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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 23 janvier 1868

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 457) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 1/4 heures et donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants de Vechmael demandent le rejet des propositions relatives à l'aggravation des charges militaires et prient la Chambre, si elle se prononce pour une organisation de l'armée, de porter son attention sur la suppression de la conscription. »

« Même demande d'habitants de Herderen et de Rumpst. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires et renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la milice.


« Des habitants de Waerbeke demandent le rejet de toute augmentation des charges militaires et la révision des lois sur la milice. »

« Même demande d'habitants de Leeuwergem, Elene, Onkerzele, de communes non dénommées et, par deux pétitions, d'habitants de Grammont. »

- Même décision.


« Des habitants du canton de Fléron demandent le rejet des projets de loi aggravant les charges militaires, l'abolition de la conscription et l'organisation de l'armée d'après des principes qui permettent une large réduction du budget de la guerre. »

- Même décision.


« Le sieur Franchimont proteste contre le projet de loi sur l'organisation militaire et présente des observations relatives au mode de recrutement et au service militaire. »

- Même décision.


« Des habitants de Merxem protestent contre les propositions de la commission militaire et demandent que le gouvernement soit invité à présenter un projet de loi qui abolisse le tirage au sort pour la milice. »

- Même décision.


« Des habitants de Péruwelz demandent l'abolition de la conscription et la diminution des charges militaires. »

- Même décision.


« Des ouvriers de différentes communes demandent l'abolition des lois sur la milice, la suppression des armées permanentes et la réalisation de leurs droits de citoyens. »

- Même décision.


« Des habitants de Saint-Amand prient la Chambre de rejeter le projet de loi sur l'organisation de l'armée et particulièrement l'augmentation du contingent de l'armée et du budget de la guerre. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires et renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif au contingent de l'armée.


* Des habitants de Bruges demandent le rejet du projet de loi qui augmente les charges militaires. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires.


« Des habitants de Diest prient la Chambre de rejeter l'extension proposée des forces militaires. »

- Même décision.


« Le sieur Dubois demande qu'on accorde chaque jour à la troupe une ration de pommes de terre. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la guerre.


« Le conseil communal de Fumal demande la suppression des barrières sur la route de Huy à Tirlemont. »

M. de Lexhyµ. - J'ai l'honneur de proposer à la Chambre de renvoyer cette pétition à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport. La Chambre a déjà renvoyé à la commission d'autres pétitions qui se rapportent au même objet. L'importance et l'urgence de ces pétitions motivent suffisamment la proposition que j'ai l'honneur de faire. Je n'en dirai pas davantage pour le moment.

M. de Macarµ. - La commission des pétitions est déjà saisie de plusieurs pétitions relatives à la suppression des barrières sur la route de Huy à Tirlemont.

Elle a bien voulu me charger de présenter le rapport sur ces pétitions. L'honorable M. de Lexhy sait mieux que personne, puisqu'il a pris part à nos démarches, que les députés de Huy n'ont pas attendu le moment actuel pour s'occuper de l'important objet soulevé par le pétitionnaire. Des négociations ont été entamées à ce sujet, depuis assez longtemps, avec M. le ministre des finances et des travaux publics.

Divers renseignements du gouvernement me sont encore nécessaires pourque je puisse faire un rapport complet sur la question. Sans m'opposer à la proposition de l'honorable député de Waremme, je crois donc devoir prévenir la Chambre que je ne pourrai présenter mon rapport dans un très bref délai.

MpDµ. - La pétition est renvoyée à la commission des pétitions qui présentera son rapport dès que le gouvernement lui aura transmis les renseignements qui lui ont été demandés.

Cela satisfait au vœu exprimé par M. de Lexhy.


« Le conseil communal de Tervueren prie la Chambre d'accorder au sieur Licot de Nismes la concession d'un chemin de fer de Bruxelles à Corbeek-Dyle par Tervueren. »

« Même demande des administrations communales de Corbeck-Dyle et d'Heverle. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants d'Ingelmunster prient la Chambre de rejeter le projet de loi sur la milice et particulièrement les dispositions relatives à l'exonération, aux exercices obligatoires du premier ban de la garde civique, au contingent annuel de l'armée, et demandent que le budget de la guerre soit ramené au chiffre de 25 millions. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la milice et dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la guerre.

Ordre des travaux de la chambre

M. Lelièvreµ (pour une motion d’ordre). - Messieurs, depuis longtemps il a été déposé un projet de loi concernant l'interprétation de l'article 3 de la loi du 29 floréal an X relativement à la police du roulage et au mode de constater les contraventions prévues par cette disposition législative. Comme il s'agit d'une question qui se présente fréquemment, je demande que la commission spéciale chargée de l'examen de ce projet veuille bien s'en occuper le plus tôt possible. Il importe que la difficulté sur laquelle il s'est élevé un conflit d'opinion entre les cours de cassation et certains tribunaux soit définitivement résolue.

MpDµ. - Je prierai M. le président de la commission spéciale dont parle M. Lelièvre de vouloir bien presser les travaux de celle-ci.

Projet de loi relatif aux extraditions

Rapport de la commission

M. Woutersµ. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la commission centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi sur les extraditions.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi sur l’organisation de l’armée

Discussion générale

MPDµ. - La parole est continuée à M. de Maere.

(page 458) M. de Maereµ. - Dans mon discours d'hier, je me suis occupé exclusivement de notre dispositif de défense.

J'ai fait voir les modifications successives que ce dispositif avait subies. Fondé d'abord sur un cordon de forteresses frontières, il a été remplacé en 1851 par un système plus simple, basé sur le principe de la concentration des forces. Un immense pivot stratégique a été établi a Anvers, et on a successivement abandonné toutes les forteresses qui ne faisaient pas partie intégrante de ce nouveau système. C'est ainsi qu'en 1851 nos 19 places fortes ont été réduites à 14 ; en 1859 à 8 ; plus tard à 6 et aujourd'hui à 5.

Je me suis demandé alors si ce dernier chiffre devait être le dernier, ou si, poursuivant logiquement la voie dans laquelle il est entré, le gouvernement ne devait point supprimer les deux citadelles restantes, Liège et Namur, qui ne font pas système avec Anvers, comme il avait supprimé toutes les autres.

J'ai cité l'opinion des autorités militaires qui en Belgique s'étaient occupées de cette question. J'ai montré particulièrement en ce qui concerne Namur, que l'abandon de cette citadelle déjà proposé par le général Eenens, avait été voté par huit membres de la commission militaire de 1859 et parmi eux le général Chazal, ministre de la guerre ; j'ai invoqué l'avis du lieutenant-colonel Brialmont, et enfin j'ai fait connaître qu'à deux reprises différentes M. le ministre de la guerre actuel m'avait paru partager la manière de voir de ses collègues, la première fois lorsque, en qualité de commissaire du Roi, il défendait devant les Chambres les fortifications d'Anvers ; la seconde fois lorsque, comme rapporteur de la dernière sous-commission militaire, il écrivit les paroles que j'ai textuellement rapportées. A cette partie de mon discours, l'honorable général Renard m'a fait l'honneur de m'interrompre et de me dire que j'avais mal saisi sa pensée et qu'il était, au contraire, d'avis qu'il y avait lieu de conserver les deux citadelles dont je m'occupais.

Je demanderai à la Chambre la permission de revenir pour un moment sur ce point. Je le désire d'abord pour la grande valeur que j'attache à l'opinion de l’honorable ministre de la guerre, et aussi pour constater, c'est un devoir, que je suis d'une complète exactitude dans les citations que je fais.

Je lis à la page 106 du volume des procès-verbaux de la commission militaire ;

« Chapitre II. Système de défense de la Belgique.

« La Belgique n'est arrivée que successivement au système de défense que nous avons adopté aujourd'hui. Il existait déjà en germe dans les décisions de la grande commission mixte de 1851, mais il n'a reçu son ampleur et sa forme définitive qu'après le vote de la Chambre sur la grande enceinte d'Anvers.

« Le système de défense de 1851 reposait sur les principes suivants :

« 1° Destruction d'une partie des places fortes élevées, après 1815, dans un but et pour des éventualités qui n'existaient plus.

« 2° Conservation des forteresses qui, au point de vue de la neutralité belge, pouvaient servir à notre défense propre, ou, en cas d'invasion, favoriser les opérations des armées protectrices de notre indépendance et de notre nationalité.

« 3° Organisation d'une armée de 100,000 hommes, dont 60,000 pour l'armée de campagne et 40,000 pour la réserve destinée à la garnison des places fortes. Une partie de celle-ci devait être organisée de façon à renforcer au besoin les forces actives et à coopérer à leurs opérations.

« 4° Enfin, création d'un camp retranché en avant d'Anvers, destiné à servir d'abri au gouvernement en temps de guerre et, au besoin, en cas d'isolement, de refuge à l'armée.

« En 1859, on a donné à ce système sa dernière forme. On résolut de concentrer davantage la défense, et de réunir en un seul point tous les moyens de résistance et d'attaque dont nous disposons. On ne conserva que les forteresses susceptibles d'ajouter à la puissance de la position centrale ; les autres furent démolies ou sont condamnées. Anvers devint non seulement le refuge du gouvernement et de l'armée en temps de guerre, mais encore la capitale militaire du royaume, le dépôt général, la base d'opérations et d'approvisionnements, le pivot des manœuvres de l'armée active.

« A cet effet, la position d'Anvers a été considérablement agrandie et presque quadruplée : l'enceinte a été reportée à la limite du camp retranché voté par la commission mixte de 1851, et celui)ci à plus de trois kilomètres en avant.

« En cas d'isolement, la Belgique, attaquée par un de ses puissants voisins et obligée, par des forces trop supérieures, d'abandonner momentanément le pays, peut être reçue tout entière dans l'enceinte de ce camp. Elle y bravera longtemps les efforts d'un ennemi, quelque redoutable qu'on le suppose ; car elle aura échangé un champ de bataille incertain contre un champ de bataille préparé, connu, hérissé de travaux d'art et de difficultés naturelles, qui viendra compenser la faiblesse numérique relative de nos troupes. Elle y attendra, sans être entamée, soit le moment de sortir de la position pour rejoindre ses alliés éventuels, soit l'occasion de prendre l'offensive, si des circonstances favorables se présentent.

« Ici nous rencontrons la première des trois considérations qui ont engagé le gouvernement à réunir votre commission.»

Eh bien, messieurs, je vous le demande, si, après avoir lu en entier ce chapitre, si après avoir parcouru ceux qui suivent et le rapport entier de la sous-commission militaire, sans y avoir rencontré aucune considération qui vînt détruire la déclaration formelle, à savoir « qu'on ne conservera que les forteresses susceptibles d'ajouter à la puissance de la position centrale, que les autres seront démolies ou sont condamnées, » je n'étais pas autorisé à compter l'honorable général Renard parmi ceux qui poursuivaient l'application du principe de la concentration des forces, jusque dans son expression dernière et logique. N'étais-je pas d'autant mieux fondé à le faire, que, précédemment déjà, il avait dit aux Chambres : « Dans un petit pays comme le nôtre, qui n'a pas l'espace nécessaire, les bases intérieures et les forteresses se confondent en une seule grande position fortifiée. »

Une remarque encore, messieurs ; le rapport du 18 mars 1867 n'est pas une œuvre personnelle ; indépendamment de la signature de l'honorable auteur, elle porte celle des quatre lieutenants généraux qui firent partie de la sous-commission. Il m'est dès lors permis de dire que les considérations et les conclusions du travail commun sont approuvées par chacun des signataires.

Ceci augmente singulièrement la valeur de la thèse que je défends, alors surtout que parmi ces signataires je rencontre le nom du général Eenens, le véritable auteur du système concentrique aujourd'hui appliqué, l'officier général qui dès 1859 proposa le démantèlement de la citadelle de Namur.

Je m'arrête, messieurs, l'honorable ministre de la guerre voudra bien me pardonner l'insistance que j'ai mise à éclaircir un point resté douteux hier, et ne voir dans mon insistance qu'un hommage rendu à la haute autorité dont il jouit dans le monde militaire ; son avis évidemment a un trop grand poids, pour que je ne sois pas excusable d'avoir cherché à m'en emparer.

