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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 18 janvier 1868

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 427) M. Snoyµ procède à l'appel nominal à 1 heure et quart.

M. de Moor, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Van Humbeeck, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Dubois présente des observations sur la brochure traitant de la réorganisation de l'armée, qui a été publiée par un officier en retraite. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l'organisation de l'armée.


« Des habitants de Michelbeke demandent le rejet du projet de loi qui augmente les charges militaires. »

« Même demande d'habitants de Laethem-Sainte-Marie. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires et renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif au contingent de l'armée.


« Des ouvriers de différentes communes demandent l'abolition des lois sur la milice, la suppression des armées permanentes et la réalisation de leurs droits de citoyens. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires et renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la milice.


« Des habitants de Saint-Gilles demandent le prompt achèvement des travaux de la nouvelle station du Midi à Bruxelles. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Loward demande une place de facteur des postes. »

- Même renvoi.


« Les membres du barreau de Malines demandent la réunion des deux cantons de justice de paix de cette ville. »

- Même renvoi.


« Il est fait hommage à la Chambre :

« Par M. H. Collard de trois exemplaires d'une brochure qu'il vient de publier sous le titre de : « De la réforme des lois de milice. »

-- Dépôt à la bibliothèque.


« M. de Kerchove de Denterghem, devant se rendre à Gand pour affaires urgentes, demande un congé d'un jour. »

- Ce congé est accordé.

Discussion des explications ministérielles

M. Coomansµ (pour une motion d’ordre). - Messieurs, je demande la parole pour présenter une observation qui m'est inspirée à l'instant par plusieurs de nos collègues. L'importance du journal qui la provoque justifie la démarche tout à fait exceptionnelle que je fais aujourd'hui.

L'Indépendance me fait dire :

« Je ne dis pas que, politiquement, ce soit acheter trop cher le vote des honorables députés de Gand et particulièrement de M. d'Elhoungne. Mais ceux qui connaissent la valeur et l'honneur de M. d'Elhoungne, ceux-là peuvent trouver que c'est bien cher. »

Messieurs, ceci est une insulte ; évidemment elle n'est pas entrée dans les intentions du journal qui a commis cette erreur, comme elle n'a pu entrer dans l'intention de personne en Belgique.

- Plusieurs membres. - on ! non !

M. Coomansµ. - Mais comme c'est précisément le contraire de ce que j'ai dit, comme cette insulte insérée dans un des journaux les plus importants de Belgique et d'Europe pourrait me nuire, tout au moins dans l'esprit de mon honorable collègue et ami d'Elhoungne, je tiens à constater que c'est juste le contraire que j'ai dit ; que j'ai trouvé que politiquement ce n'était pas trop cher de 15, de 30 millions pour le vote de l'honorable M. d'Elhoungne.

Quant à l'honneur, je n'en ai pas parlé. Personne n'a le droit de révoquer en doute l'honneur de l'honorable M. d'Elhoungne.

MpDµ. - Je dois dire qu'en effet nous n'avons pas entendu au bureau les paroles dont il vient d'être donné lecture. Si elles avaient été prononcées, elles auraient été de ma part l'objet d'un rappel à l'ordre.

Je donne acte à l'honorable M. Coomans de la déclaration qu'il vient de faire ; elle sera insérée aux Annales parlementaires.

(page 431) M. Jacobsµ. - Messieurs, lorsqu'un homme politique s'est trompé, qu'il est forcé de revenir sur ses pas, deux lignes de conduite s'offrent à lui.

Il peut reconnaître franchement son erreur, coûte que coûte, avouer qu'il est mieux éclairé aujourd'hui et ce qui l'a éclairé.

C'est la conduite qu'a tenue l'honorable M. de Brouckere. L'honorable membre est venu nous dire :

« Le département de la guerre avait affirmé de la façon la plus catégorique qu'il ne fallait pas de travaux sur la rive gauche, qu'Anvers était complet, qu'Anvers était définitivement constitué.

« C'est parce que j'en étais persuadé que j'ai proposé à la Chambré l'ordre du jour du 24 décembre 1863.

« Mais, depuis lors, j'ai été en position de consulter beaucoup de militaires éminents, belges et étrangers, et le doute s'est mis dans mon esprit.

« J'ai vu que la plupart d'entre eux étaient convaincus de la nécessité de travaux sur la rive gauche, et je suis disposé aujourd'hui, malgré mon ordre du jour, à revenir sur mes pas. »

Il y avait une autre ligne de conduite, moins noble, qui consistait a nier le revirement, à recourir à des prodiges d'habileté pour mettre les affirmations d'hier en rapport avec les affirmations d'aujourd'hui. C'est celle qu'a préférée M. le ministre des finances.

Je ne lui demandais pas un aveu, quoique les aveux ne coûtent qu'aux petits esprits ; s'il avait fait sa conversion sans beaucoup de commentaires, je n'aurais pas songé à prendre encore la parole. Mais vous l'avez entendu la nier, se vanter de ne s'être jamais contredit, de ne pas se contredire encore, accuser ses adversaires d'entasser contre-vérités sur contre-vérités pour établir le contraire, et puis, rappelant ce qu'il se plut à nommer les troubles d'Anvers, il vous a montré l'agitation calmée et le gouvernement accordant merci à la ville d'Anvers qui vient en quelque sorte pieds nus et la corde au cou se jeter à ses pieds et faire sa soumission.

C'est trop intervertir les rôles pour que je puisse me taire.

Hier, M. le ministre des finances a reproché à M. Coomans d'avoir manqué de précision et de n'être pas venu apporter à cette tribune ses propres paroles. J'essayerai de le satisfaire.

Voici, en résumé, le langage qu'a tenu M. le ministre des finances : Je n'ai jamais combattu ce que je propose aujourd'hui ; je ne me suis jamais prononcé au sujet des travaux de la rive gauche ; je n'ai jamais qualifié de mystification l'idée de remplacer par des fortifications sur la rive gauche les deux citadelles d'Anvers ; je n'ai jamais prétendu que cette question fût irrévocablement vidée ; j'ai au contraire dit que, quand le moment serait venu, quand ma dignité me le permettrait, je reviendrais sur cette question et j'examinerais ce qu'il est raisonnablement possible de faire. Ce moment est venu, Anvers est pacifiée !

Je vais me livrer à un petit travail de contrôle, qui, pour être fastidieux, puisque j'aurai besoin de faire quelques lectures, n'en sera pas moins instructif.

Et d'abord, M. le ministre des finances ne s'est jamais prononcé au sujet des travaux de la rive gauche ! Oui et non.

Jamais directement ; mais il a déclaré, et c'est sur ses instances que la Chambre a voté l'ordre du jour de M. de Brouckere, qu'il ne sera' plus fait de nouvelles dépenses pour Anvers. Or, dans ces conditions il n'y avait d'autre moyen d'exécuter les travaux sur la rive gauche que d'aliéner les terrains des citadelles.

Si donc il s'est prononcé d'une façon absolue contre la démolition des citadelles, il s'est prononcé aussi absolument contre les travaux de la rive gauche. Or, comme je ferai la démonstration pour les citadelles tout à l'heure, l'autre preuve en découlera par voie de conséquence nécessaire.

Mais quelle étrange conduite est celle d'un ministre qui, ayant entendu à ses côtés un de ses collègues se prononcer à diverses reprises et catégoriquement contre les travaux de la rive gauche, prétend qu'il n'existe aucune solidarité entre lui et son collègue, qu'il suffit de jeter le ministre de la guerre par dessus bord pour être dégagé de toute la responsabilité des discours qu'il a tenus !

Vous vous êtes doublement prononcés et par votre adhésion aux paroles du général Chazal, et par votre opposition absolue à la démolition des citadelles, que j'établirai à l'instant.

M. le ministre des finances nous dit encore : Je n'ai jamais combattu l'idée que j'adopte aujourd'hui ; je n'ai jamais traité de mystification l'idée de remplacer la citadelle du Sud et les fronts intérieurs de la citadelle du Nord par des travaux sur la rive gauche. Ce que j'ai traité de mystification, dans le programme de M. Dechamps, c'était son idée de réaliser la question d'Anvers sans bourse délier, mystifiant les Anversois en ce qui concerne les 10 millions, en ce qui concerne les indemnités relatives aux servitudes, les mystifiant encore en ce qui concerne les citadelles, puisque son programme consistait à aliéner des établissements publics, tels que l'hôpital et l'arsenal, qu'il n'aurait pu remplacer sans imposer de nouveaux sacrifices au pays.

Eh bien non, ce n'était pas là qu'il pouvait y avoir pour nous une mystification dans le programme de M. Dechamps.

D'abord, quant aux dix millions, prix des anciens terrains des fortifications, ce point n'a jamais fait l'un des objets de la question d'Anvers. Jamais il n'est venu à l'idée de quelqu'un de traiter la question des dix millions dans un meeting.

Voici à quoi elle se borne :

Lorsqu'il s'est agi de négocier pour la reprise des terrains militaires, l'ancien collège d'Anvers, sans même que le conseil communal eût été consulté, a engagé une correspondance avec M. le ministre des finances, correspondance administrative qui ne différait de toute autre correspondance du même genre que par l'importance de l'objet du litige ; le nouveau collège a continué cette correspondance, sans que le conseil communal ait été consulté davantage.

Et quand on est venu nous en parler à la Chambre, nous n'avons pas dénié l'obligation d'Anvers, nous avons réservé ce point purement juridique et nous vous avons dit : Le moment n'est pas venu de trancher cette question ; ce n'est que le 8 septembre 1864 que la ville d'Anvers devra prendre une résolution à cet égard. A cette date, la ville a exécuté la loi de 1859, elle a pris les terrains et les a payés. L'affaire des dix millions n'est donc pas la question d'Anvers ; mais vous avez jugé adroit de jeter ce dérivatif dans le débat de 1863 ; vous avez trouvé utile de pouvoir nous traiter de mauvais payeurs.

C'est le même dérivatif que vous voudriez employer encore pour faire dévier le débat actuel ; il ne saurait me convenir de vous suivre sur ce terrain, qui n'est pas celui de la question d'Anvers, et sur lequel aucune mystification n'était possible. Je n'en dirai donc pas davantage.

Etions-nous mystifiés parce que le programme de M. Dechamps était muet relativement à la question des indemnités ? Mais M. Dechamps a déclaré formellement dans son discours du 8 juin 1864, que la question des indemnités était réservée, que le gouvernement s'en réservait l'examen.

