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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 14 mai 1867

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboomµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 997) M. Thienpont, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Florisone, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de ta dernière séance.

- La rédaction du procès-verbal est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpontµ présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« L'administration communale de Baisy-Thy prie la Chambre d'autoriser la concession de chemins de fer de Bruxelles à Marbais et à Corbeek-Dyle. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions relatives au même objet.


« Le sieur Pelion se plaint d'avoir été victime d'une méprise judiciaire et demande la réparation du dommage moral et matériel qu'il en a éprouvé. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres de l'administration communale et des habitants de Ramscappelle et des environs demandent l’établissement d'une station ou d'une halte dans cette commune, sur le chemin de fer de Dixmude à Nieuport. »

M. de Smedtµ. - Comme l'objet de cette pétition est en même temps important et urgent, je prie la Chambre de la renvoyer à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

- Ce renvoi est ordonné.


« Des raffineurs de sel demandent la faculté de puiser dans le port de Terneuzen l'eau de mer nécessaire pour leur industrie. »

M. Kervyn de Lettenhoveµ. - Je prie la Chambre de vouloir ordonner que cette pétition soit l'objet d'un prompt rapport.

- Adopté.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande en obtention de la naturalisation ordinaire du sieur Kerkhoffs, Jean. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« M. Bouvier, obligé de s'absenter, et M. d'Hane, retenu par des affaires, demandent un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Projet de loi exonérant la compagnie ferroviaire de l'Ouest de l'obligation de construire la section de Grammont à Audenarde

Dépôt

MtpVSµ. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi tendant à autoriser le gouvernement à exonérer la compagnie de l'Ouest de l'obligation de construire la section de Grammont à Audenarde du chemin de fer de Grammont à Nieuport.

- Il est donné acte à M. le ministre des travaux publics du dépôt de ce projet de loi qui sera imprimé, distribué et renvoyé à l'examen des sections.

Projets de loi accordant des crédits aux budgets des ministères de l’intérieur et des travaux publics

Dépôt

MfFOµ. - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau :

1° Un projet de loi qui alloue au département de l'intérieur un crédit spécial de 100,000 fr., destiné à payer les dépenses occasionnées par l'épidémie de 1866 et à décerner des récompenses ;

« 2° Un projet de loi qui alloue au même département des crédits supplémentaires s'élevant ensemble à 378,473 fr. 95 c. et destinés principalement aux besoins de l'enseignement primaire ;

« 3° Un projet de loi qui alloue au département des travaux publics un crédit extraordinaire de 75,000 fr. pour l'acquisition et l'appropriation d'un immeuble destiné au service de la poste et des petites marchandises à Namur ;

Projet de loi relatif à un échange domanial

Dépôt

« 4° Un projet de loi qui autorise le gouvernement à conclure avec la ville de Tournai un échange de terrain. »

- Il est donné acte à M. le ministre du dépôt de ces projets qui seront imprimés, distribués et renvoyés à l'examen des sections.

MtpVSµ. - Comme le projet de loi qui concerne mon département présente un caractère d'urgence et que la Chambre ne sera plus réunie longtemps, je demande le renvoi de ce projet à la section centrale qui est chargée de l'examen du budget de mon département.

- Ce renvoi est ordonné.

Projet de loi révisant les évaluations cadastrales

Discussion générale

M. de Vrière, rapporteurµ. - Depuis que la Chambre s'occupe du projet en discussion, elle n'a entendu que des orateurs qui ont parlé contre le projet. Il est d'usage que, dans des discussions d'une certaine importance, la Chambre entende alternativement un orateur pour et un orateur contre. Si l'assemblée voulait suivre cet usage, je demanderais à M. Moncheur, qui est inscrit avant moi, de vouloir bien me céder son tour de parole.

M. Moncheurµ. - Très volontiers.

MpVµ. - La parole est donc à M. de Vrière.

M. de Vrière, rapporteurµ. - Messieurs, le rapport de la section centrale vous a exposé les motifs qui, d'après elle, doivent engager la Chambre à adopter le projet de loi. Ce projet a été vivement attaqué dans les dernières séances par différents orateurs qui vous ont signalé des inégalités résultant, selon eux, des opérations au moyen desquelles on a constaté l'augmentation du revenu moyen des provinces, des cantons et des communes. Je vais tâcher, messieurs, de défendre les conclusions de la section centrale.

Beaucoup de faits ont été cités par les honorables adversaires du projet, je n'essayerai pas de les rencontrer ; je laisserai à M. le ministre des finances qui a à sa disposition de nombreux documents qui me font défaut, le soin d'éclairer la Chambre sur la valeur de ces faits particuliers ; je me bornerai à examiner les objections qui ont été produites à un point de vue plus général.

Mais avant de me livrer à cet examen, je vous demande la permission, messieurs, de vous faire à mon tour, en quelques mots, l'historique de la loi du 10 octobre 1860 et de vous démontrer que les inégalités dont on se plaint aujourd'hui étaient dans une grande mesure prévues, annoncées par le gouvernement et acceptées par la législature qui a voté la loi de révision.

Voici comme s'exprimait M. le ministre des finances dans l'exposé des motifs de cette loi :

« La première question qui s'est présentée est celle-ci : Jusqu'où étendra-t-on les opérations de la révision du cadastre ?

« Sans doute il ne pouvait s'agir de refaire l'arpentage ; celui que nous avons est satisfaisant, aucune plainte fondée de quelque importance n'a été soulevée à ce sujet ; mais faut-il recommencer toutes les autres opérations du cadastre ?

« Depuis le commencement des travaux qui ont été poursuivis activement qu'à dater de 1826, le cadastre a déjà donné lieu à une dépense de près de 13 millions, non compris plus de 7 millions que la conservation du cadastre a coûté depuis 1835 ? Peut-on faire une nouvelle dépense de 6 à 7 millions pour recommencer, dans toutes ses parties, un travail qui, malgré tous les soins que l'on pourrait y mettre, présenterait, après un laps de temps plus on moins long, les mêmes disparates et les mêmes défectuosités que celles qui affectent le cadastre actuel ? Mais ce serait entrer dans une voie ruineuse, ce serait admettre en principe la périodicité d'une dépense très considérable pour un résultat passager et imparfait, et la perception de l'impôt foncier, qui par sa nature devrait être relativement peu coûteuse, finirait par être plus onéreuse au trésor que celle d'aucun autre des revenus de l'Etat. »

La section centrale s'exprima de la même manière par l'organe de l'honorable M. Muller.

« M. le ministre des finances, disait la section centrale, a institué une commission de fonctionnaires de son département, recommandables par leurs lumières, par leurs études spéciales, par leurs connaissances pratiques ; l'exposé des motifs résume le travail consciencieux auquel cette (page 998) commission s'est livrée. N'ayant pas la prétention d'être parvenue, dans ses recherches, à parer à tous les abus, et à prévenir toute réclamation, elle reconnaît sans difficultés que le système auquel elle donne la préférence dans les circonstances actuelles pourra soulever dans les communes rurales des objections sérieuses, résultant de l'absence d'expertises parcellaires, et du maintien de la classification antérieure des propriétés, quelles qu'aient pu être, depuis la mise en vigueur du cadastre, les accroissements ou diminutions de valeur de ces dernières.

« Il n'y aurait qu'un moyen, disait plus loin la section centrale, de faire disparaître les inégalités entre les propriétaires des parcelles, ce serait de recourir à une expertise parcellaire. Or c'est cette expertise parcellaire qui entraînerait des frais énormes et qui ajournerait, pendant de longues années, le travail de la révision cadastrale, travail qui a été demandé par tant de voix et à tant de reprises au sein de la représentation nationale. »

Mais, dit-on, c'était un essai que l'on voulait faire. Je conteste que tel fût le caractère de la loi de 1860. Comment ! messieurs, vous croyez que le gouvernement, qui reculait devant une dépense de quelques millions, aurait voulu consacrer le tiers ou la moitié de cette somme à une expérience qui pouvait ne produire que des résultats stériles ? Vous croyez que M. le ministre des finances, qui déjà en 1857 disait que ce serait un déni de justice que de retarder plus longtemps la révision des évaluations cadastrales, était capable de vous proposer en 1859 un projet de révision avec la pensée que cette révision pouvait amener par son insuffisance un nouvel ajournement de la réparation qui était due à certaines de nos provinces.

Non, messieurs, un ministre sérieux, et vous ne méconnaissez pas ce caractère, je pense, au chef éminent de notre département des finances, n'agit pas avec une aussi inconvenable légèreté dans une matière aussi souverainement grave.

L'honorable ministre était convaincu, et cette conviction il l'avait puisée dans les délibérations des fonctionnaires les plus capables et le plus expérimentés dans la matière, il était convaincu, dis-je, que l'es opérations restreintes proposées par le projet de loi de 1857 étaient suffisantes pour faire disparaître, ce sont les termes de l'exposé des motifs, les inconvénients les plus graves de la situation.

Maintenant que se passa-t-il dans les Chambres ? Dans la Chambre des représentants il n'y eut, pour ainsi dire, point de discussion ; personne n'y contesta les bases du projet de loi. On savait par l'exposé des motifs de quelle manière il serait opéré, pour constater l'augmentation du revenu, pour établir la moyenne de celui-ci ; quels seraient les moyens de vérification et de contrôle. On savait que la loi n'avait pas pour objet de rétablir l'égalité proportionnelle entre les parcelles, mais seulement d'établir une plus juste égalité de l'impôt foncier entre les neuf provinces, dont quelques-unes se croyaient relativement surtaxées, entre les cantons et entre les communes. Or, la Chambre des représentants adopta à l'unanimité le projet de loi qui prescrivait la révision des opérations cadastrales dans les limites ainsi définies. Je remarquerai en passant que MM. Ansiau, Lelièvre, Moncheur, Wasseige et Thibaut, qui ont attaqué si vivement la ventilation par canton qui était prescrite par la loi, faisaient partie de cette unanimité.

Au Sénat un seul membre, un honorable sénateur de Namur combattit le projet de loi comme trop restreint, et demanda l'expertise parcellaire générale ; il la demandait, disait-il, parce qu'il était notoire que le contingent de la province de Namur devait être augmenté, et qu'il voulait que chaque contribuable sût pourquoi il subirait une augmentation d'impôt. L'honorable sénateur jugeait, comme on le voit, l'augmentation de richesse qu'avait acquise la province de Namur, autrement que les honorables représentants de cette province qui nous déclarent aujourd'hui que celle-ci n'a pas suivi le progrès qui s'est produit dans d'autres provinces.

Au second vote un autre sénateur de Namur déclara se rallier à l'opinion émise par son collègue, et le projet de loi fut voté à l'unanimité moins quatre voix, dont trois appartenant à la province de Namur, et une à la province de Hainaut.

Vous voyez donc, messieurs, que ni le gouvernement, ni la section centrale, ni les Chambres en 1859 n'ont eu la pensée de faire disparaître toutes les inégalités par la loi de révision présentée à cette époque, mais seulement de les atténuer d'une manière générale.

Il est bien vrai que M. le ministre des finances disait dans son exposé des motifs de 1859, que dans la supposition très improbable où l'expérience ferait reconnaître que le travail était insuffisant, il n'y aurait eu ni perte de temps ni d'argent parce que les opérations effectuées pourraient servir à un renouvellement complet du cadastre ; mais ces paroles ne pouvaient avoir la portée que leur ont assignée les honorables membres qui cherchent à faire rejeter le projet de loi.

Il était certainement superflu de sauvegarder les droits de la législature, qui n'aurait pu elle-même s'engager d'avance à approuver les résultats quels qu'ils fussent des opérations dont elle approuvait les bases.

La réserve du ministre avait pour objet de faire remarquer que la loi, tout en corrigeant les inégalités les plus saillantes, n'était pas un obstacle à une révision plus complète, si elle était jugée nécessaire ; il donnait ainsi satisfaction à ceux qui craignaient que la révision générale ne reculât de trop d'années la réparation à laquelle certaines provinces avaient un droit déjà alors incontesté, et à ceux qui voulaient que toutes les inégalités disparussent dans la mesure du possible par une expertise parcellaire générale.

En présence de ce précédent la section centrale dont j'ai eu l'honneur d'être l'organe n'avait pas à examiner le projet de loi au point de vue des inégalités que la loi de 1860 avait prévues ; et elle n'a pu examiner davantage la valeur de griefs qui n'avaient été produits ni dans les sections, ni dans la section centrale par les membres de sa minorité.

Elle n'a pu discuter que les propositions faites dans son sein et répondre aux critiques contenues dans deux pétitions qui lui avaient été renvoyées.

Mais la section centrale avait à examiner si les opérations que la loi de 1860 avait prescrites avaient été conduites avec toute la régularité, l'uniformité et l'impartialité désirables, et si les résultats obtenus par ces opérations reposaient sur un ensemble de matériaux assez solides pour mériter son approbation.

