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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 25 janvier 1868

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)

(Présidence de M. Moreau, premier vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 481) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Dethuinµ donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Reynaertµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants de Baudour demandent l'exécution de la loi sur les inhumations et la cessation du concours de l'armée aux cérémonies religieuses. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Baudour demandent le retrait de la loi du 23 septembre 1842. »

- Même renvoi.


« Le sieur Lignon, ancien militaire, demande une augmentation de pension. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Russon demandent le rejet du projet de réorganisation militaire. »

« Même demande d'habitants de Liège. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires.


« Des habitants de Berchem-Sainte-Agathe demandent l'augmentation de l'armée. »

- Même dépôt.


« Des habitants d'Heur-le-Tiexhe prient la Chambre de rejeter les nouvelles charges militaires, d'abolir la conscription et d'organiser la force publique d'après des principes qui permettent une large réduction du budget de la guerre. »

« Même demande d'habitants de Barchon-Cheratte, Chefneux-Wandre et du canton de Fléron. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires et renvoi à la section centrale du projet de loi sur la milice.


« Par deux pétitions, des habitants d'Andenhove-Sainte-Marie prient la Chambre de rejeter toute augmentation des charges militaires et de réviser les lois sur la milice. »

« Même demande d'habitants de Hillegem, Schendelbeke, Grammont, Nieuwenhove, Heldergem, Haeltert, Gysegem. »

- Même décision.


« Des habitants de Liège et des environs protestent contre les propositions de la commission militaire et demandent le remplacement de la conscription par un système mieux en rapport avec l'égalité des citoyens. »

- Même décision.


« Des habitants de Puers prient la Chambre de rejeter le projet de loi d'organisation de l'armée, l'augmentation du contingent, le système d'exonération et l’augmentation du budget de la guerre. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires et renvoi aux sections centrales chargées d'examiner les projets de lois relatifs au contingent et à la milice.


« Des ouvriers de différentes communes demandent l'abolition des lois sur la milice, la suppression des armées permanentes, la réalisation de leurs droits de citoyens. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires et renvoi à la section centrale du projet de loi sur la milice.


« Des habitants de Semmersaeke demandent le rejet du projet de loi qui augmente le contingent de l'armée, »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Des habitants de Bruxelles demandent le prompt achèvement des travaux de la nouvelle gare du Midi. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Wortel prient la Chambre d'accorder aux sieurs Chauchet et Bennert, la concession d'un chemin de fer d'Anvers sur Brecht et de là d'un côté sur Breda et de l'autre sur Hoogstraeten et Bar-le-Duc. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Petit-Hallet demande la suppression des barrières sur les routes de Huy à Tirlemont. »

- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.

Projet de loi modifiant la législation sur les marchands ambulants

Rapport de la section centrale

M. Descampsµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi portant abrogation de l'article 13 de la loi du 18 juin 1842 sur les marchands ambulants .

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Rapport sur une pétition

Rapport de la commission des pétitions sur la nomination d’office d’une institutrice communale à Enghien

M. Bruneauµ. - Avant d'aborder l'objet à l'ordre du jour, j'ai à présenter quelques observations sur le rapport de la commission des pétitions. Son rapport finit en ces termes :

« Maintenant les pétitionnaires s'adressent à la Chambre ; ils prétendent que l'article 10 de la loi de 1842 a été violé ;

« Que le droit de nomination leur appartient, en vertu des dispositions de l'article 84 de la loi communale et de l'article 10 de la loi de 1842 ;

« Qu'en fait, dans la nomination d'office, il y a eu piège et surprise ;

« De son côté, le sieur Troulez prétend que les dispositions de la loi de 1842 ont été manifestement violées.

« Votre commission n'a pas cru devoir trancher la question ; toutefois, elle a été d'avis que l'autorité provinciale, par sa décision quelque peu précipitée, a justifié en quelque sorte le reproche de surprise qui lui a été adressé. »

Je puis m'étonner que la commission n'ait pas poussé la prudence plus loin et qu'en s'abstenant de se prononcer sur le fond de la question, elle ait cru cependant pouvoir jeter un blâme indirect sur un haut fonctionnaire et s'associer à l'accusation de piège, de surprise, articulée par les pétitionnaires.

A ces qualifications M. de Woelmont a ajouté celle de supercherie et de mauvais vouloir, et M. Liénart, renchérissant encore sur ces épithètes, a qualifié l'acte posé par le gouverneur du Hainaut d'acte arbitraire et despotique.

Je suis convaincu que tous ceux qui ont connu l'honorable gouverneur du Hainaut, qui a siégé longtemps sur nos bancs, tous ceux qui ont pu apprécier l'esprit de modération, de prudence et de justice qu'il apporte dans l'exercice de ses fonctions, ne pourront pas admettre qu'il a pu se rendre coupable d'une violation de la loi et encore moins de pièges, de surprises, de manque de procédés.

Vous verrez tantôt, messieurs, que toutes ces qualifications, loin de devoir être attribuées à M. Troye, sont au contraire applicables à l'acte de l'autorité locale qui s'adresse à la Chambre.

M. le ministre de l'intérieur vous a démontré hier, avec son talent habituel, ce que valaient les accusations de violation de la loi, d'acte arbitraire et despotique, et l'honorable M. Liénart, en passant à côté de la question, a cru y répondre par une discussion théorique à sa fantaisie ; il a reproché au ministre de s'être trop étendu sur les faits, et je conçois que les faits gênent les honorables membres de la droite, mais ils oublient qu'il s'agit ici d'un acte d'administration et que l'administration (page 482) n'est que l'application judicieuse des lois, à des faits qui sont du domaine de la loi ; dans cette affaire, les faits dominent la question et au risque de déplaire aussi aux honorables membres de la droite, je dois revenir sur les faits et sur des faits plus intimes que M. le ministre de l'intérieur ignorait et que ma position particulière m'a mis à même de mieux connaître.

La ville d'Enghien est administrée par un conseil communal très uni, très homogène, votant à l'unanimité, comme l'a indiqué hier l'honorable M. de Woelmont, et j'ajouterai votant toujours comme un seul homme qu'on peut facilement personnifier. Ce n'est pas l'honorable bourgmestre que je veux désigner, et il n'entre pas dans mes intentions de dire rien qui lui soit désagréable. Je me rappelle toujours avec plaisir que naguère encore, nous combattions dans les mêmes rangs lorsque son honorable père était élu au Sénat par l'opinion libérale de l'arrondissement de Soignies, et je ne désespère pas de le voir rentrer au sein du parti libéral ; mais au-dessus du conseil communal, il y a à Enghien une famille très noble, très illustre, très puissante, ancienne famille souveraine allemande médiatisée, dont les nombreux agents ou obligés ont su faire de la petite ville un véritable fief électoral, au plus grand avantage de leur position personnelle.

Une haute et pieuse dame de cette illustre famille, qu'une mort récente vient de lui enlever, et dont personne plus que moi ne respecte et vénère la mémoire, semblait s'être imposé la tâche de restaurer à Enghien les institutions religieuses qui y existaient autrefois et dont elle avait acquis les anciennes propriétés.

Il ne m'appartient pas de blâmer ces intentions, chacun fait le bien comme il l'entend en ce monde, et je suis persuadé qu'elle avait l'intention de faire le bien ; mais il m'est permis aussi de penser que l'établissement de quelques bonnes fabriques procurant du travail et du pain aux classes ouvrières eût produit beaucoup plus de bien que la restauration de couvents et surtout d'un couvent de capucins dans une petite ville complètement dépourvue d'industrie et d'activité, et accablée d'un grand nombre de pauvres.

Si l'industrie n'y prospère pas, le couvent au contraire s'y est développé rapidement, et en peu d'années, de deux capucins qu'il y avait primitivement pour la garde des tombeaux de la famille, il est devenu maison de noviciat très peuplée.

Je ne sais si les pauvres s'en sont aussi bien trouvés, car vous savez que les capucins sont d'un ordre mendiant et je ne pense pas que la concurrence soit avantageuse aux participants dans cette industrie.

Il est vrai que les capucins d'Enghien auraient mieux aimé se faire rentiers afin de n'être plus forcés de côtoyer le code pénal qui défend la mendicité et ils avaient trouvé pour cela un moyen assez ingénieux.

Ils avaient proposé aux habitants de les débarrasser des importunités trop fréquentes de la besace en leur présentant une liste de souscription par laquelle chaque souscripteur s'engagerait à, pourvoir, selon ses moyens, aux besoins du couvent soit pendant un jour par an, soit un jour par mois,, soit un jour par semaine, et ils' 'étaient arrangés de manière que tous les saints du calendrier fussent pourvus.

Je connais des personnes, des dames très pieuses, très respectables, qui avaient accueilli favorablement ce moyen d'éviter des importunités.

J'en connais aussi d'autres, tout aussi pieuses et aussi respectables, qui ne l'ont pas autant goûté ; l'une même a motivé son refus par une considération qui m'a paru assez concluante, elle a répondu aux révérends pères qu'elle avait toujours craint de se marier, afin de n'être pas exposée à avoir la charge d'entretien d'un homme ne faisant rien, et qu'elle trouvait peu prudent, à son âge, de se mettre sur les bras tout un couvent d'hommes, même pour un jour par an.

Il paraît que l'observation a été trouvée assez généralement applicable ; car la besace a dû reprendre son cours.

Je vous demande pardon d'avoir mêlé les capucins à une question d'instruction à laquelle ils semblent devoir être étrangers.

Mais vous verrez tantôt que les couvents y jouent un grand rôle et en sont même la seule cause. Cela aide, du reste, à bien caractériser la situation qui est faite à la ville d'Enghien.

Il suffit, pour l'apprécier, de comparer l'état des établissements d'instruction à différentes époques dans cette ville.

Il y avait naguère à Enghien comme établissements laïques :

1° Un collège communal ;

2° Une institution primaire et moyenne pour garçons, tenue par M. de Graeve, puis par M. Berlaimont ;

3° Une école primaire communale pour garçons, tenue par MM. Bertau et Cusner. C'est celle dont a parlé hier M. le ministre de l'intérieur ;

4° Une école primaire communale pour filles, tenue par Mesdames de Grave, Gantois, puis Laurent ;

5° Une école primaire pour garçons, de M. P. Fancq ;

6° Une école primaire pour garçons, de M. J.-B.Staquet ;

7° Une école primaire pour garçons, de M. Henri Bertau ;

8° Une école primaire pour filles de Mlle Moreau ;

9° Une école primaire pour files de Mlle de Preysenaer ;

10°, 11° et 12° Et trois écoles de principes élémentaires et de catéchisme, tenues par les demoiselles Beuvelet, Lemore et Schoenheyt.

A cet état de choses, voyons, messieurs, ce que le conseil communal d'Enghien est parvenu à substituer.

Je dois dire qu'à cette époque, il n'y avait aucune école religieuse à Enghien et que cette petite ville n'était ni moins catholique ni moins morale ; je puis dire même qu'elle était plus catholique qu'à présent parce qu'il n'y avait pas alors une foule de cœurs froissés par l'intolérance qu'on leur fait subir aujourd'hui.

Lorsque le collège communal a dû cesser faute d'élèves, il fut remplacé par une institution dirigée par des frères ou pères appelés Picpus ; mais il paraît qu'ils ne réussirent pas, car leur institution fut remplacée quelque temps après par un collège épiscopal dirigé par le clergé et subsidié par l'Etat et par la ville ; les subsides s'élèvent, je pense, à la somme de 5,000 francs.

Ce collège prospère et j'en suis heureux. Il sert de pépinière aux séminaires de Tournai et de Malines et répond à un véritable besoin en permettant aux jeunes gens d'Enghien et des environs qui se destinent à la prêtrise de recevoir facilement les premiers éléments de leur instruction religieuse. Il procure aussi aux parents qui n'ont pas les moyens d'envoyer leurs enfants ailleurs, l'occasion de leur donner une instruction supérieure qui, d'où qu'elle vienne, produit toujours des fruits utiles dans l'avenir.

Mais ce collège, subsidié par la ville, ne tarda pas à faire concurrence aux écoles laïques qui y existaient en établissant des classes de septième et de huitième qui constituent de véritables écoles primaires où sont admis même des enfants de 8 à 10 ans, n'ayant pas encore fait leur première communion.

La ville a mis à la disposition du collège les principaux locaux qu'elle possédait et de plus les vastes locaux du couvent, qui antérieurement étaient occupés par les écoles communales. Ainsi, l'école de M. Bertau se trouvait dans ces locaux ; mais l'école primaire qui lui a succédé a été obligée d'en déguerpir pour les céder au collège épiscopal.

Nous trouvons en second lieu l'école primaire pour garçons tenue par des frères de la doctrine chrétienne, établie dans un local appartenant à S. A. Mme la duchesse d'Aremberg, comme l'a dit hier M. le ministre.

3° Une salle d'asile tenue par les sœurs de Saint-Vincent, venant du couvent de Gyseghem.

4° Une école d'apprentissage pour filles, par l'Union du Sacré-Cœur ; cette école est adoptée et reçoit un subside de 800 francs de la ville.

5° Une école primaire de filles établie par la même congrégation.

6° Une école dominicale tenue par la même congrégation.

A côté de tous ces établissements logés dans des locaux magnifiques, dus à la libéralité de Mme la duchesse d'Arenberg, il ne reste plus, en fait d'établissements laïques, qu'une école primaire pour les garçons et une école primaire pour les filles ; il reste encore cependant deux petites écoles gardiennes pour enfants tenues par les demoiselles Beuvelet et Lemore.

Voilà donc ce qu'est devenu l'état de l'instruction à Enghien. L'administration locale et le clergé d'Enghien trouvent sans doute que les deux écoles communales déparent le bel ensemble d'établissements religieux qu'ils ont édifiés de commun accord, et ils s'entendent fort bien pour les faire disparaître !

