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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 2 mai 1867

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboomµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 897) M. de Florisone, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisoneµ présente l'analyse suivante des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« L'administration communale de Beauwelz prie la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer de Bruxelles à Marbais et à Corbeek-Dyle. »

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je demande que cette pétition soit, comme les précédentes, renvoyée à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.

- Adopté.


« Le sieur François Leblond, clerc de notaire à Wasmuel, né à Pâturages (province de Hainaut), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« M. le procureur du roi à Malines transmet à la Chambre 124 exemplaires d'un mémoire des membres de ce tribunal relatif à la classification des tribunaux de première instance, réglée par le projet de loi sur l'organisation judiciaire. »


« M. Jouret, obligé de s'absenter pour quelques jours, demande un congé. »

- Accordé.


« M. Delaet, retenu chez lui par une indisposition, demande également un congé. »

- Accordé.

Composition des bureaux des sections

Les bureaux des sections, pour le mois de mai, ont été constitués comme suit.

Première section

Président : M. Van Iseghem

Vice-président : M. T’Serstevens

Secrétaire : M. Liénard

Rapporteur de pétitions : M. Bricoult


Deuxième section

Président : M. Mascart

Vice-président : M. de Macar

Secrétaire : M. de Rossius

Rapporteur de pétitions : M. Dethuin


Troisième section

Président : M. Descamps

Vice-président : M. Warocqué

Secrétaire : M. Magherman

Rapporteur de pétitions : M. Vander Maesen


Quatrième section

Président : M. Thibaut

Vice-président : M. Van Renynghe

Secrétaire : M. Carlier

Rapporteur de pétitions : M. Van Hoorde


Cinquième section

Président : M. de Muelenaere

Vice-président : M. Delaet

Secrétaire : M. Braconier

Rapporteur de pétitions : M. de Woelmont


Sixième section

Président : M. Julliot

Vice-président : M. Van Wambeke

Secrétaire : M. Bouvier

Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt

Projet de loi accordant un crédit spécial pour la transformation de l’armement de l’infanterie

Rapport de la section centrale

M. Vleminckxµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de crédit spécial de 8,400,000 francs pour la transformation de l'armement de l'infanterie.

- Ce rapport sera imprimé et distribué. Le projet de loi qu'il concerne sera porté à la suite de l'ordre du jour.


MpVµ. - Le bureau, conformément à une résolution prise hier par la Chambre, a composé de la manière suivante les deux commissions auxquelles elle a décidé le renvoi de deux projets de loi relatifs à l'érection de nouvelles communes.

La première, chargée d'examiner le projet de loi portant érection de la commune de Pironchamps (Hainaut), est composée de MM. Dewandre, Wasseige, Le Hardy de Beaulieu, Jonet et Dethuin.

La seconde commission, chargée d'examiner le projet de loi décrétant la séparation du hameau de Bruly d'avec la commune de Peschc (Namur), est composée de MM. Lambert, Moncheur, Lelièvre, Orban et Thibaut.

Ordre des travaux de la chambre

M. Thibautµ (pour une motion d’ordre). - Messieurs, vous avez fixé au 7 mai, c'est-à-dire, à mardi prochain, la discussion du projet de loi sur la péréquation de l'impôt foncier. Quoique l'examen de ce projet de loi soit hérissé de difficultés, surtout pour les membres qui ne sont pas familiarisés avec la nature spéciale des questions qu'il soulève, M. le ministre des finances a été, dans l'exposé des motifs, extrêmement avare de renseignements. Le rapport de la section centrale n'en contient aucun. Cependant, il est désirable que le vote d'une loi aussi importante et qui touche à tant d'intérêts, soit précédé d'un examen sérieux, complet et approfondi.

En ce qui me concerne, lorsque j'ai commencé l'étude du projet de loi, j'ai cherché vainement l'indication détaillée des résultats de la révision pour les cantons de la province de Namur et des provinces limitrophes. Le tableau de ces résultats appliqués à tous les cantons est cependant indispensable afin que chacun de nous puisse apprécier les opérations des agents du cadastre dans leur ensemble ainsi que la proposition de M. le ministre des finances.

J'ai donc l'honneur, messieurs, de proposer à la Chambre d'inviter M. le ministre des finances à produire 'un tableau présentant les résultats positifs de l'application de la loi du 10 octobre 1860 pour les cantons de chacune des neuf provinces. La Chambre en ordonnerait ensuite l'impression et la distribution.

Ce tableau devrait être dressé à l'instar de l'annexe B du rapport de la section centrale sur le projet de loi portant révision des opérations cadastrales. On distinguerait toutefois le revenu cadastral des propriétés bâties, ancien et nouveau, du revenu des autres propriétés ; et on diviserait ce dernier en trois parties d'après la nature même des propriétés, c'est-à-dire que le tableau présenterait dans des colonnes spéciales le revenu des propriétés données en location, des prairies et des bois.

La formation de ce tableau n'exigera pas beaucoup de temps ; je suis persuadé que ce document pourra être imprimé et distribué avant mardi prochain.

MfFOµ. - Messieurs, je croyais avoir donné, dans l'exposé des motifs et dans les pièces qui y sont jointes, tous les renseignements qui étaient de nature à éclairer la Chambre sur la portée de la mesure dont elle est saisie. Le projet de loi a été examiné par les sections ; et les sections n'ont pas jugé qu'il fût nécessaire de demander de nouveaux renseignements. La section centrale s'est occupée à son tour du projet ; elle a demandé au gouvernement (page 898) communication d'une série de documents ; je me suis empressé de les mettre à sa disposition ; la section centrale a déposé son rapport ; je croîs qu'il est très complet, très satisfaisant et très concluant.

Maintenant, que le projet de loi est mis à l'ordre du jour de mardi prochain, on demande la production de nouveaux renseignements. Je ne sais si cette proposition cache une intention d'ajournement ; mais il paraît très difficile que je puisse recueillir, faire imprimer et distribuer avant mardi des renseignements aussi étendus que ceux que demande l'honorable préopinant. Quant à la subdivision des propriétés non bâties indiquée par l'honorable membre, je ne pense pas qu'il soit possible de la faire établir. Je ferai d'ailleurs tout ce qui dépendra de moi pour satisfaire au désir exprimé par l'honorable membre ; mais je ne puis m'engager à fournir ces renseignements d'ici à mardi.

M. de Naeyerµ. - Le gouvernement a communiqué à la section centrale un tableau qui indique, pour chaque canton, le résultat de la révision cadastrale qui a eu lieu. Je crois que l'impression de ce tableau satisferait en grande partie à la demande de l'honorable M. Thibaut.

Le tableau ne contient pas la subdivision que l'honorable membre indique, en ce qui concerne les propriétés non bâties, mais il contient tous les autres renseignements que désire obtenir l'honorable M. Thibaut.

Ce tableau n'est pas imprimé. On pourrait en ordonner l'impression qui pourrait certainement avoir lieu avant mardi prochain.

MfFOµ. - Je répète que je ferai tout ce qui dépendra de moi.

Projet de loi d’organisation judiciaire

Motion d’ordre

M. Dupontµ. - Messieurs, mon intention est d'entretenir la Chambre d'un objet tout différent. J'ai l'honneur de proposer à l'assemblée de passer immédiatement à la discussion des dispositions du projet de loi sur l'organisation judiciaire, concernant la mise à la retraite des magistrats qui oui atteint l'âge de 70, de 72 ou de 75 ans.

Les motifs à l'appui de cette proposition sont les suivants :

L'honorable M. Thibaut vient de nous dire que son intention, et c'est probablement celle d'un grand nombre de membres de cette Chambre, est d'examiner avec le plus grand soin le projet de loi sur la révision des opérations cadastrales ; il demande, à cette fin, la distribution d'un tableau de renseignements ; il est évident que la discussion du projet de loi pourra durer assez longtemps.

Je reconnais que ce projet doit être voté dans la session actuelle. Je le reconnais parce qu'il y a des intérêts qui sont en souffrance, parce qu'il y a des provinces qui sont surtaxées. Il est juste que cette surtaxe qui pèse sur elles vienne à disparaître le plus tôt possible.

D'un autre côté, il est certain aussi que les dispositions du projet de loi d'organisation judiciaire auxquelles j'ai fait allusion tout à l'heure, présentent un très grand intérêt. Elles touchent de très près à la dignité de la magistrature. Il est impossible que ces dispositions restent discutées pendant aussi longtemps. Il est impossible que pendant une année encore on laisse cette question sans la trancher, sans que l'on mette fin à cette position intermédiaire dans laquelle se trouvent les magistrats qui ont atteint ou qui sont sur le point d'atteindre l'âge déterminé par la loi.

Il y a dans le projet de loi d'organisation judiciaire des dispositions qui ne présentent pas une grande importance et qui peuvent être ajournées sans inconvénients. Mais je ne pense pas qu'il puisse en être de même des dispositions dont je parle en ce moment.

Je crois d'autre part que si nous voulons discuter tout le projet, examiner tous les articles dont il se compose, en laissant même de côté les articles dont l'honorable M. Orts a proposé l'ajournement, nous ne pourrons pas aboutir, nous ne pourrons pas terminer cette discussion dans cette session.

Je pense donc que dans l'intérêt de tout le monde, et, en quelque sorte, comme un moyen de concilier et le désir de ceux qui veulent voter le projet de loi relatif à la péréquation cadastrale et le désir de ceux qui veulent que la question dont je parle en ce moment soit immédiatement élucidée et terminée dans cette session ; il serait opportun de s'occuper de suite et séparément des article 238 et suivants du projet.

J'en fais la proposition formelle.

M. Carlierµ. - Messieurs, je demande également que parmi les parties du projet de loi d'organisation judiciaire dont s'occupera la Chambre, elle veuille bien comprendre les dispositions relatives au roulement de nomination des conseillers aux diverses cours d'appel. La situation actuelle consacre, notamment pour les magistrats appartenant à la province de Hainaut, des injustices que le projet est destiné à réparer.

Je crois que la Chambre voudra bien admettre que cette discussion aille de pair avec celle que réclame l'honorable M. Dupont. Je ne sais même pas s'il y aura discussion à cet égard. Je crois que les articles dont je parle seront votés sans opposition.

M. Delcourµ. - J'ai demandé la parole uniquement pour obtenir une explication de l'honorable M. Dupont.

Je ne vois aucune difficulté à aborder immédiatement l'examen des dispositions relatives à la mise à la retraite forcée des magistrats. Mais je désire savoir quelle est la pensée de l'honorable membre : Veut-il ériger en loi spéciale les dispositions dont nous allons aborder la discussion ? Veut-il distraire ces dispositions du projet de loi sur l'organisation judiciaire ? Si c'est une loi spéciale qu'on cherche à obtenir par un biais, je déclare que je m'opposerai à la proposition. Mais, si on n'entend discuter qu'une question de principe en conservant le projet de loi dans son ensemble, je ne forme aucune opposition. Je demande donc une déclaration précise de l'honorable M. Dupont.