A cet effet, nous avons examiné, messieurs, si toutes les précautions avaient été prises pour approcher autant que possible de la vérité dans les évaluations, si les éléments dont les agents du cadastre avaient pu disposer avaient été suffisamment abondants, si les intéressés avaient été mis en position de présenter leurs réclamations de la manière prescrite par la loi, si le travail avait été contrôlé, vérifié dans une mesure suffisante, quelle avait été, sur tous ces points, l'opinion des délégués des cantons et des communes, dans les commissions provinciales.

Sous tous ces rapports, la section centrale a reconnu que la loi du 10 octobre 1860 avait reçu une exécution satisfaisante.

Les procès-verbaux des commissions provinciales devaient particulièrement fixer notre attention. Ces commissions en effet étaient composées de délégués de chaque ville et de chaque canton, assistés de plusieurs des fonctionnaires qui avaient eu la direction des opérations ; ces délégués avaient eu devant les yeux toutes les pièces qui avaient servi de bases aux opérations et notamment les tableaux de la ventilation des baux par commune et par canton.

Que s'est-il passé, messieurs, dans les commissions ?

Quatre d'entre elles ont reconnu que le travail proportionnel était bien fait ; ce sont celles d'Anvers, de la Flandre occidentale, de la Flandre orientale et de Liège. Dans cette dernière commission les délégués des cantons d'Aubel, de Waremme, de Louveigné, de Verviers, s'expriment à cet égard d'une manière expresse qui n'est contredite par personne. En ouvrant la première séance, le gouverneur avait constaté que les réclamations étaient peu importantes et peu nombreuses, ce qui prouve, disait-il, l'impartialité et le soin qui ont présidé aux opérations.

Dans trois commissions on vote des remerciements aux agents du cadastre, pour le zèle, l'impartialité et l'intelligence qu'ils ont déployés dans leur pénible et difficile mission. Ces commissions sont celles de la Flandre orientale, de Liège et de Luxembourg. Enfin, dans le Brabant on rend justice à la loyauté des agents du cadastre. Ainsi, cinq commissions sur neuf ont accordé d'une manière formelle leur approbation au travail qui a servi de base au projet de loi, et l'on peut ajouter que le procès-verbal de la commission de la Flandre occidentale implique une égale approbation. cette approbation pouvait-elle être unanime ? Nous ne pouvions, messieurs, l'espérer ; jamais une loi d'impôt n'a joui d'un pareil privilège.

Or, de quelle valeur pouvaient être a nos yeux, après les déclarations que je viens de citer, les résolutions par lesquelles ces mêmes commissions ont réclamé des diminutions générales sur chaque nature de propriété ?

Nous voyons toutes les commissions, celles des deux Flandres et d'Anvers exceptées, déclarer que les évaluations sont trop élevées ; mais la lecture des procès-verbaux ne nous apprend rien des motifs sur lesquels cette appréciation était fondée. Outre des considérations générales qu'ont fait valoir les délégués auteurs de demandes de réduction, ce qu'on y remarque particulièrement, c'est cette préoccupation que d'autres commissions pouvant demander des réductions, celles-ci, si elles étaient (page 999) admises par le gouvernement, auraient une influence préjudiciable sur la fixation du contingent des provinces qui n'auraient pas demandé des diminutions.

On passe légèrement sur l'examen des éléments qui ont servi à fixer le revenu moyen dans les divers cantons, mais on se préoccupe énormément du résultat comparé de province à province ; celui-ci, on le pressent ou on le connaît, et ce résultat on le condamne à priori.

Ainsi l'on voit, dans la commission de Namur, un délégué soutenir que la proportion de la province est exagérée, avant même qu'aucune pièce ail été examinée par la commission ; M. l'inspecteur spécial du cadastre en fait l'observation ; et avant de permettre qu'on passe a l'examen des éléments du travail, ce délégué insiste pour que l'on communique à l'assemblée la proportion qui a été obtenue pour toutes les provinces. C'est ainsi encore que, dans la commission de la province de Liège, un membre déclare que l'on doit demander de grandes réductions pour en obtenir peu ; et que l'on y insiste aussi, avant tout, pour connaître les résultats des autres provinces. C'est ainsi que dans la province de Namur encore, où l'on a demandé les réductions les plus nombreuses et les plus fortes, on a soin d'observer que ces réductions sont votées sous la réserve d'obtenir des réductions plus considérables si d'autres provinces en obtenaient également.

Les commissions où se sont produites le plus de critiques et de réclamations sont celles des provinces qui doivent être surtaxées ; dans les autres des observations sont présentées, mais le plus souvent après les explications données par l'inspecteur spécial du cadastre, on se déclare satisfait.

Ainsi, à Liège on critique les évaluations des propriétés bâties ; l'inspecteur fait remarquer que, sur 118,185 parcelles, il n'a été produit que 4,237 réclamations contre le classement, et 3,704 contre les évaluations, tandis que les propriétaires de 113,948 parcelles ont approuvé par leur silence le classement, et 114,481 l'évaluation ; et malgré cela la commission vote presque à l'unanimité une réduction générale des propriétés bâties, de 10 p. c.

A Anvers, au contraire, la même observation critique est faite et à la suite de la présentation, par l'inspecteur du cadastre, des pièces d'expertise, l'assemblée se déclare parfaitement satisfaite.

A Namur, on trouve que les opérations ont été mal faites, quant à la fixation du revenu des propriétés bâties, et c'est en vain que l'inspecteur fait observer qu'on a opéré sur 2,900 baux tandis que lors des opérations du premier cadastre, l'administration n'avait eu que 1,000 baux à sa disposition.

Dans le Brabant, on constate que le nombre des réclamations a été très restreint, et l'on y adopte néanmoins une réduction de 10 p. c. sur les propriétés non bâties et une autre de 25 p. c. sur les propriétés bâties dans les communes rurales et de 15 p. c. dans les villes de quatrième et cinquième ordre. Chaque délégué demande une diminution pour son canton ou pour sa ville, le délégué de Bruxelles excepté, mais personne n'établit d'une manière probante quelconque, que les évaluations dont il se plaint ne sont pas en concordance avec celles des grandes villes. Toutes ces demandes étaient arbitraires : dans la même assemblée, on voit un membre demander une diminution de 25 p. c. un autre de 15, un autre de 10 sur les propriétés bâties ou sur les non bâties, et l'on ne voit aucune trace de raisons sérieuses alléguées pour motiver ces différences.

Le gouvernement pouvait-il faire droit à ces demandes diverses, qui paraissaient formulées seulement par le désir d'arriver à une diminution du contingent provincial ou communal, alors que les proportions obtenues étaient le résultat d'un grand nombre d'actes fournissant des éléments d'évaluation certains, incontestables ? Pouvait-il donner créance à de simples dires, à des appréciations fondées souvent sur rien et souvent aussi sur un fait isolé, exceptionnel ? La section centrale ne le pense pas.

Comme le fait remarquer M. le ministre des finances dans son exposé des motifs, la diversité des vœux formulés sur ce point par les commissions provinciales prouve suffisamment que leurs appréciations ne reposent sur aucune donnée certaine qui soit de nature à infirmer les résultats obtenus par l'administration.

Il n'a été contesté dans aucune assemblée provinciale que les mêmes procédés ont été mis en usage pour fixer l'augmentation du revenu ; sous peine donc de rompre l'harmonie qui existe dans le travail, il n'était pas possible au gouvernement d'admettre une réduction dans une province sans l'étendre à toutes, et, dans ce cas, la mesure aurait été sans effet sur l'application des résultats à la nouvelle répartition de la contribution foncière.

Ainsi, lorsque à Liège, par exemple, on demande une réduction générale fondée sur ce que quelques baux ont été consentis à des prix élevés par des motifs exceptionnels, et que certaines maisons à la campagne ne pourraient pas être louées au taux de leur évaluation, n'est-il pas vrai que des faits exceptionnels de cette nature, outre qu'ils sont contrebalancés par des faits également exceptionnels d'un ordre opposé, doivent s'être présentés dans toutes les provinces, aussi bien dans celles qui ont demandé des réductions que dans celles qui n'en ont pas demandé, et que dès lors il serait injuste d'admettre une pareille réclamation.

Nous avions, messieurs, ai-je dit tout à l'heure, à tenir compte aussi de la valeur des éléments qui avaient servi à constater les résultats obtenus par les agents du cadastre, et à comparer ainsi le degré d'exactitude qu'on pouvait attribuer à ces résultats.

Or, nous avons vu par l'exposé des motifs que l'administration a opéré sur un nombre très considérable, suffisamment considérable de documents.

La ventilation des baux à ferme a porté sur près de 152,000 actes comprenant 529,432 hectares représentant plus du quart de la contenance cultivée du pays. Or, quand on a des données certaines, des données irrécusables sur le revenu du quart des propriétés bâties par des baux dont on a eu soin d'élaguer ceux qui ont été faits sous l'empire de circonstances exceptionnelles, est-il raisonnable de soutenir que l'on ne peut pas déduire le chiffre à peu près exact des revenus des trois autres quarts ?

Quand on opère sur des quantités aussi considérables, on peut être certain de ne pas se tromper sur la moyenne. Ainsi, pour me servir d'une comparaison, si l'on prenait deux individus sur dix au hasard, on ne serait pas certain de n'avoir pas choisi les deux plus grands ou les deux plus petits ; mais si l'on prenait au hasard sur une population de 2,000,000 d'hommes 500,000 individus, et si l'on en écartait les géants et les nains on ne pourrait certainement pas dire que ces 500,000 individus ne suffisent pas pour évaluer la taille moyenne de la population entière.

Mais, dit-on, le nombre des baux employés n'a pas offert la même proportion dans toutes les provinces. J'en conviens ; et dans la province de Luxembourg, par exemple, où un grand nombre de propriétaires exploitent eux-mêmes leurs biens, le chiffre des baux a même été insuffisant pour pouvoir constater exactement le revenu.

Mais dans toutes les autres provinces le nombre de baux à ferme, quoique proportionnellement inégal, a été considérable ; leur proportion en hectares avec la superficie totale du sol cultivé varie de la moitié au cinquième environ.

On tire argument de cette inégalité pour soutenir que cette base a dû produire des résultats avantageux d'un côté et désavantageux de l'autre, tant à l'égard des provinces entre elles qu'à l'égard des cantons entre eux.

Or, je prie la Chambre de remarquer que c'est dans la Flandre occidentale que l'administration a eu le plus grand nombre de baux à sa disposition ; elle a pu opérer dans cette province sur des baux se rapportant à la moitié environ de la contenance cultivée. C'est donc là que l'on a obtenu la plus grande somme certaine, indiscutable, d'appréciation :

Dans la Flandre orientale, la proportion des contenances ventilées par les baux est de moins du quart, et l'on est arrivé à une diminution à peu près égale à celle de la Flandre occidentale.

Or personne n'a élevé le moindre doute sur la justesse relative du résultat obtenu dans ces provinces. Il ne serait donc pas plus juste de contester les évaluations relatives des autres provinces entre elles parce que la proportion de baux, quoique suffisante dans chacune d'elles, pour juger du revenu moyen, n'a pas été proportionnellement égale partout.

Cette égalité d'ailleurs est impossible à réaliser, elle n'a pas plus existé lors de la confection du cadastre, que dans les opérations actuelles, et alors même que tous les baux non enregistrés seraient produits ils différeraient nécessairement en quantité, selon le nombre très différent des cultivateurs propriétaires dans chaque province.

On a aussi contesté l'exactitude du résultat obtenu, par la raison que le nombre des baux portant sur des exploitations de grande et de petite tenue ne présentait pas partout la même proportion.

La petite tenue se loue plus cher ; or, dans la province de Liège on a opérée sur 38,000 hectares de grande tenue contre 15,000 seulement de petite tenue ; la grande tenue louée moins cher a donc dû avoir, dit-on, une influence prépondérante dans la fixation de la moyenne dans cette province. Le même fait se présente dans le Brabant, ou l'on a opéré sur (page 1000) 40,000 hectares de grande tenue, et sur 24,000 hectares seulement de petite tenue.

Dans le Hainaut c'est le contraire ; là nous trouvons 47,000 hectares de petite tenue dont les baux ont été soumis à la ventilation, contre 29,000 de grande tenue.

Si donc la proportion entre les baux de différente tenue a exercé une influence sur la moyenne générale, cette différence doit, avoir opéré en sens contraire dans le Hainaut et dans la province de Liège, et il en faudrait conclure que les évaluations doivent être augmentées pour la province de Liége et dans le Brabant, et diminuées dans la province de Hainaut.

Mais, dans la Flandre orientale on a opéré sur 23,000 hectares de petite tenue contre 16,000 de grande tenue, et cette province est pour tant une de celles où l'augmentation du revenu est reconnue une des moindres ; elle devrait donc être dégrevée de ce chef, tandis que la province de Namur, où l'on n'a consulté que 3,000 baux de petite tenue sur 28,000 de grande tenue, devrait, à cause de cette disproportion, être sur taxée davantage, mais la vérité est que la disproportion n'a eu qu'une influence minime dans la fixation de l'augmentation du revenu, parce qu'il en a été tenu compte dans les évaluations.

