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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 25 mai 1867

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboomµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1093) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à une heure et un quart.

M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moorµ présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Des négociants de Liège demandent la création d'une seconde chambre au tribunal de commerce de cette ville. »

- Renvoi à la commission qui a examiné le projet de loi sur l'organisation judiciaire.


« Des habitants de Bruxelles demandent la révision des dispositions légales concernant les frais de protêt. »

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Le conseil communal de Gand prie la Chambre d'ordonner le démantèlement de la citadelle de cette ville. »

M. de Kerchove de Denterghemµ. - Messieurs, j'ai l'honneur de proposer à la Chambre de renvoyer cette pétition à la commission des pétitions, avec demande qu'elle s'en occupe dès la rentrée de la Chambre.

M. Jacquemynsµ, M. d'Elhoungneµ et d'autres membres. - Appuyé.

- Cette proposition est adoptée.


« L'administration communale d'Alveringhem demande l'exécution des travaux nécessaires pour mettre cette commune à l'abri des inondations. »

M. de Smedtµ. - Messieurs, le conseil communal d'Alveringhem demande par la pétition dont vous venez d'entendre l'analyse que les travaux interrompus à l'Yser soient continués cet été.

Celte réclamation a fait l'objet de l'interpellation que j'ai cru devoir adresser hier au gouvernement. Comme nous allons probablement nous séparer aujourd'hui, une demande de prompt rapport serait sans utilité ; je me bornerai donc à déclarer que lorsque cette pétition sera portée à l'ordre du jour de la Chambre à notre prochaine convocation, j'appellerai de nouveau l'attention du gouvernement sur ce grand et utile travail.

MpVµ - M. de Smedt, que demandez-vous ?

M. de Smedtµ. - Je demande, M. le président, que cette pétition soit simplement renvoyée à la commission des pétitions ; un prompt rapport ne pouvant être utilement demandé en ce moment.

- Adopté.


Par autant de messages en date du 24 mai, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté dans sa séance du même jour les trois projets de loi indiqués ci-après :

« 1° Le projet de loi relatif à la révision des évaluations cadastrales ;

« 2' Le projet de loi portant érection de la commune de Pironchamps, province de Hainaut ;

« 3° Le projet de loi qui autorise le gouvernement à conclure avec la ville de Tournai un échange de terrains. »

- Pris pour notification.


« M. Funck, obligé de s'absenter pour une affaire urgente, demande un congé d'un jour. »

- Accordé.

Motions d’ordre

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, je voulais prévenir M. le ministre de la guerre que je lui ferais aujourd'hui une interpellation ; mais comme le fait sur lequel cette interpellation porte est sans doute à la connaissance des ministres présents et que c'est aujourd'hui probablement la dernière séance de la session, je crois que je puis leur soumettre la question sur les faits que j'aurai à signaler.

Je demanderai pour quels motifs on a brusquement appelé les contingents en congé illimité de 1865 et de 1864, portant ainsi la perturbation dans les travaux de la campagne et causant un grave dommage à la plupart des familles qui ont des miliciens dans ces contingents. Je ne sache pas que nous soyons sur le point d'être envahis.

Je demanderai donc à MM. les ministres présents pourquoi on a fait ce rappel.

MfFOµ. - Messieurs, j'ai ouï parler du fait dont l'honorable membre vient d'entretenir la Chambre ; je pense que l'appel des miliciens dont on parle a eu lieu à cette époque, pour éviter de les appeler à l'époque de la moisson. Je crois que c'est une facilité qu'on a voulu donner aux miliciens, au lieu de leur imposer une charge nouvelle.

Quant au rappel de classes assez anciennes, c'est par la nécessité où l'on est de vérifier quelle est la consistance de ces classes. Il faut bien qu'à certaines époques on puisse les rappeler. On ne peut avoir des miliciens pour les laisser uniquement dans leurs foyers ; ces miliciens, on doit les appeler sous les armes à certaines époques.

Voilà les motifs qui ont déterminé le département de la guerre à faire le rappel des classes dont il s'agit.

M. le Hardy de Beaulieuµ. - Je pense, messieurs, que la mesure n'est pas du tout normale, car si elle l'était, il est évident que je n'aurais pas reçu les plaintes qui me sont arrivées hier de toutes les parties de mon arrondissement, de la part de bourgmestres, aussi bien que de la part des habitants.

M. de Moorµ. - Messieurs, je crois que la mesure, au lieu d'être blâmée, doit être approuvée. Dans les campagnes, j'ai toujours entendu les cultivateurs réclamer le retour de leurs enfants au moment de la moisson. Or, c'était précisément à cette époque-là qu'on les appelait. Aujourd'hui on les a appelés deux mois plus tôt et d'après ce que j'ai entendu tout à l'heure au département de la guerre, ils seront renvoyés dans leurs foyers vers la fin de juillet, c'est-à-dire à l'époque de la moisson.


MfFOµ. - Comme il est probable que la Chambre se séparera dans un délai très rapproché, je demande la permission de faire imprimer éventuellement, après la séparation, les documents que nous croirons devoir communiquer à la Chambre relativement à la question de la réorganisation de l'année. Je pense que cela entrera dans les convenances de la Chambre.

Je demanderai aussi la permission de faire imprimer la réponse adressée par la ville d'Anvers au gouvernement, et qui sera suivie d'une réponse de mon département.

MiVDPBµ. - Par les motifs que vient d'invoquer M. le ministre des finances, je demande à être autorisé également à faire imprimer les rapports triennaux sur l'état de l'enseignement moyen et de l'enseignement primaire.

MpVµ. - S'il n'y a pas d'opposition, les pièces annoncées seront imprimées et distribuées.

Projet de loi relatif à l’expropriation par zones

Discussion générale

(page 1094) MpVµ. - Deux amendements ont été présentes. Ils sont ainsi conçus :

« N°1. Disposition additionnelle à insérer après l'article 3 du projet : »

« Les formalités relatives à la fixation de l'indemnité seront commencées dans les six mois de la publication de l'arrêté d'expropriation. Elles seront continuées sans interruption jusqu'au règlement définitif de l'indemnité, sous peine de déchéance de l'expropriant, sans préjudice de tous dommages-intérêts au profit des propriétaires, dont les biens auront été frappés d'expropriation. »

« N°2. Amendement à l'article 3 du projet :

« Ajoutez ce qui suit :

« Néanmoins, il sera ajouté à l'indemnité une somme égale au vingtième de la valeur vénale comprise dans l'indemnité. Il sera tenu compte aussi aux propriétaires des fruits ou revenus dont ils n'auront pas joui par suite de l'adoption du plan d'expropriation, depuis lors, jusqu'au payement de l'indemnité. »

Ces amendements sont signes : « Broustin. »

(page 1101) M. d’Elhoungne, rapporteurµ. - Messieurs, je viens remplir la mission dont la confiance de la section centrale m'a honoré. Je viens présenter à la Chambre quelques considérations pour établir que le projet de loi soumis à ses délibérations est non seulement nécessaire et constitutionnel, mais encore qu'il est juste, c'est-à-dire qu'il concilie ce que l'on peut exiger au nom de l'utilité générale dans une pensée d'humanité, de progrès et de sollicitude pour les populations urbaines, avec les droits, les ménagements et les garanties qu'il faut avant tout assurer à la propriété privée.

Que la Chambre me permette de lui signaler d'abord toute la simplicité du débat qui s'agite devant elle ; de lui montrer combien sont peu nombreuses et peu compliquées les questions que le projet de loi présente à résoudre. En effet, les amendements de la section centrale, auxquels le gouvernement s'est rallié, écartent d'abord de la rédaction le mot « embellir » qui avait éveillé certaines susceptibilités, et ils écartent ensuite non seulement l'article 3 du projet, mais encore l'article 9 de la loi du 1er juillet 1858 qui sera abrogé ; ce qui fait disparaître la limitation apparente de l'indemnité des propriétaires expropriés à la valeur vénale de leur immeuble à l'époque de l'adoption du plan des travaux.

Il ne reste donc que l'article premier, dans lequel se résume toute la loi, et qui, indépendamment du principe de l'expropriation par zones qui existe déjà dans notre législation, indépendamment de l'application de ce principe aux quartiers insalubres qui n'est critiquée par personne, se borne à faire du même principe deux applications nouvelles, l'une à l'amélioration des anciens quartiers, l'autre à la construction de nouveaux quartiers dans les villes. Voilà en réalité tout l'objet du débat, et je pense qu'ainsi ramené à toute sa simplicité, il doit me justifier aux yeux de la Chambre, de l'insistance que j'ai osé mettre à faire continuer la discussion et à provoquer le vote de la loi.

Messieurs, il y a un fait sur lequel tout le monde est d'accord, qui domine le débat et qui est l'objet de nos préoccupations à tous, c'est la condition déplorable dans laquelle se trouvent les classes ouvrières et souffrantes au sein de nos grandes villes, au sein de nos cités les plus populeuses et les plus florissantes. Personne ne peut le contester : c'est un fait qui a été éclairé, par la dernière crise, d'un jour tellement saisissant qu'il y aurait aveuglement à le méconnaître encore.

Et si quelqu'un, dans cette enceinte, pouvait conserver l'ombre d'un doute, je ne le renverrais pas à la statistique, c'est-à-dire, aux longues tables de mortalité qui, l'année dernière, ont été dressées dans nos villes ; mais je lui dirais de consulter les hommes de cœur et de dévouement, qui, placés à la tête de nos grandes cités, ont pu vérifier par eux-mêmes des misères dont la grandeur, dont l'intensité, dont l'horreur n'avait, jusqu'à présent, été soupçonnée par personne.

Il s'agit de changer cet état de choses. Il s'agit, dans la mesure de nos forces, par le concours, par la bonne volonté et l'énergie de tous, d'apporter un remède à cette situation déplorable. Ici encore, messieurs, je suis certain d'exprimer votre sentiment à tous. Sur le but à atteindre, il n'y a point de dissidence dans cette Chambre ; sa réalisation est notre vœu unanime et ardent. Mais la question du remède qui sera suffisant et efficace, est une question difficile et complexe : personne ne saurait le méconnaître.

L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, qui a des solutions toutes prêtes pour toutes les questions sociales, a cru devoir vous apporter aussi sa recette pour guérir un si grand mal.

Permettez-moi, messieurs, de faire disparaître avant tout de la discussion les moyens suggérés par l'honorable député de Nivelles. Ces moyens se réduisent, en vérité, à des procédés les uns bien vieux, bien usés, depuis longtemps condamnés, les autres d'un tel imprévu que l'honorable membre sera seul à les prendre au sérieux. L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu recommande d'abord le laisser faire et laisser passer : selon lui, on peut s'en rapporter ici à l'initiative individuelle et au stimulant de l'intérêt privé.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je demande la parole.

M. d'Elhoungne, rapporteurµ. - Mais il y a tant d'années que règne le laisser faire et laisser passer, qui est l'anarchie ; il y a tant d'années qu'on a laissé faire l'ignorance, quelquefois l'avidité des propriétaires, et trop souvent l'incurie à la fois des propriétaires et des administrations locales ! N'est-ce donc pas pour réparer les fautes accumulées du passé que nous sommes contraints à travailler aujourd'hui au remaniement en quelque sorte des villes, sous l'appréhension de ces maladies qui attaquent incessamment les populations et de ces épidémies qui les déciment ?

L’honorable M. Le Hardy de Beaulieu indique en second lieu le concours volontaire du public.

Mais je voudrais savoir quand on a répudié ou entravé le concours du public ? On l'a laissé faire, on l'aurait laissé passer assurément, tout comme on laisse faire et passer les théories de l'honorable membre.

M. Le Hardy de Beaulieu propose en troisième lieu un moyen dont, je dois le dire, l'originalité n'est pas contestable. Il veut qu’on emploie avec sagesse et même avec énergie, a-t-il dit, un moyen que les pouvoirs publics ont toujours à leur disposition : l'impôt ! Il faudrait, d'après lui, frapper d'une taxe très lourde les maisons condamnées des quartiers insalubres.

Mais qui le payerait, cet impôt ? Evidemment les malheureux qui végètent et languissent dans ces habitations impossibles.

Les propriétaires de ces propriétés exceptionnelles forment aussi un genre à part, qui ne brille pas par l'humanité et la générosité. Ils augmenteraient donc les loyers de tout le montant de la taxe. Si bien que, dans le système de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, on en est réduit à attendre ces incendies providentiels, qu'il a cités, de New-York et de Hambourg, qui opèrent la transformation soudaine d'une ville, pour en finir avec les quartiers insalubres, sans oublier sans doute le choléra et les épidémies pour en finir avec ceux qui les habitent.

C'est à un autre point de vue, plus sérieux mais insuffisant encore, que la législature a considéré la question lorsqu'on s'est occupé de l'assainissement des villes en 1858. La loi du 1er juillet 1858, qui est sortie de ce débat, est conçue dans la pensée que, pour porter remède au mal, il suffisait de s'attaquer directement au siège même du mal, c'est-à-dire, aux quartiers insalubres des villes.

La loi du 1er juillet 1858 consacre, en effet, l'expropriation par zones dans le but d'assainir, de régénérer, de transformer les quartiers insalubres. Cette loi ne va pas au delà. On se disait : Il y a là des foyers de toutes les maladies, où vivent entassées de malheureuses familles, et qui sont un danger permanent pour la ville entière : il faut les assainir, y percer des rues larges et aérées, y bâtir des maisons saines et bien disposées. C'était là le système de la loi de 1858.

Mais qu'est-il arrivé ? C'est que, pour faire tout cela, il fallait détruire d'abord et supprimer ces quartiers insalubres. Or, ce remède était incomplet et inefficace pour les malheureux, on s’est est aperçu bientôt. Comme l'honorable M. Elias le disait avec raison, comme l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu l'a dit également, quand on bât en brèche un quartier insalubre pour l'assainir en le détruisant et en le transformant, on fait bien disparaître un danger permanent au profit des autres quartiers de la ville ; mais les malheureux qui trouvaient là un réduit périlleux si l'on veut, mais enfin un abri, ces malheureux qu'en fait-on ? On les chasse, on les expulse, sans leur offrir, sans leur ménager un asile ailleurs. Où iront-ils ?

Iront-ils se réfugier dans les autres quartiers, et naturellement dam les moins salubres de la ville ? Mais ils ne feront qu'en accroître l'encombrement et l'insalubrité.

Et remarquez, messieurs, qu'il doit en être fatalement ainsi. L'honorable M. Elias le disait avec raison : lorsque, au milieu d'une ville, il y a un quartier habité par les classes pauvres et par les ouvriers, si vous le transformez, ce sera en général pour y élever des maisons destinées à être habitées par les classes plus aisées de la population. Au lieu d'y faire construire des maisons d'un loyer modique, à la portée et à la disposition des classes laborieuses et souffrantes, cette transformation leur enlèvera les habitations qu'elles avaient. Loin d'améliorer leur position, on la rendra plus mauvaise.

