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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 19 août 1867

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)

(Présidence de M. Lange, doyen d’âgeµ)

M. Lange, doyen d’âgeµ, occupe le fauteuil de la présidence.

Appel nominal

(page 1) M. Jacobsµ et M. Liénartµ, les deux membres les plus jeunes de l'assemblée, remplissant les fonctions de secrétaires provisoires.

M. Jacobsµ procède à l'appel nominal à une heure et quart.

Pièces adressées à la chambre

« Des congés sont demandés par MM. Sabatier, Thienpont, Rodenbach, Van Humbeeck, Jonet et Watteeu. »

- Ces congés sont accordés.

Vérification des pouvoirs

Il est donné lecture d'une lettre par laquelle M. le ministre de l'intérieur fait connaitre que les résultats des opérations électorales qui ont eu lieu le 11 juin dernier à Turnhout, pour la nomination d'un représentant, sont consignées dans les procès-verbaux concernant l'élection d'un sénateur par le même arrondissement. En conséquence, M. le ministre de l'intérieur prie M. le président de la Chambre de s'entendre avec M. le président du Sénat pour obtenir la communication des pièces quand cette dernière assemblée aura vérifié les pouvoirs du nouvel élu.

Il est procédé à la nomination, par la voie du tirage au sort, d'une commission de sept membres qui sera chargée de vérifier les opérations électorales qui ont en lieu dans l’arrondissement de Turnhout. Cette commission est composée de MM. Vandenpeereboom (Ernest), Moncheur, Pirmez, Nothomb, Jacquemyns, Lippens et d'Hane-Steenhuyse.

Sur la proposition de M. le président, la séance est suspendue à une heure et demie ; elle est reprise à deux heures.

M. Nothombµ fait rapport sur l'élection de M. de Zerezo et conclut à son admission.

- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.

M. de Zerezo prête serment.

Formation du bureau définitif

MpLangeµ. - La Chambre désire-t-elle procéder immédiatement à la formation du bureau définitif ?

- Des voix. - Non, non, à demain.

M. Coomansµ. Il vaudrait mieux y procéder immédiatement pour gagner du temps ; il n'est que deux heures.

- La Chambre décide qu'elle procédera immédiatement à la formation du bureau définitif.

Nomination du président

Nombre des votants, 86.

Bulletins blancs, 4.

Reste 82 bulletins valables.

Majorité absolue, 42.

M. Ernest Vandenpeereboom à obtenu 35 suffrages.

M. Nothomb, 32.

M. Dolez, 7.

M. Tesch, 4.

M. Orts, 3.

M. de Theux, 1.

Aucun de ces messieurs n'ayant obtenu la majorité absolue, il est procédé à un second scrutin pour la nomination du président.

Nombre des votants, 86.

Bulletins blancs, 5.

Bulletins valables, 81.

Majorité absolue, 41.

M. E. Vandenpeereboom a obtenu 41 suffrages.

M. Nothomb, 34.

M. Dolez, 5.

En conséquence, M. Ernest Vandenpeereboom, ayant obtenu la majorité absolue des suffrages, est proclamé président de la Chambre des représentants.

Nomination du premier vice-président

Le scrutin donne le résultat suivant :

Nombre des votants, 82.

Bulletins blancs, 3.

Bulletins valables, 79.

Majorité absolue, 40.

M. Moreau obtient 48 voix.

M. Vermeire, 20.

M. Crombez, 2.

Voix perdues, 3.

En conséquence, M. Moreau est proclamé premier vice-président.

Nomination du second vice-président

(page 2) Nombre des votants, 82.

Bulletins blancs, 3.

Bulletins valables, 79.

Majorité absolue, 40.

M. Crombez obtient 51 voix.

M. Lange, 23.

Voix perdues, 5.

En conséquence, M. Crombez est proclamé second vice-président.

Nomination des secrétaires

Le scrutin donne Je résultat suivant:

Nombre des votants, 81.

Bulletins blancs, 3.

Bulletins valables, 78.

Majorité absolue, 40.

M. de Florisone obtient 60 suffrages.

M. Van Humbeeck, 57.

M. de Moor, 57.

M. Thienpont, 46.

En conséquence ces quatre membres sont proclamés sècrétaires.

Installation du bureau définitif

MpLangeµ. - Le bureau définitif étant constitué, je prierai les honorables président et secrétaires de venir occuper leur poste.

M. E. Vandenpeereboomµ monte au fauteuil de la présidence, accompagné de MM.de Florisone et de Moor et s'exprime en ces termes. - Messieurs, dans cette courte et peut-être éphémère session, la sobriété de langage est de saison : je me contente donc de vous remercier en peu de mots de la nouvelle marque de confiance que vous venez de me donner.

Conformément au règlement, je déclare la Chambre constituée ; il en sera donné avis au Roi et au Sénat.

Messieurs, nous n'avons rien à notre ordre du jour ...

Interpellation

M. Jacobsµ. - Je demande la parole.

MpVµ. Pourquoi, M. Jacobs ?

M. Jacobsµ. - Vous faites l'observation, M. le président, que la Chambre n'a rien à son ordre du jour. J'ai l'intention d'interpeller M. le ministre de la justice aujourd'hui on demain, selon qu'il conviendra à la Chambre.

MjBµ. - Aujourd'hui.

MpVµ. - La parole est à M. Jacobs.

M. Jacobsµ. - Le I7 mai dernier, la cour d'assises du Brabant condamnait Alexandre de Burlet, avocat à Bruxelles, à quinze jours d'emprisonnement et à 50 francs d'amende pour provocation eu duel ; le même arrêt condamnait Joseph Dubois, avocat, avoué, juge suppléant et journaliste à Nivelles, à trois mois de prison et 500 fr. d'amende pour avoir, par la publication d'un écrit injurieux, donné lieu à cette provocation.

