquence d'accélérer l'expédition des affaires judiciaires et de diminuer les frais de procédure. Je pense, pour ma part, qu'à cet égard il est nécessaire de faire une distinction essentielle. Pour les affaires au-dessous de 100 fr. et dont le juge de paix connaît en dernier ressort, il est incontestable qu'elles gagneront en célérité et en modicité de frais. La perte de temps et l'élévation des dépenses sont nécessairement en raison directe de la distance que le justiciable a à parcourir et de la complication de la procédure. C'est une chose évidente, sur laquelle je n'insisterai pas.

Mais pour les affaires au-dessus de 100 fr., je pense qu'il en sera tout autrement, par la raison que les appels se multiplieront outre mesure. Les parties se traîneront devant deux juridictions ; elles passeront du chef-lieu de canton au chef-lieu d'arrondissement.

Au lieu d'une procédure simple et peu coûteuse comme celle d'aujourd'hui devant les tribunaux de commerce, vous aurez double délai, et doubles frais d'assignation, vous aurez la levée et la signification du jugement, toutes choses qui contribueront à éloigner et à rendre plus onéreux les jugements définitifs.

Messieurs, dans ce même cas d'appel, je signalerai à la Chambre un autre inconvénient qui, je l'avoue, ne se présentera pas souvent, mais qui s'offrira cependant dans la pratique : Au lieu de passer par deux degrés de juridiction, il arrivera que les parties en auront trois à parcourir. Je ne parle pas ici de la cour de cassation, mais des juridictions inférieures.

Cela se présentera dans les cas des articles 437 et 442 du code de procédure civile, c'est-à-dire quand il y aura des difficultés relatives à l'exécution des jugements des tribunaux de commerce ou quand une pièce produite en justice aura été méconnue, déniée ou arguée de faux.

Je crois en avoir dit assez pour motiver mon vote négatif sur le paragraphe premier de l'amendement de la commission.

Il ne me reste plus qu'à rectifier une erreur que j'ai rencontrée dans le rapport de la commission. A la page 5 du rapport de la commission, je lis les lignes suivantes :

« Cette réforme, votée en 1841 par le Sénat, fut repoussée alors par le gouvernement et par la Chambre, par une raison qui, aujourd'hui, n'en est plus une. On trouvait dangereux de confier à un seul homme le droit de prononcer la contrainte par corps. »

Messieurs, cette erreur me paraît d'autant plus singulière, que la réforme, loin d'avoir été votée par le Sénat, a été, au contraire, deux fois repoussée par cette assemblée, à un jour d'intervalle, et cela sous deux formes différentes.

Elle a été repoussée une première fois comme amendement à l'article premier de la loi sur la compétence civile, une seconde fois comme article additionnel au chapitre premier de la même loi. Dans sa première forme, elle émanait de la commission du Sénat ; dans sa seconde forme, elle était l'œuvre de l'honorable M. Dumon-Dumortier.

Est s'il est vrai de dire qu'elle a été repoussée une première fois par le gouvernement et par la majorité du Sénat, parce qu'on trouvait qu'il eût été dangereux de confier l'exercice de la contrainte par corps à un seul homme, il est vrai aussi qu'elle a été rejetée une seconde fois pour des motifs tout différents, et notamment parce qu'elle tendait à abolir la contrainte par corps jusqu'à concurrence de la compétence du juge de paix, et par conséquent à modifier la législation sur cette matière.

Messieurs, en ce qui concerne le second paragraphe de l'amendement, je n'ai que très peu d'observations à présenter.

A mon avis, il serait exorbitant de déférer les sentences des juges de paix à un tribunal extraordinaire et d'exception. La plénitude de la juridiction appartient aux tribunaux civils. C'est à ces tribunaux que revient le droit de connaître des décisions rendues par un tribunal inférieur comme celui des juges de paix.

Ensuite je ne puis pas approuver la subordination de l'élément jurisconsulte à l'élément commercial, la subordination de l'élément scientifique à l'élément purement de fait et de pratique.

Ne serait-il pas à craindre, messieurs, que la réforme n'eût pour conséquence de jeter un certain discrédit sur un magistrat qui plus que tout autre a besoin d'autorité et de prestige, précisément parce qu'il se trouve au bas de l'échelle judiciaire et que, partant, il est plus en rapport avec les classes inférieures de la société ? N'est-il pas à craindre que son renom d'homme de science et sa réputation de magistrat éclairé ne soient ébranlés, quand on verra à chaque instant ses décisions réformées par des hommes qui sont intelligents, je le veux bien, mais qui n'ont pas, comme lui, consacré toute leur vie à l'étude du droit et à la connaissance des affaires judiciaires ?

M. Jouretµ. - Messieurs, après les observations très judicieuses et irréfutables, selon moi, que vous venez d'entendre, j'aurais pu renoncer à la parole. Mais, comme les raisons que je vais tâcher de faire valoir pour motiver mon opinion défavorable aux amendements de la commission, ont un caractère plus général, je crois de mon devoir de les présenter.

Messieurs, à diverses reprises, j'ai énoncé l'avis, dans cette enceinte, qu'il n'y a pas lieu de donner plus d'extension à la compétence générale des juges de paix.

Cette compétence est déjà très considérable, et pour moi elle ne l'est que trop. Je me suis expliqué à ce sujet dans une autre occasion, et je persiste dans cette manière de voir.

En effet, la loi sur la compétence civile de 1841, et les lois sur la compétence correctionnelle de simple police de 1849, ont déjà donné au juge de paix des attributions telles, qu'il faut convenir que cette institution a perdu déjà et perdrait bien plus encore, si l'on venait à donner aux juges de paix des attributions commerciales, le caractère de simplicité et d'utilité, selon moi, qui faisait qu'un membre de la constituante (page 653) française le représentant Thouret, caractérisait cette magistrature infime, mais si utile, en disant : « Il suffira, pour être juge de paix, d'être simplement un homme de bien. »

Il faut, selon moi, que cet homme de bien se considère comme l'homme et le père de ses justiciables, qu'il soit constamment à leur disposition pour terminer les procès qui viennent à naître parmi eux et bien plus encore pour empêcher ces procès de naître. C'est là, messieurs, ce que j'ai toujours pensé, et c'est ainsi que pour mon compte pendant de longues années je me suis efforcé de remplir mes devoirs de magistrat de cet ordre, que la justice de paix doit être entendue et qu'elle revêt surtout un caractère d'institution véritablement sociale.

Si vous allez, avec le nombre infini d'attributions que celle magistrature possède déjà, lui donner des attributions commerciales, attributions que, selon moi, rien ne justifie, il sera plus permis que jamais de dire que la justice de paix a complètement disparu de nos institutions judiciaires, disparu du moins avec le caractère que la première Constituante française lui avait donné.

D'un autre côté, vous ne pouvez méconnaître les inconvénients que cette mesure entraînerait avec elle. Ces inconvénients vous ont été très longuement décrits déjà, dans une séance précédente, par l'honorable M. Lambert, et l'honorable M. Reynaert vient d'ajouter à ces considérations d'autres considérations extrêmement importantes.

Que seront, je vous le demande, dans nos villes et dans nos chefs-lieux de canton, ces tribunaux de commerce au petit pied ? Mais évidemment, permettez-moi le mot, ce seront de petits centres de tripotage (Interruption.). L'honorable M. Van Wambeke me fait un signe de dénégation ; qu'il me permette de dire toute ma pensée.

Il le sait mieux que personne, j'ai été juge de paix et je l'ai souvent entendu plaider devant moi. Je crois avoir acquis quelque expérience dans cette matière. Eh bien, je le répète, dans mon appréciation, vous n'aurez qu'un centre de petits tripotages, vous n'aurez que des intérêts mal desservis et vous ne verrez pas sortir de cette combinaison ce qu'on peut appeler une bonne justice.

Messieurs, s'il est vrai, comme le dit le rapport, que cette combinaison peut offrir quelques avantages, et je ne veux pas le nier, ces avantages, à mon avis, ne peuvent jamais être de nature à nous consoler de voir la justice de paix cesser de revêtir le caractère qui, à mon avis, doit être le caractère essentiel de cette institution. Elle a cessé déjà jusqu'à un certain point d'être une magistrature paternelle, et l'honorable M. Reynaert énumérait tout à l'heure les différentes juridictions qu'avait le juge de paix : il a une juridiction civile ; il a une juridiction de simple police à on lui a donné, par la loi de 1849, une juridiction correctionnelle.

Vous voulez lui donner une juridiction commerciale et de plus, depuis longtemps vous avez fait des juges de paix de véritables personnages politiques en leur donnant la présidence des collèges électoraux dans les arrondissements où il n'y a pas de tribunal de première instance.

Je vous le demande, que devient le caractère de cette magistrature paternelle qui ne peut réellement être utile que si le juge de paix se consacre tous les jours aux intérêts des petits surtout, si vous continuez à lui faire une pareille situation ?

A mon avis donner une juridiction commerciale aux juges de paix, c'est achever de les perdre comme justice de paix.

Je ne nie pas, comme l'a dit l'honorable M. Orts dans son rapport, que cela ne puisse avoir un côté utile. Toute chose, en ce monde, quelque mauvaise qu'elle soit peut avoir un côté utile, mais je dis qu'en général ce n'est point là le côté socialement utile de la justice de paix, le côté que nous avons plus que jamais intérêt à conserver dans nos sociétés modernes.

Mais, messieurs, il y a d'autres inconvénients encore dont on n'a pas parlé. Je demande quelle raison, par exemple, vous avez de donner aux juges de paix, dans les petites villes où il y a un tribunal de commerce, une juridiction commerciale. Je demande qu'on me dise cela.

L'honorable M. Van Wambeke m'a interrompu tout à l'heure ; je lui demanderai de quelle utilité, cela peut être à Alost qui envoie l'honorable M. Van Wambeke dans cette enceinte.