Je conclus donc, comme hier, et je dis que ce serait chose sage de faire le dernier pas dans la voie de la concentration des forces où l'on est entré, en abandonnant les deux dernières citadelles qui ne font pas système avec la position d'Anvers.

Dès lors, le dispositif de défense doit se réduire aux places fortes d'Anvers, de Termonde et de Diest ; et c'est sur ce dispositif, le seul qu'il me paraît rationnel d'admettre, que je veux calculer l'effectif de l'armée. Ce faisant, messieurs, j'arrive immédiatement à ce résultat : que la réduction du dispositif peut entraîner une réduction de l'effectif.

Et, en effet, comme je l'ai dit en commençant, deux grandes parts devront être faites de notre armée dès le début des hostilités.

La première sera destinée à défendre les places fortes.

La seconde, à tenir la campagne.

La première se subdivisera à son tour en deux parties distinctes qui peuvent être calculées mathématiquement.

« L'armement d'une place, dit le colonel Brialmont, se détermine en tenant compte de son importance, du développement des fronts attaquables, de la nature de ses ouvrages et d'autres éléments qui n'offrent rien d'arbitraire.

« Si vingt personnes compétentes, ajoute-t-il plus loin, faisaient le même calcul, on peut affirmer qu'elles arriveraient, à très peu près, au même résultat. »

Partant de là et en n'y comprenant pas les places de Lierre et de Malines, dont lui préconise l'armement, l'honorable officier arrive à ce résultat que la défense de toutes nos places fortes réclame 4,420 bouches à feu. Ce total se décompose comme suit : 3,600 canons pour Anvers seul, en y comprenant un armement mobile de 160 canons ; 300 pour Termonde ; 250 pour Diest ; 80 pour Gand ; 80 pour Liège ; 110 pour Namur.

D'après ceci, les places de Termonde et de Diest réclameraient (page 459) 550 bouches à feu ; les citadelles de Gand, Liège et Namur, 270 canons ; soit la moitié.

Si maintenant on passe du calcul de l'armement des places à celui du personnel destiné à les desservir, et que l'on se serve des formules établies par les articles 90 et 93 de l'instruction ministérielle qui règle ces matières, purement et simplement ; ou bien que l'on fasse subir à ces formules les corrections que l'expérience a fait admettre et que les progrès réalisés dans la construction des nouvelles pièces justifient, on arrivera, avec une certitude à peu près égale, à la fixation du chiffre minimum de ce personnel. Appliquons ces calculs aux données fournies par la commission militaire.

Cette commission divise, ainsi que je viens de le faire, les forces totales dont le pays disposera, lors de la mobilisation, en trois groupes distincts, à savoir :

1er groupe. Garnison des places fortes : 19,436 hommes.

2èle groupe. Garnison de siège d'Anvers : 54,794 hommes.

3ème groupe. Armée d'observation : 52,928 hommes.

Total : 127,158 hommes.

Le premier groupe se décompose comme suit : Deux places fortes, Termonde et Diest, 550 bouches à feu ; trois citadelles, Gand, Liège et Namur, 270 canons.

L'effectif des garnisons des places fortes étant fixé proportionnellement à l'armement des places, il nous est permis de conclure de ce qui précède, que le total du premier groupe peut être diminué de 7,000 hommes en chiffres ronds, lesquels 7,000 hommes représentent l'effectif des citadelles de Gand, Liège et Namur. Je pense que personne ne voudra contester l'exactitude de ce résultat, et que personne aussi ne trouvera trop élevé le chiffre de 7,000 hommes comme total des trois garnisons, Liège, Namur et Gand.

Des renseignements directs pris à bonne source ont enlevé de mon esprit tout doute à cet égard ; ils fixaient à 10,000 hommes l'effectif des trois places en question.

Voila donc un premier résultat acquis et incontestablement acquis, car il provient de la réduction même du dispositif de défense.

Je passe au deuxième groupe, composant l'armée de défense d'Anvers et dont le total a été fixé en chiffres ronds à 55,000 hommes. J'accepte cet effectif, il est basé sur des éléments qui n'offrent rien d'arbitraire ; d'ailleurs, c'est dans la défense d'Anvers que se résumera la défense du pays entier. Toute réduction intempestive ou imparfaitement justifiée serait ici plus qu'une faute.

J'arrive au troisième groupe, qui constitue l'armée d'observation ou de campagne et qui se compose, dit le comité militaire, de tout le restant de nos forces ; c'est-à-dire de ce qui reste lorsqu'on a défalqué de l'effectif général fixé à priori, à 100,000 hommes de troupes régulières plus 30,000 hommes de réserve nationale, le total des deux premiers groupes. Ce restant monte à 55,000 hommes, en chiffres ronds.

Eh bien, messieurs, je me demande si ici tous les éléments qui constituent ce troisième groupe sont fixes et constants, au point qu'il soit impossible d'en réduire quelque peu le chiffre, de le ramener au chiffre rond de 50,000 hommes.

Cela étant, et, tout en tenant compte de la part faite à la réserve nationale pour la composition des garnisons des places fortes, on arriverait à ce résultat que le contingent annuel proposé, pourrait être réduit de 1,000 hommes ; porté en conséquence du chiffre de 12,000 sollicité aujourd'hui, à 11,000.

Il résulterait de ceci, et c'est pour moi un résultat important au point de vue moral, c'est-à-dire au point de vue de la popularité de la loi, que le contingent actuel de 10,000 hommes, destiné à l'armée active, ne devrait pas être majoré, et que le contingent supplémentaire des bataillons de réserve se composerait tout entier, comme dans le projet du gouvernement, des 1,000 hommes qui constituent l'écart entre le nouveau et l'ancien contingent.

Ce chiffre de 11,000 hommes nous mènerait aussi près que possible de celui de 11,425 hommes que le colonel Brialmont admettait comme suffisant dans l'hypothèse que l'article 15 de la loi de 1817 fût modifié, à savoir que les miliciens absents par décès, désertion ou autres circonstances, fussent remplacés par les communes d'origine.

Ma conclusion est donc : 1° garder le contingent actuel pour former l'armée active ; 2° constituer l'effectif des bataillons de réserve au moyen d'une levée annuelle supplémentaire de 1,000 hommes. Quant à ce dernier point, je crois avec le gouvernement qu'il est bon de l'admettre au double égard de la solidité de l'armée et de la tranquillité des familles.

L'effectif étant ainsi fixé, j'arrive naturellement à examiner la question de l'organisation proprement dite.

Il n'est pas pour moi de question plus importante que celle-là. Déjà de premier ordre dans les grands empires dont les ressources sont en quelque sorte inépuisables et où, à la longue, la victoire appartient toujours aux gros bataillons ; elle prime toutes les autres dans les petits Etats où les sacrifices ne sauraient se renouveler et où l'épuisement suit de près l'effort fait pour la défense. C'est pour eux surtout que la parole de l'empereur Napoléon III est vraie : « L'organisation seule résiste dans les revers et sauve la patrie. »

Les armées, dit le général Trochu, comme toutes les machines destinées à produire de puissants effets, offrent un ensemble compliqué qui fonctionne à l'aide d'un moteur et d'un mécanisme.

Le moteur est une force toute morale, c'est l'amour de la patrie ; c'est l'esprit du dévouement et du sacrifice. Il ne fera pas défaut chez nous.

Le mécanisme est une force toute matérielle. Il se compose de rouages multipliés et divers qui doivent fonctionner dans l'harmonie. C'est de celui-là qu'il faut s'occuper.

Une armée, disait le général Morand, doit être « une machine solide et simple. Il n'y a de bon à la guerre que ce qui est simple, » disait de son côté le grand Frédéric. Trochu ajoute : « Les armées, on l'oublie trop souvent, sont faites pour la guerre, et cette grande loi de la simplicité s'impose impérieusement à tous les faits qui règlent l'existence et l'action des troupes en campagne. Là, tout ce qui n'est pas simple n'est pas possible. »

« On perd de vue, disait le général Bugeaud dans la paix, les exigences de la guerre et on fait les armées pour la paix. »

Toutes ces autorités, je les cite, pour bien faire comprendre à quel point de vue je me placerai et quelles considérations me guideront dans l'examen auquel je vais me livrer.

Je voudrais adopter pour formule : Maximum d'effet utile pendant la guerre ; minimum de charges publiques pendant la paix.

Avec le général Trochu, dont il me sera impossible de ne pas citer le nom à chaque instant, je chercherai à prouver que, contrairement à l'opinion généralement admise, « la réorganisation de l'armée consiste moins dans une loi de recrutement et dans des accroissements d'effectif que dans le redressement de quelques erreurs et le perfectionnement des moyens. »

« Ayez, disait le conseil supérieur de la guerre en France, sous la restauration, c'est-à-dire lorsque dans son sein siégeaient encore les officiers généraux qui avaient fait toutes les campagnes de la république et de l'empire et dont l'expérience était sans prix ; ayez dans la paix 1° des finances bien conduites ; 2° un bon matériel de guerre ; 3" des corps spéciaux instruits et toujours prêts ; 4° une organisation régimentaire basée sur des cadres et des dépôts largement constitués.

« Comptez, pour le reste, sur l'esprit public et sur le patriotisme du pays. »

Ce sont ces principes dont la sagesse et la solidité ne sont pas contestables et qui furent formulés à une époque où la France avait abjuré tout esprit de conquête, qui me semblent devoir recevoir en Belgique toute leur application et inspirer toutes nos résolutions.

C'est à ces principes élémentaires que j'essayerai de ramener l'organisation de notre armée.

Quant au premier point, des finances bien conduites, je ne dois heureusement point m'y arrêter. Seulement, avoir des réserves d'argent, constituer en Belgique, à l'instar de ce qui a été fait en Prusse, une caisse de guerre me semble une idée peu pratique, sinon irréalisable, et je partage en tous points l'avis des honorables membres qui, dans le sein de la commission mixte, l'ont combattue.

Le deuxième point, avoir un bon matériel de guerre, me paraît aussi complètement résolu. Les fonds votés à diverses reprises par la législature ont permis au gouvernement de pourvoir à toutes les nécessités. L'armement des places, comme celui des hommes, me semble être, à la hauteur des derniers progrès réalisés dans l'art de la guerre.

Je passe donc immédiatement au troisième point,

Ici, messieurs je serai obligé de m'arrêter quelque peu, car je voudrais voir introduire des réformes dans l'état existant des choses.

La première de toutes, celle dont la nécessité, de l'aveu de tout le (page 460) monde, de la commission militaire du gouvernement, de la section centrale, est la plus urgente c'est la réorganisation de l'état-major.

On sait que pour l'organisation de ce corps d'élite qui constitue la tête de l'armée, la tête qui voit, combine et dirige suivant l'expression d'un auteur belge, deux systèmes sont en présence.

L'un fait de l'état-major un corps spécial ayant son mode de recrutement et d'avancement particulier, c'est le système français ; l'autre, le système prussien, prend les officiers dont il a besoin dans les rangs de toutes les armes.

Le premier s'alimente presque exclusivement par les écoles militaires ; le deuxième trouve dans l'armée entière la vaste pépinière où il puise indéfiniment.

Il me paraît inutile, après le rapport du comité militaire que vous avez tous sous les yeux, d'établir ici une comparaison entre les deux systèmes et de faire la description de chacun d'eux. Le premier, vous le savez, a prévalu en Belgique ; ses vices, principalement en temps de guerre, or c'est pour la guerre qu'on fait les armées, sont si flagrants, si incontestables, que je suis heureux d'avoir entendu le gouvernement se rallier aux propositions de la section centrale.

Je voudrais aller plus loin et je me demande si, en attendant que l'école supérieure de guerre à établir près de l'école militaire actuelle, soit installée et ait pu rendre l'effet utile que l'on attend d'elle, si, en raison même du temps qui nécessairement devra s'écouler avant que le nouveau système puisse fonctionner, il ne serait pas utile, dans l'intérêt d'un recrutement dont le besoin peut se manifester plus rapidement qu'on ne pense, de faire appel dès aujourd'hui aux éléments capables que l'armée contient.

Ne pourrait-on publier un programme des connaissances nécessaires ? Admettre aux examens les officiers de toutes les armes ? Délivrer des brevets ou des diplômes afin d'avoir sous la main, lorsque le moment d'agir sera venu, tous les hommes en état de rendre des services ?

