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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 12 décembre 1867

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)

(Présidence de M. Moreau, premier vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 309° M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 1/4 heures.

M. Van Humbeeck, secrétaireµ,, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Les membres du conseil communal et des habitants de Paricke prient la Chambre : 1° de rejeter les propositions de la commission militaire et tout autre projet qui aurait pour résultat d'étendre le service militaire et d'augmenter les dépenses de l'armée ; 2° d'inviter le gouvernement à présenter un projet de loi qui abolisse le tirage au sort pour la milice. »

« Même demande des membres du conseil communal d'Opbrakel. »

- Renvoi aux sections centrales chargées d'examiner le budget de la guerre et les projets de loi relatifs à la réorganisation de l'armée et à la milice.


« Le sieur Dubois prie la Chambre d'examiner s'il n'y a pas lieu de déférer aux tribunaux ordinaires les infractions, crimes et délits commis par les militaires de tous grades en dehors de l'exercice de leurs fonctions. »

M. Lelièvreµ. - Cette pétition a certain caractère d'urgence parce que le gouvernement s'occupe de la rédaction d'un projet de loi relatif au code pénal militaire. Je demande donc que la requête soit renvoyée à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.

- Adopté.


« Des habitants de Bruxelles demandent le prompt achèvement des travaux de la nouvelle gare du Midi. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur les pétitions relatives au même objet.


« Le sieur Laugheluwe demande que son fils aîné, soldat au 4ème régiment de lanciers, soit renvoyé dans ses foyers. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« M. Valckenaere, retenu pour affaires urgentes, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Projet de loi interprétatif de l’article 69 du code pénal

Rapport de la commission

M. Pirmezµ dépose le rapport de la commission qui a examiné le projet de loi d'interprétation de l'article 69 du Code pénal.

Rapport sur une demande en naturalisation

M. J. Jouretµ dépose un rapport sur une demande en naturalisation ordinaire.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi d’organisation judiciaire

Discussion des articles

Chapitre V. Des assises

Articles 100 à 102

« Art. 100. Sont dispensés d'office par les cours d'assises, les membres du Sénat ou de la Chambre des représentants pendant la durée de la session législative, les membres des conseils provinciaux pendant la session de ces corps. »

- Adopté.


« Art. 101. Ceux qui ont fait partie des jurés titulaires et supplémentaires et qui ont satisfait aux réquisitions à eux faites, ne sont pas portés sur les listes des autres sessions de l'année, ni sur les listes de l'année suivante. »

- Adopté.


« Art. 102. En exécution de l'article 98, la députation du conseil provincial dresse une liste générale pour chaque arrondissement judiciaire de la province, et transmet cette listeau président du tribunal de première instance avant le 30 septembre de chaque année. »

- Adopté.

Article 103

« Art. 103. Le président du tribunal, assisté des deux membres les premiers dans l'ordre du tableau, forme une liste de la moitié des noms portés sur la liste générale, et adresse cette liste, avant le 30 novembre, au premier président de la cour d'appel. »

M. Lelièvreµ. - Il m'est impossible de me rallier à cette disposition puisée dans la loi de 1838. Je ne puis admettre semblable mutilation du jury et l'exclusion des trois quarts des individus appelés à figurer sur la liste des jurés. Cela se concevait en 1838. L'institution du jury était récemment en vigueur et eu égard au grand nombre de personnes peu instruites, il était nécessaire de prendre des mesures exceptionnelles qui étaient justifiées par les circonstances de l'époque. Depuis 1832, il y avait eu de scandaleux acquittements et l'intérêt social réclamait des changements ayant pour but de composer le jury d'hommes éclairés.

Mais maintenant la diffusion de l'instruction pendant vingt-neuf ans permet de revenir à un régime plus libéral. Je ne pense pas qu'on doive éliminer un aussi grand nombre de personnes que le prescrivent l'article en discussion et la disposition de l'article 104.

Les prescriptions du projet dénaturent l'institution du jury et en ravissent le bienfait aux accusés. C'est pour ce motif que je crois devoir proposer ces observations ayant pour objet de revenir à un autre système.

- L'article 103 est mis aux voix et adopté.

Articles 104 à 115

« Art. 104. Le premier président, assisté des deux membres les premiers dans l'ordre du tableau, réduit à la moitié chacune des listes envoyées par les président des tribunaux respectifs du ressort de la cour.

« Les listes ainsi réduites des arrondissements de chaque province sont réunies en une seule liste pour le service du jury de l'année suivante. »

- Adopté.


« Art. 105. Dans tous les cas où il y a lieu à réduire une liste de moitié si le nombre des noms à réduire est impair, on le suppose augmenté d'une unité. »

- Adopté.


« Art. 106. Les opérations prescrites par les articles 103 et 104 ont lieu dans la chambre du conseil, après avoir entendu le ministère public ; il est fait mention du nom de l'officier qui en fait les fonctions, et chaque liste est signée par les présidents et juges qui ont concouru à sa formation, ainsi que par le greffier ; en cas d'empêchement des présidents, conseillers ou juges, ils sont remplacés d'après le rang d'ancienneté dans l'ordre des nominations. »

- Adopté.


« Art. 107. Avant le 1er décembre, la liste pour le service du jury est transmise par le premier président au président du tribunal du lieu ou siège la cour d'assises. »

- Adopté.


« Art. 108. Il est tiré au sort trente noms pour chaque session ou série ; il est tiré en outre quatre jurés supplémentaires parmi les citoyens mentionnés à l'article 98 et résidant dans la commune où siège la cour d'assises.

« Ce tirage se fait en audience publique de la chambre où siège habituellement le président ou à l'audience de la chambre des vacations, s'il a lieu pendant les vacances. »

- Adopté.


« Art. 109. Le président envoie la liste des trente jurés et des quatre jurés supplémentaires au procureur général près la cour d'appel et au président de la cour d'assises. »

- Adopté.


« Art. 110. Le président de la cour d'assises est chargé de convoquer les jurés. »

- Adopté.


« Art. 111. Si, au jour indiqué pour chaque affaire, il y a moins de vingt-quatre jurés présents non excusés ou non dispensés, ce nombre (page 310) sera complété par les jurés supplémentaires dans l'ordre de leur inscription sur la liste formée parle président du tribunal. »

- Adopté.


« Art. 112. Si le nombre des jurés supplémentaires est insuffisant, il sera complété par des jurés pris publiquement et par la voie du sort entre les citoyens des classes désignées en l'article 98 et résidant dans la commune. »

- Adopté.


« Art. 113. Le nombre de douze jurés est nécessaire pour former un jury. »

- Adopté.


« Art. 114. Au jour indiqué et pour chaque affaire, l'appel des jurés non excusés et non dispensés sera fait avant l'ouverture de l'audience, en leur présence, en présence de l'accusé et du procureur général.

« Le nom de chaque juré répondant à l'appel sera déposé dans une urne.

« Le jury de jugement sera formé à l'instant où il sera sorti de l'urne douze noms de jurés non récusés d'après le mode déterminé par le code d'instruction criminelle. »

- Adopté.


« Art. 115. Nul ne pourra être juré dans la même affaire où il aura été officier de police judiciaire, témoin, interprète, expert ou partie, à peine de nullité. »

- Adopté.

Article 116

« Art. 116. Le vote du jury aura lieu au scrutin secret sur les questions posées en exécution du code d'instruction criminelle. »

M. Lelièvreµ. - Je pense qu'au lieu de dire : « En exécution du code d'instruction criminelle », il faudrait dire : « en exécution des dispositions légales, ou en exécution de la loi. »

En ce qui concerne les questions à poser au jury, le nouveau code pénal a modifié le code d'instruction criminelle ; il nécessite la position d'autres questions. C'est ainsi qu'en ce qui concerne l'excuse établie par l'article 412 du code pénal, il faudra poser la question suivante :

« Est-il établi que l'accusé n'a pu croire à un attentat contre les personnes, soit comme but direct de celui qui a tenté l'escalade ou l'effraction, soit comme conséquence de la résistance que rencontreraient les desseins de celui-ci ? »

En un mot, il y a, sous la législation actuelle, des questions qui doivent être posées, et qui sont autres que celles prévues par le code d'instruction criminelle. C'est pour cette raison que j'estime que l'article en discussion doit subir une légère modification. Je propose donc de dire : « posées en exécution de la loi ».

MpMoreauµ. - M. Lelièvre propose un amendement qui consiste à remplacer les mots : « En exécution du code d'instruction criminelle » par les mots « en exécution de la loi ».

MjBµ. - Je me rallie à cette proposition.

- L'amendement est mis aux voix et adopté.

L'article 116, ainsi amendé, est adopté.

M. Dolezµ remplace M. Moreau au fauteuil de la présidence.

Articles 117 et 118

« Art. 117. Après chaque scrutin, le chef du jury le dépouillera en présence des jurés, et consignera immédiatement la résolution en marge de la question, sans exprimer le nombre de suffrages, si ce n'est dans le cas où la déclaration affirmative sur le fait principal n'aurait été formée qu'à la simple majorité. »

- Adopté.


« Art. 118. Si l'accusé n'est déclaré coupable du fait principal qu'à la simple majorité, les juges délibéreront entre eux sur le même point. L'acquittement sera prononcé si la majorité de la cour ne se réunit à l'avis de la majorité du jury. »

- Adopté.

Chapitre VI. De la cour de cassation

Articles 119 et 120

« Art. 119. La cour de cassation siège à Bruxelles. »

- Adopté.


« Art. 120. Elle est composée d'un premier président, d'un président de chambre et de quinze conseillers. »

- Adopté.

Article 121

« Art. 121. Les fonctions du ministère public sont exercées à la cour par un procureur général et deux avocats généraux. »

M. Ortsµ. - Je proposerai à la Chambre une légère modification, qui n'entraînera du reste aucune conséquence financière, à l'article 121.

Elle consisterait à dire que le plus ancien des avocats généraux porte le titre de premier avocat général. Cela existe déjà pour les cours d'appel. Le plus ancien des avocats généraux à la cour d'appel porte le titre de premier avocat général. Je ne vois pas de motifs de faire de différence pour la cour de cassation, d'autant moins que ce titre de premier avocat général résout une question d'attributions qui peut avoir son importance : celle de savoir qui remplacera de plein droit le procureur général empêché.

S'il n'y a pas de différence entre les deux, le droit de désigner le remplaçant du procureur général doit appartenir au procureur général lui-même. Je crois qu'il peut y avoir là un inconvénient et qu'il vaut mieux prévenir les tiraillements qui peuvent se produire par la désignation arbitraire d'un avocat général pour remplacer le chef empêché.

Je propose donc d'ajouter à la fin de l'article ces mots : « dont le plus ancien porte le titre de premier avocat général. »

MjBµ. - Je ne m'oppose pas à cette addition.

- L'article ainsi complété est mis aux voix et adopté.

Article 122

« Art. 122. Il y a près la cour un greffier et deux commis greffiers. »

MjBµ. - Il faut rédiger cet article comme suit :

« Il y a près la cour un greffier en chef et deux greffiers. »

- L'article 122 ainsi rédigé est adopté.

Article 123

« Art. 123. Pour être président, conseiller, procureur général ou avocat général, il faut être âgé de trente-cinq ans accomplis, docteur en droit et avoir suivi le barreau ou exercé des fonctions judiciaires pendant dix ans. »

M. Dupontµ. - Conformément à une modification apportée à un article précédent, il y a lieu d'ajouter ces mots « ou enseigné le droit, pendant dix ans, dans une université de l'Etat. »

MjBµ. - Voici comment je propose de rédiger cet article :

« Nul ne peut être président ou procureur général s'il n'a 35 ans accomplis, s'il n'est docteur en droit et s'il n'a suivi le barreau, occupé des fonctions judiciaires ou enseigné le droit dans une université de l'Etat, pendant au moins dix ans. Les conseillers et les avocats généraux peuvent être nommés à l'âge de 30 ans, s'ils réunissent les conditions énumérées ci-dessus. »

- Cette nouvelle rédaction est mise aux voix et adoptée.

