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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 20 février 1868

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 699) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Reynaert, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moorµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Les huissiers de Nivelles présentent des observations concernant le projet de loi sur les protêts. »

« Même demande de la chambre de commerce et des fabriques d'Arlon. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi.

M. Lelièvreµ. - J'appelle l'attention toute particulière de la section centrale sur les considérations extrêmement remarquables que contient la pétition qui vient d'être analysée.


« Des habitants de Gulleghem demandent la dissolution des deux Chambres avant tout vote sur la question militaire. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires.


« Des habitants de Sivry demandent que la loi sur la milice soit abolie et que tout individu débute par être soldat volontaire. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires et renvoi à la section centrale du projet de loi sur la milice.


« Des habitants de Malèves-Sainte-Marie-Wastinnes demandent le rejet des projets de lois qui tendent à aggraver les charges militaires et l'abolition du tirage au sort pour la milice. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Bruges demandent le rejet du projet de loi sur la réorganisation de l'armée. » »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires.


« Des habitants de Polleur demandent que les jeux soient maintenus à Spa aussi longtemps qu'en Allemagne. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Caneghem demande le rejet du projet de loi sur la réorganisation de l'armée et le maintien du tirage au sort pour la milice. »

- Même décision.


« Le sieur Bertrand, maréchal des logis de gendarmerie pensionné, présente des observations sur les difficultés du recrutement de ce corps. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal et des habitants d'Ochamps demandent l'abolition du tirage au sort pour la milice, le service volontaire convenablement rétribué, une diminution sensible des charges militaires et la suspension ou même l'abandon des travaux des fortifications d'Anvers. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de lois militaires et renvoi à la section centrale du projet de loi sur la milice.


« Des habitants de Bruxelles prient la Chambre de remplacer la conscription par un mode de recrutement plus propre à assurer la défense du pays, de renvoyer la question militaire à l'examen d'une commission spéciale et d'émettre le vœu qu'avant tout vote sur cette question il soit procédé au renouvellement de la Chambre. »

- Même décision.


« M. le ministre de l'intérieur transmet à la Chambre 125 exemplaires du rapport de la commission permanente sur la situation des sociétés de secours mutuels pendant l'année 1866. »

- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.


« M. Thonissen, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.


MpDµ. - Messieurs, vous avez confié hier au bureau la nomination de deux commissions auxquelles seraient renvoyés les projets de loi de séparation de communes déposés à la séance d'hier par M. le ministre de l'intérieur, la première commission chargée d'examiner le projet de loi portant séparation de la commune de Froidchapelle d'avec le hameau de Fourbechies et érection de ce hameau en commune distincte est composée de MM. de Vrière, Warocqué, de Macar, T'Serstevens et de Koninck.

La seconde commission, chargé d'examiner le projet de loi portant séparation du hameau de Maisières d'avec la commune de Nimy-Maisières, est composée de MM. de Naeyer, Carlier, Dethuin, de Moor et Van Iseghem.

Rapport sur des demandes de naturalisation

M. Thienpontµ, M. Jouretµ, M. Moutonµ et M. Bouvierµ déposent des rapports sur des demandes de naturalisation ordinaire.

- Ces rapports seront imprimés et distribués.

Projet de loi sur l’organisation militaire

Discussion générale

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, j'ai essayé hier de donner à la Chambre une idée des moyens de défense employés en Suisse, afin de prouver que ce n'est pas seulement le principe des armées permanentes qui soit employé dans le monde pour la défense des nations.

En sortant de la séance, l'honorable ministre de la guerre m'a témoigné quelque incrédulité sur la possibilité pratique de former un soldat en 24 ou 30 jours.

Il lui paraissait impossible de donner aux recrues une instruction militaire suffisante en aussi peu de temps. La même objection ayant dû se présenter à l'esprit de la plupart d'entre vous, messieurs, je vais tâcher d'y répondre.

En effet, messieurs, les officiers les plus compétents, lorsqu'ils traitent la question de la réorganisation de nos forces militaires, prétendent qu'il faut de 24 à 30 mois pour former un soldat complet.

On est donc en droit de se demander comment, en Suisse, on peut arriver à un résultat satisfaisant en 24 ou 30 jours. L'explication que je vais vous donner vous paraîtra très simple, très naturelle.

En Suisse, l'éducation militaire ne commence pas du jour où les recrues ont atteint leur 20ème année et où elles sont enrégimentées ; elle commence dès l'école primaire. Les jeunes gens en arrivant à l'école sont immédiatement appliqués à la gymnastique, aux marches et aux parties les plus difficiles et les plus longues de l'éducation du soldat.

Aussi en arrivant à leur corps ils n'ont plus aucune difficulté à se perfectionner dans les premières notions qui sont si difficiles à apprendre à nos jeunes paysans et à nos ouvriers lorsqu'ils entrent dans l'armée.

Tous ceux qui ont traversé la Suisse à l'époque où se donnent les fêtes locales qui correspondent plus ou moins à ce que nous appelons kermesses, ont pu assister à des manœuvres faites par des élèves de ces écoles primaires et secondaires et ont été souvent émerveillés de la précision avec laquelle ces enfants manient le fusil et font même des feux de peloton et d'autres mouvements plus compliqués.

Voila, messieurs, l'explication de ce qui paraissait si surprenant à l'honorable ministre de la guerre et probablement aussi à quelques-uns d'entre vous.

MfFOµ. - Et si les écoles libres ne veulent pas donner cet enseignement au enfants.

M. Bouvierµ. - C'est un détail.

(page 700) MpDµ. - Pas d'interruption, messieurs.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Si j'avais proposé par mon amendement d'introduire en Belgique le système suisse, je comprendrais qu'on me fît ces objections ; mais je me borne à indiquer à la Chambre ce qui se fait ailleurs pour démontrer qu'il n'y a pas que le système d'organisation militaire en vigueur chez nous et dans d'autres pays qui convienne exclusivement à la défense nationale.

Une autre objection qu'on m'a faite est celle-ci : cette organisation convient parfaitement à la Suisse, mais ne convient qu'à la Suisse, pays de montagnes, de glaciers et de forêts.

Mais, messieurs, la Suisse a, comme la Belgique, des plaines et des montagnes, et ce qui prouve que les montagnes ne sont pas toujours une barrière suffisante pour la défense d'un pays, c'est l'exemple de la campagne de 1866.

Le général Benedeck, malgré sa magnifique et brillante armée, à laquelle personne ne contestera les qualités militaires les plus complètes, n'a pas pu empêcher les landwehrs prussiennes de pénétrer dans la Bohême par les montagnes des Géants, par la Suisse saxonne et par des défilés aussi difficiles et aussi dangereux que ceux que présentent le Jura et les Alpes. Une armée doit vivre, elle ne pourrait rester longtemps dans des gorges arides. La situation topographique de la Suisse n'est donc pas la raison pour laquelle son organisation militaire ne convient qu'à elle seule. Les armées les mieux organisées, vous le voyez, ne peuvent pas toujours défendre les positions qui paraissent les plus fortes. Il y a des causes morales qui décident du sort des combats et dont on ne tient pas assez compte.

Messieurs, puisque j'en suis à la réfutation des arguments qui m'ont été opposés dans cette discussion, je dois, avant de quitter la Suisse, répondre encore à un autre argument.

On a dit : la confédération a un budget peu considérable, c'est vrai ; mais il faut tenir compte aussi des budgets des cantons. Les cantons sont des souverainetés, ce sont de petites nations, chacune se gouvernant librement sous l'égide de la confédération ; c'est à eux qu'incombent la plupart des charges militaires. J'ai voulu me rendre compte de la situation réelle des choses et j'ai trouvé qu'on exagérait singulièrement le rôle des cantons.

Je me suis procuré le budget du canton de Zurich ; c'est uns principaux de la confédération ; c'est le deuxième comme population et c'est le premier peut-être comme organisation politique. C'est ce qu'on appelle un canton-chef et c'est celui qui, pour conserver cette supériorité, fait les plus grands sacrifices. Aussi est-ce un de ceux dont le budget est le plus élevé. Ses revenus se composent :

1° Des revenus de capitaux et de propriétés, total 952,000 fr.

2° De droits régaliens, c'est-à-dire, de sa part dans le produit des douanes et des postes de la confédération, plus les droits sur la pêche et sur les mines, total 529,000 fr.

Le restant de son revenu se compose d'impôts et taxes ainsi divisés :

Impôt sur le revenu, 1 1/2 par mille francs sur la propriété ou le capital, 958,000 fr.

Impôt sur les familles qui n'ont pas d'hommes pouvant servir dans l'armée, 200,000 fr.

Impôts sur les cabarets, les hôteliers et sur le commerce, etc. ; en tout 1,779,862 fr.

D’où il résulte que sur un budget de 3,261,000 francs les revenus de capitaux et de propriétés entrent à peu près pour moitié.

Maintenant, quelles sont les dépenses ? Je n’en citera que deux :

L’une, relative à l’organisation militaire, s’élève à 476,000 francs, de telle sorte que le canton de Zurich, qui, comme je le disais tantôt, fait les plus grands sacrifices pour maintenir sa supériorité dans la confédération, dépense à peine le huitième de son revenu pour la partie de l’organisation militaire qui lui incombe ; mais il dépense près du double pour l’instruction publique ; son budget de l’instruction publique s’élève à près de 800,000 francs.

Vous voyez, messieurs, que les préoccupations militaires entrent pour très peu de choses dans les cantons suisses.

Messieurs, hier, je disais que l’armée suisse avait subi des épreuves décisives et je les ai citées ; l’armée belge a aussi subi des épreuves, et je vais les citer.

En 1866, l’horizon s’est rembruni. M. le ministre de la guerre a éprouvé le besoin de savoir de quelle efficacité pouvait être l’instrument qui lui était confié.

Il a passé la revue, non pas des troupes sur le terrain, mais de ce qu'il y avait dans les magasins et dans les arsenaux ; il a découvert qu'une partie de la cavalerie était sans selles, que les fourgons étaient sans roues, que les cartouches étaient sans plomb, et que, malgré les assurances qu'il avait si souvent données à cette Chambre, de l'efficacité immédiate de l'instrument placé entre ses mains, il n'était pas du tout prêt pour la défense. L'année suivante, en 1867, nouvelle expérience. Il résulte d'un projet de loi que nous aurons à discuter dans quelques jours, que les résultats s'en sont trouvés exactement les mêmes que l'année précédente ; l'expérience de l'année antérieure n'avait pas servi même pour la période d'une seule année.