M. Dupontµ. - Je désire que l'on procède exactement de la même manière que l'on a procédé lorsqu'il s'est agi de certaines dispositions du code pénal qui présentaient un intérêt urgent. Ces dispositions ont été séparées momentanément du code pénal dont elles étaient destinées à faire partie ; elles ont été transmises de la Chambre au Sénat, promulguées et ont acquis force de loi.

Je propose qu'on agisse exactement de la même manière, c'est à-dire que s'il est possible de discuter tout le projet de loi d'organisation judiciaire, rien de mieux, qu'on le fasse.

Mais si cela est impossible, si nous ne pouvons transmettre le projet tout entier au Sénat, pour être l'objet de ses délibérations, pendant cette session, et je crois que cette impossibilité est dès à présent démontrée, il faut que les dispositions dont il s'agit soient séparées du projet de loi ; je crois que l'intérêt qui se trouve engagé est assez considérable pour justifier la mesure que j'ai l'honneur de proposer à la Chambre.

MpVµ. - M. Dupont demande qu'on s'occupe d'abord du chapitre XIII, considéré comme projet de loi spécial.

M. Moncheurµ. - Je demanderai que cette deuxième question reste indécise, et que la Chambre ne prenne pas de résolution à cet égard. Je demande qu'on discute le chapitre XIII, mais qu'on laisse intacte la question de savoir s'il formera un projet de loi spécial.

Il pourrait y avoir inutilité ou des difficultés à faire du chapitre XIII une loi spéciale ; nous sommes saisis du projet de loi tout entier par un arrêté royal et jusqu'à ce qu'il y ai une déclaration contraire au contenu de cet arrêté, nous devons discuter le projet tel qu'il nous est soumis.

MjBµ. - Je crois que la Chambre reconnaîtra qu'il est impossible d'aboutir dans cette session à discuter d'une manière complète et à voter toute la loi d'organisation judiciaire, à moins que la Chambre ne veuille renoncer à discuter, le 7 mai, la péréquation cadastrale.

- Plusieurs membres. - Non ! non !

MjBµ. - Je ne dis pas qu'il faille le faire, mais je constate qu'il n'est pas possible de discuter en trois jours le projet de loi complet de l'organisation judiciaire. C'est là le motif de la proposition de l'honorable M. Dupont : M. Dupont dit : « Puisqu'il est impossible de tout faire, allons au plus pressé, c'est-à-dire à la partie qui est relative à la mise à la retraite des magistrats. »

Evidemment, si cette partie ne forme pas une loi spéciale, la proposition de M. Dupont n'aurait aucun but, car l'effet du vote que vous auriez émis serait arrêté par le fait que les dispositions adoptées ne pourraient pas être soumises au Sénat.

II serait donc inutile d'adopter la proposition de M. Dupont, si vous n'adoptez pas en même temps la deuxième partie. Si le chapitre relatif à la mise à la retraite des magistrats ne doit pas former une loi spéciale, autant vaut qu'il reste à l'état de projet.

Maintenant, messieurs, si d'ici à mardi nous pouvons voter le reste de la loi, la proposition de M. Dupont tombera d'elle-même, mais si nous ne le pouvons pas, alors le chapitre XIII formera une loi spéciale.

M. Moncheurµ. - Messieurs, j'ai pris la parole lorsque j'ai entendu la proposition telle que l'a formulée M. le président. Cette proposition est devenue complexe, tandis que la proposition primitive de M. Dupont était simple : M. Dupont a proposé d'abord de s'occuper (page 599) immédiatement du chapitre relatif à la mise à la retraite des magistrats, Après cela, M. Dupont a indiqué une deuxième proposition, c'est celle de scinder le projet de loi et d'en faire une lei spéciale avec le chapitre que nous allons discuter, mais comme l'a dit, je pense, M. le ministre de la justice, il n'est pas besoin de décider dès à présent la disjonction du projet, sauf à ordonner ultérieurement que cette disjonction aura lieu.

M. Dupontµ. - Je crois que les développements que j'ai eu l'honneur de présenter suffisent pour faire connaître complètement et exactement ma pensée.

Je disais à la Chambre que son intention comme la mienne devait être de terminer l'examen de cette question dans le courant de la session actuelle.

Or, cette question ne sera tranchée que pour autant que le projet puisse être transmis au Sénat, discuté par cette assemblée et formulé en loi dans le courant de cette session.

Pour cela, il faut évidemment que nous soyons en présence d'un projet de loi spécial.

Je maintiens donc ma proposition tout entière. Je propose à la Chambre de décider que les articles 237 et suivants relatifs à la mise à la retraite des magistrats formeront un projet de loi distinct, et qu'ils seront discutés immédiatement.

MpVµ. - M. Dupont demande en premier lieu que l'on discute immédiatement le chapitre XIII du projet de loi sur l'organisation judiciaire, en second lieu que la Chambre décide que ce chapitre fera l'objet d'un projet de loi spécial.

On est d'accord sur le premier point, il s'agit de se prononcer sur le second.

- Plusieurs membres. - L'appel nominal.

- D'autres membres. - La division.

M. Dumortierµ. - Messieurs, il y a là deux choses distinctes qu'on ne peut pas confondre. Rien ne nous presse de faire la loi que nous propose l'honorable M. Dupont.

Nous avons fait en 1832 la loi d'organisation judiciaire. Nous l'avons refaite depuis. L'organisation judiciaire existe et, en définitive, la proposition de l'honorable M. Dupont n'a aucun caractère d'urgence.

Je conçois que l'on examine la question de savoir si l'on discutera les articles 237 et suivants, mais quant au point de savoir si l'on en fera une loi spéciale, c'est tout autre chose et si l'on voulait le traiter, je demanderais à parler contre.

MpVµ. - Je mets aux voix la seule question qui soit en discussion, celle de savoir si l'on fera du chapitre XIII du projet une loi spéciale.

- Il est procédé à l'appel nominal.

82 membres y prennent part.

58 répondent oui.

24 répondent non.

En conséquence, la Chambre décide que le chapitre XIII fera l'objet d'une loi spéciale.

Ont répondu oui :

Anspach, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Broustin, Bruneau, Carlier, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Kerchove de Denterghem, de Lexhy, de Macar, de Moor, de Rongé, de Rossius, Descamps, Dethuin, de Vrière, Dewandre, Dolez, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Hagemans, Jonet, Julliot, Lambert, Lange, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lesoinne, Lippens, Mascart, Mouton, Muller, Orban, Orts, Pirmez, Preud'homme, Sabatier, T'Serstevens, Valckenaere, Alphonse Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Warocquè, Watteeu, Allard, Ansiau et Ern. Vandenpeereboom.

Ont répondu non :

MM. Beeckman, de Coninck, Eugène de Kerckhove, Delcour, de Muelenaere, de Naeyer, de Terbecq, de Theux, Dumortier, Hayez, Jacobs, Kervyn de Lettenhove, Liénart, Magherman, Moncheur, Nothomb, Reynaert, Tack, Thibaut, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Renynghe, Vilain XIIII et Wouters.

Projet de loi relatif à la mise forcée à la retraite des magistrats

Discussion des articles

Chapitre XIII (du projet de loi d’organisation judiciaire). De la mise à la retraite

MpV. - La discussion est ouverte sur le chapitre XIII du projet de loi d'organisation judiciaire.

Article 237

« Art. 237. Les membres des cours et tribunaux sont mis à la retraite lorsqu'une infirmité grave et permanente ne leur permet plus de remplir convenablement leurs fonctions ou lorsqu'ils ont accompli l'âge de soixante et dix ans. »

« (Amendement de la commission) ... ou lorsqu'ils auront accompli, dans les tribunaux, l'âge de soixante-dix ans ; dans les cours d'appel, l'âge de soixante-douze ans ; à la cour de cassation, l'âge de soixante-quinze ans. »

M. Reynaertµ. - Je considère la proposition qui est soumise en ce moment aux délibérations de la Chambre et qui est relative à la retraite forcée des magistrats pour cause d'âge, comme inconstitutionnelle et comme injuste.

Permettez-moi de développer brièvement ces idées et de motiver ainsi le vote que je me propose d'émettre.

En ce qui concerne le premier point, la question d'inconstitutionnalité, que je viens de soulever, je sais que mon opinion personnelle est bien peu de chose ; je n'ai assurément ni le savoir ni l'autorité nécessaire pour résoudre un problème aussi délicat et aussi grave.

Mais, grâce à Dieu, l'opinion que je me suis faite et, j'ose le dire, la conviction profonde que j'ai acquise à cet égard est basée sur une jurisprudence parlementaire uniforme et sur l'autorité imposante de plusieurs membres de cette Chambre dont la science et les lumières commandent le respect.

Comme vous le savez, messieurs, la question n'est pas neuve ; elle s'est présentée aux discussions de cette Chambre à trois époques différentes ; en 1842, en 1844 et en 1849. A cette dernière époque dans un projet de loi, ayant pour objet la réduction du personnel des cours et des tribunaux, l'article 9 portait la disposition suivante :

« Art. 9. Les membres des cours et tribunaux devront être mis à la retraite dans l'année qui suivra celle où ils auront l'âge de 70 ans ; en conséquence, les dispositions des articles 8 et 9 de la loi du 20 mai 1849 sont modifiées ainsi qu'il suit :

« Art. 8. Les membres des cours et tribunaux seront mis à la retraite lorsqu'une infirmité grave ou permanente ne leur permettra plus de remplir convenablement leurs fonctions ou lorsqu'ils auront atteint l'âge de 70 ans. »

Vous l'entendez, messieurs, c'est le même système, le même principe que celui que l'on nous demande de consacrer aujourd'hui dans la disposition de l'article 237 du projet du gouvernement. Mais cette mesure était alors proposée par le gouvernement, moins comme une nécessité générale, résultant de la nature des choses et des besoins d'une forte organisation judiciaire, que comme un corollaire, comme une conséquence logique et inévitable de la réduction du personnel des cours et des tribunaux ; ce personnel étant diminué, restreint, on croyait qu'il était nécessaire de le rajeunir, de le fortifier par l'introduction d'un élément plus jeune et plus vigoureux.