Sous ce rapport, les observations des honorables MM. Elias et Le Hardy de Beaulieu sont parfaitement justes. Mais elles frappent sur ce que l'on avait fait par la loi du 1er juillet 1858, puisque cette loi concentre le travail d'assainissement exclusivement sur les quartiers insalubres, puisqu'elle tend exclusivement à transformer, à assainir les quartiers entachés d'insalubrité, sans aller plus loin, sans rien faire de plus. C'est donc à la loi de 1858, que les honorables membres veulent maintenir, c'est à cette loi qu'en réalité s'appliquent leurs critiques quand ils disent que transformer un quartier insalubre, habité par les classes inférieures, l'assainir, y élever de belles maisons, ce n'est pas faire du bien aux pauvres, mais du mal ; ce n'est pas améliorer leur condition, mais l'aggraver.

J'admets donc les objections présentées sous ce rapport par l'honorable M. Elias, ainsi que les calculs de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu ; je leur concède qu'ils ont raison ; je reconnais que lorsqu'on concentre (page 1102) exclusivement l'opération sur les quartiers insalubres, on fait (il faut appeler les choses par leur nom), on fait une œuvre égoïste.

En effet, dans ces conditions, la destruction d'un quartier insalubre profite aux classes aisées parce qu'on supprime pour elles le voisinage d'un foyer pestilentiel ; mais pour les habitants du quartier supprimé, on ne fait rien, on aggrave même leur position. Mais, je le répète, ces reproches, c'est la loi de 1858 qui les mérite, tandis que la loi proposée a pour but de les faire disparaître ; et chose étrange, les honorables membres qui formulent ces reproches veulent le maintien de la loi de 1858 qui les mérite, et repoussent le projet de loi qui les fait disparaître. Le projet, en effet, complète l'œuvre de l'assainissement en y rattachant les mesures que le législateur de 1858 avait négligées.

Déjà, par l'aperçu que je viens de présenter à la Chambre, il devient facile à comprendre et il est démontré, je pense, qu'en même temps qu'on transforme et qu'on assainit un quartier insalubre, il y autre chose à faire ; il reste à s'occuper des infortunés qui habitaient ce quartier ; il reste à leur faire place ailleurs.

Il s'agit de leur ménager des habitations nouvelles où ils puissent vivre dans un milieu plus pur et dans des conditions plus convenables.

On arrive ainsi à aborder la question d'une meilleure répartition de la population urbaine, de sa distribution en quelque sorte sur un plus grand espace et dans des conditions meilleures pour l'hygiène et plus favorables pour le bien-être des masses.

On doit considérer dès lors l'œuvre difficile de l'assainissement des villes à un point de vue plus élevé, on doit l'embrasser d'une manière plus large et plus complète. On est, par cela même, forcé de reconnaître que ce n'est pas par des travaux restreints, concentrés sur les quartiers insalubres, qu'on parviendra à extirper le mal ; mais on reconnaîtra la nécessité d'agir sur la cité entière, d'en transformer successivement la surface entière, pour la rendre conforme aux lois de l'hygiène et conforme aux exigences de la salubrité, pour y ménager des habitations convenables et saines à toute la population, pour assurer aux plus pauvres comme aux riches, leur part légitime de ces bienfaits que la Providence a voulu donner à tous : l'air, la lumière et l'espace.

Or, l'assainissement ainsi compris implique ces trois idées : supprimer les quartiers insalubres, améliorer les quartiers défectueux, créer les quartiers qui manquent.

On ne saurait comprendre autrement la transformation de nos villes, dans l'intérêt de tous, pour la santé de tous, et pour la prospérité de tous.

On ne saurait mieux non plus justifier le projet de loi, dont l'objet ne se borne plus à assainir exclusivement les quartiers insalubres, mais qui tend franchement à transformer et à développer les villes pour les assainir.

La formule du projet de loi, « assainir, améliorer, embellir les anciens quartiers, et construire des quartiers nouveaux », cette formule n'a pas d'autre sens. Elle procède de cette conception plus élevée et plus complète de l'assainissement, qui en étend les bienfaits à toutes les parties des agglomérations urbaines et à toutes les classes de la population.

On fait ainsi deux choses, messieurs ; premièrement, on fait beaucoup pour les propriétaires en général, car on développe la valeur et l'on détermine la hausse des propriétés urbaines, qui reçoivent un élan que personne ne contestera de tous les travaux de transformation, d'amélioration et même d'embellissement des villes. En second lieu, on fait immensément pour la santé des populations ; la santé, qui est la vie, qui est le travail, les deux propriétés les plus sacrées que le pouvoir social ait à protéger et à entourer de sa sollicitude.

Voilà, messieurs, comment la section centrale a compris la portée et le but du projet de loi. Elle a pensé, déterminée par les considérations que je viens d'indiquer, que l'assainissement des villes ne consiste pas uniquement à supprimer ou à amender les parties malsaines, afin de protéger la population contre les causes et les foyers actuels d'insalubrité ; mais qu'il faut procéder d'après des vues d'ensemble, qui embrassent la cité entière, qui en opèrent la transformation successivement, mais énergiquement, et qui l'approprient enfin au bien-être et aux besoins des habitants de toute condition, en y faisant place pour tous, pour les pauvres comme pour les riches.

Maintenant le but étant bien défini, le projet nous donne-t-il les moyens de l'atteindre ? C'est là, je pense, ce qui soulève des doutes, parmi les honorables adversaires de la loi proposée. Ces doutes sont-ils fondés ? Je ne le crois pas,

Il y a des moyens de transformer les villes rapidement, merveilleusement.

Ici les faits parlent. Nous avons des expériences faites sur une échelle immense. Nous avons ce qui s'est fait à Paris, à Marseille, à Lyon, dont la transformation s'est opérée avec une promptitude et dans des proportions qui ne s'étaient jamais vues auparavant. Or, on a eu recours, pour cela, à une combinaison dont la simplicité égale la puissance (l'honorable M. Tack l'a proclamé lui-même), à l'expropriation par zones.

Ce moyen simplifie, en effet, l'opération parce qu'il dégage l'expropriation pour cause d'utilité publique d'une foule de difficultés, de complications, de pertes de temps : je citerai notamment les contestations relatives à la dépréciation, à la forme, à la suffisance d'étendue des parties de terrain qui restent aux propriétaires en dehors de l'alignement des rues et place publiques ; je citerai encore toutes les questions que ce système permet de trancher quant aux plans et à la destination des constructions nouvelles, ainsi que pour les délais de leur exécution.

Ce moyen est puissant, parce qu'il éveille l'esprit d'entreprise, de spéculation si l'on veut ; ce qui signifie qu'il appelle et qu'il attire les capitaux vers les achats de terrain et vers les entreprises de construction dans les villes ; qu'il stimule ces « faiseurs de projets, » que l'honorable M. Elias a eu tort de traiter avec tant de dédain puisqu'ils sont souvent les pionniers du progrès ; et qu'ainsi, ce système fait surgir les idées utiles et fécondes qui triomphent, au milieu d'un flot de conceptions moins heureuses ou mal digérées dont le bon sens public fait aisément justice.

Pour la transformation des villes, l'efficacité de l'expropriation par zones ne saurait être niée, pas plus que la clarté du jour, puisque nous avons sous les yeux en quelque sorte les miracles que ce système a enfantés dans les villes principales de l'empire français.

Ce système opérera-l-il avec la même efficacité, d'une manière aussi complète, dans l'intérêt des classes ouvrières ? Consultons les faits.

En France, lorsque l'expropriation par zones a débuté en transformant les vieux quartiers de Paris, on ne s'est pas assez préoccupé des demeures nouvelles qu'il fallait à la population laborieuse, écartée par ces travaux des tristes réduits qu'elle avait habités jusqu'alors. Il résulta de là de grandes souffrances, cela ne paraît pas contestable. Mais l'administration ne resta pas indifférente à cette situation, qui éveillait en même temps la sollicitude du gouvernement.

Personne ne méconnut que, dans ce prodigieux enfantement de travaux et de splendeurs, il fallait une part aussi aux travailleurs et aux déshérités. Aussi a-t-on réalisé depuis lors de remarquables progrès, sous ce rapport, et l'on a beaucoup fait pour multiplier les demeures et les logements d'ouvriers, nom seulement dans de bonnes conditions de situation et d'emplacement, mais aussi dans de bonnes conditions de construction et de disposition intérieure au point de vue de l'hygiène. De sorte qu'on peut dire que l'expropriation par zones, indispensable pour la réforme des quartiers insalubres, est aussi le premier moyen, le moyen essentiel pour réaliser le complément de cette réforme, en multipliant les habitations et logements d'ouvriers, qui manquent surtout dans les villes les plus peuplées.

Je ne prétends pas, messieurs, que l'expropriation par zones doive être une sorte de panacée qui suffira à tout. Je suis loin de l’espérer.

Mais il me paraît démontré qu'elle permettra de faire beaucoup et qu'on atteindra le but quand à cette combinaison viendra s'ajouter le concours de tous les pouvoirs et de toutes les forces qui doivent coopérer au succès. Il faut ici, messieurs, l'action de toutes les influences et de toutes les forces vives : l'impulsion et les subsides du gouvernement, ainsi que cela s'est fait en France sur une grande échelle, l'intervention active et efficace des villes, la participation des sociétés qu'une loi votée hier permet de doter de l'anonymat, le concours même de la charité privée que l'honorable M. Jacobs préconisait avec raison dans son discours ; en un mot la coalition de tous les hommes de bonne volonté et de tous les dévouements vers ce grand but de l'amélioration de la vie matérielle et de la condition morale des masses. Soyez convaincus, messieurs, que de tous ces efforts réunis, il sortira des bienfaits et des progrès considérables, tandis que le laisser faire et laisser passer auquel aboutirait le rejet de la loi, perpétuerait et aggraverait une situation qui nous révolte tous.

On a déjà a déjà invoqué dans ce débat ce qui s'est fait pour l'assainissement de la Senne, qui est, à coup sûr, la plus vaste expropriation par zones qui se fera jamais en Belgique. On a rappelé que l'administration communale de Bruxelles, justement préoccupée du sort des (page 1103) clauses inférieures, a stipulé qu'un nombre de 800 maisons (si je ne me trompe) sera construit par la société concessionnaire du travail, dans le but de pourvoir aux besoins des ouvriers et des malheureux que l'expropriation va priver de leurs demeures. C'est un précédent qui atteste comment on a compris et comment on devra comprendre toujours dans notre pays l'œuvre de la transformation des grandes villes.

A ce sujet, on a cherché à épiloguer. L'honorable M. Elias a demandé à l'honorable bourgmestre de Bruxelles, si son administration n'avait pas quelque arrière-pensée d'opérer l'extradition en quelque sorte des indigents de la capitale en les refoulant dans les communes suburbaines, qui sont, après tout, les filles, mais qui se montrent parfois les filles peu reconnaissantes de la capitale. Mais la question n'est pas là. Que les habitants de la classe peu aisée soient convenablement établis dans des quartiers nouveaux au sein de la ville, ou qu'on leur assure des habitations saines, convenables et économiques dans les faubourgs, qu'importe ? Le problème sera résolu du moment qu'en dehors de ces vieux quartiers malsains et sordides qu'on détruit pour les transformer, il aura été établi des constructions pour ménager à la population qu'on déplace un refuge suffisant dans des conditions de salubrité meilleure.

Messieurs, lorsque dans notre pays il y a un but que tout le monde veut atteindre parce que c'est l'accomplissement d'un devoir public, est-ce que le doute, est-ce que l'hésitation est possible ? Or, la question du sort des classes ouvrières est une de ces questions sur lesquelles nous sommes tous d'accord.

Ce n'est pas là une question de parti, une affaire d'opinion ou de politique : nous sommes unanimement du même avis, du même sentiment. Quand j'essaye d'exprimer de légitimes sympathies pour nos ouvriers, quand je me préoccupe de leur sort, quand j'adjure la Chambre de prendre en main cette grande cause, je suis certain de ne pas rencontrer de contradicteur, j'ose dire que tous les cœurs battent sous l'impression du même sentiment et du même vœu...

M. Dumortierµ. - La loi n'est pas faite pour les ouvriers, elle est faite pour les entrepreneurs.

M. d’Elhoungne, rapporteurµ. - M. Dumortier dit que la loi n'est pas faite pour les ouvriers. Je dis, moi, que c'est la seule loi possible pour les ouvriers. En avez-vous une autre ?

M. Dumortierµ. - Oui ! oui !

M. d'Elhoungne, rapporteurµ. - Non ! il n'y a pas d'autre loi possible. Il n'y a pas d'autre loi qui puisse aboutir au succès. et pourquoi ? C'est que le projet tient compte des faits sociaux, c'est qu'il procède d'après cette loi de solidarité qui enchaîne les unes aux autres toutes les classes dans la prospérité comme dans les calamités publiques. C'est qu'il ne sépare pas l'assainissement dans l'intérêt des riches de l'amélioration dans l'intérêt des pauvres, c'est qu'il associe le progrès de la condition des plus humbles au progrès de la condition de tous, c'est qu'il a pour objet la transformation des villes au profit de leur population tout entière. (Interruption.)

MpVµ. - Pas d'interruption. Faites-vous inscrire.

M. d'Elhoungne, rapporteurµ. - Lorsque chez nous, je le répète, tout le monde est d'accord sur le but à atteindre, on peut compter sur le concours et les efforts de tous, et par conséquent sur le succès.

On n'ira pas, je suppose, jusqu'à opposer à la Belgique je ne sais quelle impuissance à faire ce que réclame la condition des classes laborieuses. Quoi ! au moment où cette grande exposition de l'industrie universelle, qui émerveille tous les regards dans un pays voisin, atteste la diversité merveilleuse et la puissance du travail en Belgique, à ce point qu'on s'étonne qu'un si petit pays lutte sans désavantage sur ce terrain pacifique avec les plus grandes nations, nous proclamerions ici que nous ne pouvons apporter les améliorations que l'humanité exige à la condition de ces milliers d'ouvriers, qui sont notre honneur et notre force ? Je dis que cela est impossible.

Je pense, messieurs, avoir suffisamment démontré comment la question de la condition des ouvriers se rattache intimement au projet de loi, comment ce projet est le complément nécessaire de la loi du 1er juillet 1858, comment ce projet élargit et relève l'œuvre de l'assainissement des villes, comment il vient ainsi combler une lacune considérable dans la législation qui touche aux intérêts les plus graves et les plus sacrés des populations urbaines.

Je pense avoir suffisamment prouvé par là que la loi nouvelle est nécessaire, qu'elle répond à de grands besoins et à de grandes souffrances, qu'elle doit donner satisfaction aux aspirations les plus légitimes.

Maintenant, cette loi est-elle constitutionnelle ? Je ne m'arrêterai pas longtemps à cette discussion qu'on me paraît déserter. Notre Constitution, messieurs, n'a pas défini « la cause d'utilité publique » pour laquelle les citoyens peuvent être expropriés. On est d'accord que c'est au législateur à l'apprécier, et qu'en cela son appréciation est souveraine.