Les débats de cette affaire ont en assez de retentissement et ont trop peu d'importance au point de vue de l'interpellation que j'adresse à M. le ministre de la justice, pour que je mentionne autre chose que la diversité d'attitude des prévenus.

M. de Burlet se reconnut coupable et n'invoqua que des circonstances atténuantes, que quiconque a une mère comprendra. M. Dubois, lui, essaya, mais en vain, d’échapper à la répression. La cour lui refusa le bénéfice des circonstances atténuantes qu'elle accorda à son adversaire de Burlet.

Le surlendemain de l’arrêt, le 19 mai, parut l'Organe de Nivelles, journal dont M. Dubois rédige la partie judiciaire ; on y trouvait une partie de la plaidoirie de son défenseur, précédée d'un entrefilet en gros caractères, dont je vais avoir l'honneur de donner lecture à la Chambre.

« Condamné par la cour, M. l'avocat Dubois a complétement gagné son procès devant l'opinion publique, dont la décision a une bien autre portée que celle de la cour. C'est là une compensation plus que suffisante.

« M. Dubois avait toujours déclaré, comme il a continué à le faire pendant les débats, qu'il voulait gagner son procès devant l'opinion publique et que la décision de la cour lui importait fort peu ; il doit être satisfait »

Cet outrage jeté à la face de la cour par un juge suppléant, ou avec son consentement, ou au moins sans sa protestation, a dû être sensible à M. le ministre de la justice, et il a dû se demander, je n'en doute pas, s'il n'y avait pas lieu d'appliquer à Dubois l'article 59 de la loi du 20 avril 1810 sur l'organisation judiciaire.

D'après cet article, lorsqu’un juge a subi une condamnation, fût-ce à une peine de simple police, M. le ministre de la justice doit examiner s'il n'y a pas lieu de le déférer à la cour de cassation pour le faire destituer ou suspendre. M. le ministre de la justice a donc dû examiner s'il n'y avait pas lien de suspendre ou de destituer Dubois, ou du moins de lui demander sa démission.

En attendant, Dubois se trouvait provisoirement suspendu de ses fonctions en vertu de l'article 58 de la même loi, d'après lequel tout juge qui se trouve sous le coup d'un mandat d'arrêt, de dépôt, d'une ordonnance de prise de corps ou d'une condamnation correctionnelle est suspendu provisoirement de ses fonctions.

Les élections sénatoriales approchent ; le président du tribunal de Nivelles désigne Je juge suppléant Dubois pour présider un des bureaux électoraux. Plus tard il s'aperçoit qu'il a perdu de vue l'article 58 que je viens de citer, il donne à Dubois pour remplaçant M. le notaire Fiévet.

Il semblait donc que Dubois ne dût pas présider ; mais on avait compté sans M. le ministre de la justice.

Le dimanche de la Pentecôte, l'avant-veille des élections, M. le ministre de la justice soumet à la signature du Roi un arrêté faisant remise complète de l'emprisonnement de 3 mois ; dès le lendemain on notifie l'arrêté de grâce à qui de droit ; de telle sorte que le surlendemain Dubois préside triomphalement son bureau électoral.

On assure que le rapport de M. le procureur général De Bavay sur la requête en grâce de Dubois conclut énergiquement au rejet. M. le ministre a-t-il été à l'encontre d’un avis aussi formel, ou, dans son empressement, ne l'a-t-il pas même attendu ? Je l'ignore. Toujours est-il que je puis trouver étrange que le chef de la magistrature, celui qui doit veiller avec le plus de sollicitude au maintien de son prestige et de sa dignité, ait fait grâce avec tant de hâte à un homme qui a commis un acte que l'organe impartial du ministère public, des témoins tels que le capitaine Sterex, aide de camp du général Chazal, tels que M. Dumonceau de Bergendael, ancien commissaire d'arrondissement de Nivelles, ont qualifié d'une telle façon que, si je voulais la reproduire, je m'écarterais des usages parlementaires.

Je dois m'étonner de voir le ministre de la justice gracier le condamné auquel la cour a refusé le bénéfice des circonstances atténuantes, la juge suppléant qui, dans son journal, a manqué ou a permis qu'on manquât gravement à la magistrature.

Si cependant M. Je ministre de la justice s'était borné à passer l'éponge sur l'affaire Dubois et de Burlet, il est possible que je n'en eusse pas entretenu la Chambre ; mais tandis que Dubois reçoit grâce complète de ses trois mois d'emprisonnement, de Burlet, malgré les circonstances atténuantes admises en sa faveur, de Burlet qui n'a ni injurié, ni fait injurier, ni permis qu'on injuriât la magistrature, de Burlet est invité à se constituer prisonnier et n'est relâché qu'après avoir accompli le dernier de ses quinze jours.

M. Bouvierµ. - Avait-il demandé sa grâce ?

M. Jacobsµ. - L'honorable M. Bouvier va peut-être au-devant d'une des réponses de M. le ministre de la justice ; je laisserai à celui-ci le soin de la donner ; il n'a pas besoin, je pense, d'avocat, quelque bon qu'il puisse être.

On s'est demandé d'où provenaient ces deux poids et ces deux mesures ; on s'est demandé si ce fait, inexplicable en apparence, que chacun, au premier abord, était porté à blâmer, s'il pouvait s'expliquer par quelque exigence juridique, par quelque considération de fait qui en aurait fait pour M. le ministre de la justice une dure nécessité.

Les commentaires ont été leur train: les uns ont voulu y voir un acte de camaraderie ; ils se rappelaient que MM. Dubois et Bara ont été sur les mêmes bancs universitaires ; d'autres l'ont attribué à l'esprit de parti, s'acharnant coutre un adversaire politique, faisant grâce à celui qui se qualifie d'enfant du peuple et du libéralisme ; d'autres encore ont prétendu que M. de Burlet n'a pas reçu sa grâce parce que, après avoir plaidé coupable, il n'a pas cru pouvoir la demander.