Je demande si ce n'est pas la justification la plus précise des critiques que, depuis que j'ai eu l'honneur de siéger sur ces bancs, j'ai toujours adressées au budget de la guerre ; j'ai toujours dit, et je le répète aujourd'hui, que dans les petits pays les armées sont des instruments qui seront toujours en désordre au moment où il faudra s'en servir.

Il n'y a que les instruments qui servent sans cesse comme les armées des grandes nations presque constamment en guerre, qui sont toujours prêts à servir. Mais chez les petites nations, il y a toujours, quand on en a besoin, quelque chose qui manque à ces coûteuses machines.

Ne vaut-il donc pas mieux consacrer moins de frais à entretenir ces instruments dispendieux et garder ses ressources afin de pouvoir en disposer lorsque la nécessité se présente ?

Messieurs, l'honorable M. de Vrière et l'honorable M. de Brouckere m'ont reproché de chercher toujours mes exemples en Suisse, de ne pas chercher à les trouver ailleurs. J'ai voulu voir si je ne trouverais pas dans un autre pays une organisation moins coûteuse que la nôtre et aussi efficace ; et voici ce que j'ai trouvé.

L'Angleterre, en dehors des forces organisées militairement, et n'oublions jamais que l'Angleterre a une charge d'âmes de 174 millions d'habitants répartis dans les cinq parties du monde, qu'elle est par conséquent obligée à des charges relativement beaucoup plus considérables qu'aucune autre nation, en dehors de son armée régulière et permanente (139,000 hommes), l'Angleterre possède une milice qui sert vingt et un jours par an. Cela se rapproche beaucoup du temps employé en Suisse.

Cette milice comprend, sans les officiers et sans l'état-major, 128,971 hommes et coûte 21,200,000 francs. En outre, l'Angleterre possède 162,681 volontaires coûtant à l'Etat 9,025,000 francs, et de plus elle a encore une cavalerie volontaire appelée yeomanry, composée de 14,339 hommes coûtant 2,200,000 francs.

On paye à ces hommes, chaque fois qu'ils sont appelés aux exercices avec leurs chevaux, c'est-à-dire huit jours par an, 7 fr. 75 c. par jour comme indemnité.

Je donne ces détails pour indiquer comment l'Angleterre parvient à réunir des forces auxiliaires très considérables. Ces forces réunies forment un ensemble de 305,991 hommes, non compris les officiers et l'état-major, et le coût total est de 32,290,000 francs.

Je ne parle pas, remarquez-le, de l'armée régulière et permanente, je parle des forces volontaires organisées dans ce pays, pour concourir à la défense du sol national en cas de danger.

MfFOµ. - Notre garde civique coûte moins encore.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Sans doute, mais est-elle aussi nombreuse ? Messieurs, il y a encore eu d’autres armées volontaires et qui ont également fait leurs preuves.

Je serai obligé, bien que cela puisse peut-être ne pas être agréable à l'honorable M. de Brouckere, de revenir aux Etats-Unis.

M de Brouckereµ. - Cela ne m'est pas désagréable du tout.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Tant mieux.

Aux Etats-Unis, a dit l'honorable membre, l'armée régulière n'a coûté pendant la dernière guerre que 500 millions, mais voyez les volontaires, dit M. de Brouckere, voyez ce qu'ils ont coûté, 15 milliards !!...

L'honorable M. de Brouckere oublie deux choses, c'est qu'au début de la guerre l'armée des Etats-Unis se composait de 14,000 hommes seulement, et que 9,000 de ces hommes sont passés aux Etats en révolte tandis que les 5,000 autres sont restés fidèles au gouvernement.

Or, quand la guerre fut terminée, l'armée régulière se composait en tout de 26,587 hommes et 1,124 officiers. Elle ne s'était élevée à ce chiffre qu'à la longue, de telle sorte que pendant tout le temps de la guerre il est évident que la moyenne de cette force régulière n'a jamais été de 20,000 hommes. En supposant cependant qu'elle eût été en (page 701) moyenne de 20,000 hommes, la dépense par homme aurait été de 25,000 à 30,000 francs !... (interruption) pour les trois ans.

Quant à l'armée de volontaires, la moyenne des engagements pendant les 5 ans que la guerre a duré, s'est élevée a 2,149,142 hommes ayant servi trois ans. La dépense ayant été de 15 milliards d'après le dire de l'honorable membre, il en résulte que chaque volontaire n'a coûté que 6,000 à 7,000 fr. pour les 3 ans. (Interruption.) Les 2 autres milliards ont été dépensés par la marine.

Vous voyez encore par là que les forces volontaires organisées au sein de la nation coûtent moins cher que ces forces organisées à grand prix et qui constituent les armées permanentes.

Messieurs, pour terminer cette partie de mon discours, je dois encore vous présenter une observation. C'est que l'invention de ces armes perfectionnées qui se succède presque de jour à autre, a pour tendance et aura nécessairement pour résultante finale l'émancipation complète des nations de l'obligation d'entretenir des armées permanentes.

De même qu'au XIVème siècle, lorsque la chevalerie était dans toute sa splendeur, l'invention d'une certaine poudre noire ayant une odeur assez désagréable a eu pour résultat de rendre la chevalerie, qui faisait de si beaux coups d'épée au temps de Roland et du Cid, l'égale de ces manants qui se servirent de l'arquebuse, de même l'emploi des armes perfectionnées, de ces fusils que tout le monde peut employer avec tant d'aisance, de ces nouveaux canons qui, entre les mains de quelques hommes dévoués, peuvent occasionner de si grands ravages, de même, dis-je, l'emploi des armes perfectionnées rendra les armées permanentes de plus en plus difficiles et bientôt elles seront inutiles.

Jusqu'à présent il suffisait d'une organisation armée bien compacte pour pénétrer dans un pays, le traverser et s'y établir ; mais du moment où les peuples même imparfaitement organisés auront à leur disposition des armes d'un maniement facile et accessible aux masses, cela ne sera plus possible ; les armées permanentes auront fini leur temps, comme autrefois la chevalerie.

Messieurs, je reviens à un autre genre d'objection qui m'a été opposé.

L'honorable ministre des finances, répondant à mon premier discours, a trouvé que j'avais singulièrement exagéré le chiffre de notre dette publique, lorsque j'ai dit qu'elle atteindrait bientôt 50 millions. Il a analysé et subdivisé les chiffres, et de soustraction en soustraction il est arrivé à moins de 30 millions.

En réponse, je me bornerai tout simplement à citer l'article unique d'une loi qui a été promulguée le 24 décembre dernier et j'y lis ce qui suit :

« Le budget de la dette publique pour 1868 est fixé à la somme de 45,312,918 fr. 18 c.»

Je me suis plaint de ce que ce budget aille grossissant sans cesse, je n'ai donc pas exagéré quand j'ai dit qu'il atteindrait bientôt 50 millions.

MfFOµ. - Vous avez dit que c'était le résultat des dépenses militaires. Il ne fallait pas y comprendre les pensions.

M. le Hardy de Beaulieuµ. - J'ai parlé du budget de la dette publique, d'ailleurs vous avez dit vous-même que 500 millions auraient pu être épargnés sur ces dépenses. Eh bien, si nous avions ces 500 millions, nous pourrions faire bien des choses que nous ne pouvons pas faire aujourd'hui.

J'ai encore dit dans mon premier discours que la partie de la nation qui est chargée d'envoyer des membres dans cette Chambre ne paye que la sixième partie des Impôts.

L'honorable ministre des finances, qui avoue n'être pas fort en addition par la raison qu'un ministre des finances n'additionne pas et fait souvent l'opération contraire, a cherché à prouver que j'avais tort.

Je vais, messieurs, essayer de démontrer que j'avais tout simplement raison.

Je suis obligé d'avoir encore recours aux statistiques auxquelles j'ai fait allusion l'autre jour avant de développer ma thèse.

D'après ces statistiques, la population de la Belgique était en 1867 de quatre millions et demi d'habitants, et comprenait 1,062,000 agriculteurs, 50,000 propriétaires, huit cent dix mille industriels et 150,000 commerçants.

Le reste de la population était composée de gens ayant une profession libérale.

M. Teschµ. - Il y a 50,000 propriétaires en Belgique ?

MfFOµ. - Il y en a 750 mille.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, je suis obligé de m'en tenir aux chiffres de la statistique.

Si je fais erreur, c'est que les documents fournis par le ministère de l'intérieur ne sont pas exacts.

D'ailleurs si la Chambre le désire, je puis lui donner la division des propriétés. (Interruption.)

M. Dupontµ. - Faites insérer au Moniteur.

MpDµ. - J'engage M. Le Hardy de Beaulieu a être le plus court possible.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Si maintenant je consulte les listes électorales je trouve que le nombre des propriétaires électeurs n'est plus que de 10,414, tandis que le nombre des agriculteurs et des fermiers s'élève à 25,000, qu'il y a 11,000 cabaretiers et 9,000 boutiquiers et débitants, et une foule d'autres professions complètent la liste.

Or. messieurs, voici un petit calcul qui me permet d'arriver à la conclusion que je vous ai donnée l'autre jour.

Il y avait, lorsque les statistiques furent relevées, 103 mille électeurs.

Le chiffre des impôts qui servent de base aux listes électorales s'élève à environ 36 millions.

Si chaque électeur inscrit payait la même quotité du sixième de ces impôts, la quote-part moyenne serait de 60 francs et des centimes.

Or, prenez n'importe quelle liste électorale, dans les grandes villes, dans les villages ou dans les bourgs, et vous verrez que la masse des électeurs, je dirai même la presque totalité, ne paye que de quarante-deux à cinquante francs d'impôt.

L'honorable ministre des finances, en traitant dernièrement du remplacement, nous a dit, dans un langage magnifique, quelle était la forme de la pyramide sociale au point de vue de la richesse.

Il nous l'a décrite comme une pyramide très pointue et très mince vers le sommet et s'élargissant très fortement vers la base. Je me représentais la pyramide sociale, d'après sa description, comme formée de lignes paraboliques.

Je demande à tout mathématicien, à tout géomètre si, dans une pyramide de cette nature, la grande masse ne se trouve pas dans la base et non dans la pointe ? Et bien, c'est exactement ce que nous trouvons dans la répartition des impôts.

Dans tous les pays du monde, quand les ministres des finances veulent arriver à de grosses recettes, ils s'adressent toujours à la base de la pyramide, parce que là est la masse, le volume. Je conclus donc de là, messieurs, que la classe électorale ne paye, tout au plus, que le sixième de la totalité des impôts.

