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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 22 mai 1867

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboomµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1045) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heurts et un quart.

M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction du procès-verbal est approuvée.

M. de Moorµ présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur Cambier demande qu'il soit accordé une récompense aux hommes courageux qui spontanément se sont dévoués pour donner leurs soins aux cholériques et qui ont procédé à l'ensevelissement et à l'enlèvement des cadavres. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Jean Wiergbilski dit Futz-Cellier, sergent au 11ème régiment de ligne, né à Rybno (Pologne), demande la naturalisation. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« La dame Estorez prie la Chambre de donner suite à sa demande tendante à obtenir un congé pour son deuxième fils Jules Joly, soldat au régiment d'élite. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Pluquet, ancien garde-barrière au chemin de fer de l'Etat demande une augmentation de pension. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Peer demande la construction d'une route de Peer à Genck. »

- Même renvoi.

« Le sieur Derkx demande que toute personne diplômée ou non, remplissant les fonctions d'instituteur communal, obtienne un congé la portant comme détachée du contrôle de l'armée. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Couture-Saint-Germain prie la Chambre d'autoriser la concession des chemins de fer de Bruxelles à Marbais et à Corbeek-Dyle. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur des pétitions relatives au même objet.


« Le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté le projet de loi qui ouvre au département des travaux publics des crédits supplémentaires s'élevant à 1,727,278 fr. 27 c. »

- Pris pour information.


« Le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande en obtention de la naturalisation ordinaire adressée à là législature par le sieur Wukly, Nicolas. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Des habitants de Boisschot demandent l'établissement d'un bureau de poste dans cette commune. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« M. Brassine, ingénieur, fait hommage à la Chambre de 25 exemplaires d'une brochure relative à l'intervention de l'Etat dans l'exécution du complément du réseau belge des chemins de fer. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« MM. Dolez et Schollaert, atteints d'indisposition, demandent un congé de quelques jours. »

« MM. Thibaut et de Liedekerke, obligés de s'absenter, demandent un congé. »

- Ces congés sont accordés.

Démission d’un membre de la chambre

MpVµ. - Messieurs, je viens de recevoir la lettre suivante :

« M. le président,

« L'honorable sénateur qui, pendant près de ans, a été revêtu de la confiance dès électeurs de l'arrondissement de Turnhout, ayant' pris la résolution de se retirer de la vie publique, je pose ma candidature au siège qu'il laisse vacant, et, pour éviter aux électeurs un double déplacement à court intervalle, je déposé aujourd'hui mon mandat de représentant sur le bureau de la Chambre.

« (Signé) : Comte de Mérode de Westerloo. »

- Avis de cette démission en sera donné à M. le ministre de l'intérieur.

Projet de loi érigeant une nouvelle commune

Dépôt

MiVDPBµ. - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur bureau de la Chambre le projet de loi ayant pour objet de séparer de la commune de Momignies(Hainaut), les hameaux de Macquenoise, de Formatot et de La Masure.

M. Hagemansµ. - Je demande que ce projet de loi soit examiné le plus tôt possible en sections pour qu'on puisse le voter dans le cours de cette session.

MpVµ. - Il sera comme d'habitude pour les projets de ce genre renvoyé à une commission spéciale.

Projet de loi allouant des crédits au budget du ministère des travaux publics

Rapport de la section centrale

M. Hagemansµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale chargée d'examiner le projet de loi allouant un crédit extraordinaire de 75,000 francs au département des travaux publics.

Projet de loi exonérant la société des chemins de fer de l’Ouest de construire la section de Grammont à Audenarde

Rapport de la section centrale

M. Descampsµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi portant autorisation pour le gouvernement d'exonérer la société des chemins de fer de l'ouest de la Belgique, de la construction de la section de Grammont à Audenarde.

Projet de loi attribuant aux cours et tribunaux l’appréciation des circonstances atténuantes

Rapport de la section centrale

M. Carlierµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi portant attribution aux cours et tribunaux de l'appréciation des circonstances atténuantes.

Messieurs, je me permets de vous faire remarquer que cette loi est destinée à fonctionner conjointement avec le nouveau code pénal et qu'il est tout à fait impossible que le nouveau code pénal fonctionne sans elle.

Je crois qu'il est dans les intentions de M. le ministre de la justice, qui est en ce moment retenu au Sénat, de demander que ce projet de loi soit mis à l'ordre du jour d'une prochaine séance. Je présente cette demande en son nom et je prie la Chambre de l'admettre.

- La proposition de M. Carlier est adoptée.

Projet de loi relatif aux sociétés anonymes en matière d’habitations ouvrières

Rapport de la section centrale

M. Carlierµ. - Je dépose aussi sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi accordant au gouvernement l'autorisation de donner l'anonymat aux sociétés qui ont pour objet l'achat, la vente, la construction ou la location d'habitations destinées aux ouvriers.

- Ces rapports seront imprimés et distribués.

Projet de loi ouvrant un crédit au budget du ministère des travaux publics

Discussion des articles

Articles 1 à 3

Personne ne demandant la parole, la discussion générale est close et l'assemblée passe aux articles.

« Art. 1er. Il est accordé au ministère des travaux publics un crédit de trois cent dix mille francs (310,000 francs), pour l'exécution de la transaction conclue, le 7 août 1866, avec les ayants droit du sieur G. Rou-erez, et qui met fin aux deux procès intentés par eux à l'Etat, à l'occasion de l'entreprise ayant eu pour objet le déplacement de la partie de la digue capitale du polder de Ruypenbroeck, comprise entre l'écluse d'évacuation de ce polder et l'épi n°6 construit le long du Rupel, en aval du hameau de Wintham. »

- Adopté.

« Art. 2. Le crédit affecté aux dépenses mentionnées à l'article premier sera couvert au moyen de bons du trésor. »

- Adopté.


« Art. 3. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble.

83 membres y prennent part.

Tous répondent oui.

En conséquence la Chambre adopte.

Le projet de loi sera transmis au Sénat.

Ont répondu à l'appel nominal :

MM. de Maere, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, Descamps, de Terbecq, Dethuin, Dewandre, d'Ursel, Elias, Funck, Gerrits, Hagemans, Hayez, Hymans, Jacobs, Janssens, Jamar, Jonet, Jouret, Julliot, Lambert, Landeloos, Lange, Lebeau, Liénart, Lippens, Mascart, Moncheur, Moreau, Muller, Nélis, Notelteirs, Orban, Preud'homme, Reynaert, Royer de Behr, Sabatier, Snoy, Tack, Thienpont, T'Serstevens, Valckenaere, Van Cromphaut, Alphonse Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Renynghe, Van Wambeke, Vilain XIIII, Vleminckx, Warocqué, Wasseige, Watteeu, Wouters, Allard, Ansiau, Anspach, Beeckman, Braconier, Bricoult, Broustin, Bruneau, Carlier, Couvreur, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Brouckere, de Coninck, de Florisone, De Fré, de Haerne, de Kerchove de Denterghem, Eugène de Kerckhove, Delaet, Delcour, d'Elhoungne et Ernest Vandenpeereboom.

Projet de loi ouvrant un crédit au budget du ministère de l’intérieur

Discussion des articles

Articles 1 et 2

Personne ne demandant la parole, la discussion générale est close et l'assemblée passe à celle des articles.

« Art.1er. Il est ouvert au département de l'intérieur un crédit spécial de cent mille francs (100,000 francs) destiné au payement :

« 1° Des frais relatifs à l'enquête hygiénique instituée dans le royaume à l'occasion de l'épidémie de choléra de 1866 ;

« 2° Des récompenses à décerner pour services rendus pendant ladite épidémie. »

- Adopté.


« Art. 2. Ce crédit sera couvert au moyen de bons du trésor. »

-Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vole par appel nominal sur l'ensemble.

85 membres y prennent part.

Tous répondent oui.

En conséquence la Chambre adopte.

Le projet de loi sera transmis au Sénat.

Ont pris part au vote :

MM. de Maere, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, Descamps, de Terbecq, de Theux, Dethuin, Dewandre, d'Ursel, Elias, Frère-Orban, Gerrits, Hagemans, Hayez, Hymans, Jacobs, Janssens, Jamar, Jonet, Jouret, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Lambert, Landeloos, Lange, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Liénart, Lippens, Mascart, Moncheur, Moreau, Muller, Nélis, Notelteirs, Orban, Orts, Preud'homme, Reynaert, Royer de Behr, Sabatier, Snoy, Tack, Thienpont, T'Serstevens, Valckenaere, Van Cromphaut, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vander Maesen, Van Hoorde, Van Iseghem, Van Renynghe, Van Wambeke, Vilain XIIII, Vleminckx, Warocqué, Wasseige, Watteeu, Wouters, Allard, Ansiau, Anspach, Beeckman, Braconier, Bricoult, Broustin, Bruneau, Carlier, Couvreur, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Brouckere, de Coninck, de Florisone, De Fré, de Haerne, de Kerchove de Denterghem, Eug. de Kerckhove, Delaet, Delcour, d'Elhoungne et Ernest Vandenpeereboom.

Projet de loi ouvrant des crédits au budget du ministère de l’intérieur

Discussion des articles

Articles 1 à 3

Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, la Chambre passe à la délibération sur les articles.

« Art. 1er. Le budget du ministère de l'intérieur pour l'exercice 1866, fixé par la loi du 14 février 1866, Moniteur n°46, est augmenté de la somme de cinquante-neuf mille neuf cent quarante et un francs quatre vingt-quinze centimes (59,941 fr. 95 c.), pour payer les dépenses suivantes :

« 1° Milice. Mille soixante-sept francs vingt centimes, pour payer des dépenses restant dues pour frais de milice : fr. 1,067 20

« Cette somme doit être ajoutée à l'article 45 du budget de 1866.

« 2° Fêtes nationales. Onze mille francs pour compléter la part d'intervention du gouvernement dans les dépenses que la ville de Bruxelles a faites à l'occasion de la (page 1047) réception des corps anglais, français et hollandais qui sont venus prendre part au tir international du mois d'octobre 1866 : fr. 11,000.

« Cette somme devra être ajoutée à l'article 48 du budget de 1866.

« 3° Tir national. Quinze cents francs pour payer des sommes restant ducs par suite du surcroît des dépenses occasionnées par le tir international de 1866 : fr. 1,500.

« Cette somme doit être ajoutée à l'article 49, littera C, du budget de 1866.

« 4° Enseignement primaire. Neuf cent cinquante-cinq francs quatre-vingt-quinze centimes, pour payer des dépenses restant dues relatives au service de l'enseignement primaire : fr. 955 95 c.

« Cette somme doit être ajoutée à l'article 98, littera A, du budget de 1866.

« 5° Commission royale des monuments. Trois mille francs pour payer des frais de route et de séjour des membres correspondants de la commission royale des monuments : fr. 3,000. »

« Cette somme doit cire ajoutée à l'article 121, littera C, du budget de 1866.

« 6° Inspection des établissements dangereux, insalubres ou incommodes. Quatre cent dix-huit francs quatre-vingts centimes, pour payer des frais de route et des honoraires restant dus à des chimistes délégués pour visiter une fabrique de produits chimiques : fr. 418 80 c.

« Cette somme doit être ajoutée à l'article 128 du budget de 1866.

« 7° Commissions médicales provinciales. Vingt-sept mille cinq cents francs, pour payer des dépenses restant dues pour les frais des commissions médicales provinciales : fr. 27,500. »

« Cette somme doit être ajoutée à l'article 129 du budget de 1866.

« 8° Académie royale de médecine. Quatorze mille cinq cents francs, pour payer des dépenses dues : fr. 14,500.

« Cette somme doit être ajoutée à l'article 130 du budget de 1866.

« Total : fr. 61,009 15 c. »

- Adopté.


« Art. 2. Le budget du ministère de l'intérieur pour l'exercice 1867, fixé par la loi du 27 décembre 1866, Moniteur du 28 décembre 1866, n°362, est augmenté de la somme de trois cent dix-huit mille cinq cent trente-deux francs (318,532 francs), qui se subdivise comme il suit :

« 1° Enseignement primaire. Trois cent mille cinq cent trente-deux francs, pour le service annuel ordinaire des écoles primaires communales et adoptées ; subsides aux communes : fr. 300,532.

« Cette somme doit être ajoutée à l'article 101, littera P, du budget de 1867.

« 2° Caisse des veuves et orphelins des professeurs de l’enseignement supérieur. Dix-huit mille francs, pour rembourser à la caisse des veuves et orphelins des professeurs de l'enseignement supérieur les parts de pensions payées à la décharge de l'Etat pour l'année 1867 : fr. 18,000.

« Cette somme formera l'article 140 du budget de 1867.

« Total : fr. 318,532 »

- Adopté.


« Art. 3. Les crédits ci-dessus mentionnés seront couverts au moyen des ressources ordinaires. «

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.

Le projet de loi est adopté à l'unanimité des 78 membres présents.

Il sera transmis au Sénat.

Ont répondu à l'appel nominal :

MM. de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, Descamps, de Terbecq, de Theux, Dethuin, Dewandre, Elias, Gerrits, Hagemans, Hayez, Hymans, Jacobs, Janssens, Jonet, Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Liénart, Lippens, Mascart, Moncheur, Moreau, Muller, Nélis, Notelteirs, Orban, Orts, Preud'homme, Reynaert, Sabatier, Snoy, Tack, Thienpont T'Serstevens, Valckenaere, Van Cromphaut, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vander Maesen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Renynghe, Van Wambeke, Vilain XIIII, Vleminckx, Warocqué, Wasseige, Watteeu, Wouters, Allard, Ansiau, Anspach, Beeckman, Braconier, Bricoult, Bruneau, Cartier, Couvreur, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Brouckere, de Coninck, de Florisone, De- Fré, de Haerne, de Kerchove de Denterghem, Eug. de Kerckhove, Delaet, Delcour, d'Elhoungne et Ernest Vandenpeereboom.

Projet de loi autorisant l’échange d’un terrain avec la ville de Tournai

Discussion des articles

Articles 1 et 2

Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, on passe aux articles.

« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé :

« 1° A céder à la ville de Tournai, par voie d'échange, les biens indiqués ci-après :

« A. La partie de la plaine Saint-Martin située à gauche de la route rectifiée de Douai (5 h. 60 a. 43 c.)

« B. Trois parcelles, à droite de cette route, détachées de ladite plaine pour cause de rectification et d'alignement (70 a 50 c.)

« C. Le champ d'exercice de la porte de Sept-Fontaines. (11 h. 55 a. 63 c.)

« Total : 11 h. 55 a. 56 c.

« 2" A accepter en échange 5 hectares 50 ares de terre à acquérir et à fournir par ladite ville, pour être réunis à la plaine Saint-Martin, de manière à lui donner une forme régulière et une superficie de 20 hectares. »

- Adopté.


« Art. 2. Cette autorisation est accordée sous les réserves et conditions suivantes :

« 1° Le plan terrier des terrains à acquérir et à fournir par la ville de Tournai, et à ses frais, en échange des terrains cédés par l'Etat, sera revêtu de l'approbation du ministre de la guerre ;

« 2° Cette ville fera exécuter à ses frais et d'après les plans cotés, approuvés par le ministre de la guerre :

« A. Tous les travaux de nivellement et d'assèchement de la plaine de Saint-Marlin agrandie, qui seront reconnus nécessaires, afin qu'elle puisse servir en tout temps et en toute saison à l'usage de champ de manœuvre pour la garnison ;

« B. Une plantation d'arbres de haute futaie sur le pourtour de cette plaine ;

« C. Le bornage légal de ladite plaine, au moyen de bornes de pierre de taille du modèle prescrit pour le bornage du domaine de la guerre ;

« 3° Elle ne pourra entrer en jouissance des biens cédés par l'Etat avant que le nouveau champ de manœuvre ait été mis à la libre disposition de l'autorité militaire ;

« 4° Enfin, le nouveau champ de manœuvre, tel qu'il sera agrandi et établi, sera et restera la pleine et entière propriété de l'Etat, et il fera partie du domaine militaire national. Il servira à l'usage militaire et il ne pourra être employé, même momentanément, à une autre destination, sans l'autorisation préalable du ministre de la guerre. »

-Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi, qui est adopté à l'unanimité des 82 membres présents.

Ce sont :

MM. de Maere, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, Descamps, de Terbecq, de Theux, Dethuin, Dewandre, Elias, Gerrits, Guillery, Hagemans, Hayez, Hymans, Jacobs, Janssens, Jonet, Jouret, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Lange, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lienart, Lippens, Mascart, Moncheur, Moreau, Muller, Nélis, Notelteirs, Orban, Orts, Preud'homme, Reynaert, Sabatier, Snoy, Tack, Thienpont, T'Serstevens, Valckenaere, Van Cromphaut, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vander Maesen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Renynghe, Van Wambeke, Vilain XIIII, Vleminckx, Warocqué, Wasseige, Watteeu, Wouters, Allard, Ansiau, Anspach, Beeckman, Braconier, Bricoult, Broustin, Bruneau, Carlier, Couvreur, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Brouckere, de Coninck, de Florisone, de Haerne, de Kerchove de Denterghem, Eug. de Kerckhove, Delaet, Delcour, d'Elhoungne et Ern. Vandenpeereboom.

Projet de loi érigeant la commune de Pironchamps

Discussion des articles

Articles 1 et 2

Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, la Chambre passe à la délibération sur les articles.

« Art. Ier. Le hameau de Pironchamps est séparé de la commune de Pont-de-Loup (province de Hainaut), et érigé on commune distincte sous le nom de Pironchamps.

« La Sambre formera la limite séparative conformément au plan annexé à la présente loi. »

-Adopté.


« Art. 2. Le cens électoral et le nombre des conseillers à élire dans ces communes seront déterminés par l'arrêté royal fixant le chiffre de leur population. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi, qui est adopté a l'unanimité des 81 membres présents.

Ce sont :

MM. de Maere, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, Descamps, de Terbecq, de Theux, Dethuin, Dewandre, Dumortier, Elias, Gerrits, Guillery, Hagemans, Hayez, Hymans, Jacobs, Janssens, Jonet, Jouret, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Lange, Lebeau, Liénart, Lippens, Mascart, Moncheur, Moreau, Muller, Nélis, Notelteirs, Orban, Orts, Preud'homme, Reynaert, Sabatier, Snoy, Tack, Thienpont, T'Serstevens, Valckenaere, Van Cromphaut, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vander Maesen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Renynghe, Van Wambeke, Vilain XIIII, Vleminckx, Warocqué, Wasseige, Watteeu, Wouters, Allard, Ansiau, Anspach, Beeckman, Braconier, Bricoult, Broustin, Bruneau, Carlier, Couvreur, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Brouckere, de Coninck, de Florisone, de Haerne, de Kerchove de Denterghem, Eug. de Kerckhove, Delaet, Delcour, d'Elhoungne et Ern. Vandenpeereboom.


MpVµ. - La commission chargée d'examiner le projet de loi sur l'érection de la commune de Macquenoise, est composée de MM. de Baillet, Dethuin, Hagemans, Jouret et Sabatier.

Projet de loi relatif aux expropriations par zones

Discussion générale

M. Dumortierµ. - Messieurs, la Chambre n'a plus que quelques jours à siéger jusqu'à samedi, c'est-à-dire quatre jours ; son ordre du jour est très chargé ; d'un autre côté, le Sénat doit s'ajourner dans quelques jours et il ne pourra pas entrer dans des discussions trop longues. Je crois donc qu'il serait très désirable d'ajourner la loi sur les expropriations. (Interruption.) Evidemment, il y a des amateurs de cette loi, comme il y en a toujours ; mais je prie la Chambre de vouloir remarquer qu'il s'agit d'une discussion excessivement grave et qui sera excessivement longue. (Interruption.)

Pour les gens qui veulent voter, je ne dirai pas sans discussion, mais avec une facilité extrême, je comprends que ceux-là veuillent la discussion immédiate ; mais quant à ceux qui entendent examiner la question avec soin, ils pensent que la loi soulève les plus grandes difficultés. Je dis, messieurs, que nous ne sommes pas ici pour faire les affaires de quelques villes, nous sommes ici pour défendre les intérêts de nos commettants. Or, la loi peut avoir ce résultat fâcheux de faire faire les affaires des communes ou des entrepreneurs aux dépens des particuliers.

Je dis qu'une pareille loi ne peut pas s'escamoter, qu'elle doit être examinée avec la plus grande maturité. Combien de temps a-t-elle pris aux sections ?

- Un membre. - Douze séances.

M. Dumortierµ. - De son côté la section centrale a pris un temps très long pour faire ce travail. (Interruption.)

Nous sommes aujourd'hui dans cette position que nous n'avons plus que quatre jours à siéger, dans quatre jours la session sera close, avez-vous envie, par hasard, de voter sans examen et sans discussion la loi de crédit pour les armes, l'emprunt de 60 millions et toutes les lois importantes que vous avez encore à faire ? Si telle est votre intention, abordez la discussion de la loi sur les expropriations ; mais si vous voulez examiner les objets très importants qui sont à l'ordre du jour, vous ne pouvez pas entreprendre maintenant une discussion qui va prendre un grand nombre de séances.

Je crois, messieurs, qu'il n'est pas possible de discuter sérieusement tous les objets qui restent à l'ordre du jour ; mais en supposant même que nous puissions voter cette loi pendant la session actuelle, le Sénat ne saurait pas la voter.

M. Vleminckxµ. - Le Sénat peut la voter en été.

M. Dumortierµ. - Des lois pareilles doivent être discutées sérieusement. Si vous n'étiez pas arrivés, par exemple, avec la question de l'article 100 de la Constitution, vous auriez eu le temps d'examiner le projet de loi sur l'expropriation ; mais vous avez voulu avoir d'autres lois auparavant et vous n'avez plus maintenant que quatre jours avant la fin de la session.

Puisque j'entends parler d'une session d'été je demande que l'on examine le projet de loi pendant la session d'été.

MiVDPBµ. - Il ne s'agit pas le moins du monde d'escamoter, comme le dit l'honorable M. Dumortier, ce projet de loi.

Il m'avait semblé qu'il ne pouvait pas donner lieu à de longues discussions. C'est justement parce que la section centrale l'a examiné à fond pendant douze séances que toutes les questions ont pu être élucidées et sont résumées dans le rapport de l'honorable M. d'Elhoungne.

L'honorable M. Dumortier croit qu'on n'a pas eu le temps d'examiner jusqu'ici le projet de loi, mais je lui ferai remarquer que le rapport est déposé depuis le 12 du mois de mars. On a donc eu le temps de l'examiner, et j'ajouterai qu'il a un certain caractère d'urgence et qu'il est très désirable qu'il puisse être voté avant la fin de cette session.

Vous vous rappelez, messieurs, l'épidémie qui a sévi l'année dernière. Il a été reconnu qu'il était urgent d'apporter de grandes améliorations dans les quartiers populeux des grandes villes. Il a été vivement réclamé par l'opinion publique et je crois qu'il faut perdre le moins le temps possible à discuter pour savoir si l'on discutera.

Il suffit d'examiner le rapport attentivement pour se former une conviction dans un sens ou dans l'autre.

On dit encore que le Sénat ne pourra voter le projet de loi avant la fin de cette session. Quand cela serait, la Chambre aurait du moins terminé la besogne. Si elle ajourne au contraire le travail à la prochaine session, la loi ne pourra être promulguée que beaucoup plus tard.

Je crois donc, messieurs, qu'il est désirable que la loi soit examinée actuellement et qu'au besoin nous pourrions tenir une séance du soir.

M. Wasseigeµ. - Il est certain, messieurs, que si nous discutons immédiatement le projet de loi, la discussion ne sera pas longue et M. le ministre aura raison.

Quoique le rapport ait été déposé depuis le 12 mars, nous avons eu à étudier des lois tellement sérieuses, nous avons eu des discussions tellement longues, que je suis convaincu que la plupart de mes honorables collègues ont fait comme moi et se sont peu occupés du projet de loi sur l'expropriation par zones.

Le rapport de la section centrale est fort remarquable ; je me plais à rendre hommage au talent de l'honorable rapporteur et je suis complètement de l'avis de l'honorable ministre à cet égard ; mais c'est précisément parce que le rapport est remarquable, parce qu'il a élucidé toutes les questions, ce qui ne veut pas dire qu'il les ait décidées, qu'il a préparé un magnifique thème à une discussion approfondie. L'importance du rapport établit à l'évidence l'importance de la loi, et par conséquent la nécessité d'une étude sérieuse, tandis que nous n'aurons actuellement qu'une discussion nécessairement écourtée.

On nous dit : Commençons toujours, et le Sénat votera la loi dans une session d'été. Mais, si nous devons avoir une session d'été, attendons cette session pour aborder, nous aussi, l'examen du projet de loi.

Nous avons à nous occuper de choses très importantes. Il ne faut pas se faire illusion, vous ne tiendrez pas la Chambre réunie plus tard que samedi prochain.

Nous avons à examiner la loi d'emprunt et la loi d'armement. En voilà, plus qu'il n'en faut pour occuper les quelques jours pendant lesquels nous serons encore réunis.

Si nous sommes destinés à avoir une session d'été, il n'y aura pas de temps perdu et il n'en résultera pas de retard pour Bruxelles et pour les autres villes qui tiennent particulièrement à l'adoption du projet de loi, puisque le projet pourra être voté alors par la Chambre et le Sénat sans désemparer.

Qu'importe à Bruxelles et aux autres villes, que le projet soit voté immédiatement par la Chambre, s'il doit s'écouler deux ou trois mois avant que le Sénat puisse s'en occuper ?

J'insiste donc de toutes mes forces sur la question d'ajournement.

(page 1049) M. Anspachµ. - Messieurs, je dois rappeler à la Chambre qu'il y a une décision de sa part

Il y a une semaine, j'ai eu l'honneur, par une motion d'ordre, de demander s'il était bien entendu que la loi serait examinée dans le courant de cette session. De toute part on m'a répondu affirmativement.

Cette loi, messieurs, est de la plus haute importance. Elle a eu des honneurs réellement exceptionnels ; elle a été annoncée dans le discours du trône, et lorsque M. le ministre de l'intérieur est venu la déposer à la Chambre, il y a eu des marques de satisfaction sur tous les bancs.

C'est, messieurs, parce qu'on se rendait compte de la nécessité impérieuse où se trouvent plusieurs villes de faire de grands travaux d'assainissement pour remédier à une situation déplorable.

On dirait maintenant que certains membres de la Chambre ont oublié les désastres de l'année dernière. Il s'agit de les réparer dans la mesure de ce qui est possible. Le législateur doit s'occuper de faire une loi qui permette d'assainir les grands centres agglomérés.

Il ne faut pas perdre de vue que l'assainissement des grandes villes et la construction d'habitations salubres pour les classes nécessiteuses, ce n'est qu'une seule et même chose.

Nous avons vu pendant l'épidémie qui a décimé nos populations que c'était à des habitations insuffisantes et malsaines surtout qu'était due la propagation du fléau.

Que doit faire le législateur ? Il doit, le plus tôt possible, donner satisfaction à de si graves intérêts. On a consacre seize à vingt jours à l'examen de la question de savoir si l'on donnerait quelques droits politiques aux ouvriers et l'on ne pourrait s'occuper pendant deux ou trois séances du point de savoir si on leur donnerait de l'air pur à respirer !

J'insiste fortement, messieurs, pour que dans le cours de cette session on s'occupe de l'examen du projet de loi.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. Dumortierµ. - Je ne puis laisser les paroles que j'ai prononcées sans explication, en présence de ce que vient de dire l'honorable M. Anspach.

Ne semble- t-il pas que nous ayons perdu de vue les malheurs qui ont frappé là Belgique ?

Je dois dire à l'honorable bourgmestre de la capitale que, dans mon opinion, on frappe sur les contribuables en mettant en avant des prétextes. Vous avez la loi de 1858, qui suffit à tout.