J'attendrai pour me prononcer quo M. le ministre ait fait connaîtra à la Chambre pourquoi il a soumis à la signature royale un arrêté faisant grâce à Joseph Dubois sans en faire autant à l'égard d'Alexandre de Burlet.

(page 3) MjBµ. - Il y a longtemps que je m'attendais à être l'objet d'une interpellation au suet de ce qu’on appelle l'affaire Dubois-de Bruet. Je m'empresse néanmoins de remercier l’honorable membre d'avoir bien voulu me prévenir de ses intentions ; je le remercie vivement de son procédé, bien que je fusse averti par les injures d'une certaine presse que l'interpellation ne pouvait manquer d’être faite.

Quelques mots d’explication établiront à toute évidence, je pense, que d'un rien on a voulu faire une chose importante et qu'il eût été difficile au gouvernement d'agir autrement qu'il ne l'a fait.

Une difficulté a surgi entre deux avocats ; une polémique s'est engagée dans la presse ; des torts existaient d'un côté ou de l'autre peu m'importe: la justice a été saisie de l'affaire et elle a fait son devoir.

Je ne vous raconterai pas le procès, messieurs ; je ne ferai pas, comme l'honorable orateur qui m'a interpellé, la part de l'un, sans examiner ce qui doit être attribue à l'autre. J'accepte les arrêts de la justice ; je ne les discute pas.

Je n'ai à répondre que relativement à l'usage du droit de grâce ; je ne suis responsable que de cela et quant aux arrêts de la justice, je les tiens pour bons, je les tien, pour justement rendus.

Je ne ferai donc point l'historique du procès ; je me bornerai simplement à répondre à la demande que l'honorable membre me fait de savoir pourquoi j'ai proposé à la signature du Roi un arrêté de grâce en faveur de M. Dubois et pourquoi je n'ai point fait de proposition pour M. de Burlet. Permettez-moi auparavant de relever nue insinuation qui s'est glissée dans le discours de l'honorable membre.

Il s'est étonné de la précipitation avec laquelle le gouvernement avait agi, de l'empressement qu'il avait mis a faire grâce à M. Dunois, et il a dit : Voyez-vous ce magistral qui dans son journal a insulté la magistrature et qui le lendemain de sa condamnation reprend triomphalement possession de son siège pour présider un bureau électoral !

Eh bien, l'honorable membre ne le sait point sans doute, mais M. Dubois a mis an défi ceux qui l'accusaient d'établir qu’il était pour quoi que ce fût dans l'article publié par l'Organe de Nivelles, et cette accusation ayant été reprise par M. le procureur général de la cour d'appel, M. Dubois a protesté énergiquement contre une allégation totalement dénuée de preuve.

Ne venez donc plus parler de ce qu'a dit l’Organe de Nivelles ; M. Dubois n'est ni le rédacteur ni le propriétaire de ce journal, et non seulement n'est point l'auteur de l'article dont on a parlé, mais il ne l'a pas plus approuvé que vous.

Condamné, M. Dubois s'adresse au Roi et demande sa grâce,

Quelque temps après, devaient avoir lieu des élections à Nivelles et M. Dubois est désigné pour présider un des bureaux électoraux. M. Dubois prétendait que l'article 58 du décret sur l'organisation judiciaire ne lui était pas applicable ; qu'il ne s'agissait là que des fonctions judiciaires et nullement de celles qui lui étaient attribuées par une autre loi ; et qu'en conséquence il présiderait. Dès lors qu'arrivait-il ? C'est qu’il était menacé d'une discussion très sérieuse sur la validité des élections de Nivelles. En effet, si M. Dubois avait présidé un bureau électoral, sous le coup de sa condamnation, on aurait pu contester la validité des opérations et si le sénat avait été d'avis que le bureau avait été présidé par un magistrat incompétent, il eût fait procéder à de nouvelles élections. Qu'a fait le gouvernement ? Saisi de la demande en grâce, il a demandé un rapport d'urgence au procureur général ; il a immédiatement statué ; et pour empêcher, messieurs, que cette grâce n'exerçât la moindre influence sur l'élection, il a fait en sorte qu'elle ne fût connue que des personnes intéressées ; et cc n'est que la veille des élections qu'il l'a fait connaître au parquet de Bruxelles.

Voilà, messieurs, la cause pour laquelle le gouvernement a dû agir comme il l'a fait.

D'ailleurs, cc n'est pas la première fois qu'on accorde une grâce un mois après la condamnation ; cela arrive même très souvent.

Mais, dit l'honorable M. Jacobs, comment se fait-il que le ministre ait proposé la grâce de M. Dubois cl pas celle de M. de Burlet ? A cela, messieurs, ma réponse est très simple : Je n'ai point proposé de gracier M. de Burlet parce que jamais le département de la justice n'a proposé la grâce d'un condamnè qui ne la demande point ou en faveur de qui une proposition de grâce n'est point faite. Et cela se comprend, messieurs : le ministre de la justice ne peut pas aller au-devant des condamnés.

Le ministère de la justice ne peut pas venir offrir leur grâce sur un plateau d’argent aux accusés qui pourraient se croire humiliés de la demander.

M. de Burlet n'a pas demandé sa grâce ; on n'a pas fait non plus de proposition de grâce en faveur de M. de Burlet.

En conséquence, le gouvernement n'a pas dérogé aux habitudes constantes suivies au département de la justice.

Voilà l'explication que j'ai à donner. Cette petite affaire n'est en définitive qu'une tempête dans un verre d'eau.