Il en résulte, comme l'honorable comte de Theux l'a dit dans la mémorable discussion de la loi du 25 mars 1847, que c'est là un question de fait, une question de bonne foi : l'honorable M. Tack le rappelait avec raison dans une séance précédente. On ne peut donc soutenir sérieusement que l'expropriation n'est constitutionnelle qu'à la condition que le fonds exproprié soit incorporé au domaine public, pour un usage ou un service public : ce serait limiter et rétrécir, ce serait fausser par conséquent la disposition constitutionnelle.

On ne peut prétendre davantage que l'expropriation pour cause d'utilité publique, telle que la Constitution la suppose, exclut l'idée que tout ou partie d'un fonds exproprié puisse être ultérieurement l'objet d'une revente, qui fasse passer cet immeuble exproprié dans le patrimoine d'un autre citoyen.

Nos lois, et aussi bien nos lois antérieures à la Constitution que nos lois postérieures, fournissent des exemples nombreux de la revente de parcelles expropriées et de leur transmission, à titre de propriété privée, à un tiers. La loi de 1807, la plus ancienne qui nous régisse, prévoit trois cas de revente. Si le propriétaire ne veut pas payer l'indemnité de plus-value que cette loi établit, la propriété est expropriée pour le tout et revendue aux enchères. Si le propriétaire, dont la maison ou l'édifice doit être empris partiellement, exige l'expropriation totale, on revend encore une fois la partie qui n'est pas incorporée dans la voie publique. Enfin, si, en modifiant l'axe ou la largeur d'une rue, une partie de celle-ci est supprimée le long des propriétés riveraines, le propriétaire riverain, qui refuse d'avancer en payant le sol disponible devant sa propriété, est exproprié de tout son héritage et celui-ci est revendu aux enchères.

Voilà des cas de revente que consacrait la législation que le Congrès avait sous les yeux. La loi du 2 mai 1837, voisine de cette époque, permet l'expropriation, au profit du propriétaire d'une mine, des terrains dont il a besoin pour établir le chemin le plus favorable, le plus avantageux à son exploitation. Notez qu'il ne s'agit pas là d'une mine enclavée, car alors le code civil eût suffi et la loi de 1837 était inutile ; mais il s'agit, comme je l'ai dit en me permettant d'interrompre l'honorable M. Elias, d'une mine qui n'est pas enclavée, mais pour laquelle il est avantageux d'obtenir un chemin d'exploitation meilleur que les issues qu'elle a. On exproprie donc ici pour cause d'utilité publique, mais le terrain exproprié passe, à titre de propriété privée, à un autre citoyen. La loi du 25 mars 1847, qui a donné lieu à la grande discussion sur la question constitutionnelle, autorise la revente, par le gouvernement, des terrains incultes qu'il acquiert des communes à l'aide de l'expropriation : ici, c'est la revente même qui est le but de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Comment, en présence de ces exemples, pourrait-on taxer d'inconstitutionnalité l'expropriation par zones ? Aussi, personne ne l'a fait dans cette enceinte, quand la loi du 1er juillet 1858, qui établit l'expropriation par zones pour l'assainissement des quartiers insalubres, a été discutée et votée.

Et avant cette loi, et sans aucune loi spéciale par conséquent, on avait pratiqué l'expropriation par zones pour les galeries Saint-Hubert, galeries qui comprennent, il est vrai, une voie de circulation servant à un usage public, mais dont la partie la plus considérable consiste dans les constructions latérales, destinées aux magasins et habitations qui sont la propriété privée de la société tant qu'elle existera, qui seront la propriété de simples particuliers quand la société aura cessé d'exister.

Or, le rapport de la section centrale en fait la remarque : un passage n'est pas autre chose qu'une rue couverte ; si le passage a pu se faire constitutionnellement, comment une rue ne le pourrait-elle pas ? Est-ce que le passage, s'il n'était pas couvert, serait inconstitutionnel ?

La constitutionnalité dérive évidemment de la cause d'utilité publique qui, indépendamment des reventes partielles et du système des zones, motive et légitime dans tout leur ensemble des travaux de cette nature. Le législateur, dans son impartialité, apprécie cette cause d'utilité publique en se plaçant de bonne foi au point de vue de l'intérêt de la généralité ; quand il reconnaît qu'elle existe, il la consacre par la loi : tel est le vœu de la Constitution. A leur tour, les pouvoirs publics apprécient avec impartialité, avec cette bonne fol qui est pour eux un devoir rigoureux, les diverses entreprises, les projets qu'on propose par application de la loi, et ils ne les admettent qu'en y reconnaissant le caractère d'utilité publique que le législateur a eu en vue : telle et la fidèle exécution et de la Constitution, et de la loi.

(page 1104) C'est là, en droit, le fondement de l'expropriation par zones comme de toute autre, L'honorable M. Tack a bien compris la section centrale, quand il a dit qu'elle ne faisait pas de la plus-value acquise aux zones par les travaux de voirie, le fondement du droit d'exproprier les zones. Le droit a pour base l'utilité publique, qui commande les travaux de voirie et leur exécution la plus généralisée et la moins onéreuse possible, mais qui commande aussi la construction d'après un plan d'ensemble, dans des conditions et dans un temps déterminés, des bâtisses riveraines ou contiguës. Quand un travail d'ensemble fait subir aux zones une transformation dont l'effet est de les harmoniser avec la voie publique qu'on crée, avec les travaux publics qu'on exécute, pour que le tout contribuée à réaliser la même pensée, il est évident que tout cet ensemble revêt le caractère d'utilité publique dans le sens même restrictif de la Constitution. C'est ce qu'un honorable membre, qui ne siège pas de ce côté, avait fort bien déduit au sein de la section centrale. Le rapport a eu le tort, je le reconnais, de ne pas reproduire sa définition. Mais la Chambre et l'honorable membre voudront bien accepter l’erratum que je viens de faire.

Messieurs, si la section centrale a insisté sur le fait de la plus-value que les travaux publics et surtout les améliorations de la voirie donnent ordinairement aux propriétés riveraines, elle l'a fait, non pour en induire le fondement du droit d'exproprier les zones, mais dans un double but que voici : premièrement, elle l'a fait pour montrer que les propriétaires n'ont aucun droit positif à cette plus-value, et qu'en conséquence aucune indemnité ne leur est due du chef de cette plus-value quand on les exproprie : ce que l'honorable M. Tack admet avec nous ; secondement, la section centrale l'a fait pour montrer que l'expropriation par zones fournit un élément de compensation pour la dépense des travaux d'édilité ; compensation qui permet de rendre ces travaux moins onéreux pour les administrations communales, et qui permet en même temps à ces administrations d'aborder plus largement et plus promptement ce grand nombre d'améliorations, réclamées dans l'intérêt de la santé des populations, pour l'accroissement du bien-être et de la prospérité dans les villes,

La grande objection produite à propos du projet de loi, c'est qu'il aura le grave inconvénient, dit-on, de permettre aux villes de battre monnaie aux dépens des propriétaires. On expropriera, a-t-on dit encore, pour regagner sur la revente des terrains, et pour rétablir ainsi l'équilibre des budgets des grandes villes, tandis que la Constitution ne permet l'expropriation que pour des œuvres qui présentent par elles-mêmes un caractère d'utilité générale.

Mais, messieurs, cette argumentation n'est pas admissible. On suppose l'abus, et puis on demande si l'abus n'est pas incompatible avec la pensée de la Constitution ? Mais l'abus n'est compatible ni avec la Constitution, ni avec la raison, ni avec la justice. Là n'est pas la question. La question est de savoir si le droit existe d'après la Constitution, et le droit étant admis, si le projet qui le consacre, donne des garanties suffisantes contre l'abus.

Eh bien, contre cet abus qu'on signale et qu'on redoute, je crois et je dis, malgré les protestations de l'honorable M. Dumortier, que le projet de loi multiplie les garanties à tel point qu'il serait sans doute impossible d'en imaginer de nouvelles. Tous les pouvoirs entrent en jeu pour venir tour à tour protéger la propriété privée contre l'abus possible de l'expropriation par zones.

Il y a d'abord la commission spéciale, instituée par la loi de 1858, que la députation permanente nomme pour chaque entreprise qu'on veut faire autoriser, et qui doit émettre son avis sur l'utilité et le plan des travaux projetés. Ces commissions spéciales donnent de telles garanties que, dans l'application de la loi de 1858, on peut dire qu'elles se sont montrées trop sévères ! J'ai ici le procès-verbal du travail d'une de ces commissions, qui me permet de montrer à la Chambre de quelle manière les députations permanentes en composent le personnel. Il s'agissait du plan adopté par le conseil communal de Bruxelles le 18 février 1865 pour la transformation du quartier de la Montagne de la Cour. Voici, messieurs, les noms des hommes considérables qui furent désignés pour composer la commission spéciale :

M. le Hardy de Beaulieu, ingénieur à Bruxelles, M. Paquet, conseiller à la cour de cassation, M. Tallois, docteur en médecine à Bruxelles, M. Van Caubergh, conseiller provincial à Schaerbeek, M. Van Schoor, membre du conseil général de l'administration des hospices de Bruxelles.

Croirez-vous, messieurs, qu'une commission formée de pareils éléments n'offre point de garanties ? Que des hommes de cette valeur et de cette position ne seront pas les gardiens vigilants des droits de la propriété privée ? Pensez-vous qu'ils iront faire du communisme, du socialisme, ainsi qu'on a affecté de le craindre ?

M. Ortsµ. - Il y avait trois membres qui n'habitaient pas même Bruxelles.

M. d'Elhoungne, rapporteurµ. - Raison de plus pour être impartiaux.

M. Ortsµ. - C'est ce que je dis.

M. d’Elhoungne, rapporteurµ. - On fait à ce sujet une objection contre le projet. On dit : « Sous le régime de la loi de 1858, la commission spéciale avait une question fort simple à résoudre, à savoir, la nécessité de l'assainissement, c'est-à-dire, l'existence de l'insalubrité ; puis, le mérite du plan des travaux projetés pour combattre l'insalubrité. Mais aujourd'hui, le projet de loi soumet à la commission des questions si vagues, si élastiques et si complexes, que la commission sera impuissante à les résoudre, et qu'il vaudrait mieux la supprimer puisqu'elle n'aura plus de raison d'être. » C'est là une erreur, messieurs. La commission, sous la loi de 1858, examinait le fait de l'insalubrité et le mérite du plan des travaux projetés.

La commission, sous l'empire de la loi nouvelle, examinera le fait de l'utilité publique et le mérite du plan des travaux projetés. Est-ce que le fait de l'utilité publique n'est pas susceptible d'appréciation aussi bien que le fait d'insalubrité ? Eh bien, quand la commission verra qu'il n'y a pas utilité publique à faire les travaux pour lesquels l'expropriation par zones est sollicitée ; quand, au lieu d'une pensée élevée d'intérêt général, au lieu d'un projet qui importe à l'amélioration et au bien-être de la cité, la commission ne verra qu'une basse et cupide spéculation au détriment de quelques propriétaires, est-ce que la commission ne fera pas son devoir, est-ce qu'elle n'éclairera pas la députation permanente, est-ce quelle n'éclairera pas le gouvernement sur la portée d'un projet qui ne serait point l'application loyale de la loi, mais un moyen de frauder la loi ?

La députation permanente, qui n'est pas sous la pression des villes ni hostile à la propriété, donne aussi son avis (article 76, n°7 de la loi communale.). Vient ensuite le gouvernement, qui décide, il est vrai, mais qui est responsable devant les Chambres, qui relève du pays, de l'opinion, de la publicité, de la presse. Un gouvernement parlementaire est par lui-même la meilleure des garanties. Dans la discussion de 1841 à la chambre française sur la loi de l'expropriation pour cause d'utilité publique, un magistrat des plus éminents, M. Renouard, disait que la loi, en cette matière, a la mission difficile de concilier les exigences de l'intérêt général avec les droits de la propriété privée ; mais que nulle forme de gouvernement ne se prête mieux à cette conciliation et ne l'entoure de plus de garanties que le gouvernement représentatif dont nous avons le bonheur de jouir.

A part les pouvoirs publics qui examinent, contrôlent et décident, il y a les conseils communaux qui proposent les travaux. Est-ce qu'ils ne relèvent pas, eux aussi, de l'opinion de la presse, de la discussion publique, et même des propriétaires ? Croyez-vous que si, dans une grande ville, il venait à surgir un projet de spéculation frauduleuse contre un certain nombre de propriétaires, tous ne feraient pas cause commune avec eux pour les défendre ?

Y a-t-il, messieurs, une solidarité plus puissante que celle de la propriété ? Y a-t-il une fibre plus sensible et plus dangereuse à faire vibrer que celle-là ? Est-ce que, quand on frappe un seul propriétaire dans son droit, tous ne se sentent pas atteints ? Mais l'opposition même et les préventions que le projet de loi a suscitées, à tort, attestent à quel point toute la propriété se soulève quand il y a l'appréhension d'une possibilité d'abus contre n'importe quel propriétaire.

La loi cependant consacre une autre garantie encore : c'est la préférence accordée aux propriétaires d'exécuter eux-mêmes le travail s'ils croient qu'il y va de leur intérêt. La spéculation, de cette façon, est certainement éconduite. On dit que cela est illusoire, que cela n'arrivera jamais. Mais remarquez, messieurs, qu'il ne s'agit pas d'un droit attaché à la personne des propriétaires, mais d'un droit absolu, cessible et aliénable en faveur de tiers. Ils ont donc parfaitement le droit, non seulement de se constituer en société, d'agir ainsi réunis en une unité collective : mais ils ont le droit, s'ils se trouvent en face d'une société de spéculateurs, de céder leur droit de préférence à toute société concurrente soit de propriétaires et de capitalistes, soit même constituée par un autre groupe de spéculateurs dont ils partageront les bénéfices.

(page 1105) Dans quelle hypothèse se place-t-on quand on parle de spéculation au détriment des propriétaires expropriés ? C'est évidemment dans l'hypothèse d'un quartier nouveau.

On suppose qu'après les travaux de la voirie, de l'approvisionnement de l'eau, de la construction des ouvrages pour le service public (dont la dépense doit être couverte d'abord), il y aura bénéfice sur la revente des terrains destinés aux constructions particulières. Eh bien, qu'arrivera-t-il ? S'il y a un certain nombre, de propriétaires, tous s'associeront ou traiteront avec une société pour faire les travaux. Si quelques-uns refusent ou s'abstiennent, la loi permet d'accorder la préférence à la fraction qui possède plus de la moitié en superficie des terrains à exproprier ; et dans ce cas, cette fraction exécutera les travaux ou traitera pour leur exécution. Si, au contraire, on suppose que tous les terrains appartiennent à un seul propriétaire, mais alors le propriétaire unique d'une si vaste propriété au sein d'une grande ville aura assurément ou pourra facilement se procurer les capitaux nécessaires pour exécuter les travaux et en recueillir le fruit.