Mais est-ce à dire pour cela que je veuille séparer les citoyens les uns des autres, les exciter les uns contre les autres ? Ce n'est pas du tout la conclusion que j'ai voulu tirer de l'exemple que j'ai donné. J'ai voulu arriver à cette conclusion, très naturelle, que la responsabilité de la classe sur qui repose le gouvernement est d'autant plus grande qu'elles payent une moindre part des impôts ; c'est pour les engager à bien gérer la fortune du pays que je leur ai dit : « Vous ne payez qu'une part relativement faible dans la masse des impôts, donc soyez prudent, songez que vous administrez la fortune des masses qui vous sont livrées en quelque sorte sans défense. »

Voilà, messieurs, pourquoi j'ai cité cet exemple.

Je vais arriver, à votre grande satisfaction sans doute, messieurs, à une conclusion. Que voulons-nous ?

Nous nous opposons à l'augmentation des charges militaires.

D'après mon honorable voisin, M. De Fré, ceux qui veulent cette diminution votent l'abandon de la patrie, veulent la livrer sans défense à des ennemis nombreux, acharnés, implacables, tout prêts à nous envahir et à nous conquérir, sous le moindre prétexte. Sans doute, messieurs, si nous voulions cela, évidemment nous serions de très mauvais patriotes, des citoyens détestables. Mais je vais vous dire ce que nous voulons, au risque de blesser les sentiments patriotiques de mon honorable ami, M. De Fré. Oui, nous voulons liarder, comme on l'a dit ; oui, nous voulons économiser ; oui, nous sommes de ces affreux économistes qui veulent faire des économies partout où elles sont possibles.

Et pourquoi cela, messieurs ? Nous voulons tout simplement économiser pendant la paix, afin d'avoir des ressources plus grandes pour faire face au danger lorsqu'il se présentera.

(page 702) M. Bouvierµ. - Et les soldats ?

M. le Hardy de Beaulieuµ. - Oh ! les soldats ! Il s'en trouve toujours quand on en a besoin... (Interruption) mais ce qu'on ne trouve pas toujours, c'est de l'argent.

Comment les Etats-Unis, s'il m'est permis d'y revenir encore une fois, seraient-ils parvenus à dépenser 17 milliards et plus encore, s'ils n'avaient pas économisé pendant de longues années de paix ?

Comment parviendraient-ils à rembourser aujourd'hui environ un milliard par an sur leur dette, s'ils n'avaient pas, immédiatement après la guerre, réduit leur armée au chiffre minimum possible, c'est-à-dire à 26,000 hommes coûtant non 77 millions de dollars, comme l'a avancé l'honorable M. de Brouckere, mais seulement 22,412,000 fr. ?

Ce qui a trompé mes honorables contradicteurs, c'est qu'ils n'ont lu que le rapport du président au Congrès, lequel n'entre pas dans les détails ; ils n'ont pas lu le rapport du ministre de la guerre. S'ils avaient lu ce rapport, ils auraient vu que cette somme considérable de 77 millions de dollars se décompose, grosso modo, de la manière suivante :

41 millions de dollars pour les arriérés non encore payés de la guerre civile, pour la cession de l'Amérique russe qui a été remise à l'administration de la guerre et pour l'administration des Etats du Sud également remise à la même administration. En outre, il y a 10,500,000 dollars attribués au bureau des ingénieurs pour la création de fortifications tant dans l'Amérique russe nouvellement cédée que dans les Etats anciennement révoltés.

Je disais donc, messieurs, que ce que nous voulons, c'est, en temps de paix, une armée économique. Les deux mots jurent peut-être de se trouver ensemble ; nous tâcherons tant bien que mal de les faire accorder. Nous voulons pendant la paix imposer au peuple le moins de charges possible, tant en personnel qu'en impôts, afin qu'au jour du danger ce même peuple puisse supporter le maximum des charges possibles. En ne le ruinant pas pendant la paix, il pourra faire des efforts d'autant plus puissants pendant la guerre.

Messieurs, nous proposons ce système, pourquoi ? Parce que nous sommes profondément convaincu, d'après l'aveu même des partisans de l'augmentation des charges de l'armée, que l'Europe n'a aucune velléité de nous laisser conquérir ni absorber par qui que ce soit, que, l'Europe y consentît-elle, personne n'y songe.

L'honorable M. Dumortier, partisan du projet de loi et l'honorable M. de Theux, qui lui est opposé, vous ont donné des preuves tellement convaincantes que je croirais leur faire injure en les répétant.

Nous pouvons donc, messieurs, être parfaitement tranquilles ; nous avons, il est vrai, une mission à remplir ; je dirai même que nous avons une grande mission. Cette mission nous l'avons déjà accomplie en partie, il nous en reste encore une partie à accomplir.

Nous avons montré au monde, au début de notre carrière nationale et indépendante, ce que peut un peuple se livrant aux travaux de la paix. Eh bien, nous pourrions montrer encore ce que peut ce peuple lorsqu'il arbore hardiment, sans se laisser intimider par des passions intéressées, le drapeau de la paix même dans ces temps que l'on dit orageux.

Mais, messieurs, les temps sont obscurs, sans doute, mais ils ne sont par réellement orageux... (Interruption). On arme partout, me dit-on ; oui, on arme partout, mais c'est pour maintenir la paix. Lisez les discours des plus grands faiseurs d'armement, ils vous déclarent tous qu'ils ont les intentions les plus pacifiques ; tous ils ont peur de la guerre et de ses. désastres. Eh bien, fions-nous à cette peur. Tous les gouvernements de l'Europe déclarent, à l'unanimité, qu'ils ne veulent pas sortir de chez eux ; qu'ils seraient très heureux de désarmer si quelqu'un voulait bien commencer.

Eh bien, je voudrais que mon pays, mon petit pays que j'aime tant, qui a déjà rendu un si grand service à la civilisation, comme je le disais tantôt, en inaugurant sur le continent la construction des chemins de fer ; je voudrais, dis-je, que mon pays lui rendît encore un service plus grand, celui de montrer qu'on peut ne pas s'armer et ne pas avoir peur. Je voudrais plus : je voudrais ouvrir toutes nos frontières, appeler tous les envahisseurs, les appeler à venir contempler dans une nation calme, heureuse et libre ce que peut la paix, ce que peut la liberté !

(page 703) M. Teschµ. - Messieurs, l'orateur qui vient de se rasseoir est plein d'illusions, niais il manque de logique. « On arme, dit-il, pour la paix, et les armements sont une garantie de la paix. » Mais pourquoi ne conclut-il pas que si nous armions à notre tour, ce serait une nouvelle garantie de la paix ? Il me semble que la logique doit mener là.

Le discours de l'honorable membre se divise en deux parties, une partie militaire et une partie économique.

Dans sa partie militaire, il se borne à nous prêcher l'exemple de la Suisse et celui des Etats-Unis.

Eh bien, je demande ce qu'il y a de commun entre la Belgique et la Suisse, soit militairement, soit politiquement, soit géographiquement ; je demande quelle est la puissance en Europe qui convoite la Suisse. Est-ce que l'occupation de la Suisse, l'absorption de la Suisse est jamais entrée dans le plan politique d'une nation quelconque ?

- Un membre. - Et Neuchâtel ?

M. Teschµ. - Il y a eu une difficulté entre la Prusse et la Suisse au sujet du canton de Neuchâtel, mais jamais la Prusse n'a manifesté le désir d'absorber la Suisse.

Et vous ne prétendrez pas que politiquement et diplomatiquement la Suisse soit dans la situation où se trouve la Belgique. Cela ne serait pas sérieux...

- Un membre. - La Suisse a été française.

M. Teschµ. - Et précisément parce que la Suisse n'est pas dans la situation où est la Belgique, les préoccupations militaires de la Suisse peuvent être beaucoup moindres que les préoccupations militaires de la Belgique.

Je ne dirai rien de la différence qui existe dans la situation géographique des deux pays ; on l'a déjà fait ; on nous a démontré que les troupes peuvent être organisées d'une toute autre manière en Suisse, où il y a des fortification naturelles, qu'elles ne peuvent l'être en Belgique, où ces moyens de défense n'existent pas ; on comprend parfaitement que l'on ait en Suisse une armée organisée d'une manière tout à fait différente qu'en Belgique.

Et d'ailleurs, savez-vous ce que vaudraient sur le champ de bataille contre une armée permanente les milices de la Suisse ? Est-ce qu'une expérience a été faite dans les derniers temps ? On a parlé de la guerre du Sonderbund ; mais, les deux partis étaient dans la même situation ; et de part et d'autre, on a constaté que les troupes laissaient beaucoup à désirer.

L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu a fait encore, au point de vue militaire, une autre observation ; il a prétendu que les armes se perfectionnant de jour en jour, le résultat inévitable de ces inventions sera de faire disparaître les armées permanentes.

Je suis d'un avis tout à fait contraire ; je prétends que les armes perfectionnées exigeront des troupes bien mieux exercées, bien plus solides qu'elles ne le sont aujourd'hui ; je prétends que les troupes, pour résister au feu des armes perfectionnées, auront besoin d'une discipline bien plus puissante qu'elle ne l'est aujourd'hui, même dans beaucoup d'armées permanentes.

Au point de vue économique, que puis-je répondre ? Je suis convaincu que la défense d'un pays ne se règle pas d'après les principes de l'économie politique. Ces principes sont sans application possible à la question de la défense nationale. C'est là un tout autre ordre d'idées.

On ne peut pas plus invoquer les règles de l'économie politique pour prix de l'organisation de cette défense qu'on ne peut se soumettre aux règles du laissez faire et laissez passer, quand il s'agit d'épidémie ou d'épizootie. La doctrine de l'honorable membre n'est pas plus acceptable que quand il s'est agi de la peste bovine.

Sans doute, si la chose était possible, il serait bien plus agréable, bien plus avantageux de maintenir l'indépendance nationale sans imposer au pays des charges d'hommes et d'argent, que de devoir le faire au moyen d'un gros budget ; il n'y a pas un enfant de dix ans qui ne sache cela ; nous connaissons les principes de l'économie politique aussi bien que l'honorable membre ; la seule différence entre nous, c'est que nous appliquons ces principes-là où ils peuvent et doivent être appliqués, et qu'il les applique là où ils ne peuvent et ne doivent pas l'être.

Là est la cause de nos appréciations si différentes sur la question qui nous occupe.

Le projet de loi a, outre les économistes, d'autres adversaires, Les uns croient que ce qui existe est suffisant, d'autres croient que le projet de loi, tel qu'il est proposé, est dangereux ou insuffisant ; puis viennent d'autres honorables collègues qui croient que toute autre chose vaudrait mieux que ce qui nous est proposé.