M. Jacobsµ. - La Chambre n’attend pas de moi que j'aille discuter avec M. le ministre de la justice su un article de l’Organe de Nivelles portant su un fait judiciaire, émane ou non de la personne qui est exclusivement chargée de cette partie du journal.

S'il répugnait à M. Dubois de rester sous le coup de l’impression que cet article a dû produire sur tous ceux qui l'ont lu, ce ‘est point au moyen d'une lettre adressée au ministre de la la justice, lettre qui n'a reçu aucune publicité, qu'Il devait atteindre son but.

C'est dans le journal même qu'il fallait protester et immédiatement contre l'article injurieux, outrageant pour la magistrature. Il y est dit que Dubois n’a jamais caché que l’arrêt de la cour d’assises lui importait peu. Le juge suppléant se devait à lui-même de démentir le langage qu’on lui prêtait.

J'arrive au nœud du débat, au point de savoir pourquoi l'on a gracié l'un et pourquoi l’on n'a pas gracié l'autre ?

M. le ministre de la justice a gracié le sieur Dubois par des raisons d'intérêt public ; il l'a gracié, pour éviter un conflit en matière électorale. Soit : admettons l’explication de M. le ministre de la justice.

MjBµ. - Je n'ai pas dit ce que vous me faites dire : vous aviez parlé de la précipitation avec laquelle on avait gracié ; j’ai répondu que cette précipitation avait été motivée par un intérêt public.

M. Jacobsµ. - C'est donc dans un intérêt prive: qu'on a fait grâce, mais c'est dans un intérêt public qu'on l'a précipitée,

J'avais demandé comment on avait pu faire grâce à celui des condamnés envers lequel la cour s'est montrée le plus sévère et exécuter l'arrêt contre celui qui n'a encouru qu'une condamnation minime en raison des circonstances atténuantes.

M. le ministre de la justice m’a fait cette réponse-ci : « Le gouvernement n’a pas fait grâce à M. de Burlet, parce que le département de la justice n’a été saisi ni d’une demande de grâce, ni d’une proposition de grâce. »

De qui émanent les propositions grâce ? Elles émanent de subalternes de M. le ministre de la justice. Il dépendait donc de lui de se faire soumettre une proposition.

M. le ministre de la justice invoque l'absence de demande et de proposition.

Mais, messieurs, l'article 73 de la Constitution, qui accorde au Roi le droit de remettre ou de réduire les peines prononcées par les juges, exige-t-il une demande ou une proposition ! Le Roi nomme les ministres, les fonctionnaires, Il décore des ordres civils et militaires au même titre qu’il gracie des fautes ; faut-il que les ministres, les fonctionnaires, les décorés sollicitent une nomination?

Exige-t-on des décorés de l'Ordre de Léopold une requête?

Je veux admettre que la plupart du temps ils en présentent, mais rien ne les y oblige.

M. le ministre de la justice a invoqué la nature de la grâce. L'article 73 de la Constitution distingue-t-il entre l'amnistie et la grâce individuelle ? Or, en matière d'amnistie, y a-t-il une demande ? L'acte émane d’une l’initiative gouvernementale. L'amnistie n'est provoquée par aucune demande, par aucune proposition.

Quand nous discutions la peine de mort, qu'a dit M. le ministre de la justice ? Tant que je serai ministre, je ne ferai pas exécuter. »

M. le ministre de la justice s'engageait ainsi à commuer toute condamnation à mort, qu’il y eût ou non demande ou proposition.

Un nommé Beffa, condamné à mort par la cour d'assises du Brabant, déclare qu'il ne se pourvoira ni en cassation ni en grâce, qu'il est trop heureux d'en finir avec la vie. Je suis convaincu que, malgré cela, M. le ministre de la justice proposera au Roi de le gracier, s'il ne l'a pas fait déjà.

Ce n'est pas seulement pour les condamnations à mort qu'on n'exige pas une demande de grâce, il en est de même pour les expositions au carcan. Une circulaire de l'honorable M. Tesch, prédécesseur de M. le ministre (page 4) de la justice, en date du 19 novembre 1851, adressée aux procureurs-généraux, porte ce qui suit :

« Le gouvernement étant décidé à ne plus laisser exécuter l'exposition an carcan, je vous prie de vouloir bien à l'avenir proposer la remise de cette peine en faveur de tout condamné contre lequel elle aura été prononcée. »

Ainsi, tout condamné à l'exposition, au carcan, obtient sa grâce, qu'il l'ait ou qu'il ne l'ait pas demandée.

Et l'on voit que M. le ministre de la justice ne dédaigne pas de donner des instructions aux procureurs généraux pour faire des propositions de grâce. Comment donc devait procéder M. le ministre de la justice dans l'affaire de M. de Burlet ? En transmettant à M. le procureur général la requête en grâce du sieur Dubois, avec demande d'avis, il devait inviter ce magistrat à lui solliciter une proposition par rapport à M. de Burlet, une proposition commune, un avis commun.

Je vais citer un exemple assez curieux de grâces d’office. Le sieur Benoît De Buck s’adresse à M. le ministre de la justice pour le prier de se pourvoir, dans l’intérêt de la loi, contre l’arrêt de la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Bruxelles, qui l’a condamné à la surveillance comme peine accessoire. Qu’a fait M. le ministre de la justice ? Il ne s’est pas pourvu dans l’intérêt de la loi, mais il a fait grâce au sieur De Buck, sans aucune demande de sa part, de la surveillance à laquelle il avait été condamné accessoirement.