Il y a, du reste, fusion complète entre le conseil communal et le clergé, je pourrais presque dire absorption, et on sait, dans ce cas, où est l'absorbant et où l'absorbé ; ils se donnent mutuellement des témoignages de confiance et de satisfaction ; ainsi le conseil communal a l'honneur d'avoir dans son sein trois décorés des ordres du pape, dont un commandeur, et par contre nous trouvons à la tête de l'administration des hospices civils, M. le curé doyen et le président du bureau de bienfaisance, c'est M. l'abbé Tollez. De plus, ces administrations sont composées de telle sorte, que les membres en votent aussi comme un seul homme.

A Enghien comme partout ailleurs, comme nous l'avons encore appris il y a quelques jours à propos des écoles d'adultes, le clergé veut (page 483) bien de l’application de la loi de 1842 lorsqu'elle peut lui servir à faire vivre ses institutions et à faire mourir les institutions laïques. C'est ce qu'ils ont tenté à Enghien.

Il résulte d'un document dont M. le ministre de l'intérieur vous a donné hier connaissance, que M. le curé-doyen d'Enghien, qui est en même temps inspecteur cantonal ecclésiastique, n'a été qu'une seule fois à l'école primaire communale, et on ajoute qu'il s'y était rendu pour connaître les enfants pauvres qui les fréquentaient, car le lendemain et le surlendemain, les effets de sa présence se sont fait sentir par le retirement de plusieurs de ces enfants.

On affirme aussi qu'il refusait d'admettre à la première communion les enfants fréquentant les écoles primaires et cela dans le but de forcer les parents à les en retirer.

Tous les moyens d'influence étaient mis en œuvre dans ce but.

Dans une plainte adressée à l'inspecteur cantonnai laïque en 1864, l'instituteur articulait un grand nombre de faits précis, en nommant les personnes qui en avaient été l'objet.

M. le ministre de l'intérieur vous a déjà parlé des moyens de contrainte dont on use envers les parents des enfants pauvres.

En effet, le président de l'administration des hospices civils et celui du bureau de bienfaisance, à raison des secours qu'ils peuvent distribuer, des achats qu'ils ont à faire, etc., sont à même d'exercer une forte pression sur les parents, et ils ne se font pas faute de l'exercer.

Ces faits se sont toujours continués, l'administration locale s'y est toujours associée et n'a laissé passer aucune occasion de témoigner de son mauvais vouloir pour les écoles communales laïques.

M. le ministre de l'intérieur vous a lu hier les lettres échangées entre l'administration communale d'Enghien et M. le gouverneur provincial, au sujet de la nomination d'une institutrice.

Afin d'abréger, je ne donnerai pas lecture à la Chambre des plaintes qui ont été articulées à cet égard. M. le ministre de l'intérieur vous a, du reste, donné lecture hier d'une lettre de l'honorable M. Rogier, qui concernait cette affaire.

Il vous a cité également un fait assez pertinent et très important aussi à mon avis : c'est le refus de l'autorité communale d'autoriser l'instituteur communal à ouvrir un cours gratuit d'adultes. Vous vous rappelez les faits que vous a cités M. le ministre à cet égard. Mais il a omis, je pense, de vous donner le considérant sur lequel l'administration communale d'Enghien a appuyé ce refus. Je vous le ferai connaître parce qu'il caractérise à lui seul l'esprit qui dirige l'administration communale d'Enghien. Le voici :,

« Considérant qu'il est suffisamment pourvu à l'enseignement par les écoles communales et privées et que, d'un autre côté, l'ouverture d'une pareille classe n'est d'aucune utilité. »

Ainsi l'administration communale trouve qu'il est suffisamment pourvu à l'instruction des adultes par l'enseignement des écoles existantes et qu'une école d'adultes ne peut être d'aucune utilité ; il n'y a plus personne à instruire à Enghien.

Un autre fait que M. le ministre de l'intérieur ignorait peut-être : vous savez que tous les ans il se fait dans les écoles une distribution de prix et que c'est une occasion de se montrer pour toutes les administrations locales qui veulent encourager l'instruction.

Il n'en est pas ainsi à Enghien. L'autorité communale a même défendu à deux reprises à l'instituteur communal de faire un discours à l'occasion de la distribution des prix. Elle lui a même fait un grief d'un discours qu'il a prononcé sur la tombe de la dame Deblende, discours dans lequel il rappelait les qualités éminentes de cette institutrice modeste dont l'honorable ministre vous a parlé hier.

M. le ministre de l'intérieur vous a fait aussi le tableau de l'état des locaux que l’administration communale mettait à la disposition des instituteurs. Il vous a dit ce qu'était le local de l'institutrice communale. Je puis ajouter que l'école de l'instituteur communal ne vaut guère mieux ; peut-être vaut-elle moins. Car cette école consiste en un hangar insalubre et fétide situé dans un des préaux de ce splendide collège d'Enghien ; c'est-à-dire que l'école communale se tient dans la basse-cour et que l'école adoptée se tient dans les spacieux locaux de l'ancien couvent.

Vous savez, messieurs, quelle a été la conduite de l'autorité locale, lors de la mort de l'institutrice Mme Deblende. M. le ministre de l'intérieur vous a dit comment M. le gouverneur avait agi, l'honorable M. de Woelmont a prétendu que l'administration locale s'était bornée à faire une opposition platonique en adressant une pétition à la Chambre.

Je vais vous dire quel est le genre d'opposition que l'administration communale a faite à l'installation de l'institutrice nommée.

Lorsque l'administration locale apprit, messieurs, que l'institutrice était nommée d'office, et dans la crainte que l'inspecteur cantonal ne vînt l'installer immédiatement, elle s'empressa d'enlever les clefs de l'école et comme elle croyait que le mari de l'ancienne institutrice aurait pu avoir une seconde clef, elle fit changer la serrure et enlever tout le mobilier de l'école. Lorsque, quelques jours après la nomination de l'institutrice, M. l'inspecteur cantonal vint pour installer l'institutrice, il se présenta au conseil communal d'Enghien, et je dois déclarer que le bourgmestre n'était pas présent, de sorte qu'ici encore il est hors de cause ; l'inspecteur déclara au collège échevinal qu'il venait pour installer l'institutrice et qu'il venait la présenter au collège échevinal. Celui-ci répondit qu'il n'avait rien à faire de l'institutrice, qu'il ne voulait pas l'installer et qu'il se refusait de la manière la plus complète à prêter les mains à l'exécution de l'arrêté du gouverneur.

Voilà, messieurs, quelles sont les dispositions que l'autorité locale a montrées. Elle ne pouvait pas aller plus loin, elle ne pouvait pas mettre à la porte de la ville l'institutrice et l'inspecteur, mais elle leur refusa l'accès de l'école et l'inspecteur cantonal dut se retirer avec l'institutrice.

Depuis lors, rien n'a été fait, et je dois dire que par là on a un peu « joué dans les cartes » de l'administration communale ; son but était de faire tomber ou tout au moins d'amoindrir autant que possible l'école communale ; en laissant un grand intervalle entre la mort de l'ancienne institutrice et l'installation de la nouvelle, elle espérait que les parents, fatigués, finiraient par envoyer leurs enfants à l'école religieuse.

Mais je dois le dire, les parents d'Enghien qui avaient leurs enfants à l'école communale ont résisté et je suis persuadé qu'aussitôt l'école ouverte tous les enfants qui la fréquentaient précédemment y rentreront au grand complet.

L'honorable M. de Woelmont disait hier que nous n'avions pas à nous occuper de la réclamation des habitants d'Enghien ; eh bien, moi, j'en fais un très grand cas ; M. le ministre a dit que la réclamation est signée par soixante des principaux habitants, je croyais même qu'il y en avait davantage ; on m'avait dit qu'il y en avait soixante-dix ; quoi qu'il en soit, j'accepte le chiffre de M. le ministre et j'ajoute que les signataires sont, tous pères de famille et électeurs.

J'ajoute aussi que ce sont des plus notables et des plus indépendants par leur position et leur caractère, et la meilleure preuve de leur indépendance, c'est l'apposition de leur signature, car, dans la ville d'Enghien, il faut être tout à fait indépendant pour se mettre en opposition avec les influences qui y règnent.

Messieurs, la conséquence à tirer de tous ces faits est facile : les influences cléricales agissent envers la liberté d'enseignement comme elles agissent envers la loi de 1842 ; elles l'invoquent quand elles en ont besoin ; elles la repoussent quand elle contrarie leurs projets.

Hier un honorable membre invoquait le nom de l'honorable M. Delfosse ; eh bien, messieurs, si l'honorable M. Delfosse siégeait encore parmi nous, sa parole ne se ferait entendre que pour blâmer les actes d'intolérance qui ont été posés à Enghien et qu'on veut abriter sous le manteau des immunités communales.

Je puis invoquer, messieurs, une autre autorité, c'est celle de l'honorable M. de Theux.

L'honorable M. de Theux n'aurait pas sans doute agi à Enghien comme l'administration locale l'a fait et j'en ai pour garant les opinions précédemment émises par lui. Ceci répond aussi en grande partie aux arguments de l'honorable M. Liénart au point de vue de la loi. Je lis dans les Annales parlementaires, séance du 22 février 1862 ce qui suit : Il s'agissait alors, messieurs, d'une discussion sur l'application de la loi de 1842.

M. le ministre de l'intérieur disait :

« L'honorable M. Dechamps a reproché au gouvernement d'accorder une certaine préférence aux candidats diplômés. Or, messieurs, cette préférence est parfaitement justifiée et parfaitement légitime et je ne puis pas comprendre qu'on fasse au gouvernement un grief d'exécuter ainsi la loi.

« Il est évident que le mot « toutefois » et la circonstance que ce paragraphe est rejeté à la fin de l'article, indiquent bien que ce paragraphe est une exception et que la règle générale, le droit commun, c'est de choisir d'une manière absolue parmi les élèves diplômés des écoles normales. Le choix parmi les personnes non diplômées ne peut être que (page 484) l'exception. C'est tellement l'exception, que les instituteurs ainsi nommés ne sont pas agréés par le gouvernement, mais que la commune, pour pouvoir les nommer, doit avoir obtenu l'autorisation préalable du gouvernement. Cela résulte du texte de la loi et des circulaires dont la première a été faite par l'honorable M. de Theux. »

M. de Theux (même séance, page 794) disait :

a M. le ministre de l'intérieur a exprimé son opinion sur l'article 10 ; je ne suis point en désaccord avec lui sur ce point. »

Dans une autre partie de cette discussion, l'honorable comte de Theux disait encore (v. page 793) :

« Qu'arrive-t-il s'il y a dans une commune une école communale et une école adoptée ? Il arrive que la population est plus complètement satisfaite, qu'il y a émulation dans l'enseignement, dans la tenue de l'école, dans la surveillance et que cela tourne au profit del lacommune.»

Ainsi, messieurs, vous le voyez, l'honorable M. de Theux, s'il avait été bourgmestre d'Enghien, aurait été très heureux, au contraire, d'établir d'une part, entre les écoles communales et, d'autre part, les écoles privées, cette noble émulation, cette concurrence dont doit jaillir tout le bien dont il parle dans cette séance.

M. le gouverneur du Hainaut, en maintenant une situation qui existait à Enghien depuis un grand nombre d'années, en empêchant une absorption complète de l'instruction au profit d'institutions religieuses, a voulu laisser à tous les habitants sans distinction d'opinion, aux pères de famille la possibilité de faire librement le choix de l'instruction qu'ils veulent faire donner à leurs enfants, et je l'en loue hautement et je suis persuadé que la Chambre sera de mon avis.

Je finis par une réflexion : Il me semble qu'il ressort un enseignement utile de ce débat.

Je n'ai jamais été un grand partisan de la loi de 1842, mais je l'acceptais par esprit de conciliation et dans la pensée qu'elle pouvait être utile à l'instruction publique dans les petites localités. Mais je n'hésite pas à dire que quelques épisodes comme celui d'Enghien mettraient bientôt dans nos rangs tous les esprits d'accord sur son efficacité et que les jours de la loi de 1842 seraient comptés. La pétition du conseil communal d'Enghien aurait joué pour elle le rôle de la pierre de l'ours de la fable.

En attendant, je propose l'ordre du jour sur la pétition.

M. Delcourµ. - Le discours que nous venons d'entendre me plonge dans une profonde douleur.

Je croyais que le débat qui s'agite devant nous était un débat sérieux, portant sur une question de droit, sur une question de prérogatives communales ; l'honorable M. Bruneau l'a converti en un débat religieux, en tu débat sûr l'instruction donnée par les corporations religieuses.

Il semble qu'il veuille, permettez-moi cette expression triviale, capuciner la Chambre. (Interruption.) Oui, je maintiens cette expression. Je dis qu'une question sérieuse se discute sérieusement ; on cherche des arguments dans les faits et non pas dans des banalités.

Si j'analyse la première partie du discours de l'honorable membre, j'y trouve un volume de personnalités, dirigées contre l'administration communale d'Enghien, de personnalités dirigées contre une haute famille du pays.

M. Bruneauµ. - Je proteste.

M. Delcourµ. - La haute famille à laquelle vous avez fait allusion n'avait-elle pas le droit de faire ce qu'elle a fait ? Eh bien, lorsqu'un citoyen belge use de la liberté que la Constitution lui assure, je dis, moi, qu'il ne vous appartient pas de porter à cette tribune les actes de la vie privée.

L'honorable M. Bruneau ne s'arrête pas là. Il se retourne contre l'administration communale d'Enghien et lui demande : Que représentez-vous ? La majorité du conseil communal d'Enghien, messieurs, représente dans cette localité, la majorité des électeurs ; il est pour cette commune ce qu'est le conseil communal de Bruxelles pour la ville de Bruxelles. Mettre en suspicion un conseil communal librement élu, c'est une atteinte portée au vœu de la majorité des électeurs, une atteinte portée à nos institutions représentatives.

Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de m'arrêter plus longtemps au discours de l'honorable préopinant ; j'ai hâte d'aborder le fond du débat.

Cependant permettez-moi d'ajouter un dernier mot, de relever une accusation grave adressée par l'honorable M. Bruneau à l'administration communale d'Enghien. L'honorable membre n'a-t-il pas dit qu'à Enghien, l'administration exerce une pression sur les pères de famille pour les forcer à envoyer leurs enfants aux écoles tenues par les congrégations religieuses ? Je ne puis que protester contre une semblable allégation. Non, on ne fait pas à Enghien ce qui s'est vu dans une de nos grandes villes ; on n'y exerce pas, comme à Malines, une pression que nous avons tous déplorée.

MjBµ. - C'est inexact.

- Un membre à droite. - C'est parfaitement exact.

M. Delcourµ. - Ce que je dis est la vérité. La presse entière a parlé du fait que je rappelle.

Lorsque vous venez accuser un conseil communal catholique d'un fait aussi blâmable, n'ai-je pas le droit de vous citer d'autres communes administrées par vos amis où le fait s'est réellement passé ? (Interruption.) Ne me forcez pas à parler...

- Voix à gauche. - Parlez, parlez !

M. Delcourµ. - Je ne parlerai pas, car il est du devoir de l'orateur politique d'écarter les questions de personnes.

J'arrive au discours de M. le ministre de l'intérieur. Celui-là est sérieux, l'autre ne l'était pas.

L'honorable ministre de l'intérieur a terminé hier son discours par deux déclarations au sujet desquelles je me permettrai de lui adresser une demande.

Je veux, a-t-il dit en premier lieu, que force reste à la loi du 23 septembre 1842. Je demanderai à l'honorable ministre quel sens il attache à ces paroles ; puis-je les considérer comme l'expression de son programme politique, et en tirer la conséquence qu'il maintiendra la loi de 1842 ?

L'honorable ministre n'ayant pu assister aux explications qui ont été données à la Chambre par le chef du cabinet sur la crise ministérielle, le pays attend avec impatience une déclaration rassurante sur ce point si important de notre politique intérieure.

Je dirai franchement que j'y ai vu une déclaration rassurante pour le pays.

L'honorable ministre a dit encore, en parlant de la loi de 1842 : Je ferai énergiquement respecter les droits de l'autorité civile. Je n'ai rien à reprendre à cette déclaration. Mais je me demande : Pourquoi est-elle faite ?

La pétition du conseil communal d'Enghien ne signale aucun conflit entre l'autorité civile et l'autorité religieuse. C'est un conseil communal qui se plaint d'un abus de pouvoir ; c'est une autorité civile qui est placée en présence d'une autre autorité civile. Le devoir du gouvernement n'est-il pas d'assurer le respect de tous les droits, des droits de l'Etat et des droits de la commune ?

MiPµ. - Je n'ai pas songé à établir une opposition...

M. Delcourµ. - Votre discours n'a qu'un seul but, c'est de démontrer que l'administration communale d'Enghien veut arriver à la suppression de l'enseignement laïque et créer à Enghien un enseignement donné exclusivement par des corporations religieuses ; vous vous êtes surtout appesanti sur cette idée qui devait être fondamentale dans votre pensée. J'avais donc le droit de vous dire que votre déclaration n'aurait eu de raison d'être qu'en présence d'un conflit élevé entre l'autorité civile et l'autorité religieuse ; or, cette dernière n'est point en cause.

MiPµ. - Je n'ai pas dit qu'elle fût en cause.

M. Delcourµ. - Je suis heureux d'apprendre que l'autorité religieuse n'est pas en cause et que le débat reste circonscrit entre une autorité communale qui se plaint et le gouvernement qui appuie M. le gouverneur du Hainaut.

Je tiens à faire encore une déclaration avant d'arriver au fond du débat.

Je ne veux pas, messieurs, je l'ai dit tout à l'heure, mêler à ce débat des questions de personnes. Quoique je n'aie pas l'honneur de connaître M. le gouverneur du Hainaut, je tiens à déclarer, dès à présent, que je discute un acte sans m'occuper de la personne. Je serais désolé qu'on pût voir une allusion quelconque à la personne de ce haut fonctionnaire, dont la modération est généralement reconnue.

M. le ministre, avant de discuter le fond, a présenté deux observations de détail. Il a dépeint l'opposition que fait le conseil communal à l'exécution de l'arrêté de M. le gouverneur, et afin de mieux caractériser (page 485) cette opposition, il vous a parlé des bancs que l'autorité communale aurait fait enlever de l'école. Il faut, en vérité, que cet argument ait une grande importance, car l'honorable M. Bruneau vient de le reproduire sous une forme nouvelle.

Eh bien, il n'y a rien de sérieux dans ce petit moyen. Non, l'autorité communale d'Enghien n'a pas fait enlever les bancs pour empêcher l'institutrice nommée de prendre possession de l'école. Les bancs devaient être réparés et repeints, ils ont été enlevés pour être remis à l'ouvrier et même avant que M. le gouverneur eût fait connaître sa décision, la réparation terminée, les bancs ont été replacés à l'école.

Examinons maintenant quelle a été l'opposition du conseil communal ; je prie la Chambre de faire attention aux dates.

C'est le 25 octobre 1867 que l'arrêté de M. le gouverneur nommant d'office l'institutrice a été communiqué au conseil communal. Le 26 octobre, le conseil est convoqué, et il se réunit le 29. Ce même jour, il décide qu'une réclamation sera adressée à M. le ministre de l'intérieur et il en arrête les termes.

Le 29 octobre, M. l'inspecteur informe le conseil communal qu'il se rendra à Enghien pour installer la nouvelle institutrice, et ce même jour encore, 29 octobre, l'administration communale lui fait part de la réclamation qui a été adressée à M. le ministre de l'intérieur.

M. 1'inspecleur ne tint aucun compte de cet avis et le 4 novembre il arriva à Enghien, pour accomplir sa mission. Il n'a rencontré aucune opposition. S'étant présenté à l'hôtel de ville, il a fait connaître l'objet de sa visite et M. l'échevin, qui remplaçait le bourgmestre absent, lui adressa ces paroles :

« M. l'inspecteur, j'ai eu l'honneur de vous écrire avant-hier pour vous informer que le conseil communal avait, le 29 octobre dernier, adressé à M. le ministre de l'intérieur une réclamation contre l'arrêté de M. le gouverneur du Hainaut en date du 19 octobre dernier qui nomme d'office une institutrice communale à Enghien. Le collège échevinal vous renouvelle cette information : c'est vous dire, monsieur, que le collège se refuse à prêter son concours à l'exécution de l'arrêté de M. le gouverneur, arrêté que le conseil communal, à l'unanimité, a considéré comme positivement illégal. »

Vous voyez, messieurs, que le conseil communal s'explique avec la plus grande franchise : Considérant la nomination de l'institutrice comme illégale, il déclare qu'il manquerait à son devoir, à sa dignité, s'il concourait à l'exécution de la mesure. Il attendra qu'une décision définitive soit intervenue. M. le ministre de l'intérieur a approuvé la conduite de M. le gouverneur de la province de Hainaut, et le conseil communal d'Enghien, se voyant abandonné par le gouvernement, a dénoncé le conflit à la Chambre. Tel est l'état de l'affaire dont nous sommes saisis.

Aussi longtemps que le conflit n'était pas vidé, je m'explique, messieurs, l'opposition du conseil communal.

il est convaincu que M. le gouverneur avait excédé ses pouvoirs, et, c'est au nom de ses prérogatives, au nom de l'autonomie de la commune, qu'il croit devoir résister. Grâce à Dieu, messieurs, nous possédons en Belgique des institutions libres ; nos conseils communaux ne relèvent pas du gouvernement ; ils exercent un pouvoir propre, et dans les limites de ce pouvoir, nous ne pouvons qu'applaudir à la fermeté, à l'énergie qu'ils emploient pour défendre leur indépendance.

Cette observation m'amène naturellement à la question de droit.

La question de droit est bien simple ; elle se résume en deux mots.

Le conseil communal d'Enghien a nommé institutrice, en remplacement de Mlle Deblende, décédée, Mlle Ponsaerts, religieuse non diplômée. Le conseil communal avait usé de son droit ; seulement, aux termes de l'article 10 paragraphe 3 de la loi du 23 septembre 1842, la nomination ne devenait définitive qu'avec l'approbation ou l'autorisation du gouvernement. C'est ce qui a eu lieu ; l'arrêté de nomination réserve, en toutes lettres, l'approbation de M. le gouverneur. Malgré la réserve ordonnée par la loi, mais qui éloigne toute pensée d'empiétement de la part du conseil communal, M. le gouverneur a refusé son approbation. Si M. le gouverneur s'était arrêté là, personne n'élèverait la voix dans cette enceinte, mais ce haut fonctionnaire est allé plus loin. Usant du pouvoir exceptionnel que lui confère l'article 12 de la loi de 1842, il a nommé d'office une institutrice qui ne s'était point présentée, sous prétexte que le conseil communal avait laissé passer le délai de quarante jours sans procéder à la nomination. Or, ce fait est inexact ; c'est le 1er octobre 1867 que le conseil communal a pris sa résolution, le trente-sixième jour après le décès de madame Deblende.

Je me demande d'abord quel est le caractère du droit de nommer les instituteurs des écoles primaires que la loi accorde aux conseils communaux ?

A mon avis, ce pouvoir est la conséquence de l'article 108 de la Constitution qui charge les autorités communales de régler tout ce qui est d'intérêt communal.

L'article 84 de la loi communale ne consacre donc aucun droit nouveau ; il n'est qu'une application du principe constitutionnel que je viens de citer, je ne puis trop le répéter, car c'est la base de mon argumentation, les articles 31 et 108 de la Constitution portent expressément que les intérêts exclusivement communaux sont réglés par les conseils communaux.

Voyons maintenant si les discussions de la loi de 1842 sont d'accord avec cette interprétation.

L'étude de ce point ne sera pas sans présenter quelque intérêt.

Tout à l'heure on a cité le nom de l'honorable M. Delfosse. J'ai eu l'honneur de le connaître, et je suis heureux de pouvoir invoquer son autorité dans ce débat.

Trois systèmes étaient en présence.

Le premier, défendu par M. Delfosse, entendait maintenir aux conseils communaux le droit absolu de nommer les instituteurs communaux. L'honorable M. Delfosse appuyait ce système parce qu'il était en parfaite harmonie avec nos libertés communales.

Le second système, soutenu par MM. Lebeau et Devaux, répondait davantage aux principes qui dirigent la gauche dans l'exécution de la loi de 1842 ; c'était le système de centralisation administrative. On voulait bien attribuer aux conseils communaux le droit de nommer les instituteurs, mais la nomination ne pouvait se faire qu'avec l'approbation du gouvernement.

Le troisième système est consacré par l'article 10 de la loi de 1842. La nomination des instituteurs communaux a lieu par le conseil communal. Les conseils communaux choisissent leurs instituteurs parmi les candidats diplômés. Toutefois ils pourront, avec l'autorisation du gouvernement, choisir des candidats qui ne justifieront pas de cette condition. Tel était le système de M. Nothomb, appuyé par l'honorable M. Dechamps, rapporteur de la section centrale.

Les communes peuvent donc choisir encore des candidats non diplômés. L'unique différence entre ces derniers et les candidats diplômés, c'est que leur nomination est soumise à l'agréation du gouvernement.

Eh bien, qu'est-il sorti de cette discussion ?

A mon avis, la proclamation d'une grande vérité, d'un grand principe, que le pouvoir communal est seul compétent pour nommer les instituteurs communaux. L'article 10 a repoussé le système de centralisation, et, par une sage combinaison, a concilié la prérogative de la commune avec l'intérêt général.

Les candidats munis d'un diplôme présentent une garantie que n'offrent pas les autres ; tel est le motif qui justifie l'intervention du gouvernement dans le second cas.

Ce principe donne lieu à une conséquence que la Chambre a déjà présentée. Si le gouvernement entend exécuter la loi selon son esprit, il ne doit user du pouvoir que lui confère l'article 12 de la loi qu'avec la plus grande circonspection ; sinon il porterait atteinte, non seulement au droit des communes consacré par l'article 84 de la loi communale et par l'article 10 de la loi de 1842, mais il violerait l'article 108 de la Constitution.

Ce principe posé, revenons à l'étude de la loi de 1842. La loi de 1842 avait à pourvoir à deux grands intérêts. Elle devait d'abord consacrer le droit des communes : c'est ce qu'elle a fait.

Elle devait, en second lieu, assurer, dans les meilleures conditions possibles, le service de l'enseignement primaire.

Si l'enseignement primaire est, avant tout, d'intérêt communal, on ne peut nier qu'il touche également à un grand intérêt social. Il ne peut répondre à sa destination qu'à la condition que l'instituteur présente des garanties de capacité et de moralité. Ces garanties, le législateur les trouve, en premier lieu, dans le diplôme de capacité délivré par les écoles normales ou par les institutions qui y sont assimilées, et, en second lieu, si le candidat n'a pas de diplôme, dans l’agréation du gouvernement.

Là ne s'arrête pas l'intérêt général.

La commune peut se montrer indifférente dans l'accomplissement de ses obligations ; elle peut négliger de nommer aux places vacantes ; elles peut enfin refuser, avec obstination, de se soumettre aux dispositions de la loi. Or, le législateur ne pouvait pas tolérer une résistance si manifestement contraire à la loi.

De là l'article 12, qui met dans les mains du gouvernement une arme des plus solides.

(page 486) A défaut, par le conseil communal, de procéder à la nomination de l'instituteur dans un délai de quarante jours après la vacance, le gouverneur peut faire la nomination d'office, ou accorder un nouveau délai, endéans lequel la nomination aura lieu.

Ainsi toutes les résistances illégales, illégitimes peuvent être vaincues.