On a fait remarquer aussi pour démontrer que les évaluations étaient exagérées, que le gouvernement avait eu à sa disposition tous les baux enregistrés, tandis qu'il n'avait pu consulter qu'un nombre restreint de baux non enregistrés eu égard à l'étendue du territoire. Disons d'abord que l'honorable orateur qui a employé cet argument n'a pas tenu compte de deux circonstances importantes : la première, c'est que tous les propriétaires ont été appelés à faire connaître leurs baux sous seing privé, et que si beaucoup se sont refusés à faire cette communication, ce qui est attesté par presque tous les procès-verbaux, c'est qu'ils ne la jugeaient pas utile à leurs intérêts ; la seconde, c'est qu'une très grande partie du territoire est cultivée par les propriétaires eux-mêmes ; d'où il résulte que les baux non enregistrés et ceux enregistrés ayant été en nombre égal comme contenance, les seconds représentent réellement une proportion beaucoup plus considérable de terrain que les premiers, relativement à la contenance générale du pays.

M. de Macarµ. - J'ai soutenu qu'on n'avait pas tenu compte, dans la même proportion, des baux enregistrés et des baux non enregistrés.

Un septième du territoire belge a été repris par les baux enregistrés, un septième par les baux non enregistrés. Or, tous les baux enregistrés ont été produits, tandis que les baux non enregistrés ne l'ont été que partiellement.

Il fallait donc donner à ceux-ci une influence sur la moyenne à établir en proportion avec leur nombre réel et leur importance.

M. de Vrière, rapporteurµ. - Vous avez établi une proportion entre les baux produits qui étaient enregistrés et les baux produits qui n'étaient pas enregistrés. Vous avez dit que cette proportion n'était pas suffisante parce que les uns et les autres n'atteignaient que le 1/7 du territoire cultivé. Je réponds à cette observation, et je dis que vous n'avez pas tenu compte de cette circonstance que le septième du territoire représenté par des baux non enregistrés est plus fort que le septième représenté par des baux enregistrés, attendu qu’il y a un grande nombre de terres qui sont cultivées par leurs propriétaires.

Je vais m'expliquer : il s'est trouvé 262,000 hectares ou un septième du territoire arable sur le revenu desquels il n'était pas possible de se tromper, et, d'un autre côté, 267,000 hectares, ou environ un autre tiers dont les baux volontairement produits à l'expertise y ont été, très certainement, en grand nombre, apportés en vue de mitiger les effets de la ventilation des baux authentiques.

Mais en dehors de ceux-là, il restait au delà de 1,400,000 hectares qui étaient loués sans bail ou par bail sous seing privé, ou bien qui étaient exploités par leurs propriétaires.

Or, en supposant que le tiers seulement de cette contenance, soit 450,000 hectares, appartînt à cette dernière catégorie, et que 400,000 autres fussent occupés sans bail, il restait environ 550,000 hectares dont les baux sous seing privé n'ont pas été produits, c'est-à-dire que les propriétaires ont évité de produire à l'expertise un nombre double de baux de ceux qu'ils ont communiqué.

Voilà pourquoi je crois avoir raison de dire, contrairement à l'appréciation de l'honorable membre qui m'a interrompu, que l'infériorité du revenu, constaté par les baux privés volontairement communiqués, ne peut être prise en considération que dans une mesure très restreinte pour déterminer la moyenne du revenu réel.

Mais c'est là encore une de ces inégalités qui ne s'est pas produite seulement dans une ou deux provinces, et si l'on avait raison de l'invoquer en faveur d'une diminution du contingent, c'est la Flandre occidentale qui aurait le plus de droit à s'en prévaloir, attendu que l'on y a opéré sur 61,219 baux enregistrés contre 47,420 non enregistrés, tandis que dans la province de l'honorable membre auquel je réponds en ce moment, il n'a été consulté que 22,744 baux enregistrés, contre 41,267 non enregistrés. L'annexe D ne donne pas la contenance afférente à chaque espèce de baux, mais on sait que les baux enregistrés s'appliquent plus généralement aux exploitations d'une certaine importance qu'à celles de petite tenue.

Le reproche le plus sérieux que l'on a fait au projet de loi, c'est l'application aux bois de la moyenne cantonale ; il est à regretter, en effet, que l'on n'ait pu constater leur revenu réel par des actes de vente en nombre suffisant. Cependant sans contester certains faits particuliers que d'honorables orateurs ont signalés dans la discussion, je ferai observer qu'ils ont fait erreur en établissant une comparaison entre la proportion d'augmentation résultant des prix de vente, et l'augmentation qu'imposera aux bois la moyenne cantonale.

L'augmentation, en effet, résultant des actes qu'on a pu se procurer ne peut être considérée comme réelle, puisqu'elle dérive d'une ventilation opérée sur un nombre d'actes jugé trop exigu pour servir d'élément d'évaluation ; l'exposé des motifs ne donne ce résultat qu'à titre de renseignement, et comme preuve de leur insuffisance ; les résultats des actes de vente de bois, dit-il, comparés à ceux des baux à ferme présentent, de province à province, des écarts tellement considérables qu'il suffira de les signaler pour démontrer le peu de confiance qu'ils peuvent inspirer.

Je signalerai, messieurs, les chiffres respectivement attribués aux deux provinces de Flandre pour démontrer leur complète inexactitude. D'après le tableau C, joint à l'exposé des motifs, le revenu des bois aurait augmenté dans la Flandre occidentale de 113 p. c. et dans la Flandre orientale de 20 p. c., eh bien, dans les deux provinces où la superficie des bois conservés est approximativement égale, je puis attester avec certitude que l'accroissement de valeur que les bois ont acquis est en général le même.

Ces deux provinces sont, à cet égard, dans une position identique.

M. de Naeyerµ. - C'est vrai.

M. de Vrière, rapporteurµ. - C'est donc partir d'une base fausse que de prétendre que les bois seront surtaxés énormément parce que la proportion qui leur est attribuée dépasse considérablement celle qui résulte des actes de vente.

Je m'étonne que les honorables représentants de la province de Namur qui ont argumenté de ces actes ne se soient pas aperçus qu'il employaient une arme à deux tranchants.

Les bois de la province de Namur, disait l'honorable M. Wasseige, ne devraient supporter qu'une plus-value de 28 p. c. et ils seront frappés représenté par des baux non enregistrés d'une plus value de 100 p. c.

Mais pourquoi l'honorable M. Wasseige n'a t-il pas continué son raisonnement en adoptant aussi comme vrai le résultat obtenu par les actes de vente d'herbages ? Il n'avait qu'à passer de l'annexe C à l'annexe D, et il y aurait vu que les herbages dans la province de Namur, suivant toujours les actes de vente, avaient acquis une augmentation de 179 p. c, L'honorable membre aurait donc dû achever sa phrase et dire : Les herbages dans la province de Namur qui devraient supporter une plus-value de 179 p. c. ne seront frappés que d'une plus-value de 100 p. c. Si l'honorable membre, se préoccupant moins exclusivement des bois, avait fait attention à cette conséquence de son argumentation, il ne se fût pas écrié, je pense, que ce sont là des anomalies inqualifiables que rien ne justifie dans l'exposé des motifs et que rien ne peut justifier.

Les bois, dit-on, ont en certains endroits moins de valeur qu'il y a 40 ans ; cela est possible ; cependant si j'en puis juger par le pays que je connais le mieux, je crois que l'on tient trop compte des influences favorables qui ont cessé d'exister, et trop peu compte de celles également favorables qui ont pris naissance depuis un certain nombre d'années.

En Flandre les bois étaient généralement taxés trop haut par l'ancien cadastre, c'était un fait notoire. Il est vrai que la raspe avait une valeur très grande à cette époque, où l'usage du charbon était complètement inconnu dans nos campagnes ; mais peu à peu l'introduction du (page 1001) guano qui permettait de cultiver les terres de mauvaise qualité, et l'augmentation de la population amenèrent le défrichement sur une grande échelle, et le déboisement devint d'autant plus général que la rareté croissante des bois en augmentait la dévastation. Mais le déboisement eut aussi cette conséquence que là où on avait conservé des bois, où on pouvait les garder contre le maraudage, la raspe, malgré l'usage assez généralement introduit de la houille, augmenta d'année en année de valeur ; quant à la futaie, elle n'a cessé de renchérir dans une forte mesure malgré la concurrence des bois étrangers.

Aussi, messieurs, personne n'a réclamé en Flandre contre l'assimilation des bois aux terres arables, non plus que dans la province d'Anvers. Il n'en est pas ainsi dans les provinces de Liège, de Namur et de Luxembourg. Cependant, je ferai observer que dans la commission provinciale de Liège un membre a contesté que les bois n'eussent pas acquis un grand accroissement de valeur ; ce délégué donnait pour raison que le stère de bois qui se vendait autrefois 6 fr., se vend 16 fr. aujourd'hui, et un de nos honorables collègues m'a dit, à ce propos, que le stère se vend jusqu'à 18 francs.

Il résulte aussi des renseignements recueillis par l'administration que pendant la période de 1849 à 1858, le prix du bois y compris les écorces a augmenté de 30 p. c. relativement à la période de 1812 à 1826.

Quant aux terrains déboisés qui restent classés comme bois, les honorables membres qui se sont le plus vivement plaints de l'assimilation des bois aux terres arables ne sont pas d'accord entre eux ; car l'honorable M. Wasseige soutient, d'une part, que les terrains déboisés ne donnent qu'un revenu très faible, ce qui fait qu'on replante, et, d'autre part, l'honorable M. Bricoult, raisonnant au point de vue des intérêts financiers des communes, nous a dit qu'il est des communes qui comptent dans leur étendue plusieurs centaines d'hectares de bois dérodés loués de 125 à 160 fr. l'hectare, imposés à 2 fr. et quelques centimes l'hectare. Ce fait prouverait à lui seul que la plus-value attribuée aux bois est largement compensée par l'accroissement de valeur de ceux qui ont été dérodés.

Quoi qu'il en soit, messieurs, il y aura, sous ce rapport, des inégalités de commune à commune comme sous d'autres rapports encore, et c'est pour ce motif que les orateurs qui ont jusqu'ici parlé contre la loi demandent que la ventilation des baux ait lieu par commune.

Cette question a été longuement discutée dans la commission du Brabant. M. l'inspecteur du cadastre y a expliqué quelles précautions avaient été prises pour que la valeur constatée par la ventilation représentât bien par canton la véritable moyenne exigée par l'article 2 de la loi ; il y a discuté les influences de toute espèce qui ont pesé sur la ventilation, telles que la grande et la moyenne tenue, les baux enregistrés et non enregistrés, les baux passés pendant la première partie de la période, et les baux passés pendant la deuxième partie ; et l'assemblée a fini par se prononcer contre la ventilation par commune.

« Il est démontré, disait un délégué du Brabant, que la réunion de tous les baux d'un canton, qui est toujours considérable, donne pour résultat une moyenne qui rétablit les conséquences extrêmes que présente l'opération d'une commune isolée.

« J'ai vérifié le fait sur un canton que je connais très bien : la commune, surtaxée en 1825, est celle qui, aujourd'hui, a le chiffre d'augmentation le moins élevé. »

On oublie trop, messieurs, que le gouvernement était entièrement désintéressé quant aux résultats que pouvaient amener les opérations de la révision ; lors donc qu'on affecte d'appeler les fonctionnaires qui ont exécuté ses instructions, les agents du fisc, on emploie une expression impropre ; or, quelle raison, messieurs, le gouvernement avait-il de ne pas procéder à la ventilation des baux par commune ? Cette opération n'était ni plus longue ni plus difficile que celle à laquelle on s'est livré en recherchant la moyenne par canton. Mais il sautait aux yeux que dans les communes où l'on ne pouvait recueillir qu'un petit nombre de baux, s'appliquant souvent à des propriétés composées différemment, sous le rapport de la nature des parcelles, la ventilation n'aurait produit que des résultats tout à fait inexacts ; ainsi, l'exposé des motifs nous apprend que dans la province de Namur, par exemple, la moyenne des actes que l'on a pu recueillir dans un canton n'a été que de 12 par commune ; n'est-il pas évident, messieurs, que des éléments aussi insuffisants ne pouvaient pas servir à déterminer quelle était la moyenne de l'accroissement du revenu ?

Il y a des baux élevés et il y en a de modérés en dehors même de ceux dont on ne tient pas compte parce qu'ils sont nés de circonstances tout à fait exceptionnelles.