M. d’Elhoungneµ. - L'honorable M. Anspach vient de rappeler à la Chambre qu'il y avait déjà une résolution prise de discuter dans la présente session le projet de loi sur l'expropriation par zones.

Je ferai remarquer à la Chambre qu'il y a mieux que cela. Il y a de sa part un engagement formel dans la réponse au discours du trône où elle a déclaré que l'objet le plus important et le plus urgent des travaux de cette session était précisément de prémunir les populations contre les malheurs dont elles avaient été frappées pendant les ravages du dernier fléau.

L'honorable M. Dumortier semble prendre à partie l'honorable M. Anspach parce qu'il est le premier magistrat de la capitale. Mais on ne devrait rappeler la position administrative de l'honorable M. Anspach que pour lui rendre un hommage que la Belgique entière lui a décerné pour le courage qu'il a montré dans ces circonstances.

Nul plus que lui, messieurs, n'a le droit de parler au nom de ces populations malheureuses auxquelles il avait fait le sacrifice de sa vie avant de venir défendre leurs intérêts dans cette enceinte.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, je volerai l'ajournement de la discussion et je désire en dire en deux mois les motifs.

Les questions que le projet de loi soulève sont de la plus haute importance et entraîneront forcément de longues discussions.

D'un autre côté, quant à la question d'assainissement dont vient de parler l'honorable bourgmestre de Bruxelles, les villes sont complètement armées par la loi de 1859. (Interruption.) Lorsqu'il s'agit d'assainissement, les villes ont de pleins pouvoirs pour l'accomplir.

- Voix nombreuses. - C’est le fond cela.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Il n'y a donc nulle urgence de discuter le projet qui vous est soumis. A mon avis, il serait préférable, en ce moment, d'examiner, dans le calme du cabinet, les moyens de simplifier les formalités nombreuses et coûteuses qu'entraînent les expropriations, que de discuter les principes nouveaux du projet de loi qui touchent à la fois à la Constitution et à l'hygiène. Il y aurait des améliorations notables à apporter à la loi existante en dehors des points qui sont soumis à notre discussion. C'est pourquoi je propose l'ajournement et je crois qu'il sera favorable même aux villes qui ont besoin d'être assainies.

- Des membresµ. - Aux voix !

- D'autres membres. - L'appel nominal.

- La proposition d'ajournement est mise aux voix par appel nominal.

89 membres prennent part au vote.

21 membres répondent oui.

68 membres répondent non.

- En conséquence l'ajournement n'est pas prononcé.

Ont répondu oui :

MM. de Naeyer, de Terbecq, de Theux, Dumortier, d'Ursel, Hayez, Janssens, Julliot, Le Hardy de Beaulieu, Liénart, Moncheur, Notelteirs, Reynaert, Snoy, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Wambeke, Wasseige, de Coninck, Eug. de Kerckhove et Delaet.

Ont répondu non : MM. de Maere, de Moor, de Muelenaere, Descamps, Dethuin, Dewandre, Elias, Frère-Orban, Gerrits, Guillery, Hagemans, Hymans, Jacobs, Jonet, Jouret, Kervyn de Lettenhove, Lambert, Landeloos, Lange, Lebeau, Lelièvre, Lippens, Mascart, Moreau, Muller, Nélis, Orban, Orts, Preud'homme, Rogier, Sabatier, Tack, Thienpont, T'Serstevens, Valckenaere, Van Cromphaut, Alp. Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Renynghe, Vilain XIIII, Vleminckx, Warocqué, Watteeu, Wouters, Allard, Ansiau, Anspach, Beeckman, Braconier, Bricoult, Broustin, Bruneau, Carlier, Couvreur, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Haerne, de Kerchove de Denterghem, Delcour, d'Elhoungne et Ernest Vandenpeereboom.

MpVµ. - La discussion générale est ouverte.

M. Tackµ. - Le projet de loi qui décrète l'expropriation par zones pour cause d'assainissement, d'embellissement ou d'amélioration, préoccupe à la fois les administrations communales de nos centres de population les plus importants et les particuliers qui comptent au nombre des propriétaires de terrains, bâtis ou non bâtis, situés dans nos grandes villes.

Les autorités communales fondent sur la loi nouvelle de brillantes espérances ; elles entrevoient dans ses applications le moyen facile d'assainir des quartiers insalubres ; d'élargir, de redresser, d'embellir des rues, de créer des places publiques ; de donner à nos cités un aspect convenable voire même grandiose, en rapport avec les progrès réalisés dans l'art de la construction, en rapport surtout avec le développement qu'a pris la richesse publique.

Ce qui se passe en France, à Paris, à Lyon, à Marseille, à Lille et ailleurs, excite partout le zèle de nos édiles, qui se demandent pourquoi la Belgique serait privée plus longtemps des bénéfices d'une loi qui dans un pays voisin a produit des résultats dignes d'envie.

Les propriétaires, par contre, sont dominés, en général, par un sentiment peu sympathique au projet de loi ; beaucoup d'entre eux en redoutent vivement les conséquences.

Au point de vue de plus d'un propriétaire, la loi nouvelle sera une arme dangereuse, placée entre les mains de sociétés puissantes, de spéculateurs souvent plus téméraires qu'habiles, d'administrateurs communaux désireux de passer à la postérité et de se signaler, au détriment de leurs administrés, par l'exécution de travaux dont le caprice plutôt que l'utilité réelle aura suggéré l'idée.

Nous, messieurs, qui sommes appelés à faire la loi, nous avons à nous prémunir, en même temps, contre les craintes et les défiances exagérées des particuliers, et contre l'entraînement irréfléchi auquel des principes, erronés, abrités sous le couvert d'aspirations généreuses en faveur des classes ouvrières, ou des projets inspirés soit par un amour-propre national trop chatouilleux, soit par le culte du clocher poussé à l'extrême pourraient donner naissance.

Si le propriétaire est enclin à exagérer la réparation du dommage qui lui est occasionné, l'autorité ou la compagnie qui exproprie a souvent une propension à vanter outre mesure le bienfait qu'elle apporte, grâce aux travaux dont l'exécution est décrétée.

C'est à tenir une juste balance entre ces prétentions contraires que nous devons nous appliquer.

Il est de notre devoir, avant tout, de respecter le droit sacré de la propriété. Quand la Constitution ne nous le commanderait pas impérieusement, la loi sociale nous en ferait un devoir rigoureux.

(page 1050) Nous ne devons cependant pas perdre de vue que la propriété a ses restrictions. Elle en rencontre tout d'abord dans ce principe que le droit du citoyen doit céder devant l'utilité générale, bien entendu devant l'utilité générale clairement démontrée, évidente et certaine.

Mais à côté de ce principe il y a son corollaire essentiel : le sacrifice que le particulier est obligé de faire lorsqu'il se trouve en face des exigences de l'utilité générale ne doit jamais avoir lieu au préjudice de la justice.

Tel est le sens de l'article 11 de la Constitution qui dispose que : « nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité. »

Ainsi l'utilité publique, dont je dirai tantôt un mot, et la juste et préalable indemnité, voilà la double condition à laquelle l'expropriation est subordonnée, aux termes de la Constitution.

L'indemnité ne sera juste que lorsque l'exproprié sera placé, par suite du dédommagement qui lui est accordé, dans une situation sans perte ; aussi l'indemnité doit-elle comprendre tout le préjudice infligé au propriétaire ; jamais, au grand jamais, elle ne peut être pour lui la cause d'une diminution de son patrimoine, moins encore une cause de ruine.

L'expropriation par zones est, à coup sûr, le moyen le plus expéditif et le plus simple mis à la disposition des autorités communales pour exécuter les travaux d'assainissement ou d'amélioration que la plupart d'entre elles, sous l'impulsion des nécessités qu'imposent la vie moderne, la civilisation de notre époque, les idées de philanthropie et de progrès méditent et brillent du désir de réaliser.

Mais ce mode d'expropriation est-il constitutionnel ?

Oui, il est constitutionnel ; pourvu qu'il soit appliqué conformément à l'esprit de notre Constitution et qu'on n'en fasse point abus dans la pratique.

Par cela même que le moyen est simple, sommaire, avantageux, au point de vue des finances communales et pourrait même, dans des cas donnés, devenir lucratif pour l'expropriant, il importe que le gouvernement se montre circonspect, toutes les fois qu'il en autorisera l'application.

Le premier devoir du gouvernement sera de discerner, dans les demandes qui lui sont adressées, ce qui ne serait que spéculation de ce qui tient réellement à l'utilité publique, et de leur côté les tribunaux devront se montrer d'autant plus scrupuleux dans l'application de l'indemnité à laquelle l'exproprié a droit, que l'interprétation que le pouvoir législatif aura faite de la Constitution sera plus large et donnera plus de facilités à l'action des autorités communales.

Notons que le projet de loi qui nous est présenté va beaucoup plus loin qu'on n'est allé en France, principalement sous le rapport des conditions qui déterminent l’étendue de la zone d'expropriation.

Il serait facile de le démontrer, je juge, quant à moi, inutile de le faire, par le motif que, dans ma conviction, le projet de loi se maintient dans les limites constitutionnelles.

Il n'en est pas moins vrai de dire que le pouvoir que le projet de loi confère au gouvernement est immense ; jusqu'ici l'usage n'avait point admis l'extension de l'expropriation au delà des propriétés qui devaient être affectées à un service public. S'agissait-il de créer dans une ville une rue nouvelle, on décidait que l'expropriation devait se restreindre au sol à livrer à la voie publique.

Désormais le gouvernement appréciera souverainement jusqu'où peut s'étendre le périmètre d'expropriation en dehors même des terrains destinés à être définitivement réunis au domaine public. Pour se guider dans les résolutions qu'il prendra, il aura sous les yeux l'enquête préalable et contradictoire ouverte conformément aux prescriptions du projet de loi ; mais, au demeurant, il reste le maître absolu d'autoriser ou non l'expropriation, et d'assigner au périmètre de la zone tel développement qu'il jugera utile d'adopter. Ses décisions sont en dernier ressort.

En fait, son pouvoir sera sans limites, en ce sens que la seule sanction qui garantira l'équité de ses appréciations se bornera à sa responsabilité morale devant le pays et devant les Chambres.

On comprend dès lors combien les abus sont à craindre ; malgré les formalités protectrices dont le projet de loi entoure l'instruction qui précède la déclaration d'utilité publique, le gouvernement pourra être induit en erreur, circonvenu, trompé.

On ne sera jamais embarrassé de trouver un prétexte pour comprendre dans un plan général d'embellissement ou d'amélioration des propriétés dont on aurait pu se passer, mais qu'on enveloppera dans le périmètre d'expropriation, par esprit de pure spéculation et en vue de réaliser des bénéfices sur le prix de revente.

Parfois l'intérêt individuel de ceux qui provoquent l'expropriation par zones jouera un grand rôle dans la mise au jour des projets d'embellissement de nos villes : c'est une tendance naturelle, même chez les hommes dont un esprit de justice et d'équité dirige habituellement la conduite, de confondre aisément leurs intérêts privés avec les exigences de l'utilité publique.

Une modification apportée au plan d'ensemble des travaux, un changement dans la direction ou dans le tracé d'une rue, le déplacement ou la déviation de la voie publique dans tel sens plutôt que dans tel autre, la suppression d'un passage ou d'une impasse, le plus ou moins de développement assigné à le zone périmétrique, une foule de faits analogues peuvent être une cause de ruine pour les uns et en même temps une source de lucre pour d'autres.

Qui l'ignore ? la création d'un nouveau quartier peut ajouter à des terrains qui l'avoisinent une plus-value considérable.

Ces terrains seront peut-être la propriété des auteurs du plan ou de ceux qui doivent délibérer sur son adoption ; or, n'est-il pas naturel que le premier venu se laissera fasciner par l'idée que l'intérêt public est en harmonie avec sa propre cause ?

La tâche du gouvernement appelé à distinguer entre ce qui est d'utilité publique et ce qui ne l'est pas, sera souvent épineuse ; il aura à compter avec des influences de toute espèce et il ne lui sera pas toujours possible de dégager la vérité des éléments qui lui sont étrangers.

Pour le soustraire à des obsessions qu'il ne pourra pas toujours écarter, il eût été désirable de le soumettre lui-même à certaines prescriptions au lieu de l'affranchir de toute règle et de lui donner un blanc-seing.

Je voudrais, si la chose était possible, que la profondeur de la zone d'expropriation fût restreinte à une maximum, déterminé par la loi.

La loi française dont les dispositions ont amplement suffi pour transformer complètement Paris et d'autres grandes villes, suppose certains tempéraments à l'expropriation par zones.

Le décret du 26 mars 1852, dans son article 2, limite en principe l'expropriation à la totalité des immeubles atteints par la formation ou le redressement de rues nouvelles, et ce n'est qu'exceptionnellement qu'il est permis de comprendre, dans l'expropriation, des immeubles en dehors des alignements. Cela n'est autorisé que lorsque les parcelles adjacentes à la nouvelle voie de communication ne sont pas susceptibles de recevoir des constructions salubres.

Il importe de remarquer ici l'expression de constructions salubres dont se sert le législateur français.

Il est clair qu'on ferait très peu de chose et qu'on n'arriverait pas au but qu'on se propose, si l'on se bornait à atteindre les propriétés contiguës à la voie nouvelle.

Le plus souvent, pour ne pas dire toujours, après l'expropriation faite en vue du redressement, de l'élargissement ou du percement d'une rue nouvelle, il reste des excédants de terrain d'une forme hétéroclite, coupés en biais, disposés en losanges, en triangles, réduits à des bandes étroites, variant d'une extrémité à l'autre entre une profondeur de quelques mètres et zéro.

C'est sur ces excédants que les propriétaires, profitant d'un grand développement à front de rue, élèvent, là où le passage est fréquent et le commerce actif, des constructions à l'usage de magasins en même temps que des maisons d'habitation, et qui pour avoir une façade magnifique, monumentale même, en rapport avec le plan d'embellissement décrété par l'autorité administrative, n'en sont pas moins des demeures insalubres au premier chef, parce que l'air et l'espace y font absolument défaut.