Avant de discuter ces différentes opinions, qu'il me soit permis de répondre un mot aux considérations politiques par lesquelles l'honorable M. Nothomb a terminé son discours.

Mon honorable ami, M. le ministre des finances, s'était permis de supposer que les sentiments politiques de l'honorable M. Nothomb n'étaient pas tout à fait étrangers à ses appréciations du projet de loi en discussion ; et l'honorable M. Nothomb, par la fin de son discours, nous a autorisés à croire que M. le ministre des finances ne s'était pas beaucoup trompé.

L'honorable membre, dans un réquisitoire très âpre, très violent contre l'opinion libérale, à propos de l'organisation militaire qu'il proclamait être au-dessus et en dehors des questions de partis, est venu remettre en discussion tous les points qui nous ont divisés et que nous avons débattus ici pendant un grand nombre d'années. Singulière manière de nous conserver le calme, de nous faire jouir de cette trêve qui, d'après l'honorable orateur lui-même, nous était si nécessaire pour apprécier le projet de loi qui nous est soumis !

L'honorable M. Nothomb veut-il, à un autre moment, une discussion sur tous ces points ? Il a parlé de la loi des bourses d'étude, mais quand l'honorable M. Nothomb voudra rouvrir ce débat... L'honorable membre me fait un signe. Mais pourquoi alors introduire cette question dans la discussion actuelle ? Vous ne pouvez admettre qu'à chaque instant, dans toutes les occasions, nous nous reprochiez des lois proposées et défendues par le parti libéral, et que nous ne vous répondions pas.

Eh bien, vous avez parlé de la loi sur les bourses d'étude. Je vous déclare que quand vous voudrez recommencer ce débat, je vous démontrerai qu'il n'est pas dans cette loi un seul grand principe qui n'ait été signé et appliqué par vous.

On a parlé de la loi sur le temporel des cultes, je démontrerai, quand on le voudra, que le principe fondamental introduit dans le projet de loi sur le temporel des cultes n'appartient pas à l'opinion libérale, mais qu'il appartient à un honorable évêque, M. Van Bommel, autrefois évêque de Liège. Je vous le démontrerai sans qu'une réfutation soit possible. Vous avez parlé de la loi sur la charité. Je vous démontrerai, quand vous le voudrez, que les principes que nous avons appliqués ne sont que le résultat de l'expérience des siècles et que la législation qui consacre ces principes n'a été introduite que comme un remède à ces vieilleries, dont on nous a représenté la formule en 1856.

Et la loi sur la magistrature ! cette abominable loi sur la mise à la retraite de la magistrature ! Mais ceux qui l'ont représentée comme un acte coupable ont oublié qu'elle a été soumise à la Chambre, à une époque de transaction et de conciliation, en 1848, par l'honorable M. de Haussy et qu'elle a été votée par un grand nombre des amis de l'honorable M. Nothomb ; je crois même qu'elle a été admise par l'honorable M. Coomans.

MjBµ. - M. Malou a rédigé le projet.

M. Teschµ. - Ainsi, voilà cette monstruosité ! Et c'est à ce propos qu'on vient citer les paroles de l'honorable M. Berryer comme étant en quelque sorte une flétrissure pour 1' œuvre de la législature belge.

Mais si l'on allait dire à M. Berryer quelle est notre organisation judiciaire, croyez-vous qu'il appliquerait ses paroles à la loi votée ?

Quelle a été la pensée de M. Berryer dans la discussion à laquelle on fait allusion ? C'est que la magistrature était beaucoup trop dans la main du gouvernement. C'est que, grâce à cette loi, le gouvernement pouvait disposer tous les jours de beaucoup de places et que cette loi lui donnait le moyen de récompenser des services politiques. Voilà la pensée de l'illustre orateur.

Mais allez dire à M. Berryer qu'en Belgique le gouvernement ne peut nommer directement à aucune place dans la haute magistrature ; que vice-présidents et présidents des tribunaux ; que conseillers de cours d'appel, conseillers de la cour de cassation sont nommés sur la présentation très étroite de corps constitués complètement indépendants : des cours elles-mêmes qui sont parfaitement inamovibles, des conseils provinciaux ou du Sénat ; que les premiers présidents des cours d'appel et de la cour de cassation et les présidents de chambre de ces corps sont (page 704) nommés par les corps eux-mêmes, que par conséquent les corps judiciaires se recrutent en quelque sorte eux-mêmes. Allez dire cela à M. Berryer, et vous me montrerez sa réponse.

Ajoutez qu'en Belgique, les traitements de la magistrature sont très élevés, plus élevés qu'en aucun autre pays, sauf l'Angleterre.

Ajoutez qu'en raison de cette élévation, le personnel des corps judiciaires ne peut être aussi nombreux qu'en France, et que par conséquent, dès que par suite de l'âge ou d'infirmités les magistrats se trouvent dans l'impossibilité de remplir complètement leurs fondions, la justice est arrêtée, et encore une fois vous me montrerez si l'honorable M. Berryer appliquera ses paroles à la Belgique.

Si nous devons rouvrir un jour le débat sur tous ces points, je prierai l'honorable M. Nothomb de me préparer une petite réponse à la question que je vais lui poser.

L'honorable M. Nothomb est amoureux de quelques mots : la Belgique divisée en vainqueurs et en vaincus, et il nous les répète souvent. Mais, messieurs, pourquoi l'honorable M. Nothomb est-il un vaincu, quand mes honorables amis sont au pouvoir ? Je ne puis le deviner. Quand l'honorable M. Nothomb était au pouvoir, je ne l'ai pas pris du tout pour un vainqueur et je ne me suis jamais tenu pour un vaincu. Or, la situation respective était la même.

Laissez donc ces mots de côté !

Est-ce que l'opinion libérale regarde jamais vers l'étranger, lorsque vous êtes ministres ? Mais jamais il ne nous est arrivé, lorsque vous étiez au pouvoir, alors même que vous nous présentiez des lois que nous regardions comme dangereuses pour la tranquillité publique, jamais il ne nous est arrivé de vous dire : Prenez garde ! si nous sommes divisés, l'étranger va profiter de nos dissensions !

Ayez donc assez de raison pour accepter le véritable jeu de nos institutions. Dites-vous que vous êtes minorité aujourd'hui et que peut-être vous serez majorité demain. Prêchez-nous d'exemple pour le moment où nous serons minorité. Cela sera beaucoup plus digne et beaucoup plus patriotique.

Messieurs, l'honorable M. de Theux ne veut pas du projet de loi, parce que la situation militaire et la situation diplomatique de la Belgique ne sont pas changées depuis 1840.

Je suis fâché de ne pas pouvoir partager l'avis de l'honorable membre. Je trouve que la situation militaire et la situation diplomatique de la Belgique comme la situation militaire et la situation diplomatique de l'Europe entière sont énormément changées et je ne saurais admettre que la situation de tout le monde puisse être changée autour de nous sans que la nôtre soit modifiée.

Dans mon opinion, la situation militaire de la Belgique est changée par cela même que la situation militaire de toutes les autres puissances est changée. Lorsque autour de nous l'on augmente les forces d'agression et que nous restons stationnaires, est-ce que votre situation ne change pas ? N'êtes-vous pas tenus d'augmenter vos forces de résistance dans la proportion où les autres augmentent leurs forces d'agression, en tenant, compte, bien entendu, de ce qu'il est possible et raisonnable de faire ?

Cela est de toute évidence.

Et la preuve que ce que je dis est vrai, c'est que toutes les puissances ont modifié leurs forces militaires depuis 1840, tant sous le rapport des forteresses que sous le rapport du chiffre numérique des armées. Toutes les puissances, sans exception, ont augmenté leurs forces, et par cela même que tout le monde les a augmentées, notre situation militaire est changée.

Il est un travail que j'engage M. le ministre de la guerre à faire et que je regrette de ne pas avoir eu le temps de faire, c'est d'établir dans quel rapport nos budgets de la guerre de 1840 et 1841 étaient avec les budgets de la guerre de nos voisins et dans quel rapport ils sont aujourd'hui.

Mais je n'hésite pas à dire que ce rapport avec notre budget de 1840 était de beaucoup supérieur à notre budget d'aujourd'hui. Le budget que nous avions en 1840 et en 1841 ne différait pas énormément de notre budget actuel, tandis que les budgets de plusieurs autres puissances ne sont pas loin d'être doubles des budgets de 1840, si même le double n'est pas dépassé. Il n'est pas de preuve plus manifeste que notre situation militaire est changée.

Et diplomatiquement, les traités qui garantissent notre nationalité sont assurément restés les mêmes ; mais peut-on méconnaître qu'il y a aujourd'hui en Europe un tout autre ordre d'idées et de faits qu'en 1840 ? qu'il y a une autre situation qu'en 1840, qu'en 1848 même ? Est-ce que les relations des puissances entre elles sont les mêmes ? Est-ce que les confédérations, les associations, les groupes d'Etat qui existaient à l'époque dont nous parlons sont les mêmes aujourd'hui ? Evidemment on ne le soutiendra pas. N'y a-t-il pas eu, dans certains pays, des modifications intérieures, des changements dans les institutions, qui peuvent exercer quelque influence sur notre situation ?

N'entendons-nous pas à des tribunes des chambres voisines dire que les pays n'exercent pas une influence suffisante sur les questions extérieures ; n'entendons-nous pas dire que les questions de paix et de guerre sont dans les mains de quelques hommes ? et vous prétendez que la situation diplomatique n'est pas changée ! Mais je vous déclare, moi, que je n'ai pas autant de sécurité aujourd'hui que j'en avais en 1848, au moment des plus grandes tourmentes révolutionnaires. Quand les questions de paix et de guerre ne peuvent se décider que de commun accord avec les représentants de la nation, j'ai beaucoup plus de garanties que quand ces questions sont livrées à quelques hommes, quelque sages d'ailleurs que ceux-ci puissent être !

L'honorable comte de Theux a énuméré avec beaucoup de complaisance tous les faits graves qui se sont produits en Europe depuis 1848, et il a dit : Jusqu'à présent nous sommes restés en dehors des conflits européens, pourquoi n'échapperions-nous pas aux dangers qui pourraient se présenter à l'avenir ? Je ne puis pas avoir cette quiétude, et cette multiplicité de complications qui se produit m'entraîne dans un tout autre ordre d'idées.