Ce n'est point, comme vous le voyez, messieurs, un pouvoir arbitraire que l'article 12 de la loi de 1842 confère au gouvernement. Non, cet article ne peut conduire à la confiscation de la liberté communale. En l'appliquant comme il l'a fait à Enghien, l'honorable gouverneur du Hainaut a, par conséquent, méconnu l'esprit de la loi.

Lorsque le conseil communal fixe son choix sur un candidat non diplômé, la loi prescrit que la nomination soit soumise à l'agréation du gouvernement.

L'article 10 emploie le mot « autorisation » : faut-il nécessairement une « autorisation préalable » ?

Le gouvernement le pense, c'est pourquoi l'honorable M. Vandenpeereboom a maintenu, malgré l'appel du conseil communal d'Enghien, l'arrêté de M. le gouverneur du Hainaut.

Je réponds que cette interprétation est contraire non seulement au principe même, tel que je l'ai exposé, mais à son esprit. C'est le point, messieurs, qu'il me reste à établir. L'honorable M. Nothomb a fait, lors de la discussion de la loi de 1842, deux déclarations également précises.

Dans la séance du 25 août I842, il a expliqué pourquoi le projet de loi emploie le mot « autorisation » plutôt que le mot « agréation ». Il résulte de cette première déclaration que, dans la pensée de M. Nothomb, l'autorisation devrait être préalable.

Mais, dans une autre séance, l'honorable ministre de l'intérieur s'est exprimé en ces termes :

« Les conseils communaux seront toujours libres de choisir où ils voudront. La règle générale est celle-ci : les conseils communaux choisiront les instituteurs. Ce choix sera soumis, soit à une autorisation préalable, soit à une approbation subséquente du gouvernement. »

En présence de ces deux interprétations, je me demande laquelle est la plus conforme à l'esprit de la loi. Je n'hésite pas à me rallier à la seconde. En effet, la discussion avait fait naître des doutes sur la portée du paragraphe 3 de l'article 10 et, pour y mettre un terme, le ministre fit la déclaration dont il s'agit, au moment du vote de la loi. Ainsi fut fixé les sens de la loi. Et si l'on examine de près les motifs invoqués par l'honorable M. Nothomb dans sa première déclaration, on remarquera que l'honorable ministre espérait arriver plus facilement à des arrangements avec les communes, et qu'une entente préalable préviendrait des luttes, qu'il convient toujours d'éviter.

Si M. le gouverneur du Hainaut s'était rappelé ces motifs, il aurait évité le conflit qui fait l'objet de ce débat. Mais il l'a provoqué en abusant du pouvoir que la loi lui confère.

Oui, messieurs, le conseil communal d'Enghien a suivi à la lettre l'opinion de M. Nothomb... (Interruption.)

MiPµ. - Non.

M. Delcourµ. - Comment, non !

MiPµ. - Le conseil communal n'a pas demandé l'autorisation.

M. Delcourµ. - Il a suivi à la lettre l'opinion de M. Nothomb ; il a fait la nomination, et l'a subordonnée à l'approbation du gouvernement.

MiPµ. - Sans autorisation préalable.

M. Delcourµ. - Vraiment, je ne m'explique pas l'opposition que mon observation rencontre. Nous sommes en présence d'un texte de loi qui parle d'une autorisation à accorder par le gouvernement. Le sens de la loi donne lieu à des doutes. Les doutes provoquent une explication nouvelle de l'auteur de la loi et parce que le conseil communal d'Enghien s'est conformé à celle interprétation, vous l'accusez d'avoir violé la loi !

Il est donc établi que, dans la pensée de la loi, le mot « autorisation » était synonyme de celui d'« approbation ». (Interruption.)

M. Teschµ. - Cela n'est pas synonyme du tout.

M. Delcourµ. - En vérité, je ne m'explique pas les colères que je soulève.

- Des membres. - Du tout ! du tout !

M. Delcourµ. - Je ne me l'explique pas et je prie la Chambre de faire attention à mon argumentation.

Mon argumentation est des plus sérieuses. Elle est fondée en droit ; elle est fondée ensuite sur les discussions ; elle est fondée enfin sur les principes du droit sainement entendus. Je persiste à penser que le conseil communal d'Enghien s'est conformé à la loi ; et que l'arrêté de M. le gouverneur du Hainaut a méconnu l'esprit de la loi.

Je pense, messieurs, avoir démontré quel est l'esprit véritable de la loi ; il me reste à compléter ma démonstration par les principes généraux du droit.

Il n'y a pas d'élève siégeant sur nos bancs universitaires qui ne connaisse la différence qu'il y a entre l'autorisation et l'approbation.

L'autorisation fait naître pour les autorités collectives ou individuelles auxquelles on l'octroie le droit de faire tels ou tels actes que ces autorités ne puisent pas dans leur mandat.

L'approbation, au contraire, a pour objet d'imprimer à des actes dont l'origine est légale, à des actes qui rentrent dans la compétence du corps ou du fonctionnaire qui en est l'auteur, un complément indispensable.

Or, personne ne niera, je pense, que le conseil communal d'Enghien ne fût compétent pour faire la nomination ; l'acte rentrait, par conséquent, dans ses pouvoirs, et, dans l'espèce, l'approbation subséquente du gouvernement l'eût rendu complet.

Je répète donc que le mot « autorisation », employé par la loi, est synonyme d'approbation.

MiPµ. - Alors qu'il a été mis à dessein dans la loi.

M. Delcourµ. - S'il avait été inséré dans la loi pour priver le conseil communal d'un de ses droits constitutionnels, on aurait violé la Constitution. Mais on ne l'a pas voulu.

Je vous demande, messieurs, de ne pas sortir du fait qui s'est passé à Enghien. Le conseil communal a nommé l'institutrice dans le délai légal ; il n'a voulu, sous aucun rapport, se soustraire aux prescriptions de la loi. M. le gouverneur déclare dans son arrêté qu'il n'a eu connaissance de l'arrêté du conseil communal que le 19 octobre, par conséquent après l'expiration du délai légal de 40 jours. Mais ce haut fonctionnaire aurait dû ajouter que la pièce est parvenue à M. le commissaire de l'arrondissement le 2 ou le 3 octobre au plus tard, et par conséquent avant l'expiration du délai. Je répète que si M. le gouverneur avait porté dans cette affaire l'esprit de modération que je me plais à lui reconnaître, ce conflit, déplorable à tous égards, eût été évité.

M. le ministre a compris que la question de droit est sérieuse. Aussi a-t-il cherché à détourner le débat.

Il n'a fait qu'effleurer la question de droit, et s'est livré principalement à la discussion des faits.

Pour justifier, en fait, la mesure de M. le gouverneur du Hainaut, il fallait démontrer que le conseil communal d'Enghien était animé d'un esprit peu conciliant ; que, dans une foule de circonstances, il avait cherché à se soustraire aux obligations que la loi lui impose.

Il fallait accuser enfin ce conseil inhumain d'avoir eu la cruauté de conserver des locaux malsains, où l'institutrice qui vient de décéder a gagné, peut-être, la cruelle maladie qui l'a frappée.

Ce dernier fait était tellement grave que je n'ai pu contenir mon indignation et dans une interruption, je me suis écrié : Mais, M. le ministre, agissez.

Je suis heureux de dire à la Chambre que mes informations sont absolument contraires.

Les premiers faits signalés par M. le ministre de l'intérieur, c'est, permettez-moi cette expression un peu triviale, la question des vieux instituteurs. On est venu nous dire qu'il y avait à Enghien deux instituteurs qui, par la réunion de leurs âges, atteignaient le chiffre respectable de 163 ans.

Il est vrai qu'il y avait à Enghien, en 1861, deux instituteurs d'un âge très avancé, c'étaient MM. Casner et Bertau.

II est vrai encore que, par une lettre du 28 mai 1861, M. le gouverneur a demandé à l'administration communale d'engager ces instituteurs à donner leur démission. Mais ce que M. le ministre n'a pas dit et ce qu'il aurait dû dire, c'est que l'administration communale d'Enghien s'est empressée de déférer à la demande de M. le gouverneur, qu'elle a engagé les deux instituteurs à donner leur démission ; ils s'y sont refusés.

Où est la faute ? Si je retournais l'argument, voici ce que je dirais au gouvernement :

(page 487) D'après la loi de 1842, ce n'est pas le conseil communal qui peut révoquer un instituteur ou qui peut l'admettre à la pension. La révocation appartient au gouvernement. Si l'instruction primaire laissait à désirer dans la commune d'Enghien, encore une fois, où est la faute ? Elle retombe sur le gouvernement, qui n'a pas usé du pouvoir que la loi lui conférait.

Voilà la vérité.

J'arrive au second fait. On a reproché au conseil communal d'Enghien d'avoir négligé les écoles de filles, et, d'avoir cherché surtout à concentrer l'instruction primaire dans des écoles tenues par des religieuses. Ce reproche est vieux déjà ; et l'administration communale y a répondu depuis longtemps.

Voici ce que je lis dans une lettre du conseil communal adressée à M. le gouverneur le 27 novembre 1861. M. le commissaire de l'arrondissement avait fait le même reproche à l'administration communale d'Enghien dans les termes suivants :

« En se reportant à quelques années en arrière, on voit qu'en 1854, le conseil a déjà considérablement amoindri l'école communale des filles par l'adoption de l'institution des sœurs de la Sainte-Union. »

Le conseil communal répond « qu'il avait osé croire que cette mesure lui aurait valu toute autre chose qu'une telle appréciation. »

En effet en se reportant à quelques années en arrière, on voit qu'il y avait alors deux institutrices communales, l'une d'elles Mlle Laurent est restée dans la même position qu'alors.

« Quant à la deuxième institutrice (mademoiselle...), elle avait alors journellement, pendant moins de 30 minutes, six à sept élèves.

« L'école avec atelier des sœurs de l'Union a constamment, depuis son adoption, donné l'instruction, pendant plus de onze heures par jour, aux enfants pauvres, dont le nombre dépasse cent et s'élevait hier à quatre-vingt-sept.

« Vous voyez, M. le gouverneur, que nous avons considérablement renforcé l'instruction primaire pour les filles, et nous nous félicitons tous les jours d'un si brillant succès. Il serait à désirer dans l'intérêt des enfants qu'un pareil résultat puisse être obtenus dans les autres communes. »

Je n'en dirai pas davantage sur ce point.

Le troisième grief concerne les locaux destinés à l'instruction primaire.

Est-il vrai que les locaux où se tenait la classe de Mme Deblende, qui vient de mourir, soient insuffisants et malsains au point que la malheureuse institutrice y aurait contracté la maladie dont elle est morte ?

Mes renseignements sont absolument opposés aux allégations de l'honorable ministre.

L'institutrice jouissait, paraît-il, d'une bonne santé. Elle est morte presque subitement ; elle n'a été malade que vingt-quatre heures, c'est au point que l'administration communale ignorait sa maladie et qu'elle n'en a eu connaissance qu'au moment du décès.

MiPµ. - Elle est devenue malade le 18 et elle est morte le 26.

M. Delcourµ. - Elle n'a été malade que pendant 24 heures. Mais, messieurs, il fallait un peu de tragédie dans ce débat ; en aggravant les torts de l'administration communale, il était plus facile de faire accepter la décision de M. le gouverneur du Hainaut.

Quant à l'exiguïté du local, il suffira de faire remarquer que l'école n'est point fréquentée par 80 élèves, comme l'a dit M. le ministre, mais seulement par quarante élèves. Ces renseignements me sont venus de diverses sources et s'accordent sur ce point.

MiPµ. - Mais nous avons les chiffres des élèves payantes et des élèves non payantes.

MjBµ. - Vous allez contre le rapport.

MoPµ. - Voici les chiffres :

Elèves payantes : 44.

Elèves non payantes : 39.

Total : 83.

M. Delcourµ. - Je répète que les renseignements que j'ai sous la main sont très exacts ; ma source est aussi authentique que celle où l'honorable ministre a puisé les siens ; il n'y a que 40 élèves fréquentant l'école.

Restons dans la vérité des faits ; ne les exagérons pas dans l'intérêt de la cause.

Occupons-nous maintenant du local destiné à l'école de garçons. Je reconnais que ce local est insuffisant, mais l'administration communale s'cst-elle refusée à fournir un nouveau local ? Elle l'a si peu fait qu'au moment où je vous parle une somme de 24,000 francs est votée pour la construction d'un nouveau local. Le chiffre voté en dit plus que tous les raisonnements ; l'administration communale d'Enghien va faire les choses largement et généreusement. Il n'y a que quelques jours que M. l'inspecteur de la province de Hainaut s'est adressé à un membre du conseil communal et lui a demandé si on ne mettrait pas en adjudication les travaux à faire. On lui a répondu que l'autorité locale était prête ; que le devis était fait ; qu'il ne restait plus qu'à choisir l'emplacement de l'école, et qu'on priait M. l'inspecteur de se prononcer sur ce point.

Voilà, messieurs, comment les faits les plus ordinaires de la vie administrative prennent des proportions considérables lorsqu'on les examine avec des idées préconçues.

Ce n'est pas sans étonnement que j'ai entendu M. le ministre de l'intérieur faire un reproche au conseil communal d'Enghien, de ne pas avoir voulu prêter son concours à l'organisation des écoles d'adultes. En supposant que le fait soit exact, je me demande pourquoi le conseil communal d'Enghien ne pourrait faire ce qu'ont fait un grand nombre de conseils communaux de nos grandes villes ? Y aurait-il peut-être, deux appréciations différentes ? Les conseils communaux de Bruxelles, de Gand, de Liège, de Louvain ont-ils souscrit aux conditions du règlement du 1er septembre 1866 ? J'ai lieu de m'étonner qu'on fasse un grief au conseil communal d'Enghien de ce qu'on approuve ailleurs.

MiPµ. - Quel est le motif du refus ?