Autre exemple d’une analogie frappante avec l’incident dont je m’occupe. Vous vous rappellerez qu’un duel eut lieu, il n’y a pas longtemps, entre un membre de la Chambre, M. Hymans, et le directeur de l’Indépendance, M. Berardi. Condamnés tous deux, M. Hymans demanda sa grâce, M. Berardi ne la demande pas et, si je ne me trompe, le rapport de M. le procureur général constate que M. Berardi déclarait publiquement ne pas vouloir la demander. Dans un cas pareil, je conçois que l’amour-propre de M. le ministre de la justice pût être froissé ; je comprends qu’il hésitât à gracier celui qui semblait le braver. Et cependant M. Berardi fut gracié et M. de Burlet ne l’a pas été.

Beffa est un gredin, Berardi est un libéral ; il faut, paraît-il, pour obtenir grâce d’office, avec l’une ou l’autre de ces qualités. Mais lorsqu’on a, comme de Burlet, le malheur de n’être ni un gredin, ni un libéral, lorsqu’on est honnête homme et catholique, les grâces d’office n’existent pas pour vous.

Vous le voyez, messieurs, il n’existe aucune considération ni de droit ni de fait qui puisse justifier M. le ministre de la justice d’avoir eu, dans cette circonstance, deux poids et deux mesures, de n’avoir pas proposé la grâce du condamné à quinze jours, lorsqu’il proposait la grâce du condamné à trois mois.

Si M. le ministre avait voulu être juste, c’est-à-dire remplir la première obligation de ses fonctions, il aurait provoqué une proposition ou il aurait passé outre.

Ce déni de justice, qui choque à première vue, ne choque pas moins après réflexion et discussion.

L'absence de proposition n'est évidemment qu'un prétexte, et l'équité ne se paye pas de prétextes.

Vous avez intérêt comme nous, messieurs, membres de la gauche comme membres de la droite, d'empêcher des faits de cc genre de se renouveler. Ils vous ont certes occasionné comme à nous une impression des plus pénibles. Un parti se grandit en ne s'associant pas aux fautes de ses membres, Je vous convie de poser un acte qui empêchera que le droit de grâce ne se trouve en butte aux soupçons. Il doit rester au-dessus, et empêchera que les contradictions de la grâce et de la justice ne nuisent à l'une et à l'autre.

Je ne veux pas examiner le mobile de M. le ministre de la justice, nous nous mettrions difficilement d'accord sur cc point, disposés que nous sommes à l'apprécier, nous avec plus de sévérité, vous avec plus d'indulgence, et je n'envisage que le fait ; cette diversité de traitement doit faire éprouver à tout homme d’honneur, M. le ministre de la justice le premier, un sentiment de regret.

Je propose donc à la Chambre un ordre du jour ainsi conçu :

« La Chambre regrette que M. le ministre de la justice ait soumis à la signature royale la grâce de Joseph Dubois sans en faire autant pour Alexandre de Burlet et passe à l'ordre du jour. »

- Des membres. - A demain.

MjBµ. - Si la Chambre veut continuer ultérieurement la discussion, elle le fera. Mais elle me permettra d'ajouter quelques explications ; je ne serai pas long.

L'honorable M. Jacobs vient de déposer un ordre du jour qui n'est ni plus ni moins qu'un blâme à l'égard du gouvernement. Cet ordre du jour accuserait le ministre d'avoir commis une injustice à l'égard d'un citoyen, Cet ordre du jour, je ne puis l'accepter.

Puisque l'honorable membre a voulu être franc, je serai franc avec lui.

Immédiatement après b grâce de M. Dubois, des flots d'injures ont coulé dans tous les organes de la presse cléricale, pour signaler à l'opinion publique cet homme inique, qui venait de faire grâce à un avocat, parce qu'il était libéral.

M. Dubois, qui avait été impliqué dans une affaire pour laquelle on a toujours usé du droit de grâce, ne pouvait pas, lui, obtenir la grâce, parce qu'il était libéral. M. Dubois devait faire sa prison, et le ministre qui avait eu l'audace de lui faire grâce, devait être attaqué vivement par l'opinion catholique.

Eh bien, ce même ministre, quelque temps auparavant, avait eu à apprécier les actes d’un des concitoyens de l'honorable M. Jacobs qui avait sifflé la Brabançonne et qui avait aussi été condamné à la prison pour s’être battu en duel, et il avait proposé d'accorder la remise de la peine encourue par le concitoyen de M. Jacobs, sans se préoccuper de ses opinions politiques. Il n'avait donc pas deux poids et deux mesures. Cc citoyen s'était incliné devant la loi ; il avait demandé sa grâce et il l'avait obtenue.

Il ne fallait donc pas gracier M. Dubois, parce qu'il était libéral et uniquement parce qu’il était libéral. Et savez-vous ce qu'on fit? On organisa une sorte de chantage auprès du gouvernement et on vint lui dire dans la presse : M. de Burlet ne demandera pas sa grâce ; M. de Burlet ne s’humiliera pas jusqu’à la demander. Vos viendrez la lui offrir, vous viendrez la mettre à ses pieds. C'est le seul moyen de laver l'acte inique que vous avez posé. Et qui disait cela ?/ Mais cc sont les propres journaux qui défendent l'honorable M. Jacobs : c'est le journal qui le soutient dans sa propre localité : c'est le Journal d'Anvers qui s'exprimait ainsi : « Le ministère aurait voulu que M. de Burtet s'abaissât à demander sa grâce. M. de Burlet n'a pas voulu s'humilier ; nous l'en félicitons hautement, Mais il nous paraît que Bara n'eût pas dû attendre que M. de Burlet fît des démarches ; il eût dû les prévenir, et en le graciant, il pouvait peut-être faire oublier la tache que la grâce accordée à Dubois lui a imprimée au front. »

Et l'on veut qu'un ministère belge cède à de semblables attaques et que nous profanions le pouvoir jusqu'à dire : Nous allons obéir à une pareille pression, nous rendre à de pareilles sommations ! Quant à moi, aussi longtemps que je serai investi de l'autorité et honoré de la confiance du Roi, je ne laisserai pas discréditer les fonctions de ministre. (Interruption.)