M. Van Wambekeµ. - Je vais y répondre.

M. J. .Jouretµ. - Le tribunal de commerce d'Alost n'est pas surchargé sans doute, et l'honorable M. Orts ne viendra pas me dire, comme il l'a dit avec beaucoup de raison pour d'autres localités, qu'il y a un grand intérêt à décharger le rôle de ce tribunal de commerce ; ce n'est pas le tribunal de commerce d'Alost qui a intérêt à être sublevé.

M. Van Wambekeµ. - Et les frais !

M. Ortsµ. - Il y a le même intérêt qu'à renvoyer les affaires civiles au-dessous de 200 francs devant le juge de paix dans les lieux où siège un tribunal de première instance.

M. Jouretµ. - Je vous demande pardon. C'est très différent.

Messieurs, comme conséquence de l’observation que je viens de faire, on me dira peut-être, et c'est ce que me disait il y a quelques jours un honorable collègue avec lequel je causais de cette partie du projet de la commission : N'y aurait-il pas lieu de distinguer ? Ne ferait-on pas bien, pour satisfaire aux idées de la commission, de donner la juridiction commerciale au juge de paix dans certains chefs-lieux de canton et de ne pas la lui donner dans certains autres ?

Je n'ai pas besoin, messieurs, de dire quelle fâcheuse disparate résulterait d'une pareille distinction. Je ne pense pas qu'un pareil système soit possible.

M. Jacobsµ. - C'est comme pour les tribunaux de commerce.

M. J. Jouretµ. - C'est tout à fait différent.

Messieurs, à un autre point de vue plus général, et c'est l'idée que j'entendais émettre tout à l'heure, est-il bon de donner aux populations cette grande facilité de plaider sur des intérêts minimes à propos desquels il ne nous est pas démontré qu'il y ait nécessité pour elles d'avoir cette modification de juridiction ; en d'autres termes, faut-il donner à tous les petits intérêts des négociants dans les chefs-lieux de canton, la facilité de poursuivre leurs petites affaires d'intérêt commercial ? Encore une fois, messieurs, vous verrez ces petits malheureux procès se multiplier d'une manière très fâcheuse, vous verrez se produire ces petits centres de petites affaires, de basse justice et quant à moi, je serais forcé de considérer cette juridiction donnée aux justices de paix comme une arme extrêmement dangereuse aux mains des personnes qui pourront s'en servir pour défendre sagement leurs intérêts, mais qui s'y blesseront plus souvent.

Il faut, messieurs, que ma conviction, fondée sur l'expérience que j'ai de la justice de paix, soit bien profonde, pour que je combatte les amendements de la commission, car si quelqu'un a intérêt à se ranger aux motifs que fait valoir la commission, c'est bien moi eu égard à la situation de certaines populations que je représente.

Voici ce que dit la commission :

« La compétence commerciale donnée aux juges de paix présente l'avantage d'éviter aux petits commerçants domiciliés hors du chef-lieu d'arrondissement, des déplacements et des frais de procuration, etc. »

Cela est vrai, messieurs, pour le chef-lieu de canton que j'habite. Ce chef-lieu est à 8 lieues du tribunal de commerce qui siège à Tournai.

Mes honorables collègues Descamps, Bricoult et moi, nous aurions un certain intérêt à voter sous ce rapport les propositions de la commission, mais je crois que ce serait faire un très mauvais cadeau à nos populations. Nous sommes en définitive les représentants du pays, et quand il s'agit d'une chose aussi important que d'une bonne organisation judiciaire, nous devons nous inspirer d'autres intérêts que des intérêts locaux.

En ce qui concerne le deuxième paragraphe additionnel de la commission, si, contre mon désir et mon attente, la juridiction qu'on propose de donner aux juges de paix dans les limites de leur compétence vient à leur être donnée, je ne vois pas d'inconvénient sérieux à ne pas faire ce que propose la commission, que l'appel de leurs sentences, s'il y a lieu, sera porté devant le tribunal de commerce de l'arrondissement par un exploit contenant citation à jour fixe et élection de domicile dans le lieu où siège le tribunal.

Toutefois j'attendrai à cet égard que la discussion soit un peu approfondie pour me prononcer sur le second paragraphe ; quant au premier, je ne puis l'accepter en aucune façon.

M. Vau Wambekeµ. - Je me rallie de tout cœur, messieurs, à l'avis de la commission chargée de l'examen du projet de loi sur l'organisation judiciaire relativement à l'extension de la compétence des juges de paix en matière commerciale. Depuis la loi du 21 mars 1859 sur l'exercice de la contrainte par corps, il n'y a plus de motifs sérieux pour ne pas attribuer aux juges de paix la connaissance des affaires commerciales dans les limites de leur compétence ordinaire. J'ajouterai que les affaires commerciales qui ne dépassent pas le taux de 200 fr. sont bien moins compliquées que les affaires civiles, et qu'il y a double motif pour les soumettre à MM. les juges de paix. L'honorable M. Lambert a présenté, dans la séance du 27 février dernier, quelques observations au sujet de cette extension de compétence que je ne puis laisser sans réponse.

Il a dit d'abord, messieurs, qu'il craint les jugements rendus par une seule personne, parce que souvent il n'y a pas de contradiction possible (page 654) ou du moins qu'elle est rare, et qu'il faut de la critique en matière judiciaire. Je ne comprends pas pourquoi les juges de paix, juges, d'après les lois en vigueur, des affaires civiles personnelles sans appel jusqu'à la valeur de 100 fr. et avec appel jusqu'à 200 fr., juges des actions possessoires et en bien d'autres jusqu'à une valeur indéterminée, ne pourraient pas l'être dans des affaires commerciales très peu compliquées ; s'il juge seul en matière civile, quel danger peut-il y avoir qu'il le fasse seul jusqu'à. 100 fr. et 200 fr. en matière commerciale ?

Il me semble, messieurs, que l'honorable membre devrait avoir ces craintes en matière civile bien plus qu'en matière commerciale, et cependant, à ma connaissance, jamais ces craintes n'ont vu le jour. Les décisions échappent à la critique, ajoute M. Lambert, mais la justice civile devant MM. les juges de paix ne se rend-elle pas en audience publique comme en matière commerciale ? Pourquoi ne pourrait-on critiquer ces dernières décisions comme on critique aujourd'hui les jugements rendus au civil ? Ouvrez, messieurs, les recueils judiciaires, et vous verrez que la critique atteint tous les jugements rendus dans notre pays, et soyez assurés que les décisions de MM. les juges de paix rendues en matière commerciale n'échapperont pas à la critique.

Faut-il répondre, messieurs, à l'argument de M. Lambert, au sujet de l'absence de contradiction qui se pratiquerait devant les juges de paix ? Cela n'est pas sérieux, car je pourrais facilement vous démontrer qu'il y a bien plus de défauts devant les tribunaux de première instance et de commerce que devant les juges de paix. La raison, du reste, en est bien simple : elle provient de ce que devant ces derniers magistrats tout le monde peut se présenter, tandis que devant les tribunaux de première instance il faut être représenté et que devant les tribunaux de commerce il est généralement d'usage de se faire défendre par un avocat ou un mandataire.

M. Lambert vous a rappelé l'origine de l'institution des juges de paix pour en conclure qu'on s'est départi de l'idée originaire en augmentant toujours la compétence des juges, qu'ils ne pourront désormais suffire à l'énorme besogne dont ils seront surchargés. Je pense, messieurs, contrairement à ce que vient de dire M. Jouret, qui a été longtemps juge de paix d'Alost, qu'on a parfaitement bien fait d'étendre la compétence des juges de paix, car les populations en général en sont très satisfaites.

Ce n'est certes pas, messieurs, parce que les avocats font défaut, comme M. Lambert l'a dit, que les juges de paix continuent à juger paternellement, mais parce qu'ils jugent sans frais, connaissant ordinairement la partie qui se présente devant eux, et, parce que les avocats, je me plais à le dire, joignent toujours leur voix à celle des juges pour aplanir les petits procès qui n'engendrent que la discorde et la ruine. Ne craignez pas l'intervention des juges de paix dans les affaires commerciales qui se présenteront dans leurs cantons, soyez assurés qu'avant peu de temps les négociants seront charmés de cette extension de compétence, parce que, dans la plupart des cas, les procès seront aplanis, et que s'il faut en venir à un jugement on l'obtiendra moyennant une vingtaine de francs au lieu de 70 à 80 francs qu'il faut payer aujourd'hui. Et quant à l'énorme besogne des juges de paix, elle n'existera pas, et rien de plus facile que de le prouver. L'honorable M. Lambert vous a dit qu'il habite un chef-lieu d'arrondissement judiciaire de deuxième ou troisième classe (Dinant, je pense), et qu'il peut parler de visu et auditu.

Je suis, messieurs, dans le même cas, et j'ajouterai que remplissant souvent les fonctions de juge de paix suppléant, je suis parfaitement à même de parler de cette énorme besogne, qui se réduira à bien peu de chose.

D'abord la population de Dinant ne s'élève qu'à 7,000 habitants, tandis que la ville d'Alost a 21,000 habitants, et, sous le rapport du commerce et de l'industrie, il n'y a pas, je pense, de comparaison possible. Le canton de Dinant a une population de 22,929 habitants, celui d'Alost en a 51,571. Eh bien, messieurs, voulez-vous savoir combien de procès en matière commerciale au-dessus de 200 francs, du canton d'Alost, le tribunal de commerce de cette ville a eu à juger pendant l'espace de huit ans ? Je l'ai examiné avec soin et j'en ai trouvé 143, soit 18 par an, soit 1 1/2 par mois. Et dans ce nombre, plus de la moitié ont donné lieu, soit à des défauts ou à des remises pour pouvoir se libérer en attendant. De sorte que, sans exagérer, on peut dire que cette énorme besogne qu'on redoute se bornera à l'examen d'une petite affaire par mois, et l'on craint que MM. les juges de paix n'y pourraient suffire. Est-ce admissible, messieurs ?