M. Delcourµ. - Je l'ignore et je n'ai pas à la rechercher. Mais ce que je puis affirmer, c'est que les écoles d'adultes ont été organisées à Enghien à la demande du gouvernement.

En vérité, je ne puis comprendre les reproches que l'on fait de ce chef au conseil communal.

Les explications qui ont été fournies à la Chambre sur la reconstitution du cabinet, sont encore présentes à nos esprits. Tous nous savons que l'organisation des écoles d'adultes, telle que l'honorable M. Vandenpeereboom l'avait décrétée, a été une des causes de la crise ministérielle.

Eh bien, de quoi vous plaignez-vous ? Est-ce qu'une commune catholique ne peut pas faire ce qu'ont fait nos grandes villes libérales ?

M. Hymansµ. - C'est une erreur.

M. de Theuxµ. - Comment ! c'est une erreur.

M. Hymansµ. - Les grandes villes ont établi des écoles d'adultes.

M. Delcourµ. - Je viens de dire que les écoles d'adultes sont organisées à Enghien. Mais la question n'est pas là. Si ma mémoire est fidèle, si je me rappelle bien les paroles de M. le ministre des finances, les communes sont libres de se soumettre ou de ne pas se soumettre, pour l'organisation de ces écoles, au règlement du 1er septembre.

Dans le système du gouvernement, les écoles d'adultes ne reposent plus sur la loi de 1842, elle forment une création, en dehors ou à côté de cette loi. S'il en est ainsi, je ne m'explique pas, en vérité, comment M. le ministre de l'intérieur pourrait reprocher à l'administration communale d'Enghien d'avoir suivi un principe que le gouvernement s'est imposé la mission de défendre dans cette enceinte, principe que je combattrai.

MiPµ. - Parce que vous êtes pour la liberté communale.

M. Delcourµ. - Oui, M. le ministre, je veux la liberté communale, dans les limites de la loi, sainement comprise.

Vos paroles, M. le ministre, me suggèrent la conclusion de mon discours.

Si j'ai pris la parole pour défendre l'administration communale d'Enghien, je prie la Chambre de croire que je n'ai été mû par aucune considération de personnes ; j'ai vu une question de liberté communale engagée, j'ai vu une commune lésée dans ses droits, et j'ai cru qu'il était de mon devoir de la défendre. J'ai vu dans la résistance du conseil communal d'Enghien un acte de courage. Je suis heureux que les communes belges, en 1868, soient aussi jalouses de leur indépendance et de leur liberté que nos vieilles communes brabançonnes.

M. Eliasµ. - Comme je compte parler dans un sens contraire au discours que vous venez d'entendre, je demande la parole.

MpMoreauµ. - M. de Theux est inscrit. Consent-il à céder son tour de parole ?

(page 488) M. de Theuxµ. - Je n'y consens pas. J'ai été deux fois cité dans la discussion et je désire parler.

Messieurs, je dois, à regret, constater ici une innovation malheureuse, pleine de dangers. Un honorable député de Soignies est venu mêler à nos discussions le nom de la duchesse d'Arenberg, aussi honorable par sa piété, par son éminente charité qu'elle l'est par sa naissance.

De quel droit vient-on ici discuter l'appui qu'elle a donné à telle ou telle institution religieuse, conformément à ses croyances, à ses convictions ? (Interruption.)

Je n'ai interrompu personne et je prétends ne pas être interrompu non plus.

Eh bien, qu'il nous prenne envie de discuter ce qui se passe dans les communes sous l'influence de telle ou telle famille, que deviendront alors les discussions de la Chambre ? Des discussions méprisables qui entraîneront l'indignation publique.

Nous sommes ici occupés de travaux d'une haute importance, travaux auxquels le pays entier prête son attention, et l'on vient agiter ici des faits qui nous sont complètement étrangers.

Chaque particulier est libre dans ce pays d'agir comme il lui plaît et n'est soumis à d'autre censure qu'à celle de sa conscience.

L'honorable membre a cité un discours prononcé en 1862 dans lequel j'indiquais les avantages de l'émulation et de la concurrence dans l'enseignement.

L'honorable membre a fait une fausse application de mon discours et s'il attache quelque prix à ce discours il devrait m'aider à obtenir le résultat que j'ai désiré.

Dans quelles circonstances, messieurs, ai-je prononcé ce discours ? C'est lorsque l'on voyait une tendance générale de l'administration centrale à contrarier l'existence des écoles libres dans nos communes, à empêcher les administrations communales de créer une école adoptée à côté d'une école communale, bien que ce désir eût été manifesté par des autorités non suspectes, par des autorités appartenant à la communion protestante et cela dans les meilleures intentions du monde, parce que ces administrations pensaient avec raison que là où il y a de grandes causes de démoralisation, il faut de grands moyens de moralisation. C'est là une pensée élevée, humanitaire et sociale.

Et puis comment vient-on aujourd'hui attaquer la commune d'Enghien lorsque non seulement de par la loi on s'empare des bourses d'étude, que l'on refait les testaments, mais que l'on vient encore confisquer toutes les fondations chrétiennes en faveur de l'enseignement primaire pour les approprier à l'enseignement communal laïque ?

Eh bien, messieurs, je le demande, est-il de bonne justice, est-il même de la plus simple prudence de venir apporter dans cette assemblée des attaques telles que celles que l'on a lancées contre l'administration communale d'Enghien qui organise des écoles, dans un sens exclusif soit, mais conformément au droit communal.

Cette commune, du reste, n'est pas seule. N'avons-nous pas des communes qui agissent en sens contraire, qui font tout ce qu'elles peuvent pour avoir les institutions les plus libérales ?

Personne n'a le droit de se plaindre de l'action des administrations communales quand elles restent dans les limites de la loi.

J'ai toujours pensé et je pense tous les jours davantage que ce qui fait l'objet de nos discussions c'est l'intolérance anticatholique.

Si l'on voulait se pénétrer de l'esprit de notre Constitution, la plupart de ces dissentiments, de ces dissensions disparaîtraient, et j'espère que l'époque n'est pas éloignée où il en sera ainsi, car il faut que cela finisse un jour ; il faut que nous soyons citoyens belges conformément au Congrès qui a consacré notre Constitution et notre existence politique. Et quand nous adoptions cette maxime : l'union fait la force, le Congrès a pensé que nous devions être tolérants les uns à l'égard des autres et que si nous ne pouvions pas empêcher le mal, nous ne devions pas empêcher le bien.

Voilà la vraie devise nationale. C'est par elle que l'on arrivera à l'union.

L'honorable ministre de l'intérieur, dans le long exposé qu'il a fait hier des faits relatifs à l'administration communale d'Enghien, a cru devoir faire une revue rétrospective, étrangère à la question qu'il s'agit de décider aujourd'hui.

Est-ce parce que l’administration communale n'a pas répondu au désir de l'honorable ministre actuel ou de son prédécesseur qu'elle doit être privée du bénéfice de la liberté de choisir une institutrice diplômée, soit, si vous n'en voulez pas d'autres ?

Mais non certes. L'égalité est le principe fondamental devant la loi, devant la justice et devant l'administration.

Nous savons que l'esprit de tolérance n'existe jamais d'une manière complète en fait d'emplois, mais ce n'est pas à l'époque où l'on se plaint de l'intolérance à outrance dans la collation des emplois qu'on doit ajouter l'intolérance dans les actes de l'administration.

La marche que j'ai indiquée a-t-elle été suivie ? Non ; les droits que j'invoque ont-ils été observés ? Non. On a parlé de la circulaire que j'ai faite ; que porte cette circulaire du 22 octobre 1846 ?

« Pour nommer en dehors des écoles normales ou primaires supérieures, les communes doivent en avoir obtenu l'autorisation préalable, etc. »

Le paragraphe final dit encore :

« Toute nomination qui se fait par la commune sans autorisation est nulle ; le gouverneur doit en suspendre l'exécution et se pourvoir auprès du gouvernement. »

Il est de toute évidence que la circulaire ne s'applique qu'aux nominations réelles et non pas à des nominations faites sous condition d'approbation, à des nominations qui ne sont que provisoires. (Interruption.)

Je n'ai pas l'habitude de récuser les actes que j'ai posés ; lorsque j'ai commis une erreur, je l'avoue franchement. Mais ce n'est pas le cas ici. Dans la circulaire dont on a parlé, je manifestais l'opinion que les nominations d'instituteurs ou d'institutrices non diplômés devaient être préalablement soumises à l'autorisation du gouvernement, non par obligation légale, mais pour simplifier la marche de l'instruction de l'affaire.

Eh bien, c'est encore là mon opinion. Mais lorsque le gouverneur du Hainaut invite une commune qui avait fait une nomination sans condition, à faire un autre choix, et lorsqu'il refuse le même avantage à la commune d'Enghien, qui soumettait sa nomination à l'approbation, je dis qu'il a deux poids et deux mesures. Lorsque M. le ministre de l'intérieur Vandenpeereboom, dans une instruction au gouverneur du Brabant, qui avait laissé, sans réclamer, passer le délai de quarante jours, à l'occasion d'une nomination faite par le conseil communal de Bruxelles d'un instituteur non diplômé, disait à ce fonctionnaire : « Vous auriez dû prendre recours contre cette nomination », il était dans le vrai.

Il y avait lieu dans ce cas de prendre recours parce que la nomination était pure et simple. Mais il n'en était pas de même à Enghien ; à Enghien il n'y avait pas de nomination, il y avait simplement demande d'approbation. Lorsque le ministre de l'intérieur, dans cette dépêche officielle dit au gouverneur du Brabant : Vous auriez dû, avant l'expiration du délai, prévenir l'administration communale de Bruxelles qu'elle était sortie des termes de la loi et l'inviter à faire une nouvelle nomination, il trace une marche à suivre en vue de ne pas froisser les communes. Et M. le gouverneur du Hainaut lui-même n'a-t-il pas fait ainsi dans les deux communes citées hier dans le discours de l'honorable M. Liénart ?

Ne venez donc pas invoquer la circulaire de 1846 ; les faits posés par le gouverneur du Hainaut et par l'honorable ministre Vandenpeereboom condamnent, à l'avance, votre justification.

Je puis protester, du fond de ma conscience, de n'avoir jamais considéré dans les actes administratifs que la loi, le droit et l'équité, rien de plus. Si l'administration usait d'arbitraire, où serait donc notre garantie ? Lorsqu'un tribunal se permet un écart, la cour d'appel, la cour de cassation interviennent, mais dans l'administration il n'en est pas de même. Nous devons donc tenir strictement à ce que, dans tous les actes administratifs, l'impartialité soit rigoureusement observée.

On a parlé des écoles d'adultes ; je ne sais pas ce qui s'est passé à. Enghien, mais voici ce que je crois.

Dans une commune, un curé qui avait appartenu à l’enseignement s'entendit avec l'instituteur pour créer une école dominicale, mais l'inspecteur d'arrondissement avertit l'instituteur qu'il pouvait compromettre sa carrière. Voilà un fait qui m'est parfaitement connu. Voilà ce que j'appelle une influence occulte, pernicieuse.

Je n'en dirai pas davantage, la discussion n'a que trop duré. Cependant je tiens à déclarer que de même qu'on a attaché une grande importance à l'acte de blâme posé par le gouverneur, et maintenu par le ministre à l'égard d'un instituteur de la commune de Nimy, au point d'en faire à peu près une question d'existence ministérielle, bien que les circonstances du blâme fussent d'une nature telle qu'elles ne pouvaient être sainement appréciées par la Chambre, à plus forte raison et à juste titre pouvons-nous critiquer et attaquer l'acte posé à l'égard du conseil communal d'Enghien.

On a agi de deux manières différentes à l'égard d'Enghien et à l'égard (page 489) d'autres communes. C'est là ce que je blâme, c'est là un droit qu'on n'avait point.

M. Bruneauµ (pour un fait personnel). - Messieurs, je ne dirai que quelques mots ; mais je dois protester contre l'imputation d'avoir introduit dans ce débat le nom d'une famille respectable et illustre pour l'attaquer et la blâmer.

Or, messieurs, ce que j'ai dit à cet égard était écrit ; je suis donc certain de reproduire exactement ce passage de mon discours. Voici comment je me suis exprimé :

« Une haute et pieuse dame de cette illustre famille, qu'une mort récente vient de lui enlever et dont personne plus que moi ne respecte et ne vénère la mémoire, semblait s'être imposé la tache de restaurer à Enghien les institutions religieuses qui y existaient autrefois et dont elle avait acquis les anciennes propriétés.

« Il ne m'appartient pas de blâmer ces intentions, chacun fait le bien comme il l'entend en ce monde, et je suis persuadé qu'elle n'était dirigée que par des intentions de faire le bien ; mais il m'est permis aussi de penser que l'établissement de quelques bonnes fabriques procurant du travail et du pain aux classes ouvrières eût produit beaucoup plus de bien que la restauration de couvents et surtout d'un couvent de capucins dans une petite ville complètement dépourvue d'industrie et d'activité et accablée d'un grand nombre de pauvres. »

Voilà tout ce que j'ai dit. C'est une simple appréciation comme chacun est libre d'en faire et je crois n'être pas sorti des bornes des convenances en introduisant ce fait dans la discussion, et j'ajoute qu'il sera toujours impossible de parler d'Enghien et de son administration sans que le nom de cette illustre famille y soit mêlé, parce qu'elle y domine au point de l'absorber complètement. Ce que j'ai attaqué, ce n'est pas cette famille, mais ses agents qui se servent de son influence au profit de leur position personnelle.

M. de Theuxµ (pour un fait personnel). - Je veux m'en tenir, messieurs, à ce que vient de lire l'honorable M. Bruneau et je répète qu'il n'avait pas le droit de parler, dans cette enceinte, de la duchesse d'Arenberg, au point de vue où il s'est placé, c'est-à-dire en prétendant qu'on eût mieux fait d'ériger à Enghien quelques fabriques au lieu de couvents... (Interruption.) Eh bien, je dis que l'honorable membre n'avait nullement ce droit.