Article 124

« Art. 124. Lorsqu'une place de conseiller à la cour de cassation devient vacante, le premier président, soit d'office, soit sur le réquisitoire du procureur général, convoque une assemblée générale et publique à l'effet de procéder à la formation de la liste double prescrite par l'article 99 de la Constitution. »

- Adopté.

Article 125

« Art. 125. La présentation de chaque candidat a lieu séparément par bulletin secret et conformément à l'article 224.

« Le procureur général assiste à l'assemblée, mais il n'y a pas droit de suffrage.

« Le greffier dresse un procès-verbal des opérations de l'assemblée. Ce procès-verbal contient les noms des membres qui ont fait partie de l'assemblée, ainsi que celui de l'officier du ministère public qui y a assisté. Il est signé tant par le président que par le greffier. »

M. Coomansµ. - Messieurs, ne faudrait-il pas dire, dans le troisième paragraphe, « le greffier en chef » au lieu de : « le greffier » ? Je proposerai ensuite de rédiger la dernière phrase du même paragraphe ainsi qu'il suit : « Il est signé par le président et par le greffier. »

M. Lelièvreµ. - Je pense qu'il faut maintenir les mots : « le greffier dresse, etc. » En effet la présence du greffier en chef n'est pas indispensable, sans cela le service pourrait être entravé. Le greffier en chef siège en personne ou bien il est remplacé par l'un des autres greffiers. C'est ce qu'indique l'article en discussion. La rédaction du projet me semble donc devoir être maintenue.

MjBµ. - Le mot « greffier » est ici un terme générique qui désigne soit le greffier en chef, soit celui des deux greffiers qui le remplace.

M. Coomansµ. - Messieurs, je relire la première partie de mon amendement ; je maintiens la seconde.

- L'article 125, ainsi modifié dans la dernière phrase du troisième paragraphe, est mis aux voix et adopté.

Article 126

« Art. 126. Le procureur général transmet au Sénat une expédition de la liste de présentation.

(page 311) « Le Sénat procède ensuite à la formation de la liste double dont la présentation lui est attribuée pair l'article 99 de la Constitution.

« Expédition de cette liste est adressée par le Sénat au procureur général près la cour de cassation.

« Les listes sont transmises au ministre de la justice, respectivement par le procureur général et par le Sénat. »

MjBµ. - Conformément à ce qui a été fait dans l'article 73, je demande que le mot « respectivement » soit supprimé dans le dernier alinéa de l'article 126 et dans le même alinéa, que le mot « respectives » soit ajouté après le mot « listes ».

- L'article 126 ainsi modifié est mis aux voix et adopté.

Articles 127 et 128

« Art. 127. Les listes de présentation sont rendues publiques conformément à l'article 74. »

- Adopté.


« Art. 128. Lorsqu'une place de président vient à vaquer, il est procédé à la nomination d'un conseiller, d'après le mode ci-dessus prescrit.

« La cour ainsi complétée pourvoit à la vacance conformément à l'article 99 de la Constitution et en observant les formalités prescrites par les articles 124 et suivants.

« Néanmoins, dans tous les cas de parité de suffrages, la préférence est accordée au membre le premier en rang dans l'ordre du tableau. »

- Adopté.

Article 129

« Art. 129. Le greffier, qui porte le titre de greffier en chef, est nommé et peut être révoqué par le Roi. »

M. Coomansµ. - Je crois que l'article 129 doit être rédigé ainsi qu'il suit :

« Le greffier en chef est nommé et peut être révoqué par le Roi »

Si vous n'admettiez pas cette rédaction, il serait assez difficile d'arrêter celle de l'article suivant, où les mots « commis greffiers » doivent être remplacés par le mot « greffiers », par suite de l'amendement introduit dans l'article 122.

MjBµ. - Cet amendement doit d'autant plus être adopté que par suite du vote relatif aux greffiers de la cour d'appel, le gouvernement a à vous présenter un amendement à l'article 130.

Cet amendement est ainsi conçu :

« Les greffiers sont nommés par le Roi sur deux listes doubles, présentées, l'une par le premier président de la cour, l'autre, par le greffier en chef.

« Ils peuvent être révoqués par le Roi. »

Vous savez, en effet, que la Chambre a adopté pour la nomination des greffiers près les cours d'appel la nomination par le Roi sur une liste double présentées l'une, par le greffier de la cour, l'autre par le greffier en chef.

- L'article, rédigé comme le propose M. Coomans, est adopté.

Articles 130 à 132

« Art. 130. Les commis greffiers sont nommés par la cour sur une liste triple de candidats présentée par le greffier en chef. Ils peuvent être révoqués par la cour. »

M. le ministre de la justice vient de proposer de rédiger ainsi cet article :

« Les greffiers sont nommés par le Roi sur deux listes doubles présentées, l'une par le premier président de la cour, l'autre par le greffier en chef. »

- L'article ainsi rédigé est adopté.


« Art. 131. Nul ne peut être nommé greffier en chef, s'il n'est âgé de trente ans accomplis et s'il n'est docteur en droit, ou s'il n'a rempli pendant dix ans les fonctions de greffier d'un tribunal de première instance ou de commerce ou de greffier en chef ou de commis greffier d'une cour.

« Nul ne peut être nommé commis greffier s'il n'a vingt-cinq ans accomplis et s'il ne réunit les autres conditions requises pour la nomination du greffer en chef.

« Par suite des votes antérieurs de la Chambre, le mot « commis » doit disparaître du second paragraphe. »

- L'article ainsi modifié est adopté.

Article 132

« Art. 132. La première chambre connaît des pourvois en matière civile, et la seconde, des pourvois en matière criminelle, correctionnelle et de police, ainsi que des autres affaires dont la loi attribue la connaissance à la cour de cassation.

« Les conflits d'attributions sont jugés chambres réunies. Si les conseillers non légitimement empêchés te trouvent en nombre impair, le dernier nommé n'abstient.

« La commission propose à cet article l'amendement suivant :

« Suppression de la dernière phrase du paragraphe 2.

« Si les conseillers non légitimement empêchés se trouvent en nombre impair, le dernier nommé s'abstient. »

MpDµ. - Le gouvernement se rallie-t-il à cette rédaction ?

MjBµ. - Oui, M. le président.

- L'article, rédigé comme le propose la commission, est adopté.

Article 133

« Art. 133. Les arrêts ne peuvent être rendus qu'au nombre fixe de sept conseillers, y compris le président. »

- Adopté.

Article 134

« Art. 134. Les accusations admises contre les ministres sont, en exécution de l'article 90 de la Constitution, jugées par les chambres réunies.

« Les juges doivent siéger en nombre pair. Si les conseillers non légitimement empêchés se trouvent eu nombre impair, le dernier nommé s'abstient. »

M. Coomans. — Pour la dixième fois au moins, je prierai le gouvernement de déposer un projet de loi concernant la responsabilité ministérielle.

- L'article est adopté.

Article 135

« Art. 135. Chaque chambre de la cour de cassation est composée de huit conseillers, y compris le président.

« Le premier président préside la chambre à laquelle il veut s'attacher ; il préside l'autre chambre quand il le juge convenable, il préside les chambres réunies et les audiences solennelles.

« Dans tous les cas où la cour doit juger chambres réunies, le nombre de quinze membres au moins est nécessaire pour qu'elle puisse rendre arrêt. Dans le cas de l'article précédent, lorsqu'il s'agira du jugement d'un ministre, ce nombre est de seize au moins. »

M. Ortsµ. - Messieurs, je crois qu'il est indispensable d'introduire dans l'article 135 une disposition portant que, dans le cas où la cour doit siéger chambres réunies et alors qu'il ne s'agit pas du jugement des ministres, elle doit siéger en nombre impair. Sans cela on pourrait arriver à un partage de voix qu'on a voulu éviter dans les tribunaux de tous les degrés.

MjBµ. - Messieurs, il y a une autre difficulté : le chiffre de 15 membres a été emprunté à la loi de 1832, or, d'après cette loi, il y avait un premier président, deux présidents de chambre, et 16 conseillers ce qui faisait un total de 19 membres.

La loi de 1849 a réduit le nombre des membres à 17 ; dès lors on ne peut exiger la présence de 16 membres pour juger un ministre, car il suffirait d’une indisposition de deux membres pour rendre le jugement impossible. C’est pour cela que dans la loi de 1865 on a substitué le nombre 14 à celui de 16.

La même observation s'applique au cas où la cour doit siéger chambres réunies.

Pour faire droit à l'observation de l'honorable M. Orts, on pourrait dire :

« Dans tous les cas où la cour doit juger chambres réunies, elle siège au nombre de 13 membres.

« Dans le cas de l'article précédent, lorsqu'il s'agira du jugement d'un ministre, ce nombre sera de 14 membres au moins. »

M. Ortsµ. - Je ne vois pas pourquoi l'on ne maintiendrait pas la rédaction actuelle, sauf à changer le chiffre et pourquoi l'on ne dirait pas : «... au nombre de 13 membres au moins. »

Je crois qu'il est très désirable que quand la cour de cassation siège chambres réunies, il y ait le plus grand nombre possible de membres présents ; voici pourquoi : nous avons récemment introduit des modifications dans les attributions de la cour de cassation, maintenant, quand elle juge chambres réunies, elle fixe définitivement le point du droit sur lequel elle statue ; il n'y a plus lieu à interprétation législative, cette participation indirecte et limitée au pouvoir législatif me paraît exigé comme garantie le plus grand nombre de membres possible.

Je pense donc qu'il faut dire :

« Le nombre de 13 membres au moins est nécessaire.

MjBµ. - La suppression des mots : « au moins » a été demandé précisément pour faire droit à une observation de l'honorable M. Orts.

Il a demandé en effet que la cour de cassation, chambres réunies, siège en nombre impair.

(page 312) M. Ortsµ. - Je proposerai de dire :

« Dans tous les cas où la cour doit juger chambres réunies, elle siège en nombre impair, sans que ce nombre puisse être inférieur à 13.

MjBµ. - Pour qu'il n'y ait pas trois fois de suite le mot nombre, on pourrait dire :

« Dans tous les cas où la cour doit juger chambres réunies, elle siège en nombre impair et doit être composée de 13 membres au moins. »

- Le paragraphe ainsi modifié est mis aux voix et adopté.

« Paragraphe 2. Dans le cas de l'article précédent, lorsqu'il s'agira du jugement d'un ministre ce nombre est de 14 membres au moins. »

- Adopté.

Disposition finale

Article 136

« Art. 136. Il y a, en outre, des tribunaux militaires et des conseils de prud'hommes, dont l'organisation et les attributions sont réglées par des lois spéciales. »

- Adopté.

Article additionnel (nouveau)

M. Delaetµ. - Messieurs, la proposition que 19 de nos honorables collègues et moi nous avons eu l'honneur de vous soumettre est tellement simple, tellement modeste qu'elle n'atteint pas même les limites de la stricte équité, de ce qui est absolument nécessaire pour que la justice dans un pays soit réputée bien administrée et bien rendue.

Appelé à développer cette proposition devant vous, je ne serai pas très long ; car vouloir prouver l'évidence, ce serait faire injure à votre intelligence. D'un autre côté, lorsque nous demandons non pas même l'égalité de tous les citoyens belges devant la justice, mais simplement la faculté pour les citoyens flamands d'être compris de leurs juges et de les comprendre, ce serait faire injure à vos sentiments de justice, que de mettre en doute votre vote.

Messieurs, il n'est pas un pays au monde, il n'est pas surtout de pays libre et civilisé où l'on puisse admettre qu'un citoyen soit attrait devant un juge et ne puisse communiquer avec ce juge que d'une manière imparfaite, au moyen d'une traduction.

J'avoue, messieurs, que je ne comprends pas qu'une seule objection sérieuse puisse être faite à notre proposition.

Je n'admettrai jamais, à moins que je n'y sois contraint par les faits, que, dans cette Chambre, un seul vote puisse s'opposer à cette simple et modeste demande que nous vous faisons au nom de nos concitoyens flamands.

S'il n'y a pas d'arguments à nous opposer, je sais qu’on a cherche des prétextes, prétextes qui certainement ne résistent pas au moindre examen.