M. Jouret vous a dit tout à l'heure que le juge de paix devait avoir un autre caractère que celui de juge, que le juge de paix doit surtout s'attacher à prévenir les procès et à concilier les parties. Mais croyez-vous que si vous étendez la compétence des juges de paix en matière commerciale, il n'en sera plus ainsi ? Les juges de paix seront souvent sollicités à faire venir les parties devant eux dans de petits procès de commerce, qui, aujourd'hui, donnent lieu à de grands frais, et ainsi ces petits procès pourront être évités, parce que le juge de paix connaît les parties et peut chercher à les concilier. Les tribunaux de commerce n'ont pas l'habitude d'appeler les parties devant eux avant le procès, ils ne les voient que lorsque le mal est accompli et que les frais sont faits.

Si tous les chiffres que je cite sont exacts, et je ne crains pas de dire qu'à peu de chose près ils le sont, comment pourrait-il arriver que dans le chef-lieu qu'habile M. Lambert les procès seraient multipliés au point d'absorber tout le temps des juges de paix ?

L'honorable membre a donc commis une erreur, à moins de justifier que dans cette ville de Dinant on intente des procès à tort et à travers ou que tous les débiteurs ne s'y laissent attraire en justice, ce qui, certes, n'est point admissible. Croyez-le, messieurs, après que vous aurez adopté le projet de la commission, les juges de paix des villes ne seront pas surchargés de besogne, et, quant aux juges de paix des cantons ruraux, ils auront encore tout le loisir qui leur reste aujourd'hui.

Enfin, quant à la présence des agents d'affaires et du barreau déclassé, les juges de paix connaissent trop bien la dignité de leurs fonctions pour les tolérer lorsqu'ils seraient animés d'intentions comme celles que leur prête l'honorable membre.

On a l'habitude, messieurs, de toujours décrier ces agents d'affaires ; mais j'en connais, dans les Flandres, qui occupent des positions très honorables, remplissent dignement les mandats qui leur sont confiés ; et quant aux autres, on ne les tolère pas longtemps devant la justice. Et ici j'en appelle à la loyauté de l'honorable M. Jouret, qui a présidé si longtemps la justice de paix de notre canton, ce barreau déclassé, ces agents d'affaires, avides de chicane et en tirant profit, se sont-ils jamais présentés devant lui ?

Un mot, messieurs, sur l'appel des jugements des juges de paix rendus en matière commerciale.

Ici, messieurs, je partage entièrement l'avis de M. Lelièvre ; les raisons qu'il a données pour soumettre ces appels aux tribunaux civils sont si décisives, qu'il ne nous reste plus rien à y ajouter.

Il est évident que si vous adoptez l'avis de la commission, si vous étendez la juridiction des juges de paix aux affaires commerciales, il n'y a que les tribunaux civils qui peuvent connaître des appels, par la raison que les juges de paix relèvent des tribunaux civils, et que ce ne sont pas les tribunaux commerciaux qui peuvent infirmer ou confirmer leur jugement ; donner cette attribution aux tribunaux de commerce me paraît une idée malheureuse, que je ne puis admettre.

On vous a dit, notamment M. Reynaert, que si vous étendez la compétence des juges de paix en matière commerciale, il arrivera que pour les affaires au-dessus de 100 fr. on se permettra d'appeler à tort et à travers, et que les parties, au lieu d'avoir un procès, en auront deux. Je ne redoute nullement cette conséquence. Quels seront, messieurs, ces petits procès ? Mais presque toujours soit des demandes en payement de livraisons de bière, ou toute autre marchandise, effets non payés pour le payement desquels on demande un délai tout en reconnaissant sa dette. Mais, messieurs, si on s'avise d'appeler d'un jugement pareil, le créancier n'aura pas à s'en occuper...

M. Bouvierµ. - Le jugement, dans ce cas, est exécutoire.

M. Van Wambekeµ. - Oui, il est exécutoire et tous les jugements des juges de paix le sont de droit jusqu'à concurrence de 300 fr. Mais, messieurs, en appel il faut un mandataire spécial qui doit occuper, et le corps d'avoués est trop respectable pour croire qu'un de ses membres se prêterait à occuper pour un débiteur qui ne chercherait qu'à éluder le payement de sa dette ou à tromper son créancier. Dans tous les cas, messieurs, le négociant qui rencontrerait, par exception, ce cas n'aura pas à s'inquiéter d'un pareil appel ; il laissera aux juges le soin de déclarer cet appel non fondé sans faire pour cela des frais inutiles.

Cette crainte donc ne doit avoir aucune influence sur votre décision, je persiste à croire que l'amendement de la commission peut être accueilli par la Chambre en dehors de ces éventualités, qu'il sera vu avec faveur par nos populations parce que son adoption diminuera pour les petites affaires considérablement les frais de justice.

D'après moi, messieurs, c'est là la véritable raison pour laquelle les petits négociants de la campagne préféreront toujours la juridiction des juges de paix à la juridiction des tribunaux de commerce.

(page 655) En résumé donc je crois que l'extension de la compétence des juges de paix en matière commerciale jusqu'à deux cents francs est une bonne innovation, que l'appel doit être interjeté devant les tribunaux civils, et non devant les tribunaux de commerce.

Si l'amendement de la commission est adopté, je demanderai la permission de proposer une modification essentielle à l'article 420, paragraphe 5 du code de procédure civile.

M. Jacobsµ. - Ce que vient de dire l'honorable M. Van Wambeke me dispensera de revenir sur le caractère primitif des juges de paix, caractère qu'ils ont perdu de plus en plus, aujourd'hui que la plupart de ces places sont remplies par des jurisconsultes distingués et non par de bons pères de famille, comme autrefois.

Je ne m'arrêterai pas non plus à cette crainte de voir les justices de paix se transformer en petits centres de tripotage ; je ne vois pas pourquoi les affaires commerciales seraient plus matière à tripotage que les affaires civiles. Jusqu'à présent, ce reproche n'a pas été adressé aux justices de paix ; il ne le sera pas plus dans l'avenir.

Je répondrai quelques mots aux critiques de l'honorable M. Reynaert, qui m'ont ému davantage.

Les questions de compétence, d'après lui, ne seraient pas évitées. Je pense qu'il verse dans une erreur complète. Remarquez que le juge de paix, saisi des affaires commerciales, ne serait pas juge commercial pour cela, pas plus que la cour d'appel, statuant sur des affaires commerciales, n'est elle-même un tribunal commercial. Il resterait juge civil. Le même juge déciderait donc des affaires commerciales et des affaires civiles de minime importance ; il n'y aurait dès lors jamais lieu à renvoi d'un juge à un autre.

Rien d'inconstitutionnel dans cette proposition ; qu'on ait la cour d'appel au haut de l'échelle et le juge de paix au bas, il n'en resterait pas moins au centre les tribunaux de commerce prescrits par la Constitution.

La mesure proposée n'aurait aucun inconvénient pour les affaires inférieures à 100 fr.

Mais pour les affaires s'élevant de 100 à 200 fr., susceptibles d'appel, il y aurait, je le reconnais, inconvénient à établir une double juridiction, au lieu de la juridiction unique qui existe aujourd'hui. On a beau dire qu'il y aurait peu d'appels, que ce droit d'appel n'influerait pas sur la conduite des créanciers nantis d'un jugement ; il n'en est pas moins vrai que cette double juridiction entraînerait une augmentation de frais et de retards. Aussi aurai-je l'honneur de présenter un amendement qui aura pour objet d'obvier à cet inconvénient. Il est ainsi conçu : « Les juges de paix connaissent des affaires purement commerciales jusqu'à la valeur de 200 fr. Ils statuent en dernier ressort. »

Je propose d'abord de ne leur donner compétence en matière commerciales que jusqu'à concurrence de 200 fr. seulement et point dans les limites de leur compétence.

Remarquez, en effet, que les affaires possessoires y rentrent. Or, il y a des affaires possessoires commerciales très importantes qu'il ne serait pas prudent, suivant moi, de laisser entre les mains des juges de paix. Je restreins aussi cette compétence aux affaires possessoires et pétitoires, de moins de 200 francs.

D'un autre côté, j'enlève d'une manière absolue le droit d'appel. Ce droit, pour les affaires de 100 à 200 fr., est-il bien désirable ? Je crois qu'il ne l'est pas plus en matière commerciale qu'en matière civile.

Je sais que mon amendement consacrera provisoirement une anomalie, et établira une différence entre la juridiction civile et la juridiction commerciale. Mais mon désir et mon intention est de profiter de la première occasion pour supprimer l'appel des jugements des juges de paix lorsqu'il ne s'agit que de 100 à 200 fr. Cet appel est frustratoire, sans utilité et plein d'inconvénients.

Quant aux avantages de la proposition faite par la commission et amendée par moi, ils sont incontestables.

Il suffit d'avoir habité une grande ville dans laquelle se trouve un tribunal de commerce, pour avoir été effrayé de l'encombrement du rôle de ces tribunaux ; il est facile de se rendre compte de sa cause ; cet encombrement résulte de la multiplicité d'affaires de minime importance ; leur nombre s'élève aux trois quarts. Il en est ainsi à Bruxelles, il en est ainsi à Anvers et dans d'autres villes encore.

Dans ces conditions, ce serait rendre un véritable service à la juridiction consulaire, sans cependant accabler les juges de paix qui sont plusieurs dans les grandes villes et qui ont des suppléants, que de donner aux juges de paix le droit de trancher une partie des affaires commerciales sans appel. Ma rédaction a l'avantage d'écarter la principale objection que l’honorable M. Reynaert a faite à la proposition de la commission ; mon amendement a sur cette proposition un second avantage, celui de ne pas conférer aux juges de paix la faculté de trancher les affaires commerciales possessoires d'une valeur supérieure à 200 fr.