Le gouvernement n'allait pas au-devant de la réforme, il la subissait plutôt ; aussi proclamait-il lui-même l'utilité de conserver, dans les cours et les tribunaux, des magistrats vieillis dans la pratique des affaires. Cette pensée du gouvernement, messieurs, résulte à toute évidence des paroles prononcées à la séance du 24 avril 1849 par M. le ministre de la justice. Voici ce que disait l'honorable M. de Haussy en parlant de la discussion qui avait eu lieu sur cet objet en 1842 :

« La commission du Sénat, dont j'avais l'honneur d'être rapporteur, exprimait également l'opinion que des magistrats septuagénaires pouvaient avoir encore l'aptitude nécessaire pour leurs fonctions ; que leur vieille expérience, leur jugement mûri par la pratique des affaires, leur permettrait de prêter à leurs jeunes collègues un concours, sinon aussi actif, au moins utile et plus éclairé.

« Cette opinion que j'exprimais alors, je la partage encore aujourd'hui, et si notre organisation judiciaire devait rester la même, si le personnel de nos tribunaux ne devait subir aucune réduction, je reconnais que l'on pourrait sans inconvénient, et même quelquefois avec utilité, conserver dans les cours et tribunaux des magistrats chez qui l'expérience et la pratique des affaires peut suppléer aux facultés que l'âge avancé et les habitudes d'une vie laborieuse ont pu affaiblir.

« Mais ce qui était possible lorsque nos cours et tribunaux étaient dotés d'un personnel qui excédait les besoins du service, le serait-il encore aujourd'hui que ce personnel va se trouver réduit au strict nécessaire par le résultat de la réforme proposée ? Telle est la question que le gouvernement a dû se faire et il a pensé que si le corps judiciaire perdait sous le rapport du nombre, il devait trouver une compensation dans le zèle et dans l'activité de leurs membres afin que l'expédition des affaires ne pût en souffrir.

(page 900) « Ce sont ces considérations, messieurs, qui ont seules porté le gouvernement à vous présenter dans l'article 9 de ce projet la disposition qui n'avait pas été accueillie en 1845. »

Ainsi, messieurs, il est constant que le gouvernement, en 1849, ne s'appuyait pas, pour proposer la réforme, sur la raison générale, qu'on invoque aujourd'hui, des nécessités d'une bonne et forte organisation judiciaire ; mais sur la raison toute spéciale et tout accidentelle de la réduction du personnel des cours et des tribunaux.

Avant d'aller plus loin, j'ai cru devoir signaler à la Chambre cette différence importante entre les motifs allégués en 1849 et ceux que l'on produit en ce moment.

Aujourd'hui, le mobile du gouvernement est érigé à la hauteur d'une règle, d'un principe ; en 1849, au contraire, c'était une question de circonstances, un simple accident, imposé par la situation générale, et que le gouvernement n'aurait pas songé à réaliser s'il ne s'était vu obligé de restreindre le personnel des cours et des tribunaux.

Mais quels que soient les motifs que l'on peut invoquer à l'appui d'une pareille réforme, la question de constitutionnalité doit inévitablement surgir, et c'est ce qui arriva en 1849. La Chambre ne s'arrêta guère aux raisons spéciales alléguées par M. le ministre de la justice et la discussion, qui fut vive et ardente, roula presque tout entière sur l'article 100 de la Constitution.

J’ai cru ne pouvoir mieux faire, messieurs, puisque la question se présente aujourd'hui dans les mêmes termes, que de vous faire connaître l'opinion exprimée avec beaucoup de talent et de vigueur par deux de nos collègues. La Chambre ne perdra rien à ce que je substitue ainsi l'opinion de ces deux hommes éminents à la mienne propre.

L'honorable M. Orts, rapporteur de la section centrale, s'exprimait, dans son rapport, dans les termes suivants :

« L'article 9 du projet soulève une question des plus importantes. Il consacre le principe d'une mise à la retraite forcée du magistrat ayant atteint l'âge de 70 ans.

« Un simple coup d'œil jeté sur l'article 100 de notre Charte, mise en rapport avec le projet actuel, a immédiatement éveillé, dans le sein de la section centrale, des scrupules constitutionnels. La sixième section, mue par les mêmes considérations, avait de son côté rejeté l'article.

« Après un mûr examen, après une discussion consciencieuse, la section centrale a repoussé la disposition projetée comme inconstitutionnelle à la majorité de 5 voix contre 1. Le membre favorable au projet a insisté sur les considérations émises dans l'exposé des motifs.

« A l'appui de la mesure, il a fait ressortir son utilité au double point de vue de la dignité de la justice et de l'intérêt des justiciables. D'après lui, la question de constitutionnalité est préjugée par la loi du 20 mai 1845, car cette loi n'est ni plus ni moins constitutionnelle que le projet nouveau.

« La majorité de la section centrale n'a pu se ranger à cet avis.

« Le texte de l'article 100 de la Constitution me semble par sa clarté exclure invinciblement le doute : « Le juge est nommé à vie. »

« Il peut, ajoute l'article, être privé de son siège par un jugement ; mais on ne saurait voir sérieusement un jugement dans la proclamation que ferait un corps judiciaire de l'existence d'un fait, déjà authentiquement constaté par un acte de l'état civil. Il n'y a pas jugement là où le choix du juge ne peut s'exercer entre deux solutions ; là où il n'y a ni fait ni droit contesté ou contestable. »

Puis après avoir considéré le principe de l'inamovibilité au point de vue de l'indépendance de la magistrature, l'honorable M. Orts ajoute :

« La haute et solide position que notre pacte constitutionnel a entendu garantir au pouvoir judicaire ne comporte pas un semblable système.

« La magistrature belge se recrute dans les hautes régions, en partie par son propre choix ; elle doit logiquement être juge du moment où l'un de ses membres devient incapable ou indigne de figurer parmi ses rangs.

« Le magistrat que ses pairs estiment, en âme et conscience, habile à occuper le siège où ils l'ont appelé, doit le conserver ; sinon, le magistrat devient l'esclave ou le jouet du pouvoir, qui le peut destituer.

« La loi du 20 mai 1845, en accordant aux corps judiciaires le droit de décider si l'un de leurs membres est désormais incapable de remplir ses fonctions, ne fait rien de comparable à ce que l'on propose aujourd'hui. Cette loi laisse au corps judiciaire de porter un véritable jugement sur un fait contesté et tellement contestable que la loi suppose une défense du magistrat dont la mise à la retraite est sollicitée, et règle l'exercice de ce droit à se défendre. »

Messieurs, dans la discussion qui eut lieu au sein de cette Chambre, un ancien membre du Congrès, l'honorable M. Henri de Brouckere s'exprimait, avec non moins de force, avec non moins de logique, que l'honorable M. Orts. A la séance du 24 avril 1849, répondant au ministre de la justice et à l'honorable M. Lelièvre, l'honorable membre disait :

« Nous leur répondons en leur présentant un texte précis, un texte parfaitement clair ; or, ces honorables membres, qui sont jurisconsultes, connaissent sans doute un principe, qui est incontestable et qui reçoit parfaitement ici son application, c'est que quand un texte de loi est clair, il n'y a point lieu à interprétation. Or, messieurs, que voulez-vous de plus clair et de plus tranchant que le texte de l’article 100 de la Constitution : « Les juges sont nommés à vie. Aucun juge ne peut être privé de sa place, ni être suspendu que par un jugement,. » Et en présence d'un semblable texte, on voudrait faire décréter une disposition qui établirait le principe de la mise à la retraite forcée des magistrats inamovibles à un certain âge. Il y a contradiction manifeste entre l'article 100 et une semblable disposition.

« M. le ministre de la justice pour tourner la difficulté a prétendu que l'inamovibilité n'est pas établie par la première disposition de l'article 100, mais bien par la deuxième disposition ; selon lui : « Les juges sont nommés à vie », cela voudrait dire seulement qu'ils ne sont pas nommés à temps, et le principe de l'inamovibilité serait établi par la deuxième disposition qui statue que la faculté de suspendre ou leur ôter leur place n'existe que moyennant un jugement préalable.

« Eh bien, messieurs, c'est là une erreur manifeste, et il suffit de consulter la discussion qui a eu lieu au Congrès, à propos de l'article 100, pour reconnaître que l'intention du Congrès a été d'établir l'inamovibilité par la première disposition et qu'il n'a décrété la deuxième disposition que comme exception à la première.

« Les juges sont nommés à vie », cela signifierait donc, selon M. le ministre de la justice, que les juges ne pourront pas être nommés à temps, et tout en produisant ce commentaire, M. le ministre de la justice défend une disposition qui aura pour effet réel qu'à l'avenir les juges ne seraient plus nommés qu'à temps.

« Quel que soit l'âge auquel une personne sera appelée, on pourra calculer en effet pour combien de temps elle y est appelée.

« Mais, dit M. le ministre de la justice, il y aura un jugement ; or, la Constitution permet d'ôter aux magistrats leur siège, moyennant un jugement préalable. Mais, messieurs, quand un magistrat a un jugement à rendre, c'est que nécessairement il peut prendre une décision eu deux sens contraires. Or, le jugement que M. le ministre voudrait faire rendre ainsi par la magistrature serait ici, qu'il ne pourrait prononcer que dans un seul sens.

« On soumettrait à une cour supérieure un acte de naissance et le jugement consisterait à déclarer que, d'après l'acte de naissance, le magistrat auquel il est question d'ôter sa place, a bien atteint 70 ans. Ce n'est pas là un jugement dans le sens de la loi. »

Plusieurs autres membres, et notamment l'honorable M. Destriveaux se prononcèrent dans le même sens, et, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire, la proposition fut rejetée par 51 voix contre 27.

Au vote, je rencontre parmi les adversaires du projet de loi les hommes les plus éminents de la gauche, les honorables MM. de Brouckere, d'Elhoungne, Dolez, E. Vandenpeereboom, président de la Chambre, Alp. Vandenpeereboom, ministre de l'intérieur, et Verhaegen.

En 1844, la question, il est vrai, ne fut pas soumise au vote de la Chambre. Mais le point de savoir si pareille mesure est ou n'est pas constitutionnelle n'en fait pas moins soulevé et discuté.

Il s'agissait en 1844 de convertir en loi un projet de loi présenté en 1842 et qui est devenu la loi du 20 mai 1845.

Dans le projet de loi primitif se trouvait une disposition ayant pour objet la mise à la retraite des magistrats parvenus à l'âge de 70 ans. Mais cette déposition, rejetée en 1842 par la section centrale, avait été également écartée en 1844 par le ministre de la justice, l'honorable M. d'Anethan, de sorte que le gouvernement et la section centrale se trouvaient d'accord en 1844 à ne plus proposer cette mesure.