Quand je vois la guerre prête à éclater pour des forteresses qui jusqu'alors n'avaient porté ombrage à personne, quand je vois la guerre prête à sortir d'un traité de commerce, quand je vois une exploitation de chemin de fer devenir une question de rivalité et prendre les proportions d'une question internationale, je dis qu'il n'y a plus de sécurité et qu'il est de la prudence la plus vulgaire de prendre toutes ses précautions pour être prêt et largement prêt à toute heure et à tout instant.

Pour M. Nothomb le projet qui nous est soumis ne vaut rien parce que ce projet est insuffisant ou qu'il est dangereux. Ce projet est insuffisant parce que, selon lui, une armée de 100,000 hommes, telle qu'on la propose, ne peut pas suffire à la fois pour sauvegarder Anvers et pour tenir la campagne.

Messieurs, il est très facile de démolir tous les projets d'organisation militaire avec des hypothèses, comme il est très facile de démolir toutes les lois avec des suppositions, car vous pouvez toujours trouver des hypothèses qui rendent une loi injuste et absurde.

Il est bien certain que si vous aviez toute l'Europe sur les bras, tout système de défense ne signifierait rien du tout. Je suis même d'avis que si la Belgique devait guerroyer seule contre une grande puissance, la France ou l'Allemagne, notre armée serait complètement insignifiante.

Il y a dans ce monde des choses probables, des choses que le bon sens indique, et il faut s'organiser d'après le bon sens. Or, qu'est-ce qui est le plus probable ? Votre neutralité est consacrée par différentes puissances ; il arrivera, un jour peut-être, je désire qu'il n'arrive pas ou qu'il arrive le plus tard possible, il arrivera peut-être un jour où une puissance ne voudra pas garder la foi promise, elle trouvera notre pays à sa convenance, elle en aura peut-être besoin pour de plus vastes projets ; nous pourrons être menacés.

Eh bien, menacés d'un côté, nous serons aidés par d'autres puissances, soit pour servir leurs intérêts, soit pour défendre leur signature. Or, dans ce cas, qui est le plus probable, une armée de 100,000 hommes sera-t-elle insuffisante ? Moi je ne le crois pas. Elle sera insuffisance si vous supposez, comme je le disais tantôt, la Belgique seule aux prises avec une grande puissance, mais si vous supposez que nous aurons des alliés puissants eux-mêmes, que leurs forces agiront avec les nôtres, une armée de 100,000 hommes sera complètement suffisante pour le rôle qu'elle aura à jouer, pour le contingent que nous aurons à fournir.

Voilà la question telle qu'elle doit être envisagée. Mais, je le répète, avec des hypothèses, vous pouvez parfaitement battre en brèche tout projet d'organisation militaire, comme vous pouvez rendre toutes les lois absurdes et ridicules.

Mais pour M. Nothomb, à côté de l'insuffisance, il y a le danger, et le danger consiste à être entraînés dans toutes les guerres qui peuvent surgir en Europe et cela à raison même de notre organisation militaire.

J'avoue, messieurs, que cet argument, après ce qui a été dit par M. de Brouckere, après ce qui a été dit par le général Renard, et surtout après (page 705) ce qui a été dit par M. Nothomb lui-même, cet argument je ne le comprends plus. M. Nothomb a dit qu'il a voté tous les budgets de la guerre parce qu'il était partisan de la loi de 1853, Eh bien, la loi de 1853 qu'est-ce autre chose que ce qu'on propose ? La loi de 1853, c'est une armée de 100,000 hommes.

Vous en êtes partisan, vous n'y voyez pas de danger ; eh bien, je demande que la loi de 1853 soit une vérité, pas autre chose.

Avec la loi de 1853 et l'appel des huit premières classes plus l'appel possible de la neuvième et de la dixième, on espérait avoir 100,000 hommes et les cadres étaient organisés pour 100,000 hommes. Mais l'expérience a démontré qu'avec les éléments mis à la disposition du gouvernement, l'on ne pouvait pas avoir les 100,000 hommes, que l'effectif était insuffisant, que s'il fallait mettre l'armée sur pied de guerre, on arriverait à peine aux deux tiers, et l'on propose des mesures pour que ce que l'on se proposait en 1853 puisse être une réalité.

Est-ce là le danger ? Comment donc n'avez-vous pas vu le danger plus tôt ? Comment donc avez-vous voté tous les budgets de la guerre ? Assurément je ne vous comprends pas.

M. Nothomb a encore d'autres raisons pour ne pas vouloir du projet. M. Nothomb veut d'autres organisations. C'est l'armement général, c'est le système prussien.

L'armement général !

L'honorable M. Nothomb nous a fait hier tout un cours d'histoire ancienne et moderne pour nous prouver que des armées organisées selon ses vues avaient remporté des victoires et efficacement défendu leur pays ; mais l'honorable M. Nothomb m'a fait l'effet d’appartenir à l'ancienne école historique ; M. Nothomb cite des faits, mais il a bien soin de ne jamais dire dans quelles circonstances ces faits se sont produits ni d'en indiquer les causes, de sorte qu'il est impossible de juger, dans l'ignorance où nous sommes de ces circonstances et de ces causes, si, le cas échéant, une armée organisée de cette manière aurait en Belgique les succès que l'on nous a signalés et qui ont été obtenus dans d'autres temps et dans d'autres lieux.

M. Nothomb nous a parlé des guerres de Rome et de Carthage ; je pourrais répondre par les délices de Capoue ; ce serait un peu trop classique.

Il a parlé de l'Amérique, de la guerre d'émancipation, mais en quoi la Belgique ressemble-t-elle à l'Amérique ? Est-ce que la Belgique n'aura que des ennemis séparés d'elle par une mer de 1,200 lieues ?

Mais s'il en était ainsi, je ne voterais certes pas un gros budget de la guerre, je ne sais si je voterais un liard.

Est-ce que la Belgique a une profondeur de territoire semblable à celle des l'Amérique, où l'on peut éterniser la guerre ? A-t-elle devant elle l'immensité ? Et croyez-vous que l'immensité de l'Amérique et l’éloignement n'aient pas contribué plus que tout le reste au succès des Américains contre les Anglais ? Cela n'est pas sérieusement contestable.

Vous avez parlé de l'Allemagne. Vous avez oublié de nous dire, à propos des campagnes de 1813 et de 1814, qu'elles ont eu lieu après que l'Allemagne, pendant dix ans, avait été l'objet de toutes les vexations, de toutes les oppressions, de toutes les humiliations, qui avaient amené le sentiment national à un degré d'énergie qu'il est impossible de rencontrer toujours. Voilà des éléments dont vous ne tenez pas compte.

Vous avez parlé du Mexique. Mais il n'y a pas d'exemple plus malheureusement choisi pour votre thèse que celui du Mexique. Le Mexique est quasi grand comme l'Europe, séparé de cette partie du globe par une distance immense.

Malgré cela, l'armée française l'a occupé et ce ne sont pas les Mexicains qui sont parvenus à l'en expulser.

A un moment donné, la France a vu que l'occupation d'une partie de l'Amérique pouvait l'entraîner plus loin qu'il ne convenait à sa politique, à ses intérêts ; et elle a évacué le Mexique de son plein gré, de sa propre volonté, sans que la crainte des forces mexicaines entrât pour rien dans sa détermination. Voilà la vérité. (Interruption.)

Messieurs, quand on organise n'importe quoi dans un pays, il faut organiser selon les règles de la raison et du bon sens, selon la science et l'expérience des hommes compétents et non en vue de circonstances exceptionnelles que, par cela même qu'elles sont exceptionnelles, on a peu de chances de rencontrer.

Or qu'est-ce que la raison, le bon sens, la science et l'expérience indiquent en fait d'organisation militaire ?

Le bon sens et la raison, la science et l'expérience indiquent que du moment où vous aurez appris à un homme le métier de soldat, que vous l'aurez exercé, que vous l'aurez rompu aux travaux militaires, que vous l'aurez retenu pendant un certain temps sous les drapeaux, quand vous aurez développé en lui le sentiment d'honneur, une des plus grandes forces de l'armée, cet homme sera de beaucoup supérieur, comme soldat, au père de famille que vous arracherez à ses enfants, à ses travaux des champs et chez qui existera, dans toute sa puissance, le sentiment de la conservation personnelle.

Quand vous viendrez dire que ce père de famille sera un aussi bon instrument de guerre que le milicien bien exercé, bien discipliné, bien pénétré du sentiment de son devoir, personne ne prendra votre langage au sérieux.

Vous avez deux raisons, messieurs, pour organiser votre défense comme toutes les puissances militaires organisent la leur.

D'abord, vous ne pouvez pas vous abstraire de ce qui vous entoure. Les nations qui. vous avoisinent ont de bonnes armées, et si vous aviez à vous battre, ce ne serait pas contre des forces composées de pères de famille arrachés à leurs foyers, mais contre des armées rompues aux travaux militaires.

Ensuite, et c'est là une raison plus forte encore, à mon avis, c'est qu'en définitive vous ne vous battriez pas seuls. Vous auriez des alliés auxquels vous devriez pouvoir inspirer de la confiance. Et quelle confiance voudriez-vous leur inspirer si vous n'aviez à leur donner pour auxiliaires que des soldats qui n'auraient été que pendant huit ou quinze jours sous les armes et qui, pour toute éducation militaire, compteraient quelques exercices à un chef-lieu de canton ?

Si vous alliez dire à ces alliés : Je vais vous donner pour tout auxiliaire la garde civique dans ses conditions actuelles, croyez-vous qu'ils seraient bien rassurés et bien disposés à s'aventurer avec elle sur un champ de bataille ?

Non pas, messieurs, que je mette en doute le courage de la garde civique, mais son organisation défectueuse, le défaut d'instruction ne lui permettraient pas de répondre à toutes les exigences d'une pareille mission.

L'honorable M. Nothomb, messieurs, est partisan du système prussien, et, chose singulière encore, et qui ressemble très fort à une contradiction, il ne veut pas d'augmentation du contingent.

Il me semble que quand on est partisan d'un système qui fait supporter par le plus grand nombre les charges militaires, il faudrait au moins, dans l'impossibilité où l'on se trouve d'obtenir exactement tout ce qu'on désire, accepter ce qui s'en rapproche le plus.

Je ne comprends donc pas que l'honorable M. Nothomb ne veuille à aucun prix de l'augmentation du contingent et qu'il déclare que le gouvernement ferait chose sage et raisonnable en renonçant à cette partie de ses propositions.