M. Van Humbeeckµ. - Messieurs, je crois qu'il est de notre devoir de chercher à maintenir l'harmonie entre les dispositions diverses d'une même loi. Je suis de ceux qui ont cru que nous pouvions, sans manquer à notre serment constitutionnel, confier la juridiction commerciale aux membres de la magistrature ordinaire ; mais la Chambre n'a pas été de cet avis. La Chambre a cru que les raisons qui ont fait établir les tribunaux de commerce légitiment encore aujourd'hui leur existence. Quelles sont ces raisons ? C'est que les transactions commerciales et les transactions civiles ne se passent pas dans les mêmes conditions : les transactions civiles ne sont pas des actes de tous les jours ; lorsqu'elles ont une certaine importance, elles sont en quelque sorte un événement dans la vie ; on a toujours le temps de les conclure avec toute la maturité désirable et en prenant toutes les précautions ; les transactions commerciales, au contraire, dans la vie du négociant, sont des actes usuels, journaliers ; ils se renouvellent sans cesse et se passent avec une rapidité toute spéciale ; on a rarement le temps de faire par écrit des stipulations détaillées, de prendre toutes les précautions qu'on peut prendre en matière civile.

Ces circonstances ont fait croire à l'ancien législateur et encore aujourd'hui à la Chambre qu'il faut une juridiction spéciale pour les contestations commerciales. Mais, messieurs, ces raisons s'appliquent aux petites contestations avec plus de raison qu'aux contestations plus importantes ; les petites opérations sont en effet les plus fréquentes et les plus rapides.

Je crois donc, messieurs, qu'acceptant le vote qui a maintenu les tribunaux de commerce, nous devons surtout les maintenir pour les petites contestations.

Dans le système qui veut enlever à la juridiction consulaire les contestations de moins de 200 francs, un point est surtout difficile ; c'est la question de l'appel. L'honorable M. Jacobs vient de formuler un système d'après lequel les jugements prononcés par les juges de paix seraient toujours sans appel dans les matières de commerce.

L'honorable membre convient que son système présente une anomalie ; cette anomalie devait en effet frapper tout le monde.

Mais le discours de l'honorable M. Jacobs ne nous a pas appris les avantages pratiques que sa proposition présente.

M. Jacobsµ. - On corrigerait l'anomalie à la première occasion.

M. Van Humbeeckµ. - C'est donc tout simplement un moyen de faire revenir la Chambre sur son vote précédent.

M. Jacobsµ. - On supprimerait l'anomalie, en ce sens qu'on établirait, en matière civile, le système que je propose d'établir en matière commerciale.

M. Van Humbeeckµ. - Prenons en temps et lieu, si l'on veut, une. mesure qui s'appliquera en même temps aux matières civiles et aux matières commerciales, mais n'allons pas créer une disposition transitoire qui, aux yeux de ceux qui liront le texte seul, sans connaître et sans lire en même temps les discussions, ne ferait pas l'éloge de la législature belge.

Il n'y a donc pas moyen, dans l'état actuel des choses, d'établir un système dans lequel les juges de paix connaîtraient des contestations commerciales sans appel.

Or, s'il faut un appel pour les matières de moins de 200 francs, vous compliquez, pour ces matières-là, la procédure à laquelle le commerce est soumis aujourd'hui. Aujourd'hui pour ces matières il n'y a pas d'appel. C'est une complication que vous introduisez ; je ne vois pas encore quels avantages pratiques viendront la compenser.

Mais à qui cet appel sera-t-il déféré ? La commission a cru qu'il devait être déféré au juge consulaire.

Ce système-là me paraît vicieux en principe et vicieux également dans ses conséquences pratiques.

Il me paraît vicieux en principe, parce que vous faites contrôler par un juge d'exception les décisions de la justice ordinaire. Cela est inadmissible. Je comprends qu'on retourne à la juridiction ordinaire pour lui attribuer la connaissance des décisions rendues en premier ressort par le juge exceptionnel ; cela se fait pour les procès importants ; je ne comprendrais pas le renversement du système pour les petits procès. (Interruption.)

Comme me le fait observer judicieusement l'honorable M. Bouvier, (page 656) des jurisconsultes verraient ainsi réformer leur sentence par des magistrats qui ne le sont pas.

Non seulement le système est vicieux en principe, mais je n'en vois pas les avantages pratiques.

Croyez-vous que vous allez dégrever les tribunaux de commerce d'un grand nombre d'affaires ? Pas le moins du monde. La moitié de celles dont vous leur enlevez le premier ressort leur retournera en degré d'appel.

Une autre raison a été indiquée par l'honorable M. Reynaert ; je la reprends sous une autre forme. Vous allez exposer les justiciables à parcourir trois degrés de juridiction.

Voici pourquoi : dans le système de la commission, les exceptions d'incompétence ne pourraient se présenter en premier degré ; elles y seraient repoussées à cause d'un défaut d'intérêt ; mais lorsqu'il s'agira d'affaires de 100 à 200 francs, l'exception d'incompétence pourra être portée devant le juge supérieur. Si l'affaire est civile, l'appel devra être porté devant les tribunaux ordinaires ; si l'affaire est commerciale, c'est devant le tribunal de commerce qu'elle devra être portée. L'exception d'incompétence étant déférée au juge supérieur et accueillie, il y aura un troisième degré de juridiction à parcourir ; il y aura des retards, des complications nouvelles, et encore une fois, les résultats pratiques ne rachèteront pas cet inconvénient.

A mes yeux, le système le plus mauvais est celui de la commission. Si maintenant on transfère l'appel aux tribunaux ordinaires, ce que je consentirais à accepter dans un ordre subsidiaire, il faudra tout au moins décider en même temps que pour cet appel on procéderait devant les tribunaux ordinaires dans la forme usitée aujourd'hui devant les tribunaux civils jugeant consulairement ; sinon c'est multiplier les frais d'une façon considérable.

En résumé, ce qu'il y a mieux à faire, selon moi, c'est de n'apporter aucun changement à la législation existante sur la matière spéciale qui nous occupe ; c'est le meilleur moyen de tenir loyalement compte du vote par lequel la Chambre s'est prononcée à une grande majorité pour le maintien des tribunaux de commerce. Si cependant la Chambre croyait devoir introduire un changement dans la législation actuelle, si elle voulait donner aux justices de paix une compétence commerciale, l'appel des décisions du juge de paix devrait être déféré aux tribunaux civils mais soumis aux formes de la procédure usitée aujourd'hui lorsque les tribunaux civils jugent consulairement.

M. Watteeuµ. - Messieurs, c'est aussi par respect pour la décision de la Chambre et par le désir que j'éprouve de ne pas voir introduire dans la loi organique tout un système qui ne serait ni logique, ni conséquent, que j'ai demandé la parole.

Je pense, messieurs, que l'amendement proposé par la commission fourmille d'inconvénients. On en a déjà signalé quelques-uns. Je me permettrai d'en signaler d'autres.

D'abord, comment comprendre que lorsqu'il s'agira d'une somme de 200 francs, le justiciable aura deux degrés de juridiction, et que quand il s'agira d'une somme beaucoup plus importante, par exemple de 1,999 francs, ces mêmes justiciables n'obtiendront qu'un seul juge ?

Je ne pense pas qu'on puisse citer dans le passé un seul exemple d'un principe semblable qui aurait clé admis...

M. Ortsµ. - Il existe en matière civile.

M. Watteeuµ. - En matière civile, le juge de paix juge en dernier ressort jusqu'à concurrence de 100 francs, et à charge d'appel jusqu'à concurrence de 200 francs ; mais en matière commerciale jusqu'à concurrence de 2,000 francs, vous n'avez qu'un seul degré de juridiction. II y a donc là une anomalie.

Je ne m'occupe pas ici des questions d'intérêt civil, puisqu'il ne s'agit que d'intérêts commerciaux ; et vous allez voir, par quelques observations, que ce n'est pas la seule anomalie que j'ai à signaler.

Comment d'abord jugera le juge supérieur, lorsqu'il s'agira d'un appel qui se rattache à une contestation commerciale ? Nous savons que, dans l'état actuel des choses, quand les juges civils jugent comme juges consulaires, ils abandonnent les règles de la procédure civile pour suivre exclusivement celles de la procédure commerciale.

Le juge de paix jugera-t-il comme juge de paix ou comme juge consulaire ? S'il est saisi d'une contestation commerciale, s'il juge comme juge consulaire et que le défendeur vienne prétendre devant lui qu'il n'est pas commerçant, vienne lui opposer une exception d'incompétence, attribuerez-vous au juge de paix le droit de joindre l'incident au fond et de statuer par un seul jugement, comme le permet l'article 425 du code de procédure civile ?

C'est encore là un très grave inconvénient qu'offre le système proposé par la commission.

D'un autre côté, je me demande quels sont les avantages qu'on espère retirer de cette modification à la législation existante. Ce n'est certes pas pour les grands centres, et c'est cependant dans les grands centres que se présente le plus grand nombre de contestations commerciales, parce que c'est là qu'est le mouvement des affaires.

Pour les cantons, et l'honorable M. Van Wambeke en a pris note, quels seraient les bienfaits qu'on pourrait en attendre ? On estime à un jugement ou à un jugement et demi par mois, en moyenne, les jugements que les juges de paix auraient à rendre. Si, en effet, les jugements qu'ils auraient à rendre se réduisent à cette minime proportion, quel avantage réel, sérieux a-t-on à introduire dans la loi toutes ces dispositions qui viennent déranger son ensemble et son harmonie ? Aucun, et vous n'en aurez jamais davantage. Pourquoi ? Parce que, dans la plupart des affaires commerciales, il s'agit d'un vendeur qui est obligé de poursuivre son acheteur en payement de ce qu'il a fourni.

Eh bien, par un pareil privilège inscrit dans la loi, au profit du commerce toujours, en pareil cas, le vendeur peut attraire son débiteur non devant le juge de ce dernier, mais devant son juge à lui, demandeur. Et où l'appellera-t-il ? Mais encore une fois au chef-lieu d'arrondissement, et par conséquent, vous restreignez à des proportions en quelque sorte imperceptibles l'avantage que vous devez retirer de cette modification.