L'idée d'instituer en quelque sorte un doctorat ès sciences militaires doit-elle être rejetée à priori ?

Si je ne me trompe, la 30ème promotion va sortir cette année de l'école militaire ; évidemment parmi ces anciens élèves, l'armée doit compter encore aujourd'hui un grand nombre d'officiers capables d'entrer, sinon d'emblée ou moins après une préparation de peu de durée, à l'état-major.

Je soumets cette idée qui, au reste, n'est pas neuve et n'est pas de moi, à la bienveillante attention de M. le ministre de la guerre.

Voilà donc pour le recrutement, messieurs. Je le crois assuré par l'adoption des mesures proposées par la section centrale ainsi que par celle que je viens d'indiquer brièvement. A une condition toutefois, me semble-t-il, condition essentielle, c'est qu'avec le nouveau mode de recrutement on fasse aller de pair un nouveau mode d'avancement ; si, en d'autres termes, on reprend le système prussien tout entier, et qu'on rende au bout d'un certain temps à l'armée les éléments qu'on lui aura empruntés. Aujourd'hui l'état-major est une impasse d'où, une fois entré, on ne sort plus. L'avancement y est d'une lenteur extrême et ne peut guère s'y faire qu'à l'ancienneté. Tel officier d'une capacité reconnue a la certitude quasi absolue de ne pouvoir jamais atteindre aux grades supérieurs, à moins de cas de guerre.

Il se voit dépasser par tous ses camarades d'école qui sont chefs de corps alors que lui-même n'occupe encore que les grades moyens de son arme. Et pourtant la science, lui la possède, lui l'a acquise au prix de longues et de constantes études. Je voudrais, contrairement à ce qui existe, que l'état-major, au lieu d'être une impasse, fût un passage que nécessairement tout officier, à quelque arme qu'il appartînt, dût avoir traversé avant d'arriver aux hauts emplois de l'armée. Je ne sais si je ne suis trop absolu en formulant ainsi ma pensée, mais je voudrais que dans un avenir donné, nul ne pût être nommé chef de corps sans avoir servi dans l'état-major.

Ne découlerait-il pas de là un double avantage ? L'officier d'état-major resterait officier de troupe ; au lieu de s'isoler presque complètement de l'armée proprement dite, il vivrait par des permutations successives en contact avec elle. L'officier de troupe, de son côté, acquerrait des connaissances spéciales qu'aujourd'hui il n'a pas ; les aptitudes naturelles enfin, qui jouent un si grand rôle dans toutes les entreprises humaines, pourraient se manifester plus librement que maintenant.

Au surplus, il est pour moi une chose évidente, c'est qu'infailliblement on sera amené à agir ainsi et à faire fonctionner chez nous le système prussien à l'état complet. Peu servirait d'établir l'école de guerre, de faire appel aux hommes d'étude et de science, la demande en ceci, comme en toute chose, se réglera sur la valeur de l'offre, et s il n'y a pas des chances d'avancement certaines, si l'avancement lui-même n'est pas davantage qu'aujourd'hui basé sur la capacité, je ne puis m'empêcher de douter du succès de la réorganisation projetée, en tant qu'elle ne soit appliquée qu'au seul mode de recrutement du corps d'état-major.

Je viens de parler d'avancement, il m'est impossible, messieurs, de ne pas dire un mot de cette partie de notre administration militaire, car, suivant le mode qui prévaut, les destinées d'une armée donnée peuvent être compromises ou sauvées.

Il y a deux modes d'avancement, l'un à l'ancienneté, l'autre au choix. Le premier représente l'intérêt privé, le second l'intérêt général. Je me demande si la part faite à chacun de ces deux genres d'avancement est sainement établie, si dans notre armée, où la loi détermine les règles à suivre, l'ancienneté en fait ne domine pas outre mesure le mérite.

Il y a, dit l'auteur d'une brochure qui a paru sous la signature d'un ancien membre du Congrès national, a il y a, pour un Etat dont l'armée a des proportions aussi limitées que la nôtre, une difficulté sérieuse dans la nécessité de rencontrer en tout temps l'aptitude que réclame le commandement en chef d'une armée, dans le petit nombre d'officiers généraux entre lesquels son choix est circonscrit. Si la Belgique possède aujourd'hui, parmi ses neuf lieutenants généraux, des hommes dignes par leur mérite des plus hautes positions militaires, elle ne peut espérer que cette bonne fortune se renouvellera souvent dans ce petit cercle où, en réalité, on parvient par l'ancienneté bien plus que par le mérite ; car dans notre armée, si la loi a cru faire la part de l'ancienneté et celle du mérite, dans le fait l'ancienneté domine tout : l'intérêt particulier des officiers a enchaîné ce qu'on appelle le choix, de telle sorte que les prétendues nominations au choix se font encore entre un petit nombre des plus anciens. »

« C'est un moyen sans doute d'exclure le favoritisme, mais ce moyen coûte cher, s'il retient dans les rangs inférieurs, jusqu'à ce qu'ils ne jouissent plus de la plénitude de leurs forces physiques et intellectuelles, les hommes si peu nombreux chez lesquels se révèle une vocation de chef d'armée. »

« Qu'on fasse sa part à l'ancienneté qui est l'intérêt privé ; mais que le mérite, c'est-à-dire l'intérêt général ait aussi la sienne, si petite qu'on veuille la faire. Qu'il lui soit permis d'arriver dans toute sa force à des fonctions que lui seul sait remplir ; dont dépendent la vie de milliers d'hommes et le sort du pays entier.

« L'Autriche a reconnu, au lendemain de Sadowa, ce qui lui en coûtait d'avoir méconnu les droits de la capacité dans l'avancement des officiers et son premier soin a été de restreindre ceux de l'ancienneté. »

Le général Trochu, de son côté, écrit : « L'avancement est soumis à des règles fixées par la loi ; il n'a conséquemment rien d'arbitraire. Mais ce sont les principes qui manquent, pour l'application judicieuse de ces règles, depuis 50 ans qu'elles existent. Ainsi les propositions et les promotions sont trop souvent faites sous les impressions et dans le sens des besoins du moment, rarement dans des prévisions d'avenir. Or, l'avancement en soi touche surtout à des questions d'avenir et les résout virtuellement. »

« Il serait très important que l'Etat réservât des rémunérations spéciales à certains services, à certains mérites.

« L'avancement n'en serait plus la récompense obligée. On distinguerait expressément, sous ce dernier rapport, entre les officiers qui ont l'avenir d'un chef de bataillon, d'un colonel, d'un général, proportionnant le développement de la carrière de chacuu, à l'étendue de ses facultés, aux preuves qu'il aurait faites, aux garanties qu'il offrirait pour l'exercice du-commandement, à ses divers degrés, dans les guerres à venir. »

« Il conviendrait également, écrit le colonel Brialmont, que l'on modifiât la loi sur l'avancement, de telle sorte que les grades supérieurs ne fussent plus donnés exclusivement à des officiers approchant de la limite d'âge fixée pour la retraite.

« La loi de 1836 accorde au choix la moitié des nominations dans les grades inférieurs, et la totalité des nominations dans les grades supérieurs.

« Or, voici comment cette loi est appliquée dans l'infanterie et, en général, dans toutes les armes.

« Les inspecteurs généraux se réunissent annuellement à Bruxelles, (page 461) pour arrêter la liste des officiers qu'ils jugent aptes à recevoir de l'avancement. Cette liste comprend tous les candidats qui, par leur conduite et leur manière de servir, n'ont donné lieu à aucune plainte. On n'exclut donc que les indignes et les incapables. C'est un choix par élimination, mais non pas un choix réel.

« Nommer à tour de rôle tous ceux qui sont aptes à remplir les fonctions d'un grade plus élevé, c'est en réalité nommer à l'ancienneté. Le choix véritable est celui qui parmi les bons prend les meilleurs. »

Et plus loin :

« Si nos régiments n'ont pas toute la vitalité qu'ils devraient avoir et si l'on est embarrassé chaque fois qu'il s'agit de nommer un chef de corps ou un général, cela tient à ce que les nominations depuis très longtemps ne se font plus qu'à l'ancienneté. Ce système tue l'émulation, paralyse le travail, énerve les caractères. Aucune initiative ne peut exister et aucun progrès n'est possible dans une armée où les capitaines arrivent au grade de major à l'âge de 54 ou 55 ans, et où les colonels, à peine nommés, doivent s'occuper de leur installation pour le jour prochain de la retraite.

« Une armée dont les chefs sont jeunes, vigoureux, aura toujours une grande supériorité sur celle dont les cadres sont remplis de vieux officiers, ayant perdu toute activité physique et morale. Or, nous en sommes là. »

Eh bien, messieurs, je dis que si réellement nous en sommes là, il est grand temps d'aviser.

Il me paraît superflu de faire ressortir la gravité de la question que je viens d'agiter ; elle est en effet de nature à inspirer de sérieuses réflexions.

De la solution que l'on lui donnera, peut dépendre non seulement la vie de plusieurs milliers d'hommes, mais le salut même et l'indépendance du pays. C'est l'avancement qui fait que les cadres sont bien ou mal composés, que l'armée est bien ou mal conduite. Tous les sacrifices que le pays s'est imposés durant de longues années peuvent devenir vains, en un seul jour, si les forces destinées à le défendre devaient être confiées à des mains inhabiles.

Je n'ai pas une telle crainte pour le moment actuel ; je redis volontiers avec l'ancien membre du Congrès national, que la Belgique possède aujourd'hui, parmi ses lieutenants généraux, des hommes dignes par leur mérite des plus hautes positions militaires ; mais avec lui aussi, je dis : peut-on espérer que cette bonne fortune se renouvellera souvent ?

Il me resterait à parler maintenant, messieurs, des autres corps spéciaux, plus particulièrement de celui de l'intendance, appelé à jouer un si grand rôle en temps de guerre et au sujet duquel j'aurais désiré présenter quelques observations. Mais je crains d'abuser des moments de la Chambre et je veux remettre à la discussion des articles ce que j'aurais à dire sur ces divers points.

Je passe donc sans transition à la quatrième et dernière proposition sur laquelle le conseil supérieur de France a fondé son système de défense, à savoir une organisation régimentaire basée sur des cadres et des dépôts largement constitués. Parmi toutes les questions que cette proposition soulève, il en est une que je désire traiter dès maintenant avec quelque détail ; elle est relative à ce que le rapport de la section centrale a appelé, à juste titre, la grave question « du temps que les miliciens des diverses armes doivent être retenus sous les drapeaux. »

L'exposé des motifs du projet de loi du mois d'octobre a traité ce point. Le projet de loi lui-même porte que désormais l'incorporation se fera le 1er décembre et que le temps de présence continue sous les armes pour le milicien d'infanterie sera réduit à 26 mois. Ces 26 mois expirés, les miliciens seront envoyés dans leurs foyers, puis rappelés sous les armes pour un mois, 3 fois, jusqu'à leur passage dans la réserve, c'est-à-dire jusqu'à l'époque où la loi les autorise à se marier.

En supposant donc que le système du gouvernement ait été mis en vigueur au 1er décembre 1867, voici quel aurait été le sort du milicien.

Incorporation, 1er décembre 1867.

Quatre mois d'hiver, 4 mois.

Période d'été, 1er avril - 1er octobre 1868, 6 mois.

Six mois d'hiver, 1er octobre 1869 au 1er avril 1869, 6 mois.

Période d'été, 1er avril au 1er octobre 1869, 6 mois.

Quatre mois d'hiver, 1er octobre 1869 au 1er février 1870, 4 mois.

Renvoi dans les foyers au 1er février 1870, sauf à revenir trois fois pendant un mois.

Total de la durée du service continu : 26 mois.

Voilà le projet primitif du gouvernement.

Il a été modifié dans la séance d'hier, en ce sens que la durée totale du service continu est portée à 29 mois.

La section centrale de son côté, y a apporté des changements. Elle admet la date de l'incorporation au 1er décembre, mais elle réduit la présence du milicien sur les armes à 22 mois.

Les 4 mois qu'elle enlève au chiffre proposé sont les 4 derniers ; ceux de la troisième période d'hiver allant du 1er octobre au 1er février.