L'honorable membre, je le disais tantôt, se montre très irrité lorsqu'on suppose que l'esprit de parti n'est pas étranger à ses appréciations ; mais quand il se montre si peu logique, il est difficile de ne pas croire qu'à son insu même, cet esprit n'exerce sur ses déterminations quelque influence.

Le système prussien, mais proposez-le ! Je vous le déclare franchement, je voudrais que nous l'eussions, et s'il existait, je le soutiendrais, je le défendrais. Mais je ne poursuis pas l'impossible.

Voilà la différence qu'il y a entre l'honorable M. Nothomb et moi. Il veut l'impossible.

M. Coomansµ. - Oh.

M. Teschµ. - Faites donc cette proposition au pays ! Personne de vous ne l'osera.

D'abord personne de vous ne connaît dans tous ses détails le système prussien. Pour beaucoup de points, vous rencontreriez dans noire Constitution de grands obstacles à l'application de ce système. Allez donc soumettre, en cas de guerre, les communes à ce régime pour les approvisionnements ; soumettez les particuliers à ce système pour la remonte. Je vous y attends. Les grandes phrases qu'on nous fait en faveur de tel ou tel système, ce sont des mots, pas autre chose, des mots qui résonnent d'autant plus qu'ils sont plus creux. Et quand nous disons que le pays ne veut pas de ce système, on nous dit : Pauvre nation.

Mais l'homme est toujours l'homme. Il est capable, dans certains moments, de très grands élans, d'enthousiasme. Mais dans la situation normale il aime sa liberté, il veut des loisirs et la vie militaire ne lui sourit guère. Or il ne suffit pas de l'élan, de l'enthousiasme au moment où la guerre éclate. Vous auriez affaire alors à des nations qui auront des armées permanentes, qui de longue main auront prépaie, organisé des forces contre lesquelles l'élan et l'enthousiasme viendraient se briser.

Personne, messieurs, ne contestera l'esprit national et le caractère (page706) guerrier des Français. Et pourtant quelle émotion le dernier projet de loi sur l'organisation militaire n'a-t-il pas causée en France ! Ce n'est pas encore le système prussien, et cependant l'on peut dire que si la majorité n'a pas été ébranlée, elle a été profondément émue de l'attitude des populations.

On peut donc exprimer ici les opinions que je viens d'exprimer sans porter atteinte ni au patriotisme ni au courage des Belges.

Maintenant, messieurs, quand je vous dis que vous n'aurez pas l'armement général, que vous n'aurez pas le système prussien, que le pays n'en veut pas, qu'il n'en veut à aucun prix et vous le savez aussi bien que moi, que ce ne sont que des mots, j'ai les faits sous la main pour vous le prouver et j'ai votre propre histoire à vous citer.

En 1848, mon honorable ami, M. Rogier, vous a présenté un projet de loi sur la garde civique.

Je suppose que quand vous parlez d'armement général, ce n'est pas seulement un fusil que vous voulez mettre entre les mains de tous les citoyens ; je suppose que vous voulez un peu d'instruction, que vous voulez une certaine organisation, que vous voulez, en un mot, mettre celui auquel vous confiez ce fusil en mesure de s'en servir pour défendre l'indépendance et la nationalité de la patrie.

M. Rogier vous a donc présenté un projet de loi sur la garde civique, ce projet vous l'avez voté. Qu'y avait-il dans ce projet ?

C'était un pas extrêmement timide fait vers le système d'armement général dont vous nous parlez depuis l'ouverture de cette discussion.

Ce projet portait que la garde civique serait exercée au moins 12 fois par an pendant deux heures au maximum.

Il y avait aussi dans ce projet que la garde civique serait divisée en garde mobile et en garde sédentaire et que la garde civique mobile serait organisée dans les localités dont la population atteint 3,000 âmes.

Voilà ce qu'était ce projet, ce n'était pas très dur, très effrayant ; et cependant qu'est-il arrivé ?

Depuis le jour où cette loi a été votée jusqu'au jour où vous l'avez démolie, vous n'avez cessé de réclamer.

Tous les jours, sur le bureau on déposait des pétitions dans lesquelles on demandait que la loi sur la garde civique fût rapportée et que ces charges insupportables fussent diminuées. II n'y avait pas d'expressions assez fortes pour indiquer combien gênantes, vexatoires, insupportables étaient les dispositions de la loi.

Quatre ans après, alors que l'Europe était bien loin, encore loin d'être rassurée, vous supprimiez ces douze exercices par an.

Voilà comment vous préludiez à l'armement général.

La loi de 1848 avait déclaré qu'il y aurait au moins 12 exercices par an. Pour préparer ce formidable armement général avec lequel vous vous défendiez contre l'Europe entière, vous avez déclaré qu'il n'y aurait désormais que huit exercices au maximum, et encore ce nombre n'a été maintenu que par transaction.

Il y avait des membres de la législature qui ne voulaient que deux exercices.

Au Sénat, on avait voté le nombre 6 et le projet a dû revenir dans cette enceinte.

D'après la loi de 1848, la garde civique devait être mobile dans les localités dont la population atteignait 3,000 âmes ; par la loi de 1853, vous avez élevé les chiffres à 10,000 âmes.

Voilà comment vous voulez l'égalité !

D'après la loi de 1848, tout le monde était soumis aux 12 exercices, sauf ceux qui faisaient preuve de capacités suffisantes.

Cela n'a pas trouvé grâce devant vous. Pour les gardes qui ont atteint 35 ans il n'y a plus qu'un seul exercice obligatoire par an. C'est vous, messieurs, qui avez fait tout cela. Mais qu'est-ce que j'en conclus ? Qu'est-ce que je dois forcément en conclure ?

C'est que quand le gouvernement vient vous demander de défendre le pays avec une armée, vous dites : « Non, nous le défendrons avec la garde civique, avec l'armement général » et quand le gouvernement vient vous dire : « Je vais préparer l'armement général en introduisant des modifications dans l'organisation de la garde civique, vous répondez : « Non, pas de garde civique ; nous défendrons le pays avec l'armée. »

Voilà comment vous entendez défendre le pays.

Ne croyez pas, messieurs, que j'invente ; je ne dis pas un mot qui ne soit absolument exact.

Je vais vous lire la plus belle apologie des armées permanentes par l'honorable M. Coomans...

M. Coomansµ. - Des petites armées.

M. Teschµ. - ... qui a démoli h garde civique de 1848. C'est un peu long, mais je crois accomplir un devoir.

- Plusieurs voix. - Lisez. Lisez.

M. Bouvierµ. - Quantum mutatus !

M. Coomansµ. - Cela nous rajeunira.

M. Teschµ. - Voici donc comment s'exprimait M. Coomans :

« Qu'on ne se fasse pas illusion à cet égard : à aucune époque de notre histoire, la milice bourgeoise ne servit efficacement le pouvoir monarchique ; quel que fût le brillant courage dont elle se montra souvent animée, elle ne contribua que dans une très faible mesure au succès des guerres nationales. Nous sommes même obligés de constater qu'elle opposa parfois des entraves insurmontables à ceux de nos princes qui pouvaient le mieux étendre la gloire et le sol de la patrie. Inspirée d'un patriotisme trop étroit, peu aguerrie aux travaux militaires, indisciplinée et turbulente, prompte à soupçonner ses chefs de trahison ou de faiblesse, et se défiant toujours du prince et de sa noblesse, qui constituait la principale force du pays, la milice bourgeoise empêcha plutôt qu'elle ne seconda la réalisation des glorieux projets de Jean sans Peur, de Philippe le Bon, de Charles le Téméraire et de Charles-Quint.

« La garde civique est la forme première et élémentaire des armées : aussi un grand progrès fut-il réalisé vers le milieu du XVème siècle par la création d'une troupe permanente, initiée par état à tous les secrets de la stratégie et immédiatement soumise aux ordres absolus d'un seul chef.

« Bien que l'institution des troupes régulières dût porter un coup sensible au système communal, la raison de ce nouvel état de choses fut si bien comprise, que les cités s'empressèrent de se libérer du service hors ville, de l'obligation de suivre le prince en campagne, au moyen de subsides financiers. Dès ce moment, la milice bourgeoise perdit beaucoup de son importance et cessa de jouer un rôle dominant dans la politique intérieure. Elle resta sous les armes, parce qu'elle se défiait d'une armée permanente qui appartenait au prince plutôt qu'au pays, et parce qu'elle était nécessaire à l'ordre public, aucune troupe royale ou impériale n'étant autorisée par les communes à y tenir garnison. Peu à peu, cependant, elle se confondit davantage avec la population pacifique, et dès la fin du XVIIème siècle, elle se borna généralement à rehausser l'éclat des solennités publiques. Son action militaire avait diminué, presque disparu. Nos sociétés de tir sont les héritières directes des puissantes milices du moyen âge.

« Les gouvernements ne songèrent que dans ces derniers temps, après la chute de Napoléon I"er à rallumer les restes d'une institution presque éteinte. Convaincus, pour notre part, qu'il est difficile, sinon impossible, de faire revivre les créations usées d'un autre âge, nous doutons qu'on parvienne à rendre à la garde civique la portée militaire qu'elle a naturellement perdue, et nous nous résignons volontiers à voir son action restreinte dans les limites de la commune où elle prit naissance. Les services qu'elle peut y rendre sont encore assez considérables et assez précieux. D'où nous concluons que, les cas exceptionnels de mobilisation réservés, il est inutile d'organiser la garde civique au point de vue des secours qu'elle aurait à prêter à l'armée en rase campagne, et qu'il est sage de ne pas élever son éducation au-dessus de ses devoirs purement communaux, parmi lesquels nous rangerons la défense des places fortes.

« Rien d'étonnant donc que la garde civique, organisée dans les vastes et rigoureuses proportions que lui donne la loi du 1er mai 1848, apparaisse à bien des personnes comme exagérée, vexatoire et superflue. Dans un pays pratique et réfléchi comme le nôtre, où toutes les choses sont jugées d'après les résultats qu'elles produisent, et où le bon sens public n'approuve que les sacrifices utiles, on s'est promptement aperçu que le législateur de 1848, se préoccupant avec raison des dangers du moment, avait dépassé le but pour les temps ordinaires, et l'on s'est accordé à demander des adoucissements à une législation trop guerrière.

« Mais indiquons de plus près les raisons qui expliquent l'attitude prise par nos populations à l'égard de la loi du 1er mai, dont la réforme est si généralement sollicitée. Tout sentiment public a des causes dont ceux mêmes qui l'éprouvent ne se rendent pas toujours compte. cette fois il nous semble aisé de justifier l'opinion des pétitionnaires.