Prétendrez-vous que, parce que cette question ne se trouvait pas dans son programme, elle était sacrifiée ? Mais ce programme n'avait que quelques points, et si toutes les questions qui n'y étaient pas comprises devaient être considérées comme sacrifiées, l'administration de M. Dechamps n'eût pu roucher presque à rien. Inutile d'insister.

Sous ce rapport encore, aucune mystification.

Quant aux citadelles vous avez oublié le texte même du programme de M. Dechamps. Je vais vous le rappeler. Il ne formule aucun projet déterminé, il énonce une promesse, vague et générale si vous le voulez, qui ne nous donnait rien dans le présent, qui n'était qu'une promesse d'avenir ; la voici :

« Examen sérieux et bienveillant des difficultés que l'exécution des travaux des fortifications d'Anvers a soulevées, dans le but de trouver une solution qui, sans changer le système de défense adopté et sans diminuer la force de la place d'Anvers, permettrait :

« 1° De ne pas dépasser pour les travaux entrepris la limite des dépenses prévues et annoncées ;

« 2° De faire cesser les inquiétudes qui se sont manifestées dans la population anversoise. »

Eh bien, cette solution que vous avez trouvée aujourd'hui, prétendez-vous que M. Dechamps eût été dans l'impossibilité de la découvrir ? Vous savez mieux que moi que le plan dont vous parlez aujourd'hui existait déjà à cette époque ; vous le trouverez dans un ouvrage de M. le major Brialmont de 1863 intitulé : Etude sur la défense des Etats. Vous y trouverez le plan d'une place modèle, d'une place idéale qui ressemble comme deux gouttes d'eau à la place d'Anvers ; on y trouve sur la rive gauche une digue défensive.

MfFOµ. - Une enceinte.

M. Jacobsµ. - Dans l'idée de M. de Brialmont, ce n'est qu'une digue défensive. Mais enfin que ce soit une digue ou une enceinte, je (page 432) répète que la formule d'exécution ne se trouve pas dans le programme de M. Dechamps ; et que, si vous êtes arrivé à une solution conforme aux données de son programme, rien ne vous autorise à dire que M. De champs n'y fût pas parvenu aussi bien que vous.

Vous avez trouvé préférable de restreindre vos critiques à une proposition faite à l'honorable M. Dechamps à l'époque où on lui offrait le pouvoir.

Un négociateur lui avait fait savoir que, moyennant la réalisation de la citadelle du Sud, de l'arsenal militaire, de l'hôpital et de plusieurs autres établissements, un amateur sérieux lui fournirait les fonds nécessaires pour les travaux à effectuer sur la rive gauche de l'Escaut.

Vous avez dit à cette époque que ce plan était irréalisable sans bourse délier et que les Anversois seraient mystifiés.

L'honorable M. Dechamps vous a répondu que ce n'était qu'une première base de négociation. « Le chiffre de l'offre, lorsqu'il aurait été débattu, se serait probablement élevé, disait-il. La démolition des fronts intérieurs de la citadelle du Nord nous eût procuré 5 à 6 millions d'économie, peut-être plus. »

Je suppose que l'honorable M. Dechamps fût arrivé au pouvoir, qu'il n'eût pu obtenir de conditions meilleures, qu'il eût cédé la citadelle du Sud, l'arsenal, l'hôpital, qu'il eût fait exécuter les travaux sur la rive gauche, et qu'il fût venu quelque temps après apprendre aux Chambres qu'il fallait construire un nouvel arsenal, un nouvel hôpital, une nouvelle école de pyrotechnie, etc., agissant comme l'a fait, en 1864 M. le général Chazal, lorsque, malgré l'ordre du jour du 24 décembre 1863, il a demandé et obtenu de la Chambre 5 millions et demi pour les travaux supplémentaires de la grande enceinte d'Anvers. (Interruption.)

Je suppose que l'honorable M. Dechamps fût venu demander aux Chambres des crédits supplémentaires, qui aurait été mystifié ? La ville d'Anvers ? Non, le pays.

Ce n'est pas là ce qui a provoqué vos gorges chaudes, ce n'est pas là qu'était, suivant vous, la mystification d'Anvers. Elle consistait dans la multiplication des citadelles, dans la démolition de fronts intérieurs qu'on pouvait relever en cinq jours ; c'était enfin dans le semblant de satisfaction que donnait la démolition de la citadelle du Sud.

Voici ce que nous disait M. le ministre des finances le 3 juin 1864 :

« Depuis un an on a indiqué une solution qui est extrêmement simple : on démolit la citadelle du Sud, on vend les terrains, et l'amateur qui les paye s'engage, pour le prix de ces terrains, à construire de nouveaux forts sur la rive gauche de l'Escaut. Dans ce plan, imaginé pour accroître la fortification et non pour l'affaiblir, le maintien de la citadelle du Nord est obligatoire, si j'en crois des bruits qui ont couru. Et si c'est à ce plan qu'on a fait allusion, on sera fort longtemps avant de trouver l'introuvable amateur qui, en échange du prix de vente des terrains de la citadelle, doit exécuter les nouveaux travaux, sur la rive gauche. Dans tous les cas, si l'on parvient à le découvrir, Anvers aura toute une combinaison de citadelles. »

C'était là qu'était la mystification, et lors des élections qui ont suivi cette discussion, on vit sur les murs d'Anvers, entre autres caricatures, celle où l'on représentait la multiplication des citadelles ; chacun des nouveaux forts avait un nom : l'un se nommait le fort Sainte-Anne, l'autre le fort Saint-Jacques ; en flamand, l'allusion est plus transparente.

Le 14 juin 1864, M. le ministre des finances ajoutait :

« Lorsqu'on vous déclare qu'on soumettra la question des citadelles à un examen sérieux et bienveillant, vous vous inclinez, vous êtes satisfaits. Lorsque vous soulevez la question de la démolition des forts intérieurs de la citadelle du Nord, que, par parenthèse, on peut relever en cinq jours...

« M. Delaet. - Du tout, du tout.

« M. Frère-Orban, ministre des finances. - Deux mille hommes peuvent faire ce travail en cinq jours, et vos dénégations sout sans valeur sur ce point. Lorsque vous parlez des forts intérieurs, on vous répond : nous ne nous engageons à rien et vous vous déclarez satisfaits !.....On a essayé de donner une demi-satisfaction à la ville d'Anvers par la démolition de la citadelle du Sud. Je veux apprendre au pays quelles sont les charges nouvelles qu'il s'agit d'imposer aux contribuables pour réaliser cette nouvelle combinaison et pour donner un semblant de solution à la question d'Anvers. »

Voilà donc la mystification : Multiplication des citadelles, démolition de fronts intérieurs, pouvant se relever en cinq jours, semblant de satisfaction ! Voilà ce en quoi nous pouvions être mystifiés ; et c'est précisément là le point commun de la solution de l'honorable M. Dechamps, en 1864, et de celle que vous nous offrez en 1868.

Je n'imiterai pas votre langage d'autrefois, je ne dirai pas qu'on nous présente une mystification, pas plus que je ne l'ai dit à l'honorable M. Dechamps.

Je ne me tiendrai pas, dès à présent, pour satisfait de ce que vous nous offrez, pas plus que je ne me serais déclaré satisfait si l'honorable M. Dechamps était arrivé aux affaires. J'accueille vos projets avec le désir sincère d'arriver à satisfaire tous les intérêts, mais avec une certaine réserve, comme j'ai accueilli les promesses de l'honorable M. Dechamps ; disposé d'ailleurs à ne rien négliger pour aboutir à une solution réelle, mais ne la croyant pas acquise dès aujourd'hui.

Ma réserve est d'autant plus justifiée que les points qui pouvaient être une mystification, d'après vous, pour Anvers, ces points sont communs à la solution de l'honorable M. Dechamps et à la vôtre.

Voyons maintenant, et ceci a son importance, si l'examen de la question des citadelles a été réservé, a été ajourné à une époque plus opportune, ou si ,dans l'esprit du gouvernement, cette question était irrévocablement vidée.

Voyons où est ici. la contre-vérité ; voyons si l'honorable M. Coomans disait vrai, lorsqu'il affirmait que le gouvernement, en annonçant qu'il y avait quelque chose à faire, ne parlait que des servitudes, ou si, comme le prétend M. le ministre des finances, il a laissé ouverte aussi la question des citadelles.

Le 28 février 1863, M. le ministre des finances tenait ce langage :

« Nous avons dit à diverses époques que nous reconnaissions nous-mêmes qu'il y avait quelque chose a faire pour mitiger la législation des servitudes militaires ; mais nous avons fait observer en même temps que le moment n'était pas opportun pour modifier cette législation et qu'on ne devait pas, dans les circonstances actuelles, nous convier à le faire. Nous reconnaissons qu'il faut permettre de construire en toute sécurité les établissements maritimes que réclame l'extension du mouvement commercial de la ville d'Anvers. Nous sommes d'accord que la législation doit être modifiée en ce point, nous l'avons déclaré déjà et nous réitérons cette déclaration.

« Nous avons dit également : Il y a dans la loi des servitudes un principe qui est trop rigoureux ; nous croyons qu'il ne faut pas s'opposer à ce qu'on puisse réparer, entretenir, reconstruire, même rétablir la chose dans l'état où elle était quand la servitude a été établie. Nous admettons parfaitement cela, nous l'avons déclaré également. Nous avons dit que des modifications pouvaient être proposées dans ce sens à la législation existante ; mais nous avons déclaré aussi que ces modifications ne seraient présentées que quand le gouvernement croirait le moment convenable pour soumettre à la Chambre de telles propositions. Or, nous disons franchement, sincèrement, que le moment ne nous paraît pas opportun.

« M. Loos. - Pourquoi ?

« M. Coomans. - La justice n'est jamais inopportune.