J'ai entendu dire, et c'est l'honorable M. Van Humbeeck, je crois, qui faisait ce calcul, il y a une grande économie à pouvoir attraire son débiteur devant le juge de paix, parce que, devant la justice de paix, les frais d'un jugement peuvent être évalués à 20 francs et que, devant les tribunaux de commerce, ces frais s'élèvent à 100 francs.

Qu'il me permette de lui dire d'abord que son calcul n'est pas exact. Les frais en matière commerciale ne sont pas de beaucoup supérieurs, devant les tribunaux consulaires, à ce qu'ils seraient devant la justice de paix. Ainsi les frais d'expédition seront les mêmes devant la justice de paix que devant la justice consulaire. Mais si vous voulez faire quelque chose d'utile, quelque chose d'efficace pour le commerce, simplifiez la procédure, diminuez les droits et alors seulement vous aurez rendu un service réel au commerce. Ce n'est pas le moment de discuter cette question ; j'en fais l'objet d'une observation incidente ; mais il est vrai de dire qu'il pèse aujourd'hui un impôt des plus lourds et par suite un impôt inique à charge du commerce.

Les tribunaux de commerce sont ceux qui, peut-être, fournissent au trésor la plus grosse somme de frais, de droits d'expédition et de droits d'enregistrement. Mais je dis que cet impôt est inique, parce qu'il se prélève généralement sur un créancier oblige de prendre un titre sur son débiteur, alors que ce débiteur est bien souvent dans l'impossibilité d'acquitter spontanément sa dette. C'est-à-dire que l'on choisit le moment le plus fâcheux pour le créancier et pour le débiteur, pour peser le plus lourdement possible, d'une manière fiscale, sur les affaires commerciales.

Quand vous aurez modifié cet état de choses, alors le commerce vous aura de la reconnaissance de votre vote. Ce n'est pas en changeant une forme de procédure, en envoyant plutôt le débiteur devant un juge de paix que devant un tribunal de commerce, que vous aurez fait quelque chose d'efficace.

M. Bouvierµ. - Il faut aussi réduire les frais de protêt.

M. Watteeuµ. - Il faut aussi réduire les frais de protêt, sans doute. Il y a une chose incroyable à cet égard : j'ai vu des effets dont le principal était de 10 fr., car il y a des effets d'aussi modique importance, et les frais de protêt égalaient le tiers du principal du billet.

Messieurs, j'ai eu occasion de faire connaître mon opinion. Je n'ai jamais entendu révoquer en doute, un seul instant, les services signalés rendus par la justice consulaire. Mais j'ai pensé et je persiste à penser que, pour avoir une justice égale pour tous, il eût été préférable que les juges consulaires eussent offert des garanties d'études spéciales comme les juges civils.

Mais la Chambre ayant décidé, et je pense qu'un grand nombre de ses membres ont été entraînés par un scrupule constitutionnel, que là où il y avait des tribunaux consulaires, les juges civils ne pourraient connaître des contestations commerciales, il y aurait inconséquence flagrante et contradiction choquante en revenant sur ce vote, en introduisant une exception radicalement contraire au principe sur lequel la Chambre a prononcé.

Je voterai donc contre la proposition de la commission.

(page 657) M. Van Overloopµ. - Je suis, pour ma pari, partisan du maintien du statu quo.

Le premier argument que la commission met en avant pour étendre la compétence des juges de paix consiste à dire qu'on préviendra, au moyen de cette extension, des frais de déplacement et de procuration. Cela est-il vrai ?

L'article 120 du code de procédure civile dit :

« Le demandeur pourra assigner à son choix :

« Devant le tribunal du domicile du défendeur.

« Devant celui dans l'arrondissement duquel la promesse avait été faite et la marchandise livrée.

« Devant celui dans l'arrondissement duquel le payement devait être effectué. »

Ou cet article sera encore applicable ou il ne sera plus applicable. J'examinerai les deux hypothèses.

M. Orts, rapporteurµ. - Il ne sera plus applicable.

M. Van Overloopµ. - C'est vous qui décidez la question.

M. Ortsµ. - Non ; c'est dans la pensée de la commission.

M. Van Overloopµ. - Soit, je veux examiner les deux hypothèses.

Je dis que-l'article 120 sera encore applicable ou qu'il ne sera plus applicable.

S'il est encore applicable, les frais de déplacement et de procuration seront évidemment maintenus à la charge du débiteur, car, en vertu de l'article 420, il sera, en général, cité, non pas devant le juge de son domicile, mais devant le juge du domicile du demandeur.

Si, au contraire, l'article n'est plus applicable, et c'est la pensée de la commission, dit l'honorable M. Orts, qu'arrivera-t-il ? C'est que les frais de déplacement et de procuration existeront encore, mais que ces frais, au lieu de tomber à la charge du défendeur, tomberont à la charge du demandeur ; donc ils n'en existeront pas moins.

M. Ortsµ. - C'est le plus riche qui payera.

M. Van Overloopµ. - Il me semble que celui qui doit payer, c'est celui qui doit. La question par conséquente st de savoir celui qui doit.

Ainsi le premier argument de la commission ne résiste pas au plus simple examen.

« L'extension de la compétence des juges de paix, dit en second lieu la commission, débarrassera d'une foule de contestations de pur détail les rôles encombrés des tribunaux de commerce. »

Si la commission disait : « Les rôles encombrés de deux ou trois tribunaux de commerce », je partagerais son opinion ; mais quand elle dit : « Les tribunaux de commerce », je dis qu'elle a tort, car les rôles de la plupart des tribunaux de commerce sont loin d'être encombrés.

L'adoption du système de la commission n'aurait donc pour résultat que de débarrasser les rôles encombrés de deux ou trois tribunaux de commerce.

Et quelle serait la conséquence ultérieure du système de la commission ?

C'est que l'encombrement dont on se plaint se trouverait dans les rôles des justices de paix.

Aujourd'hui les rôles des tribunaux de commerce sont encombrés dans deux ou trois endroits. Etendez la compétence des juges de paix, et qu'aurez-vous ? Vous aurez, dans ces deux ou trois endroits, les rôles des justices de paix encombrés.

Le mal résultant de l'encombrement ne serait donc que déplacé, il continuerait à subsister : par conséquent le second argument de la commission disparaît à son tour.

Ne perdons pas de vue, messieurs, que c'est surtout pour les questions de détail que les juges consulaires ont le plus d'aptitude. Ce n'est pas la connaissance du droit qui permettra aux juges de paix de décider les difficultés d'un compte courant, les questions relatives au taux de l'escompte, au transport ou au prix des marchandises, toutes choses familières aux juges consulaires, et tellement étrangères aux études des juges de paix, qu'ils devraient consulter des commerçants pour les résoudre.

Le seul moyen, messieurs, selon moi, de faire cesser l'encombrement des tribunaux de commerce là où l'encombrement existe, ce serait d'augmenter le personnel. Cela n'augmenterait pas les frais, puisque les fonctions de membre du tribunal de commerce sont gratuites.

Le troisième argument de la commission, c'est que l'extension de la compétence des juges de paix serait plus économique.

Sous quel rapport ? Je ne sache pas qu'il y ait une différence sensible entre les frais de la justice de paix et les frais du tribunal de commerce ; il me semble que la seule différence qui existe se trouve dans la mise au rôle, qui coûte 4 francs 50. On doit payer l'expédition du jugement du juge de paix comme l'expédition du jugement du tribunal de commerce, et, s'il y avait sous ce rapport une différence, ou pourrait diminuer les droits.

Quant à l’intervention conciliante du juge de paix, cet argument n'est pas fondé en fait. Que fait le tribunal de commerce lorsqu'il s'agit d'une contestation de peu d'importance ? Il fait venir les parties devant la chambre du conseil, et là on cherche à les concilier. Eh bien, si vous voulez convertir cette pratique en principe, il n'y a qu'à l'inscrire dans la loi.

Je vous prie surtout, messieurs, de remarquer que si vous donnez aux juges de paix la connaissance des matières commerciales, par la nature même de ces matières, les juges de paix devront presque toujours condamner ; dès lors ils perdront aux yeux des justiciables ce caractère de conciliateur qui doit être leur caractère dominant.

Par ces considérations, et celles que d'honorables collègues ont déjà fait valoir, messieurs, je me propose de voter pour le maintien du statu quo.

M. Orts, rapporteurµ. - Messieurs, je vais répondre quelques mots aux critiques dont le système de la commission a été l'objet, et si je le défends, la Chambre peut être convaincue que je le fais avec une bien grande impartialité.

Toutes les propositions concernant les tribunaux de commerce sont, dans le travail de la commission, l'expression d'une pensée qui n'était ni la mienne ni celle de l'honorable M. Nothomb, qui formait avec moi la minorité et qui, comme moi, ne voulait plus de la juridiction commerciale telle qu'elle existe aujourd'hui, en aucune façon.

Voici, messieurs, les motifs qui ont porté la commission à vous proposer de donner aux juges de paix en matière commerciale la même compétence qu'ils ont aujourd'hui en matière civile.

Je laisse de côte la question de l'appel. Elle est indépendante du point de savoir si, en premier ressort, les juges de paix connaîtront des affaires commerciales. Je comprends très bien que de fortes raisons fassent préférer, comme tribunal d'appel, le tribunal civil au tribunal de commerce proposé par la commission dans une pensée d'économie, surtout avec le tempérament qu'indiquait l'honorable M. Van Humbeeck, si vous permettez au tribunal civil de juger dans les formes sommaires qu'il adopte lorsqu'il exerce les fonctions de juge consulaire. Le but de la commission, la justice d'appel à bon marché serait ainsi également atteint.

Je laisse donc de côté la question de l'appel, au moins pour le moment.

Pourquoi, messieurs, a-t-on cru qu'il serait utile de transférer aux juges de paix la connaissance des petites contestations commerciales, en dernier ressort jusqu'à 100 francs et, sauf appel, jusqu'à 200 francs ? Aujourd'hui, toutes ces contestations doivent être portées, si minimes qu'elles soient, ne s'agit-il que de 10 fr., devant le tribunal de commerce de l'arrondissement. Or, le chef-lieu d'arrondissement est certainement, quoi qu'on en dise, et en règle générale, plus éloigné des justiciables que le chef-lieu de canton.