(page 707) « Remarquons d'abord que les attributions communales ont considérablement diminué depuis soixante ans, et qu'elles se sont confondues en partie dans l'action centrale de l'Etat. La commune n'est plus maîtresse de fermer ses portes aux troupes permanentes, de se racheter du service militaire par des contributions en argent, d'organiser sa police selon son bon plaisir, de nommer ses chefs, de régler la juridiction civile ; en un mot, elle ne forme plus, comme jadis, un petit gouvernement à part qui avait sa milice, ses tribunaux, ses ambassadeurs, etc.

« En second lieu, l'armée est devenue nationale de princière qu'elle était ci-devant. Elle inspire au pays une confiance entière, et, après avoir rendu, les services prescrits par la lui, elle rentre au sein de la nation d'où elle est issue. L'inamovibilité relative des officiers lui donne quelque chose de cette indépendance légale, de cette liberté de conscience dont le corps judiciaire jouit à un si haut degré. Nouveau motif donc, pour la population civile, de déposer la défiance qui la tenait sans cesse en éveil devant les troupes régulières du souverain.

« Troisièmement, l'armée coûte cher aujourd'hui, parce qu'elle est plus nombreuse, mieux payée et mieux nourrie que jadis. Connaissant les charges que leur impose cette glorieuse sauvegarde de leur nationalité et de leurs institutions, les citoyens se montrent moins disposés à accepter les charges nouvelles résultant de la garde civique. Ils s'imaginent assez naturellement que le temps et l'argent qu'il leur en coûte peuvent être mieux employés. De là des plaintes et des murmures que les plus beaux raisonnements du monde n'étoufferont point.

« En quatrième lieu, il faut le reconnaître sans regret, l'esprit militaire, la pétulance guerrière, qui caractérisa longtemps toute l'Europe, s'est visiblement affaiblie parmi les populations industrieuses. La division croissante de la propriété, le développement de toutes les branches de travail, les progrès du bien-être matériel et du luxe, ceux de l'instruction, le triomphe du droit des gens, qui interdit la maraude et le pillage, toutes ces causes réunies ont pacifié les esprits et discrédité les abus de la force brutale.

« Chacun est prêt encore à guerroyer de bon cœur dans les limites que trace le devoir ou l'intérêt, mais les hommes qui tiraient l'épée sans savoir pourquoi, qui se battaient pour le plaisir de se battre sont devenus très rares.

« On examine volontiers aujourd'hui le côté sérieux des choses, on aime à en mesurer les conséquences, et l'état militaire est devenu, aux yeux de tous, une fonction publique, dont le but paraît d'autant mieux atteint que la paix et l'ordre sont maintenus sans effusion de sang. Le prestige de l'épaulette et du fusil ne suffit plus pour intéresser la milice bourgeoise à des corvées stériles, qui la fatiguent et l'ennuient. En revanche, si des circonstances critiques se présentaient, on la verrait répondre avec empressement au premier appel des défenseurs de la chose publique.

« Ensuite, si, comme nous le disions tout à l'heure, l'institution des armées permanentes fut un progrès en face des milices bourgeoises, composées de la presque totalité des citoyens, cette vérité est particulièrement sensible aujourd'hui que le principe de la division du travail a prévalu dans la société. A chacun son métier et sa spécialité, dit un proverbe qui court les rues et qui trouve partout son application. L'industrie, le commerce, les sciences, les arts sont devenus des choses si compliquées que, pour les exploiter ou les cultiver avec succès, un homme doit y consacrer son existence entière. L'éducation imposée à la population civile lui apporte des distractions importunes dont elle aspire à s'affranchir.

« Cette remarque nous révèle une sixième cause du peu de goût que les travaux de la garde civique inspirent à nos concitoyens. La science militaire s'est agrandie et développée comme toutes les autres. Elle réclame beaucoup d'attention et d'efforts de la part de ceux qui veulent s'y initier ; à l'officier, il faut de longues études ; au soldat, des années d'exercice pour se placer à la hauteur de ce noble métier. »

Vous l'entendez, messieurs, c'est l'honorable M. Coomans qui parle, à l'officier il faut de longues études, au soldat des années d'exercice pour se placer à la hauteur de ce noble métier.

M. Ortsµ. - C'est le discours de M. le ministre de la guerre.

M. Teschµ. - En effet, l'illusion est complète. Je continue :

« Ici se manifeste dans toute sa force la nécessité de la division du travail, principe économique dont il faut subir toutes les conséquences. En vain tâchera-t-on de former une garde civique capable de tenir la campagne avec des troupes régulières ; on lassera, on contrariera inutilement des populations dont les soucis sont ailleurs. Egale en courage, elle ne saurait jamais soutenir la comparaison avec l'armée, ni sur le champ de bataille, ni peut-être même dans la rue. La garde civique le sait, l'armée ne l'ignore point ; dans cette situation d'esprit, la réunion des deux forces ne saurait produire les résultats désirables.

« Enfin, plaçons ici une observation essentielle, c'est que les réclamations nombreuses dont nous sommes saisis sont, en réalité, un solennel hommage rendu par la garde civique elle-même à la sagesse du Roi, au patriotisme de l'armée et de la législature, au bon sens de la nation, à la prudence des gouvernements de l'Europe. En effet, si la garde civique n'avait pas confiance dans toutes ces formes sociales, elles ne solliciterait pas une sorte de congé provisoire, elle se tairait patriotiquement et ses armes ne lui sembleraient pas trop lourdes. Elle remplirait sa rude mission comme un devoir.

« Loin donc d'accueillir avec défaveur l'expression de ses vœux, vous pouvez tous, ministres et législateurs, y voir une preuve nouvelle de l'affermissement de notre nationalité et de nos institutions, ainsi que de la juste popularité dont jouissent la dynastie, l'armée, tous les pouvoirs publics. Telle est, du moins, l'interprétation qu'il nous est agréable de donner aux centaines de pétitions qui nous sont parvenues, et nous aimons à croire que la nation et ses gouvernants la ratifieront. »

Voilà, messieurs, quelle était, en 1853, l'opinion de l'honorable M. Coomans. Et ne croyez pas que je la rappelle pour le puéril plaisir de le mettre en contradiction avec lui-même. Non, je veux seulement justifier ce que je disais tantôt.

Quand on demande à défendre le pays d'une manière, on en indique une autre. Quand on demande une armée, on dit : Prenez la garde civique. Quand on propose une garde civique fortement organisée, on nous dit : Défendez-vous avec l'armée.

Voilà ce que j'ai voulu établir et je crois l'avoir fait en invoquant vos propres faits et gestes.

Jusqu'à présent, quand on a dit telle chose est possible ou impossible, on a formulé une appréciation personnelle ; ce n'est point ce que je fais, moi, ce n'est pas le résultat de mon appréciation personnelle que je viens produire ici, ce sont des faits indiscutables. Je le répète, vous avez, en 1853, démoli la loi de 1848 sur la garde civique parce que vous la trouviez trop rigoureuse et il est peu sérieux, après cela, de venir nous parler d'armement général.

MfFOµ. - Et plus tard en 1858, M. Coomans a défendu le remplacement.

M. Teschµ. - Messieurs, je veux bien, moi, essayer de tous les systèmes ; seulement je demande qu'on fasse ces expériences sans détruire ce que nous avons. Vous voulez, dites-vous, un armement général pour bien défendre le pays ; eh bien, je dis que le premier pas vers un armement général c'est une puissante organisation de la garde civique. Commençons donc par là. Faisons une loi comme celle de 1848, renforçons-la, nous verrons comment le pays l'acceptera.

Faites cette expérience, si vous le voulez ; mais je n'hésite pas à dire que si vous prépariez ainsi l'armement général de la .nation et si, après quelque temps d'essai de ce système, M. le ministre de la guerre venait vous demander un budget de 80, de 100 millions même, pour soustraire le pays aux rigueurs d'une pareille loi, vous vous empresseriez de les lui accorder. Je vous prédis cela très fermement.

L'honorable M. Coomans, pendant que je lisais tantôt une partie de son discours...

M. Coomansµ. - Ce n'est pas un discours, mais un rapport fait au nom de la section centrale.

M. Teschµ. - Eu effet, c'est un lapsus ; la citation que j'ai faite tout à l'heure je l'ai puisée dans un rapport de M. Coomans, c'est-à-dire dans un travail plus médité, plus réfléchi qu'un discours et ayant par conséquent plus d'autorité encore.

L'honorable membre a parlé de la conscription, de l'impôt du sang, de cet épouvantable impôt du sang !

M. Coomansµ. - C'est cela ; parlons-en.

M. Teschµ. - Eh bien, messieurs, l'honorable M. Coomans est tellement convaincu de cette abomination qu'il a lui-même démoli ses argument par un bon mot, en disant qu'en Belgique i n'y a que les pompiers qui aient vu le feu.

(page 708) M. Coomansµ. - Ce n'est pas moi qui ai dit cela, c'est l'honorable M. Jacobs ; mais cela n'est pas moins vrai.

M. Teschµ. - Eh bien, oui, cela est parfaitement vrai ; mais alors que venez-vous nous parler d'impôt du sang à propos de conscription ?

L'honorable M. Coomans a demandé pourquoi on ne tirait pas aussi les autres impôts au sort. Un peu de réflexion l'eût, je pense, mis immédiatement sur la voie. Le recrutement a lieu par voie de tirage au sort parce qu'il n'est pas un impôt de même nature que l'impôt foncier par exemple.

L'impôt foncier peut se payer par tout le monde, parce qu'il se paye en argent et que l'argent se subdivise à l'infini ; tandis que pour défendre un pays il faut des hommes et que des hommes ne se subdivisent pas. Or, comme vous ne pouvez pas employer tous les hommes sans distinction, d'abord parce que l'exigence d'une bonne organisation combinée avec les ressources du pays ne le permettraient pas, ensuite parce que les besoins du pays ne l'exigent pas, force est bien de n'en prendre qu'un certain nombre et par conséquent de charger le sort du soin de désigner les hommes qui seront appelés à servir. Voilà pourquoi il y a tirage au sort pour le recrutement et pas pour l'impôt foncier. Maintenant est-ce à dire que ce système est rigoureusement juste ? En aucune façon, messieurs, je ne le prétends certainement pas ; mais je dis que c'est le seul possible.

Voulez-vous corriger autant que faire se peut les injustices que vous reprochez à la législation actuelle sur la milice ? Rien de mieux, et lorsque nous discuterons le projet de loi, vous trouverez probablement sur nos bancs plus de partisans d'une indemnité pour ceux qui servent que vous ne le croyez.