« M. Frère-Orban, ministre des finances. - Je m'étonne qu'on m'interpelle sur ce point, je m'étonne qu'on me demande s'il peut être de la dignité de corps constitués, de l'autorité publique, de la Chambre, du Sénat, du gouvernement, de paraître délibérer sous coup de la pression qu'on veut exercer sur les pouvoirs publics ! »

Et plus loin :

a Nous le répétons, quant aux servitudes militaires, nous avons dit toujours que nous ne refusions pas de faire ce qui était juste, ce qui était équitable ; nous l'avons proclamé en déclarant que quand le moment serait venu, lorsqu'il nous le paraîtrait opportun, lorsque notre dignité nous le permettrait, nous le ferions. »

Et plus loin encore :

« Nous croyons que c'est donner une grande et légitime satisfaction à ce qu'il peut y avoir de fondé dans les réclamations soumises à la Chambre que d'annoncer l'intention d'introduire, d'une manière générale, certaines modifications dans la loi sur les servitudes militaires. »

Vous le voyez, messieurs, le quelque chose à faire, les concessions qu'annonçait le gouvernement pour l'époque où sa dignité le lui permettrait, c'était d'une part extraire de la zone des servitudes militaires les établissements commerciaux d'Anvers, restreindre la servitude intérieure de la citadelle du Nord, et, d'autre part, accorder le droit de réparer, de reconstruire, d'entretenir.

(page 433) Déjà le gouvernement s'était exprimé à cet égard, quoique d'une façon moins nette et moins claire que dans la circonstance que je viens de rappeler.

Déjà le 19 mars 1862, M. le ministre des finances se prononçait en ces termes ;

« Nous nous sommes occupés de ce qui fait l'objet des préoccupations d'Anvers. Personne n'a prétendu qu'il n'y eut pas lieu d'apporter quelques modifications à la loi sur les servitudes militaires ; le contraire résulte clairement des explications données par M. le ministre de la guerre dons une lettre qu’il a écrite au bourgmestre d'Anvers.

« Si l'on veut proposer, a-t-il dit, une modification à la loi en ce qui touche la réduction de la zone de servitude jusqu'au Vorsche-Schyn, je ne m'y oppose pas.

« La question reste donc entière dans le domaine du gouvernement. Mais ce n'est pas en présence de ce qui s'est passé que le gouvernement fera une proposition. Ce qui prouve ses dispositions conciliantes, c'est qu'il y a des projets élaborés depuis 1834. Ces projets seront présentés en temps opportun. Quant à la question principale, nous avons dît notre pensée, nous croyons qu'il n'y a pas lieu à indemnité. »

Tel était donc le programme du gouvernement pour les servitudes. Le quelque chose à faire consistait dans la réduction de la zone des servitudes intérieures et le droit de reconstruire. Quant à la question principale, sa pensée était formelle : il n'y avait lieu à indemniser.

Vient, messieurs, la question des citadelles. Un rapport est présenté dans cette Chambre, le 9 avril 1862, par l'honorable M. de Boé, qui fait appel au gouvernement en ces termes :

« Qu'on fasse preuve de conciliation, qu'on transige sur la question des citadelles, et l'on rétablira le calme dans Anvers. »

M. le ministre de la guerre prend le premier la parole et il déclare que « il est impossible de toucher à ces citadelles. »

M. le ministre des finances le suit, et voici comment il s'exprime :

« L'honorable M. Coomans nous a déclaré tout à l'heure que si le gouvernement avait une opinion bien arrêtée sur la question qui est soumise aujourd'hui aux délibérations de la Chambre, et s'il avait fait connaître cette opinion, il ne verrait aucune difficulté à ce que le débat commençât immédiatement...

« Je demande, moi, si l'honorable membre peut poser sérieusement une telle question.

« Le gouvernement s'est prononcé dix fois déjà sur ce point ; dix fois il a eu occasion de déclarer qu'il entendait poursuivre l'exécution de la loi de 1859 et qu'il entendait faire exécuter le plan qui a été alors approuvé par la Chambre, et qu'il n'entrait nullement dans ses vues d'y apporter aucune modification.

< Qu'y a-t-il de plus formel que cela ? L'honorable membre a-t-il espéré que nous viendrions aujourd'hui nous déclarer prêts à faire ce qu'on appelle une transaction sur la question des citadelles, comme l'énonçait tout à l'heure l'honorable rapporteur ? que nous allions consentir à ce qu'il n'y eût plus qu'une demi-citadelle ?.....Eh bien, que l'honorable membre n'espère pas cela.

« M. de Decker. - Et les servitudes.

« M. Frère-Orban. - La question des servitudes n'est pas aujourd'hui soumise à la Chambre ; elle a été résolue. Le gouvernement a exprimé son opinion sur cette question de la manière la plus formelle...

« Il s'agit actuellement de savoir s'il faut, oui ou non, démolir les citadelles...

« Lorsque la Chambre se sera prononcée, eh bien, le calme se rétablira partout dans les esprits, et alors, messieurs, la question ne pouvant être résolue comme on le demande à Anvers, il restera à examiner ce qu'il est raisonnablement possible de faire.

« Le gouvernement dans son calme, dans son impartialité, et avec l'esprit bienveillant dont il est animé, nonobstant les accusations dont il est l'objet, le gouvernement examinera ce qui peut équitablement être fait pour Anvers, ce qu'il peut y avoir de juste dans certaines réclamations qui se sont produites. Mais jusque-là, le gouvernement ne petit que s'opposer de la manière la plus formelle aux prétentions relatives et à l'indemnité pour les servitudes et à la démolition des citadelles. »

Voyez, nous dit M. le ministre des finances, jouant sur le mot « jusque-là », jusque-là on ne pourra pas accorder l'indemnité pour les servitudes, ni la démolition des citadelles ; donc plus tard on pourra y revenir.

L'interprétation donnée au « jusque-là » n'est rien moins qu'admissible et lorsque hier, après avoir cité ce passage isolé, M. le ministre des finances ajoutant : « Est-ce clair ? » j'aurais pu répondre : Non, ce n'est pas clair.

Le 9 avril 1862, vous ne déterminiez pas ce qu'il y avait à faire, vous indiquiez ce qu'il n'y aurait jamais à faire. Vous disiez : Quand le moment sera venu je vous ferai connaître mes concessions. Ces concessions, nous l'avons appris depuis, c'était la limitation des servitudes intérieures au Vorsche-Schyn, c'était le droit de réparer, de reconstruire dans la zone des servitudes.

Et vous ajoutiez que jusque-là, jusqu'à ce que le moment de faire honorablement des concessions fût arrivé, vous ne pouviez que faire connaître ce qui était irrévocablement écarté, l'indemnité en matière de servitudes et la démolition des citadelles.

Ce n'est pas la seule circonstance où l'honorable ministre des finances se prononce d'une façon aussi nette ; au fur et à mesure que le temps s'écoule il devient déplus en plus explicite.

Le 14 mai 1862 il y revient :

« Je prie la Chambre, dans l'intérêt de la paix publique, de mettre enfin un terme à cette malheureuse question, de prendre une décision nette et catégorique qui exclue toute espérance de voir démolir des travaux pour lesquels le pays s'est imposé si justement, avec tant de raison pour sa défense, avec tant de considération pour les intérêts mêmes de la ville d'Anvers, de si grands sacrifices qu'on voudrait rendre aujourd'hui tout à fait stériles. »

On appliquait à la question d'Anvers l'inscription que le Dante met sur la porte de l'enfer.

Et comme si ce n'était pas encore assez, le 22 décembre 1863, après que l'honorable général Chazal eut présenté comme « un élément essentiel de la puissance de résistance de l'enceinte, ces fronts intérieurs de la citadelle du Nord, dont on demande la démolition, » M. le ministre des finances prit la parole.

L'honorable M. Nothomb avait laissé entendre qu'un grand intérêt national commandait de ne pas repousser un nouvel examen de la question des citadelles, de rechercher s'il n'y avait aucune conciliation possible.

M. Frère-Orban lui répondit :

« Cet examen, que l'on a jadis combattu, qu'on promet d'appuyer aujourd'hui, cet examen a été fait. Vous venez d'entendre M. le ministre de la guerre vous déclarer qu'il est impossible de consentir à la démolition de la citadelle du Nord.

« Je dis que cet examen a été fait ; il a été complet et, pour ce qui nous regarde, il est irrévocable. »

Ainsi, messieurs, examen irrévocable et non pas examen ajourné, comme on l'affirme aujourd'hui. Jamais on ne démolira des travaux construits à grands frais ; on consent à leur démolition aujourd'hui. Pas de conciliation, pas de transaction dans la question des citadelles, tandis qu'on nous apporte aujourd'hui des propositions de conciliation et de transaction. Laissez toute espérance, et l'on nous permet aujourd'hui enfin d'espérer.

Voilà le langage d'hier et le langage d'aujourd'hui.

Chose curieuse, on nous a dit mardi :

« Le moment est venu où cette question pouvait être résolue d'une manière spontanée et libre par la vente des terrains de la citadelle du Sud. L'impuissance de l'agitation comme moyen de pression était démontrée, et c'est là l'intérêt gouvernemental que nous avons réussi a sauvegarder. »

Ce moment opportun si longtemps attendu, ce moment où votre dignité vous permettrait de transiger est enfin arrivé !

Ici vous avez singulièrement manqué de mémoire. Fidèle comme es1 la vôtre, j'ai le droit de m'en étonner.

Ce moment, vous l'avez marqué vous-même, et il date de bientôt cinq ans ; le quelque chose à faire, vous l'avez déterminé le 8 mai 1863 en apportant à cette tribune un projet de loi contenant les concessions promises, la zone des servitudes limitée au Vorsche-Schyn, le droit de reconstruire et de réparer les bâtiments grevés de servitudes.

Quand vous votiez dire : Ce n'est qu'aujourd'hui que nous pouvons accorder à Anvers ce que nous avions intention de lui donner, ce n'est qu'aujourd'hui que l'intérêt gouvernemental est sauvegardé, vous oubliez que vous avez déterminé vous-même le moment où votre dignité vous permettrait d'agir et que ce moment remonte à cinq années !

Voilà, déterminée par vous-même, l'époque à laquelle vous pouviez agir avec dignité et la mesure des concessions que votre bon vouloir était disposé à faire à Anvers.

(page 434) Et quand vous venez dire qu'aujourd'hui seulement votre dignité permet les concessions, quand vous venez vous vanter d'avoir sauvegardé l’intérêt gouvernemental, j'ai le droit de dire que cet intérêt vous préoccupait peu et que vous n'étiez mû que par l'intérêt électoral. C'est l'intérêt électoral qui vous a fait présenter la loi du 8 mai 1863 à la veille des élections de 1863 ; c'est l'intérêt électoral qui vous fait adopter, à la veille des élections de 1868, la solution que vous présentez aujourd'hui.