L'article 23 de la Constitution qui a pour but de sauvegarder les droits des particuliers contre les empiétements de l'administration, est expliqué par quelques-uns dans un sens tout à fait opposé ; il est tourné contre les citoyens en faveur de l'administrateur, en faveur du fonctionnaire public.

Si l'article 23 de la Constitution devait avoir ce sens, il était parfaitement inutile de l'écrire et l'on eût beaucoup mieux fait de ne pas insérer une dérision de cette nature, dans la plus sérieuse de nos lois.

D'autre part, messieurs, on a dit qu'obliger nos compatriotes wallons à connaître la langue flamande pour être admis à un emploi quelconque, dans les provinces flamandes, aux fonctions déjuge par exemple, c'était violer l'article 6 de la Constitution.

Je ne sais pas, messieurs, en quoi l'article 6 de la Constitution est violé si l'on inscrit parmi les conditions à remplir pour l'obtention des fonctions de juge, celle de savoir la langue flamande. Il faut être docteur en droit, il faut avoir fait un stage au barreau ou dans la magistrature, il faut avoir un certain âge. Il y a d'autres conditions encore que la loi détermine.

En quoi une condition de plus ou de moins violerait-elle davantage l'article 6 ? Mais, en admettant même cette violation, messieurs, nous aurions à constater que l'article 6 est constamment violé contre la moitié du pays, contre tous les Belges de langue flamande ?

Quel est l'emploi si modeste qu'il puisse être, à moins de descendre dans les sphères les plus infimes, auquel puisse être admissible celui qui ne connaît pas la langue française ?

Il est évident que le citoyen flamand en tant que Flamand est exclu de tous les emplois publics et de toutes les fonctions publiques en Belgique.

La première condition qu'il a à remplir, c'est d'apprendre le français.

Ce qu'il y a de remarquable, messieurs, c'est que même chez lui, sur son sol, dans les provinces flamandes, la langue flamande ne lui sert officiellement de rien.

Que demandons-nous au contraire à nos concitoyens wallons ?

Demandons-nous à gouverner les Wallons chez eux en flamand, nous que l'on juge et que l'on gouverne en français ? Non, nous leur disons simplement ceci : Quand vous occuperez des emplois publics qui vous mettent en rapport avec les populations flamandes, soyez donc assez complètement belges pour n'avoir pas besoin d'un traducteur dans votre propre pays.

Je sais, messieurs, qu'on nous accuse de vouloir diviser la Belgique.

Diviser la Belgique ! Et comment ?

Est-ce nous qui créons l'existence de la langue flamande ? Est-ce nous qui faisons qu'il y a plus de la moitié des Belges qui parlent le flamand ? Est-ce nous qui avons créé cet état de choses ?

Est-ce une complication que nous avons inventée à plaisir, ou bien est-ce une situation séculaire ? Et lorsque la situation est là qui persiste, qui ne varie pas, ce n'est pas notre silence et ce ne sont pas vos vœux qui pourront la détruire.

Voici ce qui doit résulter d'un déni de justice prolongé. Il y a chez nous une population qui ne se sent pas dans la plénitude de ses droits, qui ne se sent pas citoyen dans le sens le plus large et le plus généreux du mot, une population qui se sent et se sait opprimée... (Interruption.)

Je ne dis pas qu'on ait l'intention de l'opprimer, mais enfin elle l'est et elle sent qu'elle compte pour très peu de chose chez elle.

Comment voulez-vous que cette population, qui n'est pas l'égale en fait d'une autre population, laquelle constitutionnellement n'est pas plus qu'elle ; comment voulez-vous que cette population ait une affection profonde et entière pour le pays ? La première condition du patriotisme, c'est de se sentir citoyen, de savoir qu'on est quelque chose dans le pays.

Eh bien, messieurs, j'ai le regret d'avoir à le constater, les populations flamandes ne sont rien, il dépend de vous que dès demain elles soient quelque chose, que dès demain une ère de justice nouvelle s'ouvre pour elles. Ce ne sera pas encore le plein soleil de la justice ; mais tout au moins c'en sera l'aurore.

- L'amendement de M. Delaet est appuyé et fait partie de la discussion.

MjBµ. - Le gouvernement ne croit pas devoir se rallier à l'amendement présenté par M. Delaet et plusieurs de ses amis. Les motifs de sa détermination seront faciles à donner.

Généralement on admet que pour modifier un état de choses existant, il faut qu'il en soit résulté des abus. Une disposition ne doit être introduite dans la législation que s'il y a de sérieux motifs de le faire. Or, je ne vois aucune raison pour admettre l'amendement de M. Delaet.

Je laisse de côté la question constitutionnelle, je laisse de côté toutes les autres questions qui touchent à la prééminence d'une langue sur une autre. Je me place sur le terrain pratique...

M. Teschµ. - Des faits...

MjBµ. - Oui, des faits. Et je demande si M. Delaet est fondé d'une façon quelconque à réclamer l'adoption de son amendement, comme la revendication d'une chose indispensable, comme une justice à rendre aux Flamands, comme un moyen d'avoir une bonne justice.

Je vais lire cet amendement et vous verrez que M. Delaet a cette bonne fortune d'avoir obtenu ce qu'il désire avant même de l'avoir demandé. (Interruption.)

Voici donc l'amendement :

« Dans les provinces d'Anvers, de la Flandre occidentale, de la Flandre orientale., du Limbourg et dans les arrondissements judiciaires de Bruxelles et de Louvain, nul ne peut être nommé à des fonctions judiciaires, s'il ne connaît la langue flamande. »

Je crois que par les mots « dans les arrondissements judiciaires de Bruxelles et de Louvain », M. Delaet n'a pas entendu parler de la cour d'appel de Bruxelles et de la cour de cassation qui siègent dans ces arrondissements.

M. Delaetµ. - Je vous prie de lire l'amendement ; vous connaissez mieux que moi les termes du droit, et vous devez savoir que la cour d'appel et la cour de cassation n'appartiennent pas à un arrondissement judiciaire.

MjBµ. - Vous dites :

(page 313) « Dans les provinces d'Anvers, de la Flandre occidentale, de la Flandre orientale, du Limbourg, et dans les arrondissements judiciaires de Bruxelles et de Louvain, nul ne peut être nommé à des fonctions judiciaires s'il ne connaît la langue flamande. »

Donc, tout magistrat qui exerce des fonctions dans ces arrondissements doit connaître la langue flamande. (Interruption.) Eh bien, je vous demande si les membres de la cour de cassation et de la cour d'appel ne siègent pas dans l'arrondissement de Bruxelles. (Interruption.) Vous avez mal rédigé votre amendement, vous avez voulu parler des tribunaux de première instance.

M. Delaetµ. - Amendez-le.

MjBµ. - Je ne comprends vraiment pas vos interruptions. (Interruption.)

J'ai commencé par dire que l'honorable membre n'avait pas entendu parler des magistrats de la cour de cassation et de la cour d'appel et j'ai voulu le constater, tout en déclarant son amendement mal rédigé.

Cela dit, messieurs, je ferai une première observation. Pourquoi cette exception ? Si l'honorable membre a raison, s'il faut admettre le principe très difficile, pour ne pas dire impossible à appliquer que nul ne peut être juge que lorsqu'il comprend et est compris, je demande pourquoi les magistrats de la cour de cassation et de la cour d'appel ne devraient pas aussi connaître le flamand.

La chambre correctionnelle de Bruxelles jugera les affaires qui arriveront de la province d'Anvers, des tribunaux de Bruxelles et de Louvain, et si votre règle est juste, il faudrait l'étendre. Mais, messieurs, voyons ce qui se passe dans ces arrondissements.

J'ai fait dresser le tableau de tous les magistrats appartenant aux tribunaux de première instance dont parle l'honorable membre. (Ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée). En tout 121 magistrats effectifs et 46 suppléants, soit 170 magistrats.

Eh bien, savez-vous combien de magistrats ne connaissent pas le flamand de ces 170 ? Il n'y en a pas un. Deux seulement, dont un juge suppléant, le comprennent, mais sans pouvoir le parler.

Faire connaître ces chiffres c'est, je pense, démasquer la petite tactique qu'il y a derrière la proposition. Je l'ai dit dernièrement, je le répète, et vous ne me ferez pas abandonner ce terrain ; c'est de l'agitation que vous faites et rien que de l'agitation, c'est une tactique électorale et rien qu’une tactique électorale. (Interruption.)

Lorsque vous n'avez pas de griefs à produire, vous n'êtes pas fondé à venir devant la Chambre prétendre que les Flamands sont victimes, qu'ils sont jugés par des magistrats qui ne les comprennent pas. (Interruption.) Vous êtes venu dire en commençant votre discours que les Flamands n'étaient rien dans le pays, qu'ils ne pouvaient obtenir le moindre emploi. Mais le tableau que je viens de vous soumettre démontre que si la proposition de M. Delaet était adoptée, il n'y aurait rien de changé à la situation.

M. Teschµ. - On n'a jamais nommé dans les provinces flamandes de magistrats qui ne savaient que le français.

MjBµ. - C'est donc évidemment un moyen d'opposition. L'opposition propose son amendement parce qu'elle espère créer par là une difficulté au gouvernement et à la majorité. L'opposition s'imagine que nous allons nous montrer moins favorable qu'elle aux Flamands. Elle est, sous ce rapport, dans une erreur complète. Nous avons soigné les intérêts des Flamands beaucoup mieux que vous autres catholiques.

M. Teschµ. - Certainement.

MjBµ. - Si nous voulons remonter aux ministères pris dans les rangs des honorables signataires de l'amendement, nous trouverons qu'ils ont complètement violé le principe qu'on invoque et qu'ils ne se sont nullement gênés pour nommer des magistrats wallons là ou le flamand était absolument indispensable.

M. Coomansµ. - Ils ont eu tort.

MjBµ. - Ils ont eu tort, dites-vous ; mais il est vraiment singulier que vous ne vous en soyez aperçus que depuis que vous êtes dans l'opposition.

M. Coomansµ. - Nous l'avons dit avant vous.

MpDµ. - M. Coomans, veuillez demander la parole si vous désirez parler, mais n'interrompez pas. (Interruption.) Je veille à ce qu'on n'interrompe personne ; c'est mon devoir, et je prie mes honorables collègues de seconder mes efforts dans ce but.

MjBµ. - Ainsi, messieurs, nous reconnaissons que, dans la pratique, le gouvernement devra nommer des magistrats connaissant le flamand, dans les arrondissements dont il vient d'être parlé, et, depuis plus de dix ans, cet état de choses existe d'une manière permanente. Qui s'avisera de le changer ?

Mais personne, messieurs, et d'ailleurs il ne se présente pas de candidats wallons pour occuper des fonctions judiciaires dans les arrondissements où l'élément flamand domine ; dans la province d’Anvers, dans les deux Flandres, dans le Limbourg, dans le Brabant, à l'exception de l'arrondissement de Bruxelles, il n'y a que des candidats flamands qui concourent aux places vacantes. Les Flamands n'ont donc pas besoin d'être protégés sous ce rapport-là. Et quant à Bruxelles, messieurs, je fais remarquer qu'à côté de deux chambres correctionnelles il y a trois chambres civiles où jamais on ne plaide en flamand.

M. Van Overloopµ. - On a parfois à y examiner des actes flamands.

MjBµ. - Oui, comme cela peut se présenter devant les tribunaux, à Mons, à Tournai, à Namur ; mais quand cela arrive, on fait traduire les pièces écrites en flamand et il est parfaitement acquis que les avocats ne plaident qu'en français devant les tribunaux civils.

L'honorable M. Van Wambeke, qui est un des signataires de l'amendement, me fait signe que j'ai raison. (Interruption.)

L'honorable M. Coomans m'interrompt et objecte que si les avocats plaident en français, c'est parce qu'on les y force.

Eh bien, permettez-moi, messieurs, de citer certains faits pour l'édification de la Chambre et des honorables signataires de l'amendement.

L'honorable M. Coomans et probablement l'honorable M. Delaet voudront sans doute, comme conséquence de l'adoption de leur amendement, forcer les avocats à plaider en flamand, devant les tribunaux des provinces flamandes ; ils voudront, et c'est là leur projet, que toute la procédure se fasse en langue flamande, que le ministère public requière en flamand. Voilà le but auquel on tend. Et, en effet, c'est ce que demandait la commission de 1850.