Qu'en thèse générale on exprime l'opinion que des fabriques sont plus utiles que des couvents, c’est l’exercice d’un droit parfaitement constitutionnel, puisque les opinions sont libres. Mais on n’avait pas le droit d’introduire dans nos débats le nom d’une famille qui ne se mêle pas d’administration.

Nous n'avons pas plus ce droit que nous n'aurions le droit de dire : Telle famille a organisé une loge maçonnique, une association libérale dans sa commune, et de religieuse qu'était cette commune elle est devenue libérale et antireligieuse.

MiPµ. - L'honorable M. de Theux a témoigné le regret que la Chambre consacrât autant de temps à la discussion de ce qu'il a appelé cette petite affaire d'Enghien, alors que tant de travaux importants sont à son ordre du jour.

Je dois constater, messieurs, que si la Chambre a été appelée à s'occuper de cette affaire, ce n'est ni au gouvernement ni à la majorité qu'en incombe la responsabilité. C'est le conseil communal d'Enghien qui a saisi la Chambre d'une longue réclamation dont on a fait à l'avance beaucoup de bruit, et c'est l'honorable M. de Woelmont qui, dans un discours étendu, a soulevé cette discussion. Si donc l'honorable comte de Theux regrette ce débat, il doit le témoigner à ses amis ; mais le débat étant soulevé, notre devoir était de discuter la question à fond et de démontrer que dans cette affaire, dont on faisait un thème à griefs, il n'y avait pas du tout ce qu'on prétendait y trouver.

Je ne puis pas admettre, messieurs, avec l'honorable M. Delcour que le discours de l'honorable M. Bruneau n'est pas sérieux, On a fait, connue je viens de le dire, beaucoup de bruit de cette affaire : cela prouve suffisamment qu'il y a ici autre chose qu'une controverse juridique. Ce n'est pas la question de savoir si l'article 10 de la loi de 1842 veut une autorisation préalable ou si une approbation postérieure suffit, qui toucherait l'opinion publique.

Non, messieurs, ce n'est pas avec ces points de droit qu'on a voulu passionner le débat. On a espéré montrer des persécutés et des persécuteurs ; la liberté communale compromise et anéantie ; l'esprit de libéralisme s'opposant à toute espèce d'enseignement religieux et voulant s'emparer de tout au moyen de ce qu'on appelle la centralisation administrative. Quand l'attaque a ces tendances à incriminer la politique générale, la défense ne doit pas se restreindre dans les limites d’une simple question de droit, elle doit examiner les faits dans leur ensemble, pour que le public puisse apprécier de quel côté est la modération et l'esprit véritablement libéral.

L'honorable M. Bruneau n'a pas fait autre chose, messieurs, que de vous indiquer l'ensemble des faits au milieu desquels cette question est née et de vous mettre ainsi à même de l'apprécier sainement. Ses observations rentraient donc parfaitement dans le débat dont elles éclairent une face.

L'honorable M. Delcour a trouvé dans mon discours d'hier deux déclarations auxquelles, je l'avoue humblement, je n'avais point pensé.

D'abord j'aurais déclaré que je vois dans cette affaire un conflit entre l'autorité religieuse et l'autorité civile ; et cela parce que j'ai dit, à un moment de mon discours que je ne me rappelle pas bien, que je maintiendrais les droits de l'autorité civile.

Je reconnais parfaitement avec l'honorable membre que le conflit existe ici entre une administration communale et l'autorité gouvernementale ; si j'ai employé l'expression l'autorité civile, c'est que, sans, doute, dans l'improvisation, je me suis un peu trop préoccupé de ce qui pouvait être derrière l'autorité communale d'Enghien.

La seconde déclaration que l'honorable M. Delcour a trouvée dans, mon discours, c'est que je suis partisan du maintien de la loi de 1842. Messieurs, cette déclaration n'a pas été plus dans mon esprit que la première.

On a annoncé partout que je suis partisan de la loi de 1842. Jamais, messieurs, je ne me suis prononcé sur cette question par la raison toute simple que je n'ai jamais eu à parler en public de cette loi ; mais puisque cette occasion m'est offerte aujourd'hui, je la saisis, et je le déclare franchement, je désire le maintien de la loi de 1842 qui, dans les circonstances actuelles, rend, selon moi, d'incontestables services.

- Voix à droite. - Très bien !

M. Bouvierµ. - Les voilà soulagés. (Interruption.)

MiPµ. - L'honorable M. Delcour a cru devoir justifier la résistance du conseil communal d'Enghien. Je ne puis pas admettre cette justification. Il y a dans l'administration des règles hiérarchiques qu'il faut observer.

Le gouvernement avait à se prononcer sur la validité d'une nomination d'institutrice ; c'est au gouvernement seul qu'il appartient en pareille matière de se prononcer en dernier ressort et le recours à la Chambre ne peut pas appartenir aux corps communaux. Sans doute, le gouvernement est justiciable devant les Chambres de ses actes envers la commune ; sans doute, il appartient aux membres de la Chambre d'interpeller le gouvernement et de provoquer au sein de la législature toutes les mesures de blâme ou de défiance que sa conduite peut mériter. Mais je ne puis pas admettre, tout en reconnaissant cette responsabilité du gouvernement envers les Chambres, qu'une autorité communale puisse suspendre une décision du gouvernement, sous prétexte d'un recours qu'elle aurait adressé à la législature.

Je crois que c'est une distraction de l'honorable M. Delcour, car un jurisconsulte de son mérite ne peut pas soutenir qu'un recours à la Chambre est un recours suspensif,

M. Delcourµ. - Aussi n'ai-je pas dit cela.

M. Teschµ. - Si ! si ! vous l'avez soutenu.

MiPµ. - Si vous ne le soutenez pas, vous devez reconnaître que la commune d'Enghien est en état de résistance illégale.

Je crois que l'honorable M. Delcour, qui est un jurisconsulte très distingué et qui a, comme tel, de grands ménagements à prendre envers sa juste réputation, ménagements extrêmement légitimes, je me plais à le reconnaître, a été un peu embarrassé pour traiter la question de droit.

Il s'est, d'abord, gardé de l'aborder bien nettement. Il a commencé par nous reporter à la loi de 1836 ; il nous a expliqué les différents systèmes qui se sont produits lors de la discussion de cette loi au sein de la législature.

Je crois que tout cela n'a rien à faire dans la question actuelle.

La loi de 1836 a été modifiée par celle de 1842, que M. Delcour et moi voulons maintenir. Les systèmes qui ont été débattus alors sont jugés. L'un de ces systèmes a prévalu ; c'est celui qui se trouve dans la loi, c'est le système qu'il faut appliquer.

Nous devons examiner uniquement si, dans la circonstance dont il s'agit, le gouverneur du Hainaut et le gouvernement, en l'approuvant, ont agi légalement.

(page 490) A cette occasion, l'honorable M. Delcour s'est livré à des dissertations que je considère comme éminemment dangereuses pour la loi de 1842 ; en réalité, il a fait le procès à cette loi ; il a cherché à démontrer que l'enseignement primaire étant une chose d'intérêt communal de par la Constitution, la nomination de l'instituteur devait appartenir à la commune.

Eh bien, s'il en est ainsi, la loi de 1842 est une loi inconstitutionnelle.

Je n'admets pas, bien entendu, la théorie politique de l'honorable membre, sur la portée qu'il donne aux dispositions constitutionnelles Ce serait le renversement complet des lois provinciales et communales qui, pour une multitude de choses, soumettent les décisions des conseils communaux soit à l'autorité provinciale, soit au gouvernement.

M. Delcourµ. - A l'approbation.

MiPµ. - A l’approbation, si vous voulez.

Mais enfin je constate que la Constitution ne peut avoir la portée que vous lui attribuez ; sans cela, vous devez vous joindre aux adversaires de la loi, pour demander tout au moins la suppression de la loi de 1842 dans tout ce qui entrave l'action communale.

Du reste, l'honorable M. Delcour est dans une erreur profonde sur le caractère même de cette loi de 1842. La loi sur l'instruction primaire est, non pas une loi de liberté communale, mais une loi de restriction communale.

En quoi consisterait le système de la liberté communale en matière d'enseignement primaire ? A dire aux communes : « Organisez ou n'organisez-pas d'enseignement primaire, je ne m'en mêle pas ; si vous l'organisez, vous l'organiserez comme vous l'entendrez. »

Que fait la loi de 1842 ? Elle établit un système d'obligation ; ce n'est pas une loi de liberté, c'est une loi de devoirs ; elle oblige les communes à satisfaire à une de leurs missions les plus importantes, celles de faire donner l'instruction primaire à leurs administrés. Ne réclamez donc pas la liberté communale, quand il s'agit de l'enseignement primaire, si vous ne voulez faire, je le répète, le procès à la loi de 1842.

Qu'est-ce donc que la double inspection instituée par la loi ? Mais la concentration dans les mains du gouvernement d'une part, du clergé de l'autre, de la surveillance des écoles.

Au surplus, si vous êtes si grand partisan de la liberté communale, je vous offrirai prochainement l'occasion de manifester vos sympathies pour cette liberté ; je vous proposerai, non pas pour l'enseignement primaire proprement dit, qui est une obligation pour la commune et qui doit rester régie par la loi, mais pour l'enseignement facultatif des adultes ; je vous proposerai, dis-je, d'augmenter la liberté des communes ; nous verrons si vous nous suivrez.

Messieurs, l'honorable M. Delcour nous a fait une dissertation sur la nature de l'autorisation. L'honorable membre qui est, j'aime à le redire, un savant jurisconsulte, nous a expliqué ce qu'il entend par le mot « autorisation ». Il m'a rappelé des souvenirs d'Instilutes, le mot vient du verbe latin augere ; l'autorisation constitue l'augmentation de droits qui habilité un incapable ; elle confère un pouvoir que l'on n'a pas soi-même et qu'on puise à une source étrangère. Ainsi celui qui a besoin d'autorisation est incapable avant de l'avoir obtenue.

La loi s'était servie du mot « autorisation », et le conseil communal d'Enghien n'a pas obtenu cette autorisation, quand il a fait la nomination du 1er octobre. Je croyais que l'honorable M. Delcour, allait conclure de sa dissertation la condamnation du système suivi par le conseil communal d'Enghien ; pas du tout : l'honorable membre n'a développé sa dissertation que pour montrer que la loi était mal conçue et qu'il fallait la faire autrement !

Or, nous savons que le mot « autorisation » a précisément été mis dans la loi pour assurer le résultat où conduit la dissertation de M. Delcour. Comment, dès lors, vouloir que l'on applique non son texte, mais celui que M. Delcour voudrait mettre à la place ?

Messieurs, j'ai dit hier que, d'après moi, il y avait eu un excès de rigueur ; mais je ne vois pas ce que la dissertation de l'honorable M. Delcour, pour le démontrer, peut faire dans le cas qui nous occupe. La seule question à résoudre est une question de légalité d'un acte déterminé ; or, pour cet acte tous les systèmes mènent au même résultat.

Posons bien cette question. Le conseil communal a 40 jours pour faire la nomination d'un instituteur ; ce délai expiré, son droit est épuisé, celui du gouvernement est ouvert. Ce point est incontesté. Le conseil communal d'Enghien a-t-il pourvu la commune d'un instituteur dans le délai de 40 jours ?

Non, on ne le soutient pas ; donc le gouvernement pouvait nommer d'office.

Comme toujours, quand on a une mauvaise cause, nos adversaires ne sont pas logiques.

Ils prétendent qu'il n'y a pas d'institutrice valablement nommée à Enghien ; or, c'est là une chose impossible.

On comprendrait qu'ils soutinssent que Mlle Ponsaerts est institutrice. Mais si elle ne l'est pas, il est clair qu'il n'a pas été dans les quarante jours satisfait au prescrit de la loi, et que par conséquent après les quarante jours Mlle Malfait a été régulièrement nommée.

Voulez-vous que la nomination de Mlle Ponsaerts soit nulle, faute d'autorisation préalable, ou faute d'approbation ultérieure, cela est indifférent ; vous reconnaissez qu'elle n'est pas institutrice, donc le gouvernement avait le droit de nommer.

Il n'y a réellement dans le débat qu'un point à discuter, c'est celui de savoir si le gouvernement n'eût pas dû accorder un nouveau délai au conseil communal d'Enghien. C'est ce que l'honorable M. de Theux, avec son grand sens des affaires parlementaires, a bien saisi. Mais ici le droit du gouvernement n'est pas en jeu ; il a le droit de refuser et d'accorder le délai, il s'agit de savoir s'il n'a pas, en refusant ce délai, mal usé de son droit. Pour résoudre cette question, il faut examiner l'ensemble des circonstances ; ce n'est plus une question de légalité, mais une question d'appréciation qui peut se résoudre diversement d'après les circonstances.

Permettez-moi, messieurs, de me servir d'une comparaison assez familière.

« J'ai des débiteurs qui ont fait tous leurs efforts pour me payer ; je leur accorde un délai ; je ne les presse pas, espérant que quand ils auront des fonds, ils viendront acquitter ma créance. Mais j'ai un autre débiteur que je soupçonne de me demander un terme pour ne pas me payer. Cet individu viendra me dire : « Vous donnez du temps à vos autres débiteurs ; par conséquent, vous m'en devez donner aussi. » Je lui réponds : « Je me défie de vous ; si je vous donnais du temps, vous agiriez de manière à ne pas me payer, ou à vous acquitter fort incomplètement envers moi ; je ne vous donne pas de temps ; vous devez me payer le jour de l'échéance. »

Les mêmes principes peuvent s'appliquer aux conseils communaux et à l'échéance des quarante jours de la loi de 1842. Si on a un conseil communal remplissant bien ses devoirs quant à l'instruction, qui, après les quarante jours, fera, on en est certain, les diligences nécessaires pour avoir un instituteur convenable, qui donne tous ses soins à la bonne administration de ses écoles, on doit lui accorder des délais. Mais si on est en face d'un conseil communal qui évidemment ne veut pas s'acquitter de ses obligations, qui cherche à faire disparaître les écoles qui sont la garantie de la liberté de ses administrés, si on voit ces dispositions se manifester depuis des années, le jour de l'échéance arrivant, on fera bien d'appliquer la loi, et de faire, en vertu du droit rigoureux de la loi, ce qu'il ne ferait pas.