Cela est si vrai que, dans le pays que j'habite, la différence est quelquefois de cent pour cent pour des terrains à peu près identiques, selon la fortune du propriétaire ou son exigence vis-à-vis des fermiers. La ventilation par grandes masses peut seule faire disparaître ces inégalités par la compensation qu'elle opère. Aussi lors des opérations primitives du cadastre, quoique l'on eût alors opéré par chaque commune isolément, on a fait néanmoins la ventilation par canton. On atténuait ainsi les inégalités résultant de circonstances locales étrangères à la valeur et au revenu du sol, et par suite on obtenait avec le plus d'exactitude possible le revenu moyen.

Lors de la présentation de la loi de 1860 dont le projet précisait la manière dont il serait opéré pour constater l'augmentation du revenu, personne n'a fait la moindre objection à la ventilation par canton, et aujourd'hui que les résultats amènent une augmentation d'une certaine importance pour quelques provinces, les honorables membres qui représentent leurs intérêts soutiennent que l'on aurait dû opérer par commune ; cependant ces honorables membres avaient assez de sagacité pour prévoir que la ventilation devait nécessairement maintenir certaines inégalités et peut-être en amener de nouvelles ; si d'ailleurs ils ne l'avaient pas prévu, on n'a pas manqué de les en avertir. La commission, disait l'exposé des motifs de la loi de 1860 (permettez-moi, messieurs, de revenir sur ce point,) la commission (des fonctionnaires) reconnaît sans difficulté que le système auquel elle donne la préférence pourra soulever dans les communes rurales des objections sérieuses. On ne pouvait pas annoncer plus clairement que l'œuvre qu'on allait entreprendre ne ferait pas disparaître toutes les inégalités. Soyez, messieurs, certains d'une chose, c'est que si l'on avait suivi la marche que l'on préconise maintenant, on n'eût pas manqué de venir vous dire : La ventilation de 12 actes par commune ne peut pas donner une idée, même approximative, de la moyenne du revenu, et l'on vous eût demandé alors la ventilation par canton.

Mais, messieurs, je me demande si ces inégalités, ces disparates, sur lesquelles on s'est étendu si longuement, et que je ne conteste pas, que je ne saurais même contester, attendu que je n'ai eu à ma disposition d'autres documents que ceux que la Chambre a devant les yeux, sont particulières au Hainaut et aux provinces de Liège et de Namur ? Tout cet ensemble d'iniquités résultant de la manière dont on a procédé, s'est-il donc appesanti sur deux ou trois provinces seulement, en épargnant toutes les autres ?

L'égalité proportionnelle entre les cantons et les communes ne laissera-t-elle rien à désirer dans les Flandres, dans le Luxembourg et dans la province d'Anvers ? Les mêmes causes enfin n'ont-elles pas dû produire partout les mêmes effets ? L'égalité, sous ce rapport du moins, ne peut être contestée, à moins qu'on ne prétende que d'un côté il n'y a eu que des agents capables et impartiaux, et que de l'autre il n'y a eu que des fonctionnaires ineptes et injustes.

On dira, peut-être, que dans certaines provinces on ne se plaint point, parce qu'on est satisfait du résultat. Mais veuillez remarquer, messieurs, que l'intérêt réciproque des cantons et des communes a eu, et a encore ses organes dans les Flandres aussi bien que dans le Hainaut, dans le Luxembourg aussi bien que dans la province de Namur ; cet intérêt n'avait aucune raison, pas plus dans l'une province que dans l'autre, de dissimuler ses griefs, s'il en existait qui valussent la peine d'être signalés, et ces griefs doivent exister dans la même mesure partout, attendu que partout la loi avait été exécutée de la même manière, dans la même forme, avec les mêmes procédés.

Parmi les adversaires de la loi, nous avons remarqué un honorable député de la province de Liège qui a défendu son opinion, je me plais à lui rendre cette justice, avec un véritable talent.

L'honorable membre s'est particulièrement placé au point de vue de l'arrondissement qu'il représente, et il s'est appuyé sur les renseignements qui lui ont été donnés par un notaire très respectable pour en conclure que l'on avait exagéré le revenu dans cet arrondissement.

Je ne suis pas en mesure de contredire les appréciations de l'honorable membre ; je n'ai eu, je le répète, d'autres documents à ma disposition que ceux qui sont sous les yeux de la Chambre, mais il ne me paraît pas sans intérêt d'opposer à l'opinion de l'honorable député, tant sur les opérations en général que sur l'augmentation attribuée aux terres des environs de Huy, l'opinion d'un honorable magistrat appartenant également à la province de Liége et qui a fait une étude spéciale du travail de révision.

Voici, messieurs, ce que je lis dans un extrait du compte rendu de la séance du conseil communal de Verviers du 1er mars dernier.

C'est M. Flechet qui parle :

« Il résulte de ce travail consciencieusement fait, s’il faut en juger (page 1002) par celui de notre province, que, grâce à la mission de confiance que vous m'avez donnée, j'ai pu contrôler à mon aise, il en résulte, dis-je, que l'impôt foncier pèse trop lourdement sur plusieurs provinces, plusieurs arrondissements, entre autres sur le nôtre, et tout particulièrement sur notre ville, en un mot la nouvelle loi est une loi de réparation, une loi d'équité.

« S'il fallait une preuve pour établir que le travail des agents chargés dans notre province de procéder à la révision du cadastre ne laisse rien à désirer, nous la trouverions évidemment dans le tableau des multiples du gouvernement pour les successions en ligne directe, faisant l'objet de l'arrêté royal du 28 juillet 1852 pris en exécution de l'article 3 de la loi du 17 décembre 1851.

« Art. 3. § 1er. Le gouvernement déterminera périodiquement à l'aide des ventes publiques enregistrées pendant les cinq dernières années au moins, 1846 inclus 1850, en diminuant les prix d'un dixième, le rapport moyen du revenu cadastral à la valeur vénale. »

« En effet, pour obtenir la valeur vénale des propriétés dans le canton, Verviers (partie rurale), où la contribution foncière sera diminuée de 13 p. c., le multiple est de 30 pour les propriétés non bâties, et de 35 à 45 pour les bâties, ou 40 en moyenne.

« Huy (partie rurale), où la contribution foncière est augmentée de 38 p. c., le multiple est de 40 à 45 pour les propriétés bâties, et de 70 à 130 pour les non bâties ou une moyenne de 100.

« Permettez-moi maintenant de vous faire en passant une autre comparaison en dehors de notre localité.

« Un hectare de terre de première classe dans le canton de Herve est actuellement évalué à 125 de revenu imposable, il paye à raison de 10 fr. 93 p. c, 15 fr. 06 c. de foncier ; d'après les nouvelles évaluations cadastrales, ce revenu est augmenté de 30 p. c. et porté à 168 fr., il ne payera, à raison du nouveau multiple, qui est de 6 fr. 70 p. c, que 11 fr. 25 c.

« Un hectare de terre de première classe du canton de Waremme est actuellement évalué à un revenu imposable de 63 fr. il paye seulement 6 fr. 88 c. de contribution foncière ; d'après le nouveau cadastre, ce revenu est augmenté de 120 p. c. et porté à 138 fr. 60 c. Il payera, à raison de 6 fr. 70 p. c, 9 fr. 28 c. de contribution.

« L'hectare de Herve, d'après le multiple, qui est de 40 fois le revenu imposable, a une valeur de 5,000 fr.

« L'hectare de Waremme, d'après le multiple, qui est de 80 fois le revenu imposable, a une valeur de 5,040 fr.

«E n résumé, l'hectare de première classe, à Herve, paye actuellement 15 fr. 60 de foncier ou 6 fr. 78 c. de plus que l'hectare de première classe de Waremme, et quoiqu'ils ne soient, d'après les documents officiels, que d'une différence de valeur vénale de 40 fr., l'hectare à Herve payera, d'après la nouvelle péréquation de l'impôt foncier, encore 1 fr. 97 c. de plus que celui de Waremme. »

La Chambre reconnaîtra que ce sont là des données qui confirment l'exactitude des résultats généraux obtenus par la révision. Toutefois, quoi qu'il en soit de l'importance réelle des inégalités signalées par l'honorable orateur, il est certain que certaines propriétés payeront un peu plus ou un peu moins d'impôt foncier qu'elles ne payeraient si l'on avait procédé à une expertise parcellaire générale. Cependant cette révision n'a été demandée que par deux commissions provinciales, celles de Namur et de la Flandre orientale, et cette dernière avec le maintien provisoire du travail nouveau. Mais ce serait à tort qu'on croirait que tout le monde se trouverait justement imposé si l'on avait procédé à une pareille expertise, car on a procédé à l'expertise parcellaire pour toutes les propriétés bâties, et nous n'en voyons pas moins des commissions provinciales soutenir que les propriétés bâties, soit dans certaines villes, soit dans les communes rurales, devraient être réduites de 15 et 25 p. c. Bien plus, nous avons entendu ici d'honorables adversaires de la loi faire un grief au gouvernement d'avoir fait l'expertise parcellaire des propriétés bâties. Cela prouve, messieurs, qu'indépendamment des inégalités réelles, il y en aura toujours d'imaginaires, et celles-là en plus grand nombre, parce que l'intérêt privé est de sa nature exigeant et égoïste, et qu'il est dans la nature des choses que les mandataires épousent les griefs de leurs commettants, quand ces griefs ont quelque apparence de raison.

Quoi qu'il en soit, tout se réduit en définitive à la question de savoir quel effet appréciable les inégalités qu'on signale peuvent avoir sur l'impôt à payer par le contribuable. Or, le rapport de la section centrale établit par un exemple que des écarts les plus considérables entre les résultats des deux communes d'un même canton n'exercent qu'une influence minime sur la moyenne cantonale ; et d'autre part les calculs qu'elle a établis prouvent qu'une augmentation d'impôt n'atteindra que les seules propriétés dont le revenu a progressé dans une proportion plus élevée que les suivantes : Anvers 65 1/2 p. c., Brabant 62 1/2 p. c., Flandre occidentale. 72 p. c., Flandre orientale 71 p. c., Hainaut 63 1/2, Liége 63 p. c., Limbourg 71 1/2 p. c., Luxembourg 71 p. c., Namur 70 1/2 p. c.

Et notez qu'à partir de cette proportion, c'est par centimes que l'augmentation d'impôt se fera sentir.

On peut donc affirmer que la réparation d'une injustice qui était signalée depuis de longues années ne coûtera qu'un bien faible sacrifice à ceux qui en ont profité si longtemps, et c'est, messieurs, le motif décisif pour lequel la section centrale a donné son approbation au projet de loi.

M. Moucheurµ. - Messieurs, l'honorable rapporteur de la section centrale, que vous venez d'entendre, a tenté de défendre le projet de révision des évaluations cadastrales, mais ce projet est indéfendable ; car, malgré tout l'art possible, personne ne peut prouver que ce qui est en soi faux et injuste, soit vrai et équitable.

Aussi, l'honorable rapporteur a-t-il passé, pour ainsi dire, condamnation sur ce qu'il appelle les inégalités, et ce que j'appelle, moi, les injustices qui résultent de la révision cadastrale telle qu'elle nous est présentée. L'honorable M. de Vrière en prend donc facilement son parti, en disant qu'on avait bien prévu ces inégalités lorsqu'on a fait la loi de 1860, et il a ajouté que les membres de cette Chambre qui ont voté pour cette loi ne sont pas recevables aujourd'hui à en critiquer les conséquences et les résultats.

Mais à ce système facile de l'honorable rapporteur j'ai une réponse péremptoire à faire, c'est que le gouvernement, dans l'exécution de la loi de 1860, en a changé en partie les bases, notamment celle qui est relative à l'expertise parcellaire des propriétés bâties, ou bien il les a appliquées d'une manière contraire à l'esprit et à la lettre de la loi.

C'est, messieurs, ce que je crois pouvoir vous prouver, dans les réflexions que je vais avoir l'honneur de vous soumettre.

Les résultats du travail qui a été accompli pour la révision des évaluations cadastrales fournit la preuve évidente qu'il est de toute impossibilité d'éviter la révision du revenu par parcelle.

Ce travail fourmille d'erreurs, d'inexactitudes et d'injustices, et je dois dire qu'en exécutant la loi de 1860 comme on l'a fait, il était impossible qu'il en fût autrement.

La révision parcellaire est donc d'une stricte nécessité.

La propriété foncière paye d'ailleurs assez d'impôts à l'Etat pour qu'elle ait le droit d'acheter, au moyen d'une très faible partie de cet impôt, la justice distributive dans sa répartition, ne fût-ce qu'une fois tous les demi-siècles.

Messieurs, le rétablissement de cette justice distributive doit surtout avoir lieu après une période aussi féconde en perturbations énormes et extraordinaires que celles que les événements majeurs, les inventions et découvertes nouvelles de toutes espèces ont opérées depuis quarante ou cinquante ans parmi nous.

Il nous est donc impossible de ratifier par notre vote la révision des évaluations cadastrales telles qu'on nous les présente.