Elle garde les trois rappels d'un mois demandés par le gouvernement.

Ce sont donc ces chiffres de 29 mois et de 22 mois qui constituent la différence entre les deux combinaisons qui vous sont soumises, que je me propose d'examiner de plus près.

Mon travail est singulièrement facilité par les développements auxquels l'honorable rapporteur de la section centrale s'est livré et par l'exposé clair qu'il a fait de l'historique de la question.

Il résulte de sa note que lorsque en 1851 le gouvernement résolut d'appeler une première commission mixte à examiner toutes les questions qui intéressent l'organisation militaire du pays, l'immensité des détails qui se rapportaient à cette mission l'avait engagé à instituer trois commissions spéciales : la première chargée d'examiner tous les établissements militaires du pays ; la deuxième de réviser, s'il y avait lieu, les allocations d'argent, de vivres, de fourrages de l'armée ; la troisième d'étudier la loi de recrutement.

Voici comment la deuxième commission, celle des allocations, fixait la durée probable du service pour les miliciens des diverses armes :

Infanterie, 18 mois.

Cavalerie, 3 ans.

Artillerie de siège et batteries montées, 19 à 20 mois.

Artillerie à cheval, 3 ans.

Génie, 18 mois.

La troisième commission, celle du recrutement, ayant posé à M. le ministre de la guerre la question formelle :

« Combien d'années le gouvernement croit-il qu'il convienne de tenir les miliciens sous les armes ? » reçut, à la date du 29 mars 1851, la réponse suivante :

« J'ai l'honneur de vous informer qu'un minimum d'un an et demi de service, actif pour l'infanterie et de trois ans pour les autres armes, étant généralement admis comme indispensable pour former des hommes propres à faire la guerre, je pense que le comité que vous présidez peut adopter ces données pour base de son travail. »

La commission ne statua pas et la question, arrivée devant la commission mixte elle-même, fut soumise de nouveau par celle-ci à d'autres sous-comités composés pour chaque arme des officiers y appartenant.

Les nouvelles conclusions furent :

Pour l'infanterie : 3 ans de séjour consécutif.

Pour la cavalerie : 4 ans de séjour consécutif.

Pour le génie : 3 1/2 ans de séjour consécutif.

Appelée enfin à se prononcer en dernier ressort sur tous ces avis, la commission, sans faire de distinction entre les armes, proclama que le minimum du temps de présence sous les drapeaux devait être fixé à trois années consécutives.

Mais lorsqu'elle formula en application le principe qu'elle venait de voter, elle recula, car le budget de la guerre se trouva singulièrement grossi ; elle se borna donc à décider « qu'en aucun cas le temps de service ne pourrait être au-dessous de deux ans et demi ; » elle réduisait la durée du service pour diminuer le chiffre du budget.

Des travaux de 1851 est sortie la loi de 1853.

Depuis lors la durée normale du service dans les différentes armes se répartit ainsi :

Infanterie :

Carabiniers et grenadiers, 3 ans 3 mois.

Ligne et chasseurs à pied, 2 ans 4 mois.

Remplaçants et substituants, 3 ans 4 mois.

Cavalerie, 4 ans et 6 mois.

Artillerie :

Batteries de siège, 3 ans.

Batteries montées, 3 ans 1/2.

Batteries à cheval, 4 ans.

Génie, 3 ans.

Voilà donc, messieurs, brièvement résumés, les antécédents ëe l'état actuel de la question.

Que résulte-t-il de tout cela ?

(page 462) En premier lieu, me paraît-il, que la fixation du temps nécessaire pour former, dans les diverses armes, un bon soldat a beaucoup varié, et qu'elle semble ne reposer sur aucune base certaine, puisque le minimum déclaré comme tel indispensable a changé pour l'infanterie, par exemple, du simple au double, de 1 1/2 à 3 ans ; pour la cavalerie de 3 à 4 1/2 ans.

En second lieu que la réduction proposée par le gouvernement à 29 mois et celle de la section centrale à 22 mois, pourraient bien ne pas être le dernier terme de ce qu'il est, possible et utile de faire. C'est ce que je me propose d'examiner maintenant. Je me placerai encore, au point de vue de l'aphorisme du maréchal Bugeaud, aphorisme si vrai pour tous les Etats, mais particulièrement pour la Belgique qui ne peut jamais être appelée qu'à une guerre purement défensive : à savoir que les armées doivent être faites pour la guerre et non pas pour la paix.

Je voudrais élaguer de nos institutions militaires tout ce qui ne concourt pas directement à constituer la solidité, la valeur technique des troupes sur le champ de bataille.

« L'école des éclaireurs-tirailleurs renferme toute la science de la guerre, disait le général Morand ; Porter en avant, en arrière, à droite, à gauche, ces petites masses mobiles ainsi protégées, chacune pouvant, elle-même se ployer où se déployer en divers sens, voilà toute la série des manœuvres utiles, et, possibles, de la bataille. »

Les théoriciens, dit Trochu, accumuleront un volume de raisonnements, de propositions et de formations autour de ce ces simples et judicieuses pratiques de guerre ; mais le principe et l'esprit des manœuvres de combat, décrites par le vieux général de l'empire, demeureront, parce qu'ils sont dans la nature et la force des choses.

Il faut les réglementer en quelques pages, dit-il, et il ajoute : « Aujourd'hui nos généraux et nos chefs de corps se présentent à l'ennemi, la tête pleine de formules, c'est-à-dire pleine des 846 articles du règlement des évolutions de ligne, la plupart inexécutables à la guerre. »

« Ne formez que des carrés de bataillon s'appuyant réciproquement, écrit Bugeaud, grand carré, grande manœuvre, grande déroute. »

« Il faut réduire l'ordonnance à quelques pages, écrivait déjà Morand, rejeter tout ce qui est dangereux, au moins inutile, ne garder que ce qui est applicable à la guerre, et au lieu de fausser l'esprit des officiers et de charger leur mémoire par une mauvaise étude, faire en sorte qu'ils n'appliquent leur attention qu'à ce qu'il faut pour obtenir des succès. »

« Aujourd'hui, continue Trochu, que les progrès de l'artillerie et de la mousqueterie ont doublé et triplé, en avant des lignes, la distance où l'on tue ; aujourd'hui que sur le champ de bataille les masses ne sont réellement en complète sécurité nulle part ; que tout le secret de la guerre est dans la vitesse réglée, l'ordre et le silence, que l'inflexible rigidité de l'ancienne ligne prussienne a été remplacée par l'élasticité, par la mobilité et par l'indépendance relative des éléments qui la forment, n'est-il pas évident que la simplicité, la clarté dans la théorie, la facilité et la rapidité dans l'exécution font la loi absolue des manœuvres et de la tactique moderne ? »

Les écoles de soldat, de peloton et de bataillon sont d'une complication infinie. Les évolutions de ligne qui les complètent, qui les couronnent et qui sont les manœuvres pour la bataille passent tout ce qu'on peut imaginer, sous le rapport de ('accumulation des détails théoriques, de la longueur et de la diversité des commandements, et enfin tout ce qui peut rendre ce code du combat d'une application impossible à la guerre !

Ce sont des manœuvres de garnison superposées à des manœuvres de garnison, inventées pour le temps où les troupes pouvaient opérer processionnellement sur le terrain, à l'abri des coups, même à une faible distance de l'ennemi.

Voilà, messieurs, les réclamations que l'état de choses encore existant en France a fait naître, les progrès que les hommes de guerre, dont l'autorité ne saurait être contestée, désirent y voir introduits.

Serait-il téméraire de ma part d'exprimer le vœu de voir ces mêmes idées rationnelles et progressives appliquées en Belgique ?

Notre code de combat, à savoir nos écoles de soldat, de peloton et de bataillon, n'est-il pas aussi d'une complication excessive ?

Les 384 articles de l'école du soldat ; les 388 articles de l'école de peloton ; les 898 articles de l'école de bataillon, les 272 articles de l'école des tirailleurs qui forment ensemble deux volumes de 524 pages et 1932 articles, ne sont-ils susceptibles d'aucune réduction ? En quoi servent-ils à la clarté et à la simplicité dans la théorie, à la facilité et à la rapidité dans l'exécution ; cette loi absolue des manœuvres et de la tactique moderne. Que reste-t-il, au champ de bataille, le seul critérium de la valeur d'une organisation militaire, de toutes ces prescriptions, de toutes ces formules.

Faut-il en Belgique, pays neutre qui ne peut courir aux armes que lorsque son territoire est menacé, faire de l'art pour l'art ; se complaire dans les stériles difficultés de quelque manœuvre de garnison ; ou, vaut-il mieux, suivant en cela les sages conseils des grands hommes de guerre que j'ai cités, réglementer « en quelques pages » les manœuvres de combat, et préparer, par l'éducation de la paix, nos troupes à leur destination toute spéciale ?

Cela étant, messieurs, quels avantages de toute nature pour le pays, ne résulterait-il pas d'une telle simplification ?

Dans la guerre, par cela même qu'on aurait débarrassé l'esprit de l'officier de tout ce que les règlements y auraient entassé d'oiseux et d'inutile ; les mouvements du soldat de tout ce que la tradition leur a imposé de prétentieux, de contenu et de compassé, n'approcherait-on pas, pour un effectif donné, du maximum d'effet utile ?

Et dans la paix une large réduction dans le temps que désormais le milicien devrait passer sous les drapeaux, afin de parfaire son éducation militaire, ne nous amènerait-elle pas autant que possible vers ce minimum de charges publiques, que j'ai établi comme le second terme de ma formule en fait d'organisation militaire ?

Dix-huit mois, disait la commission des allocations de 1851, sont suffisants pour faire un soldat d'infanterie ; un an et demi en effet suffisent, déclare de son côté le ministère de la guerre.

Non, répond la commission mixte de 1851, il faut 3 ans ; aujourd'hui 2 ans et demi sont considérés comme le minimum indispensable.

Où est la vérité ?

La vérité est dans la question même ; elle s'impose à tous ceux qui l'examinent sans parti pris, avec une évidente clarté.

Suivez de près la vie du soldat, telle qu'on la lui fait durant les deux années et demie qu'il passe sous les armes. Voyez le nombre d'heures consacrées par semaine à son éducation militaire proprement dite ; faites le compte de ce qui en pourrait être élagué, par une simplification de ce qu'on a appelé le code du combat ; défalquez du temps passé à la caserne toutes les heures écoulées dans l'oisiveté ou dans des occupations qui n'ont qu'un rapport fort éloigné avec la véritable mission du soldat ; et vous arriverez comme moi à cette conclusion que, bien loin que d'avoir besoin de 3 années ou de 2 ans et demi pour faire l'instruction militaire du milicien d'infanterie, les 18 mois indiqués par la commission de 1851, proclamés suffisants par le département de la guerre d'alors, au lieu d'être un minimum, sont un maximum, qu'il n'est nécessaire de dépasser pour quelque raison que ce soit.

J'ai lu, messieurs, avec la plus grande attention, le rapport spécial produit à ce sujet, par un honorable général qui occupe avec une grande distinction une des plus hautes positions de l'armée belge.

Ce rapport, qui est fait avec un soin minutieux, est un exposé complet de tout ce qui constitue l'éducation et l'instruction du soldat ; il conclut à une présence continue sous les armes de 2 ans et demi.

Eh bien, messieurs, à moins de se placer au point de vue fort élevé, fort généreux d'ailleurs, où s'est mis l'honorable auteur de ce rapport ; c'est-à-dire à moins de considérer l'armée comme une vaste école d'adultes ou les qualités intellectuelles et morales de l'homme et les vertus du citoyen sont autant développées que les facultés ou les aptitudes purement militaires du milicien, on arrive évidemment à une conclusion contraire, et à cette conviction que l'éducation technique du soldat d'infanterie ne saurait prendre deux ans et demi.

On est singulièrement fortifié dans cette conviction lorsqu'on suit de près, comme je l'ai déjà dit, les tableaux du service journalier de l'un ou de l'autre régiment de ligne. J'ai eu l'occasion d'examiner en détail un tel tableau ; de suivre d'heure en heure, depuis le réveil jusqu'au coucher, l'existence du soldat telle que ces tableaux la lui font.