Mais cet accord, il est permis de l'affirmer, cet accord entre le gouvernement et la Chambre était basé sur le principe de l'inamovibilité inscrit dans l'article 100 de la Constitution. Voici comment s'exprimait le rapporteur de la section centrale, l'honorable M. Delehaye, dans la séance du 15 novembre 1844 :

« La section centrale a écarté un second cas indiqué par (page 901) M. Volxem, alors ministre de la justice. L'honorable M. Van Volxem allait plus loin ; il voulait qu'à 70 ans le magistrat fût envisagé comme ne pouvant plus remplir ses fonctions. Vous concevez qu'une telle disposition eût porté atteinte à l'inamovibilité du magistrat. »

Les honorables MM. d'Anethan et Savart ne furent pas moins explicites, le premier, dans la séance du 21 octobre, et le second dans celle du 30 octobre 1844. Je passerai sous silence leurs discours, pour ne pas fatiguer la Chambre.

Maintenant, je passe à 1842 ; et ici encore j'affirme, malgré les assertions contraires et étranges du rapport, que la cause véritable et presque unique du rejet de la proposition du gouvernement, ce fut la conviction qu'elle était entachée d'inconstitutionnalité.

Vous venez d'entendre les paroles prononcées par l'honorable rapporteur de la section centrale, M. Delehaye ; consultez son rapport, et vous y verrez que quatre sections rejetèrent d'une manière expressive la proposition, pour cause d'inconstitutionnalité ; les deux autres sections ne se prononcèrent pas à cet égard.

L'honorable M. Orts, qui affirme que la question de constitutionnalité ne fut point débattue en 1842, n'a pas lu, j'en suis persuadé, le travail de la section centrale. Sa bonne foi aura été induite en erreur par certains discours prononcés en 1849.

Ainsi, messieurs, après tout ce que vous venez d'entendre, s'il m'est permis de tirer une conclusion, je dirai qu'à toutes les époques où la question fut agitée à la Chambre, en 1842, en 1844 et en 1849, la prétention du gouvernement de mettre à la retraite les magistrats parvenus à un âge déterminé, a échoué devant la résistance de l'article 100 de la Constitution. Mais si l'opinion de la Chambre n'a point varié sur la question qui nous occupe, depuis les temps du Congrès, comme l'honorable M. Delehaye l'affirme dans son rapport, jusqu'en 1849 ; si le texte et l'esprit de l'article 100 de la Constitution sont restés nécessairement identiques à eux-mêmes, il n'en a pas été de même, paraît-il, au sein de la commission qui a examiné le projet de loi actuel.

L'honorable M. Orts, dans son rapport, nous retrace l'histoire des variations de la commission. Quatre systèmes différents et contraires ont été tour à tour l'objet de ses préférences. La commission, hésitante et préoccupée d'un scrupule constitutionnel, a d'abord rejeté la proposition du gouvernement, puis, après avoir passé par l'éméritat volontaire, par l'éméritat forcé mais intégral, elle a fini par se rallier définitivement et de tout cœur aux amendements de M. le ministre de la justice.

Messieurs, je suis bien loin de faire un reproche à la commission des métamorphoses successives qu'elle a fait subir à ses résolutions.

Mais ce que je ne comprends même pas, ce que je ne puis concilier ni avec la logique, ni avec la raison, ni surtout avec l'article 100 de la Constitution, c'est que la commission, dans ses doutes, ses hésitations et ses transformations, se soit laissé guider ou plutôt influencer par des raisons extrinsèques à la Constitution.

Si, dans sa conviction, l'interdiction de l'article 100, en ce qui concerne la mise à la retraite des magistrats, est une vérité constitutionnelle, ou si simplement il y a doute à cet égard, devant cette conviction, devant ce doute, qu'importent, je vous le demande, les exigences quelque respectables qu'elles soient, mais qui me semblent fort contestables à moi, de l'intérêt d'une bonne et forte organisation judiciaire ? qu'importent le désir qu'on manifeste et la résolution qu'on veut nous faire prendre, d'assurer aux magistrats la sécurité d'une position indépendante ? qu'importe enfin l'inefficacité, l'inefficacité irrécusablement constatée, de la loi du 20 mai 1845 ?

Est-il une considération si élevée, un intérêt si puissant, qu'il puisse amener une solution contraire à la prescription positive de l'article 100 ? C'est bien le cas de dire : Dura lex sed lex. Sur le terrain de la Constitution, aucun accommodement, aucune transaction n'est possible.

Dire que les besoins de l'organisation judiciaire, dire que la garantie sociale exige cette réforme ; dire encore que d'autres lois, qui ont été organisées dans le même but, sont impuissantes, ce n'est pas raisonner sérieusement, c'est simplement couvrir la violation de la Constitution du manteau de la nécessité ou de l'utilité.

Si la Constitution n'est plus, sous ce rapport, à la hauteur des besoins sociaux, c'est à elle qu'il faut s'en prendre, c'est elle qu'il faut modifier, mais directement, loyalement, et non par des lois qui ne peuvent être rendues que pour la maintenir dans son intégrité.

Le paragraphe premier de l'article 100 dit : « Les juges sont nommés à vie. » Il ne peut être permis de les nommer à terme, de les nommer pour un temps déterminé, et c'est cependant ce pouvoir que le gouvernement veut usurper par son projet de loi. Il sera désormais possible de dire pour combien d'années le magistrat est nommé. Chaque arrêté de nomination portera virtuellement la date du terme fatal assigné à la carrière du magistrat.

Le paragraphe 2 de l'article 100 dit : « Aucun juge ne peut être privé de sa place ni être suspendu que par un jugement. » Eh bien, dans les conditions réglementaires de votre mise à la retraite, que faites-vous ? Que fait le gouvernement ? IIlorganise, il est vrai, un jugement ; mais, comme l'ont si bien démontré les honorables MM. Orts et de Brouckere, un simulacre, une parodie de jugement ; un jugement inventé pour les besoins de la cause, un jugement boiteux, si je puis m'exprimer ainsi, fatalement incliné vers une seule décision, dont les considérants et le dispositif seront invariablement et nécessairement les mêmes ; en un mot, un jugement qui ne juge rien, qui ne décide rien, mais dont le seul mérite est de mettre le gouvernement à l'aise vis-à-vis de la Constitution, et d'enregistrer, comme on le dit à côté de moi, un extrait de l'état civil.

Vous appelez encore le magistrat à se défendre ; mais vous limitez, et je dirai, vous étouffez sa défense dans le cercle étroit de son acte de naissance. De grâce, messieurs, quelle défense voulez-vous que le magistrat présente ? Doit-il s'inscrire en faux contre les attestations des registres de l'état civil ? Ce serait un acte de folie qui le ferait tomber doublement sous l'application de votre loi.

Je suis donc en droit de dire que votre jugement n'est pas un jugement ; c'est une destitution véritable déguisée sous une parure judiciaire.

Messieurs, quelle justice peut-il y avoir dans une mesure semblable ? Vous destituez le magistrat, arraché de son siège, d'un droit qui lui est garanti par la Constitution. Par une loi rétroactive, vous le frustrez d'une position acquise, vous le déclarez légalement incapable ; vous le blessez dans son honneur, dans sa considération, dans ses intérêts. Car en retour qu'avez-vous à lui offrir ? Un droit conditionnel à son traitement intégral. Vous lui donnez l'éméritat avec une pension dont le maximum est établi sur le taux moyen du traitement fixe pendant les cinq dernières années, à condition qu'il ait 30 années de service dont 15 dans la magistrature et que son traitement ait été le même pendant les cinq dernières années.

Messieurs, un seul système était possible, un seul était raisonnable et juste ; c'est l'éméritat volontaire.

C'est le seul tempérament propre à concilier les droits de la Constitution et les exigences de l'organisation judiciaire. Si le gouvernement ne voulait pas l'adopter, il aurait dû se rallier au moins à la proposition subséquente de la commission, qui était évidemment moins injuste. Elle assurait au magistrat l'intégralité de son traitement sans aucune condition ni restriction, tandis que le projet du gouvernement, je le répète, ne donne cet avantage au magistrat, qu'à la condition qu'il ait trente années de service et que son traitement ait été le même pendant les cinq dernières années.

Par suite de cette dernière condition, comme le constate le dernier rapport de la commission, aucun magistrat, si la loi est exécutée cette année-ci, n'aura droit à l'intégralité de son traitement.

Du reste, messieurs, il est un grief commun aux deux systèmes : c'est que l'un et l'autre ne font entrer en ligne de compte que le traitement fixe ; ils l'ont abstraction des émoluments que certains magistrats ont le droit de toucher.

C'est une inconséquence et une injustice. Une inconséquence dans notre législation, parce qu'on tient compte des émoluments pour la fixation de la pension ordinaire. Ainsi l'article 10 de la loi du 21 juillet 1846 est conçu en ces termes : « Sont compris dans l'évaluation de la moyenne du traitement, le casuel et les autres émoluments tenant lieu de supplément de traitement. »

C'est une injustice, parce que les émoluments ont toujours été considérés comme faisant partie du traitement ; parce que le traitement est moindre à raison même de cet élément variable, et que par conséquent il ne pouvait pas être permis de le négliger dans la fixation du chiffre de la pension.

Et maintenant, messieurs, faut-il que je vous dise que votre loi sera nuisible au point de vue même des intérêts de la justice ? Sans doute, il faudrait être un esprit prévenu pour ne pas le reconnaître, il est des magistrats qui tomberont sous l'application de la loi et qu'on sera en quelque sorte heureux de voir disparaître, parce que la vieillesse a brisé leur intelligence non moins que leurs corps. Mais, combien n'en (page 902) compte-t-on pas qui, malgré leur âge avancé, sont encore l'honneur et la gloire de la magistrature ?

Ah ! si la délicatesse ne me commandait impérieusement de me taire, si je ne craignais de blesser la modestie des uns et de froisser les justes susceptibilités des autres, je pourrais en citer et plus d'un ! Eh bien, votre présomption va les frapper tous indistinctement. Aussi il est permis de le dire, le jour où votre loi sera exécutée, il y aura une déperdition réelle et sérieuse de forces dans la magistrature.