Cette révision et la nouvelle péréquation qui en serait la suite remplaceraient des injustices anciennes par d'autres injustices plus nombreuses : la seule différence qu'il y aurait entre les anciennes et les nouvelles, différence qui serait tout au désavantage du projet, c'est que les inégalités anciennes ont peut-être été inévitables, qu'elles ont été, en tous cas, le résultat d'erreurs involontaires ; tandis que les injustices nouvelles seraient commises en les voyant, eu les palpant, en les avouant même.

Messieurs, nous disons que les bases du travail qui vient d'être opéré sont défectueuses et fautives sous plusieurs rapports, surtout comme le gouvernement les a comprises et appliquées. Une première cause d'injustice dans la péréquation cadastrale nouvelle, c'est qu'elle a été faite par canton et non par commune ; ainsi les cantons renferment des zones tellement différentes qu'il est impossible d'appliquer équitablement à telle ou telle partie du canton les proportions d'augmentation de revenu qui conviennent à telle ou telle autre.

(page 1003) Dans telle partie du canton, par suite de circonstances spéciales, toutes les terres, toutes les propriétés auront vu leur revenu augmenté de plus de 100 p. c ; dans telle ou telle partie, au contraire, ce revenu sera à peine augmenté de 10 ou 20 p. c ; peut-être ne le sera-t-il pas du tout ; et cependant la partie resté stationnaire est rendue solidaire de celle qui a le plus progressé.

Elle subit l'augmentation d'impôt qui résulte d'une moyenne qui lui est défavorable et qui la lèse. Si elle intervient dans cette moyenne, si elle contribue à la fixer, c'est pour dégrever, à son propre détriment, la partie qui est devenue plus riche.

Une seconde cause d'injustice, c'est qu'en additionnant, pour former la moyenne, tous les chiffres exprimant les proportions d'augmentation de revenu, on n'a pas eu égard à l'étendue de la superficie de chaque commune ; ainsi les chiffres d'augmentation du revenu cadastral de la plus petite commune d'un canton pèsent autant dans la balance et influent autant dans la moyenne que les chiffres de la commune la plus grande.

Une troisième cause qui a vicié la base même du travail qu'on vous présente, c'est que l'on n'a pas distingué entre les diverses natures de propriétés et qu'on a appliqué aux bois et aux prés les proportions d'augmentation de revenu attribuées aux terres, ce qui amène les résultats les plus inexacts et par suite des injustices flagrantes.

Messieurs, à ne lire que l'exposé des motifs et le rapport de la section centrale, on croirait réellement que tous les moyens ont été pris par l'administration et avec le plus grand succès pour que le travail de révision qu'on nous offre soit, sinon parfait, au moins très satisfaisant.

Mais dans toutes ces belles phrases de l'exposé et du rapport, il y a trois parts à faire : 1° la part de la vérité ; 2° la part du roman ; 3° la patt des aveux. Si j'en avais le loisir et si vous n'étiez déjà quelque peu fatigués de cette discussion, je serais très disposé à faire d'abord la part de la vérité, mais j'en laisse le soin à M. le ministre des finances, car j'ai à peine le temps d'esquisser celle des erreurs et de vous faire remarquer, en passant, quelques aveux du gouvernement, aveux qui suffisent seuls pour prouver la fausseté des résultats auxquels on a cru pouvoir s'arrêter.

Je parlerai d'abord des évaluations dos propriétés bâties.

S'il fallait en croire les termes de l'exposé des motifs, ce serait avec le soin le plus consciencieux que ces évaluations auraient été faites et surtout que les agents de l'administration auraient consulté les baux à loyer.

« Pour apprécier le revenu net des propriétés bâties, y lit-on page 3, les agents du cadastre ont procédé à la ventilation des baux de maisons et d'usines revêtus de la formalité de l'enregistrement, et de tous les actes de même nature qu'ils ont pu se procurer dans chaque localité. »

Et puis il ajoute, page 4 : « Ayant de procéder à l'expertise dans un canton, l'inspecteur du cadastre accompagné des contrôleurs et des experts désignés pour opérer dans ce canton, a parcouru la commune, dans laquelle le plus grand nombre de baux admissibles ont été recueillis, à l'effet de pouvoir déterminer les types ou étalons qui devaient servir à régler l'évaluation des propriétés bâties dans la commune. »

D'après ces paroles vous allez croire, messieurs, qu'un nombre quelconque et même un nombre assez considérable de baux relatifs aux propriétés bâties ont été recueillis dans chaque commune ; car enfin, on vous dit positivement que les types ou étalons ont été déterminés dans chaque commune au moyen du plus grand nombre possible de baux admissibles qui y ont été recueillis. Eh bien, détrompez-vous, c'est là le roman, et voici l'histoire : je prends pour exemple la province de Namur. Sur plus de 70,000 maisons qui existent dans cette province 1,050 baux seulement ont été employés et se rapportent à 1,000 maisons, ainsi cela fait un bail et une fraction pour 70 maisons. J'ai demandé à M. le ministre des finances la décomposition par canton de ce chiffre de 1,050 baux et il a eu l'obligeance de me le faire donner. J'ai ce tableau sous les yeux et il en résulte que de ces 1,050 baux, il faut d'abord en attribuer 738 aux cinq cantons de la province où se trouvent les villes ou bourgs, de sorte qu'il ne reste plus que 312 baux pour toutes les communes rurales de la province, lesquelles sont au nombre de 247.

Aussi, dans certains cantons composés de quatorze ou quinze communes chacun, savez-vous combien de baux ont été recueillis pour établir les types ou étalons des maisons dans chaque commune ?

Dans le canton de Ciney, on a recueilli en tout 14 baux ; dans celui de Couvin, 14 également. Dans tout le canton de Rochefort 4 baux ; dans celui de Gedinne un seul bail, et dans celui de Beauraing 0 bail.

MfFOµ. - Est-ce qu'on ne peut pas connaître la valeur locative d'une maison même sans bail ?

M. Moncheurµ. - Oui, mais avouez alors que l’on a déterminé les types sans baux. En tout cas, je demande comment on peut venir dire que les types et étalons ont été déterminés dans chaque commune au moyen d'un nombre plus ou moins considérable de baux alors que dans certains cantons tout entiers on n'a recueilli que 14 baux, 4 baux, 1 bail ou même point de bail du tout ?

J'ai donc raison de dire que dans l'exposé des motifs il y a ce qu'on peut appeler la partie roman ou d'imagination.

En fait, messieurs, l'évaluation des propriétés bâties a eu lieu par les agents de l'administration sans qu'ils se fussent donné la peine de se mettre en rapport avec les particuliers.

Ils ont déterminé les types et les étalons en général, sans le secours de baux, puisqu'il n'en avaient souvent point ; puis ils ont inscrit chaque maison dans la classe à laquelle elle leur semblait devoir appartenir, d'après leur propre manière de voir et d'après l'apparence extérieure des maisons.

L'exposé des motifs dit que « chaque propriétaire a reçu un bulletin indiquant le classement et les évaluations de chacune de ses parcelles, et que chaque propriétaire a été mis ainsi à même de se livrer à toutes les recherches et comparaisons nécessaires pour s'assurer si leurs propriétés étaient évaluées dans une juste proportion. »

Mais tout le monde sait que, dans la pratique, ces recherches, ces comparaisons, ces contrôles, sont moralement impossibles pour la plus grande partie des contribuables, surtout pour les petits propriétaires.

Ceux-ci n'ont ni le temps ni les moyens de se livrer à de pareils contrôles. Le bulletin se perd ou il est rendu comme il a été reçu, et ceci n'indique nullement que le contribuable ait examiné, comparé et approuvé l'évaluation qui concerne sa propriété.

J'estime donc qu'il y a eu dans l'évaluation des propriétés bâties un défaut principal qui tient à ce que les agents de l'administration se sont tenus trop à l'écart des propriétaires eux-mêmes, ne leur ont pas demandé leurs baux quand il y en avait et n'ont pas puisé chez eux tous les renseignements qui aurait pu les guider. Il en est résulté que le revenu net des propriétés bâties, rurales et urbaines, mais surtout des propriétés bâties rurales, a été exagéré.

La commission provinciale et la députation permanente de la province de Namur l'ont établi et ont demandé une réduction notable sur ces évaluations ; mais on n'a pas eu égard à leur demande. Celle-ci était cependant d'autant plus fondée qu'il existait, en outre, dans notre législation préexistante, une cause grave d'inégalité au préjudice des campagnes et des petites villes ou des villes de troisième ou quatrième ordre, c'est qu'on n'y défalque du revenu des maisons pour frais d'entretien qu'un quart de ce revenu comme pour les plus grandes villes.

Mais, messieurs, c'est surtout dans l'évaluation des revenus des propriétés non bâties et principalement dans l'évaluation du revenu des bois et des prés que les résultats les plus injustes se sont produits.

Quant aux terres, plusieurs orateurs ont clairement établi, par des exemples nombreux, saisissants et frappants de vérité, combien les résultats de la révision étant constamment et partout appliqués par masses cantonales ont amené d'anomalies. Ce mode d'opérer a donné aux résultats définitifs le cachet du hasard plutôt que celui de l'observation des faits et du raisonnement.

Il est donc infiniment à regretter que l'article 3 de la loi du 10 octobre 1860 n'ait été exécuté presque nulle part.

Cet article 3 porte que les résultats de la révision seront appliqués par commune, pour celles des communes rurales où l'on pourra recueillir des actes de location en nombre suffisant pour établir le revenu moyen des propriétés foncières dans la localité. Cette disposition de l'article 3 était très importante. C'était là une garantie que la proportion de la différence du revenu net d'une commune extraordinairement avantagée par des faits nouveaux depuis l'ancien cadastre, ne serait pas appliquée à des communes restées forcément stationnaires ; eh bien, cette disposition est restée presque partout une lettre morte. Elle l'a été complètement dans la province de Namur. Il n'est pas une seule commune de cette province où cette disposition de la loi ait reçu son application.

Il en est de même dans plusieurs autres provinces.

Or je demande pourquoi cette disposition n'a pas été appliquée. A quoi bon faire une loi si on ne l'exécute pas ? Lorsque nous avions voté l'article 3, nous y avions vu une garantie qui nous a échappé dans l'exécution de la loi.

Dira-t on qu'onnu'a pas pu recueillir dans chaque commune assez de baux ou d'actes de location pour établir le revenu moyen des propriétés foncières dans la localité ? Je réponds qu'on n'a pas fait ce qu'il fallait faire (page 1004) pour recueillir ces baux. Souvent on ne les a pas même recherchés...

Et d'abord, il est une catégorie très considérable de baux à ferme qui ont été écartés arbitrairement de la ventilation ; ce sont ceux des fermes ou des exploitations qui comprenaient quelques parcelles de bois défrichés.

Ainsi un employé du cadastre se rendait-il dans une commune avec le tableau des propriétés et la liste des fermes et exploitations grandes ou petites, il s'informait sans doute d'abord des fermes qui pouvaient renfermer des parcelles de bois défrichés, car il avait ordre, si je suis bien informé de rayer toutes ces fermes du nombre de celles dont les baux pouvaient être ventilés ; si, dans une ferme de 100 hectares, par exemple, il y avait un ou deux hectares de bois défriché, cette ferme se trouvait par cela seul exclue de la ventilation.

Or, il existe partout, mais surtout dans la province de Namur, un très grand nombre d'exploitations qui renferment quelques parcelles de bois défrichés.

L'élimination en masse de ces exploitations a empêché de recueillir un nombre considérable de baux qui auraient pu servir à établir par commune la proportion de la différence du revenu net moyen depuis l'ancien cadastre.

Pour faire un travail sérieux et rationnel a cet égard, il aurait fallu examiner d'abord quelle pouvait être l'influence des défrichements sur le prix des baux, et quelle importance, par conséquent, ces défrichements pouvaient avoir eue sur le revenu. Rien n'était plus facile, et on aurait pu d'ailleurs s'adresser, a cet égard, au propriétaire lui-même ; ce qu'on n'a pas fait, du moins que je sache.

Il est donc des fermes de 150, de 180 hectares à côté desquelles on est passé sans en demander le bail, ni au fermier, ni au propriétaire et cela, on le suppose du moins, parce que dans ces 150 ou 180 hectares, il y en a peut-être 6 ou 7 qui proviennent de bois défrichés depuis 25 ans. Comme si l'influence de ces défrichements était considérable ou même appréciable, et comme si, du reste, la part de cette influence n'aurait pas pu être facilement faite par les agents de l'administration !

Qu'on ne dise donc pas qu'on n'a pas pu se procurer dans les communes rurales un nombre de baux suffisant pour appliquer par commune les résultats de la révision ; on n'a pas pris les moyens propres à en recueillir.