Eh bien, messieurs, tout ce que j'ai vu, tout ce que j'ai lu, m'a fortifié dans cette conviction, que le laps de temps proposé en 1851, à savoir 18 mois, suffit pour la formation complète du soldat d'infanterie. A plus forte raison en sera-t-il ainsi lorsque, suivant en cela les recommandations des grandes autorités militaires que j'ai invoquées, on aura réduit « à quelques pages » les 524 pages qui forment le règlement actuel sur l'exercice et les manœuvres de l'infanterie, et qu'on aura élagué des 1932 articles y relatifs tout ce que ceux-ci contiennent d'inutile et de superflu.

Quelle diminution de charges pour le pays, messieurs, si l'absence du milicien hors du foyer paternel pouvait être réduite à 18 mois ! quelle (page 463) augmentation de la richesse générale, principalement à la campagne où tant de bras manquent !

Je formule le vœu, messieurs, que l'honorable ministre de la guerre, lui-même si compétent en ces matières, prenne en considération sérieuse les conseils et les avis des hommes distingués dont j'ai cité l'opinion ; que, révisant dans une large mesure le règlement des manœuvres, si compliqué aujourd'hui, suranné et d'une application presque impossible à la guerre, il réduise par cela même, dans une large mesure aussi, le séjour du milicien sous les drapeaux.

Avec l'honorable rapporteur de la section centrale, je désire que la notable économie d'argent qui résultera de la réduction du temps de service du milicien ne soit pas acquise tout entière au trésor ; mais qu'elle soit en partie consacrée à rendre plus digne et meilleure la position du sous-officier.

Je crois avec lui que la difficulté de recruter les cadres inférieurs est réelle, et qu'elle s'accroîtra en présence des réductions proposées. Avec l'honorable colonel Brialmont, enfin, je voudrais que d'autres avantages fussent faits aux sous-officiers, et qu'en particulier on examinât la question du mariage pour ceux d'entre eux qui renonceraient à tout avancement.

« Les sous-officiers, dit-il, exercent une grande influence sur l'instruction et l'esprit de l'armée. On ne doit négliger aucun moyen de conserver sous les drapeaux ceux qui peuvent rendre service.

« C'est pendant le combat, dit le général Trochu, que le rôle des cadres inférieurs, en apparence si modeste, est en réalité si grand. Le soldat connaît la voix de ses tuteurs, de ses éducateurs ; il les suit, et ne sépare pas sa fortune de la leur. Les cadres, dit-il, sont la force des armées, et l'éducation morale et professionnelle des cadres en vue de la guerre devrait être la constante préoccupation des généraux vraiment dignes et vraiment capables de remplir leur mission auprès des troupes. »

Rien ne me paraît plus vrai, messieurs, et pourtant rien ne me paraît plus méconnu que ceci en Belgique. Je m'explique. S'il est évident que l’on a besoin du sous-officier pour former le milicien, il est aussi évident qu'on a besoin des miliciens pour former le sous-officier, et que ce serait désorganiser l'infanterie que de ne laisser aux premiers, pour me servir des termes du rapporteur de la section centrale, pendant une partie de l’année, que des squelettes de compagnies.

Il est incontestable que les réductions de temps proposées dans le séjour du milicien sous les drapeaux auront pour effet un appauvrissement de l'effectif.

Il est nécessaire de parer à ce mal qui exercerait une influence pernicieuse sur l'éducation professionnelle des cadres, point si essentiel pour la solidité de toute armée. Le remède dont l'application souffrira, je n'en disconviens pas, des difficultés plus ou moins grandes, mais qui s'indique de lui-même, c'est la suppression des petites garnisons.

Il existe aujourd'hui en Belgique, d'après le tableau fourni par la section centrale, 27 places garnies de troupes, dont quelques-unes, au nombre de six, ont un effectif qui varie de 160 à 400 hommes.

Eh bien, messieurs, n'y a-t-il pas une utilité évidente, une nécessité urgente à supprimer la plupart de ces petites garnisons ?

Tous les hommes de guerre ne sont-ils pas d'accord sur ce point que la trop grande dispersion des troupes dans les garnisons est une cause d'affaiblissement pour l'armée ?

« En fractionnant de la sorte les régiments et les bataillons, on affaiblit l'instruction et l'esprit de corps, dit le colonel Brialmont, et en même temps l'administration à un tel point, que les colonels négligent le service actif pour s'occuper exclusivement de travaux de cabinet.

« Si l'armée, continue-t-il, occupait 5 ou 6 villes seulement, on pourrait donner une grande extension aux travaux pratiques, développer l'instruction et entretenir l'activité morale qui décline si rapidement dans les petites garnisons. »

La dispersion des troupes anciennement pouvait s'expliquer d'abord par le grand nombre de forteresses qui existaient dans le pays, et ensuite parl a nécessité d'avoir, en l'absence d'un réseau de chemins de fer et de voies de communication rapides, un peu de troupes partout, pour veiller à l'ordre public. Ces deux motifs de dispersion n'existent plus aujourd'hui ; mais il en est resté un troisième ; c'est l'intérêt local, c'est-à-dire le bénéfice qui résulte pour les habitants d'une localité donnée de la présence d'une garnison permanente. Mais celui-ci en somme est un intérêt particulier qui doit céder devant l'intérêt général ; alors surtout que ce dernier est d'une importance aussi majeure que dans l'espèce.

La transformation que je réclame est non seulement utile et avantageuse au point de vue technique de l'éducation militaire, où je me suis placé tout à l’heure ; elle est une nécessité de premier ordre dans le temps où nous sommes, quand la vitesse en tout est devenue l'invincible loi de la guerre et qu'elle deviendra l'aptitude prépondérante des armées.

Elle seule permettra la rapidité dans la concentration, le concert et l'énergie dans l'exécution quand l'heure d'agir sera venue.

C'est une considération de la plus haute importance, sur laquelle tous les auteurs se sont longuement étendus, et que je recommande à toute la sollicitude du gouvernement.

Cette même considération m'amènerait logiquement à m'arrêter un instant à la question si grave de la mobilisation de l'armée ; car, comme le dit fort bien le rapport de la section centrale, « une armée quelles que soient les dépenses qu'on s'impose en temps de paix, ne rendra point les services qu'on attend d'elle, si on ne la rend promptement et pour ainsi dire spontanément mobilisable. »

Avec la section centrale j'aurais insisté sur ce point, si je n'avais rencontré, pour me donner tout apaisement, une déclaration de l'honorable général même, qui se trouve aujourd'hui à la tête du département de la guerre. « Le temps n'est plus, disait dès 1851 l'honorable M. Renard, où l'on se menaçait longtemps d'avance, où l'on n'avait pas la crainte d'être pris au dépourvu, où l'on avait le temps de dresser et d'organiser ses recrues. Nous sommes à l'époque de rapides invasions, les chemins de fer les rendent plus redoutables encore.

« Malheur donc au pays qui reporte au moment de la guerre le soin de créer et d'organiser les corps destinés à le défendre ! »

Après une telle déclaration il me semble superflu d'insister.

Je termine, messieurs ; il est bien d'autres points que j'aurais voulu traiter, mais je n'ai que trop abusé déjà des moments de la Chambre. Je conclus donc.

Dans le long exposé que je viens de faire, et où j'ai eu l'honneur de faire connaître mes idées générales sur la réorganisation de l'armée, je crois ne point m'être départi de la plus extrême prudence. Je crois n'avoir avancé aucune proposition qui ne fût formulée déjà avant moi par les hommes les plus éminents de la science militaire.

J'ai suivi pas à pas leurs conseils et leurs instructions ; j'ai abrité en toute circonstance mon incompétence personnelle sous leur autorité incontestée ; pour me servir d'une expression triviale, j'ai fait mon discours à coups de ciseaux. Et pourtant, messieurs, voici à quelles conclusions j'arrive :

Réduction du dispositif de défense.

Réduction de l'effectif.

Réduction du contingent.

Réduction du temps de service.

Réduction du nombre de garnisons.

Sans que ces réductions puissent avoir pour conséquence, en quoi que ce soit, de diminuer la valeur de notre dispositif de défense, ou l'effet utile et la puissance de notre armée sur le champ de bataille.

Et cependant, quelle diminution de charges en résulterait pour le pays, en temps de paix ! que de bras seraient rendus à l'industrie et à l'agriculture !

Quoi qu'il en soit, je tiens à déclarer que je n'ai été guidé, dans l'examen de l'importante question que nous sommes appelés à résoudre, par aucune idée préconçue ou mesquine. Je n'entends point mettre aux enchères le salut et l'indépendance du pays ; mon patriotisme sera à la hauteur de tous les sacrifices que l'honneur de la Belgique pourra réclamer. Avec l'ancien membre du Congrès national, auteur de la brochure que j'ai citée, je crois que nous serions les indignes gardiens du trésor de notre indépendance, si nous laissions au domaine du hasard ce qu'une vigilance plus mâle et plus active pourrait lui enlever.

Seulement j'ai voulu m'éclairer, j'ai cherché à appliquer à notre armée les préceptes si sages et si simples à la fois du conseil supérieur de la guerre en France ; ramener l'organisation de nos forces aux quatre principes élémentaires qui forment la base de tout système de défense ; avec le général Trochu, enfin, j'ai voulu démontrer que la réorganisation de l'armée consiste moins dans une loi de recrutement et dans des accroissements d'effectif, que dans le redressement de quelques erreurs et le perfectionnement des moyens.

Je serais heureux d'avoir réussi.

M. Bouvierµ. - Je prends la parole dans cette grave discussion avec une grande défiance de moi-même, ayant à m'occuper d'une matière où je ne puis invoquer que les lois du bon sens en abritant mon langage sous l'autorité des hommes de guerre pour dégager une responsabilité qui n'aura jamais été plus lourde, car il s'agit dans ce solennel (page 646) débat de tout ce que le Belge a de plus cher au cœur, de patrie, d'honneur, de sécurité et d'indépendance nationale, en un mot de tout ce qui éveille dans l'âme humaine les profondes motions.

Ma tâche a d'ailleurs été rendue facile par l'exposé lumineux que nous a fait dans la séance d'hier l'honorable M. Thonissen, exposé qui résume les principales considérations émises par les meilleurs esprits sur la nécessité pour la Belgique de constituer fortement ses forces défensives.

A quel spectacle assistons-nous, en effet, en Europe ? Nous voyons tous les gouvernements, chez les grandes comme chez les petites nations, en vue d'éventualités dont la nature ni le caractère ne sont point nettement déterminés, augmenter à l'envi leurs forces militaires. L'Europe offre aujourd'hui, en quelque sorte, l'image d'un vaste camp ; la paix ne paraît aux yeux des moins clairvoyants que comme une trêve pour préparer des batailles nouvelles ; on possède cette paix sans pouvoir compter sur elle.

Do cette situation étrange et anormale peut sortir un choc formidable bien fait pour effrayer les petites agglomérations de peuples, telles que la Hollande, la Suisse et la Belgique.

Aussi ces deux premières nations ont-elles fait et font-elles des dépenses considérables pour être prêtes en cas d'une conflagration qui peut devenir générale.

Dans l'état actuel de l'Europe où les étonnants événements de 1866 l'ont placée, où la carte de celle-ci a été si gravement et si facilement modifiée, la Belgique ne pouvait rester indifférente ; aussi son gouvernement l'a-t-il compris, et par un arrêté en date du 19 décembre 1866, il a institué une grande commission, composée de sommités civiles et militaires du pays, ayant pour objet d'examiner toutes les questions relatives à notre établissement militaire et spécialement celles qui touchent à l'organisation de l'armée en raison des changements introduits dans le système de nos places fortes, des progrès accomplis dans l'art militaire, de la prompte mobilisation de notre armée et de son mode de recrutement.

Cette commission s'est livrée à un examen très approfondi des questions qui lui furent soumises. Je pensais qu'elle aurait fourni la base du projet de loi à soumettre à la législature, mais mon étonnement a été grand lorsque je restai convaincu que ce projet ne rencontrait presque point le travail auquel je viens de faire allusion. Aussi la section centrale chargée de son examen le modifia-t-il profondément en se rapprochant du travail de la commission qui paraissait plus approprié à une bonne organisation ; en équilibrant plus rationnellement les forces de chaque arme.