Il y aura moins d'expérience, donc moins de sagesse et moins de lumières. Et il en doit être ainsi ; car votre présomption n'est pas une vérité pouvant être érigée en règle générale. Chaque jour, la nature, les faits lui donnent les démentis les plus éclatants. Je répéterai à cet égard ce que disait l'honorable M. Savart en 1844 :

« Si l'âge influe sur les forces physiques, l'âge ne constitue pas de même le degré de force morale et intellectuelle. Mieux vaut souvent un vieux magistrat qu'un jeune. Le premier a pour lui la science, l'expérience des hommes et des choses ; il n'a plus qu'à conserver, tandis qu'un jeune use parfois ses forces avant d'avoir atteint le degré de maturité nécessaire pour faire un bon juge. La plupart des magistrats qui se sont illustrés dans la science ne l'ont fait que dans un âge avancé et sont morts dans la plénitude de leurs facultés. »

Ces considérations, messieurs, sont d'une vérité incontestable. L'histoire biographique contemporaine nous en fournit des exemples nombreux et brillants. En France, en Angleterre, les plus hautes fonctions judiciaires ont été constamment occupées par des magistrats arrivés à une vieillesse avancée.

Portalis, jusqu'à l'âge de 84 ans, a présidé avec distinction la cour de cassation de France.

Henrion de Pansey, étant plus que septuagénaire, devint président de la même cour, aux applaudissements de la magistrature et du barreau.

Dnpin est mort sur son siège de procureur général de la cour de cassation à l'âge de 84 ans.

MjBµ. - Et malgré cela, on a réformé la loi en France.

M. Moncheurµ. - Et l'on s'en repent.

MjBµ. - Au contraire.

M. Reynaertµ. - Enfin Troplong, ce jurisconsulte éminent, malgré son grand âge, est en même temps président de la cour de cassation et président du sénat français.

En Angleterre, les exemples abondent. La vieillesse semble y avoir en quelque sorte le privilège exclusif des plus hautes positions judiciaires.

Lord Lyndhurst, ancien chancelier, est mort à l'âge de 91 ans, et quelques jours avant sa mort, dit un publiciste distingué, il prononça le discours le plus remarquable qui ait jamais été prononcé au parlement anglais.

Lord Campbell, président du banc de la reine, devint, à l'âge de 80 ans, chancelier de la cour de justice.

Lord Mansfield resta lord-chancelier après avoir dépassé l'âge de 80 ans et maintint la réputation d'un des plus grands juges qui aient illustré la magistrature anglaise. Lord Brougham, ancien chancelier, est, à l'âge de 89 ans, l'un des jurisconsultes, des publicistes et des orateurs les plus éminents de l'Angleterre.

Lord Saint-Léonard et lord Cranworth, l'un et l'autre anciens chanceliers, ont le premier 86 ans et le second 77 ans.

Et, messieurs, dans d'autres sphères, dans la politique, dans les lettres, dans le barreau que de noms illustres viennent corroborer ma thèse ! Qu'il me suffise de citer en France Guizot, Berryer, Thiers et Villemain et Cousin, qu'une mort récente a enlevé à la philosophie et aux lettres françaises.

En Angleterre, Russell, Derby, Brougham, que je citais tantôt ; et en jetant un regard un peu en arrière, Palmerston qui, à l'âge de 80 ans, était premier ministre de son pays et l'un des hommes les plus actifs de l'Angleterre.

Messieurs, je pourrais allonger cette liste, mais à quoi bon ? Il est une vérité que l'expérience de chaque jour nous démontre, c'est que l'esprit peut non seulement se maintenir, mais se fortifier et grandir dans un corps qui dépérit et tombe en ruine.

Messieurs, je ne puis pas terminer ce discours sans vous citer une parole qui a été prononcée, il y a quelques jours, par un honorable conseiller d'une cour d'appel, parole dont je garantis l'authenticité et qui démontre les sentiments dont la magistrature est animée vis-à-vis du projet de loi. Ce magistrat, homme vénérable, qui a blanchi dans la pratique des affaires et qui est plus que septuagénaire, disait, avec un accent de tristesse et d'indignation :

« Le jour où je recevrai ma destitution, je me ferai inscrire au tableau des avocats et je leur prouverai que je suis encore capable de plaider. »

- M. Crombezµ remplace M. E. Vandenpeereboom au fauteuil.

M. Tackµ. - Les observations que vient de présenter l'honorable M. Reynaert sont marquées au coin d'une excellente logique et ont produit une bien vive impression sur l'esprit de beaucoup de membres de cette assemblée.

J'avoue cependant que la thèse contraire à celle qu'il a soutenue peut être défendue par de très bonnes raisons. Sans aucun doute, l'honorable ministre de la justice apportera au débat plus d'un argument à l'appui de l'opinion qu'il préconise.

Mais, messieurs, on ne saurait en disconvenir, il y a sur la question qui est soulevée un doute et un doute extrêmement grave.

Or, je me le demande, en présence de ce doute, n'est-il pas plus prudent d'incliner vers l'opinion qui, à coup sûr, a pour elle le principe constitutionnel, que de se prononcer en faveur de l'opinion sur laquelle peut planer, à cet égard, de l'incertitude ?

La mise à la retraite forcée des magistrats inamovibles de l'ordre judiciaire, uniquement à raison de l'âge, a toujours, devant cette Chambre comme devant le Sénat, chaque fois qu'elle a été agitée, éveillé des scrupules constitutionnels. L'honorable M. Reynaert vient de l'établir à la dernière évidence, il en a été ainsi en 1842, en 1845, en 1849 et tout récemment encore au sein de la commission.

Je ne reviendrai pas sur ces rétroactes, je ne pourrais que reproduire les considérations présentées par l'honorable membre.

Je dirai seulement que la question de constitutionnalité a été soulevée non seulement en 1849 mais bien dès 1842, et s'il faut s'en rapporter aux assertions que nous voyons figurer dans le discours prononcé en 1849 par l'honorable M. de Brouckere et dans le rapport de la section centrale fait en 1842 par l'honorable M. Delehaye, nous voyons déjà cette question soulevée au Congrès national. Peut-il, messieurs, en être autrement à l'heure qu'il est, en présence du texte de l'article 100 de la Constitution ? Cet article porte : « Les juges sont nommés à vie.

« Aucun juge ne peut être privé de sa place ni suspendu que par un jugement.

« Le déplacement d'un juge ne peut avoir lieu que par une nomination nouvelle et de son consentement. »

Evidemment le principe de l'inamovibilité est consacré de la manière la plus lumineuse par cet article. En quoi consiste l'inamovibilité ? Dans la garantie donnée au magistrat qu'il ne pourra être révoqué ni suspendu de ses fonctions, qu'il ne pourra pas même être déplacé contre son gré.

Quel est le but que s'est proposé le législateur constituant par le principe de l'inamovibilité ? D'assurer l'indépendance du magistrat, de garantir le magistrat contre l'arbitraire du pouvoir.

En présence de ce principe de l'inamovibilité des juges et de la nomination à vie inscrit dans la Constitution, comment est-il possible de soutenir que le magistrat pourra être mis forcément à la retraite uniquement à raison de l'âge et en vertu d'une simple présomption légale ?

Les partisans de la mise à la retraite forcée reconnaissent que le but principal de l'article 100 c'est évidemment de garantir l'indépendance du magistrat, de soustraire le juge aux caprices du pouvoir exécutif ; or disent-ils, le juge sera indépendant et inamovible dès l'instant où il ne pourra pas être arbitrairement destitué.

En quoi l'arbitraire pourrait-il se faire sentir à propos de la mise à la retraite à raison de l'âge ? L'âge est un fait qui ne tombe pas sous la puissance de l'homme. Il ne peut pas dépendre du pouvoir exécutif de faire qu'un magistrat ait 70 ans ou n'ait pas 70 ans. Par conséquent l'esprit de la Constitution n'est nullement obstatif à la mesure qui est proposée.

Dire que le magistrat ne peut être mis à la retraite quel que soit son âge et quelle que soit son incapacité, c'est exagérer le principe de l'inamovibilité, c'est le fausser, c'est faire tourner la disposition de l'article 100 contre le but que le Congrès s'est proposé. Cette disposition a été introduite dans la Constitution en vue de l'intérêt de la société et nullement pour favoriser l'intérêt du magistrat lui-même.

Avant tout, il importe que bonne et prompte justice soit rendue ; le contraire arrivera si l'on permet aux magistrats de se perpétuer sur leur (page 903) siège. Le bienfait de l'inamovibilité irait ainsi à rencontre des intérêts de la société.

Au surplus, ajoute-t-on, en ce qui concerne le texte de l'article 100, le paragraphe premier de cet article n'a rien de commun avec le principe de l'inamovibilité. C'est une disposition tout à fait distincte des deux paragraphes suivants et qui n'implique point l'inamovibilité. Le paragraphe en question porte que les juges sont nommés à vie.

Mais presque tous les fonctionnaires sont nommés à vie et ne sont pas pour cela inamovibles.

Les procureurs généraux, les procureurs du roi, les greffiers des tribunaux sont nommés à vie et ils ne sont pourtant pas inamovibles. Réciproquement on peut être magistrat nommé à temps et jouir du privilège de l'inamovibilité.

Il en est ainsi des juges des tribunaux de commerce. Ils sont nommés à temps et cependant ils sont inamovibles.

Tel est, messieurs, le système sur lequel ou s'appuie pour soutenir que la disposition du projet de loi relative à la retraite forcée n'est point anticonstitutionnelle.

Pour l'étayer on fait encore remarquer que la garantie qui se rattache à l'inamovibilité du magistrat ne réside pas dans cette circonstance que le juge ne peut d'une manière absolue être privé de sa place, révoqué ni suspendu, mais elle réside en ceci qu'il ne peut être destitué ni déplacé si ce n'est en vertu d'un jugement rendu par ses pairs.

Les adversaires de ce système soutiennent qu'il faut envisager l'article 100 de la Constitution dans son ensemble.

Le paragraphe premier de l'article 100, disent-ils, consacre évidemment le principe de l'inamovibilité. Il est vrai que, par la Constitution, de 1830 on a voulu en quelque sorte réagir contre les nominations à temps, admises par une disposition du sénatus-consulte de 1807 ; en vertu de ce sénatus-consulte, les juges ne recevaient leur première nomination que pour un temps déterminé, pour une période de 5 ans, au bout de laquelle l'empereur avait le droit de ne pas renouveler leur nomination ; à l'expiration de ce délai, le juge devait recevoir une nouvelle investiture.

C'était une disposition détestable, qui avait pour conséquence de livrer complètement les magistrats à la discrétion, au caprice et à l'arbitraire du pouvoir exécutif.

Mais il faut bien le reconnaître, ce principe qui avait été consacré sous l'empire de la législation de 1807 était l'antithèse, le contrepied de l'inamovibilité. Donc, en disant que le magistrat est nommé à vie, on a voulu consacrer le principe opposé à celui de l'inamovibilité des juges.