Première considération en faveur de la réforme : pour une petite contestation de quelques francs, vous condamnez un malheureux plaideur à aller, malgré lui, au chef-lieu d'arrondissement, et cela quand on a trouvé exorbitant un système dans lequel l'électeur, parce qu'il le veut bien, va, le jour des élections, au même chef-lieu d'arrondissement. Nous avons pensé que ces déplacements aggravaient la charge pécuniaire qui pèse sur tous les plaideurs.

Nous avons pensé également qu'une foule de petites contestations arrivent directement devant le tribunal de commerce alors que l'intervention conciliante d'un magistrat local aurait pu prévenir le procès. A cette deuxième considération l'honorable M. Van Overloop et, je crois, d'autres orateurs ont répondu : « Mais les tribunaux de commerce sont essentiellement conciliants par leur nature ; lorsque de petites contestations sont portées devant eux, ils appellent les parties en chambre du conseil et ils tâchent de les concilier. »

C'est très vrai, mais une intervention conciliante ne sera-t-elle pas plus efficace avant que des frais de justice aient été faits ? Si, bien souvent, le juge consulaire, après l'assignation, n'arrive pas à éteindre, le procès, c'est parce que les frais que l'on a faits pour arriver jusqu'à la justice consulaire sont un obstacle à la conciliation. Ensuite les juges de paix ont un droit que n'ont pas les tribunaux de commerce ; le juge (page 658) de paix peut interdire à l'huissier d'assigner, pour des affaires de trop minime importance, jusqu'à ce qu'il ait appelé les parties chez lui, sans frais, et qu'il ait cherché à les concilier.

C'est là une intervention préventive que nous avons considérée comme extrêmement utile en matière commerciale pour les petites affaires. Plus qu'en matière civile, ces procès sont dénués d'intérêt sérieux. Ils représentent, comme le disait avec raison l'honorable M. Van Wambeke, une querelle unique et toujours la même, la lutte entre un débiteur qui demande un délai et un créancier qui ne veut pas l'accorder.

Vous pouvez donc, messieurs, de cette façon augmenter l'influence conciliatrice du juge de paix, le rapprocher de cette origine dont l'honorable M. Jouret le voyait tout à l'heure avec regret s'écarter de jour en jour.

Nous avons pensé encore que la compétence du juge de paix permettrait de juger plus promptement, plus facilement et avec moins de frais même que devant la justice consulaire, et voici pourquoi.

La justice consulaire, si simple qu'elle soit, a certaines formes qui sont étrangères à la justice de paix. S'il s'agit de constater un état de choses ou de lieux, le juge de paix peut faire la constatation par lui-même et le juge consulaire est obligé de recourir à des experts. L'audition des témoins est plus simple, également.

II y a donc diminution de frais et rapidité plus considérable dans la décision.

Mais, dit-on, des questions de compétence vont se produire devant le juge de paix, comme il s'en produit aujourd'hui devant les tribunaux de commerce. J'avoue que je ne vois pas ces questions de compétence.

Je prévois, sous ce rapport, une difficulté, une seule, quand, par hasard, le juge de paix se trouvera en face d'une somme entre 150 et 200 fr. pour 50 fr., c'est-à-dire pour le quart au plus des affaires de sa compétence. Là, s'il s'agit d'une preuve à fournir, le juge devra examiner si la contestation est susceptible de la preuve testimoniale et décider si elle est commerciale plutôt que civile.

Pour toutes les affaires au-dessous de 150 fr. la question de compétence est parfaitement inutile à soulever puisque la preuve testimoniale est admissible.

Après le jugement, la juridiction des juges de paix est encore plus avantageuse que la justice consulaire.

L'exécution provisoire des jugements nonobstant appel est de droit devant le juge de paix jusqu'à 300 fr. Elle ne l'est pas devant les tribunaux de commerce.

Le délai pour interjeter appel n'est d'ordinaire que de 10 jours devant le juge de paix, tandis que devant les tribunaux de commerce il est toujours de 3 mois.

Toutes ces considérations réunies nous ont fait trouver dans le juge de paix uue justice plus sommaire que celle des tribunaux de commerce et c'est pourquoi la commission a cru qu'elle rendait un véritable service au commerce en proposant son amendement.

Maintenant, si plus tard on défère les appels des sommes de 150 fr. à 200 fr. aux tribunaux civils, j'avoue que je n'y vois aucun obstacle. La commission a pris le tribunal de commerce, parce qu'elle a cru qu'on y plaidait à meilleur marché que devant le tribunal civil ; voilà l'unique raison de sa préférence.

MjBµ. - Messieurs, je suis contraire à l'amendement de la commission. En fait, il tend à faire revenir la Chambre ou du moins ceux qui considéraient l'amendement de l'honorable M. Jacobs comme inconstitutionnel, sur leur vote, car il a pour but de prendre aux tribunaux de commerce une partie des affaires commerciales pour les donner aux juges de paix. Or, si l'article 105 de la Constitution défend d'avoir dans les tribunaux de commerce des juges civils, il défend également de faire ce que propose la commission.

M. Ortsµ. - Les arbitres sont inconstitutionnels alors ?

MjBµ. - Pas le moins du monde. Est-ce qu'actuellement les affaires de 200 francs ne sont pas déférées aux tribunaux consulaires ?

Adopter l'amendement de la commission, ce serait donc faire indirectement ce que la Chambre n'a pas voulu.

Voilà, messieurs, un premier argument qu'il ne faut pas négliger.

Maintenant y a-t-il des raisons pratiques quelconques en faveur de l'amendement de la commission ? Je ne le crois pas.

Comment voulez-vous que le juge de paix juge mieux que le tribunal dû commerce les affaires commerciales, surtout si vous allez admettre tous les juges de paix du pays à juger ces affaires ? Il faut noter, messieurs, sous la législation actuelle il n'y a qu'un certain nombre de tribunaux de commerce. Dans le nombre il y en a tout au plus 6 qui rendent par année plus de 200 jugements.

Croyez-vous qu'un juge de paix, qui n'aura que de temps en temps une affaire commerciale, jugera aussi bien que les tribunaux de commerce qui jugent constamment ces sortes d'affaires ? Evidemment non !

Voyez le dédale dans lequel vous allez vous lancer. Il y a des juges de paix qui ne siègent que tous les quinze jours et aux termes de la loi, on peut assigner en matière commerciale dans le délai d'un jour franc.

Que ferez-vous ? Obligerez-vous le juge à tenir audience tous les jours ?

L'honorable M. Orts prétend qu'il y aurait économie de frais. Je prétends, moi, que les frais seront plus considérables.

Les affaires commerciales, messieurs, se concentrent surtout dans les grands centres ; tous les tribunaux de commerce ne sont pas encombrés, ainsi le tribunal de commerce de Courtrai ne rend que 80 jugements par an.

M. Reynaertµ. - Il y a plus de 200 affaires.

MjBµ. - Oui, mais il n'y a que 80 jugements ; le tribunal de commerce d'Alost ne rend que 90 jugements. Vous obligerez le commerçant d'Anvers et de Bruxelles, par exemple, à plaider devant les justices de paix les plus éloignées du pays,. Et vous croyez qu'il y aura là une économie ? Ces commerçants devront se faire représenter par un avocat.

M. Ortsµ. - On pourra comparaître en personne devant le juge de paix.

MjBµ. - Sony-ce là les habitudes du commerce ? Le juge de paix de Houffalize aura beau appeler un commerçant d'Anvers ou de Bruxelles, il peut être certain que le commerçant ne se rendra pas à son appel.

Je vois donc dans l'amendement un accroissement de frais et une difficulté très grande pour les petits négociants. Les grands commerçants, quand ils ne seront pas assurés de la solvabilité de leurs petits clients, ne leur feront plus crédit ; ils leur diront : Je ne veux pas aller plaider au fond de la Belgique devant un juge de paix qui n'a pas l'habitude des affaires commerciales, je préfère ne pas faire d'affaires avec vous.

Je pense donc que la Chambre doit maintenir son premier vote et conserver les juridictions telles qu'elles sont actuellement établies.

Au surplus, ce que l'on veut maintenant ,c'est modifier les règles de la compétence ; or, il a été décidé que toutes les questions de compétence auraient été écartées du projet de loi sur l'organisation judiciaire. La Chambre veut-elle adopter un autre système, et traiter ici une matière qui trouverait mieux sa place dans le code de procédure ? Pour moi je ne saurais l'y engager.

- Des membres. - Aux voix !

MpVµ. - Je mets aux voix l'amendement de M. Jacobs.

- Des membres. - Votons seulement sur le principe. (Adhésion.)

MpVµ. - Je mets aux voix le premier paragraphe de l'amendement de la commission, qui est ainsi conçu :

« Néanmoins, les juges de paix connaissent des affaires commerciales dans les limites de leur compétence. »

- Ce paragraphe n'est pas adopté.

MPVµ. - Par suite de ce vote, le deuxième paragraphe de la commission vient à tomber ; et il est également inutile de mettre aux voix l'amendement de M. Jacobs.

Articles 35 à 37

« Art. 35. Lorsque aucun tribunal de commerce n'est établi dans un arrondissement, le tribunal de première instance y exerce la juridiction commerciale.

« Dans ce cas, le tribunal de première instance juge sans l'assistance du ministère public, conformément aux dispositions qui régissent les tribunaux de commerce. »

- Adopté.


« Art. 36. Le Roi détermine, pour chaque tribunal de commerce, le nombre des juges suppléants suivant les besoins du service. »

- Adopté.


« Art. 37. Tout commerçant ou tout ancien commerçant peut être nommé juge ou juge suppléant, s'il est âgé de vingt-cinq ans accomplis et s'il exerce ou a exercé le commerce avec honneur et distinction pendant cinq ans.

« Le président doit être âgé de trente ans accomplis et ne peut être choisi que parmi les anciens juges. »

- Adopté.