L'agent de l'administration se rendait-il, par exemple, chez un fermier locataire et lui demandait-il s'il voulait bien lui montrer son bail, celui-ci commençait naturellement par se défier de cette demande. Il se tenait sur la défensive ; il ne savait pas s'il convenait ou non à son propriétaire qu'il produisît le bail, et, d'ailleurs, comme il est en général chargé de payer la contribution foncière, il se croyait personnellement intéressé à ne rien montrer, tandis que son intérêt réel et celui de son maître auraient été d'exhiber l'acte de location. Il le refusait. Eh bien, croyez-vous, messieurs, que les agents du fisc prissent la peine, même pour des fermes de cent hectares ou 150 hectares, de s'adresser aux propriétaires qui, cependant, étaient domiciliés dans la même province, à deux ou trois lieues de ces fermes ? Non, ces propriétaires restaient ignorants de ce qui s'était passé, ou ne l'ont souvent appris que lorsqu'il était trop tard.

Cela explique en partie combien la superficie ventilée est peu considérable, du moins dans la province de Namur, et c'est ce que la députation permanente a parfaitement fait remarquer dans son avis du 23 mars 1866. C'est ce qui explique aussi combien les exploitations dites de grande tenue se trouvent mal représentées dans les ventilations faites au moyen de baux.

En effet, la contenance totale des propriétés non bâties ventilées est pour le royaume de 529,433 hectares, soit environ un quart de la contenance cultivée du pays, et le nombre de baux à ferme qui ont servi à cette ventilation est de 151,856 ; or, cette contenance de 529,433, nombre d'hectares ventilés, étant divisée par 151,856, nombre de baux, le quotient est égal à 3 hectares 40 arcs : c'est-à-dire qu'en moyenne chaque bail se rapporte à une contenance de 3 hect. 40 ares, c'est donc la petite contenance ou la petite tenue surtout qui a été ventilée, et elle a exercé une influence erronée, fautive et exagérée sur la grande contenance !

C'est par suite de cela qu'on arrive au chiffre évidemment exagéré de fr. 99 10 c. de revenu moyen de chaque hectare cultivé en Belgique.

J'arrive maintenant à l'évaluation des bois.

Messieurs, il résulte des recherches faites par l'administration que, depuis l'ancien cadastre, les changements survenus dans les revenus des bois n'ont aucune analogie entre eux quant aux diverses parties du pays ; ainsi d'après ces données, le revenu moyen des bois aurait augmenté de 115 p. c. dans la Flandre orientale, tandis que dans la province de Liège il n'aurait augmenté que de 43 p. c, dans le Limbourg, de 29 p. c, dans le Luxembourg, de 8 1/2 p. c. et dans la province de Namur, de 28 p. c.

Il résulte encore de ces recherches que dans la province d'Anvers et dans celle de Hainaut la proportion de l'augmentation du revenu des bois serait à peu près la même que celle du revenu des terres ; certes, je n'affirme pas que ces résultats des recherches de l'administration soient d'une parfaite exactitude ; je n'admets pas notamment le fait de l'augmentation de 28 p. c. du revenu des bois dans la province de Namur, là où le revenu moyen est au contraire, de l'aveu de tous les agents de l'administration, diminué au lieu d'être augmenté ; mais il faut reconnaître du moins que l'ensemble de ces résultats concorde bien avec l'ensemble des faits connus et évidents pour tout le monde.

Ainsi il est de notoriété publique que ce qui donnait surtout de la valeur aux bois du Condroz lors des anciennes évaluations cadastrales, c'est que toute la forgerie au bois de la province de Namur était en pleine activité, et qu'il n'existait même pour ainsi dire alors en Belgique que la seule forgerie au bois ; or, on sait qu'elle est à peu près complètement anéantie aujourd'hui ; tout le monde sait et tous les agents de l'administration du domaine et du cadastre savent parfaitement que par suite de cet anéantissement, les bois taillis, dits bois à charbon et c'est la grandissime majorité des bois de la province de Namur, ont notablement diminué de valeur au lieu d'être augmentés.

D'un autre côté, il est bien connu que les bois, et notamment les sapinières des Flandres et d'Anvers, et les beaux bois à perche du Hainaut, étant aujourd'hui mis en rapport direct et à la portée des bassins houillers par d'excellentes voies de communication, ont énormément gagné de valeur depuis quarante ans ; c'est là encore un fait avéré et patent. Eh bien, messieurs, croyez-vous que l'administration ait tenu le moindre compte de ces faits si positifs, si évidents ? Non. Elle a impitoyablement, uniformément, aveuglément appliqué partout la proportion du revenu des terres aux bois. Là où la proportion de l'augmentation des bois n'est au plus que de 28 p. c, et celle des terres de 100 et même de 120 p. c, on a appliqué 100 ou 120 p. c. d'augmentation, à ces bois, et là où l'augmentation des bois est de 113 p. c, tandis que celle des terres n'est que de 42 ou 51 p. c. seulement, on n'applique aux bois qu'une proportion de 42 ou 51 p. c, c'est-à-dire une proportion qui, dans la péréquation définitive cadastrale, opère un dégrèvement de la contribution foncière. Ainsi, pour une grande quantité de bois qui ont diminué de valeur, ou qui n'ont que faiblement augmenté, on en double, on en triple la contribution foncière, et pour beaucoup d'autres bois, qui ont plus que doublé de valeur, on diminue notablement cette même contribution foncière.

Peut-on rien faire de plus incroyablement injuste ? Est-ce là de la justice distributive ?

Et que dit le gouvernement pour justifier de pareilles dispositions ?

Après avoir avoué que les moyens qu'il avait employés d'abord pour évaluer le revenu des bois n'avaient pas donné de résultats certains, après avoir dit que la ventilation des actes de vente n'ayant porté que sur 1/30 de la contenance des bois ne pouvait être regardée comme un moyen sérieux d'évaluation, que vous dit-il (page 9 de l'exposé des motifs) :

« En présence de ces disparates, dit-il, et à défaut d'éléments d'appréciation, vous reconnaîtrez, sans doute, avec moi, messieurs, qu'on est forcé d'appliquer aux bois la même proportion qu'aux autres propriétés foncières. »

Mais, messieurs, nous ne reconnaissons pas cela du tout, car voici, en d'autres termes plus simples, le raisonnement du gouvernement : « Parce que je n'y ai vu goutte par les moyens que j'ai employés, j'ai frappé d'estoc et de taille au hasard et non seulement j'ai frappé au hasard, mais j'étais même assez bien renseigné pour être très certain que je frappais souvent là où je ne devais pas frapper et que je ne frappais pas là où j'aurais dû le faire. »

M. le ministre des finances ajoute, page 9, que l'application aux bois de la proportion trouvée pour les terres doit être adoptée avec d'autant plus de raison qu'elle est conforme aux dispositions de l'article 3 de la loi du 10 octobre 1860, article qui ne permet pas, en effet, ajoute-t-il, « de rechercher par nature de propriété la différence résultant des fluctuations de valeur que la propriété peut avoir subies pendant chacune des deux périodes. » Mais, messieurs, je n'admets nullement que la loi de 1860 ait entendu mêler ensemble les différentes natures de propriétés pour leur évaluation, car si telle avait été la portée de cette loi, celle-ci devait nécessairement être absurde dans ses effets.

(page 1005) La loi de 1860 dit même tout le contraire.

Eu effet, dans son article 2 elle ordonne, littera a, que « pour les propriétés foncières pouvant être données en location, les nouvelles évaluations soient établies et constatées par la ventilation des baux à ferme et à loyer. »

Il s'agit ici principalement des terres et des propriétés bâties.

Alors la loi statue, littera b, que « pour les autres natures de propriétés, ces évaluations, aient lieu par la ventilation des actes de vente de produits. »

Il s'agit surtout ici des bois.

Voilà donc la distinction des différentes natures de propriétés bien clairement établie par la loi de 1860.

Mais de quelle disposition de la loi le gouvernement fait-il résulter le mélange des diverses natures de propriété, quant aux évaluations de revenu, et le droit sinon le devoir pour lui d'appliquer aux bois le résultat des terres ?

Il se fonde sur le paragraphe de l'article 3 qui porte que les résultats de la révision seront appliqués par canton, en y comprenant l'ensemble des propriétés t »bâties et non bâties. » Mais n'est-il pas évident, messieurs, que ces termes mêmes prouvent que les résultats des évaluations des terres ne peuvent être appliqués aux bois, car sans cela il faudrait également les appliquer aux propriétés bâties. L'article 3 dit en effet dans la même formule : « En y comprenant l'ensemble des propriétés bâties et non bâties », elle ne dit pas : « En y comprenant l’ensemble des propriétés non bâties » ; si la loi s'était exprimée ainsi, vous auriez une apparence de prétexte, quoique la loi doive toujours être interprétée de la manière la plus raisonnable ; mais les mots « propriétés bâties » vous mettent dans l'impossibilité absolue d'argumenter de ce paragraphe de l'article 3.

Dans tous les cas, du moment que le gouvernement s'est aperçu que cette prétendue disposition de l'article 3 pouvait produire des résultats si extraordinairement injustes, il aurait dû venir demander à la législature une modification à la loi.

Le législateur n'est jamais censé avoir voulu l'injustice, et pour une loi surtout comme celle-ci, qui était d'une exécution très lente, et la preuve de cette lenteur, c'est que voilà bientôt sept ans que l'on est occupé à l'exécuter, pour une loi, dis-je, comme celle-ci, rien n'était plus facile au gouvernement que de la faire modifier.

Ne vous abritez donc pas derrière les termes de la loi pour faire accepter ces effets injustes.

El remarquez, messieurs, que M. le ministre des finances n'a applique les prétendus termes rigoureux de la loi qu'après qu'il se fût aperçu que les moyens de ventilation et autres qu'il employait pour fixer le revenu des bois étaient insuffisants et n'offraient, comme il le dit lui-même, que des disparates, ce qui prouve bien que si ces moyens l'avaient conduit à des résultats plus certains ou du moins plus satisfaisants, il se serait cru autorisé et obligé même d'appliquer à la nature spéciale de propriété qu'on appelle bois, une proportion spéciale aussi d'augmentation ou de diminution de revenu, une proportion basée sur la réalité des choses, car, à part une pensée, la seule équitable, du reste, à quoi bon M. le ministre a-t-il prescrit de longues recherches spéciales pour fixer l'évaluation des revenus des bois ? Il aurait été infiniment plus simple, de sa part, d'épargner des peines inutiles et des frais aux agents de l'administration et de décider dès l'abord qu'il fallait appliquer aux bois la proportion des terres. Cette décision n'est venue que tardivement, faute de mieux. Puisque vous avez fait tant de tentatives pour distinguer entre la nature des bois et celle des terres, quant aux évaluations du revenu, c'est que vous sentiez parfaitement que, sans cette distinction, vous arriviez tout droit à des résultats faux, injustes et qui lèsent les uns au profit des autres.

Vous dites que les termes absolus de la loi vous empêchaient de faire, dans la nouvelle péréquation cadastrale, la distinction si naturelle, si nécessaire, entre la nature des bois et celle des terres (je ne parle pas de celle des prés qui doit aussi être séparée de celle des terres). Mais la loi de 1860 disait d'une manière bien plus positive encore que la révision du revenu des propriétés bâties n'aurait lieu, par parcelle, que pour les villes et les communes formant faubourgs ; l'article 3, paragraphe 5, de la loi est formel à cet égard. Eh bien, vous êtes-vous gêné pour faire, malgré les termes très formels et très clairs de la loi, justement le contraire de ce que dit la loi ; vous êtes-vous gêné pour faire faire, à grands frais, la révision, par parcelle, des propriétés bâties dans les communes rurales aussi bien que dans les villes ? Non, et vous l'avez fait de votre chef, et vous ne vous êtes même pas donné la peine de venir demander à la législature une modification à la loi à cet égard ; et aujourd'hui pour tout motif de bill d'indemnité, vous venez tout simplement alléguer que « cela était utile », notamment pour l'assiette future et éventuelle des contributions personnelles !

Mais cette utilité, on la connaissait en 1860, et malgré cela on avait proscrit la révision des propriétés bâties par parcelle. Vous prétendez, il est vrai, que les Chambres ont ratifié cette violation manifeste de l'article 3 de la loi de 1860, par le vote des crédits nécessaires pour faire les opérations que cette loi avait proscrites ; mais il est clair qu'une simple loi de crédit ne pourrait modifier une loi spéciale que si le gouvernement avait du moins attiré l'attention de la législature sur la portée de ces crédits ; or, c'est ce que le gouvernement n'a jamais fait. Il a demandé des crédits pour continuer à exécuter la loi de 1860, mais non pour la refaire, pour la changer et la modifier profondément dans l'exécution. Je trouve donc que vous avez été excessivement loin en vous permettant de refaire la loi vous-même quant à l'évaluation des propriétés bâties, et je répète que, depuis les sept ans que la loi de 1860 existe, vous auriez bien pu trouver une heure pour demander à la législature un changement dans le sens de la distinction des diverses natures de propriétés.

Cette distinction était de la nécessité la plus absolue, à peine de ne rien faire de bon dans toutes vos opérations.