Or, voyons un peu si l'intérêt des justiciables est ainsi compris par les avocats flamands. Ceci est très curieux. On vient parler, dit-on, au nom des justiciables, mais je ne puis pas reconnaître à l'honorable M. Delaet une spécialité toute particulière pour traiter cette matière.

Il me semble, messieurs, que si l'emploi en général de la langue française avait produit des abus, ces abus auraient été signalés depuis longtemps par la magistrature et par les avocats. Or, je constate que fort peu de personnes qui touchent à la justice plaident la thèse de l'honorable M Delaet ; et je vais vous le prouver.

En 1819, un arrêté du roi Guillaume déclare qu'on devait plaider en flamand dans les provinces qu'indique l'amendement ; Bruxelles fut d'abord excepté ; mais plus tard on est revenu sur cette disposition. Deux chambres flamandes furent alors constituées à la cour supérieure de Bruxelles et le premier président rendit une ordonnance aux termes de laquelle les causes venant des provinces flamandes pourraient être distribuées à l'une de ces deux chambres et que les avocats auraient la faculté d'y plaider ces causes en employant la langue flamande. A cette époque, les deux Flandres faisaient partie du ressort de la cour de Bruxelles. Cet état de choses dura de 1820 à 1823.

Que s'est-il passé, messieurs ? Croyez-vous que les avocats flamands ont plaidé en flamand ? Pas du tout ; les feuilles d'audience de la période que je viens d'indiquer constatent que les avocats des Flandres, de la province d'Anvers, des arrondissements de Louvain et de Bruxelles qui avaient des causes en appel, les ont traitées et fait traiter exclusivement du français, Ainsi, on laisse aux avocats flamand le droit de choisir entre (page 314) le flamand et le français et c'est le français qu'ils choisissent, bien qu'ils soient les meilleurs juges de l'intérêt de leurs clients. Aussi longtemps qu'ils sont libres de choisir, ils donnent la préférence au français et ils ne se décident à se servir du flamand que lorsqu'on les y contraint en 1823.

Et pourquoi, messieurs, cette préférence en faveur des Français ? Mais parce que le français est la langue du droit : parce que c'est en français qu'on étudie la science juridique, parce que c'est la langue des affaires. Et l'honorable M. Delaet qui rêve la prédominance de la langue lia mande, oublie, dans cette question, les intérêts les plus essentiels des personnes qu'il croit défendre. Si la thèse de l'honorable membre venait jamais à triompher, je dis que vous auriez nui à la bonne administration de la justice et que même dans les provinces flamandes vous ne trouveriez aucun barreau qui consentirait à souscrire à vos exigences.

Je ne suis pas Flamand ; je n'ai jamais plaidé devant un tribunal flamand ; mais je suis convaincu d'être l'organe de la plupart des avocats en disant qu'ils s'opposeraient par tous les moyens en leur pouvoir à l'obligation qu'on voudrait leur imposer de plaider en flamand.

Et la preuve de ce que j'avance, messieurs, c'est que quand les arrêtés du roi Guillaume sont intervenus, les populations flamandes, les barreaux et notamment celui de Gand, ont énergiquement protesté et tout le monde sait que la loi obligeant à se servir exclusivement du hollandais a été l'un des griefs qui ont provoqué la révolution de 1830.

A partir de cette époque, l'usage des langues est facultatif ; on peut parler le flamand devant les tribunaux énumérés dans l'amendement ; la grande généralité des magistrats connaissent cette langue ; eh bien, que voyons-nous ? Lisons le résultat d'une enquête faite par le procureur général du ressort de la cour de Bruxelles. On constate que « les Flamands ont continué à laisser ou à faire traiter leurs affaires civiles en français devant la cour de Bruxelles comme devant la cour de Gand.

« Il en a été de même dans les tribunaux de Gand, Termonde, Bruxelles, Louvain, Malines, Anvers, Tongres, Hasselt et Courtrai, où les affaires se sont toujours traitées, plaidées et jugées en français. A Turnhout au contraire le flamand est la règle et le français l'exception ; mais à Furnes, où les affaires civiles se traitent et se jugent le plus souvent en flamand, les plaidoiries n'ont presque jamais lieu qu'en français.

« A Bruges enfin, à Ypres et à Audenarde où l'on emploie indistinctement l'une ou l'autre langue pour les jugements et les actes de procédure, c'est encore le français que l'on choisit de préférence pour les plaidoiries. Nous ajoutons qu'à Bruxelles, à Anvers et à Tongres les affaires criminelles se plaident toujours en français et que les accusés n'ont jamais réclamé contre cet usage ; qu'il en est de même, à quelques exceptions près, dans les deux Flandres, puisqu'il n'y a qu'un seul avocat du barreau de Bruges qui plaide ses affaires criminelles en flamand, et qu'on emploie à peine cette langue deux ou trois fois par année devant la cour d'assises de la Flandre orientale. »

Vous voyez que même dans les tribunaux où les magistrats connaissent tous le flamand, les avocats et les intéressés ne se servent pas de la langue flamande.

Pourquoi donc vouloir faire consacrer par la loi un principe qui produirait des conséquences directement contraires à l'intérêt des justiciables ?

Je crois avoir suffisamment répondu à l'honorable M. Coomans qui a dit qu'on ne plaidait pas en flamand, parce qu'on ne pouvait pas. On peut plaider en flamand, mais on ne le fait pas.

Cela étant, et la Chambre connaissant la manière dont la loi est pratiquée, est-on d'avis qu'il faille introduire dans la législation une disposition qui prononcerait l'exclusion légale de la partie wallonne du pays de certaines fonctions ? (Interruption.)

Les Flamands ont tous les avantages... (Nouvelle interruption.) En effet, n'avez-vous pas toutes les nominations dans les tribunaux des parties flamandes du pays ? Je vous l'ai prouvé.

Si vous le voulez, je vous prouverai que vous avez une large part, le tiers peut-être des nominations dans les provinces wallonnes ; je vous prouverai que sur neuf gouverneurs, il y en a huit qui parlent le flamand, c'est-à-dire que les Flamands peuvent aspirer à toutes les places dans les neuf provinces du pays, parce qu'ils connaissent le français ; tandis que les Wallons doivent nécessairement se restreindre en certaines provinces.

Ainsi, messieurs, il n'y a pas d'inconvénient à laisser les choses dans l'état où elles sont. Les justiciables en sont contents.

Examinons maintenant le principe sur lequel on se fonde pour proposer de modifier la législation actuelle.

Indubitablement l'honorable M. Delaet ne présente pas son amendement pour le plaisir de faire proclamer par la loi les droits de la langue flamande. Le but qu'a en vue l'honorable membre, ce n'est pas l'intérêt des langues, c'est l'intérêt de la justice ; il ne veut pas qu'un individu soit jugé par des juges qu'il ne comprend pas et dont il n'est pas compris. Appliquons ce principe à tout le pays.

Voilà un Wallon du pays de Liège, il demande une place dans le Hainaut ; s'il ne comprend pas le wallon des environs de Tournai, il faudra... (Interruption.)

Que l'honorable M. Delaet, qui m'interrompt, soit mis aux prises avec un Wallon du pays de Liège, et s'il le comprend, je suis content de passer condamnation. Pour moi, j'avoue que je ne comprends pas plus ce wallon que je ne comprends le flamand.

Quelle est la conséquence du principe de l'amendement ? C'est que chaque candidat aux fonctions judiciaires ne pourra être nommé juge que là où il est né, là où il comprend la langue, car si votre principe est juste pour les Flamands, il est également juste pour les Wallons ; vous ne pouvez pas donner aux Wallons des juges qui ne les comprennent pas et dont ils ne sont pas compris.

Maintenant nous allons passer dans les provinces flamandes. D'après le principe, il faudra diviser les juges selon les dialectes. (Interruption.)

MpDµ. - Je demande que ces interruptions continuelles cessent ; vous interrompez constamment et vous vous plaignez de ne pas entendre.

MjBµ. - Prenons maintenant les Allemands ; ils vont aussi demander qu'on ne nomme pour eux que des juges qui comprennent l'allemand. L'honorable M. Tesch, qui nous montre un morceau de papier, a probablement l'intention de déposer un amendement dans ce sens.

Qu'arrivera-t-il de pareilles prétentions ? C'est qu'on fera de la Belgique un petit pays fédératif ; nous aurons autant de circonscriptions que nous avons de dialectes différents.

L'honorable M. Delaet cherche à prouver aux Flamands que la Belgique est le seul pays où les justiciables ne parlent pas partout la même langue que les juges, et que nulle part, dans aucun pays civilisé, pareille chose n'existe.

J'ai déjà répondu à cet argument ; mais l'honorable membre a passé ma réponse sous silence, comme il passera sous silence celle que je lui fais aujourd'hui.

En France, les Flamands du département du Nord sont jugés par des magistrats qui ne parlent pas le flamand. (Nouvelle interruption.)

MpDµ. - Je désire que l'autorité du président soit écoutée à droite comme à gauche. Je sais par mon expérience que chaque fois que nos séances ont été marquées par des troubles, ce sont des interruptions qui les ont provoqués. Je suis donc bien décidé à empêcher énergiquement les interruptions à droite comme à gauche. Je prie tous mes collègues de me seconder dans cette voie, dans l'intérêt de la dignité de la Chambre.

MjBµ. - En Suisse aussi on parle des langues différentes, et la situation des tribunaux et des justiciables est la même que chez nous.

Je comprends parfaitement que vous vous plaigniez du gouvernement, si le gouvernement avait nommé pour les tribunaux des provinces flamandes des magistrats ne sachant pas le flamand.

Mais il n'en est pas ainsi ; je viens de vous démontrer par la liste que je vous ai lue qu'il n'y avait que deux magistrats, un juge effectif et un suppléant, qui ne savaient qu'imparfaitement le flamand. Ils le comprennent, mais ils ne le savent qu'imparfaitement, et ils siègent dans les chambres civiles à Bruxelles. Sur les 108 autres magistrats, il n'en est pas un qui ne comprenne le flamand et ne puisse le parler.

Mais allons plus loin : avec l'amendement de l'honorable membre, comment constaterait-on que les aspirants magistrats savent le flamand ? On leur fera passer un examen de telle sorte que toutes les places de l'ordre judiciaire se trouveront dans les mains de la commission d'examen des docteurs en droit. Indiquer les conséquences d'un pareil système, alors qu'il n'y a aucune espèce d'utilité, alors que les Flamands ont complète satisfaction, c'est faire appel au bon sens de la Chambre, c'est établir que l'amendement n'a aucune raison d'être.

Nous ne demandons pas mieux que d'accorder aux populations flamandes tout ce qui est juste et légitime. Mais quand vous introduisez des amendements dépourvus d'utilité pratique, qui tendent à diviser le pays, à créer des barrières, à prononcer des exclusions superflues, je demande que la Chambre, dans l'intérêt de notre nationalité, dans l’intérêt des bons rapports qui ne cesseront, malgré toutes les excitations, (page 315) d'exister entre les Flamands et les Wallons, je demande, dis-je, que la Chambre repousse énergiquement vos propositions.

MpDµ. - La parole est a M. Dupont.

M. Dupontµ. - Je veux parler dans le même sens que M. le ministre de la justice. Je céderai la parole à un défenseur de l'amendement.

M. Gerritsµ. - Messieurs, le principal moyen d'opposition invoqué par M. le ministre de la justice consiste à dire que notre amendement, dans la pratique, est tout à fait inutile, n'a pas de raison d'être.

On prétend que dans tous les arrondissements désignés dans notre amendement, il n'y a pas un seul magistrat, un seul membre de l'ordre judiciaire qui ne comprenne la langue flamande.

Si cette assertion est exacte, le fait signalé par M. le ministre de la justice prouve mieux que ne pourraient le faire tous les raisonnements le bien-fondé de notre demande.

Tous les ministres, à quelque opinion, à quelque partie du pays qu'ils appartiennent, qui se sont succédé au département de la justice, ont reconnu par leurs nominations mêmes, par les choix mêmes des magistrats, que la connaissance de la langue flamande est indispensable dans les provinces flamandes.