Le langage de l'honorable ministre des finances n'est pas seulement un tissu d'inexactitudes, c'est encore un tissu de contradictions.

A l'en croire, il a attendu le moment où sa dignité lui permettrait d'agir. Ce n'est qu'aujourd'hui qu'il peut faire des concessions à Anvers, et c'est là ce qui l'a fait tarder jusqu'à présent. Mais, dans le même discours, il nous a indiqué de tout autres motifs de ce retard et notamment celui-ci : La ville d'Anvers a accepté le 8 septembre 1864 les terrains des anciennes fortifications ; elle ne s'en est débarrassée que le 3 janvier 1866 ; il eût été peu généreux de la part du gouvernement de venir jeter 100 nouveaux hectares sur le marché avant que la ville se fût débarrassée des 154 hectares qu'on lui avait cédés au prix de dix millions.

Ce n'est donc pas votre dignité qui vous empêchait d'agir, mais votre bon vouloir pour la ville d'Anvers.

Est-ce bien là le vrai motif qui vous a empêché de vendre ? Mais toujours dans le même discours, je lis que vous n'avez pas vendu, parce qu'il n'y avait pas d'amateur !

Au mois de novembre 1864, M. Denis-Haine (je puis le nommer sans indiscrétion, car je ne tiens de lui aucun renseignement), M. Denis-Haine s'adresse à M. le ministre des finances pour négocier l'acquisition de la citadelle du Sud. Il lui écrit que le département de la guerre a fait une estimation montant à 18 millions, que cette estimation est exagérée, qu'il ne peut admettre cette évaluation, il prie l'honorable ministre des finances d'en faire une nouvelle et de lui faire connaître ses conditions, attendu qu'il était décidé, lui, à ne pas faire d'offre.

Au mois de mars 1865, M. le ministre des finances, après avoir fait une seconde évaluation, concordant à peu près avec celle du ministre de la guerre, écrit à M. Denis-Haine que le chiffre reste le même et que vu l'intention exprimée par lui de ne pas faire d'offre, la négociation ne peut aboutir. Or, dans l'intervalle de la lettre et la réponse, le 3 février, M. Denis-Haine avait écrit à M le ministre de la guerre pour lui dire que, revenant sur les termes de sa lettre de novembre, il était disposé à donner quinze millions de la citadelle du Sud.

Il paraît quelque étrange que soit le procédé, que M. le ministre de la guerre a laissé ignorer ce fait à son collègue des finances. S'il le lui avait fait connaître, en effet, celui-ci aurait trouvé qu'il y avait là un amateur sérieux, car un écart de 3 millions permettait de négocier ; et pour preuve que cet écart n'était pas de nature à rendre une négociation impossible, j'ajouterai ce détail que la première évaluation de terrains des anciennes fortifications d'Anvers faite par le département de la guerre était de 19 millions, tandis qu'on a fini par reconnaître que leur valeur n'était que de 10 ; on pouvait donc négocier sur la différence de trois millions qui séparait l'amateur de la citadelle du Sud du gouvernement, propriétaire de l'immeuble.

Pourquoi a-t-on répondu qu'il n'y avait pas moyen de négocier ? C'est qu'on ne voulait pas démolir la citadelle du Sud.

On ne voulait pas la démolir, non pas pour attendre le moment où la dignité le permettrait, non pas pour donner la facilité à Anvers d'écouler ses terrains, non pas parce qu'il n'y avait pas d'amateur sérieux, mais parce qu'on tenait à dompter avant tout ce mouvement anversois qui, pendant ce temps, poursuivant sa carrière, rayait de la liste des élus d'Anvers les deux derniers amis du ministère, lors de l'élection sénatoriale.

Ai-je besoin, messieurs, de revenir longuement sur la question des servitudes ?

« Vous avez renoncé aux indemnités entre les mains de M. Dechamps », dit M. le ministre des finances. Il base son dire sur le silence du programme de M. Dechamps, à cet égard, et sur ce qu'en qualifiant cette question de générale, nous aurions reconnu qu'il ne fallait s'occuper des servitudes militaires qu'en même temps que de toutes les autres servitudes d'utilité publique.

C'est bien mal comprendre les mots « question générale », et je m'en étonne d'autant plus que nous en avons fourni le commentaire pratique. Question générale, c'est-à-dire, ainsi que vous l'avez indiqué vous-même, qu'il faut résoudre la question des servitudes militaires, non pas isolément pour Anvers, mais pour toutes les villes du pays.

Nous avons abandonné les indemnités ! Mais M. le ministre des finances devrait se souvenir que dans la séance du 17 novembre 1864, postérieurement donc à la crise ministérielle où il avait été question du programme Dechamps, nous avons déposé sur le bureau de la Chambre un projet dont l'objet est de les accorder.

M. le ministre peut d'autant moins l'ignorer que ce projet est entre les mains d'une section centrale qui, par l'intermédiaire de son honorable président M. Crombez, a écrit depuis deux ans une demi-douzaine de lettres au gouvernement pour avoir son avis sur ce projet ; la dernière lettre n'est pas d une date bien éloignée, elle ne remonte qu'au mois de décembre 1867.

Vous saviez donc que nous ne renoncions pas aux indemnités, vous le saviez si bien que vous vous êtes livré à des recherches, sans doute pour éclairer la section centrale, vous avez fait connaître à la Chambre le résultat. A vous en croire, les terrains des environs d'Anvers, grevés de servitudes militaires, auraient gagné depuis 1859 une plus-value de 47 p. c. ! M. le ministre des finances communiquera sans doute ce travail à la section centrale.

Nous vous réservons d'en contrôler l'exactitude. Je suis persuadé qu'il ne se rapporte pas à toutes les servitudes qui frappent les campagnes anversoises, notamment aux environs des forts du camp retranché. Il ne s'agit sans doute que de ce qui environne l'enceinte d'Anvers. Même ainsi restreint je fais d'avance les réserves les plus formelles. Mais messieurs, si M. le ministre des finances est dans le vrai, c'est moi qui me réjouirai surtout de ce résultat.

Que nous a-t-on toujours dit ? En équité l'indemnité est due, cela n'est pas discutable, mais c'est une question d'argent, et les intérêts du trésor ne permettent pas d'être juste. L'honorable M. Van Humbeeck, traduisant cette pensée d'une façon laconique, vous disait : « Les conséquences font peur. »

Après examen des documents que M. le ministre des finances nous fera connaître, les conséquences n'effrayeront plus, on n'aura plus peur de proclamer le principe.

Dans une foule de cas, j'en suis persuadé, aucune indemnité ne sera accordée ni même demandée, et, en effet, il faut bien distinguer entre les champs et les maisons.

Pour la plupart des champs, la dépréciation est minime, et le relevé de M. le ministre des finances permettra peut-être de démontrer que dans un grand nombre de cas il n'en existe pas du tout.

Tant mieux ! nous pourrons être justes à bon marché. Pour les maisons, pour les villages englobés dans la zone de servitudes, en est-il de même ? Vos 47 p. c. s'appliquent-ils aux habitations ? c'est là ce que je serais curieux de connaître.

J'ose espérer que l'obstacle qui s'opposait à la solution de la question des indemnités en matière de servitudes militaires est sur le point d'être levé ; j'espère que, dans un avenir peu éloigné, je verrai l'honorable ministre revenant sur ses pas dans la question des indemnités comme dans celle des citadelles, nous accorder ce que nous demandons. Du moment que les intérêts du trésor le lui permettront, rien ne l'empêchera plus d'être juste.

Messieurs, nous examinerons la solution de la question des citadelles, annoncée par le gouvernement, avec le plus vif désir de parvenir à une entente ; nous aurons à examiner jusqu'à quel point le gouvernement veut maintenir la servitude intérieure de la citadelle du Nord dont la légalité est si contestée ; nous verrons ce qu'il entend par mur crénelé ; nous verrons, je l'espère, les négociations lui faire abandonner même ce mur. Je suis persuadé qu'un examen impartial fera reconnaître qu'il vaut mieux renoncer absolument au marécage qui a nom citadelle du Nord, à ces terrains fiévreux, paludéens, qui ne conviennent qu'à des établissements commerciaux et maritimes parce que les marchandises ne sont pas sujettes à la fièvre.

On en fera peut-être un parc à boulets, on ferait mieux de lui donner une destination civile, d'y ériger des magasins à pétrole, des hangars de guano, des dépôts de bois.

En attendant, je reste dans la réserve ; je ne blâme, ni n'approuve ; je ne veux pas juger ce que j'ignore ; je verrai l'honorable ministre de la guerre à l'œuvre, et jusque-là j'attendrai.

Messieurs, s'il n'a pas convenu à l'honorable ministre des finances de reconnaître sa conversion, et je ne lui demandais pas cet aveu, au moins aurait-il dû s'abstenir de justifications blessantes et pour la ville d'Anvers et pour quelques-uns de ses collègues. Les justifications qu'ils a apportées à cette tribune ont été des plus malheureuses.

L'abstention électorale, qui l'a tant indigné, de quelle date est-elle ? (page 435) Du 20 mai 1862. Depuis lors jusqu'au mois de juin 1863, la ville d'Anvers a été privée de son troisième sénateur ; elle est restée (ce sont, je crois, les expressions de l'honorable ministre des finances) dans un état de grève anarchique et de révolte légale.

C'était le point culminant de la résistance. Si les grands principes que vous affichez, les grands sentiments dont vous vous parez étaient vrais, c'était alors ou jamais qu'il fallait refuser toute concession ; cependant c'est en pleine grève, 8 mai 1863, que vous apportez dans cette Chambre le projet de loi accordant les concessions promises pour l'époque où votre dignité vous les permettrait ; c'est alors, après avoir dit que votre dignité vous défendait de rien faire tant que les esprits ne se seraient pas calmés, c'est alors que vous avez apporté à cette tribune le projet limitant la zone des servitudes intérieures et autorisant les reconstructions !

J'ai le droit de dire que choisir un tel moment, c'était prouver que les hautes considérations dont vous parlez, l'intérêt gouvernemental à sauvegarder, ne vous préoccupait pas, mais que vous agissiez par d'autres considérations. Les grands sentiments dont vous vous êtes parés sont en désaccord complet avec vos actes.

Messieurs, je ne puis laisser passer, sans élever une nouvelle protestation, ce qu'il a plu à l'honorable ministre des finances d'appeler de nouveau les troubles d'Anvers.