Pour ceux à qui la retraite forcée, à raison de l'âge, répugne, le texte de l'article 100 est clair et précis, tellement clair, comme le disait l'honorable M. Orts, qu'il exclut invinciblement tout doute.

Vainement allègue-t-on que l'inamovibilité a été introduite dans l'intérêt de la société et non dans l'intérêt des magistrats.

Cela est vrai, mais la question est de savoir s'il est dans l'intérêt de la société que cette inamovibilité existe la vie durant pour le magistrat, ou bien qu'elle soit réduite à un temps déterminé, à 70, à 72, à 75 ans.

Pour que le juge puisse être révoqué de sa place, il faut un jugement ; or, comme l'a l'ait observer tout à l'heure l'honorable M. Reynaert, on peut se demander si c'est réellement un jugement que la déclaration qui consiste à homologuer purement et simplement un acte de naissance, à constater un fait qui n'est ni contesté ni contestable.

Un jugement en général suppose le choix entre deux solutions contraires. Ici le choix n'existe pas. Le juge n'a qu'une seule chose à faire : c'est, comme l'a dit l'honorable membre, d'enregistrer l'acte de naissance ; est-ce là un jugement ?

Il faut reconnaître cependant qu'il est des cas, même en matière de droit civil, où des déclarations analogues portent la dénomination de jugement.

Ainsi, par exemple, lorsque l'un des époux a été condamné à une peine infamante, l'autre époux a le droit de demander le divorce, et la production du jugement accompagnée d'un certificat de la cour d'assises établissant que le jugement de condamnation ne peut plus être réformé, suffit pour obliger le juge à prononcer le divorce.

Quoi qu'il en soit, il me paraît difficile de croire que le législateur constituant ait voulu restreindre à une simple déclaration le sens du mot « jugement », dont il s'est servi à l'article 100. Plus d'un magistrat à l'âge de 70, de 72 et de 75 ans, remplit convenablement ses fonctions.

Il est bon qu'au prestige de la science s'ajoute le prestige de l'autorité, le prestige de l'expérience acquise par la longue pratique des allaites.

En somme, selon moi, messieurs, il convient de considérer l'article 100 dans son ensemble. On ne peut raisonnablement séparer le paragraphe premier de cet article des paragraphes subséquents. En statuant que les juges sont nommés à vie et qu'ils ne pourront être privés de leur place qu'en vertu d'un jugement, le législateur constituant n'a-t-il pas voulu dire que le juge serait inamovible sa vie durant, et ne pourrait être révoqué que lorsqu'il cesserait de remplir ses fonctions, lorsqu'il serait devenu incapable ? Y a-t-il là place à révocation en vertu d'une simple présomption légale ?

Le législateur de 1845 avait positivement écarté tout système tendant à établir la mise à la retraite forcée du magistrat uniquement sur une présomption résultant de l'âge.

C'est au principe de la loi de 1845 que la loi qui nous est proposée déroge. Votre commission, comme on l'a fait observer, s'était d'abord ralliée à la manière de voir du législateur de 1845, mais elle a beaucoup varié dans ses décisions. Par 7 voix contre 1, elle avait rejeté le principe de la retraite forcée des magistrats à un âge déterminé.

C'est à la suite d'explications fournies par M. le ministre de la justice et que l'honorable ministre reproduira sans doute dans cette enceinte que la commission est revenue de cette première opinion et que par 4 voix contre 3, elle a fini par décider qu'elle admettrait le système proposé par M. le ministre de la justice. Mais il est à remarquer qu'elle y a mis deux conditions formelles, l'une d'après laquelle les magistrats ne pourraient être mis à la retraite forcée que pour autant qu'on leur accordât l'intégralité de leur traitement ; la seconde, d'après laquelle elle voulait que la limite d'âge fût reculée.

Ici on pourrait, jusqu'à un certain point, soutenir que la commission ne sortait pas des bornes de la Constitution. Et, en effet, dans cette combinaison, le magistrat conserve son titre, les honneurs attachés à sa place, les bénéfices pécuniaires qui résultent de sa position. On lui laisse ses qualités, l'intégralité de son traitement, seulement on le dispense de remplir les obligations de sa charge. De quoi, dans cette hypothèse, a-t-il à se plaindre ? Mais je me demande si les sous-amendements qu'a présentés M. le ministre de la justice et qui modifient les propositions de la commission réalisent les idées de la commission ? D'après ces sous-amendements, les magistrats conservent-ils l'intégralité de leur traitement ?

Evidemment, non ; ce n'est pas l'éméritat pour tous que consacre l'article 245, tel que vous le propose M. le ministre, ce n'est l'éméritat que pour une certaine catégorie de magistrats ; c'est la mise à la retraite avec une simple pension pour le grand nombre ; ce n'est pas même le traitement complet, pour ceux qui ont trente années de services et qui seront mis immédiatement à la retraite. Car, comme l'a fait observer la commission, il n'y a pas cinq ans que nous avons voté l'augmentation des traitements des membres de l'ordre judiciaire ; or, aux termes de l'article 245, la pension de l'éméritat est calculée d'après la moyenne du traitement pendant les cinq dernières années.

En ce qui me concerne, je serais désireux d'avoir sous les yeux la statistique qui nous ferait connaître les résultats de l'application de la loi. Jusqu'à présent nous n'avons aucune donnée pour apprécier ces résultats. Quel est le nombre des magistrats appartenant à la cour de cassation ?Quel est le nombre des magistrats de la cour d'appel, des tribunaux de première instance et des justices de paix qui seront mis à là retraite, forcément, par suite du projet de loi ? Il serait bon que la Chambre fût éclairée à cet égard.

Je sais bien qu'il ne faut pas faire de questions de cette nature, des questions d'économie, mais encore importe-t-il que nous puissions nous rendre compte des conséquences financières auxquelles aboutira la mesure qu'on nous demande de voter.

Je prierai donc l'honorable ministre de la justice de nous fournir des renseignements complets à ce sujet.

MjBµ. - Je vous ferai connaître le nombre des magistrats auxquels la mesure serait applicable.

M. Tackµ. - Avant de finir, je me permets de fixer l'attention de l'honorable ministre de la justice sur un point que M. Reynaert a traité à la fin de son discours ; je veux parler de la position que la loi fait aux juges de paix.

Les juges de paix n'ont pas seulement un. traitement fixe, mais ils jouissent aussi d'émoluments ; pour beaucoup d'entre eux les émoluments équivalent au traitement. Aux termes de l'article 245, la pension de l'éméritat est égale au taux moyen du traitement fixe pendant les cinq dernières années. D'où la conséquence que les juges de paix dont les traitements fixes sont uniformément de 3,000 fr., s'ils réunissent les conditions de l'éméritat, obtiendront de ce chef une pension de 3,000 fr. Il page 904) arrivera ainsi que tel magistrat sera plus défavorablement traité par l'article 215 qu'il ne l'était auparavant. Il y a des juges de paix qui ont plus de 70 ans d'âge et plus de 40 ans de services administratifs et judiciaires ; eh bien, dans cette position la pension ordinaire pour ceux dont les émoluments s'élèvent à 3,000 francs leur vaut plus que la pension de l'éméritat.

II est facile de faire le compte : 765 fr. du traitement et des émoluments calculés sur 40 années de service lui donnent au delà de 3,400 fr., tandis que d'après le projet de loi en discussion, la pension de l'éméritat pour le juge de paix ne peut excéder 3,000 fr.

Quant à moi, j'eusse préfère voir adopter un autre système que celui de la mise à la retraite forcée ; j'eusse mieux aimé qu'on eût augmenté sensiblement le taux de la pension des magistrats ayant dépassé l'âge de 70 ans, afin de les engager à prendre volontairement leur retraite ; j'eusse volontiers consenti, s'il le fallait absolument, dans l'intérêt de la prompte expédition des affaires, qu'on eût augmenté le personnel de nos tribunaux ; au moins la question constitutionnelle eût été complètement sauve, et je ne pense pas qu'il en serait résulté une plus lourde aggravation.de charges pour le trésor.

MpCrombezµ. - La parole est à M. Moncheur.

M. Moucheurµ. - Comme je compte parler dans le même sens que les deux préopinants, il serait peut-être convenable de donner la parole à un membre qui a l'intention de parler dans un sens opposé.

MpCrombezµ. - En ce cas, la parole est à M. Dupont.

M. Dupont. - Je suis partisan du système du gouvernement ; je crois que les dispositions du projet de loi qui vous est soumis en ce moment, non seulement intéressent la bonne administration de la justice, mais sont aussi conformes et au texte et à l'esprit de la Constitution.

Il est certain que le principe de l'inamovibilité de la magistrature est un des principes les plus essentiels de notre droit public, que ce principe doit être respecté par tous les partis, qu'il doit toujours être sauvegardé ; il ne faut pas que d'une façon quelconque le pouvoir exécutif puisse exercer son influence sur le pouvoir judiciaire.

Mais, messieurs, ce principe de l'inamovibilité a été introduit en définitive dans l'intérêt des justiciables, il n'a pas été consacré dans l'intérêt particulier des magistrats ; sinon il n'y aurait pas de raison pour que les juges soient inamovibles alors que d'autres fonctionnaires très respectables et notamment les magistrats qui remplissent les fonctions de ministère public ne le sont pas. C'est dans l'intérêt des justiciables seulement que l'inamovibilité des magistrats a été proclamée, c'est pour que les justiciables soient assurés que les juges ont vis-à-vis du pouvoir une indépendance complète.

Dès lors cette inamovibilité doit cesser de couvrir le magistrat d'une façon complète du moment qu'elle n'aurait plus pour effet que de garantir à ce dernier la possession des honneurs et des fonctions dont il a été investi et qu'elle aurait d'un autre côté pour conséquence de nuire à l'intérêt public. C'est ce principe qui a été déjà reconnu lors de la discussion de la loi de 1845 ; on a admis alors qu'il était impossible de laisser siéger dans les cours et tribunaux des magistrats qui étaient atteints d'infirmités graves permanentes ; l'objection d'inconstitutionnalité qui se produit aujourd'hui a aussi été mise en avant à cette occasion ; cette objection n'a pas cependant arrêté ceux des membres de cette Chambre qui ont pris part alors à la discussion : tous ont pensé que le principe de l'inamovibilité ne devait pas aller jusqu'à permettre à des magistrats d'un âge avancé ou atteints de maladie incurable de continuer, au détriment de l'intérêt public, à occuper des sièges où la confiance du Roi et des pouvoirs publics les avait appelés.