Mais autre chose est d'empêcher, par la loi nouvelle, qu'on n'élève des constructions établies dans des conditions diamétralement opposées aux plus élémentaires notions de l'hygiène, autre chose est de ne fixer aucune limite à la profondeur des zones d'expropriation.

Si par exemple, en matière d'expropriation pour cause d'embellissement, il était interdit d'exproprier les terrains non contigus au tracé nouveau, lorsque les parcelles qui sont atteintes par l'alignement présentent au minimum dans la partie la plus étroite une profondeur que la loi déterminerait d'après l'importance des voies de communication, en prenant pour base la largeur des rues, il y aurait du moins là un obstacle physique à l'arbitraire possible des autorités administratives.

(page 1051) Je soumets à la Chambre cette idée pour ce qu'elle vaut.

Je fais remarquer que je n'entends pas limiter le périmètre de la zone quand il s'agit de travaux d'assainissement proprement dits ; fixer des limités dans ce cas, est chose impossible.

J'aborde ici un côté délicat de la question qui nous occupe. Si j'admets avec les auteurs de la loi que l'expropriation peut frapper sur des propriétés qui ne doivent pas, en terme final, être affectés à un usage public, tout au moins est-il urgent, pour que l'expropriation soit admissible, que le fonds exproprié soit destiné à subir une transformation pour cause d'utilité publique, peu importe au reste que la cause de l'utilité publique qu'on a en vue soit l'assainissement ou bien 1'embellissement. Je m'explique : l'expropriation des terrains situés en dehors de l'alignement d'une rue élargie ou redressée ne peut avoir lieu, selon moi, que pour autant que ces terrains reçoivent une destination nouvelle commandée par l'intérêt général, ce qui revient à ceci : pour que l'expropriation par zones soit permise, il doit être évident, incontestable, que, sans les terrains compris dans le périmètre exproprié, l'exécution du travail, qui est utile à la collectivité sociale, n'est point possible.

Il ne suffît pas qu'on allègue que la combinaison financière exige que l'expropriant puisse en faire usage dans son intérêt privé.

Le législateur constituant n'a pas défini, à la vérité, ce qu'il faut entendre par utilité publique ; comme l'a fait remarquer jadis l'honorable comte de Theux, c'est là une question de bonne foi dont la solution a été abandonnée à la législature.

Il n'en est pas moins vrai que le Congrès, lorsqu'il vota l'article 11 de la Constitution, qui n'est que la reproduction, avec une garantie de plus pour les propriétaires, de l'article 545 du code civil, avait sous les yeux ce qui se pratiquait à cette époque, et que, jusqu'alors, on n'avait pas même donné à ces mots, pour cause d'utilité publique, l'interprétation extensive adoptée par la loi du 1er juillet 1858, loi qui a consacré le principe de l'expropriait n par zones, pour cause d'assainissement.

Bien certainement, le législateur constituant n'a voulu autoriser que l'expropriation d'immeubles destinés à être affectés à un service public ou dont la dépossession est nécessaire, indispensable pour l'exécution de travaux utiles à la généralité.

Sans doute, dès qu'il y a utilité publique, l'expropriation peut être autorisée ; il ne faut pas qu'il y ait nécessité rigoureuse, mais encore faut-il qu'il soit démontré que l'emprise est nécessaire, indispensable pour réaliser le but d'utilité publique que l'on a eu en vue. Sans cela, on ne pourrait pas dire qu'il y a lieu de s'en emparer pour cause d'utilité publique.

Aller au delà et confondre la cause d'utilité publique avec l'idée du bénéfice ou de l'avantage pécuniaire qui doit résulter pour les communes de l'expropriation par zones, ce serait méconnaître manifestement les intentions des auteurs de la Constitution.

Si, à la rigueur, vous pouvez, sans porter atteinte à la Constitution, exproprier des terrains contigus à la voie publique que vous ouvrez, ce n'est nullement parce que les travaux que vous avez faits ont ajouté à ces terrains une plus-value considérable, si considérable qu'elle soit, mais parce que vous faites subir à ces terrains une transformation réclamée par l'intérêt général ; parce qu'à l'aide des travaux qui doivent s'exécuter sur ces terrains, la rue qu'ils longent va être assainie, embellie, parce que, sans déposséder le propriétaire, vous n'atteindriez point le but d'assainissement ou d'embellissement que vous poursuivez.

Prétendre que le droit d'exproprier par zones est basé sur la plus-value que, par suite des travaux exécutés en vue d'un service public, certaines propriétés privées acquièrent, c'est, selon moi, proclamer un faux principe, dont les conséquences sont de nature à conduire au plus effrayant arbitraire.

C'est cependant un principe qui a cours, que j'ai trouvé consigné dans plus d'un écrit sur la matière, et qu'on pourrait même induire de documents officiels.

Ce ne peut être ni le principe des auteurs du projet de loi ni celui de la section centrale.

Ce principe a pour lui les apparences de la raison et de la logique. Aussi je comprends qu'il ait rencontré beaucoup d'écho.

On est, en effet, facilement amené à se dire : Il est injuste que celui qui n'a pas exécuté les travaux en recueille le profit, que tel propriétaire qui n'a fait que se croiser les bras jouisse des bénéfices, tandis que toutes les charges retombent sur la communauté qui a eu les embarras de l'exécution du travail d'utilité publique.

Je conçois qu'on ait été frappé de la rapidité avec laquelle de colossales fortunes se sont faites à la suite de travaux exécutés dans nos grandes villes ; on a vu de modestes propriétaires possédant quelques hectares de terrain se réveiller tout à coup millionnaires par suite de l'adoption de plans nouveaux, et on s'est ému à l'idée que les avantages sont pour celui qui n'a rien fait, tandis que les dépenses incombent à la communauté grevée de lourds impôts, prélevés pour l'exécution des travaux d'utilité publique.

Cependant ces conséquences ne légitiment pas l'expropriation de terrains qui ne doivent pas être annexés au domaine public.

S'il en était autrement, si la plus-value engendrait à elle seule le droit d'expropriation, voyez où cela mènerait : N'est-il pas évident qu'il serait loisible d'emprendre les propriétés contiguës à la voie publique ou même celles situées dans un rayon que le gouvernement détermine d'une façon arbitraire, uniquement pour permettre à la commune qui exécute ou fait exécuter des travaux d'utilité publique, de les revendre avec bénéfice et de payer souvent, par ce moyen, de folles prodigalités ou des spéculations peu honnêtes entreprises au préjudice de quelques propriétaires isolés ?

Tel est la conséquence logique, mais absurde, du faux principe que la plus-value qu'une propriété acquiert, par l'effet de l'exécution de travaux d'utilité publique en autorise l'expropriation.

Si ce principe était vrai, il faudrait l'appliquer à tous les travaux d'utilité publique, à tous les cas d'expropriation pour cause d'utilité publique et ne pas en borner l'application au cas où il s'agit de créer des quartiers nouveaux, d'ouvrir des rues ou des places publiques. S'agit-il de la construction d'un édifice destiné à être affecté à un service public, par exemple : de la construction d'un hôtel de ville, d'une bourse de commerce, d'une halle couverte, la commune qui entreprend pareil travail d'utilité publique pourrait se prévaloir de la plus-value que l'édifice nouveau, affecté à un service public, fait rejaillir sur les propriétés avoisinantes, pour les exproprier, en payer le prix d'après la valeur qu'elles avaient avant l'exécution des travaux, les revendre ensuite et encaisser la différence entre le prix de l'acquisition et celui de la revente.

Ce ne serait plus là exproprier pour cause d'utilité publique, mais pour cause de spéculation publique.

C'est ce que MM. les ministres de l'intérieur et de la justice, qui ont contresigné le projet de loi, me semblent avoir voulu faire comprendre. Je lis en effet, dans l'exposé des motifs, le passage suivant :

« Il est bien entendu qu'il doit toujours être question d'un ensemble de travaux publics pour que la loi soit applicable ; ainsi elle pourrait l'être à la construction d'une caserne, d'un théâtre si cette construction devait avoir pour résultat d'améliorer un quartier, de créer des dégagements nouveaux, de nouvelles voies de communication ; mais il en serait autrement s'il n'était question que d'un travail tout à fait isolé, par exemple de construire exclusivement soit une caserne, soit un théâtre. En pareil cas la loi ne recevrait pas d'application. On devrait se contenter d'appliquer les dispositions générales sur l'expropriation pour cause d'utilité publique. »

Cette distinction est évidemment fondée sur les notions que je viens de développer devant la Chambre, elle a sa raison d’être dans le principe que l'expropriation ne peut frapper que des terrains bâtis ou non bâtis qui doivent subir une transformation en vue d'une destination d'utilité publique.

Je prie la Chambre de faire attention que je ne dis pas : « qui doivent être affectés définitivement à un service public », ce qui est tout différent, mais recevoir des modifications pour cause d'utilité publique, peu importe que ces modifications soient faites par des particuliers et que les terrains expropriés doivent retourner au domaine privé.

La distinction relative au titre qui légitime l'expropriation par zones a été signalée par M. le procureur général Leclercq, dans une lettre adressée, sous la date du 11 juin 1849, au département de l'intérieur : « Si l'utilité publique, dit ce savant magistrat, réclame les constructions riveraines des travaux projetés ; si elle appelle à cette fin l'intervention du gouvernement, il peut les décréter à ce titre ; l'expropriation des terrains sur lesquels elles devront avoir lieu ne pourra être refusée, et il pourra disposer de ces terrains au profit de tiers chargés d'accomplir, d'entretenir et de conserver les travaux décrétés. Si, au contraire, ces constructions ne sont qu'un moyen d'atténuer les charges que peut entraîner, pour le trésor public, l'ouverture d'une rue ou de toute autre voie de communication, le gouvernement ne peut, sans contrevenir à la loi ou sans l'éluder, les décréter à titre de travaux d'utilité publique et prétendre obtenir, à ce titre, l'expropriation des terrains nécessaires. »

Vous le voyez, messieurs, l'honorable magistrat que je viens de citer n'admet pas même l'existence de la cause d'utilité publique, là où, (page 1052) réellement on impose à des tiers la condition d'ériger des constructions nouvelles, dès qu'il est prouvé que cette condition n'est qu'un moyen de fraude inventé pour atténuer les charges qui peuvent peser sur l'Etat ou sur la commune à raison d'un travail d'utilité publique.

Comment concevoir que la plus-value dont nous nous occupons puisse légitimer l'expropriation de la part de l'Etat, d'une province ou d'une commune, alors qu'une plus-value de l'espèce peut se produire et se produit tous les jours, par le fait des particuliers, qui eux, certes, n'ont à exercer aucun droit de ce chef ?

Un industriel fonde, dans une modeste commune, un établissement considérable, une usine importante, une fabrique, une manufacture aussitôt la vie et le mouvement remplacent, dans la contrée, l'inertie et le marasme industriel. Partout le travail est en honneur. A la misère succède l'aisance ; grâce à cette prospérité, auparavant inconnue, les propriétés situées dans le rayon de l'établissement créé par le génie d'un homme, ont tout à coup décuplé de valeur ; est-il jamais venu à l'idée de personne de reconnaître à cet industriel un droit quelconque à la propriété des biens de ses voisins ? Dira-t-li : J'ai aventuré ma fortune pour porter le bien-être au milieu d'un pays, jadis pauvre, aujourd'hui riche et prospère ; j'ai couru à moi seul toutes les chances défavorables d'une entreprise hardie, hérissée de difficultés et entourée de périls, il est juste que j'en recueille les avantages ; il ne serait pas équitable que d'autres, qui n'ont en rien contribué au bienfait que je suis venu apporter à toute une population, jouissent des bénéfices qui sont le produit de mon labeur.

Ce langage, s'il pouvait être écoulé, serait la destruction du droit de propriété ; autre n'est pas celui que tiennent ceux qui, au nom de la communauté sociale, invoquent la plus-value acquise à une propriété par suite de l'exécution de travaux d'utilité publique sur des terrains contigus ou avoisinant pour en autoriser l'expropriation.

Après tout, les terres, les bâtiments, les maisons d'habitation sont pour le particulier matière à spéculation aussi bien que les fabricats, les denrées et les marchandises. Pourquoi le propriétaire ne pourrait-il pas avoir parfois des chances favorables à l'égal du négociant et de l'industriel ?

N'a-t-il pas aussi à compter avec des chances contraires ? N'arrive t-il pas tous les jours que le déplacement d'un service public, l'ouverture de rues nouvelles, la création d'une gare de chemin de fer ou d'autres travaux d'utilité publique déprécient complètement dans une ville des quartiers où s'était fixé autrefois le mouvement du commerce ?

Plus on réfléchit aux conséquences qui découlent du principe erroné contre lequel je m'élève, plus on se sent disposé à le combattre.

Non, la plus-value n'est point une cause d'expropriation ou, si l'on veut, de dépossession.

La Constitution n'admet pas d'expropriation pour cause de plus-value.

Dira-t-on que les communes ne seront pas en mesure d'entreprendre de grands travaux à moins qu'elles-mêmes ou leurs concessionnaires ne puissent mettre à profit, comme elles l'entendent, la plus-value des terrains adjacents à la voie publique ? Je nie que cela soit absolument vrai. Sans doute si des administrateurs communaux outre-passent les besoins de la. commune, s'ils rêvent la réalisation de conceptions aventureuses, les ressources de la caisse communale pourront ne pas suffire à leurs excès ; faut-il donc lâcher bride à toutes les témérités ?

Si les projets qu'on médite sont réellement utiles, il faut que ceux qui en sont les auteurs aient le courage de créer les voies et moyens nécessaires pour leur exécution et qu'ils demandent à la généralité la ressource qui leur manque. Celle-ci ne reculera pas devant l'œuvre que l'intérêt public réclame.

C'est tout au plus si on peut se prévaloir de l'augmentation de valeur pour établir un impôt à charge de la catégorie de citoyens qui profitent d'un travail d'utilité publique et les obliger ainsi à contribuer dans une certaine mesure, en raison des avantages exceptionnels et spéciaux qu'ils recueillent, dans les dépenses que la communauté assume.