M. Dumortierµ. - On pourrait exproprier ainsi le parc du duc d'Arenberg ?

M. d’Elhoungneµ. - Est-ce qu'il y a un spéculateur qui puisse supposer que Mgr le duc d'Arenberg se laissera prendre son parc et ne fera pas la spéculation lui-même ?

M. Dumortierµ. - D'après le projet, cela peut se faire.

M. d'Elhoungne, rapporteurµ. - D'après le projet il y a le droit de préférence pour empêcher que cela ne se fasse.

M. Coomansµ. - La préférence pour faire ce qu'il ne veut pas faire.

M. d'Elhoungne, rapporteurµ. - C'est une autre question. Il s'agit maintenant de la spéculation que le droit de préférence fait avorter. Je dis, messieurs, qu'il y a là une incontestable, une puissante garantie ajoutée à toutes les autres que présentent et la commission spéciale, et la députation permanente, et le gouvernement, et l'autorité communale, qui tous sont responsables devant l'opinion et devant le pays, sous le régime le plus large de publicité et de discussion.

On a paru cependant s'effrayer de l'arbitraire laissé par le projet au gouvernement. Je crois avoir répondu à l'objection. Mais on a cherché à la justifier en disant que le projet accorde au gouvernement des pouvoirs plus étendus pour autoriser l'expropriation par zones que la législation française n'en accorde au gouvernement impérial. C'est là encore une erreur manifeste. Ceux qui interprètent ainsi le décret dictatorial du 20 mars 1852 ne le comprennent certainement pas.

Que dit ce décret relatif aux rues de Paris, mais qui a été étendu à un très grand nombre de villes de l'empire et qui peut être étendu à toutes ? Il porte : « Dans tout projet d'expropriation pour l'élargissement, le redressement ou la formation des rues de Paris, l'administration aura la faculté de comprendre la totalité des immeubles atteints, lorsqu'elle jugera que les parties restantes ne sont pas d'une étendue ou d'une forme qui permette d'y élever des constructions salubres. »

Ainsi, par cette première disposition, l'administration a le droit de comprendre dans l'expropriation la totalité des immeubles atteints, lorsqu'elle juge, et ici sa décision est souveraine, que les parties restantes ne suffisent pas pour y élever des constructions salubres.

M. Dumortierµ. - Est-ce que c'est comme cela que vous l'entendez ?

MpVµ. - Pas d'interruption, M. Dumortier, vous êtes inscrit.

M. d'Elhoungne, rapporteurµ. - Permettez, M. Dumortier. Le décret continue. Il porte une autre disposition que je passe, parce qu'elle se rapporte à un autre ordre d'idées, peut-être par un artifice de rédaction. Je prends dans le paragraphe suivant ce qui se rattache aux parcelles des immeubles atteints que l'administration juge non susceptibles de recevoir des constructions salubres. Et qu'est-ce que je trouve ? Je trouve que l'administration a le droit d'annexer par l'expropriation, à ces parcelles non susceptibles de recevoir des constructions salubres, les propriétés contiguës que l'expropriation première n'atteint pas.

En effet, le décret porte dans le paragraphe que je cite : « Les parcelles de terrain... non susceptibles de recevoir des constructions salubres seront réunies aux propriétés contiguës, soit à l'amiable, soit par l'expropriation de ces propriétés. » Ce qui signifie que si ces propriétaires contigus n'achètent pas, au prix que l'administration exige, les parcelles restantes en dehors de l'alignement, l'administration peut les exproprier à leur tour. Ainsi, l'expropriation n'est pas limitée aux propriétés atteintes, mais elle s'étend aux propriétés qui sont contiguës aux parties restantes des propriétés atteintes.

M. Dumortierµ. - Lisez tout.

M. d'Elhoungne, rapporteurµ. - Attendez. Je constate et je prouve que, sous ce premier rapport, l'expropriation en France n'est pas restreints aux immeubles atteints. Je prouve qu'aux immeubles atteints, on annexe (car, c'est par annexion qu'on procède) les immeubles contigus aux immeubles atteints. Il est vrai que le décret ne se borne pas à cela. Il va plus loin encore. Il prévoit un second ordre d'expropriation par zones.

Il dispose que : « L'administration pourra pareillement comprendre dans l'expropriation des immeubles en dehors des alignements, lorsque leur acquisition sera nécessaire pour la suppression d'anciennes voies jugées inutiles. »

Mais ici aussi l'annexion des propriétés contiguës est également autorisée. Les parcelles de terrains acquises en dehors des alignements doivent en effet, comme les parcelles non susceptibles de recevoir des constructions salubres, être réunies aux propriétés contiguës, soit à l'amiable, soit par l'expropriation de ces propriétés. Tel est le décret. Vous voyez que le droit de l'administration n'est pas limité. Elle décide en réalité et d'une manière souveraine de la profondeur et de l'étendue des zones latérales aux voies à établir. Seulement en France on n'a pas le luxe de garanties que le projet de loi multiplie pour protéger la propriété privée contre toute espèce d'abus, d'arbitraire ou de surprise.

L'honorable M. Jacobs a produit une autre objection dans le discours qu'il a prononcé, discours peu hostile d'ailleurs au projet, qui a les sympathies de l'honorable membre, et dont l'honorable membre approuve hautement le but, et qui lui a inspiré certains doutes seulement après l'examen approfondi qu'il a fait de la matière. Ce qui a paru surtout difficile à admettre pour l'honorable M. Jacobs, c'est que l'expropriation par zones va devenir la règle pour les travaux d'édilité dans les villes, et que la vieille et respectable expropriation de la loi de 1835 ne sera plus employée à l'avenir. Je dirai franchement que c'est aussi ma pensée et mon espoir, et, selon moi, le but du projet de loi. On expropriera par zones bien plus souvent qu'autrement ; il faut s'y attendre.

Mais je signalerai à la perspicacité de l'honorable député d'Anvers un côté très pratique de la loi qu'il paraît perdre de vue. C'est qu'elle sera très efficace comme moyen préventif de l'expropriation forcée. En effet, quand les propriétaires verront l'administration en possession de cette arme, ils seront bien plus portés à s'arranger à l'amiable pour la cession des terrains nécessaires aux travaux publics et pour les constructions à édifier sur les parties restantes. Ils n'élèveront plus les prétentions exorbitantes, déraisonnables, si fréquentes sous la législation actuelle. On s'entendra, on se rapprochera plus souvent, parce qu'on s'écartera moins de la vérité et de la justice.

On a adressé des critiques en sens divers à la disposition du projet de loi qui subordonne l'expropriation par zones à la condition qu'il y ait un travail d'ensemble.

L'honorable M. Tack craint qu'on ne comprenne ce travail d'ensemble dans un sens trop large, qu'on ne lui donne trop d'extension, et qu'on ne parte de là pour donner trop de développement aux zones. L'honorable M. Jacobs, au contraire, craint qu'on ne réduise le travail d'ensemble à des proportions trop mesquines et qu'ainsi le moindre travail serve de prétexte à l'application du système des zones. Je répondrai d'abord à l'honorable député d'Anvers que la loi de 1858 permet l'expropriation par zones pour tous les travaux de la voirie urbaine, même le redressement d'une rue, son élargissement, son prolongement, etc. Or, cette loi n'a donné lieu à aucun inconvénient ; la loi nouvelle peut donc maintenir à cet égard ce qui existe déjà.

Je répondrai ensuite à l'honorable M. Tack, qui voudrait qu'on fixât un maximum de profondeur pour les zones, qu'il y aurait plutôt des motifs de déterminer un minimum. L'inconvénient, en effet, que peut produire le système des zones n'est pas dans l'exagération de leur profondeur. C'est le contraire qui est plutôt à craindre. L'expérience faite dans un pays voisin démontre que l'administration des villes et surtout les compagnies concessionnaires que les villes se substituent souvent sont portées à demander des zones restreintes plutôt que profondes. Leur intérêt est d'avoir le développement le plus étendu possible front à rue, avec le moins de profondeur, parce qu'elles construisent ainsi beaucoup de maisons en achetant moins de terrain. Je crois donc que ce qu'il faut recommander au gouvernement, c'est de se prémunir contre la tendance et des administrations des villes, et des sociétés concessionnaires, à restreindre la largeur des zones dans des limites si étroites que les constructions qu'on y élèvera répondent à peine aux prescriptions de l'hygiène.

(page 1106) Un inconvénient tout différent qui pourrait se présenter, mais qu'il sera du devoir du gouvernement de prévenir, c'est qu'on cherche à ne pas respecter l'unité du travail d'ensemble que la loi a en vue ; c'est qu'en projetant un travail parfaitement rationnel et justifié pour l'amélioration nécessaire d'un quartier ou d'une fraction de quartier, par exemple, on n'englobe dans le même travail ou un autre quartier, ou une partie d'un autre quartier, qui n'exige pas le même travail, mais qui se présente dans des conditions plus avantageuses pour la revente des terrains restants.

Il y aurait là une possibilité d'abus plutôt sans doute que dans les hypothèses dont se préoccupent les honorables préopinants. Mais le gouvernement pourra facilement le prévenir. Il ne laissera jamais étendre, au delà de ses limites raisonnables, le cercle du travail d'ensemble qui autorise l'expropriation par zones. Il aura pour s'éclairer à cet égard l'avis de la commission spéciale, l'avis de la députation permanente, les réclamations des parties intéressées. Il ne décidera ensuite qu'en suivant, dans l'application de la loi, la règle que M. le comte de Theux invoquait pour légitimer la loi elle-même, c'est-à-dire, en appréciant les faits de bonne foi, au point de vue de l'intérêt général, mais avec le sentiment prépondérant toujours du respect inviolable dû aux droits de la propriété privée.

L'honorable M. Jacobs, se préoccupant des constructions que l'expropriation par zones fera élever le long des voies nouvelles ou modifiées, a demandé si l'on créait là une servitude. C'est une question de droit toute théorique, dont l'honorable membre trouvera des éléments intéressants dans les commentateurs du droit romain, mais que nous n'avons pas à résoudre.

L'honorable membre la rattache, en effet, au point de savoir si les propriétaires des constructions devront les entretenir, les reconstruire même en cas de destruction, et cela à perpétuité. Or, nous n'avons pas à pourvoir à ces éventualités de l'avenir. Quand on exécute un travail d'utilité publique, consistant dans la création d'une rue ou d'une place publique avec des constructions latérales sur les zones expropriées, on doit pourvoir sans doute à ce que ces constructions soient élevées d'après le plan, dans les conditions et dans les délais prescrits par l'autorité ; mais, après cela, on peut s'en rapporter aux propriétaires eux-mêmes pour l'entretien et la conservation de leurs édifices. On peut être assuré qu'ils ne les laisseront pas tomber en ruine ni se perdre le capital qu'ils auront consacré à l'achat du terrain et à la bâtisse.

Au point de vue de la Constitution, comme au point de vue des principes, messieurs, l'expropriation par zones échappe aux critiques qu'on a essayé de diriger contre elle. Elle peut être décrétée sans blesser la Constitution ; elle pourra être pratiquée sans blesser le droit des propriétaires, parce que les garanties contre les abus sont efficaces, parce que la forme même de nos institutions est une barrière contre les abus, parce que chez nous tout intérêt lésé ou menacé peut se défendre avec succès, parce que l'intérêt de la propriété s'il était menacé se ferait entendre avec tant de puissance qu'aucun pouvoir public ne pourrait résister à ses légitimes réclamations.

Maintenant, la loi est-elle juste ? La justice de la loi se résume, messieurs, dans l'indemnité qu'elle assure au propriétaire exproprié.

J'ai déjà dit que l'article 9 de la loi du 1er juillet 1858 disparaissait. Il ne s'agira plus de dire que la valeur vénale constituera exclusivement l'indemnité. La valeur vénale doit sans doute servir de base au calcul de l'indemnité ; mais l'indemnité doit comprendre en outre la réparation de toutes les causes de préjudice qu'éprouve l'exproprié à raison de sa dépossession. C'est le droit commun qui tient compte à l'exproprié même de la valeur d'avenir de son immeuble, Il est évident, en effet, comme la jurisprudence l'a proclamé avec raison, que les bonnes conditions d'avenir d'une propriété augmentent sa valeur actuelle ; cette valeur d'avenir, pour tout ce qu'elle a d'actuellement appréciable, doit donc être comptée à l'exproprié. Plus d'ailleurs on étendra le cercle de l'expropriation pour cause d'utilité publique, plus il faudra que dans l'appréciation des indemnités on se montre large : je n'hésite pas à le déclarer.

Ceci posé, quelle sera donc la position qu'on fait au propriétaire exproprié ? On lui donne la valeur loyalement estimée de sa propriété, plus le dédommagement de tout le préjudice qu'il éprouve de sa dépossession. On ajoute 10 p. c. de frais de remploi, pour qu'il soit à même d'acquérir sans sacrifice aucun une propriété équivalente. Voilà exactement la position du propriétaire exproprié.

L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu disait que l'expropriation est l'échange forcé d'un immeuble contre une somme d'argent ; il aurait dû dire : contre une somme d'argent suffisante pour acquérir un immeuble équivalent. Que sacrifie donc le propriétaire ? Rien de son patrimoine, qui subit une modification, mais nullement une réduction. Il doit sacrifier ses convenances personnelles, abdiquer son libre arbitre ; mais c'est-là le sacrifice que tout citoyen, dans une foule de cas et souvent dans des circonstances bien plus douloureuses, doit faire, selon la vieille phrase consacrée, sur l'autel de la patrie. On parle dans ce débat de spoliation, de ruine pour les propriétaires qu'on exproprie, mais c'est impossible ! Cent fois, mille fois j'ai vu des propriétaires enrichis par l'expropriation de leurs biens : des propriétaires spoliés, des propriétaires ruinés par l'expropriation, jamais.

M. Coomansµ. - Ils perdent les bonnes chances d'avenir.

M. d'Elhoungne, rapporteurµ. - Quand un propriétaire possède un bien de cent mille francs et qu'on lui donne cent mille fr., plus 10 p. c. de remploi pour acheter un bien équivalent, il a les chances d'avenir et il profite désormais de l'accroissement de valeur du bien acquis en remploi.

Ne parlez donc jamais, je vous prie, de spoliation ou de ruine. Il y a contrainte pour le propriétaire, c'est vrai ; son libre arbitre doit fléchir ; mais est-ce que tous, nous n'avons pas à faire à chaque instant ce sacrifice de notre volonté et de nos convenances à l'intérêt général ? Même pour l'usage de la propriété, il y a des choses qu'on ne peut faire quand on le voudrait, il y a des choses qu'on doit faire quand on ne le voudrait pas ; c'est qu'il y a des limites que la loi a mises au droit de propriété dans l'intérêt de la société entière.