C'est donc avec le plus vif intérêt et une grande satisfaction que j'ai écouté les explications fournies dans la séance d'hier par l'honorable ministre de la guerre en ce qui touche les modifications introduites par la section centrale au projet de loi soumis à nos délibérations.

Le gouvernement se rallie à celles-ci, sauf quelques points de détail sur lesquels il sera facile de se mettre d'accord. Je le félicite d'autant plus sincèrement de cette situation qu'elle aura pour conséquence d'abréger singulièrement les débats qui s'ouvrent devant nous.

Avant d'aborder les diverses questions spéciales du projet de loi qui trouveront leur développement ultérieur dans la discussion des articles, je demanderai à M. le ministre de la guerre si, en démolissant la citadelle du sud, en modifiant celle du nord, en établissant deux forts et une digue défensive sur la rive gauche de l'Escaut, il n'y aura pas lieu de construire sur la rive droite un fort en avant de Merxem, d'où les Anglais bombardèrent Anvers en 1814. Je désire savoir s'il n'y aura pas nécessité d'établir, outre une tête de pont à Termonde, de nouveaux forts soit à Lierre, soit à Malines ou ailleurs pour former une sorte de quadrilatère, si enfin, après avoir donné noire vote sur ces modifications et le projet de loi en discussion enfin satisfait, dans l'intérêt d'Anvers, à ce qu'elle appelait ses réclamations, il peut nous affirmer, sous la grave responsabilité qu'il assume, que la défense nationale du territoire belge est définitivement assurée, et si le pays est arrivé au dernier terme de ses sacrifices pour asseoir cette défense, et, puisque je viens de parler d'Anvers, le pays n'aura pas oublié les sommes considérables qu'elle lui a coûtées.

Après avoir obtenu la liberté de l'Escaut pour développer son commerce, enlevé à la législature la grande enceinte, qui devait lui procurer l'air et l'espace, vu ses propriétés frappées de servitudes militaires atteindre une plus-value de 47 p. c., voilà que les citadelles dont elle se plaignait vont disparaître, que de grands et nouveaux espaces vont s'ouvrir devant elle pour lui permettre de creuser de larges bassins et lui fournir de splendides emplacements pour créer une ville nouvelle.

Voilà les nouveaux bienfaits dont un gouvernement libéral l'accable aujourd'hui. Je ne m'en plains pas, mais je ne dois pas dissimuler que je croyais que tous les sacrifices imposés au pays pour Anvers étaient arrivés à leur dernière limite, ce qui m'autorisait à proclamer, il y a quelques années, que la question d'Anvers n'existait plus, qu'elle était définitivement enterrée.

Aujourd'hui elle renaît à la vie plus rayonnante de jeunesse que jamais. Cependant, je le répète, je ne m'en plains pas, comme le font si inconsidérément les députés qu'elle a envoyés dans cette enceinte, qui, au lieu de monter au Capitole et de rendre grâce aux dieux de tant, de si grands et de si nouveaux bienfaits, restent stupéfaits et ahuris de la voir renaître, si brillante d'avenir, et cela sans eux, malgré eux, contre eux.

M. Jacobsµ. - Chantons la Brabançonne.

M. Bouvierµ. - Vous pouvez chanter la Brabançonne. Il n'y aurait pas de mal.

MpDµ. - M. Bouvier, ne répondez pas aux interruptions.

M. Bouvierµ. - Que ces mêmes divinités leur accordent enfin le repos et fassent succéder dans leur âme, aux agitations stériles, ce calme dont ils doivent éprouver l'impérieux besoin. Tel est le dernier et suprême vœu que je leur adresse avec toute la sincérité dont mon cœur est capable.

Cela dit sur Anvers, je suis d'accord avec toute la Chambre sur ce sujet.

L'honorable M. Thonissen a démontré hier que la Belgique, avec une bonne et solide organisation militaire, restera à l'abri de tout danger si par malheur une guerre venait à éclater entre la France et la Prusse. En effet dès que les belligérants auront la conviction que celui des deux qui envahirait le territoire belge y trouverait un premier corps mobile de 70,000 à 80,000 hommes pour lui disputer pied à pied le sol de la patrie et une seconde armée résolue à défendre le grand réduit d'Anvers avec la possibilité de soutenir un siège d'au moins six mois, aucun d'eux n'aura intérêt à occuper notre pays, dans la crainte d'y être devancé par son adversaire, tandis que si nous ne sommes pas prêts à la défense, vous créez aux belligérants non pas le devoir mais l'obligation de s'emparer de cette Belgique riche et si peuplée, et j'ajoute que si notre neutralité armée n'était point respectée, nos forces iraient augmenter celles de ces puissances qui n'auraient point violé notre territoire et placer ainsi l'envahisseur entre deux armées ennemies et une forteresse redoutable. Jamais la Belgique n'aura rencontré une occasion plus belle pour affirmer sa volonté d'être et de rester un peuple libre et indépendant.

Elle ne serait, d'ailleurs, jamais une force ni une sécurité pour ceux qui voudraient s'en emparer. Ils auront contre eux les mœurs et les habitudes d'un peuple qui a combattu pendant des siècles pour conquérir sa nationalité. Jamais le Belge n'a sympathisé et ne sympathisera avec l'étranger. Toute notre histoire démontre qu'elle n'est qu'un long combat pour l'éloigner du territoire national.

En présence des complications politiques qui peuvent surgir d'un moment à l'autre et mettre en péril notre existence comme nation, un intérêt politique de premier ordre dicte la conduite de la Belgique, c'est d'être prête pour attendre avec sécurité l'épouvantable choc qui pourrait se produire.

Un intérêt moral et économique se lie étroitement à cette position. Au point de vue moral, un peuple qui ne saurait pas défendre sa neutralité, même garantie, ne trouve jamais d'auxiliaire pour lui prêter son concours. Il tombera sous le mépris universel des nations qui méritent véritablement ce nom.

Au point de vue économique, rappelons ces pages lamentables de notre histoire dans lesquelles nous lisons qu'en 1794 notre territoire à peine envahi par la France fut frappé d'une contribution de guerre s'élevant à 42 millions de francs, sans tenir compte de toutes les horreurs et des ruines accumulées sur toute la surface du royaume. Calculez aussi si nous avions le malheur de perdre notre nationalité et d'appartenir à la France, par exemple, l'honorable M. Thonissen vous l'a indiqué aussi, le budget militaire de cette nation s'élevant à 588,727,942 fr. la part proportionnelle delà Belgique serait de 78 millions par an que vous devriez payer en murmurant tout bas, tandis qu'aujourd'hui vous pouvez parler haut et ferme sur un budget ne s'élevant pas à 37 millions.

Pour éviter de pareils désastres, il faut que la Belgique organise une défense sérieuse, que la nation accorde tout ce qui est nécessaire en tenant compte de ses ressources financières pour la rendre efficace et possible. Car il ne s'agit pas pour nous, représentants du pays, de gémir (page 465) sur l'inutilité des armées permanentes, sur leur improductivité et sur la folie de ces grands armements absorbant les ressources les plus précieuses de tous les Etats de l'Europe. Nous nous trouvons en présence d'un grand fait, les forces militaires poussées entre les nations voisines à leur dernière puissance.

Que nous reste t-il à faire ? Mettre notre état militaire dans la meilleure situation possible et pour y arriver, faire, je le répète, les défenses nécessaires pour épargner à notre patrie un immense et incalculable désastre. Quand les grandes nations auront donné l'exemple du désarmement, que l'horizon politique sera serein, que les solutions ne seront plus remises aux hasards sanglants des batailles, nous ferons comme elles, et je ne serai pas le dernier à faire entendre ma voix pour arriver à ce résultat.

En attendant avec impatience ce jour heureux et si désiré par les peuples laborieux, je veux, pour assurer sa sécurité, faire reposer les destinées de mon pays sur une bonne organisation de notre armée et la soustraire ainsi à ces préoccupations énervantes où la placent nos discussions dans lesquelles son existence est périodiquement mise en péril.

N'oublions pas que la force matérielle d'une armée est peu en comparaison de sa force morale et que c'est compromettre l'indépendance du pays que de marchander toujours cette grande institution.

Cette manière de voir vous indique assez que je ne partage point l'idée produite par M. Coomans et soutenue par quelques rares adhérents de la gauche, idée qui consiste à armer la Belgique entière pour s'opposer à toute tentative d'envahissement. Cette opinion est fondée sur ce qu'il n'est permis à aucun Belge de se soustraire à la défense de son pays, que ce droit de défense est sacré et qu'il s'impose à lui comme le plus impérieux des devoirs.

Je ne méconnais point ce qu'un pareil système d'organisation renferme de générosité et de patriotisme, et je ne sais s'il ne formera pas la base future des institutions démocratiques modernes, mais je pense pas qu'il se prête au caractère belge, à ses goûts, à ses tendances, à ses mœurs, à ses idées, à ses traditions. M. Coomans a-t-il songé au profond trouble qu'une innovation semblable apporterait à l'organisation civile de la Belgique, à la perturbation considérable qu'elle occasionnerait à nos finances, a-t-il évalué le budget que comporterait l'armement de toutes les forces vives de la nation, la perte de temps qu'exigent le maniement des armes, les corvées, les rassemblements, le campement, etc. ? Est-il bien convaincu qu'une armée recrutée sur l'universalité des Belges assurerait la sécurité du territoire ? Quant à moi, malgré mon incompétence en matière militaire, je n'hésite pas à dire que je n'oserai assumer devant mon pays la responsabilité d'un semblable système.

L'honorable M. Thonissen vous a dit, hier, que le projet de loi que nous discutons n'est pas populaire dans le pays. Je ne partage pas cette manière de voir. Pourquoi ne le serait-il pas ? Qu'est-ce qu'on demande à la Belgique ? Deux mille hommes de plus par an, dont mille restent sept mois sous les armes et cela avec augmentation de population de 600,000 âmes, depuis la loi de 1853 et une aggravation de deux millions sur les budgets précédents, alors que l'honorable membre reconnaît lui-même que notre situation financière est excellente, que de 1853 à 1868, le budget des voies et moyens s'est élevé de 128 à 160 millions, c'est-à-dire qu'il s'est accru de 41 millions en treize ans ? Il n'y a là aucune exagération. Non, l'impopularité ne frappera pas ceux qui auront accepté cette situation nouvelle dans l'intérêt de la défense du pays. Le sentiment du devoir doit être notre seul guide dans les graves conjonctures où la Belgique est placée, et si au mois de juin prochain, me présentant devant mes électeurs, je succombais, pour avoir loyalement voté les dépenses indispensables à sa sécurité, je m'inclinerai devant le verdict avec le sentiment d'avoir consciencieusement rempli mon mandat, et je rentrerai dans la vie civile avec le même calme que celui qui m'a élevé à la vie publique.

Les courtes considérations dans lesquelles je viens d'avoir eu l'honneur d'entrer indiquent le vote affirmatif que j'émettrai sur le projet de loi, sans préoccupation aucune de certaines criailleries qui s'élèvent dans quelques rares meetings où l'on agite avec un grand fracas les questions dites de militarisme ; et en le faisant, je croirai avoir posé un acte de bon citoyen, avec le sentiment d'avoir placé la sécurité de ma patrie, riche, prospère et libre surtout au-dessus de ces mesquines questions d'argent qui conduisent les peuples à la perte de leur nationalité, sans sauver ni leur honneur ni leur dignité.

M. Hayezµ. - Messieurs, les événements militaires qui se sont passés en 1866 ont causé une émotion, je dirai presque une panique générale en Europe.

Plusieurs gouvernements, cédant à des craintes que je regarde comme exagérées, ont agi de la même manière que s'ils pensaient devoir être attaqués du jour au lendemain.

Nous-mêmes nous avons cédé au mouvement général, mais avec un peu plus de réserve. Une commission a été nommée et a reçu la mission d'examiner si l'organisation actuelle de notre armée suffit aux exigences de la défense nationale.