C'est ce que le législateur a fait par la loi du 10 février 1843, décrétant le canal de la Campine.

C'est ce que font les communes qui, depuis l'abolition des octrois et en vue de se créer d'indispensables revenus, établissent des taxes sur les bâtisses et se font ainsi rembourser une partie des charges que leur imposent la création de quartiers nouveaux, l'ouverture de rues ou de places publiques.

C’est au fond le même principe qui avait été consacré par les articles 30 et 31 de la loi du 16 septembre 1807 en vertu de laquelle les propriétaires riverains des voies nouvelles étaient astreints à payer une plus-value qui ne pouvait cependant excéder la moitié de la valeur des avantages que leurs terrains avaient acquis ; aux termes de la loi citée, l'indemnité était acquittée au choix du débiteur en argent ou en rentes constituées à 4 p. c. ou en délaissements d'une partie de la propriété si elle était divisible.

C'est encore ce système qu'en 1847 l'honorable M. Rogier formula dans un avant-projet de loi qui fut communiqué aux administrations communales du pays. Cet avant-projet de loi consacre le principe du concours des particuliers, par annuités et pour une quotité ne pouvant dépasser la moitié des dépenses.

La rue nouvelle profite à la généralité qui en fait usage, la généralité doit par conséquent intervenir pour en faire les frais, mais les avantages qui résultent de l'ouverture de la rue profitent à un degré plus éminent aux riverains ; ceux-ci s'en servent plus fréquemment, prennent des jours et des vues, ouvrent des portes et des issues sur la propriété commune et dans maintes circonstances voient leurs terrains cultivés, leurs prés, leurs jardins transformés en terrains à bâtir ; il est donc équitable qu'ils contribuent dans la dépense pour une part plus forte que leurs concitoyens.

Mais encore convient-il d'agir ici avec modération de manière à ne pas dépasser les bornes de l'équité ; s'il n'est pas juste que le particulier s'enrichisse aux dépens de la communauté, il serait plus injuste encore, plus contraire aux notions fondamentales de toute société bien organisée, que la communauté s'enrichît au détriment de la propriété privée. Personne de nous ne peut le vouloir.

La généralité puise d'incontestables avantages dans l'exécution des travaux publics ; il ne faut pas que quelques-uns en supportent seuls les charges ; c'est ce que les auteurs de la loi qui a décrété l'ouverture du canal de la Campine ont parfaitement saisi.

Aussi l'article premier de cette loi porte-t-il que le concours des propriétaires riverains consistera dans le remboursement d'une partie des frais seulement de premier établissement du canal, au moyen d'indemnités à payer pendant 25 années consécutives.

Quoi qu'il en soit du concours qu'on pourrait réclamer des propriétaires voisins des zones longitudinales, je reconnais volontiers que la fixation de la part contributive n'est pas exempte de complications et de difficultés de plus d'un genre.

Si, dans le cas que je viens de citer, la législature a cru pouvoir prélever un impôt sur les propriétaires plus spécialement favorisés par un travail d'utilité publique, jamais il n'est entré dans sa pensée de confisquer le bien des particuliers, d'envoyer l'Etat ou la commune en possession de leur patrimoine, pour ménager à des administrations publiques le moyen de battre monnaie à l'aide de la revente des immeubles.

Quand le pouvoir législatif a autorisé l'expropriation des bâtiments longeant les Galeries Saint-Hubert à Bruxelles, quand par la loi du 23 mars 1847 il a permis l'expropriation des bruyères appartenant à des communes ; quand par la loi du 1er juillet 1858, il a consacré le principe de l'expropriation par zones pour cause d'assainissement, il ne l'avait qu'à la condition que les terrains expropriés fussent affectés, dans un délai déterminé, à une destination nouvelle, en harmonie avec les exigences de l'utilité publique. Pour les Galeries Saint-Hubert, l'autorisation d'exproprier a été subordonnée à l'exécution d'un plan d'ensemble. La même chose arrive en matière d'expropriation pour cause d'assainissement, la loi l'ordonne formellement. Pour la vente des bruyères communales, la loi de 1847 prescrivait la mise en culture dans un délai déterminé, et de plus elle n'était pas applicable aux propriétés particulières.

La loi que nous sommes appelés à voter aujourd'hui ne peut avoir d'autre portée, sans cela elle serait une loi de confiscation, attentatoire au droit de propriété, en opposition manifeste avec l'article 11 de la Constitution.

C'est pourquoi il est essentiel que le gouvernement, à qui nous allons conférer un pouvoir en quelque sorte arbitraire, ait toujours, dans l'application, présente à l'esprit cette règle que l'expropriation ne peut avoir lieu que moyennant l'engagement pris par la commune ou par les concessionnaires d'exécuter, d'après un plan approuvé, des travaux utiles pour tous, sur les terrains frappés d'emprise ; il conviendrait même que toujours les délais pour l'exécution fussent fixés à peine de dommages-intérêts.

Il ne faut pas qu’après avoir, sous prétexte d'utilité publique, porté le trouble dans les habitudes de ceux qui sont en possession paisible de leurs biens, après avoir bouleversé des relations longtemps établies, déplacé des intérêts respectables, ruiné peut-être d’honnêtes propriétaires, de (page 1053) modestes locataires, enlevé pour toujours à de petits commerçants leur moyen d'existence, il ne faut pas, dis-je, qu'après avoir fait témérairement tout cela, des spéculateurs audacieux, des entrepreneurs enrichis ou des administrateurs imprudents puissent se soustraire à leurs obligations ou abandonner l'exécution des plans qui ont motivé la concession. De pareilles conséquences seraient odieuses et si elles pouvaient se répéter, seraient un encouragement à de coupables spoliations.

Je pense que c'est ainsi que doit être entendue la loi, et que c'est dans cet esprit qu'elle doit être appliquée.

Comme conséquence pratique de ces idées, je signalerai un exemple, je me bornerai à un seul. Supposez que l'élargissement et le redressement d'une rue soit ordonné. La rue qu'il s'agit d'améliorer, d'assainir et d'embellir est étroite, sinueuse, elle est bordée de demeures manquant d'air et d'espace, cependant sur son parcours se trouvent, çà et là, des habitations bâties d'après toutes les prescriptions de l'hygiène, construites dans un bon goût, conformément aux règles de l'art ; il se fait que l'alignement de plusieurs de ces maisons concorde avec l'alignement nouveau.

Le gouvernement devrait-il permettre que ces maisons fussent comprises dans la zone d'expropriation, alors que rien ne démontre qu'il est utile de leur faire subir aucune transformation ? Faudra-t-il qu'il prête la main à des combinaisons plus ou moins malicieuses, à des artifices imaginées pour faire accroire à l'utilité de changements qu'aucune bonne raison ne justifie ? A mon avis, non. Ce serait admettre l'expropriation pour revendre, l'expropriation pour cause de spéculation faite uniquement en vue de profiter de la plus-value, et nullement pour cause d'utilité publique.

Je m'attends à ce qu'on m'objecte qu'il est révoltant que ces propriétaires privilégiés s'enrichissent par le travail d'autrui, alors que leurs voisins se voient expropriés et ne sont payés de leurs immeubles qu'en proportion de la valeur acquise avant l'exécution des travaux. Mais cette objection peut se faire avec autant de raison, pour les propriétaires de maisons situées dans des rues voisines du périmètre d'expropriation ; il n'y a là qu'une différence du plus au moins.

Pour atténuer ces inégalités il ne reste d'autre moyen, comme je l'ai dit plus haut, que d'exiger le concours des particuliers au moyen de l'impôt.

Une question qui a été beaucoup agitée et qui a de l'affinité avec le même ordre d'idées que celui que je traite en ce moment, c'est celle de savoir s'il n'est pas juste de faire participer le propriétaire exproprié au bénéfice à résulter de l'entreprise à laquelle l'expropriation par zones donne naissance.

Cette question a été résolue affirmativement par des autorités communales et par des écrivains distingués.

C'est ainsi que le conseil communal de Liège propose d'ajouter à la valeur vénale de l'emprise un tiers ou une moitié de cette valeur.

Des publicistes qui ont longuement disserté sur la matière sont d'avis qu'il faut doubler la valeur vénale ; d'autres voudraient contraindre l'expropriant à payer, outre la valeur vénale, toute la plus-value.

D'après un quatrième système, on pourrait allouer au propriétaire exproprié une partie des bénéfices nets constatés après la revente.

J'ai peine à me rallier au sentiment de ceux qui voudraient réserver aux expropriés une part des bénéfices.

Et d'abord, en principe, sur quoi cette participation à la plus-value peut-elle être basée, dès là qu'on part de l'idée fondamentale que l'expropriation ne peut avoir lieu et n'a eu lieu en réalité que pour cause d'utilité publique ?

La Constitution ne trace-t-elle pas en termes clairs la règle à suivre en ce qui touche l'indemnité ?

Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité.

Voilà la maxime constitutionnelle.

Le propriétaire a droit, dans le cas prévu, à une juste indemnité ; rien de plus rien de moins. L'indemnité doit être juste, c'est-à-dire, qu'elle devra dédommager le propriétaire de toute perte, de tout préjudice ; en conséquence il y aura lieu de payer, non seulement la valeur vénale, mais aussi l'indemnité de remploi, l'indemnité pour perte de clientèle, les frais de déménagement, de chômage et autres charges analogues.

Pourquoi l'expropriation par zones serait-elle, sous ce rapport, réglée par d'autres principes que l'expropriation ordinaire ? Je concevrais la différence si l'on pouvait supposer que l'expropriation par zones pût avoir lieu en vue uniquement de faire profiter la commune de la plus-value. Mais c'est une thèse que je repousse de toutes mes forces.

Non seulement les principes ne semblent pas exiger qu'une partie des bénéfices profitent au propriétaire, mais, en pratique, la solution est encore à trouver.

Les bases d'un tiers, d'une moitié, du double de la valeur vénale sont arbitraires, d'autant plus arbitraires qu'en dernière analyse l'entreprise peut se résumer en une perte pour la commune ou pour le concessionnaire. Quant à faire participer le propriétaire exproprié au bénéfice net, on se demande quand et comment on calculera ce bénéfice ? quelle part sera réservée à chaque propriétaire ? ce qui en sera du locataire ? Il faut bien le reconnaître, ici les embarras deviennent inextricables.

J'avoue qu'il y a quelque chose qui choque de prime abord, que de voir celui qui est dépossédé, évincé de son bien, expulsé de sa demeure, obligé de renoncer à de longues habitudes, froissé dans ses convenances et dans ses affections, ne pas recevoir une obole de la plus-value qu'acquiert sa chose, tandis que son voisin qui est maintenu en possession, qui n'éprouve aucun désagrément, aucune lésion, voit son bien augmenter notablement de valeur par l'exécution du travail d'utilité publique entrepris pour compte de la généralité. Mais les mêmes résultats se produisent parfois en matière d'expropriation ordinaire.

Au surplus, j'accorde que plus il est donné d'extension au droit d'expropriation, moins il faut se montrer parcimonieux dans l'évaluation de l'indemnité.

En aucun cas l'expropriation ne doit dégénérer en une spoliation ; mais c'est surtout en matière d'expropriation par zones qu'il faut se montrer large et ne point marchander la réparation du dommage causé, si l'on veut ne point s'exposer à rester en dessous du chiffre qui représente une compensation complète et équitable. Il importe de se bien pénétrer de ce principe, que toute évaluation qui n'aboutirait pas à ce résultat consacrerait une flagrante iniquité.

Ceux qui soutiennent que l'exproprié a droit d'obtenir une part dans la plus-value se sont laissé dominer par la crainte que certaines administrations communales, alléchées par le désir de réaliser des bénéfices sur les reventes, ne fussent que trop tentées de spéculer et de s'emparer du bien de leurs administrés, non pas dans un but d'utilité publique, mais en vue d'un lucre.

On mettra, a-t-on dit, un frein à ces spéculations blâmables en diminuant l'appât.

Je me demande si la possibilité de l'abus justifie une mesure qui consiste à prendre à la généralité pour donner à des particuliers ce à quoi ils n'ont point droit de prétendre.

Multipliez les garanties dont vous entourez l'instruction préalable, soit, mais vous ne pouvez aller au delà.

Si je ne reconnais pas qu'il y ait lieu à participation dans les bénéfices nets au profit des propriétaires expropriés, je crois par contre qu'il conviendrait de rechercher un moyen de leur assurer, autant que possible, le droit de réclamer la rétrocession des parcelles expropriées, moyennant, pour chacun d'eux, de tenir compte à l'expropriant de la plus-value et d'exécuter le plan des travaux.

Voici la raison sur laquelle je me base pour faire adopter, dans la plus large mesure, la faculté de réclamer la rétrocession.

L'expropriation par zones ne peut se justifier, comme l'expropriation ordinaire, que par des motifs d'utilité publique, parce que, en l'espèce, il est de l'intérêt général que des constructions vicieuses ou d'un aspect peu convenable soient remplacées par d'autres, réunissant les conditions de salubrité voulues et mieux en rapport avec l'ensemble des édifices qui les entourent. Or, dès l'instant que le propriétaire consent à remplir ces conditions et à supporter la dépense qui en résulte, il n'y a plus d'utilité publique à le priver de son bien.

Ceci est tellement vrai que la loi du 1er juillet 1858, que nous sommes appelés aujourd'hui à compléter, a voulu ménager aux propriétaires le moyen de se maintenir en possession en leur octroyant le droit d'exécuter eux-mêmes tout le travail projeté ; mais il est évident que ce droit est illusoire. Pas une fois sur cent les propriétaires n'auront entre les mains le moyen d'exécuter l'ensemble des travaux, en supposant même qu'ils aient envie de se lancer dans des spéculations plus ou moins hasardeuses. Je n'ignore pas qu'il n'est pas aisé de régler le droit de réclamer la rétrocession. Auquel des propriétaires, sera accordée la préférence lorsque leurs terrains respectifs seront morcelés et divisés en parcelles insuffisantes pour y faire des constructions salubres ? Qui déterminera le prix de la revente ? A quelle époque se reportera-t-on pour fixer la plus-value ; quand cette plus-value sera-t-elle fixée ? Sera-ce avant l'exécution des travaux ou postérieurement ?