Dès lors, quel inconvénient peut-il y avoir à inscrire dans la loi un principe incontesté et incontestable ?

Vous reconnaissez qu'il ne peut y avoir d'inconvénients ; mais vous me dites qu'il n'y a pas d'avantage.

Eh bien, il me sera facile de prouver qu'il y a un avantage réel, même pour les populations wallonnes. C'est par là que je commence.

Je crois qu'il est utile de faire connaître aux populations wallonnes les faits tels que réellement ils existent. Je crois qu'il est utile de faire savoir à tous ceux, qui, dans les provinces wallonnes, veulent se faire une carrière dans la justice que, de fait, cette carrière leur est fermée dans la plus grande partie du pays, s'ils ne se donnent pas la peine d'étudier la langue de la majorité des Belges.

C'est un service que vous leur rendrez de leur faire savoir ce qui en est.

MfFOµ. - Ils le savent parfaitement.

M. Gerritsµ. - Maintenant, pour les populations flamandes, la chose est du plus haut intérêt et j'espère vous le faire comprendre.

Les abus qui existent aujourd'hui dans l'emploi exclusif de la langue française sont réels, tout le monde le reconnaît. Nous avons, à différentes reprises déjà, annoncé à la Chambre l'intention de vous présenter un projet de loi pour remédier à ces abus. Mais, dans les circonstances actuelles, dans la position où nous nous trouvons aujourd'hui, il est au pouvoir d'un ministre de la justice quelconque, le ministre actuel ou l'un de ses successeurs, de rendre toute amélioration à cette position pour ainsi dire à jamais impossible.

D'après l'article 100 de la Constitution les juges sont inamovibles et ne peuvent être déplacés que de leur consentement. Il suffît donc qu'un ministre de la justice fasse deux ou trois mauvaises nominations, pour qu'à l'avenir on nous oppose un obstacle infranchissable, l'obstacle constitutionnel.

Vous comprendrez l'intérêt que nous avons à saisir l'occasion qui se présente aujourd'hui, l'occasion de la discussion sur l'organisation judiciaire, où il s'agit du personnel des tribunaux, l'intérêt que nous avons à faire adopter notre amendement, qui est tout à fait constitutionnel.

Dans cette discussion déjà, l'honorable ministre a plus ou moins fait comprendre que la position dans laquelle nous nous trouvons pourrait bien être aggravée, parce que, nous dit-il, je ne veux pas inscrire dans la loi l'exclusion des Wallons qui ne comprendraient pas le flamand, je ne veux pas d'exclusion légale pour eux.

D'après cette théorie, on met audacieusement l'intérêt privé au-dessus de l'intérêt général.

Tout le monde reconnaît qu'il est indispensable que les juges comprennent la langue des justiciables, et cependant on suppose qu'il sera possible, dans l'avenir, de nommer des juges qui ne comprendraient pas notre langue.

Car, sans cela, je ne sais pas ce que M. le ministre entend par son exclusion légale. Il suppose donc la possibilité de nous donner des juges qui ne comprendraient pas notre langue. Et pourquoi ? Parce que l'application de notre amendement nuirait à l'avancement de quelques personnes qu'on déclare incapables et que cependant on veut favoriser.

A entendre mes honorables contradicteurs, la justice ne serait donc pas organisée dans l'intérêt général ; la justice ne devrait pas être organisée de manière à donner des garanties aux accusés.

Elle devrait être organisée principalement au profit de ceux qui cherchent des places salariées !

Est-ce là ce que M. le ministre veut nous faire comprendre, quand il dit qu'il ne veut pas d'exclusion légale ?

Un autre argument qu'on invoque et qu'on a déjà souvent invoqué, consiste en ceci. On nous dit : Si vous reconnaissez les droits de la langue flamande, il faudra également reconnaître les droits de la langue wallonne.

S'il existe une langue wallonne, si vous pouvez vous mettre d'accord, si les différents patois du wallon ne sont pas des patois de la langue française, formulez vos demandes.

- Un membre. - Le flamand, tel qu'on le parle souvent, n'est qu'un patois de l'allemand. (Interruption.)

M. Gerritsµ. - Je le répète, si les différents patois wallons ne sont pas des patois de la langue française, et si vous pouvez vous mettre d'accord, formulez vos demandes ; nous ne demandons pas mieux que de vous satisfaire. Mais, sachez-le bien, nous ne demandons de droits ni pour le patois de Bruges, ni pour le patois de Bruxelles, ni pour le patois de Gand, ni pour le patois d'Anvers. Nous demandons des droits pour la langue générale de tous les hommes de notre race, pour la langue néerlandaise, le nederduitsch.

Cette langue est parlée en Europe par 17 millions d'hommes, et en Belgique par 3 millions d'hommes, c'est-à-dire par la majorité du peuple belge.

Cette seule considération que c'est la langue de la majorité de notre peuple devrait suffire pour vous faire respecter ses droits.

Tout à l'heure un membre m'a interrompu pour me dire que notre langue n'est qu'un patois. Probablement que ce membre ne connaît pas la langue flamande. Je puis l'assurer que c'est une langue riche, énergique et tout à fait élégante. Je pourrais citer toute une série de chefs-d'œuvre, chefs-d'œuvre du premier rang, reconnus comme tels depuis des siècles par tous les peuples qui se sont occupés de littérature, de philosophie, de sciences. C'était la langue de Van Maerlant, le poète-philosophe, à qui l'on a érigé une statue, à Damme, avec le concours du gouvernement. C'était la langue dans laquelle écrivait Simon Stevin, à qui l'on a érigé une statue à Bruges. Et, puisque le membre qui m'a interrompu appartient à la gauche, je lui dirai que les ouvrages les plus célèbres de Marnix de Sainte-Aldegonde, auquel on veut ériger une statue à Bruxelles, sont également écrits en flamand.

Je puis ajouter que de nos jours encore, toute une pléiade de littérateurs flamands soutient vaillamment devant le monde civilisé notre ancienne réputation.

Et vous viendrez dire que cette langue n'est pas digne d'être parlée par un procureur du roi ou par un substitut ! C'est de la dérision ! De tels arguments ne peuvent être employés que par ceux qui ne connaissent pas notre langue.

L'honorable ministre nous a dit tout à l'heure que dans certaines parties de la France, les justiciables sont jugés dans une langue qu'ils ne comprennent pas.

L'exemple est bien malheureusement choisi.

Si nous devions subir, nous Flamands, dans notre propre patrie, dans un pays qu'on dit libre et civilisé, le sort qu'on fait subir à des populations vaincues et annexées, notre situation serait tellement malheureuse qu'elle justifierait tout à fait cette agitation dont vous parliez tout à l'heure.

Chaque fois que nous réclamons les droits de notre population, on nous parle d'agitation ; on nous dit : Pour nous tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possible. Nous, Wallons, nous n'avons pas à nous plaindre ; notre langue domine ; nous nous étouffons peut-être ; mais nous nous trouvons si bien, pourquoi nous déranger ? Ne vous remuez pas, ne vous plaignez pas ; vos plaintes nous sont désagréables.

J'espère pour l'honneur du peuple belge, dont nous formons la majorité, j'espère que vous comprendrez, que nous n'accepterons pas ce conseil intéressé, que vous ne nous supposerez pas assez stupides ou assez lâches pour le suivre.

Aussi longtemps que l'injustice ne sera pas redressée, nous réclamerons, nous réclamerons énergiquement et avec persistance, et s'il y a de l'agitation, la responsabilité en retombe tout entière sur ceux qui maintiennent l'injustice, sur ceux qui en profitent et non pas sur ceux qui en souffrent et qui veulent s'en affranchir.

M. Dupontµ. - Les dernières paroles de l'honorable membre doivent, à coup sûr, étonner la Chambre. A propos d'un amendement que l'on dit être la chose la plus simple et la plus naturelle du monde, (page 316) alors que cet amendement n'a été combattu par l'honorable ministre de la justice que comme n'étant pas susceptible d'être inséré dans la loi, alors que le gouvernement déclare que cette règle a été et sera constamment suivie dans la pratique, on vient se livrer à d'amères récriminations, on jure de résister à l'oppression inouïe qui frappe la race flamande et de lutter jusqu'au bout pour la défense de la langue nationale par excellence.

Mais, de grâce, prêtez donc l'oreille à ce que vous a dit M. le ministre de la justice. N'avez-vous pas entendu que tous les magistrats des provinces flamandes sont parfaitement initiés à la connaissance de la langue que vous vantez ? N'a-t-on pas constaté tout à l'heure l'exclusion des Wallons de la plupart des fonctions judiciaires du pays ? Cela ne vous suffit-il pas ? et quels abus avez-vous à nous signaler ?

Rien ne justifiait donc le long et énergique réquisitoire de l'honorable membre contre la tyrannie odieuse, contre l'intolérable ostracisme dont les Flamands seraient prétendument les victimes trop résignées.

Un point qui m'a frappé dans les discours des auteurs de l'amendement, c'est l'insistance qu'ils mettent à prétendre que la partie flamande du pays en compose la grande la majorité, majorité malheureuse et opprimée.

On insinue que la langue française ne doit venir qu'au second rang et que le flamand doit, en définitive, être imposé à la partie wallonne de la nation belge. (Interruption.)

Alors pourquoi dire sans cesse que vous composez la majorité du pays ? Eh bien, je vais vous montrer que cet argument qui vous lient tant à cœur n'est pas fondé. Ce n'est pas ainsi que la question doit être posée. Vous ne devez pas, en effet, demander quelle est la langue parlée par le plus grand nombre de Belges, vous devez rechercher quelle est la langue la plus généralement comprise, et à ce point de vue vous serez forcés de reconnaître sans contestation possible que la langue la plus générale, la plus usitée c'est la langue française.

La langue française c'est la langue des affaires, c'est la langue du droit et des sciences exactes ; c'est la langue claire par excellence, langue dans laquelle on exprime d'une façon nette et précise sa pensée ; certes, je crois qu'à tous ces différents titres elle présente des avantages considérables sur sa rivale.

Lorsque je me suis levé, ce n'était certainement pas pour combattre l'amendement de l'honorable M. Delaet au point de vue des règles à suivre dans la pratique pour la collation des fonctions judiciaires d3ns les provinces flamandes.

Sur ce point je suis parfaitement d'accord avec lui et je crois que le ministre de la justice engagerait sérieusement sa responsabilité s'il s'écartait sur ce point des précédents constamment suivis jusqu'à ce jour.

Ce que je viens combattre, comme l'a fait M. le ministre de la justice, c'est l'insertion d'une semblable disposition dans la loi. C'est avec infiniment de raison que dans les provinces flamandes on ne nomme que des fonctionnaires qui comprennent la langue de la population ; résulte-t-il de là qu'il faille insérer à cet égard une prescription formelle dans la loi ? Quelle en serait l'utilité ? On vous a prouvé que cette prescription est observée en fait. Vous n'avez pas répondu à la question assez embarrassante, il est vrai, que vous posait tout à l'heure M. le ministre de la justice.

Il vous a dit : Entendez-vous constituer une commission d'examen et entendez-vous faire dépendre l'avenir des jeunes gens des décisions de cette commission qui aura ainsi à sa disposition toutes les places de l'ordre judiciaire ?

Et si telle n'est pas la portée de votre proposition, devant une aussi absurde conséquence, si vous voulez, qui appréciera donc si un candidat connaît suffisamment la langue flamande ? Sera-ce le ministre de la justice ? Alors, rien n'est changé à ce qui existe aujourd'hui et vous n'avez pas une garantie de plus. Et si c'est une autre autorité, où la trouverez-vous ?

Quelle sera la sanction de la défense que vous proposez d'inscrire dans la loi ?

Ferez-vous descendre le magistrat de son siège ? Qui sera investi de ce droit ? Quelles formes suivra-t-on encore une fois pour constater que le juge n'est pas suffisamment initié à la langue flamande ? A quelle épreuve sera-t-il soumis ?