Les troubles d'Anvers ! Mais avez-vous jamais dû convoquer la troupe à Anvers ? La garde civique a été convoquée un jour, et l'on a pu prétendre sans invraisemblance que ce n'était que pour l'empêcher d'assister à un meeting, tant l'ordre était resté complet. (Interruption.)

Y a-t-il eu jamais à Anvers un carreau cassé, un pavé arraché ? Mais rappelez-vous donc qu'il y a une poutre dans votre œil, s'il y a une paille dans le nôtre, et que vous êtes nés dans la poussière des manifestations de 1857 au milieu d'éclats de vitres brisées et de pavés arrachés du sol des rues. (Interruption.)

M. Anspachµ. - On a payé 75 francs d'indemnité.

M. Jacobsµ. - Eh bien, M. le bourgmestre de Bruxelles, s'il n'y a eu que 75 francs à payer pour bris de vitres dans la capitale, c'est encore 75 francs de trop. Et si vous n'avez eu que 75 francs à payer, je vais vous dire pourquoi.

J'ai vu dans des maisons d'Anvers, encadrés comme des diplômes, les mandats de l'administration communale que les victimes de la spontanéité foudroyante avaient à toucher en réparation des dégâts qu'ils avaient essuyés pendant les troubles.

Ils n'ont pas été les toucher, ils ont préféré les conserver comme un titre d'honneur comme un souvenir des manifestations dont ils avaient été le victimes. Le fait que j'ai vu à Anvers s'est sans doute produit à Bruxelles aussi et peut-être pour des sommes considérables. Mais peu importe le chiffre ; c'est le fait qui a de l'importance ; il ne vous convient pas, quelque peu complices que vous puissiez en être...

MpDµ. - Permettez, M. Jacobs ; vous signalez à la Chambre des faits réellement blâmables ; vous ne pouvez pas dire que vos collègues en ont été complices. Arrêtez-vous dans cette voie, je vous prie.

M. Jacobsµ. - M. le président, si vous aviez saisi ma pensée, vous ne m'auriez, je pense, pas faire d'observations. J'ai dit : quelque peu que vous en ayez été complices.

MpDµ. - Et c'est précisément ce que je n’admets pas et ce que je vous demande de ne pas maintenir. Je vous engage donc à ne pas maintenir cette parole.

M. Jacobsµ. - . le président, il est un adage qui dit : « Is fecit cui prodest. »

MpDµ. - Ceci, M. Jacobs, est une attaque par insinuation et que je ne puis pas non plus permettre en pareille matière.

Vous avez parlé avec beaucoup de convenance jusqu'à présent ; veuillez continuer sur ce ton.

M. Jacobsµ. - M. le président, puisque vous ne me permettez pas d'exprimer ma pensée, puisqu'il ne m'est pas permis de dire, en termes que je crois convenables, une chose que je crois vraie, je n'insisterai pas.

MpDµ. - Je ne puis certes pas faire taire vos croyances, quand vous les gardez en vous-même, mais je dois maintenir ce qui est de convenance dans cette assemblée, et je n'y manquerai jamais.

M. Jacobsµ. - A part l'abstention électorale provoquée par vos amis, vengée par un de vos collègues, et à laquelle, en fin de compte, vous avez répondu par le dépôt du projet de loi du 8 mai 1863, qu'y a t-il eu à Anvers ? Quelques intempérances de langage, et je me plais à rappeler que leur principal auteur, que j'ai désavoué ici même lorsqu'il était un de mes soutiens, est passé dans votre camp ; vous l'avez pris à vos gages ou à ceux de vos amis ; il est devenu rédacteur du journal flamand d'Anvers qui soutient le cabinet, et telle a été sa polémique que nous avons dû le faire marquer par la justice du fer rouge dont on marque les calomniateurs. Oui, l'insulteur du Roi nous insultait nous aussi, et il n'encensait que vous ! (Interruption.)

MjBµ. - Mais il vous a fait arriver d'abord.

MpDµ. - Pas d'interruptions, messieurs !

M. Jacobsµ. - Je ne les saisis pas. Malgré toutes les habiletés de M. le ministre des finances, il ne parviendra pas à transformer la situation. Quel est le membre de cette Chambre, soit à droite soit à gauche, qui puisse croire qu'il ne s'est pas opéré un revirement dans l'opinion du gouvernement sur la question d'Anvers ? L'honorable M. de Brouckere : vous disait avec une franchise qui l'honore : Des doutes me sont survenus ; ce que je croyais bon autrefois, je le crois mauvais aujourd'hui ou tout au moins je doute que ce soit bon.

M. de Brouckereµ. - J’ai parlé pour moi.

M. Jacobsµ. - Evidemment, et je suis persuadé que tous ceux de vos collègues qui voudraient parler pour eux, parleraient comme vous.

Il s'est fait un revirement, et ce revirement a été fait sans grandeur. Vous n'avez pas su l'avouer ; vous n'avez pas su le dégager de récriminations ; et, le rabaissant, en quelque sorte, aux proportions d'une spéculation électorale, vous êtes venu nous dire que ce qui avait dominé chez nous c'était l'intérêt anversois et que l'intérêt de .la défense nationale n'était atteint que par voie de conséquence, par contre-coup.

Eh bien, ici encore vous avez manqué de mémoire. Vous oubliez ce que vous avez toujours dit, et même hier, dans votre exposé.

« Il y a cette différence, disiez-vous, que l'affaire présente par M. Dechamps se nommait la solution de la question d'Anvers., tandis qu'elle est appelée aujourd'hui l'intérêt de la défense nationale, et c'est sous cette forme qu'elle a fait sa réapparition dans les sections de la Chambre. »

Chez M. Dechamps dominait l'intérêt anversois, chez vous domine l'intérêt national. Voilà votre langage et je vous en félicite.

Vous l'avez toujours tenu, voici en effet ce que vous disiez le 19 mars 1862 :

« Le général Goblet, dans son rapport sur les fortifications d'Anvers, indiquait les questions dans l'ordre de leur importance et suivant lequel elles devaient être examinées, au point de vue des plus graves intérêts du pays.

« En premier lieu, disait-il, la défense nationale ; la défense nationale occupe le premier rang.

« Le trésor public vient immédiatement après et, tout importantes que sont les nécessités de notre métropole commerciale, on ne peut tenter à les placer, dans le cas présent, au troisième rang.

« C'est, messieurs, concluiez-vous, ce qu'on ne devrait jamais oublier. »

C'est ce que vous avez oublié et c'est ce que nous n'avons jamais oublié, nous. Depuis notre entrée dans cette Chambre, nous vous avons dit : Ce n'est pas l'intérêt d'Anvers seul que nous défendons ; c'est, avant tout, l'intérêt de la défense nationale.

Les fortifications sur la rive gauche, avec démolition des citadelles qu'elles impliquent, ne sont pas seulement réclamées pour la sécurité d'Anvers, elles le sont pour la défense du pays.

Il fallait avouer franchement que vous cédez à l'évidence à la force des choses, que vous cédez aux nécessités de la défense nationale ; et ne pas donner aux mesures que vous annoncez le caractère d'une récompense ; donne aux gens sensés d'Avers (on sait ce que parler veut dire), une récompense donnée aux fidèles ; il ne fallait pas se prétendre dominés par l'intérêt anversois et s'accuser de ne songer qu'ensuite à la défense nationale.

Ce qui est vrai, et ce qui doit l'être, c'est que l'intérêt national domine ; l'intérêt de la ville d'Anvers ne vient qu'ensuite, par contrecoup, et peut-être à contre cœur.

N'intervertissons pas les rôles, messieurs, n'essayons pas d'effacer de nos annales parlementaires le mot irrévocable ; n'essayons pas .d'eu effacer l'impossibilité d'arriver à une solution transactionnelle ; n'essayons pas d'en effacer cette porte qui ne devait plus être ouverte à l'espérance. Tout cela reste.

Pour vous la question d'Anvers était vidée, et, suivant l'expression d'un de vos amis, enterrée. L'honorable M. Coomans n'a été contredit par personne lorsqu'il a rappelé que cela était si vrai que chaque fois que (page 436) nous abordions la question d'Anvers dans cette Chambre, nous devions vaincre vos murmures.

Ne croyez pas qu'il suffise, pour ramener Anvers, d'une certaine satisfaction matérielle et que vous puissiez impunément l'accompagner de commentaires blessants en représentant cette grande cité humiliée et vaincue. L'homme ne vit pas seulement de pain, messieurs ; la ville d'Anvers n'a pas seulement des intérêts matériels, elle a un honneur à sauvegarder, et cet honneur ne périclitera pas dans nos mains.

Vous avez essayé de tirer un enseignement de la situation d'aujourd'hui et cet enseignement serait celui-ci : un gouvernement vient à bout de toutes les résistances ; il doit attendre, pour faire droit à des réclamations, si justes qu'elles puissent être, que toute agitation ait cessé.

Je n'ai pas l'intention de triompher de la situation actuelle, les bravades n'entrent pas dam mes goûts. Mais j'ai le droit de vous répondre que s'il découle un enseignement de la situation d'aujourd'hui, c'est que, lorsqu'une grande commune lutte contre le gouvernement, avec le bon droit pour elle, et avec de la persévérance, elle est certaine d'aboutir.

Ah ! s'il n'en était pas ainsi ; si, malgré son bon droit et malgré son courage, elle devait finir par être écrasée ; si, pour obtenir l'aumône d'une satisfaction, elle n'avait d'autre moyen que de se jeter aux pieds du gouvernement, et de s'humilier devant lui ; s'il n'y avait plus aucun centre de résistance légale et pacifique assez puissant pour engager une telle lutte, je n'hésite pas à le dire : c'en serait fait du pays ! (Interruption.)

(page 427) MpDµ. - Je crois devoir rappeler à tous nos collègues un article du règlement que je les invite à respecter pour l'avenir. L'article 18 du règlement exige que les orateurs s'adressent exclusivement soit au président, soit à l'assemblée. Je prie tous mes collègues de vouloir bien ne pas perdre de vue désormais cette disposition réglementaire à l'exécution de laquelle je tiendrai la main.

MfFOµ. - Messieurs, mon état de santé me mettra dans l'impossibilité d'arriver à me faire entendre, tout au moins à me faire comprendre nettement par l'assemblée, et de relever, autant que je l'aurais voulu, les assertions si étranges, si froidement offensantes, que l'honorable préopinant vient de produire devant vous.