Mais ce que je ne puis admettre, c'est que, parce que ce système présente des inconvénients, il faille livrer le pays à tous les hasards, à toutes les incertitudes de systèmes nouveaux, dont, à l'avance, on sait la réalisation impossible.

L'honorable M. Coomans veut une armée de volontaires.

M. Coomansµ. - Oui.

M. Teschµ. - C'est cela. Mais commencez donc, je vous prie, par me prouver que ce système est possible ; car enfin il ne saurait me convenir de démolir ce qui existe sans avoir la certitude absolue de pouvoir le remplacer ; je ne puis pas consentir à supprimer notre armée en vue d'une armée de volontaires qui n'existe que dans votre imagination.

Vous rêvez une armée de volontaires ; je ne veux pas, moi, livrer le pays à une illusion. Une armée de volontaires n'est considérée nulle part comme suffisante pour défendre le pays.

On nous parle de l'Angleterre. Mais l'Angleterre sait parfaitement bien que les volontaires ne lui suffisent pas, quoiqu'elle soit séparée par la mer de toutes les autres puissances, quoiqu'elle ait une marine formidable, quoiqu'elle ait dans sa position insulaire des garanties qui manquent aux autres pays.

Aussi, l'Angleterre a-t-elle organisé ses milices ; elle a fait mieux : la nation elle-même s'est organisée en volontaires, en volontaires non payés et ne faisant pas partie de l'armée.

On a parlé de la conspiration des colonels ; Eh bien, 100,000 volontaires, instantanément, se sont organisés en Angleterre, à cette menace.

Vous parlez toujours de l'Angleterre ; suivez donc son exemple. Organisez-vous en Belgique en volontaires.

Vous dites toujours au gouvernement : « N'intervenez pas ; regardez les Anglais. » Eh bien, en Angleterre, où il y a de grandes fortunes, les souscriptions volontaires produisent toujours des résultats considérables ; j'ai vu des circonstances où des souscriptions individuelles montaient jusqu'à 200,000 francs. On a essayé parfois, en Belgique, d'organiser des souscriptions volontaires ; jamais elles n'y ont produit de résultat sérieux. En Belgique, on ne souscrit que lorsqu'il y a un dividende au bout...

- Un membre. - Et l'église de Laeken ?

M. Royer de Behrµ. - Et la colonne du Congrès ?

M. Jacobµ. - Les expositions triennales d'Anvers sont organisées au moyen de souscriptions particulières et elles éclipsent les expositions organisées à Bruxelles aux frais des contribuables.

M. Teschµ. - Le fait de l'exposition triennale d'Anvers est une exception et l'exemple de pareilles souscriptions est excessivement rare en Belgique ; la vérité est qu'en général rien ne se fait dans notre pays par souscription et si le gouvernement n’était pas intervenu dans bien des choses et à haute dose, la Belgique serait en arrière d'un demi-siècle.

L'honorable M. Coomans, à propos de la conscription et du remplacement, a dit encore : Il y a un immense intérêt à ce que le riche serve comme le pauvre ; tous les régiments seraient mieux soignés ; c'est parce que les pauvres seuls sont soumis au service, que les choses se passent comme nous le voyons.

Mais il me semble que l'honorable membre, avant de dénigrer ainsi son pays, aurait pu aller voir comment les choses se passent là où les riches servent comme les pauvres ; qu'il aille examiner si les casernes y sont plus saines, si la nourriture y vaut mieux, si la solde y est plus élevée, si les exercices y sont moins nombreux ; et il acquerra la preuve que notre pays n'a absolument rien à perdre à la comparaison.

Allez en Prusse et vous verrez que les soldats y sont assujettis à un service plus suivi, à des exercices plus fréquents qu'en Belgique. Et je regrette qu'en Belgique on ne suive pas l'exemple de la Prusse sous ce rapport.

II est évident que si nôtre armée pèche par un côté, c'est qu'elle n'y travaille pas assez, officiers et soldats. (Interruption.)

C'est comme cela, ils ne travaillent pas assez. Contestez, si vous voulez ; j'ai le droit de dire ma façon de penser, et je la dis avec la plus entière franchise.

Enfin, l'honorable M. Coomans a dit : Notre neutralité nous coûte cher ; elle nous impose des charges qui sont au-dessus de nos forces ; eh bien, faisons une alliance, contractons un mariage avec quelque puissance voisine qui nous prendra sous sa protection.

Voilà ce que l'honorable M. Coomans a dit en toutes lettres.

M. Coomansµ. - Ce n'est pas mon opinion.

M. Teschµ. - Comment ! ce n'est pas votre opinion ; je ne sais si vous venez exprimer des opinions qui vous sont inspirées par d'autres, qui ne sont pas les vôtres ; mais ce que je sais, c'est que vous avez dit que la Belgique devait contracter avec une autre puissance.

M. Coomansµ. - C'était une hypothèse.

M. Teschµ. - Vous avez dit que la neutralité nous imposait des charges au-dessus de nos forces, et cela vous a amené à demander que la Belgique contractât un mariage, justae nuptiae, avec une puissance voisine qui nous prendrait sous sa protection.

Eh bien, je vous dirai que vous ne connaissez pas l'histoire d'hier. Le jour où vous demanderez à une puissance voisine aide et protection, ce jour-là, on vous dira ce que la Prusse a dit à la Bavière, au Grand-Duché de Bade et aux autres Etats du Sud : Là où il y a communauté de biens, il doit y avoir communauté de dépenses pour la défense du pays.

Voilà ce qu'on vous répondra et vous payerez le double de ce que vous payez aujourd'hui en hommes et en argent.

Messieurs, on dit que notre système est ruineux. Je voudrais qu'il le fût un peu plus. Je le dis très sérieusement.

Y a-t-il dans aucune autre partie du monde 3 millions d'hectares qui représentent, sous tous les rapports, autant de richesses que la Belgique, en population, en fertilité du sol, capitaux, etc. ? Cependant la Belgique paye moins pour son organisation militaire, pour sa défense, qu'aucune des autres nations.

Si nous nous ruinons si fort, quelle doit être la situation de la France, quelle doit être la situation de l'Allemagne ? Tous ces pays ne sont pas si riches que nous, et cependant les charges militaires y sont beaucoup plus fortes.

Eh bien, je le répète, je voudrais que le système fût plus ruineux, parce que les nations voisines ne sauraient le supporter aussi longtemps que nous : nous resterions les derniers sur le champ de bataille financier.

Messieurs, je termine et je demande pardon à la Chambre de l'avoir entretenue si longtemps.

Je volerai le projet de loi, tel que le gouvernement nous le propose ; je voterai le contingent tel qu'il nous le demande ; je voterai les années de service, telles qu'elles sont réclamées ; je ne refuserai à ceux qui sont chargés de veiller à notre indépendance, ni un sou, ni un homme pour défendre la nationalité du pays.

(page 702) M. Coomansµ. - Je demande la parole pour un fait personnel.

Messieurs, il va sans dire que je n'ai pas la prétention, notre honorable président me le défendrait et il aurait raison, de répondre aux arguments qui ont été produits par l'honorable préopinant ; mais il m'est bien permis de considérer comme un fait personnel une allégation complètement inexacte, surtout lorsque cette allégation consiste dans l'accusation que je méconnaîtrais les traités des puissances avec la Belgique et que je voudrais supprimer la position la plus belle que l'on pût faire, selon moi, à notre pays.

L'honorable M. Tesch vient de dire que je veux supprimer la neutralité belge, que je veux que nous nous allions le plus tôt possible avec une grande puissance et que nous nous mettions à sa dévotion et sous sa dépendance.

Non seulement je n'ai rien dit de pareil, mais une idée semblable est contraire, positivement contraire à ma conviction la plus profonde.

J'ai dit ceci : Si la neutralité de la Belgique nous impose les devoirs que vous prétendez, si nous devons constamment avoir sous les armes 130,000 hommes, ou, au moins, des cadres pour 130,000 hommes, si vous nous forcez à avoir un état militaire qui, selon moi, est ruineux ; c'est-à-dire si vous nous imposez tous les inconvénients de la guerre sans les avantages de la paix, eh bien, supprimons cette neutralité qui est écrasante, qui est au-dessus de nos forces. (Interruption.)

- Des membres. - C'est cela !

M. Coomansµ. - Laissez-moi donc parler ? N'est-il plus permis de raisonner des faits, des hypothèses ? J'ai dit : Dans cette hypothèse, supprimons la neutralité belge ; procédons à une alliance intime avec quelque puissant voisin ; faisons ce que des communes, ce que des abbayes, ce que des Etats faisaient il y a des siècles ; payons un avoué pour nous défendre.

Mais j'ai dit aussi que telle n'était pas ma pensée ; j'ai dit que vous méconnaissiez les devoirs de la Belgique, que vous vouliez lui imposer des dépenses inutiles, des charges ruineuses, et j'ai dit (je l'ai dit vingt fois) : Gardons notre neutralité, notre neutralité pacifique.

L'honorable membre m'a donc attribué une pensée et un argument que je n'ai pas cessé de combattre. Ce n'est pas à moi qu'il devait parler ainsi ; c'est au gouvernement et à ceux qui l'appuient.

Quant à moi, je prétends que la neutralité belge est un immense bienfait et je n'y renoncerai que lorsque vous-mêmes la rendrez nulle.

(page 709) M. Teschµ. - L'honorable M. Coomans prétend que la neutralité belge est un immense bienfait, à la condition qu'elle ne nous coûte rien. Moi, je prétends qu'alors même qu'elle nous coûte une armée de 100 ou de 130 mille hommes, elle est encore un immense bienfait et qu'il faut la défendre. Je dis que je préfère, avoir une armée de 100 ou de 150 mille hommes que d'aller contracter des justae nuptiae, n'importe avec quelle nation voisine, convaincu que je suis que ces justae nuptiae nous coûteraient beaucoup plus d'argent et nous exposeraient à de bien autres danger.

(page 702) MpDµ. - Il n'y a plus d'orateur inscrit.

M. Van Humbeeck, rapporteurµ. - Le moment est venu où le rapporteur pourrait ramener le débat à ses véritables limites et en résumer les points principaux. Mais l'heure est trop avancée pour que je puisse le faire aujourd'hui.

- Des membres. - Oui ! oui ! A demain !

MpDµ. - Je suppose que la Chambre sera d'avis de ne pas s'occuper demain de pétitions ? (Oui ! oui !) En ce cas, demain continuation de la discussion.

- La séance est levée à quatre heures trois quarts.