Quel sera le degré de connaissance qu'il sera indispensable de posséder ? Quel sera d'ailleurs le flamand qu'il faudra connaître ? L'honorable membre répond : Ce qu'il faut savoir, c'est la belle langue flamande, la langue néerlandaise, cette langue qu'ont illustrée Simon Stevin, Marnix de Sainte-Aldegonde et tant d'autres ; quant au patois de Bruges, aux idiomes de Gand, de Tongres ou de Courtrai, nous eu faisons bon marché. Etrange contradiction ! N'est-ce pas en définitive pour que les magistrats comprennent le pauvre, pour que l'humble artisan, l'ouvrier illettré, qui comparaissent devant un tribunal, puissent suivre tous les actes de la procédure et jouir de toutes les garanties accordées par nos lois, que l'on insiste pour l'adoption de l'amendement ?

Le but que l'on poursuit n'est-il pas de permettre aux accusés de la classe peu éclairée de savoir ce qu'on dit contre eux à la cour d'assises ?

Ce n'est donc pas la langue savante qu'il importe de connaître. Si le principe des honorables membres est vrai et si la langue de l'accusé doit être dans tous les cas comprise par les magistrats, il faudra que ceux-ci sachent non seulement le néerlandais, non seulement la langue flamande écrite, mais tous les patois du pays. Messieurs, je dis au surplus (et je conteste ici les assertions des honorables membres de la droite qui se sont levés pour la défense de l’amendement), je dis avec une entière conviction que la situation actuelle est injuste pour les populations wallonnes du pays. Je le prouve. Quel est effectivement cette situation aujourd'hui ? Par suite de la facilité des communications et du développement des affaires industrielles et commerciales, vous devez admettre, et ceux d'entre vous qui suivent le palais ne l'ignorent pas, qu'un grand nombre de Wallons vont se fixer dans les Flandres.

Qu'ils se trouvent attraits devant les tribunaux flamands et alors quel est le spectacle que présente la salle d'audience d'un tribunal flamand ?

C'est que les magistrats qui siègent ne comprennent pas ces Wallons, lorsque, ce qui arrive souvent, ces derniers ne savent pas le français. J'ai eu l'occasion d'être moi-même témoin de ce fait.

J'ai vu comparaître devant le tribunal d'un arrondissement flamand des témoins arrivant de Liège et ne pouvant s'expliquer qu'en wallon ; leur langage était inintelligible pour les juges et pour le ministère public.

Je me suis dit alors que je voudrais bien avoir à côté de moi l'un des flamingants les plus déterminés d'un meeting anversois. Ce sont là des faits inévitables et qui se présentent fréquemment. Et remarquez-le, quand un cas semblable se présente dans la partie wallonne du pays, les Flamands trouvent, eux, près de chaque tribunal des interprètes jurés, et souvent un Flamand fait partie du tribunal. Ce sont là des garanties dont les Wallons sont complètement privés. Et cependant poussons-nous les hauts cris ? Nous proclamons-nous des victimes ?

N'avons-nous pas d'autres griefs que nous pourrions porter à cette tribune ?

Ne nomme-t-on pas chez nous des magistrats flamands ? Savent-ils le wallon ?

Vous croyez toujours que dans notre pays les artisans, les campagnards parlent le français. C'est là une erreur radicale, et puisque tout à l'heure vous m'avez donné une leçon de flamand, permettez-moi de vous donner une leçon

Chez nous, les classes peu éclairées de la société qui, quoi qu'on fasse, en composent aujourd'hui encore la plus grande partie, ne parlent pas le français ; il suffit de parcourir les rues de nos faubourgs et surtout nos campagnes pour être convaincu de la vérité de mon affirmation. Et cependant on nomme des magistrats flamands qui siègent, soit comme juges, soit comme organes du ministère public, et qui sont appelés à juger et à condamner des Wallons dont ils ne comprennent pas la langue, et cela sur leur propre terrain, dans la partie wallonne du pays.

Je dis qu'à ce point de vue, les Wallons pourraient se plaindre de la situation actuelle et exiger que dans les provinces wallonnes on ne nomme plus que des magistrats parlant le patois wallon.

C'est, messieurs, ce que nous ne demandons pas ; nous ne proposons pas de contre-amendement. Ce serait cependant de très bonne guerre. Ce serait la réponse directe, la réponse naturelle à l'amendement de l'honorable M. Delaet.

Quiconque voterait l'exclusion légale des Wallons des provinces flamandes devrait également, pour être logique, se prononcer pour toute disposition qui rendrait les Flamands incapables d'occuper des fonctions judiciaires dan sla partie wallonne du pays, s'ils ne justifiaient de la connaissance approfondie de la langue, de la grammaire et de la littérature wallonne. .

L'amendement que nous discutons doit conduire à d'autres résultats. Si ce que l'on affirme est vrai pour l'ordre judiciaire, vous serez obligés de faire une proposition dans le même sens pour toutes les administrations du pays. Il faudra faire une loi spéciale pour décider que pour (page 317) entrer comme employé aux ministères des travaux publics et des finances, ou sera obligé de connaître le flamand.

Une loi nouvelle dira qu'il faut parler disertement le flamand pour être ministre, pour être gouverneur, peut-être même pour être représentant. Il faudra le savoir aussi pour être évêque..., il paraît cependant que dans une circonstance récente on ne s'est pas montré, en tout lieu, partisan aussi exclusif du principe que l'on veut faire prévaloir ici, puisque d'après la notoriété publique, le nouvel archevêque de Malines ne parle pas le flamand, et pourtant il est chargé de l'administration d'un diocèse en grande partie flamand et qui comprend notamment l'arrondissement d'Anvers que représente ici M. Delaet.

M. Delaetµ. - Allez-le dire à Rome. (Interruption.)

M. Dupontµ. - Le pape est infaillible, il n'a pas pu se tromper dans son choix. Voilà donc votre prétention bel et bien condamnée.

Messieurs, si l'on entre dans la voie ouverte par l'amendement, je crois qu'on doit aller plus loin encore. Si les honorables membres veulent être logiques, ils proposeront qu'à l'université de Gand la loi ordonne d'enseigner le flamand, qu'à l'université de Liège on n'enseigne plus qu'en français.

En vérité, si une disposition semblable était défendue par les honorables membres de la droite, je serais presque tenté de l'appuyer, si je me laissais guider par des intérêts de clocher, parce que je serais certain de faire le plus grand bien à l'université de Liège. On y verrait affluer bientôt tous les Flamands qui seraient fort peu désireux de faire leurs études médicales ou juridiques dans leur langue maternelle.

En terminant, messieurs, je ne puis que protester contre les tendances révélées par l'amendement de l'honorable M. Delaet.

Il est certain que les Wallons peuvent se plaindre à plus juste titre que les Flamands de la répartition des places de la magistrature et de la situation actuelle ; mais ces inconvénients ne proviennent ni du mauvais vouloir des gouvernants, ni d'un sentiment d'injustice chez les membres de cette Chambre.

Ils ont leur source dans celle circonstance malheureuse que le pays est divisé entre des populations parlant différentes langues.

C'est là un désavantage qui se présente en Belgique et en Suisse. Ce qui n'empêche pas que le patriotisme ne soit, en Belgique et en Suisse, aussi vif et aussi disposé à tous les sacrifices que dans d'autres pays où, l'on ne parle qu'une seule langue.

Il résulte de cet état de choses des conséquences quelquefois affligeantes, mais il est du devoir des bons citoyens de ne pas faire ressortir ces inconvénients ; de ne pas les mettre en relief, de ne pas agiter surtout des brandons de discorde entre les différentes parties du pays. Or, c'en tenir une conduite opposée, faire accroire à une partie considérable de nos populations que leurs droits sont injustement foulés aux pieds,| alors que rien n'autorise de semblables exagérations, c'est, à mon avis, compromettre gravement les intérêts les plus chers, les plus sérieux de notre patrie.

(page 321) M. Coomansµ. - Messieurs, je me rends assez bien compte des répugnances très caractérisées qu'inspire notre amendement à plusieurs orateurs, quand je les vois imbus de cette erreur singulière, tant de fois rectifiée dans cette Chambre et ailleurs, que les Flamands se trouvent, sous le rapport de la langue, exactement dans la même situation que les Wallons.

Avec cette idée nos contradicteurs ont raison, car ils nous poussent à l'absurde. Ils ont raison avec cette idée, mais, comme cette idée est fausse, ils ont tort. L'idée est fausse de la manière la plus grossière. Je ne contredirai pas les honorables membres, qui pourraient me donner des leçons à cet égard, quand ils assurent que les Wallons ne se comprennent pas tous entre eux ; je n'en sais rien.

Seulement, pour l'honneur de mes compatriotes, de mes chers compatriotes wallons, je dois dire que je me suis toujours tiré d'affaire dans toutes les campagnes avec mon français.

Jamais, je n'ai cessé d'être compris.

Cependant, je ne suis pas tellement ignorant en cette matière que je ne puisse déclarer avec certitude qu'en effet il n'y a pas de langue wallonne proprement dite, qu'il n'y a que les idiomes wallons qui peuvent, comme tous les vieux idiomes, avoir des avantages, des beautés même, mais je ne reconnais qu’il n’y a pas de langue wallonne parlée et comprise par tous les Wallons. (Interruption.)

Vous l'assurez, je vous crois pleinement. Je pensais le savoir déjà ; il n'en est pas de même pour le flamand, et voilà votre erreur ; tous les Flamands se comprennent. (Interruption.)

Encore, en guise de parenthèse une observation sur laquelle j'appelle votre attention aussi impartiale que possible.

Nous entendons toujours crier « non, non ! » à gauche, « oui, oui ! » à droite. Je me rends encore compte de ce vote systématique, de cette anomalie qui n'est qu'apparente.

Vous savez, que toute l'opposition, sauf 3 ou 4 voix, se compose de Flamands. Votre majorité se compose principalement de Wallons. (Interruption.)

Elle est formée par les provinces wallonnes. L'opposition est presque toute flamande.

Messieurs, je vous présente cette remarque très impartialement en guise d'explication d'un fait qui non seulement est étrange, mais qui mal expliqué ferait très peu d'honneur à l'impartialité de la Chambre.

Nous sommes, nous, la plupart Flamands. (Interruption.)... Sauf les députés de la province de Namur (interruption) et aussi l'honorable M. Dumortier, toute l'opposition se compose de Flamands Et il est possible que M. le ministre de la justice se soit préoccupé plus qu'il ne faut de ce fait, quand il a prétendu itérativement que la question flamande était une question de parti. Elle est une question de parti, dans un sens, je le reconnais, parce que nous sommes presque tous Flamands nous autres de l'opposition, tandis que vous autres de la majorité ministérielle vous êtes presque tous Wallons.

M. Teschµ. - Et les Brugeois et les Bruxellois ?

M. Coomansµ. - Mais il est faux que nous fassions une question de parti de la question flamande, et M. le ministre de la justice ne m'embarrasse aucunement quand il rappelle que des nominations du genre de celles que nous blâmons ont été faites par des ministres catholiques. C'est possible ; mais ai-je jamais soutenu l'infaillibilité des ministres catholiques ? N'ai-je pas eu maintes fois à me plaindre d'eux, au point de vue de mes idées, que je considère comme les meilleures, puisque ce sont les miennes ? (Interruption.)

Vous vous êtes récriés tout à l'heure devant une vérité élémentaire, c'est qu'il n'est pas, dans la Belgique flamande, un seul homme, ni une seule femme, ni un seul enfant qui ne comprennent un juge, un procureur du roi parlant le flamand littéraire. Mais il y a plus : j'ai fait cette expérience-ci: j'ai lu Van Maerlant, qui écrivait au XIIIème, à des domestiques complètement illettrés et ils comprenaient facilement. Essayez d'en faire autant avec les auteurs français du siècle de saint Louis !

Si vous connaissiez ces faits, votre opposition à notre demande serait moins vive qu'elle ne l'est.

Nous ne demandons pas, comme l'honorable ministre de la justice nous en attribue l'intention, de reconnaître autant de langues flamandes qu'il y a d'arrondissements ; nous demandons que les fonctionnaires publics et particulièrement les juges et les procureurs du roi et leurs substituts sachent la langue flamande et la parlent en cas de besoin.