En l'écoutant, je me demandais si c'était un député d'Anvers qui parlait. En supposant que le gouvernement, que le ministre des finances, qui est particulièrement attaqué, fût tombé dans les extraditions dont l'honorable préopinant a parlé, je me demandais si c'était à un député d'Anvers à les relever, à les signaler.

Il s'indigne en quelque sorte des concessions qui ont été faites ! Au lieu d'y applaudir, au lieu de défendre même ceux qui auraient varié d'opinion sur ce point, s'il se lève, c'est pour essayer de les accabler. Vains efforts, qui n'attestent que le chagrin que lui font éprouver les propositions que nous avons annoncées. Elles satisfont Anvers ; c'est assez pour le désespérer ! C'est que, en effet, ce n'est pas l'intérêt d'Anvers qu'on est venu défendre dans cette enceinte : on est venu y défendre un intérêt politique, on est venu prêter assistance à la droite, après avoir remplacé dans cette Chambre les députés libéraux d'Anvers. C'est notre politique que l'on poursuit, c'est la politique libérale qui aie tort insigne de bien gouverner.

Jusqu'à quel point les offenses n'ont-elles pas été portées ? N'avez-vous pas entendu l'honorable membre, renouvelant cette méprisable accusation qui a traîné si longtemps dans certaine presse, venir déclarer à la Chambre que nous étions le produit ou les complices de l'émeute !

En vous faisant ici l'écho de cette odieuse imputation, vous oubliez, qu'à la différence de ce que vous avez fait, ceux qui sont assis sur ces bancs, et moi en particulier, nous avons condamné l'émeute ; lorsque l'ordre public fut troublé à cette époque, je fus invité par les ministres à exprimer mon opinion sur l'attitude que devait prendre le gouvernement, et sur le point de savoir s'il fallait maintenir ou retirer la loi qui avait soulevé l'indignation universelle, cette loi que je combattais pourtant avec la plus grande énergie. Cette opinion, quelle fût-elle ? Je soutins que le gouvernement ne devait pas céder en présence des troubles de la rue, et que le projet de loi devait être maintenu.

Voilà quelle a été notre conduite ! Quelle a été la vôtre ? Avez-vous désavoué les troubles qui vous ont apportés ici ? Vous en avez profité et vous les avez glorifiés. C'est à peine si, par quelques paroles qui vous ont été arrachées, après bien des hésitations et des tergiversations, vous êtes venu protester contre les outrages dont la couronne avait été l'objet de la part de ceux qui ont été vos plus fermes appuis.

(page 428) Ces hommes-là, je les qualifiais alors d'énergumènes, sans dire qu'ils étaient à vos gages ; et je n'ai point rétracté mes appréciations, le jour où, se retournant contre vous, ils vous ont, à votre tour, attaqué et insulté comme ils l'ont fait dans ces derniers temps.

Selon l'honorable préopinant, il y avait pour nous deux voies à suivre ; la première était de confesser nos erreurs, de demander et d'obtenir son absolution ; la seconde était de prétendre qu'il n'y avait point eu de conversion, qu'on ne faisait qu'accomplir ce qui avait été annoncé. Le premier mode, d'après l'honorable membre, était digne et noble ; le second, misérable ; le premier mode, mon honorable ami, M. de Brouckere, l'a employé ; le second est celui que j'ai accepté.

Et quand vous venez m'attaquer ici, vous ne vous êtes pas dit que si je l'avais voulu, il me suffisait, à moi qui n'avais pas exprimé d'opinion sur les travaux de la rive gauche de l’Escaut, il me suffisait, dis-je, de déclarer qu'aujourd'hui, mieux éclairé, ayant entendu les hommes spéciaux, les hommes compétents, je reconnaissais la nécessité de ces travaux et que j'apportais à la Chambre un projet de loi, non pas au nom de l'intérêt d'Anvers, mais au nom de l'intérêt de la défense nationale ? Mais je ne l'ai fait ; et pourquoi ne l'ai-je pas fait ? parce que je n'ai jamais reconnu et que je ne reconnais pas encore que des travaux soient indispensables sur la rive gauche de l'Escaut, dans l'intérêt de la défense nationale. J'ai proclamé à toutes les époques, je l'ai dit dans le sein du gouvernement, je l'ai dit, malgré toutes les affirmations contraires qui m'ont été faites pour essayer de me convaincre, que l'intérêt de la défense nationale n'exigeait pas l'exécution de ces travaux ; j'ai persévéré dans cette opinion, que je conserve, parce que je le crois vraie.

Maintenant, cette solution au nom de l'intérêt civil, l'avais-je condamnée ? L'honorable préopinant s'est donné la plus grande peine pour aller, dans la multitude des discours que j'ai été appelé à produire sur la question d'Anvers, chercher ici un mot, là un autre mot, et à les coudre ensemble pour tâcher d'en induire cette contradiction qu'il me reproche et qu'il prétend être si manifeste !

Eh bien, cette contradiction n'existe pas ! Déjà je l'ai prouvé, je. pense, de manière à satisfaire les plus difficiles.

Et, après tout, si même elle existait, y aurait-il donc de ce chef un si grand grief ù articuler contre moi ?

Mais la preuve la plus évidente qu'il n'y a de ma part aucune contradiction, c'est qu'au moment des plus vives discussions sur cette question, et notamment pendant la discussion du programme de l'honorable M. Dechamps, je n'ai pas prononcé les mots « citadelle du Sud », si ce n'est pour dire que cet ouvrage était en dehors du système défensif de la place, indiquant ainsi clairement qu'il n'y avait pas de raison péremptoire pour refuser de lui substituer un équivalent.

Et quant à la citadelle du Nord, je n'ai exprimé aucune opinion, si ce n'est que la croyais nécessaire à la défense de la rade. Je l'ai dit plusieurs fois ; je l'ai répété récemment encore.

Un peu embarrassé de la réponse que j'ai faite à M. Coomans, en lui lisant ce discours formel du 9 mai 1862, où je déclarais que, quand le calme serait rétabli, on examinerait les questions relatives aux indemnités et aux citadelles, quoiqu'on l'ait nié formellement, quel est l'artifice auquel a eu recours l'honorable M. Jacobs ? Il est vrai, dit-il, vous avez lié les deux choses, les indemnités pour les servitudes et les citadelles ; mais au fond, dans la réalité, dans votre pensée intime, il s'agissait uniquement des servitudes, et des servitudes, à quel point de vue ? Des servitudes quant à la question des indemnités ? Point. Mais des servitudes à raison des facilités a donner dans le rayon militaire, ou à certaine restriction de ce rayon vers l'esplanade de la citadelle du Nord.

Et de ce que j'ai annoncé à une autre époque que l'on pouvait faire ces concessions quant aux servitudes, de ce que j'ai proposé un projet de loi qu'apparemment je n'ai pas oublié, puisqu'il y a quelques jours encore je recevais une lettre de rappel pour me prononcer sur le projet déposé par M, Jacobs, qui se lie à celui qui a été déposé par le gouvernement, de ce que j'ai déposé ce projet de loi, l'honorable membre a conclu que c'était tout ce qu'il y avait à faire, que c'était tout ce que le gouvernement voulait faire ! Et il ne songe pas que la condamnation de son assertion est écrite dans cette déclaration si formelle, qu'il n'y aurait d'examen quant à l'indemnité pour ces servitudes et quand aux citadelles, que lorsque le calme serait rétabli dans Anvers ?

Il y a découvert, pour ajouter quelque chose à cette démonstration, selon lui si complète, à cette preuve si palpable, que dans certains discours du mois de décembre 1863, dont je me souvenais tout aussi bien que de mon projet de loi, et que j'ai ici même sous la main, il a découvert que j'ai fait alors cette déclaration : « Pour nous, l'examen est fait, et il est irrévocable. »

L'honorable membre n'a pas dû avoir bien grande peine à faire cette découverte ; il est le second éditeur du même mot reproduit d'abord par l'honorable M. Delaet.

Tout le monde connaît ce subterfuge de discussion, à l'aide duquel on prend un mot dans un discours pour prêter à un membre une opinion qu'il n'a manifestement pas exprimée avec le sens qu'on lui attribue. Voulez-vous juger ce subterfuge ? Rien n'est plus facile. Supposez que j'eusse invoqué cette parole, l'honorable membre m'aurait opposé triomphalement ma promesse formelle d'examen, lorsque le calme aurait été rétabli dans Anvers !

Et, en effet, messieurs, dans cette discussion dont parle l'honorable membre, je rappelais l'ordre du jour qui avait été voté eu 1862, celui à l'occasion duquel j'avais prononcé ces mêmes paroles qui ne peuvent pas être méconnues : « Quand le calme sera rétabli, on examinera ce qu'il peut y avoir de juste dans ces réclamations ; mais jusque-là, nous maintenons ce qui a été fait. » Je les rappelais, et avec beaucoup de raison, car on se trouvait alors exactement dans la même situation. Au mois de mai 1862, la question avait été agitée ; nous donnions les mêmes raisons. Au mois de décembre 1863, on se représentait élevant la Chambre avec un ordre du jour identique à celui que nous avions fait repousser en 1862, et nous tenions en 1863 le même langage qu'en 1862.

Jamais, à aucune époque, je n'ai méconnu la possibilité d'examiner et de résoudre les difficultés de cette question d'Anvers, et tous vos efforts ont été vains pour recueillir, dans les centaines de pages de mes discours, quelques mots qui me condamnent sur ce point. Jamais il n'a été dit que cette solution ne pourrait être tentée ; ce qui le prouve plus manifestement encore, et c'est un point sur lequel l'honorable membre a glissé, quoique la preuve lui eût été mise sous les yeux, c'est qu'en 1864, discutant le programme de l'honorable M. Dechamps, et ceci est postérieur au mot « irrévocable » qui fait le bonheur de l'honorable M. Jacobs, j'ai annoncé, de la manière la plus expresse et la plus formelle, qu'une solution qui consisterait à transformer des terrains en nature de fortifications en autres fortifications, était une solution que je comprenais et qui était acceptable.

Mais, toujours d'après ce que prétend l'honorable M. Jacobs, ce ne sont pas seulement ces contradictions qu'il me reproche, et au sujet desquelles la Chambre se trouve à présent complètement édifiée ; selon lui je ne fais que tomber de contradiction en contradiction, et cela, non, pas seulement quant à mes discours d'il y a six, sept, huit ans, que je pourrais parfaitement avoir oubliés ; il y a bien mieux que cela : j'ai contredit dans mon discours d'avant-hier.