(page 1054) Voilà toutes questions à résoudre ; est-il impossible d'en trouver la solution ? Je ne le pense pas. L'honorable M. Rogier n'avait point reculé devant des difficultés de même nature lorsqu'il présenta son avant-projet de 1847.

Lorsque nous en serons venus aux articles, je verrai si je ne dois pas présenter des amendements dans ce sens.

Je demande pardon à la Chambre d'avoir peut-être abusé de ses moments, mais, on en conviendra, la matière que nous traitons est délicate et importante. Il est bon surtout que nous soyons d'accord sur les principes à adopter. C'est surtout à ce point de vue que j'ai cru devoir prendre la parole.

En résumé, à mon avis, le projet de loi ne porte pas atteinte, comme on l'a prétendu, aux dispositions de l'article 11 de la Constitution, il en fait une application très large, qui peut offrir certain danger.

Le pouvoir donné au gouvernement est, on peut le dire, arbitraire et sans limites ; c'est une raison pour ne pas refuser aux propriétaires dépossédés toutes les garanties qu’il est possible de leur accorder.

Là où l'on peut éviter la dépossession sans nuire à l'intérêt public, il convient de le faire ; la faculté donnée au propriétaire de réclamer la rétrocession des parcelles non incorporées dans le domaine public, rentre dans cet ordre d'idées.

La fixation d'un maximum de profondeur des zones longitudinales, alors qu'il ne s'agit que de travaux d'embellissement, serait un frein à la tentation que des administrations communales pourraient éprouver de faire des reventes de terrains un objet de spéculation, un moyen de rétablir des finances délabrées, au lieu d'un objet d'utilité publique.

Le principe d'après lequel j'ai soutenu que la plus-value acquise aux terrains contigus à la voie nouvelle ne saurait légitimer la dépossession, et que l'expropriation par zones n'est admissible que pour les propriétés destinées à recevoir une transformation pour cause d'utilité publique, ce principe, dis-je, loyalement appliqué par le gouvernement rendrait la loi populaire, tandis que le principe contraire, qui serait une atteinte grave portée au droit de propriété, ferait tomber la loi sous le coup d'une juste réprobation et perdre les fruits qu'elle est appelée à produire.

MpVµ. - Le gouvernement se rallie-t-il aux amendements proposés par la section centrale ?

MiVDPBµ. - Oui, M. le président.

MpVµ. - C'est donc sur le projet amendé par la section centrale que la discussion s'établit

La parole est à M. Elias.

M. Eliasµ. - Depuis longtemps on se préoccupe en Belgique de la nécessité d'apporter des modifications aux lois sur l'expropriation pour cause d'utilité publique.

Dans la presse, dans les brochures qui ont été publiées on a examiné toutes les questions qu'elles soulèvent, c'est pour cela que j'ai cru devoir voter pour que la discussion commence immédiatement, bien que je ne sois pas partisan de la loi.

L'insuffisance de ces lois s'est surtout fait sentir dans les grandes villes du pays qui, depuis l'achèvement de notre grand réseau de chemins de fer, ont pris un grand développement. Dans quelques-unes la population a presque doublé. La construction de maisons neuves n'a pas suivi une progression aussi rapide et il en est résulté que les logements convenables ont augmenté notablement de prix.

Une autre cause est venue aggraver cette situation. La prospérité publique a amené un grand accroissement dans le nombre de gens qui voulaient des logements spacieux et par conséquent les personnes n'ayant que des ressources limitées ont dû se contenter de logements plus petits.

Par là aussi les populations ouvrières en ont été d'autant plus vite refoulées dans des logements très étroits, insalubres.

Les villes sentirent la nécessité de rectifier leurs rues étroites et tortueuses et de s'étendre dans toutes les directions pour loger leurs nouveaux habitants, c'est à partir de ce moment que la loi de 1835 sur les expropriations fut reconnue insuffisante.

Pour rectifier des rues étroites, malsaines, les villes faisaient des dépenses considérables.

Elles n'avaient le droit que d'exproprier le terrain qui devait être incorporé à la voirie. Et comme les rectifications étaient faites dans des parties à habitations agglomérées, où la propriété était très divisée, des deux côtés de cette voie agrandie avec des dépenses énormes, il restait des terrains sur lesquels il était impossible soit d'élever des habitations saines, soit même seulement de bâtir. Les maisons nouvelles bâties le long de rues plus larges devenaient donc aussi insalubres que les anciennes faute d'espace intérieur.

Les dépenses faites l'étaient souvent en pure perte. Malgré ce peu de résultat, les villes étaient, ainsi que nous l'avons dit, grevées de lourdes charges. La loi de 1807 aurait permis de les alléger. On chercha un remède à cette situation.

Dès 1845, le gouvernement fit une enquête pour rechercher les causes qui avaient empêché jusque-là l'application de l'article 30 de la loi de 1807, article qui fait participer à l'exécution des grands travaux d'utilité publique ceux qui en profitent. En 1847, l'honorable M. Rogier fit élaborer un projet de loi qui tendait à obliger les propriétaires riverains à concourir, dans une certaine mesure, aux dépenses des travaux propres à accroître la valeur de leurs immeubles. Mais on reconnut bientôt que, de même que la loi de 1807, cette loi nouvelle présenterait de grandes difficultés dans son application, et elle fut abandonnée.

Enfin le 21 avril 1848, le ministre à la puissante initiative duquel la Belgique doit la réalisation de tant de grandes idées, M. Rogier, soumit à l'examen des conseils communaux des grandes villes et des députations permanentes, un projet de loi qui permettait l'expropriation d'une zone longitudinale le long des rues à ouvrir ou à rectifier. Ce nouveau mode d'expropriation dont il a été si souvent parlé depuis, et qui, modifié, fut plus tard appliqué à Paris, était dès lors trouvé et formulé.

Pardonnez ces quelques détails historiques ; je me suis cru autorisé à vous les présenter, pour repousser un reproche qui nous est trop souvent adressé, celui de copier servilement ce qui se fait à l'étranger.

Quoi qu'il en soit, les communes, les députations permanentes ne furent pas d'accord sur la valeur de ce projet.

La majorité même y fut contraire et il ne fut pas présenté aux Chambres.

Cependant les vices de la législation de 1835, se faisaient sentir tous les jours davantage, et l'impossibilité d'assainir les quartiers à populations agglomérées et mal situées et réellement insalubres de nos grandes villes, était tous les jours mieux constatée.

Enfin, le gouvernement présenta et les Chambres votèrent, sans discussion, la loi de 1858, qui vint combler cette lacune.

Cette loi permet, lorsqu'il s'agit de l'assainissement d'un quartier, non seulement l'expropriation des terrains destinés à la voie publique, mais encore de tous ceux sur lesquels doivent s'élever les constructions comprises dans le plan des travaux projetés.

Je vous ai dit tantôt que le projet de 1848, qui permettait, d'une manière générale, l'expropriation par zones, avait été abandonnée après que le gouvernement eut reçu l'avis des conseils communaux et des députations permanentes.

Le conseil provincial de Liège et le conseil communal entre autres, le repoussaient formellement.

Le grand reproche qui était adressé à ce projet était d'être inconstitutionnel.

Quel motif de différence essentielle a pu épargner ce même reproche au projet de 1858, qui, ainsi que je vous l'ai dit tantôt, fut adopté par les Chambres presque sans discussion.

J'ai cru le reconnaître dans celui qui est invoqué à la page 2 de l'exposé des motifs qui accompagnait cette dernière loi. L'expropriation de la zone, y est-il dit, est commandée par des motifs de salubrité. « S'il est reconnu que, pour assainir un quartier ou une rue, l'administration doit pouvoir s'emparer des propriétés privées, pour les revendre avec emploi déterminé, et cet emploi doit être déterminé parce que la salubrité exige, comme le dit plus haut le même exposé, que la construction des maisons nouvelles soit faite d'après des règles déterminées.

Le rapport de M. de Brouckere détermine encore mieux le caractère particulier, spécial à la salubrité publique, de ce projet de loi.

Il dit à la page 3 : « Le projet qui vous est présenté, messieurs, étend, il est vrai, le droit d'expropriation au delà des terrains strictement indispensables à la voie publique. Mais en déterminant que ce droit est exclusivement accordé dans l'intérêt de la santé publique, la loi nouvelle devient un complément restrictif de l'interprétation à donner aux lois anciennes. »

Vous le voyez donc, c'est encore ici le caractère restrictif de la loi, qui lève les scrupules constitutionnels.

La loi qui vous est présentée aujourd'hui a-t-elle conservé le caractère tout à fait restrictif qu'avait la loi de 1848 ? Evidemment non, elle a repris, à peu de chose près, le caractère plus général qu'avait le projet de loi soumis au pays en 1848 par l'honorable M. Rogier. Elle n'a cependant pas, comme ce dernier, soulevé jusqu'ici les mêmes scrupules constitutionnels. J'ai cru devoir rappeler les divers projets de loi qui ont précédé celui-ci, pour avoir occasion d'en caractériser les différences ; les scrupules constitutionnels dont je vous parlais tantôt ont été (page 1055) combattus d'avance par l'éminent rapporteur de la section centrale et je n'ai nullement la prétention de vous faire accepter une démonstration contraire. Cependant comme la question est d'une gravité incontestable, j'ai cru devoir vous soumettre les motifs d'hésitation qui m'étaient restés après la lecture de son remarquable rapport.

C'est mû par le même motif que je vous soumettrai les objections qui se sont présentées à moi, touchant les deux autres précédents législatifs qui ont été invoqués par M. le rapporteur.

Il nous dit que dans la loi de 1837 sur les exploitations des mines, dans la loi de 1847 sur les défrichements des bruyères de la Campine, on a formellement reconnu le droit d'étendre l'expropriation à d'autres terrains que ceux qui doivent être incorporés à un service public.

Mais, messieurs, il me semble qu'il est difficile d'appliquer à la loi générale qui nous occupe les motifs tout à fait spéciaux qui ont pu déterminer le législateur lors de la discussion de ces deux lois.

Par la première, en effet, n'a-t-il pas voulu donner à l'exploitant de mines, le droit de mettre ses produits à la disposition du public, le droit de faire cesser l'enclave qui empêchait celui-ci d'en profiter ? Il en est évidemment ainsi. Cette loi ne fait qu'étendre à un cas tout à fait particulier et par une vraie nécessité sociale, le principe général contenu dans l'article 682 du code civil. Cet article a pour but de faire cesser les enclaves qui peuvent empêcher un propriétaire de tirer parti d'un bien foncier. (Interruption).

M. d’Elhoungneµ. - La loi est faite pour les cas où il n'y a pas d'enclaves.

M. Eliasµ. - La loi est faite pour parer aux inconvénients qui pourraient résulter d'enclaves au point de vue industriel.

M. d'Elhoungneµ. - Elle est faite pour donner de meilleurs chemins.

M. Eliasµ. - Le seul chemin convenable au point de vue industriel, c'est-à-dire celui qui permet à l'exploitant de soutenir la concurrence.

M. d'Elhoungneµ. - C'est le meilleur. D'ailleurs il faut qu'il y en ait plusieurs pour qu'il y en ait un meilleur.

M. Eliasµ. - Remarquez aussi avec quel soin cette loi fait reconnaître le droit du propriétaire en ne le faisant céder que devant une nécessité évidente, et moyennant le double de la valeur de son bien. Et cette même obligation de payer le double de la valeur sert de frein au désir que pourraient avoir les exploitants d'abuser de ce droit et, par conséquent, de garantie sérieuse au droit de propriété. Je ne comprends donc pas comment alors on aurait pu soulever la question constitutionnelle.

Dans le projet de loi qui vous est soumis, reconnaissez-vous de la même manière l'excellence du droit des propriétaires ? leur donnez-vous la même garantie contre les abus de la loi ?

Non, messieurs.

La loi de 1847 ne me semble pas non plus reposer sur les mêmes principes que la loi actuelle, ni pouvoir être invoquée ici. Cette loi avait-elle pour but de dépouiller les particuliers de leur propriété pour en investir un être moral, une fraction de l'Etat, la commune ?

Mais son but était contraire. La loi reconnaissait que les communes (êtres moraux) étaient peu capables de tirer parti des biens possédés par elles, et elle les obligeait de s'en dépouiller pour les faire rentrer dans le courant général de l'activité individuelle.

Ici, au contraire, vous prenez au particulier le bien qu'il possède, pour l'attribuer à la commune. Ce bien, il est vrai, la commune ne pourra pas le conserver, elle sera obligée de le revendre après transformation. Mais, quoi qu'il en soit, ce n'en est pas moins une communauté, un être moral que vous chargez de cette opération, qui trop facilement pourra dégénérer en spéculation.

Remarquez aussi quelle limite s'imposait la loi de 1847. Elle ne s'adressait qu'aux biens possédés par des communes qui ne savaient ou ne pouvaient en tirer profit. Elle s'arrêtait devant les biens possédés par des particuliers et même devant ceux des communes qui montraient de la bonne volonté. On leur reconnaissait alors assez d'aptitude pour tirer eux-mêmes profit de leurs biens. On reconnaissait enfin que ce profit particulier forme, en fin de compte, en se généralisant le profit général. Or c'est ce que vous ne faites pas.

Encore une fois donc il paraîtra difficile d'assimiler la loi actuelle à cette loi de 1847. Aussi, malgré ces deux précédents législatifs que vous invoquez, comprendrez-vous qu'il puisse rester quelques doutes sur la constitutionnalité de la loi actuelle.

Ces doutes, ces scrupules ne suffiraient pas à eux seuls pour faire repousser la loi, s'il était admis qu'elle est commandée par une impérieuse nécessité, soit même par une haute utilité publique.