L'honorable M. Elias préfère à l'indemnité consacrée par notre législation, le système de compensation consacré par l'article 51 de la loi française de 1841. Cette loi veut qu'on compense, avec l'indemnité à payer pour la partie emprise, la plus-value que donne à la partie restante l'exécution des travaux. Mais ce principe, qui n'est pas dans la loi belge, est précisément le seul dont l'application puisse aboutir à une spoliation des propriétés expropriées. Un exemple suffit à le prouver. Je suppose, en effet, que ce principe eût été appliqué, dans le temps, aux propriétaires des terrains de l'ancienne station de l'Allée-Verte, comme il a été appliqué à Paris aux propriétaires des terrains de la gare de Strasbourg, qui n'ont reçu que 5 francs par hectare par l'effet de la compensation de plus-value ; que serait-il résulté du déplacement de la station de l'Allée-Verte ? Evidemment la spoliation des propriétaires, qui n'auraient reçu pour leurs terrains expropriés que le prix dérisoire qu'on appelle en France l'indemnité d'un franc. Vous le voyez, sous l'empire de la loi française, il peut y avoir ruine du propriétaire dans certains cas ; sous l'empire de nos lois, il n'y a jamais de propriétaire qu'on ruine, il y a presque toujours des propriétaires qu'on enrichit.

L'honorable M. Tack a émis l'idée qu'on pourrait réserver aux propriétaires un droit de rétrocession. Mais ce droit serait très difficile à formuler et à régler. L'honorable membre, dans le discours fortement pensé du reste qu'il a prononcé à une précédente séance, a dû en convenir lui-même. Pour ma part, je ne pense pas qu'un pareil droit de rétrocession puisse être introduit dans la loi, sans dénaturer tout le système qu'elle sanctionne,

Je ne crois pas non plus qu'on puisse l'admettre sans donner lieu à beaucoup d'injustice.

Je viens, messieurs, de parcourir les diverses objections que le projet de loi a soulevées. Si je ne me fais illusion, je crois y avoir répondu. Je crois l'avoir démontré à la Chambre, le projet se borne à introduire dans notre législation deux applications nouvelles de l'expropriation par zones, savoir, pour l'amélioration d'anciens quartiers et pour la création de quartiers nouveaux ; le projet, en cela, ne tend qu'à compléter l'œuvre de l'assainissement des villes, en consacrant les entreprises qui sont le complément nécessaire de la transformation des quartiers insalubres, nécessaire surtout pour alléger les souffrances et améliorer la condition de ces classes laborieuses, dont le sort doit nous préoccuper dans une mesure considérable. .

Le projet, je crois l'avoir démontré aussi, entoure les propriétaires de toutes les garanties et leur assure un dédommagement complet.

On leur tiendra compte, selon le droit commun, même des bonnes conditions d'avenir que pourra présenter leur immeuble. En un mot, on peut leur dire, avec l'autorité de l'expérience, qu'ils seront en général très largement indemnisés.

Je pense donc que, eu égard au but élevé et à la nécessité de la loi, la Chambre n'hésitera pas à lui donner sa sanction. La Chambre peut être convaincue que, dans la pratique, le système n'engendrera pas les difficultés ni les abus qu'on a imaginés pour le combattre.

(page 1107) La Chambre peut être assurée que la loi organise le système de l’expropriation par zones de telle façon qu'il doit, de toute nécessité, être appliqué loyalement et fonctionner dans un but d'utilité publique ; et qu'on ne saurait essayer de le, détourner de ce but, sans être arrêté non seulement par l'autorité administrative, mais par les protestations l'opinion publique, de la presse et des Chambres elles-mêmes.

Messieurs, la Chambre ne l'oubliera pas, il s'agit ici de l'ouvrier. Quoi qu'on en dise, l'ouvrier est le principal intéressé dans l'assainissement des villes. L'ouvrier, messieurs, est le grand problème d'aujourd'hui ; il sera la grande force de demain. Tâchons de résoudre le problème, pour nous retrouver, avec le sentiment d'avoir fait notre devoir devant cette force dans l'avenir.

Projet de loi approuvant la convention entre la Belgique et la Suisse pour la garantie réciproque de la propriété artistique et littéraire

Rapport de la commission

(page 1094) M. Broustinµ. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission qui a examiné la convention conclue entre la Belgique et la Suisse pour la garantie réciproque de la propriété artistique et littéraire.

MaeRµ. - J'ai l'honneur de proposer à la Chambre de passer à la discussion et au vote de ce projet de loi. Je rie pense pas qu'il puisse soulever un débat. Si la Chambre voulait bien le voter, il pourrait encore être transmis au Sénat, qui probablement le voterait aussi avant sa séparation.

- La proposition de M. le ministre des affaires étrangères est adoptée.

En conséquence, la Chambre décide qu'elle s'occupera séance tenante du projet de loi dont il s'agit.

MpVµ. - La parole est à M. Broustin, pour donner lecture du rapport de la section centrale.

M. Broustin, rapporteurµ. - Sous la date du 27 avril 1867, une convention a été conclue entre la Belgique et la Suisse, pour la garantie réciproque de la propriété artistique et littéraire.

Il résulte de l'exposé des motifs que les termes de cet arrangement sont empruntés à la convention de même nature signée entre la France et la Suisse, le 30 juin 1864, sauf les dispositions relatives aux marques de fabrique ou de commerce et aux dessins de fabrique.

« Le conseil fédéral, dit l'exposé, n'aurait consenti à admettre ces derniers objets dans le traité sur la base de la réciprocité qu'à la condition d'y introduire en même temps des concessions douanières, notamment sur les tissus de coton et de soie. »

Or, il est évident qu'entrer dans cette voie, c'eût été créer des complications et ajourner indéfiniment une solution désirée et reconnue satisfaisante quant à la propriété artistique et littéraire.

D'accord avec le gouvernement, la commission propose à la Chambre de donner son adhésion à la convention.

Vote de l’article unique

La discussion est ouverte sur l'article unique du projet de loi qui est ainsi conçu :

« Article unique. La convention conclue, le 25 avril 1867, entre la Belgique et la Suisse, pour la garantie réciproque de la propriété des œuvres d'esprit et d'art, sortira son plein et entier effet. »

Personne ne demandant la parole, il est procédé à l'appel nominal.

Le projet de loi est adopté à l'unanimité des 73 membres présents.

Ce sont :

MM. Tack, Thienpont, T'Serstevens, Valckenaere, Van Cromphaut, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Vleminckx, Watteeu, Wouters, Allard, Ansiau, Anspach, Bara, Bricoult, Broustin, Bruneau, Carlier, Coomans, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Brouckere, De Fré, de Haerne, de Kerchove de Denterghem, Delaet, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Macar, de Bloor, de Naeyer, de Rossius, Descamps, de Smedt, de Terbecq, Dethuin, Dewandre, Dumortier, d'Ursel, Elias, Frère-Orban, Gerrits, Guillery, Hayez, Jacobs, Janssens, Jamar, Jouret, Lange, Le Hardy de Beaulieu, Lesoinne, Lippens, Magherman, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Nothomb, Orts, Pirmez, Preud'homme, Reynaert, Rogier, Snoy et Ern. Vandenpeereboom.

Projet de loi relatif à l’expropriation par zones

Discussion générale

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Vous comprenez, messieurs, combien il m'est difficile de répondre immédiatement au brillant discours que vous venez d'entendre. Cependant, comme les arguments que j'ai à vous présenter ne sont pas sans valeur, j'espère ne pas combattre avec trop de désavantage.

J'ai à répondre à deux sortes d'argumentations : je dois répondre d'abord à celle qui consiste à esquiver les difficultés et à ne pas répondre aux objections sérieuses et très graves que j'ai présentées ; ensuite j'ai à démontrer que mes contradicteurs ont confirmé, sur la plupart des points, la solidité, la réalité des objections que j'ai présentées.

La question que j'ai soulevée est simplement celle-ci : J'ai soutenu et je soutiens encore, malgré les assertions dénuées de preuves de mes honorables contradicteurs, que la Constitution, interprétée d'après son texte, ne nous permet, quand il s'agit d'exproprier des zones pour les revendre en dehors des cas d'insalubrité bien établie et constatée, que de voter des lois spéciales pour chaque cas.

Le texte de la Constitution à la main, je croyais en avoir fait avant-hier la démonstration, et jusqu'à présent aucun des discours dans lesquels on m'a répondu n'a détruit cette démonstration. En effet, que signifierait l'expression de l'article 11, « pour les cas et de la manière que la loi détermine », si ce n'est pour nous obliger à faire des lois pour chaque cas spécial qui se présente ? Or, que nous demande t-on aujourd'hui ? Une loi générale qui ne spécifie aucun cas particulier et qui permet non pas d'exproprier pour cause d'utilité publique, pour le service exclusif du public, pour incorporer la propriété expropriée à la voie publique ou au domaine public, mais tout simplement de faire passer la propriété d'une main privée dans une autre main également privée.

Voilà, messieurs, dans toute sa simplicité, l'objection que j'ai faite à la loi. Vous êtes témoins qu'il n'y a pas été répondu.

Il n'a pas été répondu davantage ni par l'honorable bourgmestre de Bruxelles, ni par l'honorable député de Gand, qui vient de se rasseoir, à cette question que j'ai posée. Pourquoi, lorsqu'il s'agit d'expropriation pour un ensemble de travaux, seul cas que prévoit le projet, ne pas soumettre à la législature des lois spéciales et ne pas profiter ainsi de tous les avantages que j'ai énumérés dans mon premier discours, qui reste entier sur ce point ?

L'honorable membre qui vient de se rasseoir admet parfaitement qu'il peut y avoir des abus ; il ne le nie pas, mais il trouve, dit-il, sa garantie dans l'action de l'opinion publique, dans la presse ; c'est-à-dire que la garantie opérera, lorsque le mal sera commis, lorsqu'il ne sera plus temps d'y porter remède.

On parle de la commission qui appréciera les projets, mais cette commission ne peut-elle pas se tromper comme tout le monde ?

- Un membre. - Et la Chambre aussi.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - La Chambre donne au moins la garantie d'une discussion préalable publique, et ainsi le public comme les intéressés peuvent être avertis longtemps d'avance et être mis sur leurs gardes par la discussion. Aucun abus ne serait à craindre s'il devait passer au crible de cette discussion.

Le système des lois spéciales offre encore d'autres garanties non moins sérieuses que je pourrais énumérer, mais cela nous tiendrait peut-être trop longtemps. Comme elles ne sont pas aussi essentielles que celles que je viens d'indiquer, je les passerai sous silence ; mais je puis dire que ces garanties donneraient aux populations qui ont besoin d'exécuter des travaux d'assainissement et d'amélioration dans les grandes villes, (page 1095) la certitude d'une meilleure exécution et d'une conception plus étudiée et plus mûrie des projets présentés que ne peut le faire la discussion dans des commissions qui jugent anonymement et à huis clos comme celles qui fonctionnent dans l'examen des projets de travaux publics.

Messieurs, l'honorable membre qui vient de se rasseoir vous a cité, parmi les travaux qui se sont exécutés sous les lois antérieures, les galeries Saint-Hubert ; mais comment ces galeries se sont-elles exécutées ? Est-ce par une loi spéciale ? (Interruption.)

M. d'Elhoungneµ. - Quelle est cette loi ?

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - S'il n'y a pas eu de loi spéciale, vous admettez donc que la législation ancienne suffit amplement aux besoins qui peuvent se produire dans les villes ? Du moment où une loi n'a pas été nécessaire pour créer les galeries Saint-Hubert, il est parfaitement établi que la législation actuelle suffit et je ne vois pas pourquoi l'on vient nous demander des pouvoirs nouveaux, qui mettraient la propriété urbaine à la merci de l'administration.

Je crois vous avoir démontré que le système des lois spéciales devait être préféré dans les pays constitutionnels, dans les pays qui tiennent à conserver la propriété telle qu'elle est garantie par la Constitution, et je viens de vous prouver qu'il n'avait pas été répondu à cette objection au projet de loi en discussion.

J'ai dit, d'autre part, que la loi actuelle serait inefficace par la raison toute simple qu'elle ne donnera pas les moyens financiers d'exécuter les projets d'embellissement que rêvent les grandes villes. Il ne m'a pas été répondu un seul mot sur ce point. Ce que l'on a dit, et c'est l'honorable bourgmestre de Bruxelles qui a confirmé ce que j'avais fait observer sur ce point dans mon premier discours, c'est que l'exécution de cette loi serait et devrait toujours être onéreuse aux grandes villes. Voilà la vérité vraie.

En effet, messieurs, l'honorable membre qui vient de se rasseoir, vous a cité le plan d'assainissement de la Montagne de la Cour, tel qu'il a été un jour proposé par la ville de Bruxelles.

J'ai fait partie de la commission devant laquelle ce projet a passé. Quel était ce projet ? Et par l'explication que je vais vous donner, vous allez comprendre que la loi en discussion n'a d'autre but que de permettre la réalisation de projets semblables. Si ce n'est pas là quelle conduit, c'est que la loi sera complètement inutile ou inefficace.

Le projet de redressement de la Montagne de la Cour était basé sur l'insalubrité réelle ou prétendue de l'impasse qu'on appelle le trou Saint-Roch. Le trou St-Roch se compose d'une dizaine de maisons entourant une cour et de petites allées. Il est habité par la population ouvrière qui travaille dans les environs. Que demandait la ville de Bruxelles afin d'assainir ce trou ? Elle demandait l'expropriation de la totalité de la Montagne de la Cour, de la totalité de la place du Musée, de la moitié de la Place Royale, plus d'une partie de la rue de Namur, comprenant dans cet ensemble l'hôtel qui depuis a été acheté par S. A. R. le Comte de Flandre, ainsi que l'hôtel du ministère de la justice.

Nous étions donc appelés à déclarer que ces hôtels, que la moitié de la Place Royale, que la totalité de la Montagne de la Cour et de la place du Musée étaient un quartier insalubre. Je vous le demande, était-il possible que des hommes raisonnables pussent faire une semblable déclaration sans déclarer en même temps que toute la ville de Bruxelles est insalubre ? Aussi, à l'unanimité, le projet a-t-il été rejeté comme ne rentrant pas dans les termes de la loi du 1er juillet 1858.

Ce que l'on nous demande aujourd'hui et ce que la loi a en vue, c'est de rendre possible l'exécution de projets semblables, c'est-à-dire qu'il sera possible, avec la loi actuelle, si elle est votée, d'améliorer et d'embellir la Place Royale, d'exproprier les hôtels qui l'entourent peut-être pour les démolir et les reconstruire sur la même place ou sur d'autres. La Grand-Place pourra aussi être expropriée et embellie.

Je vous le demande, messieurs, n'est ce pas là un danger véritable pour la propriété urbaine ? C'est ce danger que j'ai voulu vous signaler.

Est-il possible de nier en présence de ces considérations que le système de n'accorder l'expropriation par zone que par des lois spéciales ne donne pas des garanties bien plus sérieuses que le recours à l'opinion publique qui a été indiqué par l'honorable M. d'Elhoungne ? J'en laisse la Chambre juge. On dirait vraiment que ce n'est que dans les grandes villes que les grands travaux soient possibles. Ne réclamera-t-ou pas bientôt les mêmes pouvoirs pour les communes rurales ?