J'ai annoncé hier, avant-hier, que la solution que je proposais était une solution civile : Voyez s'écrie l'honorable M. Jacobs, M. le ministre des finances est en contradiction avec la déclaration qu'il vous a faite dans son premier discours de l'avant-veille, où il vous a déclaré que c'était une solution militaire ! De là, triomphe complet pour l'honorable membre !

L'habileté de l'honorable membre consiste en ceci.

En donnant dès explications à la Chambre sur la constitution du cabinet, en annonçant nos projets relativement à l'affaire d'Anvers, j'ai raconté que l'affaire qui avait été présentée dans la presse comme étant une chose mystérieuse, au sujet de laquelle des révélations étaient à faire, était au contraire une très vieille histoire ; qu'elle avait figuré dans les journaux dès 1863, qu'elle avait été mentionnée dans la délibération du conseil communal d'Anvers de cette époque, qu'elle avait été l'objet d'un débat dans la Chambre au mois de décembre 1863 ; que l'honorable M. Dechamps l'avait transcrite dans son programme, et qu'elle avait encore reparu dans les sections de la Chambre, à l'occasion de l'examen de nos projets militaires. Je disais à ce propos : « Il y a cette différence que, dans la première phase, on l'appelait la solution de la question d'Anvers et (par forme d'ironie) que dans la seconde phase, dans la phase actuelle, on l'appelle l'intérêt de la défense nationale ! »

Je trouvais que c'était absolument et identiquement la même chose, que c'était toujours le même projet qu'on faisait reparaître, que c'était le même projet qu'on voulait exécuter, tantôt sous un nom, tantôt sous une autre ; mais qu'au fond c'était identiquement la même proposition que l’on reproduisait.

Enfin, je suis tombé dans une autre contradiction, et c'est celle-là surtout que l'honorable membre avait le plus grand intérêt à signaler : il s'agit du retard apporté par le Gouvernement dans la manifestation (page 429) de ses intentions au sujet de la solution qu'il avait à proposer pour les affaires d'Anvers.

J'ai déclaré que le gouvernement avait considéré comme contraire à sa dignité, comme contraire à la dignité et aux intérêts du pays, de venir faire à cet égard des propositions à la Chambre, pendant que le trouble et l'agitation excitaient les esprits à Anvers.

« M. le ministre des finances oublie, dit l'honorable M. Jacobs, qu'il est venu nous donner de tout autres motifs ! »

Mais, messieurs, ces motifs, je les ai indiqués tous en même temps ; mais dans le discours dont vous parlez, j'ai dit : En premier lieu, l'intérêt politique imposait au gouvernement, aussi longtemps que l'agitation existait à Anvers, l'obligation de faire exécuter dans toutes ses dispositions une loi qui avait été votée par les Chambres à une forte majorité. Puis j'ai ajouté : La question se compliquait en outre d'un intérêt financier très important, faisant ainsi allusion aux dix millions dus à l'Etat par la ville d'Anvers. Cet intérêt financier, j'avais à le sauvegarder. Or, ne pensez pas que j'ignorais à aucune époque le trafic qu'on voulait faire à l'aide de ces dix millions !

Quels moyens voulait-on employer pour se soustraire à l'obligation stipulée par la loi de 1859 à la charge de la ville d'Anvers ?

Dans la solution de M. Dechamps, dans la partie réservée du programme, voici ce qu'il y avait : On vendait les terrains de la citadelle du Sud, et tous les établissements militaires dont j'ai donné l'énumération, pour une somme de quinze millions.

On exécutait des travaux sur la rive gauche de l'Escaut. Mais comme le produit de cette vente était manifestement insuffisant pour la reconstruction de tous ces établissements, la ville d'Anvers aurait dit généralement : « Les dix millions que je dois pour les terrains militaires de l'ancienne enceinte, on les emploiera à cet objet. » Voilà le plan !

Et c'est ensuite l'Etat, qui aurait dû supporter une dépense nouvelle équivalente à ces dix millions, pour l'achèvement de la grand enceinte, car cette recette y était expressément affectée. C'est dans ce sens que, m'expliquant sur cette partie du programme de M. Dechamps, je disais : « Il ne s'agit pas de 15 millions, il en faut 25. » Et on avait ces 25 millions grâce à l'ingénieuse combinaison que je viens d'indiquer.

Eh bien, indépendamment de ce motif de retard, j'en ai signalé un autre encore, qui dérivait de l'intérêt même de la ville d'Anvers. Pensez-vous que si, en décembre 1864, lorsque quelques mois auparavant seulement, au mois de septembre, j'avais amené la ville d'Anvers à reconnaître qu'elle devait payer ces 10 millions dont elle contestait la redevabilité, tout en prétendant à la propriété des terrains militaires, pensez-vous, dis-je, que si, à cette époque, au lieu de simples ouvertures qui m'ont été faites pour l'aliénation de la citadelle du Sud, on m'eût fait une offre formelle et que je l'eusse acceptée, je n'eusse point, par le fait même, causé un préjudice immense à la ville d'Anvers ? Elle était chargée de la démolition des anciens remparts ; elle n'avait pas encore de compagnie qui se fût engagée à se substituer à elle-même dans cette obligation ; et j'aurais à l'instant même constitué une concurrence sur la place même d'Anvers, avec 100 hectares de terrain dans une situation exceptionnellement avantageuse, avilissant ainsi la valeur de tous les terrains qui étaient devenus la propriété de la ville, et dont elle avait à se débarrasser pour rentrer dans le prix de 10 millions auquel elles les avait payés.

Est-il vrai que c'est en 1866 seulement que la ville d'Anvers a réussi à traiter pour la cession de ces terrains ? Et est-il vrai, par conséquent, que l'intérêt même de la ville d'Anvers m'obligeait à ajourner toute opération quelconque relative à la vente de la citadelle du Sud, jusqu'à une époque où cette opération ne pouvait causer aucune espèce de préjudice à Jl ville d'Anvers ?

Si vous êtes le défenseur véritable de la ville d'Anvers, voilà une réserve pleine de prudence à laquelle vous devez applaudir.

L'honorable membre a dit un mot des servitudes au point de vue de la question des indemnités. Il n'a jamais, affirme-t-il, abandonné ses prétentions sous ce rapport. Eh bien ! je demande simplement aux honorables députés d'Anvers de garder à propos de cette question la position qu'il ont acceptée, lorsque la solution de l'affaire d'Anvers a été indiquée, de la façon que l'on connaît, par l'honorable M. Dechamps.

Ils se sont ralliés au programme de l'honorable M. Deschamps. L'opposition des honorables membres, qui devait être systématique à tout ministère qui ne ferait pas droit, d'une manière complète et absolue, à toutes les réclamations d'Anvers, a cessé odevait cesser à l'égard de l'honorable Ml. Deschamps. C'était un appui sympathique qui lui était acquis, en face de ce programme qui passait sous silence la question des indemnités pour les servitudes.

Sommé par moi de vous expliquer sur le point de savoir si vous acceptiez la partie de ce programme qui se rapportait à la question d'Anvers, qu'avez-vous répondu, quant aux indemnités des servitudes, dont ce programme ne s'occupait point ? C'est là, avez-vous dit, une question générale que nous nous réservons de traiter ultérieurement. Eh bien, nous verrons demain si l'on continuera à tenir ce langage à Anvers ! Nous verrons demain si les calculs électoraux que vous osez nous reprocher, ne vont pas vous porter de nouveau à agiter cette question des servitudes, et à essayer de vous en faire une arme contre le gouvernement.

Malheureusement, j'ai quelque peu émoussé cette arme dans vos mains. On a pu croire un moment que les terrains nouvellement grevés de servitudes avaient éprouvé une dépréciation, pour laquelle les propriétaires pouvaient légitimement réclamer une indemnité. Mais le dommage dont on poursuivait la réparation n'existe pas. J'ai fait connaître à la Chambre que le temps écoulé depuis l’établissement des servitudes nouvelles, nous avait permis de faire certaines vérifications dont le résultat est des plus intéressant.

Ce travail très exact, quoique renfermé dans des limites restreintes, a permis d'établir une comparaison entre la valeur d'une série de propriétés avant et après l'établissement des servitudes, et qui ont subi des mutations, soit par ventes publiques, soit par ventes, à l'amiable, soit par déclarations de succession.

Nous avons constaté, pour ce groupe de propriétés, un accroissement de valeur de 47 p. c, ce qui nous permet de supposer, pour la généralité des terrains compris dans le nouveau rayon des servitudes, une plus-value proportionnellement égale.

Mais, je le répète, pour qu'on n'abuse pas de mes paroles, dont si facilement on abuse, il s'agit là, non de toutes les propriétés grevées de servitude, mais de celles qui ont fait l'objet de mutations aux deux époques qu'il s'agissait de comparer.

Messieurs, la fatigue que j'éprouve ne me permet pas de continuer plus longtemps. Je crois d'ailleurs avoir suffisamment fait justice de toutes les imputations inexactes et controuvées, que l'honorable M. Jacobs a trouvé bon de diriger contre moi.

Pour me résumer sur cette grave question d'Anvers, je dirai que le gouvernement, appuyé par la majorité, a maintenu intactes les prérogatives des pouvoirs publics, tant qu'une agitation violente a manifesté la prétention de les faire fléchir. Aujourd'hui, que le calme a reparu, que les esprits sont apaisés, que les illusions sont tombées, nous venons, accomplissant ainsi une promesse formelle faite antérieurement, proposer une combinaison qui est, selon nous, de nature à calmer des inquiétudes que nous persistons cependant à croire exagérées.

Mais enfin, nous pensons qu'on peut les faire disparaître, en modifiant quelque peu l'état de choses qui existe à Anvers, en supprimant cette citadelle du Sud qui, certes, n'a pas été faite par nous, et en démolissant les fronts intérieurs de la citadelle du Nord, si le ministère de la guerre juge que la chose est possible moyennant une compensation militaire sur la rive gauche de l'Escaut.

Grâce à cette combinaison, les différents intérêts qui sont engagés dans cette affaire nous paraissent complètement sauvegardés, et ceux-là même qui pensent que l'intérêt de la défense nationale commande l'établissement de certaines fortifications sur la rive gauche, ceux-là aussi seront satisfaits.