Article 38

« Art. 38. Les membres des tribunaux de commerce sont élus dans (page 659) une assemblée composée de commerçants payant au trésor de l'Etat, du chef de leur patente, la somme de 42 fr. 32 c.

M. Dupontµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau un amendement ainsi conçu :

« Je propose de supprimer à l'article 38 les mots : « du chef de leur patente » et de les remplacer par les mots : « contributions directes, patentes comprises »

Je demande la permission de donner en peu de mots les motifs de cet amendement.

Le projet de loi propose d'attribuer la capacité électorale aux commerçants qui paient au trésor du chef de leur patente, une somme de 42 fr. 32 c. On a voulu ainsi obvier aux inconvénients que présente l'état de choses actuel. Je crois pour ma part qu'on n'est pas allé assez loin et que la restriction qui consiste à n'attribuer la capacité électorale qu'aux commerçants qui paient une patente de 42 fr. 32 c., doit de toute nécessité disparaître.

A mon avis, les commerçants qui paient le cens électoral exigé pour pouvoir participer à l'élection des membres des Chambres et des conseillers provinciaux, sont aptes à prendre part à l'élection des juges consulaires. La capacité pour participer à cette dernière élection ne doit pas être plus grande que pour participer aux autres. Et en effet, quels sont les motifs que l'on a invoqués en faveur du maintien des tribunaux de commerce ? On vous a dit que les juges consulaires ne statuaient en définitif que sur des points de fait, sur des questions faciles à juger, que c'était une juridiction de bon sens et d'équité. Or, il faut bien le reconnaître, ceux qui sont investis d'un mandat politique, les conseillers communaux des grandes villes, les conseillers provinciaux, les membres de la Chambre et du Sénat ont à se prononcer sur des intérêts infiniment plus importants.

Si donc il y a une raison de distinguer, le cens devrait, selon moi, être moins élevé pour les commerçants appelés à élire des juges consulaires que pour les citoyens appelés à élire les membres des Chambres.

D'un autre côté, et c'est le second motif qu'on a invoqué pour demander le maintien des tribunaux consulaires, d'un autre côté on a dit que les commerçants désiraient être jugés par leurs pairs. Mais dès lors et en principe tout commerçant a le droit de prendre part à l'élection des hommes à la juridiction desquels il devra se soumettre et vous n'avez le droit de l'exclure que pour autant que vous établissiez qu'il n'a pas l'intelligence suffisante pour faire un bon choix. Or, vous ne pouvez pas exclure sous ce prétexte des commerçants qui paient fr. 42-32 et que la loi déclare aptes à choisir les membres des Chambres, des citoyens qui paient le cens le plus élevé exigé par nos lois commerciales.

Enfin, il est une objection qu'on a souvent faite contre les tribunaux de commerce, un inconvénient qu'on a souvent signalé. On a prétendu que ce n'est peut-être pas sans raison, que les tribunaux de commerce constituaient une espèce d'aristocratie et qu'il fallait autant que possible rendre l'institution plus démocratique.

La proposition que je fais n'a pas pour effet de lui donner des bases trop démocratiques ; elle l'établit sur une base suffisamment large, mais qui ne sera pas excessive, elle l'établira sur une base qui sera en harmonie avec nos lois électorales, avec les dispositions qui régissent la capacité requise pour prendre part au choix des membres des Chambres législatives.

A ce point de vue, la Chambre, j'en ai l'espoir, sera disposée à donner son adhésion à l'amendement que j'ai l'honneur de lui soumettre.

- L'amendement est appuyé, il fait partie de la discussion.

M. Dumortierµ. - L'amendement de l'honorable membre qui vient de se rasseoir est un changement complet de la législation actuelle sur les tribunaux de commerce. Jusqu'ici, qui est-ce qui nommait les membres des tribunaux de commerce ? C'étaient les commerçants notables. Mais les députations permanentes formaient les listes et il s'est élevé des réclamations sur la formation des listes. On a prétendu que dans telle ou telle circonstance la députation pourrait écarter des commerçants notables. Pour obvier à cet inconvénient, le gouvernement vous propose une disposition que, pour mon compte, je crois très sage et très rationnelle ; il faut, pour avoir le droit d'élire les membres du tribunal de commerce, être commerçant et payer une somme de fr. 42-32 du chef de sa patente.

L'honorable membre propose de modifier cette condition, en ce sens que les 42 fr. 32 c. ne devraient pas être payés du chef de la patente exclusivement, mais du chef de tous les impôts directs. C'est à peu près faire nommer les tribunaux, de commerce par le corps électoral, avec cette complication que dans beaucoup de provinces vous aurez deux districts concourant à la nomination d'un tribunal.

Savez-vous, messieurs, quelle va être la conséquence de l'amendement s'il est adopté ? C'est que tous les cabaretiers vont être électeurs pour les tribunaux de commerce. Les tribunaux de commerce seront nommés parles cabaretiers.

- Un membre. - Et par les débitants de boissons.

M. Dumortierµ. - Et par les débitants de boissons. Je demande si l'honorable membre a bien réfléchi à la portée de son amendement. Je crois que l'amendement va déjà très loin ; je l'accepte, mais je crois qu'il y aurait imprudence à aller au delà.

M. Orts, rapporteurµ. - Messieurs, je n'ai pas mission pour donner l'opinion de la commission sur l'amendement de l'honorable M. Dupont ; je ne puis donner que mon opinion personnelle, l'amendement n'ayant pas été produit devant la commission.

Je comprends très bien qu'on puisse être partisan d'un système qui consiste à démocratiser (puisqu'on a employé le mot) l'élection des membres des tribunaux de commerce, mais je ne puis pas comprendre un système qui ferait concourir à l'élection des membres des tribunaux de commerce des hommes pour qui le commerce ne serait qu'une chose accessoire dans l'administration de leur fortune. Comme l'a très bien fait remarquer l'honorable M. Dumortier, dont je partage l'opinion, avec l'amendement, vous aurez comme électeurs des gens qui payent peut-être une patente très mince, qui seront peut-être de très petits commerçants. et ces gens, grâce à une fortune immobilière d'une certaine importance, viendront peser sur la nomination des membres des tribunaux de commerce, en concourant avec ceux qui sont uniquement commerçants.

Si l'on veut démocratiser, je comprendrais que l'on vînt dire : Le cens de 42 fr. de patente est trop élevé Nous demandons qu'il soit réduit à 30 fr., mais à 30 fr. de patente Je comprendrais cela et je réfléchirais. Je ne dis pas que j'admettrais l'innovation d'emblée, mais en principe je n'y serais point hostile. On propose tout autre chose, et je ne puis pas admettre qu'on devienne électeur pour la justice consulaire au moyen de contributions qui n'ont rien de commercial. Il faut être véritable commerçant pour concourir à la nomination des tribunaux de commerce. Nous devons faire de deux choses l'une, ou bien admettre tous les commerçants indistinctement à voter, ou bien exiger des garanties d'aptitude commerciale et d'intérêt commercial, par le payement d'un cens électoral commercial.

M. Dupontµ. - Je veux vous présenter une simple observation : C'est qu'à mon point de vue tout commerçant, petit ou grand, qu'il appartienne à la démocratie ou à l'aristocratie du commerce, a le droit de concourir à la nomination de la magistrature consulaire, du moment qu'il a l'intelligence nécessaire pour faire un bon choix. Il a ce droit, parce que il relève de cette magistrature qui aura compétence pour le juger et que le principe de la juridiction commerciale est précisément le choix du juge par ses pairs. Vous ne pouvez donc pas exclure un commerçant à moins que vous ne donniez un motif sérieux de cette exclusion et ce motif ne peut consister que dans l'incapacité. Or, d'après toutes nos lois électorales le cens de 42 fr. 32 c. est la mesure de la capacité pour concourir à la nomination des membres de la Chambre des représentants et du Sénat et je dis que c'est une inconséquence flagrante que de prétendre qu'un commerçant qui paie 42 fr. 32 centimes et qui est électeur pour la Chambre et pour le Sénat n'a pas la capacité nécessaire pour prendre part à la nomination des membres des tribunaux de commerce. Le seul motif valable de son exclusion serait l'incapacité et sa capacité est constatée par sa qualité d'électeur pour la Chambre et le Sénat. Prétendre le contraire c'est à mon avis faire le procès à tout notre système d'élection et dire que le cens de 42 francs ne constate pas, comme on le prétend généralement, la capacité chez l'électeur.

- L'amendement de M. Dupont est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

L'article 38 est mis aux voix et adopté.

Articles 39 à 43

« Art. 39. La liste des électeurs est dressée sur tous les commerçants de chaque arrondissement, par la députation permanente du conseil provincial, avant le 15 juillet de chaque année.

« L'électeur doit être inscrit sur la liste électorale pour la nomination des conseillers communaux.

« Le double de la liste des électeurs est transmis au greffe du tribunal avant le 1er août. »

- Adopté.


« Art. 40. Les électeurs sont convoqués, à domicile et par écrit, par le gouverneur de la province, dans les deux mois qui précèdent l'expiration (page 660) des fonctions auxquelles il s'agit de pourvoir et au moins dix jours avant celui de l'élection.

« Les lettres de convocation indiquent le jour, l'heure et le local où l'élection aura lieu, ainsi que le nombre de membres à élire.

« Les électeurs sont convoqués de la même manière à d'autres époques, s'il y a lieu, à l'effet de procéder aux remplacements nécessités par démission ou décès.

« Dans ce cas, le membre élu achève le terme de celui qu'il remplace. »

- Adopté.


« Art. 41. Les lettres de convocation sont remises sous récépissé dans chaque commune, par les soins du bourgmestre. »

- Adopté.


« Art. 42. L'assemblée électorale se réunit dans le lieu où siège le tribunal de commerce et est présidée par le président de ce tribunal. Trois des électeurs désignés par lui remplissent, les deux premiers, les fonctions de scrutateurs, le troisième, celles de secrétaire.

« L'assemblée ne peut s'occuper d'autres objets que de l'élection. »

-Adopté.