M. Delcourµ. - Vous l'emprisonnez.

MiPµ. - Mais c'est précisément en cela que consiste la bonne administration : c'est la tolérance, l'indulgence envers ceux qui remplissent leurs devoirs, c'est la rigueur vis-à-vis de ceux qui veulent se soustraire à leurs obligations, et dont on doit craindre l'amoindrissement des services publics dont ils sont chargés.

Et voilà pourquoi, abondant dans le sens de l'honorable M. de Theux, qui a parfaitement posé la question, j'ai dû vous indiquer les circonstances qui avaient obligé à agir avec rigueur et à ne pas accorder de supplément de délais.

Que m'a-t-on répondu ? Que la commune avait fait ce qu'elle avait pu pour l'instruction primaire. Mais l'honorable M. Delcour nous a fait, à l'égard des écoles d'adultes, un aveu précieux ; la commune, usant de son droit, n'a pas voulu organiser l'enseignement des adultes.

M. Delcourµ. - Elle l'a organisé.

MiPµ. - Je vous ai dit qu'on avait écrit neuf lettres pour obtenir l'ouverture de l’école et que l'administration communale n'avait jamais répondu.

Mais votre défense a été celle-ci : « D'autres communes n'ont pas voulu se soumettre à l'arrêté de mon prédécesseur. » Entendons-nous bien. Ce n'était pas pour empêcher l'instruction des adultes que Bruxelles, Gand et d'autres communes ont refusé de se soumettre à l'arrêté de mon prédécesseur ; c'est parce que. ces villes croyaient, à tort (page 491) ou à raison, je ne discute pas la question en ce moment, que l'enseignement des adultes devait être organisé d'une autre manière.

C'est dans le mode qu'existait la divergence, mais ces communes ne peuvent pas être accusées d'avoir négligé les intérêts de l'enseignement primaire. A Enghien, était-ce parce que vous aviez un autre système d'organisation que l'on ne voulait pas d'école d'adulte ?

M. Delcourµ. - Il y en a.

MiPµ. - Vous ne voulez pas les laisser ouvrir. Il y en a, mais elles sont fermées avec la serrure que nous connaissons. (Interruption.)

L'honorable M. de Theux nous a dit une grande vérité : nos dissentiments proviennent de l'esprit d'intolérance, je vous demande de vouloir être tolérants à Enghien. Tous les habitants d'Enghien qui veulent mettre leurs enfants dans les écoles dirigées par des communautés religieuses, ont toutes les facilités. Vous n'avez rien à désirer et, à ce point de vue, ce que l'honorable M. Bruneau a constaté est encore utile aux débats. Vos désirs sont donc satisfaits de la manière la plus large, la plus complète, la plus absolue.

Que vous demandons-nous au nom de cette tolérance dont parlait l'honorable M. de Theux ? Laissez aux parents qui préfèrent faire donner une instruction laïque à leurs enfants, la liberté de la leur faire donner dans les écoles communales laïques. Voilà ce que le conseil communal d'Enghien nous refuse ; voilà ce que ceux qui soutiennent la pétition nous refusent, mais ce que M. le gouverneur du Hainaut a voulu qui fût et ce que nous vous demandons. Au nom de cette tolérance que vous invoquez, laissez à Enghien choisir aux parents le genre d'instruction qui leur convient.

Je dois encore, en terminant, un mot de réponse à l'honorable M. Liénart.

Il nous a dit hier que nous consacrions un système d'arbitraire et de violence. Il me paraît bien difficile que nous soyons d'accord avec l'honorable M. Liénart sur l'appréciation de ce qui constitue la modération ou la violence.

Je vais vous donner lecture d'un rapport fait par l'honorable membre au conseil communal d'Alost et vous verrez que nos appréciations, en ce qui constitue la modération, la justice, la tolérance, doivent être tellement différentes qu'une discussion entre nous à ce sujet serait complètement inutile, parce que nous n'arriverions jamais à nous entendre.

Messieurs, on a proposé au conseil communal d'Alost de dissoudre les commissions administratives de l'école de musique, de l'Académie des beaux-arts et de la bibliothèque.

Cette proposition ne venait pas de l'honorable M. Liénart. Un des motifs à l'appui de cette demande était celui-ci :

« Il semble que ces commissions et la majorité du collège échevinal dans l'exercice de leur éphémère droit de présentation, veulent persévérer dans cet étroit esprit d'exclusivisme qui prend la majorité du conseil communal pour un mythe, qui voudrait ne considérer que comme un rêve la victoire remportée le 30 octobre 1866, par le vieil esprit d'indépendance et de liberté flamandes sur le régime des promesses soi-disant libérales, sans cesse contredites par les faits introduits en 1848. »

On veut donc dissoudre les commissions existantes parse qu'elles contiennent des libéraux, et voici le rapport de l'honorable M. Liénart qui approuve cette mesure :

« Qui se servira de l'épée, périra par l'épée », sans examiner au fond les considérations empruntées par M. Bethune à M. Evit, la section est d'avis qu'entre adversaires les représailles sont de bonne guerre. » (Interruption.)

M. Liénartµ. - C'est évident.

MiPµ. - C'est évident, dites-vous ! Voilà encore un principe sur lequel je ne puis être d'accord avec l'honorable M. Liénart. Dans mon administration, je tâcherai de ne jamais faire de représailles et d'être juste partout et toujours.

- Des membres. - Très bien ! très bien !

MiPµ. - M. Liénart continue :

« La section est d'avis qu'entre adversaires les représailles sont de bonne guerre, et que si les moyens employés présentent quelque chose de rigoureux, l'odieux en doit retomber tout entier sur celui des deux adversaires qui s'en est servi le premier. »

Ainsi, l'honorable M. Liénart ne cache pas que les mesures proposées auront quelque chose qui paraît odieux.

Il y a là une théorie bien dangereuse ; on ne se trompe pas sur le caractère odieux des actes que l'on fait soi-même, mais quand on pense les justifier par ceux de ses adversaires, on risque bien de les mal apprécier, et ainsi de n'avoir aucune justification. Je continue :

« Il est temps, d'ailleurs, que le public sache que les catholiques ne sont plus d'humeur à se laisser berner et qu'ils sont instruits aujourd'hui, par l'exemple que leurs adversaires leur ont donné pendant une longue domination. Chacun son tour, est-ce trop ? »

C'est tout. Ce rapport n'est pas plus long. C'est court, mais c'est bon. (Interruption.)

« Signé : le président, Van Wambeke ; le rapporteur, Liénart. »

Messieurs, nous avons été accusés hier d'arbitraire et de violence. Ma réponse est dans la pièce que je viens de lire.

M. Liénartµ. - J'estime, messieurs, et beaucoup de membres de la Chambre partageront ma manière de voir, qu'il eût mieux valu, dans l'intérêt de la cause défendue par l'honorable ministre de l'intérieur aussi bien que dans l'intérêt de sa dignité personnelle, répondre à mon discours d'hier que de venir, à la dernière heure, jeter dans le débat une pièce qui n'y a pas sa place.

Je dois à la vérité de dire que si je pouvais m'attendre à de pareils procédés de la part du gouvernement, je ne pensais pas que l'honorable M. Pirmez aurait consenti, à son début dans la carrière ministérielle, à s'en faire l'éditeur responsable devant cette Chambre. Ce mode d'argumentation toute personnelle est déplacé dans la bouche de l'honorable ministre, mais il n'aurait pas fait disparate au milieu des personnalités d'un goût très douteux dont M. Bruneau, député évincé d'Alost, a fait la substance de son discours.

Votre cause doit donc être bien mauvaise qu'elle vous oblige à recourir à de semblables moyens.

Mais si je regrette pour vous, membres de la majorité, ce qui vient de se passer, je remercie l'inconnu qui a fait arriver juste à temps à la Chambre cette pièce dont l'honorable ministre a fait la péroraison de sa réplique.

La Chambre, en effet, ne saurait me refuser quelques minutes pour répondre à la pièce qu'on a produite ici par une sorte de surprise.

Il faudrait un temps assez long pour expliquer la situation fâcheuse et véritablement déplorable que le gouvernement a faîte à la ville d'Alost et dont il a aujourd'hui le triste courage d'argumenter contre moi.

Depuis environ 18 ans le parti libéral dominait exclusivement à Alost. Lorsque à la suite des dernières élections la majorité eut été subitement renversée et remplacée par une majorité catholique, nous nous demandâmes si le gouvernement, fidèle aux véritables principes constitutionnels dont il fait profession dans ses discours, nous aurait donné un collège qui répondît au sentiment de la majorité du conseil communal. Etait-ce trop exiger ? Etait-ce trop exiger que de demander avec un conseil communal catholique, un collège échevinal catholique ? Je pose la question et j'attends la réponse.

Il n'en fut rien ; on contraria les vœux de la population en nous nommant un bourgmestre nouveau, choisi précisément dans cette minorité qui avait été condamnée par le corps électoral.

Et cependant, nous avions eu le soin d'aller trouver l'honorable M. Vandenpeereboom, à cette époque ministre de l'intérieur, pour lui exposer franchement notre situation.

Notre avis ne fut pas suivi, comme nous nous y étions d'ailleurs attendus.

Eh bien, messieurs, je souhaite que cet exemple serve au gouvernement dans les décisions qu'il aura à prendre encore en pareille circonstance.

Une lutte opiniâtre, incessante, de tous les instants, s'est établie entre la majorité du conseil communal et le collège échevinal, au grand détriment des affaires ; et à qui la faute, si ce n'est au gouvernement qui a nommé un collège libéral quand la majorité du conseil était catholique ?

J'arrive au rapport.

J'ai été attaqué inopinément au moyen d'une pièce que je ne m'attendais pas à voir produire dans cette enceinte.

Ce n'est pas seulement le collège échevinal qui a fait une opposition systématique à la majorité du conseil communal, mais il en a été de même des hommes qui siégeaient dans les administrations spéciales.

Ces administrations, vous le savez, messieurs, ne se renouvellent pas intégralement du jour au lendemain. Il arrive même, pour certaines d'entre elles, que les nominations se font sur une liste double de candidats. Or, les anciennes administrations, étaient libérales, le collège (page 492) échevinal était libéral ; nous avions donc le choix entre deux candidats libéraux.

Pour citer un exemple frappant, le collège et l'administration des hospices ne se contentaient pas de se mettre d'accord, mais ils sont allé jusqu'à présenter comme membre des hospices un employé que nous avions été obligés de destituer.

Une autre fois le collège et le bureau de bienfaisance se sont accordés pour composer une liste double qui comprenait les noms de deux frères.

Voilà comment on respectait le droit de nomination que la loi confère au conseil et comment on enrayait la gestion des affaires communales.

Les membres de l'opinion que nous combattons se ressemblent partout ; il est écrit que ni dans la Chambre, ni dans les administrations communales, ils ne savent se résigner au rôle de minorité.

Maintenant, messieurs, on nous parle de représailles, mais, je le demande, quand le collège échevinal et les administrations spéciales usaient rigoureusement de leur droit, ne pouvions-nous pas leur dire : Un instant, messieurs, à notre tour ; puisque vous usez de tous vos droits contre nous, nous en agirons de même à votre égard.

Je regrette, messieurs, qu'on n'ait apporté dans cette Chambre qu'un lambeau de la discussion ; quand la proposition de réorganisation a été faite au sein du conseil communal, j'ai déclaré que jamais je n'aurais consenti à ces mesures si l'exemple ne nous en avait été donné en 1849, lorsque le parti libéral est arrivé aux affaires.

A cette époque le parti libéral n'a pas été amené par l'opposition des catholiques à faire ce qu'il a fait. Nous n'agissions pas envers lui avec cette hostilité incessante contre laquelle nous avons eu à lutter et cependant quand il est arrivé au pouvoir il s'est empressé de prendre de gaieté de cœur et par esprit de parti des mesures comme celle qu'on nous reproche et que nous n'avons employée que parce que nous y étions forcés.

Nous avons usé de notre droit en nous défendant et nous l'avons fait dans l'intérêt de ceux qui nous avaient envoyés au conseil communal, parce que nous voyions que nous ne pouvions pas marcher sans recourir à ce moyen. (erratum, page 503) Je le déclare hautement, messieurs, ce rapport je l'ai rédigé en acquit d'un devoir de conscience, parce que j'ai cru, en le faisant, mettre fin à une situation déplorable, situation dont la responsabilité tout entière doit nécessairement retomber sur le gouvernement et sur ceux qui ont consenti à lui servir de complices.

Je vous le demande, messieurs, si nous avions ici un ministère catholique avec une majorité libérale comment les affaires seraient-elles gérées ?

M. Jacobsµ. - Quels rapports ferait-on alors ?

MfFOµ. - Nous n'en ferions pas de semblables.

M. Liénartµ. - Je m'aperçois que l'issue de l'incident que vous avez sournoisement soulevé à l’instant du vote, vous gêne considérablement et pour cause.

En effet, est-ce que, dans cette Chambre nous n'avons pas entendu à satiété le gouvernement déclarer hautement que jamais il ne contrarierait les vœux des habitants et qu'il chercherait toujours à donner aux communes des chefs ayant les mêmes sentiments que la majorité du conseil communal ?