Ainsi, messieurs, il y a certainement une limite au principe de l'inamovibilité, et c'est cette limite qu'un magistrat français caractérisait dans les ternies suivants :

« Ce qui importe le plus en matière de justice, c'est quel e juge qui la rend inspire confiance à ses administrés ; c'est que son verdict soit respecté comme sa personne elle-même ; c'est, qu'on ne puisse pas dire que celui qui statue sur l'honneur et sur les intérêts de ses concitoyens, n'avait plus l'intégrité de ses facultés et que sa sentence ne mérite plus le respect dû à la justice. Le premier besoin pour la justice est d'être respectée et dans ce qui émane d'elle et dans les personnes qui la représentent. »

C'est, messieurs, pour satisfaire à ce besoin que la loi de 1845 a été présentée et votée comme elle avait été votée en France, dans le même sens, en 1824, malgré les scrupules qui se sont fait jour et en France en 1824 dans la chambre des députés, et en Belgique à l'occasion de la discussion de la loi de 1845.

Messieurs, cette loi de 1845 est-elle suffisante ; a-t-elle produit les effets qu'on en attendait ?

L'honorable M. Orts a constaté dans son rapport que celle loi a été impuissante. Et elle devait l'être ; il ne pouvait pas en être autrement.

La loi de 1824 a été impuissante en France, comme l'a constaté M. Abattucci, garde des sceaux, dans le rapport qu'il a présenté au président de la république en 1854, à l'occasion du décret relatif à la mise à la retraite des magistrats.

Elle devait l'être, messieurs, car la loi demandait aux magistrats ce qu'on ne peut pas, en définitive, demander à des hommes : elle leur demandait de frapper au cœur dans leurs plus chères illusions, des collègues avec lesquels ils avaient vécu de longues années, des collègues qu'ils avaient longtemps estimés et honorés, des collègues qui les avaient éclairés de leurs conseils, qui avaient peut-être guidé leurs premiers pas dans la carrière de la magistrature ; des collègues qui avaient peut-être jeté un grand éclat sur le corps dont ils faisaient partie et dont le renom survivait encore à l'affaiblissement de leurs hautes facultés.

C'était évidemment demander à des magistrats une chose impossible, c'était leur demander d'exercer eux-mêmes à l'égard de leurs amis, à l'égard des anciennes sommités de leur ordre, une justice rigoureuse, de les offrir en quelque sorte en holocauste, de prendre envers eux des mesures coercitives pour les forcer à quitter les sièges qu'ils avaient occupés pendant une 'longue carrière de sagesse et de probité et qu'ils croyaient de bonne foi pouvoir occuper encore avec honneur.

C'était aussi imposer à la magistrature ce qui répugne le plus à la noblesse des sentiments qui raniment dans notre pays : c'était obliger souvent ceux qui devaient profiter de la vacance qui allait s'ouvrir, à la provoquer ou à appuyer de leur vote la résolution qui devait produire ce résultat. Or, quand des hommes de cœur se trouvent dans une semblable position, ils n'ont qu'une chose à faire, c'est de s'abstenir. C'est ce qui est arrivé.

Aussi, messieurs, est-il indispensable, en présence de ce qui se passe, en présence de l'expérience acquise, que cette loi de 1845 soit remplacée par une disposition générale, par une disposition qui ne mène plus les magistrats dans la position cruelle et indigne d'eux, dont je viens de parler ; et c'est là le motif pour lequel le gouvernement a introduit les articles 237 et suivants dans son projet de loi d'organisation judiciaire.

C'est également, j'en suis convaincu, le motif pour lequel la Chambre l'adoptera. La Chambre, je crois, est parfaitement d'accord sur la nécessité de la loi.

Je ne pense pas que, si nous avions à voter sur le point de savoir si la loi est utile, il y aurait le moindre dissentiment dans cette enceinte ; tout au moins n'y aurait-il qu'une imperceptible minorité qui se prononcerait pour la négative. L'expérience faite depuis 1845 a produit ses fruits, et d'incontestables abus ont ouvert tous les yeux.

La question importante, grave, la question qui seule peut susciter des doutes, c'est la question de constitutionnalité.

L'honorable M. Tack disait tout à l'heure qu'il reconnaissait que des arguments très sérieux, très fondés pouvaient être apportés à l'appui de la thèse qui admet la parfaite constitutionnalité de la loi ; mais il ajoutait que, du moment qu'un doute se produisait, ce doute devait nécessairement entraîner le rejet du projet de loi.

Je ne pense pas, messieurs, que cette manière de voir puisse obtenir l'assentiment de l'assemblée ; je ne la crois pas logique, je ne crois pas que ce soit là une conduite avantageuse pour les intérêts du pays. En définitive, il s'agit d'une mesure qui, nous le reconnaissons tous, est d'une utilité incontestable.

Nous ne devons pas, dès lors, nous arrêter devant un simple scrupule ; sans doute, ce scrupule doit être respecté chez les membres dans l'esprit desquels il subsisterait encore après un examen approfondi de la question ; mais nous avons le devoir d'examiner ce scrupule de très près et si, en définitive, nous reconnaissons qu'il n'est pas fondé, si nous reconnaissons que ce doute, quelque sérieux qu'il puisse paraître à quelques membres, ne peut pas subsister, nous devons évidemment faire droit à une nécessité que tout le monde reconnaît et voter une loi dont personne ne conteste l'utilité, la nécessité.

Cela étant, est-ce que l'article 100 de la Constitution est contraire au projet de loi ? L'honorable M. Tack me semble avoir tout à l'heure, si je l'ai bien compris, plutôt plaidé la thèse favorable au projet de loi que la thèse contraire. Reproduisant des arguments qui ont été développés dans cette Chambre, en 1849, par M. le ministre de la justice, 1 honorable M. de Haussy, il nous a dit : Il faut soigneusement distinguer dans l'article 100 de 1a Constitution deux parties : une première partie (page 905) qui pose le principe que les juges sont nommés à vie ; et une seconde partie qui pose ce principe différent qu'aucun juge ne peut être suspendu ou destitué sans jugement, ni déplacé sans son consentement.

Le premier de ces principes consacre-t-il l'inamovibilité ? C'est là la question que M. de Haussy a traitée en 1849, et je crois que les honorables membres qui voudront relire son discours y puiseront la conviction qu'il y a effectivement entre ces deux parties une différence radicale.

La première partie pose le principe que les juges sont nommés non pas pour un temps limité, mais pour une durée indéfinie, et la seconde partie consacre, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, cette idée fondamentale que les juges ne peuvent pas être arbitrairement destitués par le pouvoir exécutif.

Pourquoi cette première partie a-t-elle été insérée dans la Constitution ?

Est-ce qu'une raison historique ne l'explique pas parfaitement ? Si l'on rapproche le paragraphe premier de l'article 100 de la législation qui nous régissait antérieurement et notamment de l'article 186 de la loi fondamentale de 1815, et surtout de l'article 2 du chapitre V de la Constitution du 3 septembre 1791, on aperçoit immédiatement la raison d'être de ce premier paragraphe.

L'article 186 de la loi de 1815 était ainsi conçu :

« Les membres de la haute cour, des cours provinciales et des tribunaux criminels ainsi que les procureurs généraux et autres officiers ministériels près ces cours et tribunaux sont nommés à vie. La durée des fonctions des autres juges et officiers ministériels est fixée par la loi.

« Aucun juge ne peut être privé de sa place pendant la durée légale de ses fonctions que sur sa demande ou par un jugement. »

L'article 186 de la loi fondamentale posait donc expressément deux principes différents : le principe de l'inamovibilité dans sa dernière partie, et dans sa première, le principe que les officiers du ministère public, les officiers ministériels près les cours et tribunaux, et les juges eux-mêmes étaient nommés à vie.

Quant aux autres et notamment les juges de paix et les officiers ministériels près les autres tribunaux, ils étaient nommés pour la durée indiquée par la loi elle-même.

Il est donc bien certain que ces mots « nommés à vie » sont mis en opposition avec l'idée d'un mandat conféré à des magistrats pour exercer leurs fonctions pendant un certain temps, comme cela existait sous la loi fondamentale ; et c'est aussi, la plupart des membres de cette Chambre le savent, c'est ce qui avait existé antérieurement et sous l'empire des lois de la révolution française. Sous l'empire de ces lois et notamment sous l'empire de la Constitution de 1791 les magistrats étaient nommés pour 6 années ; ils étaient inamovibles, mais la durée de leurs fonctions était limitée.

Ce qu'on a donc voulu dire uniquement par le premier paragraphe de l'art. 100 de la Constitution, c'est que les juges n'étaient pas nommés pour exercer leurs fonctions pendant un temps limité, comme cela avait existé autrefois. Quant au principe de l'inamovibilité des magistrats, il est consacré par le paragraphe 2 de l'article 100 de la Constitution.

Déterminons-en exactement la portée. A mon avis, ce principe est uniquement celui-ci : c'est que les magistrats ne pourront pas être privés de leurs fonctions, sans qu'il intervienne un jugement ; le pouvoir exécutif est complètement impuissant vis-à-vis des juges ; ce n'est que la magistrature elle-même qui, conformément à la loi en vigueur, à laquelle la Constitution se réfère, pourra, soit exercer des attributions de discipline, soit obliger un magistrat à quitter son siège.

Voilà, selon moi, l'interprétation que doit recevoir la seconde partie de l'article 100 de la Constitution.

Le texte me paraît on ne peut plus précis. Le Congrès a voulu la garantie d'un jugement, et ce jugement sera rendu en exécution d'une loi qui, dans sa pensée, devra être promulgué par le pouvoir législatif. Cette loi n'est soumise par le Congrès à aucune restriction.

Les Chambres ont eu leur pleine liberté d'action.

Le Congrès n'a donc pas, comme on le suppose, négligé de tenir compte des nécessités pratiques.

On a tort de dire que cette question a été expressément tranchée au Congrès en faveur des adversaires du projet, que le Congrès s'est formellement prononcé sur le point de savoir si les magistrats devraient occuper leurs sièges jusqu'au moment où la mort viendrait les frapper, attendu que quand l'article 100 de la Constitution a été mis en discussion au Congrès, pas une voix ne s'est élevée, personne n'a fait la moindre observation : l'article 100 a été adopté purement et simplement sans aucune discussion.

Tout ce que l'on peut citer, c'est un passage du rapport de l'honorable M. Raikem, passage dans lequel cet éminent magistrat se préoccupe de l'influence que le pouvoir exécutif pourrait exercer sur le pouvoir judiciaire, et où il déclare que le pouvoir exécutif doit être impuissant à exercer cette influence, pour qu'il ne puisse y avoir aucun doute dans l'esprit des justiciables sur la parfaite indépendance de l'ordre judiciaire. Si la nomination des juges, disait M. Raikem, est conférée au chef de l'Etat, leur révocation ne doit pas être en son pouvoir. La crainte des destitutions arbitraires ne doit pas planer sur les tribunaux et l'inamovibilité des juges doit être une des bases de notre droit public. Parlant de ce principe, il écartait tout ce qui donnait au chef de l'Etat un pouvoir arbitraire sur les magistrats.