« Art. 43. Le président a la police de l'assemblée.

« Les électeurs seuls y assistent.

« A l'ouverture de la séance, le président fait connaître à l'assemblée le nombre des places vacantes et rappelle les conditions que la loi a exigées pour l'éligibilité. Il fait aussi donner lecture des différents articles qui règlent le mode de voter.

« Le double de la liste des électeurs transmis par le gouvernement au greffe sera affiché dans la salle de réunion, et nul ne pourra être admis à voter s'il n'y est inscrit. »

- Adopté.

Article 44

« Art. 44. L'élection est faite par scrutin individuel et par bulletins non signés, en commençant par le président et les juges titulaires.

« Les électeurs ne peuvent se faire remplacer. »

M. Orts, rapporteurµ. - Je crois devoir attirer l’attention de M. le ministre de la justice sur une difficulté pratique assez grande que me paraît devoir soulever l’article 44.

Cet article porte que l'élection est faite « par scrutin individuel ».

Je crois que par scrutin individuel on entend qu'il y aura un scrutin pour chaque personne à élire. Dans ce cas, les opérations seront excessivement longues, surtout à Bruxelles.

Quel inconvénient y aurait-il à faire un scrutin séparé pour le président, un scrutin de liste pour les juges, et un troisième scrutin, de liste encore, pour les juges suppléants ? J'appelle sur ce point l'attention de M. le ministre de la justice.

M. Jamarµ. - Messieurs, je viens appuyer les observations de mon honorable ami, M. Orts. Jusqu'à présent il y a eu un scrutin séparé pour chaque personne à élire, ce qui a rendu les opérations très longues, et ç'a été une raison pour tenir éloignés du scrutin un grand nombre d'électeurs. Je serais donc reconnaissant à M. le ministre de la justice de consentir à ce qu'il y ait un premier scrutin pour le président, un scrutin de liste pour les juges et un dernier scrutin pour les juges suppléants.

MjBµ. - Les observations présentées par les honorables MM. Orts et Jamar sont très fondées. Il peut y être fait droit par la suppression des mots « par scrutin individuel » dans l'article 44. J'en fais la proposition. Si cela ne suffit pas, nous pouvons revenir sur cet article au second vole.

- L'article 44, ainsi modifié, est mis aux voix et adopté.

Articles 45 à 64

« Art. 45. Chaque électeur, après avoir été appelé selon l'ordre alphabétique, remet son bulletin écrit et fermé au président. Celui-ci le dépose dans une urne placée sur le bureau disposé de manière que les électeurs puissent circuler alentour, ou au moins y avoir accès pendant le dépouillement du scrutin. »

- Adopté.


« Art. 46. Le nom de chaque votant est inscrit sur deux listes, l'une tenue par l'un des scrutateurs et l'autre par le secrétaire. »

- Adopté.


« Art. 47. Il est fait un réappel des électeurs qui n'ont pas répondu à l'appel. Cette opération achevée, le scrutin est déclaré fermé. »

- Adopté.


« Art. 48. Le nombre des bulletins est vérifié avant le dépouillement. S'il est plus grand ou moindre que celui des votants, il en est fait mention au procès-verbal. Après le dépouillement, si la différence rend l'élection douteuse, le bureau fait procéder à un nouveau scrutin. »

- Adopté.


« Art. 49. Un des scrutateurs prend successivement chaque bulletin, le déplie et le remet au président, qui en fait lecture à haute voix et le passe à l'autre scrutateur. Le résultat de chaque scrutin est immédiatement rendu public. »

- Adopté.


« Art. 50. Les bulletins blancs, ceux dans lesquels le votant se serait fait connaître, ceux qui ne sent pas écrits à la main et sur papier blanc non colorié, ceux qui ne contiennent pas un suffrage valable sont nuls, et ne comptent pas pour former la majorité.

« Sont nuls les suffrages qui ne contiennent pas une désignation suffisante. »

- Adopté.


« Art. 51. Les membres du tribunal sont élus à la majorité absolue des voix. Si personne n'obtient la majorité, il est procédé à un scrutin de ballottage entre les deux candidats qui ont eu le plus de voix. En cas de parité de suffrages, la préférence est accordée au plus âgé. »

- Adopté.


« Art. 52. Les membres du bureau rédigent, séance tenante, le procès-verbal de l'élection et l'adressent immédiatement au gouverneur de la province.

« Il en restera un double au greffe du tribunal de commerce, certifié conforme par les membres du bureau. »

- Adopté.


« Art. 53. Après le dépouillement, les bulletins sont brûlés en présence de l'assemblée. Ceux qui donnent lieu à contestation sont parafés par le réclamant, ainsi que par les membres du bureau et annexés au procès-verbal. »

- Adopté.


« Art. 54. Les réclamations contre la validité de l'élection sont portées, dans les cinq jours, devant la députation permanente du conseil provincial, qui statue en dernier ressort. »

- Adopté.


« Art. 55. Si l'élection est annulée pour irrégularité grave, soit sur réclamation, soit d'office, les opérations sont recommencées dans les vingt jours qui suivent la décision de la députation.

« Si l'élection est reconnue régulière, le gouverneur en transmet le résultat au ministre de la justice. »

- Adopté.


« Art. 56. Les membres des tribunaux de commerce sont institués par le roi. »

- Adopté.


« Art. 57. Les membres des tribunaux de commerce nouvellement élus, à l'époque ordinaire, entrent en fonctions au 15 octobre qui suit leur élection.

« Ceux qui sont élus à d'autres époques entrent en fonctions immédiatement après leur institution. »

- Adopté.


« Art. 58. Les membres des tribunaux de commerce ne peuvent rester plus de deux ans en place ni être réélus, même comme suppléants, qu'après un an d'intervalle. »

- Adopté.


« Art. 59. Les tribunaux de commerce ne peuvent rendre jugement qu'au nombre fixe de trois juges, y compris le président. Les juges suppléants ne seront appelés qu'à défaut de juges. »

- Adopté.


« Art. 60. Les juges suppléants peuvent être désignés, concurremment avec les juges, soit comme commissaires aux devoirs d'instruction, soit comme commissaires aux faillites. »

- Adopté.


« Art. 61. Nul ne peut plaider pour une partie devant les tribunaux de commerce, si la partie présente à l'audience ne l'autorise ou s'il n'est muni d'un pouvoir spécial, lequel peut être donné au bas de l'original ou de la copie de l'assignation. »

- Adopté.


« Art. 62. Ne sont admis à plaider comme fondés de pouvoir que ;

« 1° Les avocats ;

« 2° Les avoués ;

« 3° Les personnes que le tribunal agrée spécialement dans chaque cause. »

- Adopté.


« Art. 63. Il y a, dans chaque tribunal de commerce, un greffier qui est nommé et peut être révoqué par le roi. »

- Adopté.


« Art. 64. Le greffier est assisté d'un ou de plusieurs commis greffiers, (page 661) dont le nombre est déterminé par le roi selon les besoins du service.

- Adopté.

Article 65

« Art. 65. Nul ne peut être nommé greffier d'un tribunal de commerce s'il n'est âgé de vingt-cinq ans accomplis et s'il n’est docteur en droit, ou s'il n'a rempli pendant dix ans les fonctions de commis greffier d'une cour ou d'un tribunal de première instance ou de greffier d'une justice de paix.

« Nul ne peut être nommé commis greffier d'un tribunal de commerce s'il n'a vingt et un ans accomplis. »

M. Van Overloopµ. - Messieurs, aux termes du deuxième paragraphe de l'article 65, nul ne peut être nommé commis greffier d'un tribunal de commerce s'il n'a pas 21 ans accomplis.

Le premier paragraphe du même article énumère les conditions qu'il faut remplir pour être nommé greffier d'un tribunal de commerce. Pour pouvoir occuper ce poste, il faut être âgé de 25 ans accomplis et être docteur en droit, ou bien il faut avoir rempli pendant dix ans les fonctions de commis greffier d'une cour ou d'un tribunal de première instance ou de greffier d'une justice de paix.

Je ne vois pas figurer dans ce paragraphe les commis greffiers des tribunaux de commerce. Ainsi, le commis greffier d'un tribunal de commerce qui aura rempli ces fondions pendant dix ans ne pourra pas être nommé greffier de ce même tribunal !

Le paragraphe premier présente donc, à mon avis, une lacune sur laquelle j'appelle l'attention de M. le ministre de la justice.

MjBµ. - Messieurs, il y a cette observation à faire : c'est que les commis greffiers des tribunaux de commerce ne sont pas payés par l'Etat ; ils sont nommés par les tribunaux de commerce sur la présentation du greffier et payés par le greffier. Il y a donc une différence entre les commis greffiers des tribunaux de première instance et les commis greffiers des tribunaux de commerce.

M. Van Overloopµ. - Je crois qu'il conviendrait de modifier cet article. Celui qui, pendant dix ans, a rempli les fonctions de commis greffier d'un tribunal de commerce, c'est-à-dire celui qui a remplacé le greffier de ce tribunal, me paraît aussi capable d'être appelé aux fonctions de greffier que celui qui, pendant dix ans, aura été commis greffier d'une cour ou d'un tribunal de première instance ou greffier d'une justice de paix.

On pourrait dire : « d'un tribunal de première instance ou de commerce, » et d'ici au second vole examiner de plus près la question.

MjBµ. - Je ne m'oppose pas à ce qu'on réserve l'article et la question de savoir s'il faut admettre au bénéfice de l'article 65 les commis greffiers des tribunaux de commerce, comme les commis greffiers des tribunaux de première instance. Je veux bien examiner s'il y a lieu d'étendre la portée de cet article.

M. Van Overloopµ. - Je demande qu'on réserve l'article.

- L'article est réservé.

Article 66

« Art. 66. Les commis greffiers sont nommés par le tribunal auquel ils sont attachés, sur une liste triple de candidats présentée par le greffier Ils peuvent être révoqués par le tribunal qui les a nommés. »

- Adopté.

La séance est levée à 5 heures trois quarts.