Pour pallier l'injustice de l'application aux bois de la proportion des terres, que dit-on encore ?.

On dit qu'on n'applique pas aux bois défrichés ou aux parties de bois défrichés une proportion plus forte de revenu qu'aux bois non défrichés ou non défrichables, d'où il résulte qu'il y a, dit-on, compensation.

Voilà certes une manière toute nouvelle de faire de la compensation toute au profit de l'un et au préjudice de l'autre ! Ainsi, prenons un exemple de cette compensation : Pierre et Paul possèdent chacun une propriété qui était en nature de bois en 1820. Pierre a converti son bois qui reposait sur un sol excellent à portée d'une population agglomérée en une terre qu'il loue très cher ; Paul au contraire est obligé de laisser en nature de bois sa propriété qui est isolée et indéfrichable. Pierre a quintuplé son revenu et Paul a vu diminuer le sien. Que fait le gouvernement pour légitimer et justifier la non distinction entre les natures différentes de propriétés et l'application aveugle et en masse aux bois de la proportion relative aux terres ? Il dit :

« Je compense la perte de Paul avec le gain de Pierre, il est vrai que cela est injuste à l'égard de Pierre et de Paul considérés comme individus, il est vrai que je prends dans la poche de Paul pour mettre dans celle de Pierre, mais au point de vue de la masse de la superficie jadis boisée du pays, il y a compensation et tout est pour le mieux.

Merci vraiment pour un système de soi-disant péréquation cadastrale de ce genre-là ! Celui qui est devenu plus riche, vous le dégrevez et celui qui est devenu plus pauvre, vous le surchargez, et ce résultat injuste, vous le reconnaissez ! il faut bien d'ailleurs que vous l'avouiez, car il crève les yeux par son excessive clarté, et pourtant vous en proposez la consécration légale.

Voici in terminis votre avis à cet égard, page 9 de l'exposé des motifs : « Je ne me dissimule pas qu'il existera une certaine surcharge pour quelques parcelles, mais le seul moyen de parer à cet inconvénient eût été de procéder au classement. « Pour quelques parcelles », dites-vous ! Mais ne semblerait-il pas qu'il ne s'agisse ici que de quelques hectares de bois, de quelques hectares à sacrifier en holocauste à l'uniformité des opérations cadastrales ? Mais ces soi-disant quelques parcelles surchargées, sacrifiées, ce sont plusieurs centaines de mille hectares de bois.

Ainsi dans la province de Namur seul la contenance cadastrale des bois est de 125,540. hectares, c'est-à-dire un tiers de toute la superficie de la province. Or, en supposant que 25,000 hectares de ces bois aient été défrichés, il en reste donc encore plus de 100,000 hectares. Voilà donc 100,000 hectares sur lesquels va peser la surcharge que le gouvernement avoue être le résultat de l'application aux bois de la proportion relative aux terres.

Dans le Luxembourg, il y avait 143,000 hectares de bois dont plus de 120,000 hectares restent certainement encore en bois non défrichés et la plupart non défrichables ; il est vrai que pour le Luxembourg, par une exception inexplicable, le département des finances a abaissé la proportion du revenu des terres à un taux tel, qu'étant appliqué aux bois, il opère un dégrèvement général, mais c'est là un fait qui paraît anomal.

Dans sa réponse à la section centrale (voir le rapport p. 4), M. le ministre a dit que l'augmentation d’impôt qui viendra atteindre les bois se (page 1006) réduit a une fraction minime. Mais, voyons encore quelle sera cette fraction minime, d'après les chiffres même de M. le ministre. Dans cette même réponse, il dit que l'impôt actuel varie selon les classes des bois entre 1 fr. 14 c. et 3 fr. 43 par hectare et que si les chiffres de revenus sont augmentés même de 100 p. c, il n'en résultera qu'une augmentation d'impôt de 20 centimes à 59 centimes. Eh bien, acceptez ces chiffres comme vrais et supposons une augmentation moyenne d'impôt seulement de 45 centimes par hectare ; comme il y a 100,000 hectares au moins de bois non défrichés dans la province de Namur, ces 45 centimes seuls formeront la somme principale de 45,000 francs de surcharge pour la province de Namur, ajoutez-y tous les centimes additionnels et vous arrivez au minimum à une somme de 60,000 fr. de surtaxe injuste et avouée.

Et voilà ce que M. le ministre appelle une somme minime, une légère surcharge sur quelques parcelles !

Le fait est donc que si le projet est converti en loi, vous allez, en le sachant et en le voulant, faire payer, par les habitants de la province de Namur, un impôt de 60,000 francs qu'ils ne doivent pas.

Cet état de choses ne peut être établi. Il n'y a que deux moyens de l'éviter, c'est ou la révision parcellaire ou, subsidiairement, l'application aux bois d'une proportion en rapport avec le revenu réel.

Je vous donnerai ici un exemple officiel de l'application au bois de la proportion du revenu des terres. Dans le canton de Ciney, là où il se lfit beaucoup de ventes de taillis par adjudication publique, et où par conséquent il a été facile de recueillir des actes de vente, le tableau comparatif provincial des prix de vente avec les anciennes évaluations cadastrales indique une diminution du revenu des bois de 2 1/2 p. c. Or, comme la proportion de l'augmentation du revenu des terres est de 120 p. c., on va augmenter le revenu cadastral des bois à raison de 120 p. c. tandis que dans la ventilation des actes de vente des bois dans ce canton, le revenu est diminué de 2 1/2 p. c. La contribution foncière y sera donc plus que doublée.

Quelque chose de semblable, mais dans des proportions moindres, se passera dans le canton d'Andenne, et il est avéré pourtant et reconnu par les agents de la division du domaine, que dans ce canton les évaluations cadastrales avaient été très élevées.

Elles avaient été très élevées, puisqu'elles se rapportaient presque toutes à des bois contenant une belle futaie, laquelle n'existe plus ou n'existe qu'en faible partie.

D'après toutes les considérations qui précèdent, vous comprenez, messieurs, qu'il m'est impossible de voter le projet du gouvernement, et que c'est par de puissants motifs que je réclame une expertise parcellaire.

En attendant l'exécution de cette mesure, je proposerais volontiers un moyen transactionnel qui concilierait tous les intérêts, ce serait de dégrever les Flandres du chiffre de l'impôt foncier qui ressort du tableau annexe II à l'exposé des motifs du projet de loi et de faire la péréquation de cette partie de l'impôt sur les autres provinces d'après le revenu cadastral actuel, c'est-à-dire sans rien changer aux bases qui existent pour la répartition.

Je ne vois rien de plus simple et de plus juste que cela ; au moins nous ne remplacerions pas les inégalités dont on se plaint par d'autres, dont on ne se plaindrait pas moins, même dans les Flandres.

Le chiffre de l'impôt dont les Flandres seraient dégrevées serait réparti sur le reste du pays, en attendant la révision parcellaire générale. Le travail déjà fait, quant à l'expertise parcellaire des propriétés bâties, viendrait, avec les modifications jugées nécessaires, s'enchâsser dans le travail général.

A part le dégrèvement des Flandres, but principal de cette loi, et la répartition de la somme dont elles seraient déchargées sur les autres provinces, nous resterions dans le statu quo jusqu'à ce que la révision par parcelle soit accomplie. Et il est évident que vous ne pouvez échapper à cette opération.

C'est à tort, d'ailleurs, qu'on se fait un monstre du temps et des frais qu'exigerait la fixation du revenu cadastral par parcelle.

S'il s'agissait de refaire l'arpentage des parcelles et d'opérer tout un nouveau classement, je concevrais qu'on reculât devant une pareille besogne ; mais quand il ne s'agit que de l'évaluation du revenu seul, il n'y a pas de quoi s'en effrayer si fort, et elle ne coûterait ni tant de temps ni tant d'argent qu'on se le figure.

MfFOµ. - Quatre à cinq ans et 4 millions.

M. Wasseigeµ. - Il ne faudrait pas deux ans et pas deux millions.

MfFOµ. - J'aime bien cela.

M. Wasseigeµ. - Je l'aime bien aussi.

M. Moncheurµ. - Eh bien, supposons même qu'il faille 4 millions, vous serez fatalement amenés à faire cette dépense, parce qu'il est impossible qu'après les transformations qui ont eu lieu dans le pays vous ne rétablissiez pas la justice dans la base de l'impôt et le pays n'acceptera jamais comme définitifs les résultats de la loi qu'on nous propose.

Ainsi, messieurs, je conclus au rejet du projet de loi, et à l'expertise parcellaire des propriétés non bâties dans le plus bref délai possible ; et je voudrais, en attendant, que les deux Flandres fussent dégrevées de la somme qui est indiquée au tableau littera II, cette somme étant répartie entre toutes les autres parties du pays d'après les bases actuelles.

M. T'Serstevensµ. - L'honorable M. Moncheur vient de répondre avec trop de clarté et de talent au discours de l'honorable rapporteur de la section centrale pour que je puisse supposer qu'il soit nécessaire de présenter de nouvelles objections. Ceux d'entre nous qui avaient leur opinion formée avant d'entendre l'honorable M. de Vrière doivent l'avoir conservée. Je me bornerai donc à m'adresser aux membres de cette Chambre, qui sont les partisans les plus chaleureux du projet de péréquation cadastrale tel qu'il nous est présenté. Je veux leur donner des preuves matérielles qu'ils pourront saisir des deux mains et voir de leurs propres yeux.

L'honorable M. Wasseige et l'honorable M. Moncheur nous ont dit que la propriété boisée en Belgique avait diminué de valeur. Ils se sont appuyés sur ce fait que nos forges au bois sont aujourd'hui éteintes ; par suite ils ont établi que les bois taillis et menus bois ont baissé de valeur.

L'honorable. M. de Vrière a dit la même chose en ce qui concerne les Flandres. Il a dit que jadis les bois taillis y avaient une grande valeur, qu'ils n'ont pu conserver parce que les charbons ne pouvaient y être expédiés.

Sur ce point ils sont donc parfaitement d'accord.

L'honorable M. de Vrière a dit encore que les bois de charpente, les bois de charronnage, les gros bois ont considérablement augmenté de valeur, que le stère, le mètre cube a triplé, quadruplé même de valeur. Personne ne le nie, mais c'est justement de là que provient l'appauvrissement de notre richesse forestière. Nous avons tous traversé nos régions forestières ; tous nous avons remarqué qu'il n'existe plus que ça et là quelques bouquets de bois futaie et que généralement nos forêts ne possèdent plus, comme richesse de superficie, que des taillis et baliveaux.

Comment ce fait s'cst-il produit ? C'est que le gros bois ayant promptement augmenté de valeur, ayant triplé, quadruplé même, les propriétaires se sont hâtés de réaliser ces valeurs ; et la richesse forestière du pays en a été naturellement réduite ; comment pourrait-il se faire que le capital étant moindre le revenu en soit fortement majoré ?

Lorsque le gouvernement a ventilé les actes de vente, il a ventilé parfois les actes de vente des bois régulièrement aménagés et donnant par conséquent des revenus annuels majorés ou au moins en rapport avec le revenu cadastral ancien ; plus souvent il a ventilé les actes de vente des bois dont le capital forestier avait été réalisé ; le revenu en a été nécessairement réduit.

Du reste, s'il en est parmi nous qui n'ont pas eu l'occasion de visiter nos forêts, je leur donnerai un conseil, c'est de se rendre dans les bureaux de la Société générale à Bruxelles, et là on leur dira les milliers d'hectares qui ont été ravagés par des coupes forcées, là on leur dira que le revenu annuel de ces propriétés n'en a certainement pas été augmenté.

Parmi les partisans mêmes du projet de loi, il en est qui possèdent des forêts et qui, j'en ai la presque certitude, ne se sont pas toujours donné le luxe de respecter ces belles futaies ; ils devront vous dire aussi que le revenu de leur propriété foncière, déduction faite du capital réalisé, n'en a pas été majoré.

Passant à la critique qui a été faite de l'estimation des bâtiments ruraux, l'honorable M. de Vrière nous a dit qu'on s'était appuyé sur les exceptions pour en déduire que le travail avait été mal fait. Je dois rappeler que dans une séance précédente M. Bricoult témoignant le peu de confiance que lui inspire l'expertise parcellaire, a signalé une erreur qu'il considère comme capitale et qui consiste en ceci : il nous a dit : Les bâtiments, les fermes isolées ont été considérés comme ayant une valeur locative, tandis que ces bâtiments ne sont qu'une charge pour le propriétaire. Cette opinion n'est pas l'opinion particulière de M. Bricoult, mais c'est celle des propriétaires dont le gouvernement lui-même contrôle les (page 1007) actes de gestion. Demandez aux administrateurs de nos hospices les plus riches, demandez-leur ce qu'ils font lorsqu'ils peuvent louer en détail les terres dépendantes d'un bâtiment de ferme ? Ils démolissent ces bâtiments et ils vendent les matériaux. Véritablement si c'était diminuer la valeur de la propriété foncière de nos hospices, le gouvernement, gardien de la fortune du pauvre, ne donnerait pas pleine et entière approbation à de tels actes de gestion.