Dernièrement l'honorable M. Pirmez développait devant vous cette thèse qui fut partagée par la majorité de cette Chambre et par moi qu'on ne devait pas interpréter la Constitution avec cette espèce de rigueur jalouse qui ferait que l'on devrait repousser toute mesure, même reconnue généralement bonne, par cela seul que l'on pourrait conserver de légers doutes, de légers scrupules, mais bien qu'on devait l'interpréter avec sagesse, avec prudence, et adopter l'interprétation qui s'accordait le mieux avec l'intérêt public dûment reconnu.

Si donc il était admis que la loi actuelle est commandée d'une manière impérieuse par l'intérêt public, qu'elle est le seul moyen de le satisfaire, les doutes, les scrupules constitutionnels, dont j'ai eu l'honneur de vous entretenir, ne devraient pas vous arrêter.

Mais, si au contraire, il vous est démontré que la loi actuelle n'est pas commandée par une impérieuse nécessité, qu'elle ne rendra pas les services qu'on attend d'elle, qu'elle ouvre la porte à des abus, et compromet une des bases de toute société civilisée, le droit- de propriété, oh alors, vous n'hésiterez pas à la repousser.

Ces divers points, je n'ai certes pas la prétention de vous en faire une démonstration complète. Ils ont fait l'objet des méditations des meilleurs esprits de cette Chambre, et je ne veux que vous présenter les quelques objections qu'ont fait naître en moi l'exposé des motifs et le rapport de la section centrale.

Et d'abord pour justifier la nécessité du projet actuel, ces deux documents vous disent que la loi de 1858 n'a pu être appliquée d'une manière assez générale, qu'elle n'a pas rendu les services que l'on en attendait.

« On considéra, dit l'exposé des motifs, la loi comme ayant l'assainissement des parties insalubres des villes pour seul et unique but, et par une déduction rigoureuse (trop rigoureuse en effet), on en subordonna l'application à la condition que tous les immeubles compris dans le plan des travaux projetés fussent entachés d'insalubrité. » Aussi, les cas d'application furent-ils rares, et de là naquirent les plaintes des administrations communales.

La même idée se retrouve à la page 5 du rapport de la section centrale. Il semblerait dès lors qu'il suffirait d'en revenir à une interprétation plus large, plus exacte de la loi de 1858 pour faire taire ces plaintes, pour satisfaire toutes les nécessités sociales actuelles.

Et comme, en dernière analyse, c'est M. le ministre de l'intérieur qui a le droit de faire cette interprétation, il me paraît qu'il suffirait de le voir se débarrasser de ses scrupules exagérés. Personne, je le suppose, ne l'en aurait blâmé.

Il aurait même pu, à la rigueur, nous associer à cette interprétation lus large, et faire soulever la question dans cette enceinte.

Je crois qu'aucun de nous n'aurait hésité à se prononcer, et que l'opinion qui aurait consisté à dire que la loi de 1848 pouvait s'appliquer non seulement lorsque tous les immeubles étaient insalubres, mais lorsque l'ensemble des travaux avait l'assainissement pour but principal, indépendamment de l'état de chacun des biens à exproprier, que cette interprétation, dis-je, aurait été admise sans contestation sérieuse et dès lors la loi actuelle, qui va bien au delà de cette interprétation, n'aurait plus été réclamée, avec énergie, ne serait plus devenue nécessaire.

Malgré cela, je n'hésiterais pas à l'admettre si elle pouvait rendre les services merveilleux que M. le rapporteur nous a si brillamment exposés.

La loi, nous dit il, fera disparaître de nos villes les causes d'insalubrité dont l'épidémie de l'an dernier a démontré l'existence avec une si effrayante énergie ; et par la création de quartiers nouveaux, elle procurera à nos classes nécessiteuses des logements convenables et abondants. Ces résultats seraient magnifiques. Malheureusement, je doute qu'ils puissent être atteints. Sans doute, la loi pourra avoir pour effet de faire ouvrir de grandes rues dans les parties les plus agglomérées des villes ; au lieu des maisons à l'aspect misérable qui les déparent, vous veniez s'élever de belles maisons neuves, grandes, spacieuses, et elle, n'aura jamais pour effet de faire construire une plus grande quantité de maisons, d'un loyer plus bas et pouvant remplacer les anciennes.

Les quartiers populeux qui existent encore dans nos grandes villes sont en général situés au centre ou près du centre. Lorsque vous aurez fait disparaître les masures qui s'y trouvent, les terrains sur lesquels elles sont bâties acquerront une plus-value considérable, et de là ces terrains seront vendus à haut prix, pour y élever des maisons d'un fort loyer. Ces deux conséquences sont du reste nécessaires et prévues par la loi, puisque les communes comptent sur cette plus-value pour faire leurs dépenses.

(page 1056) Les gens qui habitaient ces masures les auront donc perdues sans espoir de pouvoir jamais habiter les hôtels qui les remplaceront.

Mais on construira, nous dit-on, de nouveaux quartiers dans d'excellents emplacements, où les ouvriers trouveront des logements sains, commodes et à bas prix.

Messieurs, je doute fort qu'il en soit ainsi.

Depuis bientôt vingt ans, nous avons vu détruire une quantité énorme de ces maisons, et jusqu'ici je n'ai pas encore aperçu la corrélation existante entre cette destruction et la construction de maisons neuves. Jusqu'ici cette destruction n'a encore eu pour résultat que d'entasser dans les taudis qui restaient dans les quartiers voisins, la population qui était chassée des quartiers abattus. J'ai presque toujours vu aggraver le mal au lieu de le voir corriger.

Mais, me dira-t-on, la loi ancienne ne permettait pas la création de ces quartiers neufs. C'est vrai. Mais elle ne l'empêchait pas non plus ; je crois même qu'elle y était plus favorable que celle que nous allons voter. Sous son empire, du reste, il s'est construit, après quelques années de souffrances, un nombre considérable de maisons d'ouvriers.

La loi nouvelle ne permettra pas de construire ces quartiers nouveaux avec plus d'économie que la loi ancienne. Je pourrais même dire plus, c'est que l'intervention de l'autorité ne fera que faire renchérir immédiatement le prix de ces constructions ; l'intervention de l'autorité, les conditions qu'elle impose, produisent toujours cet effet-là.

En voulez-vous une preuve ? Décrétez que l'application de la loi aux constructions existantes ne pourra être faite que si ces habitations sont remplacées auparavant par des habitations nouvelles construites sur leur territoire, et immédiatement vous verrez ces administrations communales, si désireuses aujourd'hui de voir voter celle loi, y renoncer. Elles reconnaîtront elles-mêmes qu'elles seraient impuissantes pour faire faire les constructions dans des conditions aussi économiques, aussi avantageuses que l'industrie privée. Elles perdraient ainsi tout l'avantage que la revente des premiers terrains pouvait leur procurer.

On nous dit cependant que les administrations communales se montreront prévoyantes et qu'elles feront reconstruire des habitations nouvelles avant de détruire les anciennes. On cite l'exemple de Paris et de Bruxelles. Quant à Paris, qui de nous ne se rappelle les plaintes soulevées par le manque d'habitations d'un prix abordable pour les ouvriers pendant les premières années des grandes démolitions de l'édilité actuelle ? Qui ne se rappelle l'état misérable dans lequel les ouvriers se sont trouvés pendant longtemps dans cette capitale ? Paris a été agrandi depuis du territoire de presque toutes les communes voisines, et l'industrie privée, s'emparant des terrains immenses mis à sa disposition par l'ouverture des larges voies nouvelles, a apporté un remède à cette situation déplorable en construisant un grand nombre de maisons de tous les prix.

Les classes nécessiteuses ont fini par profiter des avantages que cette transformation leur procurait grâce à la construction d'un certain nombre de maisons de cette espèce.

Mais jusqu'ici je ne sache pas que l'on ait pris les mesures nécessaires pour cette construction. Nous savons cependant que les démolitions sont déjà commencées. IL y aura donc ici même un moment de gêne. Du reste comme ces maisons seront construites sur le territoire d'une commune voisine, elles seront peu goûtées par la population bruxelloise.

Mais il est un autre motif qui a engagé ces populations à venir se loger dans ces maisons. C'est qu'elles étaient construites sur le territoire même de Paris, et qu'en cas de maladie, d'accidents, leurs habitants étaient certains de ne pas être privés des secours de tout genre que peut mettre à leur disposition la charité publique et privée d'une ville aussi importante et qui offre tant de ressources.

Mais il n'en sera pas de même dans nos grandes villes ; leur territoire est restreint. Le haut prix des maisons en chassera bientôt les classes inférieures de la société, et ainsi celles-ci seront privées des institutions charitables que nos ancêtres avaient fondées pour elles.

Aussi, concevez-vous avec quelle répugnance les pauvres de ces villes quittent leur territoire pour aller habiter des maisons d'un loyer plus bas dans les villages voisins.

Du reste, encore une fois, vous n'aurez la garantie de voir élever les maisons que si vous en imposez l'obligation dans la loi, et dès lors celle-ci deviendra tellement compliquée que son application sera difficile, sinon impossible.

Au point de vue de la classe ouvrière, je pense donc que la loi n'aura pas les bons effets qu'on en attend.

Mais au moins cette loi conserve-t-elle les garanties que la loi de 1858 avait accordées aux propriétaires, aux expropriés ?

Le rapport de la section centrale semble le dire lorsqu'il rappelle les garanties nouvelles que la loi de 1858 avait ajoutées à celles des lois de 1810 et de 1835.

il vante notamment, à la page 5, l'institution de la commission, et ensuite le droit laissé aux propriétaires d'exécuter eux-mêmes les travaux s'ils trouvent que la spéculation est essentiellement avantageuse.

Messieurs, de ces deux garanties, permettez-moi de vous le dire, il me semble à moi que la première a disparu complètement dans le projet de loi actuel et que la seconde n'a jamais été bien sérieuse

Voyez plutôt. Sous l'empire de la loi de 1858, les membres de la commission avaient une base fixe pour décider de l'applicabilité de la loi.

D'après leurs connaissances spéciales, il leur était facile de déterminer si l'état des lieux renfermait des causes d'insalubrité, et si les travaux projetés avaient pour but, dans leur ensemble, de détruire ces causes d'insalubrité. Aujourd'hui il suffira que les travaux améliorent à un point de vue quelconque, pour que la loi soit déclarée applicable. Rien de plus vague, de plus indéterminé que ce mot « améliorer ».

Suffira-t-il que la voie nouvelle apporte un peu d'air à un groupe d'habitations, qu'elle raccourcisse les distances ? Ne suffira-t-il même pas qu'ouvrant une voie parallèle aux rues voisines elle donne de nouveaux terrains à la bâtisse ?

Autant vaudrait dès lors se passer de cet avis qui ne pourra plus avoir de base certaine et dire que le gouvernement sera seul appréciateur de l'utilité généralement quelconque du travail projeté.

L'application de la loi est donc laissée en définitive à l'appréciation arbitraire du conseil communal et du gouvernement.

Cet arbitraire devient surtout dangereux lorsqu'on considère que cette loi, par un autre changement à la loi de 1858, pourra devenir d'une application journalière. L'article premier de cette loi spécifiait les cas d'application. Ces cas comprenaient toujours un certain ensemble travaux. Il n'en sera plus de même aujourd'hui.

L'article premier, admis par la section centrale, propose de supprimer tous les cas particuliers qui étaient énumérés dans la loi précédente. Au lieu de se rapporter à l'amélioration d'un quartier, il suffira qu'il se rapporte à une partie de quartier, de telle sorte que, ainsi que le déclare le rapport à la page 14, il y aura ensemble de travaux lorsque pour redresser seulement une rue, il faudra démolir quelques maisons peut-être une ou deux. Il est bien entendu toutefois qu'il est nécessaire que la ville ait prévu que l'on pourrait reconstruire une ou plusieurs maisons sur l'emplacement devenu libre, et qu'elle ait eu l'idée d'imposer un plan ou simplement des conditions aux particuliers qui voudront le faire. La loi nouvelle sera ainsi presque toujours applicable.

Les particuliers ne sauront donc plus, dans le cas où ils habiteront des maisons qui ne seront pas tout à fait dans l'alignement, quelle loi leur sera appliquée. Ils ne sauront si on leur appliquera la loi de 1835 et ainsi s'ils auront la faculté de rebâtir sur le terrain reniant, la possibilité d'habiter encore la même rue, d'y continuer leur commerce ou bien s'ils seront tout à fait expulsés d'après la loi nouvelle et s'ils devront chercher à aller s'établir définitivement ailleurs.

Mais, me dira-t-on, vous exagérez. L'article 6 nous permet d'échapper à la triste nécessité de subir l'expulsion.

Sans doute. Mais il faut pour cela que l'exproprié s'entende, s'il n'est pas seul propriétaire des terrains, avec la majorité de ses voisins. Il faut, en outre, qu'il se soumette à l'exécution d'un plan fait par un architecte officiel et corrigé par un conseil communal ou tout au moins des conditions, des servitudes légales extraordinaires.

Les constructions élevées d'après ces plans ont l'aspect le plus triste et ne répondent aucunement au goût, aux besoins des personnes qui les habitent. D'une monotonie, d'une uniformité désespérantes, elles engendrent la mélancolie, le spleen. Chez nous ces habitations subissent une dépréciation parce qu'elles manquent du cachet individuel que recherchent avant tout ceux qui ont le désir d'être propriétaires, d'avoir une maison à eux.

Mais il y a plus. C'est que, d'après votre projet, le propriétaire pour conserver le droit de rebâtir sur sa propre chose, est exposé à devoir payer à un faiseur de plans quelconque une espèce de droit d'inventeur. Je veux ici parler du paragraphe 5 de l'article 6 de la loi de 1858 et vous montrer tous les dangers que son application peut présenter, surtout si vous le combinez avec l'extension admise par la loi actuelle.

(page 1057) Cet article stipule que le propriétaire, pour pouvoir reconstruire sur son propre fonds, devra payer une indemnité aux demandeurs en concession s'il sont auteurs des plans.