Mais, dît l'honorable ministre de la justice : tous le savent. Cela n'est pas vrai. (Interruption.) Il est facile de dire, et surtout quand on est candidat, qu'on sait le flamand, mais entre dire et savoir il y a loin. En fait je le répète, il n'est pas vrai que tous les magistrats nommés dans les districts flamands sachent le flamand ; presque tous lec comprennent, oui, mais très peu seraient en état de le parler.

C'est à ce dernier point de vue que je me place. J'ai eu l'honneur do vous dire l'autre jour quel est le grief des Flamands, le plus sérieux selon moi, c'est que le prévenu soit accusé dans une langue qu'il ne comprend pas.

Or, je ne crains pas d'affirmer qu'un grand nombre de magistrats assis et debout ne peuvent pas s'exprimer convenablement en flamand.

Mais, nous dit encore l'honorable ministre, les avocats eux-mêmes s'abstiennent volontairement de parler la langue flamande. Ah ! je le sais bien. Cela est vrai pour deux raisons : la première, c'est que presque tous les avocats savent mieux le français que le flamand, que le français leur est plus utile en Belgique, pays où la domination croissante du français est notoire ; la seconde raison, c'est que les avocats sont priés par MM. les juges, par MM. les accusateurs publics, d'employer la langue française.

M. Bouvierµ. - Cela n'est pas exact.

M. Coomansµ. - Je tiens le fait d'avocats qui avaient le désir de parler en flamand et qui en ont été dissuadés par les magistrats.

L'avocat qui s'exécutait avait raison, car il mettait l'intérêt de ses clients au-dessus de ses convenances. (Interruption.)

Je crois donc qu'il vous serait impossible de faire droit aujourd'hui à notre principale réclamation qui a pour but d'obliger l'accusateur public à parler en flamand quand l'accusé est Flamand, et c'est ce que nous ambitionnons d'abord. (Interruption.) Messieurs, J'ai trente-six choses à vous répondre, mais j'improvise, je vous réfute pêle-mêle, soyez donc indulgents. Je cherche vos meilleurs arguments; si vous en avez de meilleurs que ceux que vous avez produits, dites-les, je les rencontrerai.

Voici un argument qui vous paraît sans doute bien fort puisque M. le ministre de la justice s'en est servi deux fois et que l'honorable M. Dupont l'a présenté une fois après lui plus longuement,, il est vrai, Mais, disent-ils, si la connaissance convenable de la langue flamande est exigée du candidat à la magistrature, il faudra lui faire passer un examen, et quelle difficulté, quelle inconvenance même à soumettre la nomination des magistrats au bon vouloir d'un jury littéraire ?

L'objection n'a pas de valeur, car nous demandons l'égalité des deux langues. Avez-vous aujourd'hui des examens particuliers sur la langue française pour messieurs les candidats de la magistrature? Vous n'en avez pas.

- Une voix. - Certainement.

M. Coomansµ. - Vous avez vos diplômes d'élèves universitaires, Vous ne faites pas passer d'examens spéciaux sur la langue française. Nous ne vous demandons pas d'examens spéciaux sur la langue flamande. Nous ne vous demandons qu'une chose, c'est que vous ayez l'assurance que les magistrats que vous nommerez dans les provinces flamandes connaissent bien la langue de la population.

Autre argument de l'honorable ministre ; c'est que la langue française est celle du droit, et que la langue flamande est inconciliable avec les besoins judiciaires. L'honorable ministre n'a pas osé dire toute sa pensée, mais je le crois loyalement convaincu que les avocats et les juges auraient de la peine à se comprendre en parlant flamand.

Eh bien, messieurs, c'est là encore l'effet d'un préjugé étrange que je réfutais en commençant.

L'honorable ministre n'a donc pas réfléchi que les Hollandais, les Néerlandais parlent notre langue devant tous les tribunaux, que le Code civil français est expliqué, commenté, appliqué avec d'autres lois françaises et néerlandaises, et que les avocats hollandais et les juges ne passent pas pour être des sauvages.

Cette année encore je me suis trouvé en rapport en Hollande avec deux magistrats dont aucun ne savait assez de français pour se faire servir à table ; eh bien, ces juges et ces avocats ne sont pas moins des hommes distingués dont plusieurs ont la prétention, très fondée selon moi, de connaître le droit français aussi bien que M. Bara.

On nous a fait, lors de la discussion de la loi sur l'enseignement moyen une objection de cette maigre valeur-là ; on nous a dit : Il ne faut pas permettre que les humanités soient enseignées en la langue flamande; elle ne saurait l'être convenablement. Il faut se servir de la langue française pour enseigner le grec et le latin aux élèves.

(page 322) J'ai répondu, je ne sais pas si c'est avec fierté ou avec modestie, que j'ai fait toutes mes études en langue flamande, qu'on ne m'a jamais enseigné un seul mot de français, que j'ai passé tous mes examens d'humanités en langue flamande.

Il est vrai que M. le ministre de la justice pourra me répondre qu'on s'en aperçoit bien, que je suis un ignorant, etc., aussi j'abandonne bien vite cet argument trop personnel ; mais d'autres, plus autorisés que moi, pourraient vous démontrer que la langue flamande se prête mieux que la langue française à l'étude de la plupart des branches des humanités et notamment de la langue grecque.

Messieurs, il faudrait renoncer une fois pour toutes à cet argument aussi irritant que faux que la langue flamande se trouve sur la même ligne que les patois wallons. Il n'en est rien. J'aime beaucoup tous les patois et j'aimerais probablement les patois wallons plus que je ne les aime en théorie, si j'avais le plaisir de les connaître, mais le fait est qu'ils ne forment pas une langue régulièrement fixée, une langue parlée par la généralité des populations wallonnes. Nous avons là-dessus les confidences, les aveux, les certificats, si l'on veut, d'honorables préopinants.

Mais nous repoussons cette assimilation : nous avons, nous Flamands, une vraie langue, langue parlée par 16 à 18 millions d'Européens, langue avec laquelle nous pouvons voyager à 300 et 400 lieues, et suivre toutes les rives de la Baltique jusqu'à Riga sans un interprète. Et le flamand ne serait qu'un méchant patois ? Eh ! messieurs cet argument est offensant, d'autant plus offensant, je dois le dire, qu'il est bête.

Comment ! on a osé dire ici que les Flamands ne se comprennent pas entre eux ! Mais j'affirme qu'il n'en est rien : prenez le plus ignare des Flamands ; mettez-le en face du rhétoricien le plus sévère ; soyez persuadés qu'ils se comprendront.

Oh ! si j'avais à compléter l'éloge du flamand, je vous dirais que la langue flamande a été la langue officielle de la France pendant trois siècles ; je vous dirais que pendant trois siècles le flamand a été parlé à la cour de Paris ; et j'ai même gagné un gros pari un jour à Paris, en affirmant cela devant des littérateurs-journalistes très spirituels, mais très peu familiarisés avec leur propre histoire.

L'honorable ministre fait l'éloge de la langue française, je n'ai rien à y redire, et je le prie de ne pas faire implicitement la critique de la langue flamande. Si la langue française est claire, notre langue flamande est claire aussi et plusieurs d'entre nous vous le prouveraient bien, au besoin.

Deux mots encore, messieurs. D'après M. le ministre de la justice, si notre principe prévaut, les juges et l'accusateur devront toujours connaître et parler la langue de l'inculpé. J'admets ce principe. (Interruption.)

MjBµ. - J'ai dit que cela résultait de votre système.

M. Coomansµ. - Soit, mais je veux constater qu'il ne faut pas aller trop loin dans ce système, qui est le mien. Je veux certainement que les Flamands soient jugés dans leur langue, mais je n'admets pas que chaque district wallon ait, pour cela, un tribunal particulier. Car si cela était vrai, il faudrait instituer aussi des tribunaux pour les sourds-muets.

MjBµ. - C'est la conséquence de votre système.

M. Coomansµ. - Non, c'est la conséquence de votre système et de l'assimilation de la langue flamande avec les patois wallons.

Maintenant je ne vois pas quelle a été l'intention de l'honorable M. Dupont, ou en vertu de quel droit il est venu citer en faveur de sa thèse et de l'honorable M. Bara, le fait de la nomination d'un archevêque belge, le savant et éloquent évêque de Namur, qui, a-t-il dit, ignore le flamand.

D'abord, la réalité de ce fait, que l'éminent prélat ne saurait pas le flamand, ne m'est nullement démontrée. Ce que je puis dire, c'est qu'il est Flamand de naissance. (Interruption.) Il a passé ses premières années en Flandre et vous m'accorderez qu'il est assez intelligent pour avoir pu profiter dès son enfance des leçons de langue flamande qu'il a dû recevoir. Mais, messieurs, quand même ce ne serait pas, en quoi cela vous regarde-t-il ? Proposez-nous un amendement pour forcer le saint-père à ne nommer dans les pays flamands que des évêques flamands ? Avez-vous ce droit ? l'honorable M. Dupont l'a-t-il ? Et, dès lors, à quoi bon ces observations? Mêlons-nous de nos affaires; elles sont déjà assez embrouillées ; et ne sutor ultra crepidam,.

(page 317) M. Gerritsµ. - L'honorable M. Dupont m'a reproché tout à l'heure de ne pas avoir répondu à l'un des arguments qui avaient été produits par M. le ministre de la justice. Cet argument consistait à dire qu'il serait difficile, sinon impossible, de constater si les magistrats à nommer connaissent ou non la langue flamande.

Les deux honorables membres auxquels je réponds ont oublié que la prescription que nous demandons a existé pendant des siècles dans les lois fondamentales de notre pays.

Je ne reviendrai pas sur ce fait historique cité il y a quelques jours par mon honorable collègue M. Coomans, que, d'après la Joyeuse Entrée du Brabant, les ministres d'alors devaient connaître le flamand.

Je citerai, parce que je réponds à un député de Liège et à un député de Tournai, je citerai deux autres exemples historiques pris dans leur propre localité.

A Liège, l'official était obligé de connaître le français, le flamand et le latin, « afin, disait-on dans le style de l'époque, afin de justement et diligemment ouïr et examiner les droits d'ung chascun, ainsi qu'il est de raison. »

M. Coomansµ. - Très bien dit !

M. Gerritsµ. - Voilà un fait historique pris dans l'histoire de Liège. Passons à Tournai.

Le Tournaisis a été pendant deux périodes sous la juridiction du conseil de Flandre, de1512 à 1608 et de 1713 à 1773.

Les actes, résolutions, sentences, arrêts, etc., émanés du conseil de Flandre étaient rédigés eu flamand lorsqu'ils se rapportaient à la Flandre flamingante et en français lorsqu'ils se rapportaient à la Flandre française ou au Tournaisis.

Ce qui était possible dans le passé, ne le serait-il plus aujourd’hui ?

M. le ministre de la justice me répondra peut-être qu'il ne connaît pas le moyen employé alors pour constater si les magistrats connaissaient le flamand et le français ; voici ce que je lui répondrai : il est probable qu'on employait, à cette époque, le même moyen dont s est servi M. le ministre de la justice pour s'assurer que des 170 juges dont il parlait tout à l'heure, 168 connaissent le flamand.

La notoriété publique dans des cas pareils est suffisante.

D'ailleurs, pour ce qui me concerne, je me contenterais de la déclaration formelle du magistrat lui-même.

Je ne pense pas qu'il y eût en Belgique un homme aspirant aux fonctions judiciaires, un homme appelé à remplir un poste de confiance, qui voulût se rendre capable d'un mensonge, déshonorant pour obtenir une place salariée, mensonge qui serait d'ailleurs découvert dès que l'aspirant, comme magistrat, entrerait en fonctions, et qui l'exposerait à être dépossédé comme indigne par un jugement de ses collègues...

MjBµ. - L'honorable M. Coomans a dit le contraire.

M. Gerritsµ. - J'exprime une opinion personnelle.

Ainsi cette difficulté n'existe pas ; et je crois avoir maintenant répondu victorieusement à l'argument que l'honorable M. Dupont me reprochait de n'avoir pas rencontré.

M. Hymansµ. - Messieurs, à propos de la question qui s'agite devant la Chambre, vous avez entendu des orateurs représentant des arrondissements wallons ; vous en avez entendu d'autres représentant des arrondissements flamands ; permettez à un député qui représente un arrondissement à la fois flamand et wallon, un arrondissement mixte, de venir, à son tour, dire quelques mots dans ce débat.