La nouvelle péréquation cadastrale a été l'objet de nombreuses critiques, parce qu'elle maintient le classement ancien des propriétés rurales non bâties. On nous a entretenus de la prairie qui n'a pas conservé la valeur proportionnelle qu'elle avait jadis. Les prairies de même classe et de même qualité que les terres adjacentes, sont cotées à un revenu supérieur à celui attribué à ces terres ; eh bien, messieurs, tous ceux d'entre nous qui sont arrivés de la province aujourd'hui ont vu de leurs yeux combien cette observation est juste ; ils ont dû remarquer que peu à peu la charrue entame toutes les prairies que l'on peut assainir par des fossés ou des rigoles, toutes les prairies qui ne sont pas fréquemment inondées, et certainement, le paysan connaît trop bien ses intérêts pour anéantir, détruire à coups de bêche et à coups de charrue ses prés, si ces prés avaient conservé leur ancienne valeur relative.

L'objection principale qui a été présentée par tous les orateurs, pas un seul excepté, qui ont pris la parole, c'es' celle-ci : la ventilation des baux des propriétés rurales non bâties a donné les résultats les plus variés, de commune à commune, soit limitrophes, soit à un même canton, comment cela peut-il être le résultat de la loi de 1860 ?

M. de Vrière nous répond : Le gouvernement a obtenu par les baux la valeur locative du quart du territoire belge, et cela doit vous suffire pour démontrer que la valeur établie par la péréquation nouvelle est bien près de la vérité ; de plus la moyenne cantonale atténue considérablement le résultat de la ventilation par commune. Mais, messieurs, on a maintenu dans la ventilation tous les baux consentis envers des ouvriers, des artisans et des industriels ; cette catégorie de locataires peut donner des loyers exceptionnels que ne peut jamais vous offrir l'homme qui doit vivre exclusivement du produit de sa terre, c'est-à-dire le cultivateur ordinaire, le fermier.

C'est là par conséquent une valeur exceptionnelle qui ne dépend ni de la nature ni de la qualité des propriétés. Cette valeur dépend de l'industrie de vos locataires, de plus ou moins de prospérité de cette industrie. Par conséquent, messieurs, l'industrie que vous ne pouvez considérer comme stable, comme fixe, ne peut former un des éléments d'une juste péréquation cadastrale, d'un impôt fixe et permanent ; car certainement vous ne viendrez pas prétendre que là où elle existe aujourd'hui elle existera encore demain, que là où elle est prospère aujourd'hui elle le sera encore demain.

Du moment que vous avez écarté de la ventilation des baux consentis en faveur de l'industrie, vous arriverez à des chiffres différant peu de commune à commune, à des moyennes qui s'établiront pour ainsi dire naturellement ; vous obtiendrez une valeur vraie et juste de la propriété rurale en Belgique.

Maintenant, vous, messieurs, qui êtes les partisans du projet de loi, vous savez que par cette loi une valeur industrielle a été attribuée à la propriété foncière. Vous savez aussi que la propriété foncière est frappée d'un impôt facile à percevoir en temps de crise comme en temps de prospérité.

Mais, si vous allez lui attribuer une valeur industrielle, c'est-à-dire une valeur qui, dans un moment de crise, peut-être anéantie, vous avez basé l'impôt sur un revenu qui n'existera pas à certains moments et alors vous vous exposez à faire gémir certaines populations, en frappant un impôt sur un revenu anéanti ; elles seront donc impuissantes à le payer.

- Des voix. - A demain !

M. Van Hoordeµ. - Messieurs, comme l'heure est avancée, je me bornerai à répondre à ce que trois honorables collègues ont dit du nouveau contingent de la province de Luxembourg. C'était d'ailleurs mon but principal quand je me suis fait inscrire. L'un d'eux m'y a convié, et leurs assertions sont tellement erronées, qu'il m'est impossible de les laisser passer sans réfutation.

J'ai été vraiment stupéfait en entendant ces honorables membres affirmer que ce nouveau contingent est trop peu élevé, alors que les plaintes en sens contraire, plaintes unanimes, ont été reconnues fondées, après un examen impartial et attentif, par la commission, qui était mieux à même que personne d'en apprécier la valeur.

Le Luxembourg se plaint de n'être pas dégrevé dans une proportion suffisante, la commission provinciale propose des réductions considérables, qui vont jusqu'à 25 p. c. et non seulement presque toutes ses réclamations ont été repoussées, mais on est venu ici renchérir sur les refus que lui a opposés le gouvernement. On est venu soutenir que le Luxembourg a été placé dans une position privilégiée, comme toujours, a-t-on ajouté, par ironie peut-être. Il y aurait beaucoup à dire sur ce dernier point. Représentant de l'arrondissement le moins bien partagé de la province, j'aurais le droit, moi surtout, je serais excusable tout au moins, de mettre en regard de cette allégation le tableau des déceptions éprouvées ; mais j'ai déjà différentes fois présenté à la Chambre ce triste tableau, notamment et tout au long et basé, sur des chiffres, lors de la discussion de l'emploi de l'emprunt de 1863. Ce n'est pas le moment de le recommencer et je veux me borner à relever la contradiction et le calcul inexact au moyen desquels l'honorable M. Wasseige et les honorables MM. Ansiau et Moncheur ont donné au Luxembourg une si large part de leurs critiques.

Si un Luxembourgeois, a dit le premier, avait été chargé seul des opérations cadastrales, il n'aurait pu mieux faire ! Pourquoi ? Parce que la proportion appliquée est de 60 p. c. Or, quelques instants avant, le même honorable membre disait : Les bois ont perdu de leur valeur dans les provinces de Namur et de Luxembourg depuis que la forgerie au bois n'existe plus, et par une foule d'autres causes. Pour le Luxembourg, où les bois couvrent plus du tiers de la contenance totale, la ventilation produit la proportion de 8 1/2 p. c. seulement, et voyez l'énormité, c'est la proportion de 60 p. c. qui leur est appliquée !

En l'entendant parler ainsi, je croyais qu'il prenait en mains la défense de la province de Luxembourg et j'allais le remercier, quand subitement, il arrive à une conclusion diamétralement opposée et déclare qu'à son avis la province de Luxembourg est excessivement favorisée. Etrange faveur que celle de voir, pour un tiers au moins, la proportion de 8 1/2 p. c. changée en 60 p. c.

A coup sûr, il doit être évident pour tout le monde, qu'en ce qui concerne ce premier tiers, il y a, non pas avantage, mais préjudice sérieux dans le résultat des nouvelles évaluations.

Voyons ce qu'on y trouve pour les deux autres tiers.

Il y a d'abord 40,000 hectares d’herbages, à propos desquels le gouvernement n'a pu réunir que des renseignements trop incomplets et trop insignifiants pour les consigner dans son exposé des motifs. Puis 40,000 hectares environ de bruyères. Restent 218,721 hectares de terres cultivées. Sur cette immense étendue, la contenance ventilée ne comprend que 16,763 hectares, ou la vingt-sixième partie à peu près de la contenance totale de la province. Il paraît que cette ventilation donne une proportion d'augmentation de 85 p. c. Les honorables MM. Ansiau et Moncheur s'en emparent et veulent qu'elle soit une règle fixe. S'ils connaissaient mieux la province dont ils ont parlé, ils n'auraient pas émis cette prétention. Ils sauraient que les divers arrondissements qu'elle comprend présentent de grandes différences, que les arrondissements d'Arlon et de Virton sont de beaucoup supérieurs, au point de vue de la valeur des terres, à l'arrondissement de Bastogne, par exemple, pour ne parler que de celui qui m'a honoré de ses suffrages ; que par là même qu'il s'agit de baux, il s'agit principalement dans la ventilation qui a été faite, des bonnes parties de la province, car dans les parties médiocres ou mauvaises, on ne trouve que peu ou point de locataires. C'est ainsi, parce que ces dernières sont en majorité, que s'explique le nombre restreint de locations comparé au nombre des exploitations dirigées par leurs propriétaires eux-mêmes.

Dans le remarquable discours par lequel M. le gouverneur de la province de Luxembourg a ouvert la session de 1866 du conseil provincial, il donne ces chiffres exactement. L'étendue cultivée du sol luxembourgeois se partage, dit-il, en 36,200 exploitations, parmi lesquelles 23,800 sont cultivées par les propriétaires eux-mêmes et 10,100 par des locataires.

Il y a, dans ce discours, un grand nombre de données officielles sur lesquelles je pourrais insister. J'indique, à la hâte, celle qui est relative à la somme moyenne dont dispose par hectare le cultivateur luxembourgeois. C'est la somme minime de cent francs. Certes, ce n'est pas dans un pays où la population est peu dense et où le capital fait à ce point défaut que l'on a pu arriver à une augmentation uniforme de 85 p. c. Celle de 60 p. c. est déjà beaucoup trop forte, et c'est le document dont il s'agit qui va le prouver irréfutablement. Il n'a pas été fait pour les besoins de la cause, et, loin de là, si un reproche peut lui être adressé, c'est d'être un peu optimiste, comme tous les documents de ce genre.

On cède si facilement à la tendance, il est si utile pour entretenir le courage de se féliciter hautement des résultats obtenus, qu'une certaine (page 1008) exagération en bien n'est pas à blâmer, quand, dans les circonstances solennelles, on jette un regard sur le chemin parcouru.

Je lis, à la page 12 : « le prix vénal des terres dans la province qui, en 1830, était, en moyenne, de 650 francs l'hectare, s'est-élevé, en 1865, à 925 francs. »

De 1826, époque de la confection du cadastre, à 1830, point de départ de la progression choisie par le gouverneur, la valeur de la propriété immobilière ne s'est pas modifiée sensiblement. Par contre, c'est après 1858, dernière année de la période décennale sur laquelle les calculs de la loi ont été faits, que le chemin de fer a apporté quelque bien-être à la province de Luxembourg.

En admettant que la moyenne de 1863 serve à contrôler la base de la loi, je fais donc une concession importante.

Eh bien, j'arrive encore à ce résultat, que la proportion d'augmentation est, non pas de 85 p. c, non pas de 60 p. c., mais au maximum de 42 p. c.

Voilà comment le chef de la province a réfuté anticipativement cette phrase de l'exposé des motifs qui sert de réponse à l'une des réclamations de la commission et que MM. Wasseige, Ansiau et Moncheur ont pris plaisir à citer et à répéter : « S'il est une province qui a été transformée, depuis 10 ans, c'est bien le Luxembourg, etc. » Sans doute il y a transformation, il y a augmentation de valeur dans le Luxembourg. Mais la transformation et l'augmentation de valeur sont plus grandes dans la plupart des autres provinces. En effet, si d'une part là comme ailleurs la diminution de la valeur de l'argent, l'accroissement relatif de la population, et quelques belles routes ont porté plus haut le prix du sol, d'autre part, ce n'est pas là qu'on est venu établir ces magnifiques usines, ces fabriques de sucre et tant d'autres qui, partout où elles existent, ont doublé le revenu des terres dans un rayon très étendu ; ce n'est pas là que l'on possède des chemins de fer depuis longtemps. Sur le papier, oui, mais en réalité, ce n'est que tout à la fin de la dernière année de la période décennale qui a servi de base à la nouvelle répartition, à la fin de 1858 que la première ligne de chemin de fer a été mise en exploitation jusqu'à Arlon. Et nulle part enfin, on ne s'est ressenti aussi profondément des conséquences d'un traité dont on a beaucoup parlé depuis quelque temps, le traité de 1839. Dans plusieurs parties du Luxembourg, je puis dire dans tout l'arrondissement que je représente et principalement dans son chef-lieu, ces conséquences ont été désastreuses.

En terminant, et pour abréger, je me permettrai, dans un tout autre ordre d'idées, de demander un renseignement à M. le ministre des finances. Il a certifié, publiquement, et à diverses reprises que la nouvelle répartition n'entraînera aucune aggravation d'impôts, ni directe, ni indirecte. Des doutes et des craintes s'étaient produits, spécialement en ce qui concerne la contribution personnelle et l'impôt sur les successions en ligne directe. Il règne encore à cet égard certaine incertitude. Je prie l'honorable ministre de la faire cesser en répondant aux deux questions que voici :

1° Faudra-t-il toujours demander l'expertise du mobilier pour éviter de payer davantage si la loi est adoptée ?

2° Quand le multiplicateur du cadastre sera-t-il diminué de manière à mettre son produit en rapport avec la valeur vénale des propriétés frappées du droit de succession ?

Si j'obtiens une réponse satisfaisante sur ces deux points, je voterai la loi, non que j'en sois un partisan fort enthousiaste, mais parce qu'à mes yeux elle réalise un progrès sur la législation actuelle. Je la voterai non comme un bien, mais comme un mieux.

- La séance est levée à 5 heures.