L'honorable membre qui représente la ville de Gand s'est moqué très agréablement de l'esprit d'initiative particulière auquel j'avais fait appel dans mon premier discours.

Messieurs, toutes les villes anglaises, toutes sans exception, se sont embellies, se sont agrandies, se sont transformées beaucoup plus rapidement que les villes que l'on a citées, et cela par l'action presque exclusive de l'initiative privée et à l'aide de lois spéciales. Il n'y a pour ainsi dite pas de localité en Angleterre qui n'ait eu recours de temps à autre à la législature afin d'obtenir les pouvoirs nécessaires pour faire des améliorations, et au moyen de ces lois qui réglaient chaque cas particulier, qui prévoyait chaque difficulté que ces cas présentaient, on est parvenu à des résultats que votre loi ne donnera jamais, notez-le bien. C'est pourquoi je pense qu'il est de l'intérêt des villes en général et de la ville de Bruxelles en particulier de faire la plus grande attention et de méditer sérieusement cette partie de mon argumentation.

Car c'est par l'initiative individuelle que, dans toutes les villes anglaises, comme dans les cités auxiliaires, l'on est parvenu à transformer, à assainir, à améliorer et à embellir ces villes sans grandes difficultés ou plutôt en annulant, au moyen des dispositions prises pour chaque cas particulier, celles qui se présentaient.

C'est encore un point de l'argumentation de mon premier discours auquel aucune réfutation n'a été faite. (Interruption.)

- Des membres. - Aux voix ! aux voix !

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je suis réellement étonné. Où sommes-nous ? Sommes-nous dans un parlement libre ? Avons-nous la droit d'examiner les lois importantes qui nous sont soumises ? Avons-nous le droit de les amender ? Ou bien sommes-nous ici pour les bâcler ?

Messieurs, on a également trouvé extraordinaire ce que j'ai dit à propos des pouvoirs que les villes avaient d'imposer les parties des habitations qui occupaient les voies publiques décrétées. On a trouvé très extraordinaire encore que je voulusse faire coopérer aux embellissements ceux qui en profiteraient. Mais que vont faire nos villes ? Que va faire, dit-on, la ville de Bruxelles en particulier ? Si je suis bien informé, elle va mettre un impôt immobilier sur toutes les propriétés ; et pas seulement sur celles qui profiteront de ses travaux, mais aussi sur celles qui n'en profiteront pas, qu'elle ruinera peut-être ; c'est-à-dire que s'il y a des propriétés dépréciées par suite de certains travaux, ce qui peut très bien arriver, ces propriétés n'en seront pas moins soumises à la règle générale et devront payer comme celles qui profitent des travaux entrepris.

Eh bien, je ne puis m'empêcher de trouver que le système de la loi anglaise de 1858 et le système des lois analogues, portées aux Etats-Unis, est beaucoup plus juste que le système admis dans notre pays.

Que dit la loi anglaise de 1858 ? C'est que les propriétés qui profiteront des travaux exécutés devront y contribuer en proportion des bénéfices qu'elles en réaliseront, tandis qu'on exempte même complètement de l'impôt non seulement celles qui pâtissent des travaux, mais aussi celles qui n'en profilent pas. L'idée n'est donc pas aussi impraticable qu'on semble le croire.

Je trouve, je le répète, que ce système est beaucoup plus juste que le système d'impôts généraux qui tombe sur tout le monde indistinctement et sans la moindre distinction.

Mais c'est, dit-on, en faveur des classes ouvrières que la loi a été inventée ! Nous avons tous entendu la remarquable argumentation de l'honorable M. d'Elhoungne sur ce point.

Mais je dois d'abord faire remarquer à l'honorable orateur qu'il n'est pas du tout d'accord avec l'honorable bourgmestre de Bruxelles.

L'honorable représentant de Bruxelles, confirmant et renforçant ce que j'avais dit dans mon premier discours, vous a dit que le résulta inévitable de l'opération serait d'expulser les classes ouvrières des grandes villes et de toutes les villes où les propriétés ont acquis une très grande valeur ; l'honorable M. d'Elhoungne a confirmé de point en point ce résultat de loi. Tel est, messieurs, le but véritable de la loi, et c'est précisément pour empêcher que ce but ne soit atteint que je demande l'intervention de la législature.

Comment ! je l'ai dit dans mon premier discours, nous sommes délégués ici par une partie très minime de la population. L'immense majorité qui ne nous délègue pas, n'a d'autre garantie que les lois et la Constitution, et nous viendrions faire sans leur concours, sans qu'elle l'ait demandé par pétition ou autrement, des lois qui lui ôteraient ces garanties ? Nous ne lui laissons aucun moyen d'opposition si ce n'est l'action tardive de l'opinion publique, mais comme cette majorité de la population n'est pas assez riche pour payer des journaux et avoir ses organes, elle garde cette opinion pour elle et nous ne savons en réalité pas ce qu'elle pense.

(page 1096) Prenez-y garde, messieurs, il y a là un danger immense, au point de vue politique et non moins considérable, au point de vue économique. Au point de vue politique, nous ne savons souvent pas ce que pensent de nos actes, les populations qui ne sont pas représentées ici, tandis qu'au point de vue économique la loi aura pour effet d'éloigner les ouvriers du centre de leurs travaux. Nous occasionnerons ainsi au commerce, à l'industrie et aux classes ouvrières un très grand dommage pour lequel ils ne recevront aucune compensation, dommage que la loi proposée ne cherche pas à amoindrir.

Messieurs, je ne sais réellement si j'ai bien compris l'honorable M. d'Elhoungne, mais je vais dire, sur un certain point, l'impression que son discours m'a laissée. Il s'agit, dit-il, d'assainir les quartiers insalubres habités par de grandes masses de population. Mais il faut remplacer ces quartiers par d'autres quartiers plus salubres ; si c'est dans l'intérieur des villes qu'il veut construire ces quartiers nouveaux, je dois dire que je ne comprends pas très bien comment on pourra remplacer les quartiers habités par la classe ouvrière, par des quartiers nouveaux.

Car ou ils seront établis dans les parties déjà occupées par le commerce, par l'industrie et par les particuliers aisés, ou bien il faudra aller trouver des quartiers nouveaux à l'extérieur. Je ne comprends dans aucun de ces deux cas la possibilité de cette opération. Vous élargissez les rues, vous voulez des habitations plus spacieuses, comment pourrez-vous établir cela sur la surface non agrandie des villes ? Il faudra donc empiéter sur les faubourgs, qui sont eux-mêmes déjà plus ou moins peuplés. Votre loi va donc opérer, si je la comprends bien, non seulement sur la surface des villes mais aussi sur la surface qui les entoure, c'est-à-dire dans les faubourgs.

Vous devez être armés, par conséquent, du droit d'exproprier les surfaces non bâties des environs des villes, car si vous n'êtes pas armés de ce droit, il est évident que si les propriétaires des surfaces non bâties ne veulent pas les vendre, vous ne saurez pas où placer les quartiers nouveaux qu'il est nécessaire de créer pour remplacer les quartiers démolis. Cela vous conduit directement à cette conséquence que je soumets aux propriétaires ruraux qui se trouvent dans cette assemblée, c'est que l'expropriation par zones devra tôt ou tard s'étendre même aux communes rurales.

Mais, messieurs, c'est là une extension de la loi extrêmement considérable. De la commune voisine on découvrira la nécessité de passer sans difficulté à la commune plus loin, et de fil en aiguille je ne sais pas quelle est la propriété foncière qui sera encore garantie en Belgique. Il suffira qu'un conseil communal de n'importe quelle commune veuille améliorer, soit les habitations de la classe ouvrière, soit les voies de communication pour pouvoir s'emparer des jardins, des prairies, des terres et de toute la surface de la commune pour la revendre avec bénéfice ou perte.

Mais on pourrait bien un jour acheter ainsi toute la ville de Bruxelles pour faire une meilleure spéculation, et même si, pour l'améliorer on expropriait un jour toute la Belgique, le bénéfice serait peut-être beaucoup plus considérable.

Un honorable représentant de la ville de Bruxelles m'a adressé tantôt le reproche d'être hostile aux intérêts de cette ville et des grandes villes en général. Mes discours d'aujourd'hui et de l'autre jour sont, dit-il, des discours hostiles.

Je demande à mes contradicteurs de m'expliquer comment le vote de lois spéciales pour chacun des grands travaux que la ville de Bruxelles, par exemple, peut projeter, pourra lui être plus défavorable que la discussion devant le conseil communal ou devant le conseil provincial. Est-ce un acte d'hostilité que de signaler aux villes, ou à leur population les dangers que peut présenter un projet de loi ?

N'est-ce pas, au contraire, un acte positif de réelle sympathie ? Il me semble donc, messieurs, que le reproche est on ne peut plus mal fondé, et je ne l'accepte en aucune façon.

Je terminerai, messieurs, pour ne pas mettre l'impatience de la Chambre à une plus longue épreuve, en appelant votre attention sur un autre point. L'honorable bourgmestre de Bruxelles dernièrement et l'honorable M. Vleminckx aujourd'hui ont fait miroiter à nos yeux l'espoir de subsides à demander à l'Etat pour l'exécution des grands travaux que la loi en discussion leur permettra, croient-ils, d'entreprendre.

Je suis tout disposé, pour ma part, je le déclare sans détour, à accorder aux grandes villes qui en justifieront la nécessité, les subsides qu'elles pourront demander pour des travaux nécessaires et offrant un caractère certain d'intérêt général ; mais je demande comment nous pourrions voter des subsides plus ou moins forts sans nous enquérir de la nécessité de ces travaux et sans exercer sur ce point un contrôle efficace.

Comment ! on pourra, après s'être lancé peut-être imprudemment dans des opérations désastreuses, venir demander à cette Chambre les moyens de réparer le mal qu'on aura fait ! Ne vaudrait-il donc pas mieux soumettre d'avance chaque travail séparément à l'assemblée en même temps que la demande de subside ? Les Chambres seront alors bien plus à même non seulement de juger si le subside est nécessaire, mais également de prémunir les villes contre des entreprises qui pourraient être hasardées.

Comment la ville de Paris a-t-elle pu exécuter les travaux dont on nous a parlé ? Recourant à tout propos à un gouvernement qui puisait à pleines mains dans les caisses du pays. Est-ce là où l'on veut en venir ? Sommes-nous disposés à donner 50, 60, 100 millions pour exécuter des travaux sur lesquels nous n'aurons aucun contrôle ? Messieurs, c'est la question que je vous engage à examiner sérieusement avant de voter le projet de loi.

J'annonce du reste que je propose deux amendements : L'un est une addition à l'article premier, il est ainsi conçu : « Néanmoins, lorsqu'il ne s'agira pas exclusivement d'assainissement, l'expropriation par zones ne pourra être accordée que par une loi. »

L'autre est une addition à l'article 3. Elle porte :

« Dans tous les cas le revenu actuel de la propriété expropriée sera une des bases essentielles de l'indemnité. »

- Les amendements sont appuyés ; ils font partie de la discussion.

MpVµ. - Il est parvenu au bureau deux autres amendements ainsi conçus :

« A l'article premier, après les mots : « un ensemble de travaux, » ajouter : « en vue de la salubrité publique. » Après les mots : « ou pour construire un quartier nouveau, » ajouter : « pour demeures d'ouvriers, » après le mot : « terrains » ajouter : « atteints. »

« Supprimer : « ainsi qu'aux constructions, etc., » jusqu'à la fin.

« (Signé) Dumortier. »

M. Dumortierµ. - Messieurs, après les intérêts du for intérieur, il n'en est pas de plus sacrés dans la société que le droit de propriété. C'est sur ce droit que repose la société moderne.

Ne point y porter atteinte a été de tout temps la loi de tous les gouvernements qui se sont succédé depuis des siècles.

Vous connaissez, messieurs, ce vieux proverbe de notre droit public qui s'appliquait à toutes nos provinces « En Belgique, bourgeois est roi dans sa maison. »

Personne ne pouvait déposséder le bourgeois de sa propriété.

Ce droit a été consacré par la Constitution dans des termes excessivement énergiques, puisque d'après son texte « nul ne pourra être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique. »

C'est une défense faite aux législateurs qui doivent se succéder de faire une loi d'expropriation pour autre chose que pour cause d'utilité publique. La Constitution vous a imposé là un frein auquel il ne vous est point possible de vous soustraire sans faire encore une fois ce qu'on a fait dans d'autres circonstances que je ne rappellerai pas.

La question constitutionnelle, il est vrai, a été traitée par l'honorable M. d'Elhoungne comme n'étant point en jeu dans cette affaire ; quant à moi, je déclare que je l'y vois tout entière.

La loi d'expropriation par zones, telle qu'on la formule, est, à mon avis, une atteinte profonde au droit de propriété et à la Constitution.

Ici, messieurs, permettez-moi, en commençant d'invoquer le témoignage de deux des hommes les plus honorables de la gauche, d'hommes que vous entendez toujours comme moi avec infiniment de plaisir et qui certes ont une valeur très grande dans cette enceinte.

Dans la séance du 21 novembre 1859, un honorable membre, un des orateurs les plus brillants de la gauche s'exprimait en ces termes : « Je ne pense pas qu'il y ait un seul ministre qui voulût présenter une loi permettant d'exproprier le périmètre pour d'autres causes que celle de salubrité. »

Voilà ce que disait l'honorable M. Guillery.

Je demande s'il est possible qu'une commune vienne exproprier prétendument pour cause d'assainissement et revende au propriétaire lui-même un terrain trois fois plus cher qu'il ne l'a vendu. Il y a là évidemment spoliation de la part de la commune. Je sais bien que c'est dans l'intérêt général que cela se fera ; mais on ne peut léser ainsi les droits des particuliers même au profit du public.

Voilà, messieurs, des principes que je suis heureux de rappeler, qui ont toutes mes sympathies et que je professe aussi.

(page 1097) Un autre membre de cette Chambre, dans une pétition imprimée à l'occasion de cette loi spoliatrice, s'exprimait dans des termes non moins énergiques.

Voici, messieurs, ce qu'il disait :

« L'exposé des motifs de la loi de 1858 et la discussion à laquelle elle a donné lieu attestent l'intention et la volonté de ne pas mettre le sort de la propriété à la merci des spéculations privées, ni de l'excès de zèle des administrations locales. C'est avec une grande réserve et en cédant à des nécessités absolues que le législateur a entamé un principe fondamental de toute société civilisée, celui du respect dû à la propriété. Quand l'expropriation est opérée dans des conditions ordinaires, elle ne présente aucun aliment à l'exagération, elle se renferme dans les plus étroites limites de ce qui est nécessaire. Au contraire, quand elle s'exerce avec des emprises par zones, elle suggère des prétextes et colore parfois une sollicitude apparente, qui ne se serait jamais éveillée en l'absence d'un moyen procurant honneur ou profit à ceux qui exécutent au détriment de ceux qui sont expropriés. »

Et il ajoutait : '

« Voilà l'écueil qu'il fallait éviter et qui a préoccupé le gouvernement et la Chambre. »

Cette pétition, qui a autrefois été signalée à la Chambre, était signée par M...