J'ai demandé la parole lorsque j'ai entendu l'honorable M. Coomans dire que la question débattue en ce moment était une question de parti.

M. Coomansµ. - Non, j'ai dit qu'elle semblait être une question de parti.

M. Hymansµ. - Eh bien, supposons que vous ayez dit qu'elle semble être une question de parti ; je me permettrai de répondre qu'une telle supposition est absurde, et, pour me servir de votre propre expression, qu'elle est bête...

MpDµ. - Je n'ai pas entendu cette expression.

M. Coomansµ. - L'expression est parfaitement littéraire, M. le président.

M. Hymansµ. - Je la relire volontiers : je n'ai fait que renvoyer à M. Coomans le terme qu'il a employé lui-même contre nous. La supposition est absurde. Je ne sais en effet comment on oserait prétendre que la majorité de cette Chambre représente les intérêts des populations wallonnes.

La majorité compte dans son sein les représentants de districts tels que Bruxelles, Gand, Bruges, Ypres, Ostende.

Sont-ce là des arrondissements wallons ? Les députés de ces districts ne représentent-ils pas des populations flamandes ? Et si, comme nous l'espérons bien, les députés d'Anvers viennent grossir un jour les rangs de la majorité, ces députés ne seront pas des Wallons ; ils seront une population flamande, et cependant ils viendront combattre les théories que l'on proclame aujourd'hui en leur nom.

Du reste, si la majorité de la Chambre est composée de Wallons, bien que, d'après vous, les Flamands forment l'immense majorité du pays, cela prouverait que la majorité des Flamands nomme de préférence des députés wallons et qu'elle a peu de sympathies pour vos doctrines.

M. Coomansµ. - Si les Flamands pouvaient voter...

M. Hymansµ. - Il me semble qu'ils votent au même titre que les Wallons ; et que si les citoyens de toutes nos provinces, comme vous le prétendez, ne sont pas égaux devant les tribunaux, ils sont égaux du moins devant la loi électorale.

Je me hâte de le déclarer, messieurs, je ne viens pas ici contester le mérite de la langue flamande, ni ses droits à notre respect, ni ses glorieuses traditions.

Je réponds, comme un orateur qui m'a précédé, à l'allégation d'un honorable collègue, d'après lequel le flamand ne serait qu'un patois. Je proteste contre cette parole injuste avec autant d'énergie que les honorables MM. Coomans et Gerrits.

Le flamand serait un patois ! Une telle expression ne peut émaner ni de moi, ni d'aucun de ceux qui ont le bonheur de connaître la langue (page 318) flamande, cet idiome si riche, illustré par tant d'hommes illustres dans tous les temps.

Je professe une sincère admiration pour la langue néerlandaise et je serais heureux de voir tous les Belges parler à la fois le flamand et le français.

Malheureusement, messieurs, et c'est en grande partie pour signaler ce fait que j'ai demandé la parole, la question flamande est devenue pour nos adversaires une question de parti, par l'exagération d'une sympathie purement littéraire.

Elle a toujours été une arme aux mains des lettrés.

Messieurs, il y a quelque vingt ans que je m'occupe de cette question ; j'ai vécu presque dans son intimité ; je l'ai suivie attentivement ; je me suis trouvé au milieu du mouvement flamand ; j'ai été élevé à Gand et à Anvers, parmi des populations flamandes ; je me permettrai de dire que mon père était un des adeptes de la littérature flamande ou néerlandaise.

Eh bien, le malheur a été que presque toujours on a laissé cette question si délicate aux mains des littérateurs, qui en faisaient un objet de dilettantisme philologique, sans se préoccuper de ses rapports avec nos habitudes administratives, politiques ou judiciaires. J'ai ici sous la main le rapport de la commission nommée par l'honorable M. de Decker en 1856, rapport qui se terminait par des conclusions tellement extravagantes que, pendant plusieurs années, on n'osa le livrer à la publicité.

Comment était composée la commission chargée d'examiner les griefs de la langue flamande, d'indiquer les moyens de faire cesser les réclamations des populations flamandes ? J'y trouve Henri Conscience, un homme dont j'admire autant que personne le talent, ou si vous l'aimez mieux, le génie ; un professeur d'université, deux présidents de sociétés flamandes, le bibliothécaire de la ville d'Anvers, bref, en majorité, des hommes qui ne pouvaient envisager la question qu'au point de vue littéraire ; des hommes qui, de très bonne foi et avec une conviction ardente, se laissant influencer par leurs sympathies exclusives, voulaient imposer au pays l'objet de leurs études de prédilection.

Il ne s'agissait pour eux, je le répète, que d'une question de dilettantisme, posée avec passion, mais qui laissaient la population profondément indifférente.

J'engage les membres de la Chambre qui n'ont pas lu le rapport de cette commission, à le parcourir, et ils verront jusqu'où peut aller l'aberration, chez de bons esprits, et d'excellents citoyens quand ils sont dominés par un parti-pris. Ce rapport aboutissait à des conclusions étonnantes.

On allait jusqu'à proposer la division de l'armée en régiments wallons et en régiments flamands sous prétexte de faire régner l'harmonie dans le sein de la nation. On proposait de faire en flamand tout ce qu'il est possible d'imaginer, excepté de dire la messe. Il est probable que la commission ne se croyait pas le droit d'intervenir dans les affaires du culte, et cependant il peut sembler indispensable que le peuple comprenne la langue dans laquelle on lui apprend à adorer Dieu.

Eh bien, cette commission qui poussait si loin ses exigences, n'allait pas jusqu'à l'amendement de l'honorable M. Delaet. Cette commission qui était si exagérée dans toutes ses demandes, ne proposait pas ce que nous propose M. Delaet. Elle ne demandait pas qu'on ne pût nommer dans les cours et tribunaux des provinces flamandes, que des magistrats sachant le flamand.

Messieurs, tous les orateurs qui ont parlé jusqu'à présent en faveur de l'amendement nous ont dit qu'ils venaient faire valoir ici les griefs de populations opprimées, de populations qui se sentaient privées des premiers droits du citoyen et qui par conséquent ne pouvaient avoir pour le pays l'amour que doivent avoir pour lui ceux qui parlent le français et sont à même de se faire comprendre partout.

Mais je le demande à l'honorable M. Delaet, franchement et loyalement, qu'il nous apporte des faits à l'appui de sa demande ; où et quand s'est-il produit une réclamation, autrement que par l'organe de quelques personnes qui semblent avoir fait leur profession de réclamer au nom des Flamands ? Et à propos des affaires judiciaires, je ferai remarquer que lorsque le Congrès a permis à la loi de régler l'usage des langues pour les affaires judiciaires, il l'a fait sur la proposition d'un homme qui n'est pas des vôtres, de l'honorable M. Devaux, un libéral, un homme que vous appelez un doctrinaire. C'est lui qui seul a demandé au Congrès de réserver cette question pour l'avenir, afin de permettre de faire droit un jour à des réclamations, si elles se produisaient. Mais, je le demande, quand donc a-t-on eu l'occasion de constater des griefs sérieux, des griefs réels ? Que dis-je, des griefs ! Y a-t-il même eu des réclamations ? Une seule fois depuis 1830 !

Un sieur Karsman, appelant d'un jugement du tribunal correctionnel d'Anvers, insista pour pouvoir présenter sa défense en flamand devant la cour d'appel de Bruxelles, bien qu'il y eût dans la cour trois conseillers flamands et que lui-même il sût le français.

M. Gerritsµ. - C'est une erreur.

M. Hymansµ. - Cela a été prouvé.

M. Gerritsµ. - Du tout.

M. Hymansµ. - Discutez les faits avec la cour elle-même. L'honorable M. Bara a entre les mains une mercuriale prononcée en 1864, par M. le procureur général de Bavay sur la question du flamand dans ses rapports avec la justice. Le fait a été allégué devant la cour elle-même. Karsman savait le français et de plus il était étranger.

M. Delaetµ. - Du tout.

M. Hymansµ. - Peu importe d'ailleurs ; il est positif que le sieur Karsman est le seul qui, depuis 1830, ait réclamé devant la justice le droit de plaider en flamand. Voilà donc à quoi se réduisent les griefs des populations opprimées. M. le ministre de la justice vous le disait tout à l'heure, le roi Guillaume avait rendu l'usage du flamand ou du néerlandais facultatif, en 1819. Il avait permis aux avocats de plaider en flamand devant les cours et tribunaux, à 1» condition que les juges, les parties et les témoins fussent à même de comprendre. Personne n'usa de la faculté ; mais lorsque plus tard, le roi Guillaume rendit le flamand obligatoire aux tribunaux, qu'arriva-t-il ?

Il se produisit un fait dont n'a point parlé M. le ministre de la justice et à propos duquel j'invoque les souvenirs des honorables députés de Gand qui siègent dans cette enceinte ; le barreau de Gand pétitionna auprès des états généraux afin d'être autorisé à ne plus se servir de la langue flamande devant la justice, « attendu que l'emploi du flamand compromettait les droits sacrés de la défense. » Tels sont les termes formels dont s'est servi le barreau de Gand, le plus flamand du pays. Si vous voulez lire le texte de la pétition, vous le trouverez dans le journal le Politique du 10 juillet 1829.

De 1820 à 1823, l'usage du flamand fut facultatif et pas une seul affaire ne fut plaidée en langue flamande.

Ceci prouve à l'évidence ce que je viens de vous dire que les honorables membres qui soutiennent dans cette enceinte avec une conviction sincère et non sans éloquence les droits de la langue flamande, ne sont pas en cela les organes fidèles des populations flamandes.

Maintenant un mot du wallon. Mon honorable ami M. Dupont vous a dit sur ce point tout ce qu'il y avait à dire, je me borne à citer un fait qui m'est personnel.

On dit que tous les Wallons comprennent le français et que tous ceux qui parlent le français, notre français du moins, comprennent le wallon. J'ai eu l'occasion de constater le contraire. J'ai eu l'honneur de faire partie d'une commission d'enquête nommée par la Chambre à propos des élections de Bastogne. Eh bien, je déclare ici que plusieurs témoins qui ne parlaient que le dialecte du pays eussent été inintelligibles pour nous, membres de la commission, si l'honorable M. Wasseige n'avait pas eu la bonté de nous traduire leurs réponses.

Messieurs, je ne puis que répéter ce que j'ai eu l'honneur de vous dire en commençant ; je considère cette question flamande comme une pure affaire de dilettantisme littéraire. Je répète que des réclamations il n'y en a pas ; que de l'agitation il n'y en a nulle part, pas même à Anvers. Non seulement il n'y a pas d'agitation, mais vous n'en créerez pas et on n'est jamais parvenu à en créer, à une seule exception près. Je n'ai jamais connu en Belgique qu'une seule agitation à propos de l'usage de la langue ; c'est celle qui a eu lieu avant 1830 contre le flamand et qui a contribué à faire la révolution.

M. de Brouckereµ. - C'est très vrai.

M. Hymansµ. - Un dernier mot. Comme il est incontestable qu'il nous arrive des pétitions en faveur des droits de la langue flamande et que je ne veux point nier l'évidence, je me permettrai de dire que l'agitation flamande, à mon avis, est une espèce de petite agitation accessoire que l'on adapte, que l'on visse en quelque sorte à toutes les autres agitations. (Interruption.)

Veut-on faire une agitation contre le militarisme ? Si c'est dans un arrondissement flamand, on y joint immédiatement une petite agitation en faveur du flamand.

(page 319) S'agit-il de la question des cimetières ? Les droits sacrés de la langue flamande sont encore une fois invoqués.

S'agit-il de la loi des étrangers ? La question flamande est mise sur le tapis.

Et cela ne se présente pas seulement dans les districts exclusivement flamands. Dans celui que je représente, tous les quatre ans je suis menacé de ne pas être réélu, si je ne défends pas les droits sacrés du flamand. Eh bien, je me borne à soutenir les droits sacrés de tous les citoyens et non les intérêts du Flamand, en particulier.

Et là-dessus je me rassieds.

- La séance est levée à quatre heures trois quarts.