Est-il possible de rien imaginer de plus vexatoire pour ce propriétaire. Comment ? Il jouissait paisiblement de son bien conformément à ses goûts, à ses intérêts. Un homme s'est présenté qui a démontré à l'autorité communale que cette manière d'user de ce bien était contraire à l'utilité publique, qu'il y a moyen d'en tirer un plus grand profit.

L'autorité communale aura reconnu cet intérêt public, et alors pour avoir le droit de conserver son bien, le propriétaire devra non seulement lui donner une destination contraire à ses goûts, mais encore indemniser de ses peines l'homme qui a bien voulu se donner celle de le tracasser ! Messieurs, une loi qui peut aboutir à des conséquences aussi injustes, qui sera aussi contraire au repos des propriétaires ne sera pas bien acceptée dans le pays.

Mais, me dira-t-on, ces cas ne se présenteront pas. Personne n'imaginera de pareilles entreprises.

C'est une erreur.

Il en sera de ce droit ce qu'il en a été d'un droit analogue pour l'invention, l'idée des autres travaux d'utilité publique. La loi accorde un droit de préférence à l'auteur de plans de chemins de fer nouveaux, de ponts sur nos fleuves, rivières et canaux. En cas d'exécution par d'autres de ces travaux, un droit d'indemnité à titre d'inventeur leur est réservé.

Qui de vous ne se rappelle la quantité de plans de toute nature qui vous ont été produits rien que pour l'obtention de ce droit éventuel à l'indemnité ?

Les auteurs de ces plans n'avaient aucun moyen d'exécution ; pas un liard à mettre dans l'affaire, ils n'en avaient pas moins de grandes prétentions, et ils devenaient ainsi de vrais obstacles lorsqu'il se présentait des sociétés sérieuses capables de réaliser ces travaux d'utilité publique.

Ce déluge d'auteurs de plans demandera des concessions de toutes sortes ; on est arrivé à un tel point, que vous avez dû augmenter les garanties d'exécution que vous exigiez des demandeurs de concessions.

Si ce droit à indemnité pour les projets de routes, ponts, etc., en a fait éclore un si grand nombre, à plus forte raison en sera-t-il de même dans le cas actuel. Aujourd'hui rien ne serait plus facile que de trouver vingt projets de cette espèce plus ou moins, tous utiles au public dans une ville comme Bruxelles ou Liège, et ces projets pourraient même être lucratifs. A la seule inspection d'un plan d'une de ces villes, vous verrez qu'il est possible même sans s'éloigner du centre, de tracer des rues nouvelles à travers d'anciennes grandes propriétés, à travers de grandes cours ou jardins.

En choisissant bien le tracé on rencontrerait peu de bâtiments à démolir, par conséquent pas de grandes dépenses à faire pour rendre de grands espaces de terrains propres à la bâtisse.

Nos sociétés immobilières aujourd'hui un peu gênées dans leurs opérations se verront ouvrir par votre loi un grand et riche champ de spéculations. Tous les jours les propriétaires verront surgir des plans dans lesquels leur bien passera tout entier, tous les jours on publiera des brochures dans lesquelles on leur démontrera sans trop d'égards qu'ils ne sont que des ignorants, des êtres bornés, qui ne savent pas tirer parti de ce qu'ils ont et que l'intérêt public exige que d'autres se mettent en leur lieu et place pour exécuter ce qu'eux ne savent pas faire. Dès lors on ne pourra plus dire qu'ils sont paisibles possesseurs de leur chose, ni que le droit de propriété est le droit d'user et même d'abuser.

Ce sont surtout ces conséquences probables de la loi qui ne me permettent pas de la voter.

Je sais qu'il existe un moyen infaillible de corriger ces conséquences fâcheuses de la loi, ce serait de ne pas accorder à l'inventeur, au spéculateur la plus-value des terrains longeant les rues à ouvrir. Déclarez que le propriétaire profitera seul de la spéculation faite avec son bien, que la plus-value résultant de l'extension des travaux commandés par l'intérêt public, lui appartiendra, et immédiatement vous verrez disparaître tous les inventeurs qui ne se disent mus que par le désir d'être les bienfaiteurs de leurs concitoyens ; la loi elle-même disparaîtra, tout danger aura cessé pour le droit de propriété.

C'est donc l'attribution de cette plus-value à la commune, à un autre que le propriétaire, qui est cause de ce danger. Mais à quel point de vue cette plus-value peut-elle appartenir à celui qui exécute des trav aux d'utilité publique ? Je uc le sais trop.

Et d'abord il avait été admis jusqu'ici que l'exécution de ces travaux devait être regardée comme indifférente aux particuliers quand cette exécution ne frappait pas directement leurs biens.

Tous les jours l'Etat, les provinces, les communes exécutent des travaux qui diminuent la valeur d'une certaine quantité de biens. Qui ne se rappelle la perturbation immense apportée dans ces valeurs par la création des premiers grands chemins de fer ?

Les propriétés bâties le long des grandes routes perdirent immédiatement la plus grande partie de leur valeur. Toute l'industrie du roulage fut perdue.

L'Etat offrit-il d'indemniser les propriétaires de ces biens ? Non, messieurs, et il eut raison, car en ouvrant ces chemins de fer il ne faisait qu'user de son droit. Il ne demanda pas non plus à profiter de la plus-value acquise aux biens situés autour des stations. Cette plus-value resta aux propriétaires.

Tous les jours les villes ouvrent des rues parallèles à des rues déjà existantes, et viennent ainsi diminuer la valeur des biens situés dans les rues anciennes.

Les villes n'offrent aucune indemnité pour ces diminutions, et cela est juste, car ces diminutions arrivent par suite d'une exécution de travaux faite en vertu d'un droit absolu. Mais s'il en est ainsi de la diminution de valeur, il doit en être de même de l'augmentation.

On nous dit : cette plus-value n'a pas été créée par le propriétaire. Elle l'a été par la commune, donc elle doit lui appartenir. J'ai regretté de trouver l’énonciation de ce principe dans le rapport de la section centrale. Voici ce qui y est dit : « Il n'existe aucun motif ni de justice ni d'équité, d'enrichir les propriétaires en leur laissant le bénéfice de cette plus-value qui est le fruit des sacrifices faits par la généralité. »

L'exposé des motifs contient le même principe.

Pour repousser l'introduction dans nos lois d'un principe aussi nouveau, je ne crois pouvoir mieux faire que de vous lire le passage suivant, d'un article publié dernièrement dans la Revue de droit administratif : « Au fond la question qui s'agite ici n'est autre que celle de la part du capital dans l'accroissement des richesses. Proudhon, le célèbre socialiste, a soutenu que le travail seul est productif et que le capital n'a droit à rien. C'est le même principe que nous retrouvons dans le rapport de l'honorable M. Laurent. Il y est dit en effet que la ville qui fait faire les travaux produit seule la plus-value, des propriétés voisines et que c'est elle seule en conséquence qui doit en profiter. En vain le propriétaire exproprié répond-il que la plus-value est inhérente à sa chose, qu'elle en est l'accessoire obligé et dérive en partie de la valeur qu'il a donnée à son bien. En vain dit-il que si la ville donne une nouvelle valeur à sa propriété, le bénéfice ne peut en être réalisé qu'au moyen de celle-ci. On ne tient pas compte de ce côté de la question. »

El nous ajouterons que la ville n'a pas exécuté ces travaux pour créer cette plus-value, qu'elle est indépendante de sa volonté, que ces travaux pour lesquels je suis obligé de faire le sacrifice de ma propriété, avaient un tout autre but que l'augmentation de sa valeur ; et que par conséquent elle n'a aucun droit à l'acquisition de cette plus-value que je n'ai pas demandée.

Si ce principe nouveau que l'expropriant a droit à la plus-value est vrai pour les villes, il l'est aussi pour l'Etat et les provinces.

Il le serait même pour les compagnies qui exécutent de grands travaux d'utilité publique pour les particuliers.

Inutile de vous montrer quelles conséquences on pourrait tirer de ce principe.

Vous saurez les déduire mieux que moi, et elles vous en feront voir immédiatement les dangers.

Est-il vrai, du reste, qu'il ne soit tenu aucun compte à l'expropriant de la plus-value acquise au restant de la propriété de l'exproprié ?

Non, messieurs. Les experts doivent y avoir égard pour la fixation de l'indemnité.

Et si, en Belgique, ils n'y avaient pas assez égard, vous pourriez leur en faire un devoir formel et insérer dans votre loi une disposition semblable à l'article 51 de la loi française de 1841 :

« Si l'exécution des travaux doit procurer une augmentation de valeur immédiate et spéciale au restant de la propriété, cette augmentation sera prise en considération pour l'évaluation du montant de l'indemnité. »

Sous l'empire de cette législation on a vu évaluer à 5 francs l'hectare l'indemnité à payer à un propriétaire pour l'emprise faite à sa propriété pour la station du chemin de fer de Strasbourg à Paris.

M. Mullerµ. - On ne lui a rien donné alors.

(page 1058) M. Eliasµ. - On lui a donné une indemnité illusoire, dites-vous. (Interruption.) Pardon, vous allez plus loin, vous lui prenez non seulement la partie de sa propriété qui est nécessaire pour l'exécution du travail d'utilité publique, mais s'il lui reste encore un bout de terrain, vous vous en emparez encore pour profiter du bénéfice qu'il doit produire par la plus-value qu'il peut acquérir. Voilà précisément où le principe que vous adoptez va infiniment plus loin que ne le veut le décret du gouvernement français.

Quoi qu'il en soit, messieurs, j'entends toujours invoquer, pour justifier la loi actuelle, la loi française de 1852.

Mais dans la loi qui vous est présentée on va bien au-delà de ce qui est contenu dans ce décret impérial.

Le décret est bien timide en comparaison de notre loi. Que contient en effet ce décret ?

C'est qu'en cas d'expropriation pour l'élargissement, le redressement ou la formation des rues des villes, l'administration aura le droit de comprendre dans le projet la totalité des immeubles atteints, lorsqu'elle jugera que les parties restantes ne sont pas d'une étendue ou d'une forme qui permette d'y élever des constructions « salubres. »

Nous sommes donc bien loin du projet de loi actuel, qui dans tous les cas permet aux communes de s'emparer de tous les terrains qui longent la rue.

Si ce droit accordé aux grandes villes françaises par le décret de 1852, était entouré de garanties sérieuses contre les abus qui pourraient se glisser dans son exercice, si les propriétaires étaient certains qu'il n'en serait pas abusé, je serais assez disposé à admettre le principe de ce décret dans nos lois générales sur les expropriations.

Il apporterait un remède réel au mal qui est signalé aujourd'hui et qui consiste en ceci : Les villes ont fait de grandes dépenses pour élargir une rue malsaine. Le long de ces rues élargies à grands frais sont construites des maisons sur des terrains tellement exigus qu'elles deviennent en peu de temps aussi malsaines que les anciennes.

Il est un second point qu'on oublie, lorsqu'on invoque le décret impérial, c'est que la fixation de l'indemnité est faite en France d'une toute autre manière qu'en Belgique.

Là un grand jury composé de propriétaires, de commerçants, d'industriels, évalue l'indemnité qui est due non seulement aux propriétaires mais encore aux locataires.

On nous dit que l'application du décret n'a soulevé aucune réclamation, mais on oublie encore que le jury a continuellement fixé des indemnités tellement fortes que l'on a fini par regarder comme très heureux ceux qui étaient expropriés.

On a donc retourné à Paris l'adage ancien et l'on y dit : « Bienheureux sont ceux qu'on dépossède ! »

Les locataires notamment, les commerçants pour leurs fonds de commerce ont eu des allocations tellement fortes, que plusieurs, si pas presque tous, ont réalisé immédiatement par là le bénéfice qu'ils n'auraient réalisé qu'en continuant leur commerce pendant de longues années encore. Aussi l'état des finances de la plupart des grandes villes de France s'est-il ressenti de cette législation. Cet état, vous le connaissez tous mieux que moi. Dans un de ses derniers discours, M. Thiers l'a dépeint d'une manière trop frappante, pour qu'il soit encore ignoré de vous.

Aussi n'est-ce pas à ce résultat que l'on veut arriver et ne vous propose-t-on pas l'institution d'un grand jury pour fixer les indemnités.

Ne vous appuyez donc plus sur une législation si différente de celle que vous proposez. Mais si, pour justifier votre loi, vous invoquez la législation de l'empire français, ne pourrais-je pas à mon tour invoquer d'autres législations étrangères, pour justifier mon opposition ?

Ne pourrais-je pas invoquer la législation anglaise, qui exige une décision du parlement pour décréter un travail quelconque d'utilité publique, et qui règle dans chacun de ces actes les conditions particulières de l'expropriation.

La législation américaine qui ne permet l'expropriation que pour une route, une rue, un chemin de fer ou un canal, que pour les travaux en un mot dont l'emplacement est déterminé par la nature elle-même.

Cette législation refuse donc l'expropriation pour la construction des églises, des hôpitaux, même des écoles. Voilà le respect que montre pour le droit de propriété cette république démocratique.

Et, à ce propos, le savant M. Laboulaye observe très judicieusement que c'est dans les pays vraiment libres que l'on montre, et qu'il est nécessaire de montrer, ce grand respect pour un droit, qui est un des plus grands mobiles de l'activité humaine et une des bases de l'ordre social.

Dans un de ses derniers ouvrages, il met les paroles suivantes dans la bouche d'un Américain de vieille roche :

« Plus un pays est démocratique, plus il est nécessaire que l'individu soit puissant et sa propriété sacrée. » Et plus loin il ajoute : « Une nation libre est une nation où chaque citoyen est maître absolu de sa conscience, de sa personne et de ses biens. Le jour où, au lieu de nous parler de nos droits individuels, on nous parlera de l'intérêt général, c'en sera fait de l'œuvre de Washington. Nous serons une foule, et nous aurons un maître. »

Ce sont, messieurs, les mêmes principes qui me guident dans mon opposition au projet de loi actuel.

M. Lelièvreµ. - Je demande la parole.

- Voix nombreuses. - Non, non. A demain.

- La séance est levée à 5 heures.