Nous croyons, en agissant comme nous l'avons fait à toutes les phases de la question d'Anvers, y compris celle qui la termine, avoir accompli les devoirs d'un gouvernement sage et prudent.

M. Funckµ. - Messieurs, je ne complais pas prendre la parole dans ce débat.

L'absence de l'honorable ministre de l'intérieur, absence regrettable mais si légitime du reste, ne me permet pas d'appeler votre attention sur la grande question de l'instruction primaire ; elle ne me permet pas surtout de vous parler, non pas de la révision de la loi de 1842, révision dont je suis le très grand partisan, mais de l'application de cette loi, ce qui est tout autre chose. (Interruption.)

- Une voix. - Remettez cela au budget de l'intérieur.

M, Funckµ. - Je n'ai pas l'habitude d'abuser des moments de la Chambre. Plusieurs orateurs ont pris à diverses reprises la parole dans cette discussion, j'espère qu'on me permettra bien à moi, le dernier inscrit, de dire quelques mots sur une question que je considère comme étant de la plus haute importance.

- Plusieurs voix. - Parlez ! parlez !

M. Funckµ. - L'affirmation plusieurs fois répétée dans le cours de ce débat, que la loi de 1842 avait été constamment appliquée dans un (page 430) sens libéral m'oblige à rompre le silence, non pas pour discuter en ce moment les questions relatives à l'exécution de cette loi, mais pour faire quelques réserves que commande, d'après moi, l'intérêt, je dirai même la dignité de l'opinion à laquelle j'appartiens.

Certes, messieurs, je reconnais tous les services rendus par l'honorable M. Vandenpeereboom à l'enseignement primaire. Je ne suis pas le dernier à lui savoir gré de toutes les améliorations, des réformes importantes qu'il a introduites dans ce service. Mais, ce que je ne puis admettre, c'est que l'on ait fait tout ce qu'il y avait à faire et que la loi de 1842 a été constamment appliquée dans un sens libéral.

Je soutiens, au contraire, messieurs, que ce qui est appliqué aujourd'hui dans l'enseignement primaire n'est pas la loi de 1842. Je ne chercherai pas à le démontrer en ce moment. Qu'il me suffise de vous faire remarquer que la loi de 1842 ne prescrit nulle part l'absorption de l'enseignement primaire par l'enseignement religieux et c'est ce qui existe aujourd'hui dans la plupart des communes du pays.

J'ajouterai, en outre, que loi de 1842 se borne à trois prescriptions : d'abord l'enseignement religieux obligatoire au même titre que la morale, que ma lecture, que l'écriture, que le calcul, que le système légal des poids et mesures, que les éléments des langues française, flamande et allemande ; ensuite, l'inspection ecclésiastique et, en troisième lieu, la censure ecclésiastique sur certains livres. Elle ne va pas au delà.

Je reconnais que tout cela est déplorable, mais cependant, tout en violant les principes constitutionnels, l'application de ces mesures ne rendrait pas l'école primaire inaccessible aux dissidents.

Malheureusement, messieurs, ce qui est plus déplorable encore que la loi elle-même, c'est l'arrêté royal de 1846, dont le chapitre II, de l'aveu de l'honorable comte de Theux, ministre de l'intérieur d'alors, a été rédigé par les évêques.

J'ajouterai que là ne s'est pas bornée l'immixtion du clergé dans l'enseignement primaire.

Après avoir rédigé ce chapitre de l'arrêté royal organique de l'enseignement primaire, l'épiscopat a été autorisé, en outre, à développer ce chapitre dans une circulaire et dans des instructions qui ont été revêtues d'un caractère officiel par une circulaire de l'honorable M. de Theux.

Ce n'est donc pas la loi de 1842 qui régit l'enseignement primaire aujourd'hui ; ce sont les développements qui lui ont été donnés par l'arrêté royal de 1846 et par les instructions des évêques.

Je soutiens que la loi de 1842 a été ainsi mutilée et détournée de son véritable but. Je soutiens que, contrairement à l'article 4 de cette loi qui permettait aux dissidents de fréquenter l'école primaire, la manière dont la loi a été appliquée a rendu cette école complètement inabordable aux enfants appartenant aux cultes dissidents.

Je dis que c'est là un abus grave, auquel on peut et auquel on doit porter remède ; et j'ajoute qu'on peut atteindre ce but, même sans toucher en quoi que ce soit à la loi de 1842. C'est le thème que je me proposais de développer et que je développerai lors de la discussion du budget de l'intérieur. En ce moment, je me borne à faire mes réserves contre cette affirmation que la loi de 1842 aurait été exécutée jusqu'à ce jour, dans un sens libéral. j

M. de Theuxµ. - Vous vous rappellerez, messieurs, que l'arrêté du 15 août 1846 a été immédiatement publié. Vous n'aurez pas oublié non plus que l'honorable échevin de la ville de Bruxelles, M. Orts, spécialement chargé alors de l'instruction publique, n'a point produit les critiques que produit aujourd'hui l'honorable M. Funck.

Quant à moi, je puis déclarer qu'il n'est pas un seul article de l'arrêté royal que je n'aie sérieusement médité et que je considère cet arrêté comme inattaquable.

Quant à l'instruction relative à la partie religieuse, elle est émanée de l'autorité religieuse, cela est clair.

Je n'en dirai pas davantage pour le moment, j'attendrai les observations qui se produiront lors de la discussion du budget de l'intérieur.

M. De Fréµ. - Messieurs, je ne compte pas faire un discours, l'assemblée désire que la discussion soit terminée, mais je tiens à constater l'enseignement qui ressort de la crise ministérielle.

Des hommes qui ont longtemps marché ensemble et qui ont gouverné le pays avec honneur et avec succès, se sont divisés sur une question qui a longtemps alimenté nos débats parlementaires et qui sera la cause éternelle de nos discussions politiques. J'entends parler de l'intervention du prêtre dans l'enseignement.

Lorsque M. le ministre de l'intérieur conçut la grande pensée d'organiser les écoles d'adultes, il voulut, pour rendre son œuvre féconde, y associer le clergé. Il fit un appel à son intervention ; mais le clergé, qui devait faire triompher son œuvre, a été l'obstacle qui l'a empêchée de réussir. Il y a là, messieurs, un grand enseignement. C'est la seconde fois que l'Etat s'adresse au clergé pour lui demander de venir donner l'enseignement moral et religieux dans ses écoles, et chaque fois l'Etat subit une humiliation. La réponse qui a été faite par l'archevêque de Malines en 1867 à l'honorable M. A. Vandenpeereboom est la même que celle qui a été faite en 1856 à l'honorable M. de Decker.

M. de Decker aussi avait cette illusion de croire qu'en faisant appel au clergé, il aurait rendu l'enseignement plus salutaire. Et qu'a répondu le clergé dans ces deux circonstances solennelles ? Il a répondu : j'aime beaucoup à intervenir dans les écoles de l'Etat ; je tiens beaucoup à y répandre l'instruction morale et religieuse, mais il y a une chose à laquelle je tiens davantage, ce sont mes établissements. Ainsi, lorsque nous venons, dans l'intérêt de la dignité du clergé et dans l'intérêt de l'indépendance de l'Etat, demander qu'en matière d'enseignement il y ait une séparation complète entre l'élément laïque et l'élément religieux, on nous accuse des intentions les plus coupables : nous voulons corrompre l'atmosphère de l'école, nous voulons créer une génération matérialiste et athée.

Et quand des ministres comme M. de Decker et Vandenpeereboom, qui ont sur la question d'autres idées que nous, disent au clergé : Venez répandre dans l'école l'atmosphère morale et religieuse, faites en sorte que la génération qui se lève soit morale et religieuse, le clergé humilie l'Etat et refuse parce qu'il a des intérêts matériels et qu'il place ces intérêts au-dessus de la mission élevée que la droite s'efforce de lui attribuer.

Il ressort de ce fait un grand enseignement. Je rends à M. Vandenpeereboom le plus grand hommage ; il a été un administrateur habile et un ministre consciencieux ; il a cru que pour faire réussir son œuvre il fallait réclamer le concours du clergé, il s'est trompé. J'espère que, pour la dignité de l'Etat, il n'y aura pas un troisième ministre qui exposera l'Etat à recevoir une troisième humiliation.

Dans les circonstances où se trouvait le gouvernement, le clergé ne voulant pas concourir à faire réussir les écoles d'adultes, est-ce que le gouvernement pouvait dire : Nous allons négliger ce grand intérêt national et nous attendrons, pour organiser les écoles d'adultes, le moment où le clergé voudra bien nous prêter son concours.

Là, messieurs, est la justification de l'avénement du ministère nouveau.

Le ministère ne pouvait pas laisser les écoles d'adultes en souffrance, et devait marcher malgré l'obstacle qui s'est présenté aujourd'hui, et je prends acte des paroles de M. le ministre des finances, il y a faculté pour les communes de recevoir le clergé ou de ne pas le recevoir ; elles administrent librement, d'après les grands principes constitutionnels qui nous dirigent ; mais chaque commune, qu'elle fasse ou ne fasse pas appel au clergé, chaque commune recevra les subsides du gouvernement.

Je voudrais finir par un seul mot.

On a beaucoup parlé de la conférence. S'il est prudent, après la déclaration faite à une grande tribune, d'envoyer un représentant de la Belgique à la conférence, j'espère que la Belgique n'oubliera jamais son origine révolutionnaire et que lorsqu'elle aura à choisir entre un peuple opprimé et un souverain oppresseur, elle tendra la main au peuple opprimé, Elle sera fidèle ainsi à ses glorieuses traditions.

- Des voix. - La clôture !

MpDµ. - Personne ne demandant plus la parole, je déclare clos l'incident sur les explications ministérielles.

- Des voix. A mardi !

MpDµ. - La Chambre entend-elle continuer son ordre du jour ? Le premier objet est la discussion sur l'organisation de l'armée.

- Voix nombreuses. - Non, non ! à mardi.

M. Dumortierµ. - Parmi les objets à l'ordre du jour, il y a des crédits qui ne demandent qu'un vote, on pourrait les aborder.

MpDµ. - La Chambre ne paraît pas disposée à rester en séance.

- De toutes parts. - Non ! non !

MpDµ. - Il est entendu que mardi le projet de loi sur l'organisation de l'armée sera le point de départ de nos délibérations.

- La séance est levée à 5 1/2 heures.