Maintenant, examinons ce qui s’est passé en droit et au point de vue des usages, et vous verrez si j’eusse pu proposer la grâce de M. de Burlet. L'honorable M. Jacobs, qui ne connaît pas, me semble-t-il, les usages suivis en cette matière, a pu se tromper, mais il devra reconnaître que, dans la circonstance, je ne pouvais pas faire ce qu’il désirait.

Voici comment j'exerce le droit de grâce : on bien il y a une amnistie générale en certaines circonstances, et ce n'est pas le cas ; il n'y a pas en d'amnistie prononcée, et vous ne vouliez pas· que pour gracier M. de Burlet, on ouvrît les prisons de la Belgique. Ou bien il y a une proposition soit du parquet, soit de la commission des prisons ; ou bien il y a une demande en grâce. Aucune grâce n'est accordée en dehors de ces quatre hypothèses: ou amnistie, ou proposition du parquet, ou proposition de la commission administrative des prisons ou requête en grâce.

L'honorable M. Jacobs veut en introduire une cinquième: c'est le ministre de la justice allant au-devant des condamnés et leur offrant leur grâce ; c'est le ministre de la justice, alors qu'il ne se trouve en présence d'aucune proposition ni de la commission des prisons, ni du parquet, ni de personne, qui devrait aller dire à certains condamnés : Vous ne voulez pas vous incliner devant la loi ; vous ne vous ne voulez pas demander votre grâce. Je vous en supplie, acceptez-la. Faites-moi le plaisir, faites-moi l'amitié d'accepter votre grâce. Il faut que le ministres, alors que ses adversaires déploient le plus de violence, prenne humblement son chapeau et vienne s'incliner devant les personnes et ne cessent de l'insulter, Cela n'est pas possible.

On a cité des faits ; on a dit : Pour les condamnés à mort on gracie sans demande. L'honorable M. Jacobs oublie que lorsqu'un individu est condamné à mort, le parquet est obligé de faire un rapport, et que c'est sur ce rapport qu'on accorde la grâce, s'il y a lieu. Il y a un rapport du (page 5) procureur général qui fait ses propositions et c'est sur ces propositions que le ministre statue.

Vous parlez des condamnés à la peine du carcan ; c'est le même cas. Lorsqu’il y a condamnation à l'exposition, le parquet fait un rapport et c'est sur cc rapport que le ministre statue.

Mais, dit-on, un libéral, M. Berardi, a eu sa grâce, et M. de Burlet, un catholique, ne l'a pas obtenue.

Pourquoi M. Berardi a-t-il eu sa grâce? Parce que M. le procureur général l'a proposée pour lui. Si M. le procureur général avait cru devoir demander la grâce de M. de Burlet, le ministre de la justice aurait eu à examiner la proposition qui lui était soumise et il eût pris une décision. Mais le ministre de la justice n'a été saisi d'aucune demande, d'aucune proposition à l’égard de M. de Burlet, et M. le procureur général lui-même, qui a le droit de faire des proposition, n’en a fait aucune.

Mais vous auriez voulu que le procureur général, demeurant dans l’inaction, le ministre lui donnât l’ordre d’agir. Eh bien, le ministre ne fait pas cela, il serait contraire à toutes les traditions pour un ministre de dire au procureur général ; « Proposez-moi la grâce d’un tel. »

Maintenant vous voulez que je réclame un rapport. Je ne réclame un rapport que lorsque je suis saisi d’une demande en grâce.

Je m’étonne, messieurs, que l’honorable membre se préoccupe tant de M. de Burlet, alors qu’il y a une foule de condamnés qui se trouvent dans la même position que lui.

Dernièrement, on a vu un condamné pour délit de presse écrire dans son journal qu’il n’accepterait pas sa grâce du Roi. Pourquoi M. Jacobs n’engage-t-il pas le gouvernement à lui offrir sa grâce ? C’est probablement parce que de Burlet appartient u parti de l’honorable membre ; sinon l’honorable M. Jacobs interviendrait pour demander la grâce de tous les condamnés sur le sort desquels le gouvernement n’a pas à statuer parce qu’ils ne recourent pas à la clémence royale.

Vous voyez donc, messieurs, qu’il n’y a pas eu moyen pour le ministre de la justice, à moins de déroger à tous les usages admis, de faire grâce à un condamné en l’absence d’une amnistie, d’une proposition du parquet, en l’absence d’une demande de grâce.

M. Jacobsµ. - Messieurs, qui prendra au sérieux la comparaison faite par M. le ministre de la justice entre l’incident Dubois-de Burlet t cette foule d’affaires qui se présentent à lui tous les jours.

Comment se fait-il que l’opinion publique ait été froissé de la diversité des traitements appliqués à ces deux hommes ?

MjBµ. - Cela se présente tous les jours et si vous voulez passer au département il vous sera facile de vous en assurer.

M. Jacobsµ. - Je n’ai pas l’habitude de passer au ministère.

MjBµ. - En ce cas ne critiquez pas si vous n’êtes point sûr de ce que vous dites.

M. Jacobsµ. - Je ne sache pas que pour avoir le droit de critiquer un ministre, il faille avoir fait antichambre chez lui.

MjBµ. - Lorsque vous avancez des faits inexacts, j’ai le droit de vous engager à venir au ministère pour vous éclairer.

MjBµ. - S’il a été énoncé des faits inexacts, ce n’est pas de ma bouche qu’ils sont sortis.

M. le ministre de la justice à une prédilection pour les dérivatifs. « J’avais déjà entendu cela dans la presse cléricale, qui vomit sur moi des flots d’injures », et suivent alors les dithyrambes ordinaires sortant de sa bouche éloquente.