Ainsi donc, deux des hommes des plus marquants de la gauche partageaient cette opinion que l'expropriation par zone était un immense danger, qu'elle cachait presque toujours une atteinte à la propriété, et que lorsque de pareilles expropriations étaient livrées à la spéculation, elles pouvaient faire naître des prétextes à s'emparer du bien des particuliers.

La loi qui nous est présentée, je puis la résumer en un mot : c'est la propriété privée livrée aux communes, et j'ajoute que les communes pourront la transmettre à des sociétés d'agioteurs afin de s'en servir pour faire des bénéfices.

Voilà, messieurs, la loi tout entière ; elle est, je le prouverai tout à l'heure, l'antithèse de la loi française, car la loi française, tout en voulant faciliter les grands travaux et les assainissements, a eu pour but de préserver la propriété qui n'est point atteinte par la ligne à traverser, de préserver surtout les propriétés importantes qui ne sont pas contiguës à la ligne. Ici la loi a pour but de s'emparer de toutes les propriétés qui ne sont pas atteintes pour en faire un objet de spéculation soit au profit de la commune soit au profit de spéculateurs.

En France la loi est formelle, elle ne permet pas de prendre autre chose que la propriété atteinte par la ligne ; il y a deux exceptions seulement : 1° s'il s'agit de maisons insalubres ; 2° si les excédants de parcelle sont trop peu considérables pour qu'on puisse y bâtir et dans cette hypothèse la loi autorise le propriétaire voisin à s'entendre avec la ville pour céder une partie de son terrain.

Ainsi, la loi française a eu pour but d'empêcher les spéculations contre la propriété privée ; la loi qui nous est soumise, au contraire, ne mettant pas de limite aux zones, autorisant un plan qu'on appelle un plan d'ensemble, permet, au contraire, la spéculation contre la propriété des particuliers.

Elle va plus loin : elle permet même d'exproprier des terres arables, des propriétés territoriales à bas prix, afin, plus tard, de faire de la spéculation en les revendant à un prix plus élevé.

M. d'Elhoungne tout à l'heure a cité la loi française et il y a trouvé des artifices de rédaction ; je crois qu'il n'y a pas d'artifices de rédaction dans cette loi, mais dans la manière dont elle a été présentée par M. d'Elhoungne il y a des artifices d'orateur. Je vais vous lire le texte non pas en arrangeant les articles de manière à leur faire dire ce qu'ils ne disent pas, mais de manière à vous permettre de les saisir.

Voici ce que porte l'article 2 du décret du 26 mars 1852 :

« Dans tout projet d'expropriation pour l'élargissement, le redressement ou la formation des rues de Paris, l'administration aura la faculté de comprendre la totalité des immeubles atteints, lorsqu'elle jugera que les parties restantes ne sont pas d'une étendue ou d'une forme qui permette d'y élever des constructions salubres. »

Ainsi, c'est une faculté et une faculté seulement, quand elle jugera qu'on ne peut pas établir dans le reste des constructions salubres. Ici, au contraire, c'est un droit absolu.

« Elle pourra pareillement comprendre dans l'expropriation des immeubles en dehors des alignements, lorsque leur acquisition sera nécessaire pour la suppression d'anciennes voies publiques jugées inutiles.

« Les parcelles de terrains acquises en dehors des alignements et non susceptibles de recevoir des constructions salubres seront réunies aux propriétés contiguës, soit à l'amiable, soit par l'expropriation de ces propriétés conformément à l'article 35 de la loi du 16 septembre 1807. »

Vous le voyez : que fait la loi française ? Elle autorise la ville de Paris à exproprier les propriétés atteintes par la ligne et encore sous des réserves que j'ai indiquées. Mais que fait la loi que nous discutons ? Elle autorise à exproprier non plus la propriété atteinte par la ligne mais toutes les propriétés qui sont dans une zone laquelle zone n'est pas définie, que la fantaisie de l'architecte peut étendre autant qu'il Io veut.

Ici la propriété privée est livrée tout entière à la ville et cela sans limite, et cela sans que la loi fasse rien pour sauvegarder ses intérêts soit contre la rapacité des villes, soit contre la rapacité des spéculateurs ; eh bien, je regarde cela comme la chose la plus inconstitutionnelle qu'on ait jamais faite.

Comment ! vous aurez le droit de prendre les propriétés qui ne sont pas atteintes et qui ne sont pas nécessaires, et cela uniquement en vue de spéculations !

Mais, dit-on, la Chambre a tranché la question, elle a donné la signification du mot « utilité publique » dans la loi présentée par M. de Theux et dans une autre circonstance encore. Qu'est-ce donc que la loi présentée par M. de Theux ? C'était une loi ordonnant aux communes de vendre des bruyères.

D'abord, messieurs, remarquez-le bien, il ne s'agit pas là d'une personne privée, mais d'une personne civile, et c'est bien différent ; on n'a jamais pu ordonner à un particulier de vendre sa propriété pour la défricher ; mais on pouvait bien obliger une administration dépendante de l'Etat à ne pas conserver des terrains improductifs, alors qu'il y avait de sérieux motifs de le faire. On peut discuter sur la loi présentée par M. de Theux, mais ceux qui ont voté cette loi ont pensé qu'il s'agissait d'un objet très sérieux d'utilité publique, et certes vous avez le droit de prescrire, quant au domaine public, des choses que vous n'auriez pas le droit de prescrire quant aux particuliers.

L'expropriation des voies pour arriver aux houillères ? Mais, messieurs comment peut-on contester qu'il soit d'utilité publique de pouvoir se chauffer l'hiver ? Est ce que par hasard, dans un pays comme le notre, où l'hiver a une assez longue durée, on peut se passer de la houille pour se chauffer ?

MiVDPBµ. - En se chauffant au bois. (Interruption.)

M. Dumortierµ. - On peut se chauffer au bois. Mais les bois sont défrichés. Je crois que pour vous chauffer au bois, M. le ministre de l'intérieur, vous n'auriez qu'un moyen, ce serait de démolir votre hôtel et d'en prendre les gîtes pour en faire du feu.

- Un membre. - Il n'aurait plus de gîte, alors. (Interruption.)

M. Dumortierµ. - N'est-il pas évident que c'était là un objet d'utilité publique encore, et que cette question n'a aucun rapport avec celle qu'on soulève aujourd'hui ? Car, encore une fois, ce n'est pas seulement le terrain qui est nécessaire pour l'utilité publique que vous voulez exproprier, ce sont les terrains voisins, qui ne présentent pas cette utilité publique, qui ne profitent que d'une manière indirecte et que vous permettez d'exproprier. Et cela pourquoi ? Parce que vous avez besoin d'argent pour faire de grands travaux, parce que vous voulez pouvoir écrire sur votre chapeau :

« C'est moi qui suis Guillot, berger de ce troupeau. »

Mais, messieurs, on a invoqué une bien plus grande et bien plus puissante autorité ; c'est l'ouvrier. C'est pour les ouvriers, pour les malheureux ouvriers, pour lesquels on ne fait rien, dit-on, que nous voulons la loi d'expropriation.

Messieurs, je vous avoue franchement que j'aime beaucoup les discussions, mais que je n'aime pas du tout qu'on invoque des motifs tout à fait opposés à ceux qu'on se propose pour arriver à ses fins. Je n'aime pas les masques, et dans ma conviction profonde, quand j'examine cette loi, l'ouvrier est ici le masque dont on se pare pour bâtir des palais. L'ouvrier, vous voulez le chasser de sa demeure. Vous voulez faire ce qu'on fait dans certaines contrées où l'on expulse les populations qui deviennent trop nombreuses. Quand, à Rome, il y avait trop de population, que faisait-on ? On envoyait les ouvriers dans les campagnes, on les chassait, désespérés, loin des lieux qui les avaient vus naître. En Turquie aussi, on expulse des populations entières ; on les envoie dans des contrées lointaines. Voilà ce que vous voulez faire. L'ouvrier qui habite Bruxelles, qui y est né, qui y a les secours de la charité publique et de la charité privée, vous voulez l'expulser.

(page 1098) Ne parlez donc pas de l'intérêt de l'ouvrier ! C'est contre lui que vous travaillez ! Ce que vous voulez, c'est faire de belles et grandes villes. Les lauriers de M. Haussmann vous empêchent de dormir.

C'est pour l'ouvrier que vous voulez travailler. Mais où sont donc les pétitions d'ouvriers qui viennent vous demander une loi pareille, qui viennent vous demander d'être expulsés de leurs demeures ? L'honorable M. Elias vous faisait une observation bien profonde et bien juste, lorsqu'il vous disait : L'ouvrier, dans les villes, jouit des secours de la bienfaisance ; il a ses hospices, ses bureaux de bienfaisance, ses hôpitaux ; il a les secours de la charité privée ; et lorsque vous aurez chassé les ouvriers de leurs domiciles, lorsque vous les aurez envoyés dans les champs, où ils n'auront plus les secours de la charité publique ni de la charité privée, vous dites que c'est pour l'ouvrier que vous aurez travaillé ?

C'est barbare ! c'est sauvage !

Il y a, messieurs, un moyen bien simple de faire ce que l'on veut, et il ne faut pas aller à New-York pour le trouver. Quand Néron trouva que la ville de Rome n'était plus assez belle, que fit-il ? IIlmit le feu aux quatre coins de la ville pour en bâtir ensuite une nouvelle, mais croyez-vous que parce que vous aurez percé quelques rues dans Bruxelles, vous aurez supprimé par cela même toutes les petites ruelles qui s'y trouvent ? Mais vous ne les supprimerez nullement, à moins de faire comme Néron, d'incendier votre capitale pour en construire une nouvelle.

L'ouvrier a le droit de rester dans les villes et vous avez un moyen très simple de lui rendre un immense service. Quand j'ai vu dans le discours du Trône qu'il allait être question dans cette session d'assainir les demeures des ouvriers, mon cœur a palpité, parce que j'aime l'ouvrier. J'ai été heureux et j'ai applaudi. Mais je n'aurais jamais cru qu'on viendrait se servir de ce subterfuge pour faire une loi contre l'ouvrier.

II y avait, je le répète, un moyen bien simple de venir au secours de l'ouvrier ; un simple moyen de police suffisait. Comment ! quand une maison n'est plus habitable, vous avez, en vertu des lois de police, le droit d'empêcher qu'elle soit habitée.

Quand une maison est insalubre, usez de votre droit ; défendez qu'elle soit habitée, et comme le disait l'honorable M. d'Elhoungne, vous aurez rencontré le mal où il se trouve, dans la cupidité des propriétaires. Dites que toutes les fois qu'un propriétaire laissera une habitation insalubre, pour en tirer un plus gros denier, vous la ferez fermer. Faites une loi pareille et vous aurez non seulement l'approbation des Chambres, mais les acclamations de tout le pays.

Mais ne venez pas, sous prétexte de venir en aide aux ouvriers, sous prétexte des maladies qui ont décimé les populations, expulser les ouvriers de leurs demeures pour mettre en place des palais, des maisons somptueuses ; ne venez pas les chasser loin des lieux qui les ont vus naître.

Si c'est pour l'ouvrier et pour la salubrité publique que vous travaillez, vous voterez les amendements que j'ai présentés. Ce sera la pierre de touche qui me prouvera si votre pensée est d'accord avec vos paroles. Car mes amendements ont pour but de restreindre la loi aux travaux qui ont pour objet la salubrité publique.

MiVDPBµ. - Alors il est inutile de faire une loi.

M. Dumortierµ. - J'entends dire : alors il est inutile de faire une loi. C'est donc que votre loi n'a pas en vue la salubrité publique !

MiVDPBµ. - Pas exclusivement ; elle va plus loin.

M. Dumortierµ. - Et c'est précisément ce que je veux empêcher ; je ne veux pas qu'elle aille plus loin. La salubrité publique est un prétexte, un mauvais prétexte ; car il repose sur le malheur public, sur la déplorable situation des ouvriers.

Or, on ne fait rien pour eux. On créera des bâtiments pour les riches, et quant à ceux dont on démolira les demeures, on les enverra dans les villages, où ils seront parqués comme de vils troupeaux, éloignés des lieux qui les ont vus naître et qu'ils veulent continuer à habiter.

Messieurs, cette loi est une des plus sérieuses que nous ayons eu à examiner. Elle est sérieuse par sa portée ; elle est sérieuse aussi par sa moralité, car une loi n'est pas morale, si le principe qu'on invoque pour la faire voter n'est pas celui qu'on a dans le cœur ; si le principe qu'on met en avant n'est pas au fond de la loi. Or, vous avouerez avec moi que, pour l'ouvrier, la loi est inutile. J'en conclus qu'elle n'a qu'un seul but, celui de favoriser les spéculations au détriment des habitants de nos villes, au détriment de ceux qui possèdent, pour enrichir ceux qui ne possèdent pas.

Qu'arrivera-t-il ? L'honorable rapporteur vous l'a dit tout à l'heure ; la loi actuelle excitera les spéculateurs. Eh bien, c'est précisément ce que je ne veux pas. La loi donc excitera les spéculateurs. Or, qui de nous ignore à quelles manœuvres ont recours les spéculateurs, les maltôtiers pour s'enrichir ? Ces hommes, en vertu de votre loi, viendront dire : « Je veux bien faire telle spéculation ; mais vous ne me donnez pas assez de terrrin ; il faut que vous me donniez encore tel autre terrain. »

Et vous exproprierez ainsi dans les grandes communes toutes les propriétés privées, sans que les propriétaires profitent en aucune façon de la loi ; vous livrerez ainsi la propriété privée aux spéculations des maltôtiers qui veulent s'enrichir à ses dépens.

Vous allez plus loin : vous abandonnez à la spéculation les terrains non bâtis de l'extérieur des villes, car vous dites dans la loi qu'on pourra faire des quartiers nouveaux.

D'abord, je ferai une remarque, c'est qu'il s'agit des pauvres. Or, la loi n'oblige pas à construire des maisons pour les pauvres ; on peut détruire la maison du pauvre, mais on ne doit pas en construire une autre ailleurs. Donc la loi ne fait absolument rien pour les pauvres.

Maintenant, qu'est-ce qu'un quartier nouveau ? C'est un quartier qui n'existe pas. Où a-t-on créé à Bruxelles le nouveau quartier Léopold ? Sur des champs labourés. Où a-t-on créé un autre quartier nouveau, le quartier Louise ? Encore une fois sur des champs cultivés.

On fait donc des quartiers nouveaux là où il n'y a pas d'habitation ; car si le quartier est déjà habité, ce ne sera plus un quartier nouveau, ce sera un quartier transformé, renouvelé.