La commission a élaboré un rapport savant et consciencieux, mais il m'est impossible de me rallier à ses conclusions, que je crois pouvoir résumer ainsi :

Toutes les puissances de l'Europe multiplient leurs armements ; elles prennent des mesures pour faire marcher jusqu’à leur dernier homme ; nous devons agir comme elles ; nous devons, pour conserver notre nationalité, lever et entretenir l'armée la plus nombreuse possible.

Je ne puis partager cet avis, messieurs, je le répète ; je pense, au contraire, que la Belgique ne doit avoir qu'une armée faible en nombre, mais forte par ses institutions.

Notre pays, neutre en vertu des traités, se trouve serré entra deux puissances de premier ordre, qui, s'étant déclaré la guerre, pourraient trouver utile à leurs intérêts de traverser notre territoire pour vider leur querelle.

Les partisans d'une armée de cent mille hommes disent que cette armée doit d'abord faire tous ses efforts pour défendre nos frontières menacées et, en cas d'échec, se retirer sur Anvers pour y maintenir notre drapeau.

Je le demande, messieurs, peut-on, de sang-froid, se faire assez d'illusion pour supposer que notre armée, rassemblée à la hâte, n'ayant jamais fait la guerre, commandée par des chefs n'ayant d'autre expérience que celle à laquelle ils sont forcément réduits, celle des opérations toutes pacifiques et concertées des campements annuels, peut-on supposer un instant que cette armée, fût-elle de cent mille hommes et animée du plus grand courage, arrête une armée deux fois plus forte qu'elle et par le nombre et par l'expérience des champs de bataille.

Après une défaite, que je regarde comme inévitable,, notre armée se retirera, dit-on, sur Anvers, qu'elle pourra défendre fort longtemps suppose-t-on.,

Nos soldats, j'en suis très convaincu, sauront sacrifier"leur vie lorsque ce sacrifice deviendra nécessaire, mais faut-il l'exiger quand tout porte à croire qu'il sera infructueux ?

Je veux bien admettre que le triomphe de nos adversaires aura été chèrement acheté, mais je ne puis croire que ses pertes l'empêchent de continuer sa marche à travers notre pays.

J'admets encore que les débris de notre armée, je dis débris, car on sait ce que devient, après une défaite, une armée jeune sous tous les rapports ; j'admets que cette armée parvienne, à se retirer dans Anvers, à s'y réformer, à s'y aguerrir un peu en escarmouchant avec les partis ennemis qui la tiendront en observation. Mais ce résultat ne s'obtiendra pas en un jour et, suivant toutes les apparences, on n'y sera arrivé que lorsque la campagne sera décidée et, quel que soit le vainqueur, qu'avons-nous à attendre de lui ? Rien de bon. Je n'ai aucune foi dans la probité lorsqu'il s'agit de politique, elle ne prend que l'intérêt pour guide,

On dit que, si notre armée est forte, les puissances en guerre se garderont bien d'envahir notre pays pour ne pas nous engager à nous joindre à celle qui aura le plus longtemps respecté notre neutralité. Est-il absolument nécessaire que les choses se passent ainsi ? N'est-il pas plus probable que les hostilités seront précédées de négociations qui auraient pour but de nous engager, nous, puissance militaire de quelque poids, à nous allier avec l'un de nos voisins, en faisant briller à nos yeux un avenir séduisant ? Serions-nous, dans ce cas, assez sages pour éloigner toute tentative de ce genre ? Je n'ose le croire.

Si, foulant aux pieds les traités auxquels nous devons notre nationalité, nous nous joignons à l'une des puissances belligérantes, il peut arriver que nous facilitions son triomphe ; mais, pendant toute la campagne, notre armée aura reçu des ordres du généralissime étranger ; elle aura probablement été fractionnée et mêlée aux divisions alliées ; elle en prendra l'esprit, les tendances ; elle cessera peu à peu d'être nationale ; et pourrait-on assurer que, le triomphe obtenu, elle ne prenne pas en pitié notre neutralité et ne désire pas rester en position (page 466) d'acquérir encore ce qu'on appelle de la gloire ? Tel est le soldat : il éprouve de la répugnance à s'engager dans une vie de hasards, mais il s'y fait promptement et finit par trouver insupportable le joug de la discipline des casernes, lorsqu'il a goûté des licences de toute nature qu'il se permet impunément en temps de guerre.

D'un autre côté, n'avons-nous pas à craindre que la paix ne se rétablisse à nos dépens ?

On nous donne comme un argument puissant en faveur de l'organisation d'une grande armée, la lettre qui nous demande si nous sommes en mesure de défendre nos frontières. La Prusse comme la France peut nous adresser la même question. Répondrons-nous à ces puissances en rassemblant cent mille hommes à chacune de nos frontières, ou bien, aurons-nous la prétention de repousser les attaques avec la moitié de l'armée proposée pour tenir la campagne ?

Messieurs, tous les partisans d'un armée nombreuse ne sont pas unanimes sur l'emploi qu'il en faut faire en cas de danger.

Quelques-uns, ayant mis de côté toute illusion, pensent que cette armée ne doit pas risquer les hasards d'une rencontre en rase campagne avec un adversaire ayant sur elle trop d’avantages, mais se replier sur Anvers, le plus lentement possible, pour entraver la marche de l'ennemi et s'y renfermer enfin lorsque y sera contrainte.

Je dois convenir, messieurs, que ce système est le plus sage à mes yeux ; le plus rationnel, vu l'état de nos forces militaires et celui de nos adversaires probables. Mais il répugne aux esprits ardents et faciles à s'enthousiasmer ; il répugne surtout à notre armée qui désire montrer que le long repos auquel elle a été condamnée, fort heureusement d'après moi, ne lui a pas enlevé le courage dont nos ancêtres ont donné tant de preuves. Mais, faut-il, pour satisfaire ce vœu, très convenable sans contredit, compromettre de toute manière l'avenir de notre patrie ?

Notre armée rassemblée dans Anvers ne sera pas précisément condamnée à l'inaction, même si l'ennemi ne vient pas l'y assiéger, ce qui pourrait fort bien arriver ; elle fera des excursions fréquentes qui pourront gêner les armées belligérantes guerroyant dans notre pays ; mais elle ne pourra prendre parti ici pour l'une ni pour l'autre ; la paix rétablie nous laissera t-elle ce que nous étions avant la guerre ? Il est permis d'en douter.

Je le répète, messieurs, une armée de 60,000 hommes, tenant la campagne, n'est pas aussi facile à conduire qu'on pourrait bien le croire.

Je ne veux, en aucune façon, contester les talents de nos officiers généraux, mais il y a de ces choses qui ne s'improvisent pas ; il ne suffit pas qu'un chef d'armée conçoive un plan de campagne irréprochable ; il a besoin, pour transmettre ses ordres, d'intermédiaires que l'expérience seule parvient a former ; et je n'ai pas besoin de dire que l'expérience nous manque complétement ; autre chose est de manœuvrer dans un camp, sur un terrain connu et exploré, ou sur un champ de bataille rapidement reconnu et en présence d’un adversaire dont tous les efforts tendent à vous engager dans de faux mouvements dont il se hâtera de profiter ; où, en un mot, tout doit être quelque sorte être improvisé.

S'il m'est pénible, messieurs, d'avoir été amené à concevoir ces opinions, il m'est bien plus pénible encore de devoir les exprimer.

Voila donc, d'après moi, tout ce que nous avons à attendre d'une armée aussi nombreuse que celle que l'on propose de lever ; peu de chance de succès pendant les hostilités, incertitude sur notre sort, au rétablissement de la paix.

Et cependant nous y aurons sacrifié la partie la plus vigoureuse de notre population, la meilleure partie de nos richesses.

Et. qu'on ne m'accuse pas de manquer de patriotisme ; tout le monde l'entend à sa manière ; je l'ai déjà dit, messieurs, je ne crois pas qu'il consiste à prodiguer les millions, ni à faire périr inutilement des masses de citoyens utiles à leur pays.

Quand il s'agit d'intérêts aussi graves, il faut savoir maîtriser son imagination pour ne rien abandonner au hasard.

Qu'il me soit permis de placer ici ces courtes réflexions philosophiques : comment se fait-il qu'à une époque où l'on s'occupe si fort du bien-être des condamnés, de la vie des plus grands coupables, on envoie à la mort, de gaieté de cœur et sans nécessité bien reconnue, tant de braves gens utiles à leur famille, à leur pays et qui, presque toujours ignorent les causes qui les amènent à égorger d'autres hommes placés dans des conditions à peu près semblables ?

Comment se fait-il qu'à une époque où l'on prétend la civilisation avancée, les nations se témoignent leur confiance mutuelle en multipliant de plus en plus leurs armements ?

Comment se fait-il enfin qu'un acte réputé crime, lorsqu'il s'agit d'individus isolés, on en petit nombre seulement, excite l’admiration, ou s'attire la louange, lorsque c'est une nation qui le commet ?

La force brutale serait-elle donc encore toute-puissante en ce siècle de lumières ! Lui érigera-t-on toujours des autels ?

J'ai dit, messieurs, qu'une armée peu nombreuse me semble devoir être préférée par nous à celle que le gouvernement désire mettre sur pied.

Cette armée, je la voudrais de 25 à 30 mille hommes, pas davantage, elle serait composée d'infanterie, de cavalerie, d'artillerie, d'un corps du génie et d'un autre d'état-major, et ces différentes armes seraient réparties dans les proportions admises jusqu'à présent.

Le chiffre peu élevé de cette armée permettrait d'augmenter la solde des sous-officiers et soldats, mesure que l'on sera toujours forcé de prendre, tôt ou tard, puisqu'il serait révoltant de traiter nos soldats moins bien que les prisonniers, dont la nourriture reste indépendante des fluctuations des prix des denrées alimentaires.

Cette augmentation de bien-être attirera très probablement les volontaires, dont le chiffre est aujourd'hui de 10 mille environ.

Comme je ne voudrais pas plus de 20 mille hommes sous les armes, en temps ordinaire, il ne faudrait que 10,000 miliciens, remplaçants et substituants.

Cette mesure permettrait de réduire à 5,000 le contingent annuel de chaque levée de miliciens, qui serviraient 2 ans consécutifs, après lesquels ils passeraient dans la réserve pour 3 ans. A 25 ans, tout milicien serait complètement libéré du service militaire. -

D'après cela le gouvernement pourrait, avec les volontaires, faire marcher une armée de 35 mille hommes ; mais à cause des pertes inévitables, ce chiffre se rapprocherait beaucoup de 30 mille.

De cette armée, 20 mille hommes seraient toujours sous les armes ; et, si ou le jugeait utile, on pourrait, chaque année, rappeler pour un mois une classe de milice afin de la faire participer aux manœuvres d'ensemble qui s'exécuteraient ainsi avec 25 mille hommes environ pour cette période de campement qui serait seule dans l’année ; toutes les casernes seraient vidées ; on n'y laisserait que le strict nécessaire pour former une grand-garde, et cela dans les grandes villes seulement ; les élèves de l'école militaire iraient également au camp, avec leurs professeurs militaires ; ce serait un moyen pour les uns d'apprendre la vie du soldat, pour les autres de ne pas l'oublier. Avant 1830, la presque totalité de l'armée quittait ses garnisons à l'époque des manœuvres d'ensemble.

Pour la mise à exécution d'un pareil projet qui ne devrait être qu'un acheminement vers un ordre de choses meilleur, la conscription serait maintenue ; mais la charge qu'elle fait peser sur les familles diminuerait de moitié, ce serait déjà quelque chose. Je me rallierai du reste volontiers à tout autre système de recrutement qui, en la remplaçant, fournirait les moyens de réunir une armée proportionnée à notre importance politique,

Je me rallierais plus volontiers encore à un autre système qui consisterait à ne garder en permanence qu'un noyau indispensable d'armée, auquel viendrait se joindre, en cas de besoin, toute la population virile indistinctement : on obtiendrait de cette manière une armée tout à fait nationale, et qui serait d'autant mieux disposée à défendre nos institutions, qu'elle aurait un plus grand désir de les conserver.