La presse, qu’il vous plaît d’appeler cléricale, n’a rien à voir dans cette affaire, et M. le ministre de la justice pourrait un peu moins s’en préoccuper. Refusera-t-il de faire grâce à quelqu’un parce que les journaux ont dit telle ou telle chose ? Rendra-t-il un condamné responsable de la polémique des journaux ? Il s’étonne qu’on rende Dubois responsable de ce qui se trouve dans son propre journal, quoiqu’il ne proteste pas dans ses colonnes, et il veut rendre de Burlet responsable de ce que dit la presse catholique tout entière.

Puisque M. le ministre m’a engagé avec une entière franchise, je vais donner un détail intéressant.

Quelques jours après la condamnation, M. l’avocat Bara, frère de M. le ministre de la justice, son mandataire et son negotiorum gestor, se rend chez maître Becker, conseil de de Burlet, et lui dit : « Est-il vrai que de Burlet ne veut pas demander sa grâce pour empêcher Dubois d’être gracié ? » Maître de Becker lui répondit : « Comment pouvez-vous faire une telle supposition ? Ni cette considération ni aucune considération politique ne guide Burlet, s’il ne demande pas grâce, c’est parce que n’ayant pas demandé d’acquittement au jury, il ne crois pas pouvoir demander grâce au Roi.3

MjBµ. - Vous faites tort aux lumières de Maître de Becker en lui prêtant un pareil langage.

M. Jacobsµ. - Entre les lumières de maître de Becker et les vôtres, permettez-moi de préférer les siennes.

En somme, messieurs,. il y a dans cette affaire une iniquité flagrante général et M. le ministre de la justice, pour s’en disculper. ne trouve d'autre moyen que de se retrancher derrière des formes de procédure ; il n’avoue pas expressément que, faisant grâce à l’autre, mais il dit : « Il y a eu un malheur : c’est qu’il n’a été fait ni demande en grâce, ni proposition. » Comme si M. le ministre de la justice ne donnait pas tous les jours des instructions au parquet ! Si l’honorable M. Bara avait été dominé par le sentiment pénible que provoquer l’idée de commettre une injustice, il aurait trouvé le moyen de faire grâce ; s’il ne l’a pas trouvé, c’est qu’il ne l’a pas voulu.

Je ne me dissimule pas, messieurs, la portée de l’ordre du jour que je propose : c’set un blâme, non pas à l’adresse du gouvernement, mais à l’adresse de M. le ministre de la justice ; si le gouvernement veut le faire sien, c’est son affaire ; mais je l’engage, ainsi que mes honorables collègues de la gauche, à ne pas accepter la solidarité de cet acte.

MjBµ. - Un seul mot, messieurs. M. Jacobs invoque une conversation entre un honorable avocat du barreau de Bruxelles et mon frère, qui intervient ici je ne sais pour quel motif, qui n’a reçu de moi aucun mandat. Si j’avais eu à négocier une affaire avec M. de Becker, je le connais assez et je l’estime assez pour me mettre directement en rapport avec lui.

Comment peut-on venir soutenir qu’on ne demande pas grâce parce qu’on a plaidé coupable ? Mais la grâce est précisément instituée pour les coupables. Est-ce que celui qui demande grâce parce qu’il est coupable fait un acte contradictoire ? Mais le condamné qui demande grâce commence précisément par reconnaître que la justice l’a frappé à bon droit ; c’est toujours par là qu’il débute.

Ne venez donc pas dire que M. de Burlet n’a pas adressé de requête en grâce parce qu’il a plaidé coupable. Non, le véritable motif c’est celui qui a été indiqué par le Journal d’Anvers. M. de Burlet ne voulait pas demander sa grâce au gouvernement. L’autorité devait s’amoindrir devant un adversaire politique et elle devait lui offrir sa grâce sur un plateau d’argent. Eh bien, tant que je serai ministre, je ne ferai pas un pareil acte, et n’importe qui sera à ma place, il agira comme moi, sous peine d’avilir l’autorité et de lui ôter toute force morale.

Vous parlez de protestation. Est-ce que M. de Burlet a protesté ? Est-ce qu’il a dit : « Si je ne demande pas grâce c’est parce que j’ai plaidé coupable » ? Rien de semblable n’a été dit. Les journaux de Nivelles, tous les journaux cléricaux ont constamment sommé le gouvernement de faire grâce à M. de Burlet pour « réparer l’acte inique qu’il avait commis en faisant grâce à M. Dubois. »

Eh bien, messieurs, le gouvernement n’a pas fait cela ; je ne le ferai dans aucune circonstance et je défie aucun ministre de la justice ainsi sommé, ainsi attaqué, de céder à de pareilles exigences.

M. Jacobsµ. - Ce que désire l’honorable M. Bara, c’est que M. de Burlet proteste contre les articles qui ont paru à son sujet dans les journaux. Or, M. de Burlet a précisément écrit aux deux journaux de Nivelles, à l’Organe catholique et à la Gazette catholique, pour se déclarer absolument étranger à tous les articles qui paraissaient dans le second de ces journaux. Fallait-il qu’il écrivît une circulaire à tous les journaux de la Belgique ?

Quant au mobile que lui prête M. le ministre de la justice, M. de Burlet m’a autorisé à le démentir de la manière la plus formelle, et son démenti est péremptoire.

MpVµ. - Voici, messieurs, la proposition d’ordre du jour motivé de l’honorable M. Jacobs :

« La Chambre regrette que M. le ministre de la justice ait soumis à la signature royale la grâce de Joseph Dubois sans en faire autant pour Alexandre de Burlet, et passe à l’ordre du jour. »

- Il est procédé à l’appel nominal.

63 membres y prennent part.

25 répondent oui.

38 répondent non.

En conséquence la Chambre n’adopte pas.