Ainsi, pour les quartiers nouveaux vous allez autoriser les administrations communales à exproprier une masse de terres arables qui peuvent acquérir, par une transformation, une immense valeur, qui n'ont pas encore acquis cette valeur ; vous allez autoriser, dis-je, ces administrations à les exproprier pour les revendre ensuite à des prix infiniment plus élevés. Ainsi vous êtes propriétaire d'un terrain de 3 ou 4 hectares à quelque distance de la ville de Bruxelles, par exemple, l'hectare vous aura coûté 15,000 à 20,000 fr. ; si on bâtit sur le terrain l'hectare pourra valoir 100,000 francs, la ville expropriera le terrain, elle le vendra par lots, au pied et à la mesure, et elle réalisera des bénéfices considérables.

Voilà la conséquence inévitable de la loi.

Vous n'inscrivez pas dans la loi que les terrains expropriés seront employés à la construction de telles ou telles espèces de maisons ; la loi pourra donc recevoir son application, non seulement pour les maisons d'ouvriers, mais aussi pour des palais, des hôtels. Je dis qu'en présence d'une pareille disposition, il n'existe plus de propriété privée en Belgique.

C'est là, comme le faisait remarquer dernièrement un journal, le régime du Grand-Turc, où la propriété privée tout entière appartient à l'Etat... C'est encore le régime du moyen âge, eu un mot, ce sont les abus d'un autre âge qu'on veut rétablir au profit des communes. Dans le temps, vous avez parlé des abus d'un autre âge ; en voilà ! (Interruption.)

J'entends les députés de Bruxelles crier : « Aux voix ! » Je comprends que mon discours puisse les gêner. Mais quand des intérêts si graves sont en jeu, il est bien permis, sans doute, d'exprimer sa pensée, alors même qu'elle ne serait pas favorable à ces députés.

Messieurs, dans mon opinion, la loi qui nous est proposée est radicalement vicieuse.

Si vous nous aviez présenté une loi dans le genre de la loi française, je l'aurais comprise. Je vous demanderai pourquoi vous êtes sorti de la loi française. Pourquoi n'avez-vous pas inscrit dans votre projet les réserves que la loi française contient en faveur de la propriété ? Tandis que la loi française n'autorise que l'expropriation des terrains atteints, pourquoi le projet de loi que nous discutons autorise-t-il l'expropriation hors des terrains atteints ?

Je demande pourquoi, dans un pays libre comme la Belgique, où le droit de propriété doit surtout être sacré, vous livrez partout la propriété privée à la spéculation, à la maltôte ?

On ne répondra pas à cette question ; on ne me dira pas pourquoi on est sorti de la loi française ; moi je m'en vais vous dire pourquoi : c'est que la loi française ne permet pas aux administrations communales de faire ces spéculations ; or, la loi que nous discutons en ce moment est faite uniquement en vue des spéculations à faire par les villes.

Et cependant la loi française aurait dû vous satisfaire. En effet, on nous parle ici des grands travaux qui ont été faits à Paris, à Lyon, à (page 1099) Marseille ; eh bien, tout cela s'est fait au moyen de cette loi. Pourquoi ne vous en contentez-vous pas ? Pourquoi voulez-vous exproprier les propriétés qui ne sont pas atteintes ?

Et d'ailleurs, je dois faire remarquer encore que les quartiers nouveaux, créés à Lyon et à Marseille, et notamment à Marseille la rue de l'Empereur et la rue de l'Impératrice n'ont pas fait disparaître les quartiers des pauvres qui y existaient avant les créations nouvelles. Et pourquoi ? Parce qu'en définitive le but des administrations communales est partout de faire du brillant. Il n'est nullement question des ouvriers au fond. Ce sont eux qu'on invoque ; mais ce sont des maisons splendides qu'on veut construire.

Je dis donc que la loi qui nous est présentée aurait dû se borner à reproduire les bases de la loi qui est en vigueur en France ; qu'il n'y avait pas lieu de les étendre. Je dis qu'il importe de sauvegarder la propriété privée contre la rapacité, soit des villes, soit des sociétés anonymes qui se substitueront à elles, pour réaliser de gros bénéfices au détriment des particuliers ; je dis qu'il importe de nous mettre à l'abri de pareilles éventualités ; et le seul frein à opposer à des prétentions de ce genre, c'est de ne permettre que l'expropriation des propriétés atteintes, sauf les cas d'insalubrité.

Messieurs, j'ai déposé des amendements. On a toujours invoqué la salubrité publique, je vous propose une rédaction qui prouvera que c'est réellement là le motif de la loi. C'est pourquoi je propose de dire : Lorsqu'il s'agit d'un ensemble de travaux en vue de salubrité publique, ayant pour objet d'assainir ou d'améliorer, en totalité ou en partie, un ancien quartier, ou de construire un quartier nouveau pour demeures d'ouvriers, le gouvernement peut, à la demande du conseil communal, autoriser, conformément aux lois du 8 mars 1810 et du 17 avril 1835, l'expropriation de tous les terrains atteints destinés aux voies de communication, et à d'autres usages ou services publics.

Je supprime les deux dernières lignes de l'article.

Je crois que la loi ainsi conçue atteindra le but et qu'au moins elle aura le mérite d'être sincère. Elle dira ce qu'elle veut ; si ce sont des moyens de salubrité publique que vous voulez, elle vous les accordera. Mais on n'aura pas le droit, au nom de la salubrité publique, d'exproprier des propriétés qui ne sont pas atteintes par la rue, on devra les respecter.

Les dispositions de la loi non modifiées donneraient lieu à un arbitraire effrayant ; elles permettent d'exproprier des zones qui sont indéfinies. Que seront ces zones ? Elles seront ce que les spéculateurs et les architectes voudront. Ce sont eux qui détermineront le périmètre des terrains à exproprier, et ce périmètre sera fixé à raison des bénéfices qu'on pourra faire.

Si vous voulez réellement une loi pour la salubrité publique, adoptez la loi française dans le sens des amendements que je vous propose. Alors du moins vous aurez mis un obstacle à des spéculations malhonnêtes, à des spéculations odieuses, et vous aurez sauvegardé un des plus grands intérêts de la société moderne.

- La clôture est demandée.

MiVDPBµ. - Je voulais répondre quelques mois à l'honorable M. Dumortier ; mais la Chambre désire clore... (Oui ! oui !) Je renonce à la parole.

M. Coomansµ (contre la clôture). - Je croyais qu'il y avait encore un autre amendement à présenter ; c'est celui qui aurait rendu obligatoire la construction préalable d'autant de maisons qu'on veut en démolir. Alors je concevrais jusqu'à un certain point la loi, la question de constitutionnalité à part.

MpVµ. - J'ai fait connaître à la Chambre les amendement qui me sont parvenus et je dirai à cette occasion que ceux de M. Broustin sont retirés.

M . Kervyn de Lettenhoveµ (sur la clôture). - Je désirerais, messieurs, qu'avant que la Chambre passât au vote, M. le rapporteur de la section centrale voulût bien nous faire connaître si l'embellissement auquel ne se joindrait aucune considération d'hygiène, de salubrité publique, pourrait donner lieu à l'expropriation par zones.

M. Ortsµ. - Evidemment non.

M. d'Elhoungneµ. - Dans la pensée de la section centrale, l'embellissement qui serait dégagé de tout caractère d'amélioration pour l'assainissement de la ville, n'est pas autorisé par la loi.

MpVµ. - La parole est à M. Tack.

M. Tackµ. - Mon intention était de faire l'interpellation qu'a faite l'honorable M. Kervyn.

- La clôture de la discussion générale est mise aux voix et prononcée.

Discussion des articles

La Chambre passe à la délibération sur les articles.

Article premier

« Art. 1er. L'article premier de la loi du 1er juillet 1858 est remplacé par la disposition suivante :

« Lorsqu'il s'agit d'un ensemble de travaux, ayant pour objet d'assainir ou d'améliorer, en totalité ou en partie, un ancien quartiers ou de construire un quartier nouveau, le gouvernement peut, à la demande du conseil communal, autoriser, conformément aux lois du 8 mars 1810 et du 17 avril 1835, l'expropriation de tous les terrains destinés aux voies de communication et à d'autres usages ou services publics, ainsi qu'aux constructions comprises dans le plan général des travaux projetés. »

MpVµ. - Je dois d'abord mettre aux voix les amendements proposés à cet article par M. Dumortier.

M. Dumortierµ (sur la position de la question). - J'ai fait deux ordres divers de propositions. Les deux premières modifications que je propose sont relatives à la salubrité ; la troisième et la quatrième sont relatives aux propriétés non atteintes. En ajoutant les mots « terrains atteints », et en supprimant la phrase finale, je veux empêcher qu'on exproprie les propriétés qui rie seront pas atteintes.

Je demande que la Chambre cote par division, d'abord sur les deux premières modifications que je propose, ensuite sur les deux dernières.

- Les deux premières modifications proposées par M. Dumortier sont mises aux voix ; elles ne sont pas adoptées.

Les deux dernières sont mises aux voix et ne sont pas non pins adoptées.

L'article premier, tel qu'il est proposé par la section centrale, est mis aux voix et adopté.

L'a disposition additionnelle proposée par M. Le Hardy de Beaulieu est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.

Articles 2 et 3

« Art. 2. Dans l'article 2 de la même loi, les mots : « la nécessité de l'assainissement » sont remplacés par ceux-ci : « l'utilité et le plan des travaux projetés ».

- Adopté.


« Art. 3. L'article 9 de la loi du 1er juillet 1858 est abrogé. Il sera remplacé par la disposition suivante :

« L'expropriation en vertu de la présente loi sera poursuivie, et l'indemnité due aux propriétaires sera réglée, conformément aux dispositions des lois du 8 mars 1810 et du 17 avril 1835. »

- Adopté.

Article additionnel

La disposition additionnelle proposée par M. Le Hardy de Beaulieu est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.

Article 4

« Art. 4. La présente loi n'est pas applicable aux projets de travaux déjà approuvés par le Roi, et à l'égard desquels il y a contrat d'entreprise. »

M. Jacobsµ. - Messieurs, cet article me paraît complètement inutile. Il va de soi que si le Roi a déjà approuvé des projets de travaux et si ces travaux font déjà l'objet d'un contrat d'entreprise, le gouvernement ne va pas y appliquer la loi actuelle. Interdire cela au gouvernement, c'est, en réalité, donner une preuve de défiance à l'égard de son bon sens.

M. d'Elhoungne, rapporteurµ. - Le maintien de l'article ne présente aucun inconvénient et on n'a pas voulu en faire une insulte au bon sens du gouvernement.

- L'article 4 est mis aux voix et adopté.

Article 2

MiVDPBµ. - Il y a un changement à faire à l'article2. On dit : « dans l'art. 2 de la même loi. » Or, on parle de plusieurs lois. Je propose de mettre : « dans l'art. 2 de la loi du 1er juillet 1858. »

- Ce changement de rédaction est mis aux voix et adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet :

71 membres sont présents.

54 adoptent.

13 rejettent.

4 s'abstiennent.

En conséquence, le projet de loi est adopte.

Ont voté l'adoption :

MM. Thienpont, T'Serstevens, Valckenaere, Van Cromphaut, Alp. Vandenpeereboom, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vleminckx, Warocqué, Watteeu, Allard, Ansiau, Anspach, Bar a, Bricoult, Broustin, Bruneau, Carlier, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Brouckere, De Fré, de Kerchove de Denterghem, d'Elhoungne, de Macar, de Moor, (page 1100) de Rossius, Descamps, de Smedt, de Terbecq, Dethuin, Dewandre, Frère-Orban, Gerrits, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Jouret, Kervyn de Lettenhove, Lange, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nothomb, Orban, Orts, Preud'homme, Rogier et Ernest Vandenpeereboom.

Ont voté le rejet :

MM. Vander Donckt, Van Hoorde, Wouters, Coomans, Delaet, de Liedekerke, Dumortier, d'Ursel, Elias, Hayez, Magherman, Reynaert et Snoy.

Se sont abstenus :

MM. Tack, de Naeyer, Jacobs et Le Hardy de Beaulieu.

MpVµ. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Tackµ. - Je n'ai pas voulu voter contre le projet de loi, parce que je reconnais l'urgence de donner aux administrations communales les pouvoirs nécessaires pour procéder, dans le plus bref délai, à l'assainissement des quartiers insalubres habités par les classes indigentes et ouvrières. Je n'ai pas voté pour le projet de loi, parce que j'aurais désiré y voir introduire quelques garanties de plus dans l'intérêt des propriétaires ; mon intention était, comme je l'avais annoncé, de présenter des amendements en ce sens ; mais voyant l'impatience si vive de la Chambre à se séparer, j'ai cru devoir m'abstenir de prolonger la discussion.

M. de Naeyerµ. - J'aurais voté de grand cœur le système d'expropriation par zones, si l'application possible de ce système avait été limitée à des travaux ayant véritablement pour objet d'améliorer les conditions de logement de nos classes ouvrières.

Mon intention même était de présenter quelques amendements en ce sens destinés ainsi à imprimer à la loi son véritable caractère.

J'ai dû m'en abstenir en présence de l'impatience de la Chambre, impatience que j'ai parfaitement prévue hier, lorsque j'ai voté pour l'ajournement, parce qu'une loi de cette importance me paraissait digne d'une discussion sérieuse et approfondie.

En cet état de choses il m'a été absolument impossible de voter une loi qui, suivant moi, confère au gouvernement un pouvoir exorbitant, pouvoir qui lui permettra d'appliquer le système d'expropriation par zones à des travaux qui n'intéressent en rien la classe ouvrière en ce qui concerne les logements qu'elle occupe.

Ainsi, en vertu de cette loi, il sera possible notamment de décréter par voie d'expropriation par zones la construction d'un nouveau quartier tel que le quartier Leopold, tout en laissant subsister à une faible distance un quartier hideux tel que celui qu'on appelle la rue de l'Obéissance, et tout cela sous prétexte d'améliorer les habitations des classes ouvrières.

M. Jacobsµ. - J'ai développé les motifs de mon abstention dans le cours de la discussion. Je crois inutile d'y retenir.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - J'aurais voté volontiers une loi spéciale donnant des garanties à la fois aux villes et aux propriétaires.,

Je n'ai pu voter une loi qui ne donne aucune de ces garanties.

M. Anspachµ. - Je crois que les motifs d'abstention donnés par l'honorable M. de Naeyer sont complètement erronés.

MpVµ. - Il est dans les précédents de la Chambre de ne pas discuter les motifs d'abstention.

M. de Naeyerµ. - Je ne m'oppose pas à ce que M. Anspach discute mes motifs d'abstention. Je suis prêt à lui prouver qu'ils sont complètement fondés.

M. Anspachµ. - Je me conforme aux usages de l'assemblée.

Ajournement de la chambre

La Chambre s'ajourne jusqu'à convocation ultérieure.

La séance est levée à 4 3/4 heures.