Je n'ai pas besoin, messieurs de m'étendre sur les avantages pécuniaires qui seraient la conséquence de la réduction de notre armée au chiffre de 30 mille hommes. D'autres avantages seraient aussi obtenus : En cas de mise sur le pied de guerre, le rassemblement se ferait facilement et vite, ce qui est un point essentiel, vu la rapidité très probable d'une invasion, si elle avait lieu ; l'instruction militaire pourrait être meilleure ; rien ne s'opposerait à ce qu'elle se fît au camp en grande partie ; les officiers de tout grade se familiariseraient avec le commandement en campagne, et, la guerre éclatant, nous serions moins exposés aux déceptions dont la conséquence deviendrait désastreuse avec une armée quatre fois plus grande.

Il est évident, messieurs, qu'avec une armée du chiffre de 30 mille hommes, il ne peut être question de tenir tête à l'armée d'invasion d'une des deux grandes puissances voisines, il est évident encore que, réduits à nos propres forces, nous devons, dans tous les cas, nous résigner à courber la tête devant la nécessité. Mais une invasion n'aura lieu que si les puissances rivales veulent se rencontrer sur notre territoire ; alors nous nous retirerons avec ordre devant le premier envahisseur, nous nous joindrons à son adversaire, pour lequel nous deviendrons un appoint certain. En un mot nous ferons la manœuvre que firent les Bavarois en (page 467) 1805, manœuvre prônée en ces termes par l'un des membres les plus distingués de la commission mixte : « Ce pays sut prendre immédiatement parti, et sa petite armée, sans se laisser entamer, fit retraite vers l'armée française qu'elle rejoignit à Wurzbourg. Un mois après, ses soldats rentraient triomphants et les premiers dans Munich. »

Messieurs, s'il y a de la honte à céder, sans combattre, à un adversaire à peu près de même force, une petite nation pourrait s'attirer le reproche de faire du donquichottisme si elle engageait à elle seule une lutte avec une puissance dix fois plus forte qu'elle ; cette conduite ne serait justifiable que si la nation tout entière était résolue à vaincre ou à mourir, à ne laisser que des ruines à son agresseur. En agissant ainsi, elle donnerait sans aucun doute la preuve d'un grand amour pour son indépendance ; mais, à l'époque où nous vivons, peut-on songer à une pareille extrémité ?

En adoptant le plan que je propose, nous aurons, pour le moment, un allié certain ; cependant cette question se reproduit toujours : Qu'adviendra-t-il de nous après une guerre entre nos deux puissants voisins, quel que soit le rôle que nous ayons joué pendant cette guerre ? Cette question peut même se poser dans le cas où notre neutralité aurait été respectée. Personne n'y répondra que par des suppositions. Rappelons-nous les théories émises naguère sur l'existence des petits Etats.

Avec une armée de 60,000 hommes et plus, nous voudrons avant de nous retirer affronter les chances d'une bataille ; après une défaite, à mon avis, certaine ou à peu près, nous nous retirerons à Anvers, ou bien, nous marcherons vers la frontière opposée, pour y chercher un allié ; nous y arriverons avec une armée désorganisée dont cet allié éventuel fera probablement moins de cas, que d'une petite armée qui se serait retirée en bon ordre devant un ennemi qu'elle ne pouvait avoir la prétention d'arrêter.

Je ne puis omettre de dire, messieurs, que la garde civique devra venir en aide à l'armée ; elle pourra être utilement employée en couvrant les ailes de l'armée et en facilitant ainsi le service si important de la subsistance de cette armée, qui avec un tel concours ne devra faire aucun détachement et restera compacte.

Mais, dira-t-on, que deviennent, avec ce système, les projets que l'on a formés sur Anvers ? que devient ce boulevard de notre nationalité dont l'établissement a causé une émotion si profonde dans tout le pays ?

Messieurs, si j'avais eu l'honneur d'être admis à émettre mon avis sur l'opportunité d'élever cette forteresse, j'aurais dit : Anvers est notre seul port de mer important ; son commerce fait vivre une grande partie du pays ; il y répand même la richesse ; au lieu de l'envelopper dans de nouveaux remparts, au lieu d'y créer de nouveaux établissements qui éveillent toujours la défiance du commerce, renversez ceux qui existent ; rendez à ce commerce le plus de vie possible ; donnez-lui l'espace. vous lui donnerez de la vie, et, en agissant ainsi, vous rendrez au pays un immense service, vous assurerez bien mieux son indépendance que par tous vos vains appareils guerriers.

Voici les motifs sur lesquels je base cette opinion, hasardée peut-être aux yeux de quelques-uns, mais qui, j'en suis assuré, ne manque pas d'adhérents.

Je suis loin, messieurs, de prétendre à une grande compétence dans les questions si délicates qui ont rapport à la défense du pays ; mais la divergence qui se remarque dans les avis des hommes réputés les plus capables en pareille matière, les opinions si diverses qui se font jour à des intervalles si rapprochés, m'enhardissent à faire connaître ma pensée, tout comme chacun de nous a le droit de le faire, est même obligé de le faire, s'il croit pouvoir apporter des lumières nouvelles dans la discussion.

Je commencerai par poser cette question bien catégorique : Anvers a-t-il réellement l'importance militaire qu'on lui attribue depuis si longtemps ; sa possession est-elle aussi enviée qu'on le prétend, par l'Angleterre ou la France ?

Je déclare sincèrement ici, messieurs, que je regarde comme considérablement exagérée l'importance militaire d'Anvers ; cette place a été pendant fort longtemps en possession du plus grand génie militaire des temps modernes. Qu'en a-t-il fait, quelle utilité en a-t-il tirée pour ses opérations de guerre ? Les travaux immense- qu'il y a fait exécuter sont fort utiles au commerce, mais au commerce seul. Lorsqu'il a remué l'Angleterre par la menace d'une invasion formidable, est-ce d'Anvers qu'il voulait faire partir ses armements ? A quoi lui a servi la flotte qui, pendant des années, n'est pas sortie du bassin ? Quelle utilité a-t-on tirée d’Anvers lors du cataclysme qui a réarmé le premier empire ?

En remontant plus haut, nous ne voyons pas les armées envahissantes qui ont pénétré dans notre pays se diriger sur Anvers, dont elles ne s'inquiétaient guère ; si elles y sont parfois revenues, ce n'est qu'après avoir obtenu des succès sur la ligne véritablement importante qu'elles ont suivie.

. Et je suis assuré que si, de nos jours, des armées étrangères venaient s'entrechoquer sur notre territoire, elles agiraient encore de la même manière ; elles laisseraient à la fièvre et à la famine le soin de détruire la garnison qu'on aurait renfermée dans les murs de notre métropole commerciale.

En cas de conflit européen, la France ou l'Angleterre n'aurait aucun intérêt à occuper Anvers, parce que, par suite d'inventions nouvelles dont l'efficacité est telle que leurs effets destructeurs effrayent l'imagination, la navigation de l'Escaut peut être rendue tellement dangereuse que ce fleuve cesserait d'être une communication assurée ; l'occupation de ce point n'aurait pas assez d'importance pour y renfermer une garnison suffisante à sa défense.

Anvers est un pistolet chargé contre l'Angleterre ; cette phrase célèbre que l'on attribue à un grand politique, mais que je crois plutôt avoir, comme tant d'autres, été inventée pour les besoins de la cause, cette phrase ne peut plus émouvoir personne depuis les changements notables qu'un demi-siècle a apportés à l'état des choses. Les ports que la France a créés et qu'elle créera probablement encore sur la mer du Nord doivent ôter à cette puissance tout désir d'occuper Anvers, comme position militaire.

Je ne crains pas, messieurs, d'être accusé de manquer de patriotisme, parce que je cherche à diminuer l'importance militaire d'une ville dont on a eu le tort de faire une grande forteresse ; mes paroles sonneront faux d'abord, c'est possible, mais j'ai confiance en l'avenir ; cette confiance, c'est l'expérience qui me la donne.

Que de changements de système n'avons-nous pas vus dans notre petit pays seulement ! Les forteresses érigées comme une barrière infranchissable contre les convoitises de nos voisins, sont tombées sans exciter aucun regret. Aujourd'hui, deux citadelles, déclarées indispensables, il y a quelques années à peine, vont, d'après l'assurance du chef du cabinet, être démolies ; elles seront remplacées par d'autres ouvrages, qui probablement tomberont en défaveur à leur tour ; tout le reste du système suivra, j'en ai la certitude, et l'on se demandera probablement alors comment nous avons pu être assez aveugles pour consacrer, à l'édification de remparts inutiles, les millions qui auraient pu faire d'Anvers un des plus beaux ports du monde entier.

Messieurs, si je pouvais espérer avoir contribué pour la moindre part à obtenir un tel résultat, je croirais avoir été plus utile à mon pays que ceux qui ne cherchent son salut qu'en imposant aux populations les sacrifices les plus pénibles et de toute nature.

Nous ne formons, numériquement, qu'une petite nation ; la force ne peut nous protéger contre les envahissements des deux puissances qui nous entourent ; mais je ne pense pas que l'une ou l'autre tente de confisquer notre territoire sans un accord préalable, et très immoral sans aucun doute, avec sa rivale. Ce que nous avons le plus à craindre, ce n'est pas la force des armes, mais la diplomatie ; c'est elle qui décidera de notre sort, si un jour il est remis en question. Ne nous ruinons donc pas et moralement et physiquement en déployant un appareil militaire, tout à fait stérile.

Dans la session de 1863 à 1864, j'ai dit à la Chambre ce qui, d'après moi, manquait aux fortifications d'Anvers ; mes opinions n'ont pas changé depuis. Je maintiens tout ce que j'ai dit alors, au point de vue de l'ingénieur militaire ; mais je persiste à croire que la ville d'Anvers, comme place de guerre, ne sera jamais utile au pays, ne contribuera en rien au maintien de noire nationalité.

En résumé, messieurs, je crois faire acte de bon citoyen en m'opposant aux dépenses exagérées dans lesquelles on veut engager le pays.

A mon avis, une armée peu nombreuse, mais bien composée et bien organisée, nous sera plus utile qu'une armée considérable, rassemblée à la hâte et manquant par conséquent de consistance ;

Modifions les institutions militaires existantes de manière à rendra aux officiers et aux sous-officiers le caractère de noblesse et de dignité, qui s'est considérablement amoindri depuis quelques années ;

Affranchissons-les de l'état d'ilotisme qui pèse sur eux ; faisons revivre dans leur cœur cette conviction féconde en bons résultats, que l'homme qui porte l'épaulette ne doit avoir qu'une crainte, celle de manquer à l’honneur ou à ses dvoirs ;

(page 468) Rendons autant que possible à l'officier le caractère, et les droits du citoyen belge en ne laissant plus sa carrière à la merci d'un seul homme, nécessairement et immanquablement influencé par son entourage ;

Qu'il obtienne, après avoir péniblement parcouru une carrière toute d'abnégation, les moyens de ne pas traîner ses dernières années dans un état voisin de la misère.

Enfin, que nos lois et nos règlements militaires soient faits pour tous ; que chacun y soit soumis rigoureusement ; qu'ils soient conçus et rédigés de manière a ne permettre qu'une seule interprétation et que leur application, surtout quand il s'agit de pénalités graves, ne puisse jamais être prononcée, si les débats n'ont été rendus publics.

J'estime, messieurs, que ces conditions sont toutes nécessaires à l'existence d'une bonne armée, grande ou petite, et aussi longtemps qu'elles ne seront pas remplies, je me rangerai parmi les adversaires du budget de la guerre.

Quant à nos institutions civiles, donnons-leur un cachet de liberté tellement accentué que nos populations, qui se distinguent déjà de celles de nos puissants voisins par un caractère marqué d'indépendance, en arrivent à former avec elles un contraste si complet, que toute assimilation paraisse devoir être impossible.

Efforçons-nous de donner à notre industrie une extension telle, que l'industrie de nos puissants voisins craigne d'engager avec la nôtre une lutte libre de toute entrave.

Là sera notre sauvegarde la plus assurée contre toute convoitise annexionniste.

- Des membres : A demain.

Projet de loi rectifiant le budget du ministère de la guerre de l’exercice 1868

Dépôt

MgRµ. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer le budget de la guerre rectifié.

MpDµ. - Il est donné acte à M. le ministre de la guerre de la présentation du budget rectifié, et, conformément à une décision antérieure, ce budget est renvoyé à la section centrale.

- La séance est levée à 4 3/4 heures.