Ont voté pour :

MM. Wouters, de Haerne, Delaet, Delcour, de Smedt, de Theux, (page 6) de Woelmont, de Zerero, d’Hane-Steenhuyse, d’Ursel, Gerrits, Hayez, Jacobs, Landeloos, Liénart, Magherman, Notelteirs, Reynaert, Schollaert, Snoy, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Renynghe, Van Wambeke et Verwilghen.

Ont voté contre :

MM. Bara, Bouvier, Bricoult, Broustin, David, de Florisone, de Kerchove de Denterghem, De Lexhy, de Macar, de Moor, Descamps, de Terbecq, Dethuin, de Vrière, Dewandre, Dolez, Dupont, Funck, Hagemans, Jacquemyns, Jamar, Lange, Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Nélis, Orban, Rogier, T’Serstevens, Valckenaere, A. Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Iseghem, Warocqué et E. Vandenpeereboom.

Interpellation

M. Gerritsµ. - Messieurs, j'ai en l'honneur de faire connaître à M. le ministre des affaires étrangères mon intention de lui adresser une interpellation au sujet des barrages de l’Escaut.

Si la Chambre veut bien me le permettre, je ferai cette interpellation aujourd'hui.

- Plusieurs membres. - Oui ! oui ! Parlez.µ

M. Gerritsµ. - Messieurs, depuis quelques jours le barrage de l’Escaut oriental est un fait accompli. Aucun compte· n'a été tenu par la Hollande des réclamations, des protestations de notre gouvernement.

Nous nous trouvons donc devant le danger de voir se vérifier les craintes exprimées par toutes les commissions belges qui se sont occupées de l'étude de la question de voir se réaliser les prévisions des ingénieurs étrangers, à l'impartialité, aux lumières desquels nous avons fait appel.

Si, comme on le prévoit, les passes navigables de l'Escaut occidental doivent s'ensabler par suite du barrage de l'Escaut oriental, c'est la ruine de notre commerce. Par conséquent, c'est l'énervation de notre industrie, c'est la déchéance de la Belgique.

En présence d’un danger sont gravité est reconnue aussi bien par M. le ministre des affaires étrangères que par nous, je crois devoir lui demander ce que le gouvernement a fait depuis la fin de la dernière session pour empêcher la Hollande de violer notre droit et, surtout, ce qu'il compte faire pour neutraliser les conséquences fâcheuses d'un acte qu'il n'a pas réussi à prévenir.

Je tiens, messieurs, à constater que je ne fais pas cette interpellation dans un but d'hostilité contre le ministère.

Depuis quarre ans la députation d’Anvers a prêté son concours loyal au gouvernement dans cette question du barrage.

Aujourd’hui encore que le gouvernement doit prendre des mesures énergiques pour protéger notre bon droit, je pense qu'il trouvera de l'appui sur tous les bancs de cette Chambre.

Mais le pays est inquiet ; je crois qu'il a droit à des explications, et ce sont ces explications que je viens demander.

MaeRµ. - Messieurs, à la fin de la dernière session, j'ai fait connaître à la Chambre l’état de la question importante, qui forme l'objet de l’interpellation de l'honorable député d'Anvers, Je ne reviendrai pas sur l'exposé que j’ai fait alors.

La Chambre se rappellera que le gouvernement, après avoir épuisé les tentatives d’arrangement avec la Hollande, avait cru devoir recourir à des gouvernements voisins et amis pour réclamer le concours des lumières et de l’expérience d’ingénieurs que ces gouvernement désigneraient.

Les rapports de ces ingénieurs nous sont successivement parvenus.

Dans la séance du 24 mai, j'ai dit que ces rapports seraient communiqués à la Chambre ; ils ont été déposes au greffe et ils seront 1istribués aujourd’hui même à MM. les représentants.

Il ne s'agissait pas d'un simple dépôt des rapports , il fallait les faire traduire et y annexer un assez grand nombre de planches jointes au rapport de l’ingénieur anglais, celui des trois ingénieurs étrangers qui a donné à son travail le plus de développements.

Ce n'est que dans ces derniers temps, que cette opération matérielle, mais longue, a pu être terminés. Tandis qu’on s’occupait de l’impression, M. le ministre des travaux publics avait chargé ses ingénieurs d'examiner les rapports des trois ingénieurs étranger et d’apprécier leurs avis qui, comme vous le savez, sont divergents.

Les considérations nouvelles en plusieurs points émises par les ingénieurs étrangers ont exigé, de la part des ingénieurs belges, des recherches nouvelles et des études spéciales sur les lieux.

Nous serons prochainement en possession du travail des ingénieurs belges et alors la période d'examen sera définitivement close. (Interruption.)

Quant à la question en elle-même, je puis rassurer l'honorable député d'Anvers et la Chambre tout entière ; elle n'a pas été un seul instant abandonnée. Le gouvernement connaît ses droits , il connaît aussi ses devoirs ; il sait que l'Escaut est un organe essentiel à la prospérité publique et que ce qui touche à l'Escaut touche au cœur même du pays.

Je pris donc la Chambre de me continuer la confiance qu’elle m'a montrée ; la question n’a pas été négligée un seul jour, elle ne le sera pas aussi longtemps que nous n'aurons pas obtenu un résultat satisfaisant.

Je crois que la Chambre voudra bien me dispenser d'entrer dans de longs détails et d'indiquer dès maintenant la marche que le gouvernement prétend suivre. J'espère qu'à l'ouverture de la prochaine session, je pourrai fournir à la Chambre des indications plus précises et qui seront de nature à la satisfaire.

MpVµ. - Il y a une proposition d'ajournement, je la mets aux voix.

- La proposition est adoptée.

La Chambre s'ajourne jusqu’à convocation ultérieure.

La séance est levée à 5 heures.