Voilà quelles ont été les intentions du Congrès ; voilà pourquoi l'inamovibilité a été consacrée par la Constitution, et dès lors il est bien certain que rien dans la discussion, ni dans le texte, ni dans les rapports, n'est de nature à vous faire adopter l'opinion que le projet de loi est inconstitutionnel.

Ce qui résulte de ce qui précède, ce qui est certain, c'est qu'en vertu des prescriptions de la Constitution, il faut un jugement.

On dit : Il n'y aura pas de jugement ; les magistrats auxquels la question sera déférée, seront obligés de se prononcer toujours d'une manière affirmative ; ils enregistreront un acte de naissance : ce sera toute leur mission..

Mais il arrive très souvent, contrairement à ce qu'on allègue, que les tribunaux sont obligés d'intervenir, alors qu'ils ne peuvent donner qu'une solution affirmative. Il est certain, par exemple, que si un magistrat vient à être interdit ou à être privé de l'exercice de ses droits politiques et civils par des circonstances que je n'ai pas besoin d'indiquer, il est certain, dis-je, que la décision de la magistrature ne pourra être prise que dans le sens de la déchéance.

En sera-ce moins un jugement ? Evidemment non. Et tout le monde reconnaîtra que, dans ce cas, la Constitution est parfaitement respectée.

Et cela est vrai également dans les matières civiles. N'arrive-t-il pas que les cours et tribunaux ne peuvent rendre qu'une seule décision malgré la résistance d'une partie, parce que la loi est parfaitement claire et impérative pour l'espèce qui leur est soumise ? N'arrive-t-il pas même que les parties sont en quelque sorte d'accord et qu'ils ne font qu'enregistrer leurs conventions ?

Il est donc bien certain qu'il y a un jugement du moment où le procureur général, en présence de la résistance d'un magistrat arrivé à l'âge de mise à la retraite, soumet la question à la cour et que la cour, rendant un arrêt, constate que ce magistrat a atteint l'âge fixé par la loi.

Messieurs, l'honorable M. Reynaert a rappelé les précédents ; il a notamment cité tout à l'heure les noms des membres de cette Chambre qui en 1849 se sont prononcés contre le projet du gouvernement ; à coup sûr, l'honorable M. de Brouckere a soutenu l'opinion que le projet était inconstitutionnel.

Mais les autres membres de la Chambre qui, à cette époque, ont voté contre le projet, n'ont pas fait connaître les motifs de ce vote ; je pense que plusieurs d'entre eux peuvent avoir été déterminés par des raisons de fait complètement étrangères à la raison de constitutionnalité. Or, cette question de fait est maintenant mieux élucidée qu'elle ne l'était alors.

J'ajoute que la question a fait un grand pas depuis 1849. Que voulait-on, en définitive, à cette époque ? On voulait enlever au magistrat qui atteignait sa 70ème année, les prérogatives qui étaient attachées à ces fonctions, le dépouiller des honneurs dont il jouissait, lui ôter le traitement que la loi lui assurait, le réduire, au déclin de la vie, à une position indigne de lui.

Aujourd'hui les dispositions sont toutes différentes, d'abord on a reculé la limite d'âge ; ensuite le magistrat qui a atteint l'âge de 70, de 72, ou de 75 ans, conserve tous les émoluments et tous les honneurs attachés à son siège ; une seule restriction y est mise : on lui enlève le pouvoir de siéger, c'est-à-dire qu'on ôte au magistrat celle de ses attributions qui peut être nuisible à la société ; une fonction qui, en ce qui le concerne, ne touche pas à ses intérêts particuliers, mais dont l'exercice, dans certains cas déterminés, est de nature à blesser l'intérêt général.

(page 906) Les positions sont donc tout à fait différentes. On enlève, 'aujourd'hui à la mesure le caractère qu'elle pouvait avoir en 1849, et je ne doute pas que beaucoup de membres de cette Chambre qui, en 1819, se seraient prononcés contre la loi, la voteront aujourd'hul avec le nouveau caractère qui lui est donné.

Un des honorables membres qui vient de se rasseoir a regretté, dans des termes excellente, certaines conséquences inévitables de la loi. Elle frappera, a-t-il dit, des magistrats intègres et savants. Pourquoi vouloir se priver de leurs services alors que dans le domaine des lettres et des arts, comme dans la magistrature et la politique, nous rencontrons tant d'hommes arrivés à un âge avancé et dont l'intelligence n'a fait que grandir au contact des hommes et des affaires ? Il vous a cité les Dupin, les Portails, les Henrion de Pansey, les Lyndhurst, les Saint-Léonard et les Brougham ; il eût pu citer d'autres noms encore qui seront l'honneur de ce siècle et que la postérité répétera. Il eût pu en citer dans notre propre pays.

Tout cela est parfaitement vrai ; mais, il faut bien le dire, ce sont là des exceptions. Or, les lois sont faites non pour de brillantes individualités, mais pour le commun des hommes.

Oui, je le reconnais, la loi actuelle frappera, et je le déplore profondément, certains hommes des plus capables et des plus estimés ; elle fera descendre de leur siège des magistrats qui remplissent encore leurs fonctions avec beaucoup de distinction et de sagesse et qui sont aujourd'hui encore l'honneur, la gloire de leur ordre. Leur absence produira un grand vide et sera vivement regrettée.

Mais je suis obligé d'ajouter, d'un autre côté, que la loi pourra être utile, nécessaire même à l'égard d'autres magistrats qui, affaiblis par l'âge et le labeur, auraient dû depuis longtemps chercher le repos dans la retraite.

Quant aux magistrats éminents dont je viens de parler, ils ont le cœur assez haut placé, pour comprendre que la mesure qui va être prise par le pouvoir législatif a été nécessitée par un grand intérêt public, qu'elle a été dictée par un véritable amour de la justice, qui a été la passion de toute leur vie, et dans la retraite forcée où ils devront s'ensevelir, ce sera pour eux une immense consolation de penser que si la loi est venue les enlever à la magistrature qu'ils honoraient encore par leur talent, et les priver de fonctions qu'ils étaient encore capables de remplir, cette loi, d'un autre côté, aura été d'un grand avantage pour les justiciables et pour le pays entier. Et je crois être leur interprète, l'interprète du désintéressement dont ils ont toujours fait preuve, en déclarant ici que loin d'apprécier la loi avec cette amertume dont on parlait tout à l'heure, ils approuveront notre conduite et la considéreront comme étant la conséquence de notre amour sincère du bien public, de notre vif attachement à l'une de nos plus belles institutions, le pouvoir judiciaire.

Messieurs, le projet donc fait à la magistrature une position digue d'elle.

Cependant on vous a fait une observation en ce qui concerne les juges de paix. On vous a dit qu'à cet égard, le projet de loi n'était pas complet.

Je ne sais quelles sont sur ce point les intentions du gouvernement, mais je pense, jusqu'à preuve contraire, qu'elles sont entièrement conformes aux miennes, et j'en suis sûr, à celle de tous les membres de la commission.

Jusqu'à présent la pension des juges de paix s'est toujours calculée en tenant compte de la moyenne des émoluments dont ils avaient joui. Il est donc bien certain que lorsque le gouvernement a proposé l'éméritat en faveur des juges de paix comme en faveur des autres magistrats de l'ordre judiciaire, il a eu l'intention de prendre également en considération la moyenne de ces émoluments pour fixer la pension des juges de paix qui seront frappés par la loi actuelle.

Je crois que, sous ce rapport, il n'y a pas de doute possible et que si ce doute pouvait exister, M. le ministre de la justice le lèverait immédiatement dans le sens des paroles que je prononce.

J'aurai l'occasion, dans le cours de cette discussion, lorsque nous serons à l'examen des articles, de demander quelques éclaircissements au gouvernement ; mais quant à la question du fond, à la question soulevée par l'honorable M. Reynaert et par l'honorable M. Tack, je crois que les explications que je viens de donner à la Chambre et qui, je le répète, ne sont en grande partie que la reproduction des arguments qui ont été développés en 1849 par l'honorable M. de Haussy, auront fait disparaître de l'esprit de la plupart d'entre vous les doutes qui auraient pu y surgir.

Vous aurez été convaincus que l'article 100 de la Constitution a uniquement eu pour objet de proclamer le principe, d'une part, que le magistrat ne serait pas nommé pour un temps limité de six ans ou dix ans comme ils l'ont été antérieurement, et d'une autre part, que le magistrat serait inamovible en ce sens, qu'il faudrait un jugement pour qu'il puisse être privé de la place qu'il occupait

Or, ce jugement, vous l'avez dans le projet de loi en ce qui concerne les magistrats mis à la retraite après avoir atteint leur 70ème, 72ème ou 75ème année, de la même manière que pour les magistrats qui sont atteints d'infirmités graves et permanentes et qui sont frappés par la loi de 1845.

Celui qui dira que le projet actuel est inconstitutionnel, dira par une conséquence rigoureuse et logique que la loi de 1845 est également inconstitutionnelle et que depuis vingt ans une disposition qui viole notre pacte fondamental figure dans le recueil de nos lois.

- Des membres. - A demain !

Ordre des travaux de la chambre

MpCrombezµ. - Je propose de fixer la séance de demain à 3 heures.

M. Allardµ. - Je ne viens pas m'opposer à ce qu'on ne se réunisse demain qu'à 3 heures ; mais je propose à la Chambre d'avoir un comité secret demain à 8 heures pour entendre la proposition de la questure relativement au nouveau mode d'éclairage de la salle de nos séances.

M. Bouvierµ. - A 8 heures du soir ?

M. Allardµ. - Certainement. Ce n'est pas à 8 heures du matin qu'on éclaire.

MpCrombezµ. - S'il n'y a pas d'opposition, la séance publique aura lieu demain à 3 heures.

M. Allard propose d'avoir un comité secret demain à 8 heures du soir.

M. Bouvierµ. - Pour éclairer la Chambre. (Interruption.)

- La proposition de M. Allard est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

MfFOµ. - J'ai l'honneur de déposer, sur le bureau de la Chambre, le rapport annuel sur les opérations de la caisse d'amortissement et de celle des dépôts et consignations.

- Il est donné acte à M. le ministre du dépôt de ce document ; la Chambre en ordonne l'impression et la distribution.

La séance est levée à 4 heures et demie.