Si ces déclarations étaient sincères de votre part, pourquoi le gouvernement ne s'y est-il pas conformé ? Est-ce que vous aviez un motif plausible pour vous en écarter ? Prétendrez-vous que dans la majorité nouvelle il n'y eût pas un seul homme capable ? Vous avez invoqué cet argument lorsqu'il s'agissait de petites communes, dont les conseils se composaient de gens ne sachant ni lire ni écrire ; mais j'espère que vous ne nous ferez pas l'affront de nous comparer à ces communes-là.

Vous m'avez demandé des explications sur mon rapport ; permettez-moi de vous demander des explications sur la conduite de votre prédécesseur qui a nommé un bourgmestre libéral lorsque la majorité du conseil était catholique. Chacun son tour n'est pas trop.

MjBµ. - Messieurs, je ne m'étonne pas autant que mon honorable collègue M. Pirmez du rapport de l'honorable M. Liénart. Ce n'est que l'application aux petites choses de la théorie indiquée par le programme de M. Dechamps.

D'après ce programme, on devait destituer tous les fonctionnaires politiques libéraux.

- Un membre. - C'est une invention.

MjBµ. - C'est une invention ?

- Un membre. - Lisez le programme.

MjBµ. - Je lirai le programme tant que vous voudrez. Je me souviens parfaitement que l'honorable M. Dechamps se réservait le droit de faire disparaître tous les fonctionnaires politiques qui le gênaient.

C'est, du reste, le système que nous avons vu appliquer...

M. Jacobsµ. - En 1847.

MjBµ. - ... dans les conseils provinciaux où la majorité catholique a triomphé ; on y a complètement écarté les membres libéraux des députations permanentes.

A Alost on applique le système aux petites choses. On ne veut plus de libéraux dans la commission administrative de l'école de musique ; on ne veut plus que de la musique catholique, il faut du plain-chant. (Interruption.)

Mon ancien collègue, l'honorable M. Vandenpeereboom, n'est pas ici et il ne peut répondre aux attaques que l'honorable M. Liénart a dirigées contre son administration.

Si mes souvenirs ne me trompent pas, voici quelques-uns des motifs qui ont déterminé M. le ministre de l'intérieur. Les catholiques avaient triomphé à Alost dans une élection communale et il restait dans le collège échevinal deux échevins libéraux.

M. de Naeyerµ. - C'est une erreur, un seul.

MjBµ. - Soit, un seul ; il restait donc une partie du collège.

Qu'a fait le gouvernement ? Si mes souvenirs sont exacts, des plaintes nombreuses lui sont parvenues contre les élections d'Alost.

On constatait que quarante électeurs libéraux avaient été rayés des listes et que c'était à cette radiation qu'était dû le triomphe de l'opinion adverse. La députation permanente, par des arrêtés non justifiés, non expliqués, avait fait une moisson complète des libéraux d'Alost.

Nous avons été obligés de faire à notre tour notre instruction, et cette instruction aura pour résultat la présentation d'un projet de loi que la Chambre examinera sans doute avec la plus grande attention.

Le gouvernement a pu s'assurer, par l'étude de cette question, que beaucoup de ces réclamations étaient fondées et il s'est dit avec l'honorable M. Delcour qu'il fallait une garantie contre la politique s'introduisant dans les députations permanentes.

L'honorable membre a dit un jour ; Tout se passe à huis clos, on y peut étrangler, au gré des passions politiques, les droits des citoyens.

Nous avons vu la nécessité d'une reforme dans les faits qui se sont passés à Alost et ailleurs. Le gouvernement, influencé par ces considérations et par la présence dans le collège d'un membre appartenant à l'ancienne majorité, s'est dit que le moment n'était pas venu de donner un bourgmestre catholique à Alost, qu'il ne s'était pas opéré dans les sentiments de la population d'Alost un revirement aussi complet que veut bien le dire l'honorable M. Liénart.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! la clôture !

M. Dumortierµ. - Je demande la parole.

MpMoreauµ. - Je dois faire observer que nous discutons l'affaire d'Enghien. Il m'est impossible de laisser égarer le débat sur les élections d'Alost.

M. Dumortierµ. - Je veux parler contre la clôture. Il n'y a pas d'exemple que, dans un parlement, on ait clos une discussion sur le discours d'un ministre, en refusant d'entendre ceux qui voulaient le réfuter.

Il m'est impossible de laisser passer sans réponse le discours que vient de prononcer l'honorable ministre de la justice.

- Plusieurs membres. - Laissez parler.

M. le président. - On n'insiste pas pour la clôture. La parole est à M. Dumortier.

M. Dumortierµ. - Messieurs, l'honorable ministre de la justice a invoqué d'abord le programme de l'honorable M. Dechamps pour prétendre que ce programme portait la destitution de tous les fonctionnaires.

Je n'ai pas à défendre le programme de l'honorable M. Dechamps, mais le fait que cite l'honorable ministre est complètement inexact.

L'honorable M. Dechamps n'a jamais demandé la destitution de tous les fonctionnaires publics. (Interruption.)

C'est le gouvernement du 12 août qui a commencé à appliquer le système des destitutions en révoquant trois gouverneurs, quinze (page 493) commissaires d'arrondissement. N'attribuez donc pas à la droite un fait qui vous appartient.

M. Hymansµ. - Et M. le baron de Stassart ?

M. Dumortierµ. Ne venez donc pas reprocher à un homme qui a siégé sur nos bancs, qui est notre ami, un fait accompli par vous et qui est odieux.

On dit que les élections d'Alost n'étaient pas sincères. Je vais vous dire moi ce qui est : c'est que depuis longtemps vous êtes sous la pression d'un pouvoir occulte qui vous domine.

Si des électeurs avaient été écartés indûment, il fallait provoquer l'annulation des décisions qui les avaient rayés.

Mais que va-t-il arriver ? Parce que des conseils provinciaux d'autres provinces ont nommé de faux électeurs, vous allez enlever à toutes les députations permanentes les droits dont elles jouissent. En cela vous obéissez à un pouvoir occulte qui vous domine.

Vous venez nous parler de pression et d'élimination, à nous qui sommes sous le coup d'une élimination perpétuelle. Aucun homme appartenant à l'opinion conservatrice ne peut plus obtenir la moindre petite place. Vous nous traitez en vaincus, en parias, et vous osez nous adresser des reproches ! (Interruption de M. Hymans.)

M. Liénartµ. - Je demande la parole...

- Voix nombreuses. - La clôture !

M. Liénartµ. - Je ne comprends pas, en vérité, qu'après les accusations, aussi inconsidérées qu'imméritées, que M. le ministre de la justice vient de lancer contre le corps électoral d'Alost, contre son conseil communal et contre la députation permanente, vous ayez l'impudeur de ne pas vouloir m'entendre. (Interruption.) Si vous m'enlevez la parole, le pays saura que je n'ai pas eu le droit de m'expliquer.

MfFOµ. - On n'a calomnié personne.

M. Liénartµ. - Vous prétendez qu'on n'a calomnié personne, et M. le ministre de la justice vient de représenter le conseil communal d'Alost comme étant le fruit de la fraude et des complaisances coupables de la députation permanente.

- Des voix. - La clôture !

M. Liénartµ. - Comment ! Il ne me sera pas permis de relever les violences de langage de M. le ministre de la justice ?

- Voix à gauche. - Non, non, la clôture.

M. Allardµ. - Mais laissez-le parler.

M. Liénartµ. - Est-il entendu que je puis m'expliquer ?

MpMoreauµ. - La Chambre insiste-t-elle pour la clôture !

- Voix à gaucheµ. - Oui, oui. Non, non.

M. Liénartµ. - Je ne tiens pas à parler ; je constate seulement qu'on me refuse la parole.

- Une voix à gauche. - Du tout, parlez.

M. Liénartµ. - Il est très vrai de dire qu'avant les élections qui ont amené la nouvelle majorité au conseil communal il y a eu une révision assez complète des listes électorales. C'est exact. Il y a eu plusieurs électeurs rayés, c'est encore exact ; mais ces électeurs étaient-ils de vrais électeurs, des électeurs payant le cens ou étaient-ce de faux électeurs ?

J'en fais la Chambre juge par deux petits échantillons. Un de ces électeurs était un ancien habitant d'Alost qui n'avait plus avec la ville aucune espèce de lien si ce n'est un lien de famille ; depuis 10 ans au moins il avait eu des domicile à Bruxelles, à Paris et même en dehors de l'Europe.

Un autre électeur...

MjBµ. - Est-ce que vous allez discuter les 100 électeurs rayés ?

M. Liénartµ. - Si j'en avais le temps, je le ferais volontiers pour réduire à néant vos accusations téméraires.

Autre fait. On avait conservé pendant 7 ans sur les listes électorales un électeur qui n'avait pas même à Alost une chambre où il put se rendre et cela par le motif que chaque année il venait chasser quelques jours dans les environs. (Interruption.)

Je reviens maintenant à la deuxième attaque. (Nouvelle interruption.) Oui, vous avez attaqué les élections dans leur résultat.

On nous dit que des plaintes nombreuses contre les élections sont parvenues au gouvernement ; il y a à cette allégation une réponse péremptoire : ces plaintes ont été adressées à la députation et la députation a jugé que ces plaintes n'étaient pas fondées.

Eh bien, est-ce que le gouverneur de la province, qui représente le gouvernement, a fait un recours au Roi ?

M. Mullerµ. - En matière électorale ?

M. Liénartµ. - Notez que je ne parle plus en ce moment des réclamations contre les électeurs rayés, mais contre le résultat des élections ; or pour ces réclamations le gouvernement avait le droit de recourir au Roi (erratum, page 503) en vertu du paragraphe 3, article 46, de la loi communale. Si donc il y avait eu sujet de casser ces élections, pourquoi ne l'aurait-il pas fait ?

Ce qui résulte de cette discussion, c'est que le gouvernement trouve toujours le moyen d'avoir le dernier mot contre les électeurs si le résultat des élections ne lui plaît pas ; il a le moyen de nous punir et il s'en vante ; il nous a punis, nous habitants d'Alost, eu envoyant un bourgmestre libéral ; les bourgmestres libéraux sont en effet passés à l'état de fléau dont on accable les conseils communaux catholiques.

Que parlez-vous de l'exemple de Namur ? Cet exemple confirme mon assertion. A Namur, vous avez cherché à écraser le parti avancé, comme à Alost vous avez essayé d'étouffer la réaction catholique. Vous ne serez satisfaits que le jour où tout le monde aura emboîté le pas ministériel.

Eh bien, je dois protester contre ce moyen employé par le gouvernement, de contrarier le vœu des électeurs et de les punir lorsque le résultat des élections ne lui plaît pas. Les élections qui vous sont contraires sont toujours entachées du plus grand des vices, puisqu'elles sont entachées d'opposition.

Je dois protester contre le blâme que M. le ministre de la justice a lancé contre le conseil communal en le représentant comme le fruit de la fraude et de la supercherie, et je laisse à son collègue des finances le soin de qualifier cette conduite avec toute la véhémence dont il est capable, lorsque des imputations bien moins blessantes sont dirigées des banes de la droite contre son parti.

Je dois protester contre la prétention exorbitante qu'élève M. le ministre de la justice de se constituer le juge suprême de toutes les opérations électorales, avant qu'il se soit attribué ce droit par la loi dont il nous a annoncé la présentation comme prochaine et qui doit, si j'en juge par la joie que son annonce a produite sur les bancs de la gauche, avoir raison des dernières résistances catholiques.

Je dois enfin protester contre ces théories anarchiques prêchées sur les bancs ministériels et qui ne tendent à rien moins qu'à mettre en doute avec le résultat des élections la validité des pouvoirs d'autorités civiles légalement constituées.

- Des voix. - La clôture !

- Personne ne demandant plus la parole, la clôture est prononcée.

MpMoreauµ. - Les conclusions de la commission sont le renvoi de la pétition à M. le ministre de l'intérieur, avec demande d'explications. Mais M. Bruneau propose l'ordre du jour ; cette proposition doit avoir la priorité.

M. de Haerneµ. - Nous ne pouvons pas nous prononcer en faveur des conclusions de la commission des pétitions, puisque les explications qu'elle réclame ont été données. Mais l'ordre du jour me paraît une mesure trop rigoureuse.

Par respect pour la liberté communale, je propose le dépôt au bureau des renseignements.

- Des voix à gauche. - Non, non, l'ordre du jour !

M. Bruneauµ. - Je maintiens ma proposition d'ordre du jour.

M. Bouvierµ. - L'appel nominal.

MpMoreauµ. - Avant de procéder à l'appel nominal, je dois faire connaître que M. d'Hane demande un congé.

- Ce congé est accordé.

MpMoreauµ. - Je mets aux voix la proposition de M. Bruneau.

- Il est procédé à l'appel nominal.

75 membres y prennent part.

51 répondent oui.

24 répondent non.

En conséquence la Chambre prononce l'ordre du jour sur la pétition des habitants d'Enghien.

Ont répondu oui ;

MM. Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lippens, Moreau, Mouton, Muller, (page 494) Nélis, Orban, Preud'homme, Rogier, Sabatier, Tesch, E. Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vleminckx, Watteeu, Allard, Ansiau, Anspach, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Broustin, Bruneau, Carlier, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Brouckere, De Fré, de Kerchove de Denterghem, De Lexhy, d'Elhoungne, de Rongé, Descamps, Dethuin, de Vrière, Dewandre, Elias, Frère-Orban, Funck, Guillery, Hagemans, Hymans, Jacquemyns, Jouret et Dolez.

Ont répondu non :

MM. Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Liénart, Magherman, Moncheur, Reynaert, Schollaert, Snoy, Vander Donckt, Wouters, de Conninck, de Haerne, Eugène de Kerckhove, Delcour, de Liedekerke, de Naeyer, de Smedt, de Terbecq, de Theux, de Woelmont, Dumortier, d'Ursel, Jacobs et Julliot.

M. Janssens demande un congé.

Accordé.

La séance est levée à 4 1/2 heures.